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Des objets mathématiques continus ou discontinus ?

dimanche 2 mars 2008, par Robert Paris

DISCONTINUITÉ OU ... CONTINUITÉ ?

LE POINT

"Tout le monde croit savoir ce que c’est qu’un point, et c’est même parce que nous le savons trop bien que nous croyons n’avoir pas besoin de le définir."

Henri Poincaré

Poincaré défenseur du continu mathématique :

Lire ici

Poincaré : « n’y a-t-il pas moyen d’arriver à la loi du rayonnement sans introduire ces discontinuités qui sont en opposition directe avec les notions de la Mécanique classique ? »

Continuité mathématique et continuité physique

Lire encore

dans "La valeur de la science" (chapitre "La notion d’espace")

"On le voit, ce qui est en question, ce n’est rien moins que la notion de point matériel, la plus élémentaire de toutes les notions de la mécanique. La position centrale tenue par cette notion doit être abandonnée pour des raisons de principe, elle ne pourra subsister que dans certains cas limites."

Max Planck

dans "Initiations à la physique"

LA DROITE

Notre conception de la droite est tributaire de nos illusions d’optique comme le relève Bernard Sapoval dans « Universalités et fractales » :

« Diderot rappelle et discute le cas de Saunderson, aveugle-né, professeur de mathématiques à l’université de Cambridge. Fasciné par la question même de la formation de la pensée sans l’aide de la vision, Diderot estime qu’ « interroger un aveugle n’eût pas été une occupation indigne des talents réunis de Newton, Descartes, Locke et Leibniz. » Diderot imagine par quel processus un aveugle né peut concevoir l’idée de ligne droite : « Une ligne droite, pour un aveugle qui n’est pas géomètre, n’est autre chose que la mémoire d’une suite de sensations du toucher placées dans la direction d’un fil tendu… »

Chacun se souvient de son enseignement secondaire et croit qu’on lui a défini ces notions de point, de droite, de demi-droite et de segment. Mais cela n’est pas exact. Le segment, la demi-droite et la droite ne sont pas simplement des ensembles de points si le point est sans dimension d’espace. Même une infinité de points de dimension zéro ne peuvent avoir une distance non nulle. Il ne s’agit pas d’une infinité d’objets de dimension infiniment petite mais nulle ! C’est un peu comme si on additionnait une infinité de poids nuls et que l’on disait que cela donne un poids fini non nul... Définir une distance non nulle par une collection d’objets de dimension nulle est curieux.

D’autre part, le segment nécessite, pour sa définition (un segment est défini par ses extrémités), le point et inversement ce qui est un peu circulaire !

Et ce n’est pas la seule contradiction. A prétendre tout définir formellement, il y a même une contradiction logique. Même David Hilbert, un mathématicien très axiomatique, qui affirme que "Comme l’arithmétique, la géométrie n’exige pour son élaboration qu’un petit nombre de propositions fondamentales simples. Ces propositions sont les axiomes de la géométrie. Depuis Euclide, l’établissement de ces axiomes et l’étude de leurs relations ont fait l’objet de travaux nombreux et excellents." rajoute immédiatement que " Ce problème est celui de l’analyse de notre intuition de l’espace".
dans "Les fondements". En somme, tout se démontre mais le point de départ (sans jeu de mots) est dans notre intuition de l’espace !

Le segment ou le point sont des notions intuitives qui ont été conçues pour une vision du monde à notre échelle. Dès qu’on prétend examiner des infinités de points situés entre deux points, elles ne sont plus valides. On se heurte à la même difficulté que Zénon et que la physique quantique. Les infinis (infiniment grand et infiniment petit) ne sont pas logiquement acceptables et ne sont pas physiquement acceptables. Ils ne peuvent servir à créer une notion de continuité que les mathématiques ont vainement cherché à bâtir.

Ce sont également des notions qui contiennent des contradictions dialectiques irréductibles. Le point et le segment sont aussi dialectiquement inséparables que l’instant et la durée ou la position et la distance. Ces notions sont irréductibles l’une à l’autre, indispensable l’une à l’autre, contradictoire l’une pour l’autre. On ne peut pas définir la position d’un point sans la notion de distance par rapport aux autres points. On ne peut définir une distance qu’entre deux points.

La continuité, une propriété mathématique ?

Les paradoxes de Zénon

NOMBRES RÉELS ET CONCEPTS SPATIO-TEMPORELS

Le physicien V. Guinzburg écrit dans "Sur la physique et l’astrophysique" :

"La théorie de la relativité restreinte et générale, la mécanique quantique non relativiste, la théorie actuelle des champs quantiques utilisent la notion de l’espace-temps continu, au fond classique : un point d’espace-temps est défini par quatre coordonnées susceptibles de prendre une suite continue de valeurs. Mais cette approche est-elle toujours légitime ? D’où vient-il que dans le domaine du "petit" l’espace et le temps n’acquièrent pas des propriétés tout à fait différentes, ne deviennent pas d’une certaine façon "granulés", discrets, quantifiés ?

Cette question n’est nullement nouvelle. Pour la première fois, elle a été posée probablement par Riemann en 1854, puis discutée à maintes reprises. Ainsi, dans sa conférence bien connue "La géométrie et l’expérience", Einstein disait en 1921 :

"L’interprétation physique de la géométrie proposée ici ne peut être appliquée aux dimensions submoléculaires de l’espace."

Le problème de la longueur fondamentale est intimement lié à celui de l’infraction à la causalité dans le microcosme. S’il existe une longueur fondamentale quelconque, il est naturel d’admettre qu’elle joue un rôle, et même un rôle déterminant dans la résolution du problème du spectre de masses. La longueur fondamentale servirait de facteur "tranchant" dont a besoin dans telle ou telle mesure la théorie quantique du champ actuelle ; dans la théorie qui contient la longueur fondamentale devraient disparaitre automatiquement les expressions divergentes."

NOMBRE RÉEL ET HYPOTHÈSE DE LA CONTINUITE

"Les principes euclidiens, seuls, sans adjonction du principe de continuité, qui n’est pas contenu en eux, sont incapables de fonder une théorie complète des nombre réels comme rapports de grandeurs."

Lettre de R. Dedekind à R. Lipschitz du 27 juin 1876

Qu’est-ce qu’un nombre ? Qu’est-ce qu’un point ?

Les plus connus des objets mathématiques, le nombre, le point, le segment, la droite, sont très différents de ce que l’on croit communément. La droite géométrique, comme la droite des nombres, loin d’être le modèle de la continuité, est une fractale d’univers emboîtés et une dialectique du point et de l’espace. On croit la voir en entier en l’examinant à une seule échelle, mais elle contient de multiples niveaux et ses deux éléments, le point et l’espace entre deux points, sont inséparablement contradictoires au sens dialectique (c’est-à-dire contraires mais imbriqués et inséparables).

Pour être efficace, l’image mathématique doit correspondre à une réalité observée. Or, dans toute observation, il existe un pouvoir de résolution selon lequel il y a une limite de séparation des points. Deux points distincts ne sont séparables par observation que si leur distance est supérieure à cette limite. Cela est vrai dans toute observation physique par l’homme. Or, nous n’avons aucune raison de penser que l’homme soit un cas à part, ni que ses expériences aient des particularités indépendantes des lois naturelles. Cela signifie qu’on a toutes les raisons de penser que la matière et la lumière interagissent avec une limite de résolution. En dessous d’une limite, il n’y a plus interaction cohérente perceptible. En conséquence, ce "pouvoir de résolution" doit absolument être intégré à nos outils mathématiques. En ce qui concerne le point, le segment ou la droite (qu’il s’agisse des notions géométriques avec la droite d’Euclide ou algébriques avec la droite des nombres dits "réels"), ils ne répondent nullement à cette nécessité. Cette limite indique qu’en dessous existe un nouvel univers emboité et que ces univers forment un ensemble fractal. Si l’univers n’était pas fractal, si la plupart des systèmes étaient intégrables au sens de Poincaré c’est-à-dire non susceptibles de subir des résonances, cet inconvénient serait négligeable. Mais ce n’est nullement le cas. Le vide est fractal, la particule l’est aussi. Les interactions sont non-linéaires et les structures matérielles sont dissipatives et auto-organisées. Notre univers est fondé sur des systèmes chaotiques. La linéarité n’existe qu’approximativement et à la marge. En conséquence, le point ou la droite, même idéalisés, ne peut qu’être soumis à une correspondance à ce que pourrait être un point physique et une droite physique. Un point physique correspond au point de l’imprimerie qui est un nuage de points lorsqu’on l’agrandit suffisamment. C’est l’agraindissement. Une droite physique n’est pas seulement un ensemble de points, sinon elle ne porterait aucune longueur. Elle contient non seulement des points mais aussi des espaces entre ces points. Ces espaces ont des dimensions déterminées par le pouvoir de résolution, limite en dessous de laquelle on ne peut plus distinguer entre deux points. L’espace entre deux points à distance égale ou inférieure au pouvoir de résolution ne peut être explorée qu’en descendant d’un cran dans les échelles du monde fractal.

La droite, si on veut l’imaginer comme capable de porter l’ensemble des points entre deux points, doit être considérée comme une fractale, avec des univers emboîtés…

Encore une fois, rappelons que cette limite d’observation n’est pas propre à l’observation humaine. Toute interaction nécessite un temps fini, non nul, le temps d’interaction ajouté au temps de relaxation. Ce temps, lorsqu’il n’est pas négligeable devant le temps caractéristique de transformation des structures mises en cause, signifie qu’il n’est plus possible de considérer des infiniment petits dans les calculs. C’est ce qui explique que les lois doivent être renormalisables. C’est ce qui explique aussi qu’il y ait des mouvements et des changements de structure. Sans quoi le mouvement serait impossible comme le montrait il y a bien longtemps les paradoxes de Zénon. L’équilibre, inversement, n’a lieu que lorsqu’il y a un rapport suffisamment petit entre les deux temps (temps d’interaction-relaxation et temps propre). C’est là que se trouve la source des stabilités structurelles. L’interaction du lent et du rapide est à la base de la formation de structures durables et toutes sortes d’équilibres. L’équilibre, lui-même, change donc de représentation et devient un cas limite du paradoxe de Zénon. La composition de structures cristallines en est un exemple.
On a longtemps considéré que ce qui caractérise la fractale est la dimension fractionnaire. La droite et le point montrent qu’il n’en est rien.

L’outil mathématique de base doit lui-même être fractal pour représenter un monde fondé sur des résonances et non-intégrable au sens de Poincaré, sauf dans quelques cas limites. Dans une géométrie fractale, il n’y a plus un seul nombre qui représente la distance entre deux points, car cette distance dépend de l’échelle d’observation. Cette dernière est donc un premier élément. Il convient d’y rajouter la distance de deux points permettant de les séparer par observation ou « pouvoir de résolution » et aussi l’ « agraindissement » qui indique quand un point est représenté par une seule position et quand il l’est par un nuage de possibles.

Les remarques précédentes expliquent bien des bizarreries des questions de continuité et de discontinuité ou encore des question de cardinaux, en matière de géométrie comme d’algèbre. Ainsi, l’existence d’un pouvoir de résolution montre que le raisonnement selon lequel un segment aurait autant de points qu’une partie de ce segment est faux. Le découpage d’un segment en parties atteint des limites liées au pouvoir de résolution. Il convient de se rappeler que le segment considéré comme fractal ne doit pas être traité comme l’avait été le segment considéré comme un continuum de points successifs. Cela signifie en particulier que toute opération qui mette en relation des points de deux segments et qui agrandisse les longueurs (les fameuses bijections selon lesquelles il y aurait autant de points dans un grand et dans un petit segment) agissent sur les tailles des parties fractales. Une fractale , rappelons le, ne peut pas être observée en même temps à diverses échelles, pas plus que l’on ne peut observer en même temps des univers emboités. Quand on voit une poupée russe, on ne voit pas celles qui sont à l’intérieur. On ne voit pas plus les niveaux supérieurs.

De nombreux paradoxes logiques des nombres et de la géométrie proviennent de la nécessité de raisonner sur :

 l’existence de niveaux hiérarchiques emboités

 le pouvoir de résolution

 l’agraindissement (choix de niveau du grain, à ne pas confondre avec l’agrandissement)

 l’échelle

Il en résulte que les "objets" dits élémentaires de la géométrie et de l’algèbre ont une complexité et une richesse aussi grande que bien d’autres formes mathématiques.

L’importance physique de ces remarques provient du fait que le point est l’idéalisation de la particule et la droite parcourue continument celle du mouvement d’inertie.

Extrait de "La Matière-espace-temps" de Gilles Cohen-Tannoudji :

"Le portrait d’un système quantique ne peut être localisé sur une trajectoire dans l’espace de phase. Si l’on voulait décrire l’évolution d’un système quantique dans l’espace de phase, il faudrait faire appel au concept de nuage de points."

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"La quantité posée avec une déterminabilité essentielle qui exclut toutes les autres, c’est le quantum, ou quantité limitée. (...) Le nombre est une pensée, mais il est la pensée en tant qu’être qui est extérieur à lui-même. Comme pensée, il n’entre pas dans l’ordre des choses qui tombent sous l’intuition."

Friedrich Hegel
dans "Petite logique"

Courbes, fonctions, graphiques, équations, les mathématiques ont choisi d’étudier la notion de continuité non du fait de sa justesse descriptive du réel, ni pour sa supériorité philosophique, mais pour l’efficacité de l’étude des fonctions continues pour décrire le mouvement mécanique. Les travaux de Newton et Leibniz donnent du crédit à la notion de continuité du mouvement. Leur travail repose sur les quantités infiniment petites qui sont des bâtisseurs de toutes les quantités. Ils touchent du doigt l’importance des petites quantités mais partent sur une piste opposée à celle de la singularité : la construction d’une quantité par addition régulière et linéaire de petites quantités. Comme pour la quadrature du cercle, ils souhaitent construire le continu à partir du trait coupé, contenant un peu de discontinuité, à la limite, en passant à l’infini. C’est le calcul infinitésimal et intégral. Le succès de leur démarche est fantastique et donne naissance aux lois mathématiques de la nature. Sur le plan théorique, il va poser des problèmes insolubles, celui de la continuité des nombres et des points de la droite. Si les mathématiciens Karl Gauss et Augustin Cauchy croiront avoir clairement défini la continuité pour lui donner un fondement théorique solide, nous verrons que leurs successeurs (Bolzano, Weierstrass, Dedekind et surtout Cantor) se heurteront à de multiples contradictions. Par exemple, l’ensemble de Cantor, formé de nombres discrets va s’avérer contenir autant de nombre que l’intervalle continu entre 0 et 1, alors que cet ensemble n’est continu dans aucune de ses parties. La discontinuité peut donc donner l’illusion du continu.

En physique, l’utilisation d’une mathématique du continu a d’abord été incontestée. « Je considère ici les quantités mathématiques (...) comme décrites par un mouvement continu. Les lignes sont décrites par le mouvement continu des points ; les surfaces par le mouvement des lignes ; les solides par le mouvement des surfaces ; les angles par la rotation des côtés ; les temps par un flux continu. » écrivait par exemple le physicien Isaac Newton dans « Méthode des fluxions et des suites infinies ». Descartes n’épousait pas moins cet objectif du continu, ramenant la courbe à une droite (sans discontinuité) courbée : « Que tous les points (des courbes) qu’on peut nommer géométriquement (...) ont nécessairement quelque rapport à tous les points d’une ligne droite (...) » écrivait-il dans « Géométrie ».

Cet objectif de la transformation continue encore appelée mathématiquement la « fonction réelle de variables réelles », qui allait être celui de toutes les sciences, avait cependant une autre source que l’expérience et les mathématiques : un choix idéologique. En effet, à l’époque, acceptation de la discontinuité était synonyme de reconnaissance de la création divine. Ainsi, Gottfried Leibniz, dont la mathématique différentielle (l’introduction des infiniment petits dans les calculs) complétait le travail tendant à rendre continues les mathématiques, affirmait dans « La Monadologie » que « Chaque portion de la matière n’est pas seulement divisible à l’infini (...) mais encore sous-divisée actuellement sans fin, chaque partie en parties (...) ». En somme, la discontinuité serait partout mais la continuité serait obtenue à la limite. Il remarquait cependant des singularités au niveau mathématique et surtout physique comme ici dans « Discours de la Métaphysique » : « Il apparaît de plus en plus clairement que tous les phénomènes particuliers de la nature peuvent être expliqués mathématiquement ou mécaniquement par ceux qui les comprennent. Cependant les principes généraux de la nature corporelle ou même de la mécanique (...) appartiennent à certaines formes ou natures indivisibles qui sont les causes des apparences plutôt qu’aux masses corporelles ou à l’extension. » Sa conclusion ne prêtait pas à confusion sur l’importance idéologique du discontinu : « De cette façon, nous sommes en mesure de réconcilier la philosophie mécanique des modernes avec la conception de ces personnes qui (...) craignent que nous soyons en train de nous éloigner de l’être immatériel au préjudice de la piété ». Faut-il pour autant rejeter les remarques pertinentes de Leibniz sur la discontinuité et sur la non-linéarité comme celle-ci : « Il est clair (...) qu’une délimitation n’est pas homogène avec ce qu’elle délimite. » (dans « La fondation métaphysique des sciences »)

En physique, faut-il considérer comme valable les notions de point, de droite ou de segment, considérées comme indépendantes les unes des autres ? Pour y répondre il faudrait, par une méthode physique, être capable de dire qu’il n’a pas bougé, c’est-à-dire le connaître complètement. Une telle connaissance n’est pas physique. Connaître un point, ce serait émettre une énergie infinie pour connaître une position avec une précision infinie. Connaître exactement un segment nécessiterait de déterminer avec une précision infinie ses extrémités. Cela pose le même problème. Pour la géométrie d’Euclide, un segment n’est égal qu’à lui-même. En physique, la mesure n’a rien d’un calcul exact. En temps limité, l’interaction est la seule information possible entre matières via les photons. En procédant ainsi on ne peut rien connaître avec une précision infinie. L’apparence réelle de segment n’est qu’une série de points discrets régulièrement alignés. Il n’y a aucune continuité d’un point à un autre. Il y a une infinité de points mais il y a toujours des trous entre eux. Et dans ces trous, si on observe de plus près, on trouve encore des points. Donc pas plus de continuité des trous que de continuité des points.

Le segment n’a pas plus d’existence, réelle ou mathématique, que le point isolé, indépendant du reste du monde, indépendant de l’espace, indépendant des autres points. Les mathématiciens le savent et se sont gardés de définir ces notions, eux qui sont si favorables à tout définir et à tout rationaliser formellement. Ils ont décrété que le point, la droite et le segment devaient rester des « évidences sensibles ». Pourtant, nos sens ne sont pas capables de percevoir de telles « objets ». Il s’agit d’illusions des sens. L’observation nous dit tout autre chose. Un point fixe existe-t-il au sens physique dans la nature ? Aucun « objet » fixe ne peut être observé dans la nature comme aucun « objet » isolé du reste de l’univers. Ensuite, le mode de fonctionnement de la nature comme son mode d’observation n’obéissent pas aux mêmes règles que des concepts figés du type point fixe ou segment fixe. La nature ne progresse pas lentement, progressivement, linéairement et directement vers la valeur exacte. Elle explore les possibilités par bonds, par touches successives, discontinues avec de multiples marches aléatoires intercalées au sein de mouvements déterminés. C’est un mécanisme discontinu de sauts en zigzag appelé « intermittence ». Dans l’observation réelle, la réalité observée change sans cesse : le point devient segment et le segment devient un point, de manière dialectique, en fonction de l’échelle concernée. Il existe des dynamiques géologiques pour lesquelles ce qui se déroule en dix mille ans est ponctuel. Dans l’interaction, il y a sans cesse relation entre le lent et le rapide, entre l’instantané (relativement) et le durable. Hegel avait déjà remarqué la relation dialectique entre immédiateté (l’instant ponctuel) et médiation (nécessairement une certaine durée). Ponctuel ou d’une certaine durée, la réponse ne peut être absolue parce que cela dépend de l’échelle. La réalité nous présente des univers emboîtés, à des échelles différentes, et des univers non linéaires. Le point ou le segment peuvent décrire une réalité mais pas comme des absolus ni comme des éléments fixes, figés.

Dans la construction des nombres, on est parti du discontinu pour tenter de parvenir au continu. Les nombres entiers sont l’univers du ponctuel, du discret, de la régularité mais aussi de la discontinuité. L’ordre est précis et correspond au dénombrement des ensembles d’objets du même type. Les nombres entiers ont un rôle très important en physique quantique, avec notamment les nombres quantiques. Mais les nombres entiers ne peuvent correspondre à une réalité changeante et encore moins à une physique dans laquelle on ne peut pas préciser exactement la position et la vitesse. D’ailleurs, qu’il soit entier ou pas, un seul nombre fixé par une précision absolue ne peut décrire une telle réalité.
La discontinuité a continué à caractériser les nombres, avec la formation des nombres décimaux. Même s’il y a bien plus de décimaux que d’entiers, il reste encore plus de trous entre les décimaux. Les mathématiciens ont repris leur travail de construction pour combler ces trous. Des nouvelles séries de nombres ont été inventées. Personne ne peut prétendre aujourd’hui que la question de la continuité des nombres ait été résolue. Bien entendu, on peut donner de multiples définitions de la continuité mais il est clair que la notion de succession de points qui ne seraient séparés par aucun vide n’est pas prête d’être réglée. Définir de manière complexe la continuité est possible mais cela ne règle pas ce problème fondamental.
S’il existait un tel type de continuité, on pourrait dire qu’en mathématiques l’infiniment petit a véritablement un sens. Bien entendu, cela ne règlerait pas la question : la continuité a-t-elle un sens en physique, en chimie, en biologie, en neurologie, en termes de conscience, d’acquisition des connaissances, de croissance, ou d’évolution des espèces ou des sociétés ? Eh bien, même mathématiquement, la continuité reste à inventer….
On peut penser que les nombres réels suffisent très largement à imager une presque continuité. Pour le calcul, cela suffit certainement. Pour la philosophie de la nature fondamentale du monde, certainement pas. Supprimer les vides entre les nombres, comme en géométrie supprimer les vides entre les points de la droite ou de la courbe, c’est concevoir un monde sans contradiction. Un monde sans vide entre les particules. Un monde dans lequel les interactions sont directes et instantanées. Un monde où il peut exister un objet tel une particule se déplaçant sans interaction dans le vide. Un monde où une particule peut se déplacer brutalement de façon instantanée. Un monde où existe un temps ponctuel, une position ponctuelle, entièrement définie, sans épaisseur, sans mesure de son occupation du temps et de l’espace. Telle n’est pas la réalité qui apparaît en physique quantique, ni en général en physique. Aucune interaction (nous ne connaissons le monde que grâce aux interactions) ne définit un objet isolé. Aucune interaction n’a lieu instantanément. Aucune interaction ne permet une précision intégrale de position et de vitesse. L’existence du point isolé, l’existence du segment continu parcourable en passant un par un par tous les points, toutes ces notions ne sont pas acceptables comme image du monde. Qu’elles soient pratiques mathématiquement, qu’elles aient eu leur heure de gloire n’empêche pas de reconnaître qu’elles n’ont plus d’avenir.
Admettre une continuité à n’importe quel niveau du monde réel, c’est renoncer à la contradiction. La physique est contrainte dans toutes ses images de faire réapparaitre celle-ci, qu’on l’appelle matière/lumière, matière/vide, matière/antimatière, boson/fermion, ou particule/virtuel, etc….
La nature est dialectique. La continuité de la droite des nombres, comme la géométrie d’Euclide sont fondées sur une logique oui/non qui est métaphysique et donc incapable de représenter ce monde fondé sur des contradictions dialectiques et des changements dynamiques qui ne s’interrompent jamais.
Chacun est en droit de se dire que ce n’est pas la continuité qui a fait faillite et qu’il s’agit seulement d’une impossibilité d’imager de monde avec des concepts produits par le cerveau humain, en somme qu’il s’agit simplement d’une leçon d’humilité. Mais, en réalité, ce n’est pas une morale de modestie qui ressort des études. C’est bien une contradiction fondamentale entre continuité et discontinuité.

Cela est illustré en géométrie par la droite et le point et, en algèbre, par la droite des nombre dits réels.

En effet, on a d’abord considéré que la droite ou le segments étaient des ensembles de points. Cela supposait qu’il n’y avait pas deux concepts contradictoires dialectiquement entre la droite (ou le segment) et le point. La réflexion a prouvé que c’était faux. Par exemple, le point étant sans dimension (occupant un espace nul), une accumulation (même infinie) de points ne peut définir une dimension d’espace. Il faut donc considérer qu’il y a toujours des espaces entre les points. On ne peut donc réduire une droite à un ensemble de points mais il faut rajouter les espaces entre les points. mais cet espace entre les points, de quoi est-il fait ? On est obligé de répondre qu’il est de même nature : composé de points séparés par des espaces. Finalement on a donc des niveaux hiérarchiques emboités et interactifs. Un univers fractal puisque l’allure ne permet pas de dire à quel niveau on se situe.

Si l’on considère l’utilisation des mathématiques par la physique, on tombe sur la notion d’espace et de temps qui peuvent sembler ressembler au segment et sur les notions de position ou d’instant qui ressemblent au point de la géométrie. Pour la particule de la microphysique, comme l’électron, le neutron ou le proton, on parlera ainsi de "point matériel". Mais on constatera qu’entre les particules se situent des espaces vides qui sont eux-mêmes constitués de particules virtuelles. Cela signifie que le point devient un nuage de points. A leur échelle, la particule n’est plus un point matériel mais un nuage de points virtuels. En, ensuite, entre les particules virtuelles il y a encore des espaces qui sont des points de virtuel de virtuel, eux-mêmes séparés par des espaces .... etc ... Un monde hiérarchique fractal avec des rapports d’échelle de 137 ....

L’apparence de continuité, qu’il s’agisse des mathématiques ou des sciences, est donc le produit de discontinuités aux échelons hiérarchiques inférieurs.

D’autre part, la discontinuité peut elle-même devenir un piège si elle est conçue comme figée et non comme dynamique comme c’est le cas pour la notion de point figé et isolé. Il n’est pas plus facile de concevoir une dynamique du discret que de penser, comme on l’a souvent fait jusque là, une dynamique du continu.

La question de la discontinuité ne suffit donc pas à résoudre le problème. Il faut également une philosophie dialectique car il s’agit de penser le passage entre des niveaux hiérarchiques interactifs qui est un saut qualitatif.

La continuité, une propriété mathématique ?

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Messages

  • Boltzmann : "Ceux qui pensent éliminer l’atomistique au moyen des équations différentielles ne voient pas la forêt derrière les arbres"

  • Hegel dans "La Grande Logique" :

    "D’une part, la disparition apparaît comme inattendue quand on peut changer la quantité sans toucher à la qualité et à la mesure, - d’autre part, on croit la rendre intelligible par l’idée de gradualité. On se babat avec tant de facilité sur cette catégorie pour représenter ou pour expliquer la disparition d’une qualité ou de quelque chose, parce que de cette façon la disparition semble s’accomplir devant vos yeux ; en effet, la quantité étant déterminée comme limite extérieure, la transformation purement quantitative se comprend d’elle-même. Mais en fait on n’explique rien ; la transformation est essentiellement le passage d’une qualité en une autre. (...) Ce qui est faux, c’est le comportement ... de notre conscience ordinaire qui considère une quantité comme une limite indifférente seulement... La ruse du concept consiste à saisir un être déterminé par le côté où sa qualité ne semble pas entrer en jeu."

  • Le mathématicien et physicien Henri Poincaré dans "La science et l’hypothèse" :

    "Si l’on veut savoir ce que les mathématiciens entendent par un continu, ce n’est pas à la géométrie qu’il faut le demander. Le géomètre cherche toujours plus ou moins à se représenter les figures qu’il étudie, mais ses représentations ne sont pour lui que des instruments ; il fait de la géométrie avec de l’étendue comme il en fait avec de la craie ; aussi doit-on prendre garde d’attacher trop d’importance à des accidents qui n’en ont souvent pas plus que la blancheur de la craie.

    (...) Qu’est-ce au juste que ce continu sur lequel les mathématiciens raisonnent ? (...) Partons de l’échelle des nombres entiers ; entre deux échelons consécutifs, intercalons un ou plusieurs échelons intermédiaires, puis entre ces échelons nouveaux d’autres encore, et ainsi de suite indéfiniment. Nous aurons ainsi un nombre illimité de termes, ce seront les nombres qu’on appelle fractionnaires, rationnels ou commensurables. Mais ce n’est pas assez encore ; entre ces termes qui sont pourtant déjà en nombre infini, il faut encore en intercaler d’autres, que l’on appelle irrationnels ou incommensurables.

    Avant d’aller plus loin, faisons une première remarque. le continu ainsi conçu n’est plus qu’une collection d’individus rangés dans un certain ordre, en nombre infini, il est vrai, mais extérieurs les uns aux autres. Ce n’est pas là la conception ordinaire, où l’on suppose entre les éléments du continu une sorte de lien intime qui en fait un tout, où le point ne préexiste pas à la ligne, mais la ligne au point. (...) En résumé, l’esprit a la faculté de créer des symboles, et c’est ainsi qu’il a construit le continu mathématique, qui n’est qu’un système particulier de symboles. (...) Une fois en possession du concept de continu en mathématique, est-on à l’abri des contradictions analogues à celles qui lui ont donné naissance ? Non. (...) Considérons d’abord une impression purement visuelle, due à une image qui se forme sur le fond de la rétine. Une analyse sommaire nous montre cette image comme continue (...) Une analyse plus approfondie nous montrerait sans doute que cette continuité de l’espace visuel et ses deux dimensions ne sont qu’une illusion. (...) L’espace tactile est plus compliqué encore que l’espace visuel et s’éloigne davantage encore de l’espace géométrique. (...) Ainsi, l’espace représentatif, sous sa triple forme, visuelle, tactile et motrice, est essentiellement différent de l’espace géométrique. Il n’est ni homogène, ni isotrope ; on ne peut même pas dire qu’il ait trois dimensions. (...) Aucune de nos sensations, isolée, n’aurait pu nous conduire à l’idée d’espace, nous y sommes arrivés seulement en étudiant les lois suivant lesquelles les sensations se succèdent. (...) S’il s’agit par exemple de la vue et si un objet se déplace devant notre oeil, nous pouvons le "suivre de l’oeil" et maintenir son image en un même point de la rétine par des mouvements appropriés du globe oculaire. (...) Il résulte de là que la vue et le toucher ne nous auraient pu donner la notion d’espace (continu) sans le secours du "sens musculaire". (...) Et alors quand nous disons que l’espace a trois dimensions, nous voulons dire (...) qu’il s’agit d’un continu physique à trois dimensions. On pourrait être tenté de conclure que c’est l’expérience qui nous a appris combien l’espace a de dimensions. mais en réalité ici encore nos expériences ont porté non sur l’espace, mais sur notre corps et ses rapports avec les objets voisins."

  • « Tout ce qu’on peut en déduire, c’est que deux points seulement, ou trois, ou quatre, ou même un ensemble fini d’entre eux, ne sauraient produire de l’étendue. Nous-mêmes avouons tout cela et ajoutons que même un ensemble infini de points ne suffit toujours pas à produire un continuum, à produire par exemple une ligne, même très courte, si ces points n’ont pas l’arrangement voulu.
    Essayons en effet de nous faire une idée claire du concept compris dans les mots « étendue continue ou continuum ». Nous serons forcés de dire qu’un continu ne se trouve que là, et là seulement, où une collection d’objets simples (points du temps ou de l’espace, substances) est telle que pour chacun de ses objets pris à part, et pour toute distance arbitrairement petite, il existe toujours au moins un voisin appartenant à la collection. »

    Bernard Bolzano dans « Les paradoxes de l’infini »

    « La continuité qui nous est donnée directement par l’intuition (dans l’écoulement du temps et du mouvement) doit encore être saisie mathématiquement comme un ensemble de discrètes « étapes », conformément à cette partie de son contenu qui peut être conceptualisé de manière exacte. (...) Le temps exact (ponctuel) ou l’espace-point ne sont pas le nec plus ultra, qui sous-tendent les éléments atomiques de durée ou d’extension tels que nous la donne l’expérience. (…) Le continuum est divisé en éléments isolés, et l’écoulement des uns par rapport aux autres de chacune de ses pièces est remplacé par certaines relations conceptuelles entre ces éléments, sur la base d’une relation d’échelle entre grand et petit. C’est pourquoi je parle de
    conception atomistique du continuum. »

    Herman Weyl dans « Le continuum »

  • Le mathématicien Rozsa Péter, dans« Jeux avec l’infini, Voyage à travers les mathématiques »

    « - Avez-vous déjà vu un point ?

     Non, monsieur

     En avez-vous dessiné un ?

     A vrai dire, j’aurai bien voulu le faire mais je n’y suis pas parvenu.

    Les dépôts de crayon ou de craie que l’on appelle communément des « points » et qui, sous une loupe grossissante, apparaissent souvent comme des montagnes, n’ont bien entendu rien à voir avec de véritables points. Chacun a sa vision de ce qu’est un point, et, en le dessinant, chacun cherche à s’y conformer. Quant à l’idée que l’on peut se faire d’une droite, elle varie peut-être encore plus d’une personne à une autre. »

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