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Comment se construit un cerveau humain ?

jeudi 31 décembre 2009, par Robert Paris

La génétique joue son rôle mais elle n’offre aucun plan préétabli ; le cerveau est l’exemple typique d’auto-organisation fondant un organisme d’une grande complexité sur des bases principielles extrêmement simples : l’interaction entre corps et cerveau et les interactions entre cellules nerveuses, les neurones.

Le neurone (en anglais)

La cellule nerveuse

Le système neuronal fondé sur des interactions

Le cerveau, système nerveux central

Jean Claude Ameisen dans "La sculpture du vivant" :

"La mort cellulaire et la sculpture du cerveau

Le premier rôle reconnu à la mort cellulaire (suicide pré-programmé de chaque cellule vivante ou apoptose) fut celui d’un outil permettant à l’embryon d’élaborer sa forme en devenir, par un procédé d’élimination qui s’apparente à la sculpture. (…) La mort cellulaire construit les organes, creusant les conduits de notre tube digestif et ceux de notre cœur où circulera notre sang. La mort cellulaire permet le repliement des organes sur eux-mêmes, dans un espace soudain devenu disponible, et le déploiement des tissus qui enveloppent et protègent ces organes. Elle remodèle en permanence les os et les cartilages. Elle sculpte, à mesure qu’il grandit, la forme changeante de l’embryon. (…) La mort permet à des populations cellulaires différentes de venir se rejoindre et cohabiter dans un même organe. (…) Ces phénomènes d’élimination des formes transitoires de l’embryon se manifestent de manière particulièrement spectaculaire et brutales dans certaines espèces animales (disparition des muscles et des nerfs de la larve donnant naissance aux bourgeons qui formeront les ailes ou les pattes de certains insectes, disparition brutale des branchies et de la queue du têtard qui passe de larve à grenouille). (…) Il en est ainsi de certaines parties de notre cerveau (…) Certains tissus nerveux d’origine ancestrale vont disparaître au cours de notre développement, après avoir permis à notre cerveau de se construire. (…) Notre système nerveux est un immense réseau de cellules - les neurones - connectées les unes aux autres, formant les innombrables arborisations de nos nerfs, parcourant l’ensemble des territoires de nos corps, véhiculant en permanence des impulsions électriques émises, reçues, déchiffrées et recomposées par la centaine de milliards de neurones qui constitue notre cerveau et dont l’action coordonnée intègre la société hétérogène qui nous compose en un individu à part entière. C’est cette multitude d’interactions entre nos neurones qui nous permet de percevoir le monde qui nous entoure et de nous y projeter, reconstruisant continuellement en nous une représentation composite où se mêlent le passé, le présent et le futur, l’imagination et la mémoire, l’émotion et le raisonnement, la peur, le désir et l’abstraction, et où se succèdent la conscience, la pensée, le sommeil et les rêves.

Notre cerveau d’enfant, puis d’adulte, est composé d’environ cent milliards de neurones, chacun connecté directement ou indirectement à dix mille autres cellules, pour la plupart des neurones. La mise en place d’un tel réseau d’environ un million de milliards de connexions fonctionnelles n’est pas - et ne pourrait pas être - prédéterminée de manière précise, exhaustive et détaillée dans les informations contenues dans nos trente à quarante mille gènes. L’extraordinaire degré de complexité de notre cerveau émerge d’un phénomène d’auto-organisation qui met en jeu une part de hasard, crée la diversité, et couple la survie de chaque neurone à la nature des liens qu’il tisse avec les cellules qui l’entourent.

Dans le corps de l’embryon en train de se construire, le système nerveux naît tout d’abord comme une ébauche fragmentée, morcelée, éparpillée. Les cellules qui se différencient en neurones et se dédoublent sont regroupées en petits modules compacts qui occupent des régions distinctes. Puis, peu à peu, va se déployer l’enchevêtrement des interactions qui nous structurent.

A certaines étapes de notre développement, les neurones en train de peupler un territoire cessent soudain de se dédoubler, et commencent à émettre de longs prolongements, les axones. Ces axones se mettent à voyager, à se déplacer, oscillant comme des cannes d’aveugles. Ils sont guidés, au cours de leur périple, par des signaux qui les repoussent, leur interdisant l’accès à certains territoires, et par d’autres signaux qui les attirent, libérés par des cellules qu’ils rejoignent et auxquelles ils vont se connecter : des neurones, des cellules musculaires, des cellules de la peau... Puis les neurones qui viennent de former ces circuits rudimentaires envoient d’autres prolongements plus fins - les dendrites - vers des cellules voisines, ou sont rejoints par d’autres cellules qui ont voyagé dans leur direction, constituant ainsi, de proche en proche, des réseaux de communication de plus en plus riches, où circulent des signaux électriques et des signaux chimiques.

Dans l’ensemble des régions du cerveau et dans les nerfs en train de se construire, la moitié, en moyenne, des neurones qui sont partis à la recherche de partenaires va brusquement mourir durant la période d’un à sept jours où s’établissent leurs connexions (les synapses). Dans certaines régions, ce sont plus de 85% des neurones qui vont disparaître, dans d’autres régions de 10 à 20% seulement.

(…) Le nombre de neurones qui survivent dans un territoire donné dépend directement du nombre de partenaires cellulaires disponibles auxquels ils réussissent à se connecter.

Aucun neurone ne peut survivre seul. Le destin individuel de chaque neurone – sa survie ou sa mort – dépend en permanence de ses relations avec la collectivité. Il dépend de la capacité de son axone à percevoir, tout d’abord sur son trajet, "en passant", puis à l’arrivée, lorsqu’il établit un contact étroit avec un partenaire, des combinaisons particulières de signaux de survie - des neurotrophines - libérés par les territoires qu’il traverse puis par son partenaire. Et parce que ces signaux de survie sont produits en très faible quantité, seul un trajet particulier, à travers certaines régions, puis un contact étroit avec son partenaire permettent d’empêcher le suicide du neurone.

(...) Pour chaque neurone, appartenant à une sous-famille donnée, seul un contact avec certains partenaires lui permet de recevoir la combinaison particulière de signaux qui l’empêchera de mourir. Ainsi, la structure de la complexité de notre système nerveux, comme celle de notre système immunitaire, résulte d’une forme d’apprentissage du soi, fondée sur un dialogue obligatoire entre les cellules et sanctionnée par la mort. Et la mort cellulaire opère une sélection drastique. Disparaissent tous les neurones potentiellement "inutiles", ayant établi des contacts - des synapses - trop lâches avec leurs partenaires (...) Une fois que les connexions normales se sont formées, leur pérennité dépend de leur capacité à fonctionner : l’absence de circulation d’informations nerveuses à travers un réseau provoque, au bout de quelques jours, la mort des neurones qui le composent. La construction du cerveau ne se limite pas à la mise ne place progressive d’un immense réseau de communication entre les neurones. La survie et les activités de nos neurones, les cellules « nobles » de notre système nerveux, dépendent de la présence et de la proximité d’autres familles de cellules qui jouent un rôle essentiel. Dans notre cerveau, les astrocytes, cellules étoilées aux branches courtes, jouxtent et protègent les neurones, libérant des signaux permettant la croissance des vaisseaux qui apportent aux neurones l’oxygène. D’autres cellules, les oligodentrocytes, s’enroulant autour des axones – les longs prolongements des neurones où circulent les impulsions électriques -, fabriquent et libèrent la gaine protectrice et isolante (la myéline) qui évite la dispersion de ces impulsions.

Dans chacun des territoires où migrent les neurones pour établir leurs premiers dialogues, les rejoignent des oligodentrocytes et des astrocytes, voyageant vers ces circuits élémentaires en train de se construire. Dans chacun de ces territoires, le nombre d’oligodentrocytes qui arrive dépasse de loin le nombre de neurones survivants. Un seul oligodentrocyte qui aura pu établir un contact étroit avec un neurone va pouvoir, à son tour, survivre. (…) Ainsi se construit, de proche en proche, l’architecture de notre cerveau, articulée sur les réseaux hétérogènes de cellules qui ont réussi à faire la preuve de leur capacité à fonctionner."

Le fonctionnement du cerveau

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