Le patron de la police algérienne a été assassiné, à Alger, par l’un de ses collaborateurs qui a ensuite retourné son arme contre lui. Un crime survenu jeudi lors d’une réunion au siège de la Direction générale de la sûreté nationale. D’après la presse algérienne, le meurtrier d’Ali Tounsi, en poste depuis seize ans, répondrait au nom de Chouib Woustache, une information cependant toujours non confirmée, vendredi, par les autorités.
Selon le ministère algérien de l’Intérieur, la mort d’Ali Tounsi se serait produite lors d’une séance de travail durant laquelle le chef de la division héliportée de la police algérienne, apparemment pris d’une crise de démence, aurait ouvert le feu sur le chef de la police avec son arme de service.
Son forfait commis, l’assassin présumé aurait aussitôt retourné l’arme contre lui en « se blessant gravement », avant d’être hospitalisé en toute hâte. Une enquête judiciaire a immédiatement été ouverte afin de tenter de « déterminer les circonstances de ce douloureux événement », font valoir plusieurs sources policières médusées par les circonstances du drame bien que prudentes quant à la version distillée du siège de la sûreté nationale aux couloirs des ministères régaliens. [Décathlon Nabaiji IBA [campagne] ]
Selon le quotidien francophone El Watan, l’officier, bien qu’aguerri, pris d’une incontrôlable colère, aurait également tiré sur tous ses collègues présents lors de cette séance de travail. D’après le quotidien arabophone El Khabar, le présumé forcené, cadre respecté de la police, aurait fait feu sur Ali Tounsi à l’issue d’un vif échange où il aurait été question de sa possible éviction. « Des transactions douteuses »…
La presse locale s’est en outre fait l’écho de ce qu’une enquête aurait été récemment ordonnée par le patron de la police sur de supposés contrats passés avec des fournisseurs de pièces de rechange d’hélicoptères et de matériel informatique.
De troubles contrats censés révéler l’implication du meurtrier dans « des transactions douteuses »… Là encore, cette version des faits, telle que distillée par les médias algériens, n’a pas trouvé, pour l’instant, le moindre début de confirmation.
Quel que soit le mobile de ce meurtre, le gouvernement se contente pour l’heure du service minimum en célébrant la mémoire du disparu. C’est le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, qui s’y est collé malgré les dissensions parfois observées entre celui-ci et son ancien chef de la police.
Le premier flic d’Alger a tenu à souligner « le patriotisme de feu colonel Ali Tounsi, compagnon d’armes et cadre valeureux ». L’infortuné Ali Tounsi, ancien patron de la gendarmerie, avait été nommé à la tête de la police en 1994, trois ans après la suspension du processus électoral alors que le Front islamique du salut s’apprêtait à prendre le pouvoir par les urnes. Un moment où les violences entre groupes armés islamistes – dont certains très nébuleux, à l’origine toujours incertaine – et forces de l’ordre avaient atteint leur paroxysme.
Sous ses ordres, la sûreté nationale était parvenue, fin 2009, à déployer, à Alger, près de 40.000 policiers – contre 23.000 en 2008. Le défunt chef de la police avait prévu de porter les effectifs de ses forces à 200.000 hommes, fin 2010, contre 140.000 trois ans plus tôt.
Algérie vent de colère Salaires, retraites, logement : les problèmes ne diffèrent guère, des deux côtés de la Méditerranée. Mais ici, on découvre un pays en ébullition, avec des grèves à répétition, des émeutes sociales, de nouvelles organisations syndicales combatives, et une jeunesse à l’avenir barré par les politiques libérales menées sous la férule du FMI.
Envoyé spécial.
Après dix jours de grève, du 4 au 14 janvier, les 6 500 salariés de la SNVI (entreprise de fabrication de camions et d’autobus), située dans la zone industrielle de Rouïba, à 20 kilomètres d’Alger, ont repris le travail. Les pouvoirs publics ont accepté de geler le projet de loi sur le départ à la retraite et d’ouvrir des négociations sur les salaires. Pourtant, certains employés de l’entreprise ne décolèrent pas. « Les gars (les syndicalistes) ont cédé trop vite. On va encore se faire flouer », dit Slimane. Jeudi 14 janvier, c’est dans une ambiance tendue que les salariés ont voté la reprise du travail. M. Messaoudi, secrétaire de l’union locale UGTA de la zone industrielle de Rouïba, se dit « optimiste », parce que « derrière tout arrêt de travail suivi massivement, il y a toujours des concessions. On va arracher ce qu’on doit arracher lors des négociations », explique-t-il. Non sans avertir que si l’État ne tient pas parole, la grève reprendra.
La montée en puissance des syndicats autonomes
En fait, le recul gouvernemental obéissait à des calculs plus terre à terre. Le premier concerne le sort de l’UGTA. Depuis que la centrale syndicale a signé un pacte social en 2002 (reconduit chaque année) avec le patronat et l’État (propriétaire encore de plusieurs entreprises), privilégiant le « dialogue social » pour prévenir les conflits, l’UGTA a perdu du terrain. Elle doit compter avec la montée en puissance des syndicats autonomes. D’autre part, craignant que la zone industrielle ne soit, comme en octobre 1988, le point de départ d’un mouvement social – qui avait balayé alors le régime à parti unique –, les pouvoirs publics ont peut-être choisi de calmer le front social le plus chaud. Pourtant, vingt-deux ans après, la situation a bien changé. Le terrorisme islamiste, qui a touché de nombreux syndicalistes, a modifié la donne et les comportements, facilitant les réformes imposées par le FMI (1995-1998). À l’échelle nationale, 1 100 entreprises publiques ont été dissoutes et plus de 400 000 salariés ont été licenciés. Au niveau de la zone industrielle, où sont implantées 160 entreprises, les effectifs sont passés de 70 000 salariés à moins de 30 000 aujourd’hui. La SNVI, qui fabriquait plus de 40 000 camions, bus et minibus, en produit moins de 5 000 dorénavant. De 18 000, ses effectifs sont passés à 6 500, dont un tiers en CDD. « C’était en pleine période terroriste et de massacres de civils, se souvient Salim. Faire grève à l’époque, c’était faire le jeu du terrorisme islamiste, nous disait-on. » Reste que l’alibi terroriste a fonctionné. Pire, libéralisation oblige, les entreprises publiques algériennes devaient se mettre à niveau, savoir faire des économies, effacer leurs dettes afin d’assainir leur situation financière en vue – c’était le non-dit de ces réformes libérales – d’être privatisées !
Les dettes ? Un terme qui fait bondir un ancien cadre de l’entreprise. « Elles ne sont pas dues aux mauvaises performances de la SNVI, confie-t-il. Dans les années 1970, sous le régime socialiste, et même dans les années 1980, l’entreprise ne se bornait pas à payer uniquement les salaires. Elle remplissait d’autres fonctions sociales : la construction de logements pour ses salariés, leurs loisirs, leurs vacances, et même des complexes sportifs, comme dans l’ex-RDA. Tout cela n’existe plus aujourd’hui », regrette-t-il. La stratégie de développement lancée à coups d’investissements colossaux dans les années 1960 et 1970, fondée sur des pôles industriels à Alger, Arzew (Oran), Constantine et Annaba, qui avait modifié le paysage algérien, fait reculer l’exode rural et réduit sensiblement le chômage, semble appartenir à une autre époque.
Signe des temps, aujourd’hui, tout autour de cette zone industrielle, les villes de Rouïba, de Réghaïa, Zemmouri, dans le département de Boumerdes, autrefois prospères, s’appauvrissent et implosent sous le poids du nombre. Sous l’effet conjugué des réformes libérales, de l’exode massif provoqué par le terrorisme islamiste, du séisme de mai 2003 (plus de 3 000 morts et plus de 100 000 logements et habitations détruits ou endommagés), les bidonvilles et l’habitat précaire, sur fond de développement d’un urbanisme anarchique, prolifèrent. Dans la banlieue de Réghaïa, on a recensé 3 115 baraques abritant plusieurs dizaines de milliers de personnes. Cette urbanisation du pauvre menace le marais côtier de Réghaïa, avec son lac en bordure de la Méditerranée, pourtant site protégé, ainsi que les terres agricoles.
Stagnation des salaires, hausse du chômage
Aujourd’hui, en dépit de la reprise du travail dans la zone industrielle de Rouïba, mais aussi à ArcelorMittal (voir article), le pouvoir algérien n’est pas au bout de ses peines. La qualification de l’équipe algérienne de football en Coupe du monde et ses victoires lors de la CAN (Coupe d’Afrique des nations) ne se sont pas traduites par ce répit social tant escompté par les autorités algériennes. « Le foot n’a pas rempli tout à fait sa fonction d’opium du peuple », dit-on à Alger. Preuve en est, au lendemain d’une folle nuit – des dizaines de milliers d’Algérois ont dansé et chanté pour fêter la victoire de leur équipe contre celle de Côte d’Ivoire –, les syndicats de taxis se sont mis en grève pour deux jours, créant une anarchie pas possible dans une ville où les transports en commun laissent à désirer. Ils protestaient contre la décision du gouvernement d’octroyer de nouvelles licences de taxis qui risquent, selon eux, de réduire leur activité, et contre une imposition jugée pénalisante dont ils demandent la révision à la baisse. « Ils ont raison », dit ce retraité qui, avec une pension de 18 000 dinars (180 euros) a beaucoup de mal à joindre les deux bouts. Alors que par ailleurs, la grève des praticiens de la santé et des paramédicaux, qui dure depuis plus d’un mois, se poursuit.
Dans l’Algérie de 2010, la paupérisation et le dénuement social sont visibles à l’œil nu. Le marché informel se développe, ainsi que les zones de non-droit, la prostitution et la drogue. Les affaires éclaboussant des ministres et des hauts responsables d’entreprise (Sonatrach, onzième compagnie de pétrole au monde), s’étalant à la une de la presse algérienne, sont dans toutes les bouches. Et ce, dans un contexte de flambée des prix des denrées de base sans précédent : plus de 17 % pour les fruits et légumes et plus de 9 % pour les autres produits alimentaires. Alors que les salaires stagnent et que le chômage reste à un niveau élevé, surtout parmi les jeunes diplômés, victimes d’un ascenseur social en panne. Nasser a trente ans. Et toujours pas de travail. Sa licence de sciences économiques « ne lui sert à rien », dit-il. Il enchaîne des stages de formation spécialisée dans la gestion dispensés par des organismes privés, nés dans la foulée de la libéralisation économique. Comme beaucoup de jeunes, il songe à partir. « Parfois, j’ai envie de devenir un haraga (ceux qui brûlent), mais je n’en ai pas le courage. » Les garde-côtes algériens ont maintes fois secouru en pleine mer des haragas embarqués sur des Zodiac, voire de simples barques, pour rejoindre les côtes espagnoles ou italiennes munis de pauvres gilets de sauvetage et de téléphones portables. Parfois, la mer rejette des cadavres. L’un d’eux a ému l’Algérie entière : dans son téléphone, il y avait un message à sa copine italienne, dont la photo se trouvait parmi ses papiers protégés par du plastique. Et quand ces haragas réussissent à passer, il arrive que l’événement soit fêté dans leur quartier.
Omar, vingt-huit ans, en est un. Il a été repêché au large d’Oran par des garde-côtes algériens. Présenté devant un tribunal, il a écopé de trois mois de prison avec sursis. « Hamdoulilah (Dieu merci), je suis vivant. J’ai vu la mort de près », explique-t-il. Pour payer le passeur (1 000 euros), il a emprunté, vendu des vidéos au marché noir, du petit matériel électroménager de contrebande. Aujourd’hui, il dispose d’une allocation mensuelle de 15 000 dinars pour une durée d’un an, dans le cadre du dispositif préemploi mis en place par les autorités pour endiguer le chômage des jeunes. « C’est mieux que rien », commente-t-il. Mais tous les jeunes n’en bénéficient pas. Ce qui donne lieu parfois à de violentes manifestations, comme ce fut le cas en janvier à Naciria en Kabylie.
Ces émeutes sociales qui secouent le pays, l’emploi, l’état des routes, le logement, en résumé l’absence de perspective, sur fond de corruption et d’inertie des élus locaux, sont autant de motifs poussant des Algériens à bloquer des routes, faire le siège de mairies, afin de se faire entendre. Et parfois ça paie, comme ce fut le cas en octobre 2009 à la cité de Diar Echems à Alger (1 500 familles entassées dans des deux-pièces), où l’État s’est engagé à reloger les habitants après deux jours de violences.
« Un pays riche et une population pauvre », comme l’a titré El Khabar ? Sans doute. La question est dans tous les esprits. « 140 milliards de dollars de réserve de change, c’est pas rien ! » lance Farid. « Mais on n’en voit pas la couleur », poursuit-il. Le gouvernement algérien paraît dépassé. Il pare au plus pressé. Mais, faute d’une réelle politique de développement fondée sur l’investissement productif privé et public, l’Algérie (dixit le FMI) enregistre le taux le plus bas de création d’entreprises au niveau maghrébin : 30 entreprises créées pour 100 000 habitants, contre plus de 300 au Maroc ! C’est peu pour faire face à l’arrivée de près de 300 000 jeunes par an sur le marché du travail.
Hassane Zerrouky
Et aussi des émeutes...
Des échauffourées ont éclaté dans l’après-midi d’hier à la cité Diar Echems. C’est une vague de colère passagère qui a été vite maîtrisée par les sages du quartier qui ont appelé les jeunes manifestants au calme.
A notre arrivée sur les lieux, soit une heure après l’éclatement de l’émeute, il ne restait que les traces des actes de vandalisme commis par les émeutiers.
Les abribus ont été saccagés et la route était inondée de tessons de bouteilles de verre et de pierres. Le « soulèvement » aurait été provoqué par le retard pris dans le relogement des habitants de cette cité. Selon nos dernières informations, le relogement des 500 habitants de Diar Echems devrait se faire le 18 mars.
Une promesse que les jeunes de ce quartier ne veulent pas croire vu que les autorités de la wilaya avaient avancé plusieurs reports. L’attente pèse sur les habitants de cette cité qui vivent très mal leur condition de paria, eu égard à l’exiguïté des studios qui leur servent de demeures familiales.
L’attente des habitants dure depuis septembre 2009 où, après plusieurs journées d’émeute, les autorités avaient promis de prendre en charge leurs doléances, à commencer par le relogement dans des habitations décentes. Hier, dans cette cité, nous avons aperçu un groupe compact de jeunes manifestants qui chantait à tue-tête leur horrible situation sociale.
La cité populaire de Oued El Had, dans la banlieue nord de la ville de Constantine, a connu une vive tension dans la nuit de mercredi à jeudi.
Une centaine de jeunes manifestants ont bloqué le boulevard de l’ALN, en contrebas de la mosquée Omar Ibn Abdelaziz, entre 20h et 23h, à l’aide de blocs de pierre et des pneus enflammés. Ce vent de colère a pour origine le décès du jeune B. Boukeur, dit Bachagha, 22 ans, écrasé par une voiture, mardi soir, lors d’une rixe l’ayant opposé à des jeunes de la cité des Lauriers roses, dans le secteur de Sidi Mabrouk. Le conducteur de la voiture serait en fuite. Selon nos sources, les faits remontent à la soirée de mardi, lorsque la victime a été écrasée par une voiture conduite par B. Karim, 26 ans, actuellement en fuite. Mercredi soir, les jeunes en colère ont tenté d’incendier la villa habitée par la famille du présumé meurtrier. Ils ont été arrêtés in extremis par les agents des services d’ordre. Selon des témoins oculaires, plusieurs arrestations ont été opérées parmi les jeunes manifestants.
Week-end violent au quartier Oued El-Had à Constantine. Une dizaine de personnes interpellées
liberte-algerie.com
Samedi 20 Février 2010
C’est à la suite d’un accident de la circulation qui a coûté la vie à un jeune habitant le quartier populaire Oued El-Had que de violents heurts ont éclaté.
De violentes émeutes, le week-end dernier, ont secoué une partie de la ville de Constantine. Des jeunes et moins jeunes, issus du quartier populaire de Oued El-Had ont tenté de marcher sur le quartier, plus ou moins huppé, de Sidi Mabrouk pour venger B. B., mort la veille, écrasé par une voiture dans des circonstances non encore élucidées. Selon la version de jeunes émeutiers, tout a commencé mardi dernier quand le jeune B. B., âgé de 22 ans et habitant la cité des Frères-Abbès, connu sous l’appellation de Oued El-Had, fut écrasé par un autre jeune, B. K., 26 ans et habitant la cité des Lauriers roses, un pâté de maison situé au quartier de Sidi Mabrouk.
Mercredi, vers 15h, une foule compacte a commencé à se former aux alentours de la mosquée Abdelaziz à quelques encablures de la maison de la victime. Juste après la prière d’El Icha, le sit-in improvisé s’est vite transformé en une marche qui s’est ébranlée en direction du quartier des Lauriers roses où réside la famille de B. K. Avant cela, le feu est mis dans des pneus usés à même la chaussée fermant à la circulation ce tronçon du boulevard de l’Est. Entre deux lancées de pierres, les marcheurs criaient vengeance. L’arrivée des forces d’intervention transforma les deux quartiers limitrophes d’Oued el-Had et de Sidi Mabrouk supérieur, séparés juste par une artère, en un véritable champ de bataille. D’un côté des émeutiers en furie munis de pierres et scandant des slogans contre la hogra et la marginalisation et, de l’autre, des policiers usant de bombes lacrymogènes et déterminés à stopper la marrée humaine afin d’éviter le pire. Les affrontements dureront une partie de la nuit de mercredi à jeudi à l’issue desquels une dizaine de personnes furent interpellées. Le lendemain, les premières personnes dehors ne peuvent que constater l’ampleur des dégâts avant que les agents de la voirie ne se mettent à effacer les traces de l’expédition punitive avortée. L’après-midi, après la prière du dohr, l’enterrement de la victime s’est déroulée dans le calme mais la forte présence policière sur les lieux n’a pas empêché l’éclatement, à la tombée de la nuit, de quelques échauffourées avant qu’une averse ne vienne disperser la foule et apaiser les esprits. À rappeler que faute d’une communication officielle des services qui mènent l’enquête préliminaire, plusieurs thèses sont avancées quant aux raisons de l’accident qui a coûté la vie à B. B. et failli faire d’autres victimes au sein de la famille du chauffeur B. K.
L’autre point à relever est que la police de proximité ne semble pas encore rodée car les services de police censés faire dans la prévention n’ont rien vu venir alors que la colère couvait, déjà, 12h avant le début des émeutes.