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Quelle stratégie pour la lutte des sans-papiers ?

vendredi 2 avril 2010, par Alex, Waraa

LA VOIX DES TRAVAILLEURS

« Travailleurs de tous les pays unissez-vous »

Karl Marx

Quelle stratégie pour le mouvement des sans-papiers ?

Les sans-papiers doivent diriger eux-même leur lutte !

Des milliers de travailleurs sans-papiers sont entrés dans la lutte depuis des mois.

Certains ont été régularisés, des centaines sont encore en grève, mais se posent des questions sur la stratégie.

Comment se fait-il qu’aussi nombreux les travailleurs sans papiers n’emportent une nette victoire ?

Les organisations syndicales, les associations, les « soutiens » imposent leur direction à ce mouvement, répétant à l’envi aux sans-papiers que sans eux ils ne sont rien.

Ces organisations syndicales, ces associations, ces « soutiens » sont avant tout des partenaires de l’État et sont là pour contrôler le mouvement, l’empêcher de devenir un puissant mouvement de masse uni, victorieux. Or les travailleurs sans-papiers auraient aujourd’hui la force de créer un tel mouvement de masse ! A Viry-Chatillon en 2008 une grève de sans-papiers intérimaires a été organisée différemment : sous la forme d’un comité de grève. La victoire à été quasiment-totale.

Avec ou sans papiers unissons nous, retroussons nos manches et prenons en main nos luttes avec des comités de grève dirigés par les travailleurs eux-mêmes, seule condition qui nous mènera a la victoire.

Extrait de la brochure La grève des sans-papiers de Viry Chatillon, par Wara

Introduction

Une des particularités de la lutte des intérimaires sans-papiers de Viry-Châtillon est qu’elle a été dirigée par un comité de grève des travailleurs en lutte. Le protocole de fin de conflit a été signé le 5 janvier 2009 entre ce comité de grève et la direction de l’entreprise. Nous avons été capables de diriger notre lutte, de la gagner (30 régularisés sur 31), par nous-mêmes.

Je crois que c’est parce que nous n’avons pas attendu des sauveurs (syndicats, associations, partis politiques), que nous nous sommes même opposés à eux lorsqu’ils ont voulu nous déposséder de la direction de notre lutte, la freiner, au nom de notre intérêt, que nous avons gagné. J’espère que l’histoire de cette lutte dans l’Essonne sera instructive pour les travailleurs, afin qu’ils dirigent eux-mêmes leurs luttes à venir. C’est une des conditions nécessaires à leur victoire.

La lutte des sans-papiers et la politique de la CGT

Ce qui a caractérisé la lutte des sans-papiers depuis le jour où ils ont décidé de cesser de se cacher et ont commencé, avec les "Saint-Bernard" en 1996, à se manifester au grand jour, c’est d’affirmer une exigence claire : des papiers pour tous ! Par la suite, dans toutes les manifestations, les sans-papiers et ceux qui luttent avec eux ont affirmé haut et clair : "Le cas par cas, on n’en veut pas !"

Ce qui a étonné les sans papiers engagés dans les récentes grèves pour des papiers, c’est que cette affirmation était battue en brèche, non par le pouvoir, mais par des organisations - syndicats, associations et partis politiques - qui étaient censés militer à nos côtés.

Si nous les sans-papiers de Viry-Châtillon, avons été amenés à nous organiser indépendamment, en comité, c’est que les organisations qui menaient cette lutte ont refusé de nous soutenir et, pire, ont considéré que nos dossiers n’étaient même pas déposables !

La CGT, en particulier, du moins celle qui participait à cette lutte - puisque l’essentiel de la CGT n’y participait même pas - la CGT a eu une espèce de monopole des relations avec le pouvoir pour déposer des dossiers, monopole au nom duquel la CGT avait accepté des critères pour prendre les dossiers, critères plus restrictifs que les critères légaux.

Cela signifiait que des travailleurs isolés, seuls en grève, ou dans de petites entreprises, n’ayant travaillé qu’en intérim ou ne satisfaisant pas pour une raison ou une autre aux critères établis par la CGT, se voyaient refuser leur dossier, non par la préfecture mais, par avance, par la CGT ou par des militants qui agissaient à ses côtés !

La meilleure preuve du fait que la CGT était en dessous de la loi, c’est qu’elle a refusé les grévistes de Viry-Chatillon, alors qu’ils ont obtenu satisfaction par la lutte et sans passer par la CGT.

Bien des sans papiers sont reconnaissants à la CGT d’avoir pris la tête de leur lutte mais ils ne savent pas que la véritable force, celle que craignait le pouvoir, ce n’était pas la force de la CGT mais la force des sans-papiers en lutte. Ce que craint particulièrement le pouvoir, c’est que les salariés s’organisent indépendamment. C’est cela qui a donné un créneau à la CGT pour prendre la tête de la lutte sans du tout se mettre à dos patrons et gouvernement, au contraire.

Mais, ce faisant, la CGT n’agissait pas véritablement dans l’intérêt des travailleurs puisque cela les empêchait de prendre conscience de leur force et de s’organiser.

Pourquoi nous avons formé un comité de grève

Nous avons donc été amenés à fonder un comité de grève parce que nous nous dirigions déjà nous-mêmes, et cela parce que ceux dont nous attendions une aide d’organisation nous avaient dit d’arrêter notre lutte, que ce soit des syndicats, des associations, des élus, et des militants politiques, y compris ceux de gauche ou de la gauche de la gauche. Tous voulaient nous convaincre que nous ne correspondions pas aux critères, que nous devions cesser la grève, cesser de populariser notre lutte, cesser d’interpeller tout le monde, etc.

Du coup, nous étions bien obligés de nous organiser nous-mêmes.

Mais nous n’imaginions pas à quel point la formation d’un comité de grève, et parfois ce nom lui seul, allait susciter de réactions violentes de la part de tous ces gens-là.

Bien des grévistes, sous la pression de tous ceux qui auraient dû soutenir notre lutte, ont hésité et des conflits en sont sortis. L’importance d’être organisés en comité de travailleurs n’apparaît pas du tout comme quelque chose qui va de soi, que les travailleurs doivent défendre à tout prix. Et pourtant, c’est de cela qu’il s’agit.

C’est des "soutiens" que va venir l’attaque contre notre organisation.

Nous n’avons pas attendu des sauveurs (syndicats, associations, partis politiques). Nous nous sommes même opposés à eux lorsqu’ils ont voulu nous déposséder de la direction de notre lutte, la freiner, au nom de notre intérêt. Je pense que c’est parce que nous avons agi ainsi que nous avons gagné. J’espère que l’histoire de cette lutte dans l’Essonne sera instructive pour les travailleurs, afin qu’ils dirigent eux-mêmes leurs luttes à venir.

Il est important de comprendre que, même si les travailleurs ne la soutiennent pas spontanément, même s’ils la craignent, cette idée doit être défendue avec acharnement. Elle seule est la garantie que les travailleurs mènent eux-mêmes la lutte jusqu’au terme qu’eux-mêmes auront fixé et pour les objectifs qui soient vraiment les leurs.

Pourquoi les travailleurs eux-mêmes craignent-t-ils de s’organiser en comités ? Parce qu’ils n’assument pas d’affirmer qu’ils sont eux-mêmes la force. Ils acceptent que les organisations les traitent en assistés et parfois, ils demandent aux organisations qui prétendent les soutenir un tel paternalisme.

Nous organiser nous-mêmes, c’est le pas fondamental.

Un comité de soutien : le loup dans la bergerie

Nous affrontons l’hiver dans ces conditions rudes, les cœurs serrés et grelottant de froid de jour comme de nuit, mais avec un seul mot d’ordre jusqu’ à la victoire : notre unité. Quand soudain les socio-démocrates ont cherché à infiltrer le comité de grève.

Par socio-démocrates, j’entends ici les ennemis politiques des travailleurs, déguisés en ami politique, syndical, associatif des travailleurs.

Ils formèrent sur le piquet un relais des dirigeants politiques et syndicaux locaux qui n’avaient pas réussi à arrêter l’ouragan. Sous la forme d’un Comité de soutien ils ont cherché à se substituer au Comité de grève pour prendre la direction du mouvement afin de l’étouffer. Ce comité de soutien formalisé le 1er novembre était leur outil de travail. Ils se servaient de notre lutte pour faire de la publicité à leurs organisations, se servant de nous comme des hommes sandwich. Ils nous dissuadaient d’interpeller les élus de l’Essonne. Ces manifestations seraient soi-disant contre productive, comme disait un dirigeant de la CGT et certains membres du comité de soutien. Au fond des choses, ils souhaitaient que nous restions cloitrés dans le silence.

Quand je leur expliquai que le comité de grève reste au dessus de tout, cela leur déplaisait, même s’ils répondaient démagogiquement "bien sûr" avec un sourire.

Ce sont de très bons acteurs, je ne comprenais pas au début pourquoi Alexandre, un militant révolutionnaire, m’avait dit que j’introduisais le loup dans la bergerie.

Camarades, si de cette brochure vous retenez une chose, c’est j’espère, apprendre à repérer ces adversaires qui sont les pires, et à ne jamais lâcher la direction de votre lutte. Vos camarades auront du mal à comprendre pourquoi vous opposez à ces "soutiens" si sympathiques ! Mais c’est votre devoir de leader de le faire, dans l’intérêt de vos camarades qui ne comprendront pas forcément que vous appeliez "ennemi invisible" celui qu’ils voient comme leur ami, leurs sauveur.

Que ceux qui veulent vous soutenir se mettent individuellement aux ordres du comité de grève. Vous serez traité de dictateur, mais c’est le seul chemin qui vous permettra de tenir la barre jusqu’à la victoire.

Nous avons fini par dissoudre ce comité de soutien. J’aurais du dès le départ m’opposer à sa mise en place.

Le bateau du comité de grève a tangué mais nous avons remis ces pirates dans leur petite chaloupe, qui retourna surfer sur internet.

Le complexe d’infériorité des travailleurs sans-papiers doit disparaitre pour céder la place à leur unité. Pour ceux qui pensent que les travailleurs sans-papiers sont des travailleurs fragiles, incapable de gérer leurs luttes, nous avons été un contre-exemple.

Au départ, moi comme chacun de mes camarades, nous navions vu aucun problème, ni la manière dont le soutien pouvait interférer dans notre lutte. C’est l’expérience qui ma montré que c’était loin d’être aussi simple. Les travailleurs, comme ceux qui affirment vouloir seulement les aider, défendent des buts, des conceptions, des objectifs plus ou moins clairement, plus ou moins consciemment. Pour les travailleurs, c’est souvent la première expérience alors que les militants du soutien savent où ils veulent en venir et ce qu’ils ne veulent pas. Et le soutien entendait non seulement proposer, convaincre, mais même imposer ses conceptions aux travailleurs en lutte. Parmi les soutiens , il y avait des réformistes, des religieux, des syndicalistes, des maoïstes, des communistes révolutionnaires, etc., etc. Les désaccords avec les soutiens se sont révélés profonds, philosophiques même. Certains s’interrogeront sans doute sur ce que vient faire la philo là-dedans. Bien sûr, chacun vient à la lutte avec sa propre façon de défendre ce qu’il pense et cela pose des tas de problèmes mais, lorsqu’ils sont partie prenante du combat, cela est très différent. La lutte peut rassembler des gens d’horizons très divers avec un but commun et les aléas de la lutte montrent à chacun quelle conception choisir. Mais justement, dans les conceptions philosophiques qui nous ont opposé aux soutiens, il y a justement ces fameux buts et conceptions communes. Ainsi, je pense que le comité de grève, c’est-à-dire une organisation indépendante des travailleurs en lutte, est incompatible avec les conceptions de toutes les autres organisations traditionnelles. Celles-ci cachent derrière leurs buts organisationnels, leurs objectifs dérivés des idéologies qui combattent, dominent, écrasent, divisent, trahissent toute les luttes des exploités. Leur idéologie, c’est d’abord l’idée que nous sommes de pauvres travailleurs qui ont besoin de leur paternalisme, qui ne sauront pas se diriger eux-mêmes, qui ne sauront que nous tromper ou exploser de colère sans but, que nous avons besoin d’organisations qui écrivent à notre place, qui soient nos contacts avec l’administration et que nous serions en somme des malheureux faisant de la peine et trop heureux que l’on prenne des décisions à leur place !!! Certains travailleurs, y compris des travailleurs qui ont la nationalité, ont des papiers et un emploi, ont tendance à accepter ce rôle, tant qu’ils ne voient pas que cela nuit considérablement à leur cause et que cela détourne leur combat de ses vrais objectifs.

Cette lutte, pour moi, a été plus que riche. Dans le fond, on a lutté, on a gagné, difficilement, mais on a gagné quand même. Mes amis, ces questions m’ont fait énormément de bien, parce que j’ai compris qu’avoir des idées et les défendre, c’est important à une échelle incroyable. Et la première de ces idées est : travailleurs, défendez-vous vous-mêmes. Personne ne peut rien faire pour vous à votre place !

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