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Le révolutionnaire, le peintre et le poète

vendredi 14 août 2015, par Robert Paris

P. Broué

Trotsky

LVIII - Le révolutionnaire, le peintre et le poète1

Vivant dans une maison appartenant à Frida, souvent vu en public avec Diego, Trotsky apparaissait comme étroitement lié au peintre. En réalité, comme le souligne le biographe de Diego Rivera, Bertram D. Wolfe, les deux hommes étaient, l’un comme l’autre, beaucoup trop occupés pour pouvoir se consacrer beaucoup de leur temps. Ils avaient des conversations téléphoniques, mangeaient ensemble chez l’un ou l’autre, faisaient ensemble excursions et petits voyages.

On peut aussi imaginer sans peine que ces deux personnalités puissantes ne pouvaient coexister sans heurts pendant de longues périodes. Bertram D. Wolfe assure que Trotsky était parfois exaspéré par l’imagination luxuriante du peintre, dans des questions qui auraient demandé froideur et précision, et que ce dernier, pendant les premiers mois de leurs relations, s’efforça de lui faire sur ce point les concessions nécessaires2, Mais il est également évident que l’intimité de Trotsky avec Rivera l’introduisit à cette époque dans l’univers pictural auquel il était jusqu’alors resté, sinon étranger, du moins un peu extérieur.

Il eut en tout cas vite assez de confiance dans son jugement personnel sur le peintre pour en parler dans une lettre à Partisan Review du 17 juin 1938 qui sera publiée sous le titre « L’Art et la Révolution ». Il écrit ces lignes brûlantes d’admiration :

« Dans le domaine de la peinture, la Révolution d’Octobre a trouvé son meilleur interprète, non en U.R.S.S., mais dans le lointain Mexique, non au milieu des " amis " officiels, mais en la personne d’un " ennemi du peuple " notoire que la IVe Internationale est fière de compter dans ses rangs. Imprégné de la culture artistique de tous les peuples et de toutes les époques, Diego Rivera a su demeurer mexicain dans les fibres les plus profondes de son génie. Ce qui l’a inspiré dans ses fresques grandioses, ce qui l’a transporté au-dessus de la tradition artistique, au-dessus de l’art contemporain et, d’une certaine façon, au-dessus de lui-même, c’est le souffle puissant de la révolution prolétarienne. Sans Octobre, sa capacité créatrice à comprendre l’épopée du travail, son asservissement et sa révolte n’auraient jamais pu atteindre pareille puissance et pareille profondeur. Voulez-vous voir de vos propres yeux les ressorts secrets de la révolution sociale ? Regardez les fresques de Rivera ! Vous voulez savoir ce que c’est qu’un art révolutionnaire ? Regardez les fresques de Rivera3 ! »
Interpellant son lecteur par un procédé dont il n’est pas coutumier, Trotsky s’écrie :

« Approchez-vous un peu de ces fresques, et vous verrez sur certaines d’entre elles des éraflures et des taches faites par des vandales pleins de haine, des catholiques et autres réactionnaires parmi lesquels, évidemment, des staliniens. Ces coups et ces blessures donnent aux fresques une vie plus intense encore. Ce n’est pas seulement un " tableau ", l’objet d’une consommation esthétique passive, qui est sous nos yeux, mais un fragment vivant de la lutte sociale. Et en même temps, c’est un sommet de l’art.
« Seule la jeunesse historique d’un pays qui n’a pas encore dépassé le stade de la lutte pour l’indépendance nationale, a permis au pinceau socialiste révolutionnaire de Rivera de décorer les murs des établissements publics du Mexique4. »
Évoquant les fresques de Rivera de Radio-City à Detroit et l’exigence de Rockefeller de faire disparaître le visage de Lénine - un conflit qui se termina par la destruction des fresques par leur « propriétaire », le richissime John D. Rockefeller, l’homme de la Standard Oil5 -, Trotsky poursuit :

« Aux États-Unis, les choses se sont passées plus mal et se sont finalement gâtées. De même que les moines du Moyen Age effaçaient par ignorance les parchemins, les œuvres de la culture antique, pour les recouvrir ensuite de leur délire scolastique, de même les héritiers de Rockefeller, par une malveillance délibérée cette fois, ont recouvert les fresques du grand Mexicain de leurs banalités décoratives. Ce nouveau palimpseste ne fait qu’immortaliser le sort de l’art humilié dans la société bourgeoise en pleine décomposition6. »
A ce point, il revient à l’art en Union soviétique :

« La situation n’est pas meilleure dans le pays de la révolution d’Octobre. Bien que cela soit au premier abord incroyable, il n’y a pas place pour l’art de Diego Rivera ni à Moscou, ni à Leningrad, ni dans un quelconque endroit de l’U.R.S.S. où la bureaucratie se construit des palais et des monuments grandioses. Comment la clique du Kremlin admettrait-elle dans ses palais un artiste qui ne dessine pas d’icônes à l’effigie du " chef " ni de portrait grandeur nature du cheval de Vorochilov ? La fermeture des portes soviétiques devant Diego Rivera marque d’une flétrissure indélébile la dictature totalitaire7. »
Le commerce entre le révolutionnaire professionnel et le peintre, l’amitié déjà extraordinaire entre Trotsky et Diego Rivera, vont entrer de plain-pied dans la légende avec la visite au Mexique du poète André Breton et la rencontre de ces trois hommes, grands parmi les grands de leur siècle.

* * *

C’est au mois de mars 1938, dans les semaines atroces qui suivent la mort de Lev Sedov, que Trotsky apprend la venue prochaine au Mexique d’André Breton, sous le couvert d’une « mission » des Affaires étrangères françaises et d’une série de conférences au Mexique.

L’homme à « l’abondante crinière de lion8 » décrit par un journaliste mexicain est alors, comme l’écrit Gérard Roche, « au faîte de sa maturité de poète et de chef de file incontesté du mouvement surréaliste dont il a jeté les bases théoriques au début des années vingt9 ». Il n’a jamais cessé de croire que les chemins de la poésie et de la révolution - qui ne se confondent pas - mènent, l’un comme l’autre, l’humanité du règne de la nécessité à celui de la liberté.

Trotsky ne doute pas un instant que la visite de Breton au Mexique va le conduire à la maison de Coyoacán. Il nourrit peut-être à son sujet quelque projet, mais, en attendant, s’inquiète, car il n’a jamais rien lu de lui. Van Heijenoort écrit au critique d’art new-yorkais Meyer Schapiro pour lui demander le prêt de quelques-uns des travaux de Breton. Schapiro envoie à Coyoacán un paquet d’ouvrages de Breton parmi lesquels, suivant le souvenir de Van10, le Manifeste du surréalisme, Nadja et Les Vases communicants et un ou deux autres ouvrages, parmi lesquels se trouve, selon Gérard Roche, L’Amour fou11.

Trotsky a-t-il lu les livres que Van a déposés sur un angle de son bureau ? Van pense qu’il les a feuilletés, très probablement, mais exclut qu’il les ait lus d’un bout à l’autre12. Gérard Roche, en revanche, sur la base du contenu des entretiens ultérieurs entre les deux hommes, croit qu’il a fait l’effort considérable de les lire13 pour mieux comprendre le mouvement surréaliste auquel il est tout à fait étranger, ce que semblent corroborer non seulement lesdites conversations, mais le sérieux du projet que Trotsky est en train de concevoir.

De son côté, André Breton a incontestablement une idée derrière la tête lorsqu’il se rend au Mexique : il sait de toute évidence qu’il va rencontrer Léon Trotsky pour lequel il a depuis toujours une grande admiration. Sur lui, il a déjà écrit en 1925 des pages enthousiastes, parues dans La Révolution surréaliste. Pourtant, il ne se jette pas sur la route de Coyoacán. Peu après son arrivée, il a rappelé dans une interview - et c’est une sorte d’appel - que les paroles de Marx, « transformer le monde » et celles de Rimbaud, « changer la vie », sont, pour les surréalistes, un seul et même mot d’ordre.

En fait, il est enthousiasmé par le Mexique, « terre de beauté convulsive », « lieu surréaliste par excellence14 » ; comme par la peinture de Diego Rivera et par l’accueil qu’on lui a réservé. Avec sa compagne, Jacqueline Lamba, il commence par rencontrer Van dans un restaurant. Et celui-ci, dans un des premiers jours de mai, va chercher le couple pour le conduire à Coyoacán rencontrer les Trotsky.

Gérard Roche, qui a vu cette rencontre comme celle « de l’aigle et du lion », considère qu’elle est, sur le plan politique, « l’aboutissement d’un long processus marqué de nombreux conflits avec le Parti communiste et l’Internationale communiste15 ». Dans le courant des années trente, les surréalistes, et Breton à leur tête, se sont dressés avec indignation contre les parades des congrès pacifistes du genre Amsterdam-Pleyel, aux théories venues de Moscou sur la « littérature prolétarienne ». Ils se sont dressés contre l’expulsion de France de Trotsky, publiant alors leur fameux tract « Planète sans visa ». Ils ont participé à la campagne menée en 1935 pour la libération de Victor Serge.

Dans leur brochure Du temps que les surréalistes avaient raison, ils ont stigmatisé « le vent de crétinisation systématique qui souffle en U.R.S.S.16 » et assuré que le régime soviétique était en train de devenir « la négation de ce qu’il a été ». Enfin, dans les mois qui précèdent, les surréalistes en général et André Breton avec une ardeur particulière, se sont associés à l’action du comité pour l’enquête sur les procès de Moscou et sont engagés maintenant résolument contre le stalinisme qui leur rend en injures la monnaie de leur pièce.

Trotsky est informé de tout cela quand il reçoit André Breton dans la « maison bleue ». Il sait aussi que l’homme est courageux. Il a prévenu ses amis de Partisan Review de la visite de Breton au Mexique. C’est probablement à son initiative que des militants mexicains ont organisé un discret service d’ordre pour la première conférence publique donnée par Breton au palais des Bellas Artes. Comme lui et à ses côtés, Diego va se mettre à tonner, en défense de Breton, vivement attaqué et de tous côtés, contre « les intellectuels cléricaux, stalinistes, guépéoutistes », compare les attaques lancées contre Breton à celles qu’a subies Sigmund Freud, et salue « Breton, amant du Mexique », qui a compris « le contenu de beauté, de douleur, de force opprimée et d’humour noir dans ce pays17 ».

André Breton a raconté le déroulement de sa première entrevue avec Trotsky, en présence de Natalia, de Jacqueline et de Van. Les deux hommes s’entretiennent du travail de la commission d’enquête sur les procès de Moscou à Paris sur laquelle Breton donne son opinion. Toujours à propos des procès de Moscou, on parle de l’attitude d’André Gide et de celle de Malraux. On échange informations et impressions. Pas de grand sujet, donc pas de choc : peut-être les deux hommes ont-ils seulement cette fois pris la mesure l’un de l’autre.

La deuxième rencontre a lieu le 20 mai. La première passe d’armes est engagée délibérément par Trotsky qui se lance dans une apologie un tantinet provocante d’Emile Zola écrivain. Il s’agit pour lui, de toute évidence, d’opposer au surréalisme le naturalisme :

« Quand je lis Zola, je découvre des choses nouvelles que je ne connaissais pas, je pénètre dans une réalité plus large. Le fantastique, c’est l’inconnu. »
Un peu crispé, Breton concède qu’ « il y a de la poésie » chez Zola. Puis la conversation change d’axe et s’oriente vers Freud et la psychanalyse. Là encore, l’attaque est lancée par Trotsky, demandant à Breton si les surréalistes ne cherchent pas, contrairement à tout l’effort de Freud, à étouffer le conscient par l’inconscient. Breton nie énergiquement, puis interroge : « Freud est-il compatible avec Marx ? » Et Trotsky de répondre sans répondre : Marx n’a pas connu Freud, et Freud traite encore la société comme une abstraction. Van raconte :

« L’entretien se détendit. Natalia servit le thé. On parla des rapports entre l’art et la politique. Trotsky émit l’idée de créer une fédération internationale des artistes et écrivains révolutionnaires qui contrebalancerait les organisations staliniennes. [...] On commença à parler d’un manifeste. Breton se déclara d’accord pour en préparer le projet18. »
C’était probablement là l’idée que Trotsky avait entretenue depuis qu’il avait été informé de la venue de Breton au Mexique.

Au cours des huit ou dix rencontres qu’ils auront encore, ils abordent d’autres discussions dont Gérard Roche a retracé le contour. Ils sont en désaccord sur les rapports entre l’art et la folie, qui, selon Trotsky, ne peut rien apporter de constructif au devenir humain. Désaccord aussi sur la question du « hasard objectif » dans lequel Trotsky croit deviner une tendance mystique de la part des surréalistes, alors que Breton en défend les fondements matérialistes.

C’est Jacqueline Lamba qui a raconté à Arturo Schwarz la vive discussion de Pátzcuaro au cours de laquelle Trotsky assure devant Breton que les chiens sont capables d’émotions quasi humaines et d’éprouver pour l’homme de l’amitié19. Breton est presque indigné non seulement de cette affirmation, mais de la façon dont Trotsky balaie ses arguments sans les prendre vraiment en compte ; il reviendra plus tard sur cet incident, s’étonnant - sans nommer Trotsky qu’un homme qui a joué un rôle historique considérable dans « des événements grandioses », ait ainsi une « vue anthropomorphique du monde animal », ce qui, selon lui, trahit un manque de rigueur dans la pensée.

Van a raconté un voyage à Guadalajara en juin, des incidents mal évités, à cause de menus larcins de Breton dans une église, le conflit qui mûrit entre Trotsky et lui, parce qu’il ne s’est pas décidé à écrire la première ligne du projet de Manifeste, le froid qui s’installe brutalement entre les deux hommes : ils se séparent brusquement sur le trajet aller et ne se revoient pas au retour20.

Au début de juillet, c’est le fameux voyage à Pátzcuaro où se retrouvent Breton, Jacqueline et Van, partis en éclaireurs, Natalia et Trotsky venus avec Joe Hansen et un autre camarade américain, Diego Rivera et Frida enfin. Van raconte :

« On fit des plans. Après des excursions pendant la journée, il y aurait le soir une conversation sur l’art et la politique. On parla même de publier des conversations sous le titre Les Entretiens de Pátzcuaro. signé de Breton et Trotsky. Lors de la première soirée, ce fut surtout Trotsky qui parla. La thèse qu’il développa, c’était que, dans la société communiste future, l’art se dissoudrait dans la vie. Il n’y aurait plus de danses, ni de danseurs, ni de danseuses, mais tous les êtres se déplaceraient d’une manière harmonieuse. Il n’y aurait plus de tableaux, mais les habitations seraient décorées21. »
Mais il n’y eut pas de second entretien à Pátzcuaro. Breton tomba malade, fiévreux et frappé d’aphasie. Il s’en expliquera plus tard, dans une lettre écrite à Trotsky sur le bateau qui le ramène en Europe. C’est son « complexe de Cordélia » par rapport à Trotsky-Lear22 : il est victime d’une inhibition chaque fois qu’il doit faire quelque chose sous les yeux de Trotsky, à cause de l’« admiration sans bornes » qu’il lui porte.

* * *

Le gros de la troupe rentra alors à Mexico, laissant Breton, malade, aux soins de Jacqueline. Quelques jours plus tard, ils revenaient à leur tour.

Cette fois, Breton prend l’initiative qui pouvait seule débloquer une situation devenue très tendue. Il remet à Trotsky quelques pages écrites de sa main, à l’encre verte. Trotsky répond par quelques pages, tapées en russe que Van traduit pour Breton. La discussion reprend. Finalement Trotsky reprend tous les textes, les découpe, les colle et les recolle, refait finalement un nouveau texte.

Ce Manifeste, finalement daté du 25 juillet et intitulé « Pour un Art révolutionnaire indépendant », est signé non de Trotsky, mais du peintre et du poète, de Diego Rivera d’André Breton23.

Il commence par plusieurs paragraphes écrits par Breton sur la menace qui pèse désormais sur la civilisation mondiale, chancelant « sous la menace des forces réactionnaires armées de toute la technique moderne24 ».

La découverte, dans le domaine philosophique, scientifique, sociologique, artistique, apparaît alors, selon la formule de Breton, « comme le fruit d’un hasard précieux », c’est-à-dire comme une manifestation plus ou moins spontanée de la nécessité : il importe que soient respectées - et même garanties - les lois spécifiques de la création intellectuelle. Celles-ci sont de plus en plus généralement violées, et le résultat en est « un avilissement de plus en plus manifeste, non seulement de l’œuvre d’art, mais encore de la personnalité " artistique " » en Allemagne comme en U.R.S.S.

Refusant le mot d’ordre « conservateur » « Ni démocratie, ni fascisme », Trotsky écrit dans le quatrième paragraphe :

« L’art véritable, c’est-à-dire celui qui ne se contente pas de variations sur des modèles tout faits, mais s’efforce de donner une expression aux besoins intérieurs de l’homme et de l’humanité d’aujourd’hui ne peut pas ne pas être révolutionnaire, c’est-à-dire ne pas aspirer à une reconstruction complète et radicale de la société, ne serait-ce que pour affranchir la création intellectuelle des chaînes qui l’entravent et permettre à toute l’humanité de s’élever à des hauteurs que seuls des génies isolés ont atteintes dans le passé. En même temps, nous reconnaissons que seule la révolution sociale peut frayer la voie à une nouvelle culture. Si, cependant, nous rejetons toute solidarité avec la caste dirigeante en U.R.S.S., c’est précisément parce qu’à nos yeux elle ne représente pas le communisme, mais en est l’ennemi le plus perfide et le plus dangereux25. »
Le Manifeste se poursuit par un impitoyable réquisitoire contre l’art officiel de l’époque stalinienne et l’importance de l’opposition artistique. Il souligne que la vocation artistique résulte d’une collision entre l’homme et un certain nombre de forces sociales, donc du besoin d’émancipation de l’homme, ce qui implique « que l’art ne peut consentir sans déchéance à se plier à aucune directive étrangère et à venir docilement remplir les cadres que certains croient pouvoir lui assigner, à des fins pragmatiques, extrêmement courtes. ».

On relèvera avec intérêt qu’au terme du paragraphe 9 - rappelant l’idée que Marx se faisait du rôle de l’écrivain et indiquant que la liberté de la presse avait comme première condition qu’elle ne soit pas un métier -, André Breton avait terminé son projet par la formule « toute licence en art, sauf contre la révolution prolétarienne » et que Trotsky obtient la suppression de la dernière proposition, susceptible, selon lui, de couvrir tous les abus, se contentant d’affirmer tout simplement : « toute licence en art26 ».

Pour être bien compris, Trotsky ajoute un paragraphe qui portera le numéro 10. Après avoir rappelé le droit de l’Etat révolutionnaire de se défendre contre la réaction bourgeoise d’autodéfense, il s’oppose nettement à « la prétention d’exercer un commandement sur la création intellectuelle de la société » :

« Si, pour le développement des forces productives matérielles, la révolution est tenue d’ériger un régime socialiste de plan centralisé, pour la création intellectuelle elle doit dès le début même établir et assurer un régime anarchiste de liberté individuelle. Aucune autorité, aucune contrainte, pas la moindre trace de commandement27 ! »
Le texte poursuit en indiquant que « dans la période présente, caractérisée par l’agonie du capitalisme », l’artiste est privé du droit de vivre et tente d’échapper à l’isolement en se tournant vers les organisations staliniennes. Mais il devra renoncer à son message propre et consentir des « complaisances terriblement dégradantes ». Il faut donc l’appeler à rejoindre « ceux qui témoignent de leur fidélité inébranlable aux principes de [la] révolution [...], ceux qui, de ce fait, restent seuls qualifiés pour l’aider à s’accomplir et pour assurer par elle la libre expression ultérieure de tous les modes du génie humain28 ».

Les quatre derniers paragraphes sont de la plume de Trotsky :

« Le but du présent appel est de trouver un terrain pour réunir les tenants révolutionnaires de l’art, pour servir la révolution par les méthodes de l’art et défendre la liberté de l’art elle-même contre les usurpateurs de la révolution. Nous sommes profondément convaincus que la rencontre sur ce terrain est possible pour les représentants de tendances esthétiques, philosophiques et politiques passablement différentes29. »
Après avoir salué « les forces jeunes qui cherchent des voies nouvelles et non des subventions », il poursuit :

« Toute tendance progressiste en art est flétrie par le fascisme comme une dégénérescence. Toute création libre est déclarée fasciste par les stalinistes. L’art révolutionnaire indépendant doit se rassembler pour la lutte contre les persécutions réactionnaires et proclamer hautement son droit à l’existence. Un tel rassemblement est le but de la Fédération internationale de l’art révolutionnaire indépendant (F.I.A.R.I) que nous jugeons nécessaire de créer30. »
Un appel à discussion et contact international par la presse et la correspondance fixe plusieurs objectifs : des congrès locaux et nationaux modestes dans une première étape, un congrès mondial ensuite, qui consacrera la fondation de la F.I.A.R.I.

Les dernières lignes - reprises du projet de Breton - résument l’entreprise :

« Ce que voulons : l’indépendance de l’art - pour la révolution ; la révolution - pour la libération définitive de l’art31 »
La rédaction et la diffusion du Manifeste marquent le sommet des relations entre le poète et le révolutionnaire auxquelles a été finalement étroitement associé le peintre. Dans l’idée de Trotsky elle doit marquer aussi le début d’un regroupement des artistes et écrivains autour de la F.I.A.R.I.

Gérard Roche a dressé, dans « La Rencontre de l’Aigle et du Lion », un bilan sommaire des efforts accomplis en ce sens par Trotsky en direction des écrivains nord-américains avec qui il est en contact et par André Breton, dès son retour en Europe - Diego Rivera, malade et déprimé, s’étant tenu à l’écart pendant cette période. Revenu en juillet, Breton avait réussi à obtenir en septembre l’adhésion d’une soixantaine d’intellectuels, artistes et écrivains parmi lesquels Jean Giono, Henry Poulaille, Marcel Martinet, l’Italien Ignazio Silone, le Néerlandais Jef Last, le Tchécoslovaque Karel Teige. Il y avait aussi essuyé des refus de marque : André Gide, Roger Martin du Gard, Gaston Bachelard. Aux Etats-Unis, la volonté de Dwight MacDonald d’amender le Manifeste, du fait des désaccords avec les passages touchant à la psychanalyse, fait perdre des mois précieux. Ce n’est qu’en mars 1939, à l’initiative de Partisan Review, que fut finalement fondée, par une trentaine d’intellectuels américains, la Ligue pour la liberté de la culture et le socialisme32.

En fait, le congrès mondial et la constitution formelle de la F.I.A.R.I. n’auront jamais lieu. Il y a à cet avortement une autre cause : la fin brutale et pénible de l’amitié entre Diego Rivera et Trotsky.

* * *

Tous les témoins et spécialistes s’attachent à souligner l’exceptionnelle qualité des relations entre les deux hommes jusqu’en octobre 1938. Personne ne conteste les efforts des deux partenaires pour les faciliter, les concessions mutuelles évidemment nécessaires entre deux personnalités aussi accusées.

Y eut-il une véritable amitié ? Rien ne permet de répondre à la question du côté de Rivera dont Jean van Heijenoort souligne, dans son livre, « le côté erratique » de son caractère, particulièrement clair dans « ses relations et son attitude avec les personnes » et qui se traduisait par une grande versatilité33. En ce qui concerne Trotsky, compte tenu de son âge et de son expérience, nous pensons qu’il a apprécié Diego Rivera et donc, d’une certaine façon, qu’il l’a aimé, sans pouvoir s’attacher à lui d’une amitié comparable à celle qu’il avait partagée avec Rakovsky, voire avec Joffé. Selon le témoignage de Van, en tout cas, les relations de Trotsky avaient avec Rivera une chaleur, un naturel, une aisance, qu’elles n’avaient avec personne d’autre34.

L’un des problèmes entre eux était celui de l’activité du peintre dans le groupe mexicain. Malgré sa faiblesse numérique, l’organisation en question était divisée en deux fractions, l’une derrière Octavio Fernandez, l’autre derrière Galicia, enseignant venu en même temps que lui au mouvement. Bien que, dans la grave crise qui avait suivi l’arrivée de Trotsky et la décision de la fraction Galicia de dissoudre la L.C.I. mexicaine, Rivera ait, dans l’ensemble, suivi Octavio Fernández, il faisait plutôt bande à part. Or sa personnalité, sa notoriété, ses moyens financiers, lui donnaient un poids énorme dans l’organisation, à laquelle il ne pouvait cependant réellement se consacrer que dans les rares intervalles que lui laissait sa passion de peindre.

Van décrit en ces termes la situation de Diego qu’il qualifie de « membre assez particulier » de la petite organisation :

« Rivera était une gloire nationale, la vente de ses tableaux lui rapportait d’assez larges sommes, et c’est lui qui subvenait le plus souvent aux besoins financiers du groupe. Quand se posait la question d’une action quelconque, par exemple l’impression d’une affiche ou l’organisation d’un meeting, il pouvait, soit en contribuant largement et suffisamment, s’il était d’accord, soit en renâclant dans le cas contraire, imposer sa volonté. Une telle situation conduisait inévitablement à des tensions à l’intérieur du groupe. Il eût été bien préférable que Rivera se tînt à l’écart de l’activité quotidienne et ne fût qu’un sympathisant généreux. Mais non, il tenait beaucoup à participer à la vie intérieure du groupe35. »
Conscient de l’existence de ce problème, refusant d’engluer Rivera dans des obligations militantes qu’il ne pouvait assumer, soucieux en même temps de ménager son amour-propre, il semble que Trotsky, dans les premiers temps, ait consacré beaucoup de temps à discuter avec le peintre des questions de politique mexicaine et des affaires de la section. Van a le sentiment cependant qu’à l’automne de 1938 Trotsky était arrivé à la conclusion qu’il fallait tenir le peintre à l’écart de l’activité quotidienne du groupe, dans l’intérêt de son travail artistique, mais aussi de celui du bon fonctionnement du groupe. C’est probablement de cette opinion, nettement formulée dans la correspondance de Trotsky avec New York, qu’est sortie une phrase importante de la résolution de la conférence internationale de septembre 1938 :

« Au sujet du camarade Diego Rivera, la conférence déclare aussi, étant donné les difficultés surgies dans le passé avec ce camarade dans les relations intérieures de la section mexicaine, qu’il ne fera pas partie de l’organisation reconstituée ; mais son travail et son activité pour la IVe Internationale resteront sous le contrôle direct du sous-secrétariat international36. »
Rivera prend très mal ce qu’il interprète non comme un privilège pour le mettre à l’abri, mais comme une exclusive visant à le mettre à l’écart. Il est en outre ulcéré que la résolution de la même conférence place sur un même plan les deux grands adversaires fractionnels, Fernández et Galicia, et s’étonne que Trotsky - n’est-il pas « le chef » ? refuse d’intervenir plus nettement sur ce plan.

C’est dans cette atmosphère de malaise - Trotsky parle à certains de ses correspondants du « mécontentement de Diego » - que survient l’affaire O’Gorman. Ami de Diego, le peintre Juan O’Gorman a peint des fresques sur les murs de l’aéroport de Mexico. Il y a représenté caricaturalement Hitler, Mussolini et leurs collaborateurs. Le gouvernement s’émeut de ce geste inamical à l’égard de chefs de gouvernement qui sont, après tout, des clients pour le pétrole boycotté par les Britanniques. Avec le plein accord de Cárdenas, Múgica, ministre des Communications, donne l’ordre de détruire les fresques. Diego, Frida et leurs amis considèrent que le gouvernement a chaussé les bottes de Rockefeller, commis un acte de « vandalisme », et pour des raisons identiques37.

Trotsky n’est pas d’accord : le boycottage du pétrole mexicain par l’Allemagne et l’Italie, dans de telles conditions, est une grave menace, et la disparition des fresques est bien de l’ordre des compétences d’un gouvernement soucieux d’indépendance nationale. Rivera, lui, accuse les membres du gouvernement d’être « des lèche-bottes réactionnaires du gouvernement de Hitler et Mussolini », prêts même à se montrer « antisémites38 ».

L’affaire des fresques devient politique quand Rivera et O’Gorman adressent à Clave un article sur cette question, « Nature intrinsèque et fonctions de l’art », que Trotsky propose de publier en « tribune libre » et que le comité de rédaction publie seulement sous la forme d’une « lettre à la rédaction39 ». Rivera s’échauffe également contre la désignation, comme responsable de la rédaction de Clave, de José Ferrel, à laquelle il est hostile. Dans le même temps, fréquentant La Casa del Pueblo, il se heurte souvent à des militants trotskystes et particulièrement à Charlie Curtiss, se rapproche de la C.G.T. anarcho-syndicaliste, qu’il semble avoir aidée financièrement. Van estime cependant que Rivera hésitait à cette époque, adoptant d’un jour à l’autre des positions diamétralement opposées, et raconte qu’à la mi-décembre, après une explication calme avec Trotsky, venu le voir à San Angel, ils se quittèrent en bons termes.

L’incident qui met le feu aux poudres se situe dans les tout derniers jours de décembre 1938. Rivera est venu dicter à Van une lettre adressée à Breton, dans laquelle il critique durement Trotsky et lui assure qu’il va en parler à l’intéressé. Mais Natalia trouve les copies sur la table de Van. C’est l’explosion. Rivera fait en effet dans la lettre le procès de Trotsky et de ce qu’il appelle ses « méthodes », à propos de la désignation de Ferrel et du sort fait à l’article envoyé à Clave avec O’Gorman40.

La crise va dès lors s’accélérer, avec des pauses qui font, à certains moments, penser à la possibilité d’une réconciliation, mais où la mixture explosive des sentiments personnels et des divergences politiques finit par emporter la retenue. Dans un premier temps, Trotsky demande à Rivera d’écrire à Breton une nouvelle lettre, rectifiant ses affirmations sur les deux affaires de l’article et de ce qu’il a appelé le « coup d’Etat » à Clave. Rivera accepte par deux fois, mais ne vient pas aux rendez-vous fixés et, finalement, refuse. Le 7 janvier 1939, il adresse deux lettres de démission, à Clave et au secrétariat international de la IVe Internationale. Il évoque son désir d’« éviter à l’organisation » les inconvénients que pourrait lui valoir sa présence41.

Trotsky se prononce pour le refus de cette démission, du fait de son importance internationale et pour tenter un ultime effort. C’est lui qui rédige deux lettres dans lesquelles il s’efforce d’expliquer qu’il n’est pas question d’accepter, sans une discussion fraternelle préalable le départ d’un camarade comme lui42. Mais apparemment Rivera a rompu les amarres.

Dès le mois de janvier 1939, il annonce la formation, avec La Casa del Pueblo, d’un Parti révolutionnaire ouvrier et paysan (P.R.O.C.), dont il sera le candidat aux élections présidentielles, puis, brutalement, rejoint le comité de soutien à la candidature de Múgica, qu’il dénonçait la veille encore43. Il attaque la position de Clave sur la campagne électorale en expliquant qu’elle dissimule la volonté de préserver à tout prix l’asile de Trotsky et écrit à Bertram D. Wolfe qu’il a rompu avec Trotsky à cause de son « opportunisme », qui « laisse le champ libre aux ennemis44 ». Cette série de cabrioles l’amènera à manifester dès le début d’août 1940, son appui à la candidature de droite du secteur agraire-industriel du Nord, le général Almazán45.

Il y a longtemps que la rupture est devenue inévitable. Dans sa réponse, datée du 19 mars, aux deux lettres qui lui ont été envoyées en janvier par Trotsky, Rivera assure qu’il n’a eu et n’a aucun désaccord ni même critique à l’égard de la ligne générale de la IVe Internationale. Toutes les questions afférentes à la conférence internationale et notamment à sa propre place dans l’organisation mexicaine ont été réglées de façon satisfaisante. Mais il doit démissionner, car, à la suite de l’affaire de sa lettre à Breton, Trotsky l’a accusé de « traîtrise » et de « mensonge », et il ne peut rester dans une organisation dont le dirigeant a cette opinion de lui46.

Trotsky, de son côté, pense qu’il n’est plus question de refuser la démission offerte, puisque l’activité politique de Diego Rivera l’a placé en dehors du cadre d’organisation, lequel n’est pas « un champ libre pour les expériences individuelles47 ». On peut encore penser que cette rupture inévitable n’entraînera pas de conséquences spectaculaires susceptibles de lui donner la physionomie d’un scandale.

Tout s’envenime de nouveau à propos de la résidence de Trotsky, laquelle, on s’en souvient, appartient à Frida, absente du Mexique, et que l’exilé a vainement cherché par lettre à gagner pour qu’elle œuvre à une réconciliation. Il ne peut évidemment accepter, après la rupture de relations politiques qui impliquent une rupture des relations personnelles, d’être logé « à titre amical ». Dès la fin de janvier, il propose à Diego Rivera de lui payer, en attendant qu’il ait trouvé un nouveau domicile, un loyer de 200 pesos. Rivera commence par refuser, se laisse convaincre, refuse de nouveau et, finalement, reverse la somme en question au comité de rédaction de Clave. Le 14 avril 1939, il déclare à un journaliste du New York Times48 :

« L’incident entre Trotsky et moi n’est pas une querelle. C’est un lamentable malentendu qui, étant allé trop loin, a provoqué l’irréparable. Cela m’a obligé à rompre mes relations avec un grand homme pour qui j’ai toujours eu et continue à avoir la plus grande admiration et le plus grand respect. »
Il explique que c’est à cause de ce respect qu’il n’a pas voulu s’engager dans une polémique contre Trotsky, « centre et tête visible du mouvement révolutionnaire qu’est la IVe Internationale ». Il parle du travail militant de Trotsky, des persécutions et des coups terribles que lui ont portés, par exemple dans sa famille, Staline « et son G.P.U. », « les organisateurs de la défaite » et indique qu’ « il est naturel que les dispositions de Trotsky soient devenues de plus en plus difficiles, en dépit de sa grande réserve de bonté et de générosité ». Il termine en assurant :

« Je regrette que le destin ait décidé que je devais entrer en conflit avec ce côté difficile de sa nature. Mais ma dignité d’homme m’empêchait de faire quoi que ce soit pour l’éviter49. »
Un examen attentif de ce texte, très modéré dans sa forme, fait apparaître les deux points sur lesquels Rivera estime être entré avec Trotsky dans un conflit « irréparable » : les opinions exprimées, après sa lettre à Breton, qu’il a jugé « inacceptables », et l’offre, « injuste et insultante », d’un loyer pour la « maison bleue ».

L’une des premières conséquences de cette rupture est, en tout cas, le déménagement des Trotsky vers une nouvelle maison, très proche d’ailleurs de l’avenue Londres, dans la rue voisine de l’avenue Viena, toujours à Coyoacán.

En cette année 1939, c’était toute une période qui s’achevait pour les Trotsky. Cárdenas allait partir, et son choix, pour sa succession, s’était porté sur le général Manuel Ávila Camacho qui représentait l’aile droite de son parti. La mise à l’écart, inévitable à terme, de Múgica - qui avait été l’infrastructure de la stabilité de l’asile mexicain de Trotsky - annonçait des jours difficiles. La rupture inattendue avec Diego Rivera en avait été le symbole et peut-être une sorte de signe avant-coureur, si l’on admet que les raisons du peintre n’ont peut-être jamais été consciemment formulées, mais qu’elles pouvaient tenir aussi au poids psychologique considérable qu’était pour cette personnalité fantasque la solidarité et la protection de l’hôte dont tout indiquait qu’il allait être de plus en plus indésirable.

C’était, en tout cas, la fin, dans un fracas de rêves et de verres brisés, d’un lien personnel qui avait été la porte ouverte sur le Mexique, celle aussi de l’aventure des trois - le révolutionnaire, le philosophe et le peintre - pour la défense de l’art et de la révolution.

Trotsky n’aura plus guère de détente dans les mois qui lui restent à vivre. Un de ses gardes américains, l’enseignant de Fresno Charles Olney Cornell, décrit sa vie de travail en 1939-194050 :

« Sachant que son temps était limité, que l’ordre de Staline serait exécuté avant qu’il ait pu tout faire pour préparer la IVe Internationale, Trotsky travaillait infatigablement. C’était une course contre la montre. [...]
« Selon ce qui le caractérisant en toutes choses, il cherchait la précision de l’expression et l’exactitude scientifique dans la rédaction. [...] Tout ou partie du travail était revu et retapé plusieurs fois avant qu’il soit satisfait d’un projet final.
« [...] Pour tirer le maximum des conditions imposées par la nécessité, il avait entrepris d’élever des poulets et des lapins puisqu’on pouvait les garder derrière ces murs élevés. Il s’en occupait aussi avec méthode et précision. La nourriture était préparée selon la formule la plus scientifique qu’il avait pu trouver. La quantité de nourriture était soigneusement mesurée. Il inspectait régulièrement les animaux en surveillant signes de maladie ou parasites. [...]
« Il ne perdait pas une minute. Il se levait tôt, à six heures du matin, faisait le ménage dans l’enclos, retournait à son bureau et travaillait jusqu’au petit déjeuner. Peu avant midi, il s’occupait de nouveau des animaux. Sauf travail exceptionnel, sur prescription médicale, il se reposait une heure après le repas de midi. Quelquefois il avait une visite à trois heures et L. D. passait environ une heure avec elle. Des visites plus longues étaient rares, car le temps manquait trop.
« Après qu’il eut nourri les poulets et les lapins le soir, il retournait au bureau ou, si le dîner était servi, directement à la salle à manger. Le dîner était généralement un repas vivant où L. D. engageait tout le monde dans la conversation et plaisantait.
« La plus grande partie du temps qu’il passait là, L. D. l’appelait souvent " la prison " : la routine quotidienne répétée de façon monotone.
« A l’occasion, mais de moins en moins souvent avec la concentration du G.P.U. sur le Mexique, il allait en pique-nique. En fait, il s’agissait d’expéditions pour trouver des cactus pour sa collection. Il admirait particulièrement cette plante mexicaine, et voulait en avoir une collection complète, avec toutes les variétés51. »
Le garde américain évoque aussi le souci d’exactitude et de ponctualité qui marquait Trotsky dans le travail :

« Je me souviens d’une conférence qu’on tint dans le bureau avec des amis de New York à laquelle quelques gardes arrivèrent en retard. Après l’arrivée du premier, L. D. se leva, ferma la porte et empocha la clé. Chaque fois qu’un des retardataires frappait à la porte, il se levait, allait à la porte et le faisait entrer. C’était une démonstration très efficace52 . »
Ainsi allait la vie dans la maison de l’avenida Viena, dérisoire forteresse d’opérette, pendant que le monde, lui, allait vers un nouveau massacre53.

Références

1 Voir B.D. Wolfe, La fabulosa Vida de Diego Rivera, Mexico, 1972, et Arturo Schwarz, Breton, Trotsky et l’Anarchie, Paris 1977, ainsi que la thèse de Marlene Kadar, Cultural Politics in the 1930s. Partisan Review. The Surrealists and Leon Trotsky, Alberta 1983.

2 B.D. Wolfe, op. cit., p. 197.

3 Trotsky « L’Art et la Révolution », 17 juin 1938, Lettre à Partisan Review, A.H., 4366 ; Œuvres, 18, pp. 88-89.

4 Ibidem, p. 89.

5 B.D. Wolfe, op. cit., pp. 263-267.

6 Ibidem. pp. 89-90.

7 Ibidem, p. 90.

8 G. Roche, « La Rencontre de l’Aigle et du Lion », Cahiers Léon Trotsky, n° 25, mars 1986, pp. 23-46.

9 Ibidem, p. 23.

10 Van, op. cit., p. 179.

11 Roche, « Rencontre »..., p. 31.

12 Van, op. cit., p. 179.

13 Roche, op. cit., p. 26.

14 Ibidem, p. 24.

15 Ibidem.

16 Ibidem.

17 Ibidem, p. 26.

18 Ibidem, p. 27.

19 Van, op. cit., pp. 180-181.

20 A. Schwarz, Breton-Trotsky, Paris, 1977, p. 210.

21 Van, op. cit., p. 184.

22 Ibidem, p. 187.

23 Roche, « Rencontre »..., p. 35.

24 « Manifeste pour un Art révolutionnaire indépendant », 25 juillet 1938, A.H.,T 4394 ; Œuvres 18, pp. 198-211.

25 Ibidem, p. 198.

26 Ibidem, p. 201.

27 Ibidem, p. 206.

28 Ibidem.

29 Ibidem, p. 208.

30 Ibidem, p. 209.

31 Ibidem, pp. 209-210.

32 Ibidem, p. 211.

33 Roche,« Rencontre... », pp. 42-43.

34 Van, op. cit., p. 195.

35 Ibidem, p. 198.

36 Ibidem, p. 196.

37 Ibidem, pp.196-197.

38 O. Gall, I. pp. 385-386.

39 Cité par Trotsky, « Bilan de la rupture avec Diego Rivera », 27 mai 1938, A.H., 8186 ; Œuvres, 20, pp. 304-305.

40 O. Gall, op. cit., I, pp. 387, n. 1.

41 Van, op. cit., pp. 199-200.

42 Rivera à Ferrel et Rivera à S.I., 7 janvier 1939, archives Curtiss.

43 « La démission de Rivera », 17 janvier 1939, archives Curtiss ; Œuvres, 20, pp. 59, et « Ce qu’il faut répondre », 17 janvier 1939, archives Curtiss, Œuvres, pp. 60-61.

44 Gall, op. cit., I, p. 192.

45 Rivera à B.D. Wolfe (extraits), 19 mars 1939, archives Curtiss.

46 O. Gall, op. cit., I, p. 395.

47 Rivera au Pan-American Bureau, 10 mars 1939, archives Curtiss ; Trotsky, « Bilan ... » p. 308.

48 Ibidem.

49 New York Times, 14 avril 1939 ; traduction française dans Cahiers Léon Trotsky, n° 26, juin 1986, p. 86.

50 Ibidem, p. 87.

51 Charles O. Cornell ; « Avec Trotsky au Mexique », Fourth International, août 1944, pp. 246-249.

52 Ibidem, pp. 248-249.

53 Ibidem, p. 248.

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