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Editorial 15-01-2011 - Tunisie : le dictateur est tombé mais pas (encore) la dictature

samedi 15 janvier 2011, par Robert Paris

Tunisie : le dictateur est tombé mais pas (encore) la dictature}

Le courage de la jeunesse et de tout le peuple travailleur, qui ont affronté à mains nues les tirs à balles réelles, a eu raison du dictateur. Ben Ali, jusqu’à la dernière minute soutenu par l’ancienne puissance coloniale française, avait commencé à sacrifier ses ministres et un général, par renoncer à se représenter, pour finalement quitter le pouvoir en laissant son premier ministre à sa place.

Même ce dernier a dû renoncer à devenir chef de l’Etat, restant chef d’un gouvernement provisoire, un jour plus tard, conspué par les manifestants qui occupaient massivement à Tunis le ministère de l’intérieur. Par une nouvelle manœuvre, le conseil constitutionnel a nommé le chef du parlement à la tête de l’Etat en attendant des élections présidentielles et en proposant aux partis un gouvernement d’union nationale. Comédie alors que les forces de l’ordre continuent de matraquer et de tuer des manifestants désarmés. Comédie parce que tout le monde sait qu’il n’y a pas de partis politiques en Tunisie, Ben Ali les ayant interdit et détruit. Pour faire peur au peuple tunisien l’actuel pouvoir, qui continue à réprimer, n’a pas craint de faire donner des bandits qui attaquent les maisons des particuliers. Il essaie ainsi de faire changer la peur de camp et de se rendre indispensable. Car la population et la jeunesse en particulier n’ont plus peur d’une dictature aux abois.

Les détenteurs du véritable pouvoir, chefs militaires, grande bourgeoisie et autres potentats, sont toujours en place et ce sont eux qui essaient de sacrifier quelques pions pour conserver le pouvoir et les richesses qu’ils volent au peuple travailleur. Toutes les classes dirigeantes du monde craignent elles aussi le soulèvement qui a lieu en Tunisie et cela d’autant plus que l’exemple fait tâche d’huile, se propageant déjà en Algérie puis en Jordanie. Alger et Amman ont connu les mêmes soulèvements que Tunis. C’est la même jeunesse sans travail et sans avenir qui s’affronte aux mêmes dictatures et tous les pays arabes ou du Maghreb ressentent la même révolte que la brutale hausse des prix des produits de première nécessité a enflammée. Tous ont vibré aux nouvelles de la Tunisie et tous en concluent que le pouvoir dictatorial n’est pas intouchable.

En Tunisie comme en Algérie ou en Jordanie, les classes dirigeantes qui trônent dans leur luxe au milieu de la misère générale sont directement menacées, parce que les travailleurs n’acceptent plus ces inégalités criantes, ces fortunes insolentes qui s’étalent pendant que le chômage et la misère frappent la majorité. Les classes dirigeantes du monde impérialiste ont manifesté leur inquiétude. Elles aimeraient bien maintenant que la révolution s’arrête là, qu’elle soit simplement un changement de personne à la tête d’une dictature qui leur est directement liée. Mais le peuple travailleur ne l’entend pas ainsi. Il suffirait aux gouvernants d’organiser, dans le cadre d’une constitution sur mesure, un simulacre d’élection dans lequel le peuple travailleur, totalement dépourvu de moyens organisationnels, sera le dindon de la farce. Il appelle de ses vœux un véritable changement social et politique.

Oui, c’est bien une révolution sociale qui a commencé en Tunisie et elle doit aller jusqu’au bout, c’est-à-dire en finir avec la dictature et la misère. Ben Ali est parti mais l’armée et la police qui ont tiré sur le peuple sont toujours là et il faut s’assurer qu’ils ne pourront plus continuer leurs opérations criminelles. Cela nécessite des liens entre le peuple et les soldats qui ne doivent plus obéir à leur hiérarchie, que le peuple soit organisé et que les soldats aussi appartiennent à une forme d’organisation qui n’obéit pas à la hiérarchie. Cela nécessite que les travailleurs, les jeunes, les femmes, les soldats s’organisent en comités, partout dans toutes les villes, sur les lieux de travail et d’études. Cela nécessite que ces comités se fédèrent à l’échelle nationale pour discuter de leurs aspirations, de leurs revendications, définir eux-mêmes les orientations à venir, se donner les moyens d’organiser eux-mêmes le changement social et politique auquel ils aspirent.

C’est à ce prix qu’ils pourront imposer des mesures sociales d’urgence. C’est à ce prix qu’ils pourront en finir avec la répression violente en s’unissant aux soldats soustraits à l’autorité de la hiérarchie militaire en s’organisant eux aussi en comités. C’est à ce prix qu’ils pourront mettre en place un pouvoir des forces populaires, des travailleurs, des jeunes, des soldats, des femmes, de tous les milieux populaires, un pouvoir qui rompe radicalement avec la dictature des oligarques actuelle et avec les impérialismes.

Quant aux travailleurs de France, cette révolte qui se bat contre les mêmes capitalistes qu’eux est la leur car, depuis longtemps, les exploiteurs d’Algérie et de Tunisie ont partie liée avec la bourgeoisie française. La victoire de la révolte de Tunisie sera celle des travailleurs du monde entier.

Messages

  • Sourde, aveugle, voire cynique, l’Union européenne, France en tête, a manifesté un soutien sans faille à Ben AlI.

  • "Le courage de la jeunesse et de tout le peuple tunisien, qui ont affronté à mains nues les tirs à balles réelles, a eu raison du dictateur. Ben Ali, jusqu’à la dernière minute soutenu par l’ancienne puissance coloniale française, avait commencé à sacrifier ses ministres et un général, par renoncer à se représenter, pour finalement quitter le pouvoir en laissant son premier ministre à sa place."

    Bravo à tous les opprimés de l’autre coté de la méditérannée, ceux que les "socialistes" français qualifent "de misère du monde" (M.Rocard dans les années 90 pour dénoncer l’immigration clandestine à côté de Lepen),ces soeurs et frères viennent de nous montrer à quel point notre force n’est pas dans des mobilisations derrière des spécialistes syndicaux de la négociation mais bien au contraire dans un affrontement direct avec le pouvoir car que faut il choisir : la mort à petit feu ou le renversement de ses classes dirigeantes "démocrates" ou "autocrates" qui défendent les privilèges et ce système économique mortifère, grace à la toute la puissance de l’Etat.

  • Quatre états arabes présentent certaines similarités avec la Tunisie : la Jordanie, l’Egypte, la Syrie et le Yémen.

    En Jordanie en Egypte et au Yémen, de très larges segments de la population souffrent d’une extrême pauvreté, lourde de dangers pour la stabilité de ces pays, tandis que les prix des denrées de première nécessité augmentent régulièrement, créant de nouvelles poches de misère.

    Au Royaume hachémite, des manifestations contre la vie chère ont éclaté ces derniers mois. Difficile pourtant d’envisager un scénario à la tunisienne en Jordanie. Pour plusieurs raisons. La première c’est que le pays est l’allié de l’Occident, des Etats-Unis en particulier mais aussi d’Israël – dont il est le glacis de sécurité – et que ces deux puissances ne laisseront jamais tomber le roi Abdallah au profit des islamistes ou des Palestiniens, majoritaires sur la rive orientale du Jourdain. D’autre part, contrairement à la Tunisie, l’armée jordanienne, composée quasi exclusivement de bédouins, est et restera loyale au souverain, et elle n’hésitera pas elle à réprimer dans le sang une révolte populaire. Enfin, les services de renseignements jordaniens ont infiltré depuis longtemps leurs « ennemis » intérieurs et savent donc assez bien ce qui se trame chez les islamistes ou parmi les réfugiés palestiniens des camps.

    En Egypte également, l’armée est politisée et veille au grain pour protéger Hosni Moubarak, qui devra tout de même – sous la pression américaine – accroître le champ des libertés pour ses concitoyens.

    C’est en Egypte que l’épouvantail islamiste agité par le régime pour survivre peut encore le mieux fonctionner auprès des pays Occidentaux. Les Frères musulmans représentent en effet une alternative au pouvoir du vieux raïs âgé de plus de 80 ans et qui pourrait briguer un nouveau mandat en septembre prochain.

    La Syrie est sans doute le pays où la contestation d’un pouvoir accaparé par un clan ressemble le plus à la Tunisie. La famille Assad au sens large est critiquée pour son appétit des affaires. Comme en Tunisie sous Ben Ali, les sociétés françaises qui se sont implantées en Syrie savent auprès de quels intermédiaires il faut s’adresser pour décrocher des contrats. Mais la Syrie de Bashar al-Assad a été plus clairvoyante que la Tunisie de Ben Ali : elle a su associer au partage de la manne de très nombreuses familles issues de la majorité sunnite, qui n’ont pas intérêt à voir le régime tomber, quelque soit le degré d’hostilité qu’il leur inspire. La Syrie a su s’ouvrir économiquement, sans s’ouvrir politiquement. C’est sans doute dans cette voie minimale que les pays arabes vont être contraints de s’engager aujourd’hui.

  • Ben Ali.

    Il fallait le voir, s’adressant aux Tunisiens dans son allocution télévisée du 10 janvier, arc-bouté dans ses certitudes, visage fermé, air grave, regard noir. Il fallait l’entendre stigmatiser ces « criminels », ces « délinquants », ces « voyous cagoulés » qui ont « vendu leur âme au terrorisme et à l’extrémisme ».

    Il fallait l’entendre confondre dans sa vindicte paranoïaque les islamistes et les gauchistes, et dénoncer ces « agents à la solde de l’étranger », érigés en seuls responsables des émeutes qui secouent le pays depuis 25 jours maintenant. Il fallait l’entendre encore, menacer à mots à peine voilés les parents qui ne surveilleraient pas leurs enfants. On avait retrouvé le père fouettard : martial, sécuritaire, manipulateur, dictateur impitoyable et flic à l’ancienne.

    Le vrai Ben Ali ! Le vieux lion est toujours là, prêt à mordre et à griffer. La bête est peut-être blessée, mais elle n’a pas complètement abdiqué.

    On le disait vieilli, usé, fatigué et même malade. On glosait sur ses absences inexplicables, sur ses pharyngites à répétition. On le pensait diminué et dominé par sa femme et par son envahissant beau-frère. Le butor, le « voyou de sous-préfecture » qui avait inspiré une sainte terreur à son peuple, semblait s’être métamorphosé en une espèce de ploutocrate débonnaire et abusé par les siens.

    Un bad cop transformé en mari modèle, en beau-père idéal, en grand-père gâteau et attentionné. Sa générosité était devenue légendaire. N’avait-il pas comblé de présents et de juteuses participations dans les entreprises publiques et les banques son jeune gendre, le prénommé Sakhri, le jour de son mariage ? Ben Ali ne faisait plus vraiment peur et presque sourire. Il était devenu le sujet de nos moqueries et de nos railleries.

    Même le système semblait avoir muté. Ce n’était plus un régime, c’était une oligarchie. La Tunisie n’était plus une dictature policière mais un casino géant où tous les coups (en bourse) semblaient permis, pour le plus grand bonheur de Sidi Belhassen* et des gens de sa clique. Oubliée la torture dans les commissariats, oubliée la légende noire des sous-sols du ministère de l’Intérieur. Bien sûr, nous n’étions pas devenus tout à fait aveugles, juste très myopes.

    Nous savions que des opposants et des avocats étaient régulièrement molestés, nous savions que des journalistes continuaient à être embastillés pour des futilités. Mais quelque part, c’est comme si nous avions décidé de passer l’éponge pour passer à autre chose. Comme si nous avions décidé de donner un chèque en blanc à celui qui avait fini par nous persuader de la réalité du miracle économique tunisien.

    On s’était presque résignés à l’idée que le temps passé au pouvoir lui donnait des droits sur la Tunisie. 2004… 2009… 2014… En attendant Leïla, ou - qui sait ? – Sakhr… Ou un autre adoubé par le clan, par les familles régnantes...

    Ce scénario cousu de fil mauve s’est fracassé dans la nuit du 8 au 9 janvier. La belle Leïla a disparu des écrans radars. Le fringant Sakhr* aurait trouvé refuge à Montréal. Et le clan des Trabelsi fait maintenant profil bas.

    Il rase les murs. Quand aux grandes familles veules et cupides de notre oligarchie d’affaires, qui avaient choisi sciemment de lier leur destin à celui de la famille possédante, elles doivent maintenant trembler de tous leurs membres. Le président s’imaginait sans doute qu’il pourrait compter sur elles le moment venu. Il découvre que ceux qu’il s’imaginait être des alliés ne sont en réalité que des boulets.

    Et qu’en dépit de tout leur argent et de leurs manières d’aristocrates raffinés, ces parasites évanescents pèsent décidément bien peu de choses à côté de la force brute des ninjas encagoulés de la sûreté de l’Etat.

    La tempête qui s’est abattue sur la Tunisie au lendemain de l’immolation par le feu de Mohamed Bouaziz a au moins eu le mérite de remettre les pendules à l’heure. Les masques sont tombés. La comédie est terminée. Ben Ali, le vrai, était de retour. Le doute n’est plus permis : le chef, c’est lui et personne d’autre. Et il va faire le sale boulot, celui pour lequel on l’a programmé. « Back to basics », comme diraient nos amis américains : la matraque et les BOP * sont redevenus les solides piliers du régime.

    Dans l’adversité, Ben Ali a retrouvé son vrai visage. Et sa vraie famille : la police. Exit, le patriarche débonnaire, place au Pinochet gominé qui fait tirer sur son peuple. La politique du pire a retrouvé ses droits. C’est « après moi le déluge » ! Il faut réactiver les réflexes de la peur et de la soumission.

    Déjà, les tués se comptent par dizaines et les blessés par centaines dans le triangle du courage et de la mort : Kasserine, Thala, Regueb. Hôpitaux débordés, cadavres criblés de balles, cortèges funèbres mitraillés : scènes d’Intifada en plein cœur de la Tunisie.

    Aurait-il voulu mettre le feu au pays tout entier qu’il ne s’y serait pas pris différemment. Mais au fond, peut-être était-ce l’objectif recherché. Allumer l’incendie pour mieux l’éteindre ensuite, tactique du pompier pyromane. Tabler sur une radicalisation du mouvement pour mieux le réprimer. Pousser l’adversaire à la violence et à la faute et installer un climat de terreur.

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