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Le vivant post-génomique, qu’est-ce que l’auto-organisation pour Henri Atlan ?

dimanche 9 août 2015, par Robert Paris

Qu’est-ce que l’auto-organisation ?

Henri Atlan : « Deux courants convergents ont conduit à se représenter aujourd’hui l’organisation d’un système vivant comme le résultat de processus antagonistes, l’un de construction, l’autre de déconstruction ; l’un d’ordonnancement et de régularités, l’autre de perturbations aléatoires et de diversité ; l’un de répétition invariante, l’autre de nouveauté imprévisible. (...) L’organisation des systèmes vivants n’est pas une organisation statique mais un processus de désorganisation permanente suivie de réorganisation. La mort du système fait partie de la vie. Sans perturbation, sans désorganisation, pas de réorganisation adaptatrice au nouveau. Sans processus de mort contrôlée, pas de processus de vie. (...) L’opposition entre organisé et aléatoire peut être remplacé par une (...) coopération où inévitablement (ces concepts) acquièrent de nouveaux contenus. (...) La mort du système fait partie de la vie (...) sans processus de mort contrôlée, pas de processus de vie. (...) Le cristal et le fumée » : « L’opposition entre organisé et aléatoire peut être remplacée par une coopération où inévitablement (ces concepts) acquièrent un nouveau contenu. » ( dans « Entre le cristal et la fumée »)

Henri Atlan corrigeait ainsi la notion de « programme » du vivant d’une manière très incisive : « Il s’agit d’un programme qui a besoin des produits de sa lecture et de son exécution pour pouvoir être lu et exécuté. »

Tout le mécanisme du vivant et de construction de l’homme est le produit d’une inhibition de l’inhibition, d’une double négation, ainsi que l’expose le biologiste Henri Atlan dans « La fin du tout-génétique » : « Apparaissent des processus d’auto-organisation de la matière (...) que Prigogine et Nicolis adaptaient à la thermodynamique en les rebaptisant ’’ordre par fluctuations’’. ( ..) Les erreurs aboutissent à une protéine dont la structure n’est pas une reproduction à l’identique de l’ADN (...) source de l’augmentation progressive de la diversité et de la complexité des êtres vivants. (...) La création par le bruit de complexité fonctionnelle – c’est-à-dire signifiante – fonctionne à la façon d’une double négation. (...) L’effet du bruit est une dimension de l’information portée par la protéine, par rapport à ce qu’elle aurait été si la transmission avait été exacte, c’est-à-dire si la protéine correspondait rigoureusement à l’ADN. (...) Les gènes du développement, gènes dont les mutations produisent des catastrophes globales au niveau du développement embryonnaire. (...) Il existe des exemple non biologiques d’organisation par le bruit. Ils sont fournis par des systèmes physiques qui sont décrits par des systèmes dynamiques (...) comportant plusieurs minima locaux. Un tel système peut, à un moment, se « coincer » dans un de ces minima ; mais s’il existe une quantité optimum de bruit, en l’occurrence de température, cette agitation empêche le système de rester durablement dans cet état, elle lui permet d’en sortir et d’aller vers un autre minimum. (...) Ce modèle est utilisé par des physiciens. »

« Le soi immunitaire n’est pas un sujet immuable défini par un ensemble fixé d’anti-gènes. Le soi immunitaire ressemble plutôt à une série de phrases immunitaires évolutives, constituées d’antigènes en relation spécifique avec des signaux spécifiques. Le soi immunitaire n’est pas le sujet d’une l’histoire. Le soi immunitaire est l’histoire. Une histoire qui s’écrit elle-même et qui prend son sens de page en page. Il s’agit donc ici de l’auto-organisation d’un soi. » Henri Atlan (ouvrage collectif …)

Un commentaire de cet ouvrage sur le net :

Si je vous demande quelle est l’œuvre qui nous aide à réfléchir aux calculs de réseaux de neurones, à l’auto-organisation des sociétés d’insectes, à l’émergence, au Talmud, à Spinoza, à l’utérus artificiel ? Vous répondrez Henri Atlan. (...) Il y a environ quarante ans, à une époque où trois français viennent d’être récompensés par le prix Nobel de médecine pour leurs travaux en génétique, Henri Atlan, lui, s’intéresse à la théorie de l’information, afin de démontrer qu’elle ne peut s’appliquer telle quelle au vivant. Il critique alors le déterminisme de l’information génétique, à savoir, la métaphore du « programme génétique ». Mais dans les années 1970, sa critique reste lettre morte. Il faudra attendre vingt ans, comme dans les Trois Mousquetaires, pour qu’on en perçoive l’écho. L’ère du vivant post-génomique pouvait commencer …

Que signifie cette expression ? Le post-génomique, c’est une biologie qui prend acte du fait que le programme génétique est une impasse. Or c’est au moment même où on transcrit le génome humain, que l’on se détache du modèle du déterminisme génétique. Avouez que c’est un paradoxe. Henri Atlan est donc un précurseur. Il est un des premiers à nous dire que la génétique, entendue comme la genèse d’un être vivant, n’est pas dans les gènes ! Il est le premier à substituer au modèle génétique celui de l’auto-organisation ou de la complexité.

Qu’est-ce que l’auto-organisation ?

Comme son nom l’indique c’est une organisation qui se produit toute seule, c’est-à-dire sans l’aide d’un agent extérieur, qu’il s’agisse de l’homme ou bien de Dieu. Le vivant, à la différence d’une machine, se construit lui-même, il est auto-organisé. Mais les organismes vivants ne sont pas les seuls exemples d’auto-organisation, il y a des structures physiques qui s’auto-organisent, et il y a aussi des modèles informatiques qui s’auto-organisent. Une machine peut être dite auto-organisée si son organisation n’est pas programmée par un ingénieur ou un hacker. Vous me direz, qui préside alors à son organisation ? Et bien c’est le hasard. Le hasard, n’est pas l’absence de causes, c’est ce qui n’est pas programmé par le système, c’est ce que rencontre le système est qui n’était pas prévu - ce pourquoi on l’appelle aussi « bruit » -. Bref, un système auto-organisé est un système qui, lorsqu’il rencontre des perturbations qui n’étaient pas prévues, au lieu de se détruire, il s’organise.

Le vivant post-génomique. Ou qu’est-ce que l’auto-organisation ?, par Henri Atlan, Odile Jacob, Paris, 2011.

Messages

  • Interview d’Henri Atlan :

    Question : Vous critiquez aussi la vision trop « informatique » de certains biologistes, pour qui le programme ADN est la réponse à toutes les questions.

    Pr HA : C’est une vieille histoire. En ce qui me concerne, cette réflexion a commencé à l’époque des grandes découvertes de la biologie moléculaire et de l’interprétation de ces découvertes en termes de « programme ». L’idée selon laquelle un programme serait écrit (au sens littéral) dans la séquence ADN m’a toujours semblé approximative. Il ne s’agit pas là bien sûr de mensonge, mais de facilité dans l’usage d’un langage métaphorique. Cette métaphore est trompeuse, mais elle a eu un effet extraordinaire dès lors que de nombreux biologistes l’ont eux-mêmes prise au sérieux ! Aujourd’hui encore, cette idée persiste dans le grand public, mais la plupart des biologistes ont réalisé que cela ne fonctionnait pas de cette façon, ne serait-ce que parce que les analyses des génomes censées confirmer la réalité de cette métaphore en ont, au contraire, montré les limites.

    Question : Vous critiquez aussi la confusion entre la valeur heuristique des modèles informatiques de systèmes complexes et le statut de vérité scientifique établie qui leur est trop souvent accordé.

    Pr HA : Cette question des modèles est directement reliée au débat sur le réchauffement climatique. Je ne suis pas un spécialiste du climat, mais je sais que le climat est une affaire complexe et fait intervenir de nombreux paramètres. Je sais également, pour avoir travaillé sur la modélisation de systèmes complexes en biologie, que tous les systèmes complexes (en particulier si on ne peut pas les expérimenter) ont cette propriété de présenter des modèles sous-déterminés par rapport aux observations. En d’autres termes, le problème n’est pas de réaliser un bon modèle ; le problème est qu’il existe trop de bons modèles capables d’expliquer les mêmes observations.

    J’ai constaté cette sous-détermination des modèles à l’époque où je faisais de la modélisation de systèmes immunitaires. Pourtant, les systèmes biologiques présentent l’avantage, par rapport aux systèmes écologiques ou climatiques, d’autoriser quelques expériences suggérées par les modèles et permettant éventuellement d’en éliminer certains.

    L’intérêt des modèles se limite, le plus souvent, à suggérer de nouvelles expériences, mais dans le cas des recherches sur le climat ou sur une niche écologique, il n’y a pas d’expérience possible pour trancher entre différents « bons » modèles, et les scientifiques qui utilisent des modèles en connaissent parfaitement les limites. J’ai participé à une réunion rassemblant des mathématiciens, des informaticiens et des physiciens qui créaient des modèles pour la biologie. Tous étaient parfaitement conscients du fait que leurs modèles étaient bons du point de vue du modélisateur puisqu’ils expliquaient des phénomènes connus, mais tous s’accordaient aussi à dire qu’ils ne décrivaient pas forcément la réalité et qu’il fallait réaliser des expériences pour tenter de réduire leur sous-détermination.

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