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L’extrême gauche de France

jeudi 31 janvier 2008, par Robert Paris

Les trois grands groupes trotskystes français, qui sont en même temps les plus grands groupes à l’extrême gauche, ont eu des histoires diverses et souvent opposées mais ils semblent devoir se retrouver tristement sur un point : le renoncement aux valeurs politiques qui avaient été leurs traditions.

Le POI, parti ouvrier indépendant, ex-PT, ex OCI, ex PCI, ex-trotskyste, déclare : « nous avons cessé de nous échiner inutilement pour maintenir un club de fans de la quatrième internationale ».

Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, groupe qui se réclamait du trotskysme, dont le succès électoral a permis le lancement du futur NPA, « nouveau parti anticapitaliste » : « Aucune organisation révolutionnaire, pas plus trotskyste que stalinienne ou maoïste, n’a un bilan tel qu’il puisse servir de base à la construction d’un parti large. »
Lutte Ouvrière, l’un des rares groupes révolutionnaires trotskyste qui n’avait pas cédé aux pressions électorales de la gauche bourgeoise ni semé des illusions dans l’intérêt de voter « à gauche » déclare aux élections municipales de 2008 : « Dans les circonstances politiques actuelles, Lutte Ouvrière souhaite qu’il y ait dès le premier tour une union de toutes les forces de gauche et elle est prête à y participer. » !!!

"Le parti révolutionnaire du fait qu’il représente les intérêts permanents de la classe ouvrière est obligé, pendant la plus longue période de son existence peut-être, de lutter contre le courant, contre les conceptions petite-bourgeoises. Il y a des moments plus courts dans l’existence du parti où le groupement qui a su lutter contre le courant va avec le courant, les évènements viennent donner une confirmation éclatante à ses conceptions antérieures."

Barta dans un texte de début août 1944

Les sites d’extrême gauche en France

Lutte Ouvrière

POI

NPA

Nos orientations et nos tâches

Texte de la minorité de Lutte Ouvrière en 1999

La situation économique, sociale, politique et morale de la classe ouvrière n’a pas changé de manière sensible durant l’année écoulée. La reprise économique profite non seulement aux capitalistes mais aussi à une bonne partie de la petite bourgeoisie, c’est-à-dire certainement des millions de personnes quand on y inclut, comme il se doit, les couches salariées supérieures. Pour les travailleurs, elle n’a amené ni hausse des salaires, ni vraie réduction du chômage qui ne baisse que dans la mesure où la précarité s’accroît. Pour une partie au moins d’entre eux, les conditions de travail se sont au contraire aggravées.
L’offensive des classes possédantes pour augmenter la part de la plus-value au détriment des salaires se poursuit systématiquement. Les suppressions d’emplois massives, voire les licenciements dans les grandes entreprises, ce qu’on a baptisé plans sociaux, continuent au rythme des années précédentes. Pendant un temps, la "crise" et les difficultés économiques, bien souvent et pour une bonne part grossies sinon inventées pour les besoins de la cause, ont servi de prétexte à cette offensive. Aujourd’hui les exploiteurs n’en ont même plus besoin. Rassurés devant l’absence de réactions importantes qui auraient mis leur système en péril, ils affichent ouvertement leurs objectifs. Licenciements, gel des salaires, augmentation de l’intensité et des charges de travail ne sont pas dictés pour permettre aux entreprises de survivre mais pour accroître les profits. L’arrogance et la brutalité de Michelin n’est que le plus bel et le plus récent exemple de l’attitude actuelle du patronat, qui estime qu’il doit montrer qu’il ne prend pas de gants envers les travailleurs pour courtiser plus à son aise les milieux financiers et les actionnaires.
Le gouvernement Jospin, dans le droit fil de ses prédécesseurs de gauche et de droite, coordonne cette offensive anti-ouvrière. Il la mène lui-même directement dans les services publics (la réforme hospitalière notamment où le plan d’économie élaboré par la CNAM équivaudrait à la suppression de 160 000 emplois) et dans les domaines qui dépendent directement de lui, comme le projet de réforme des retraites pour lequel il a, par avance, le soutien ouvert de la CFDT et la complicité de la CGT aujourd’hui ouverte à l’idée des fonds de pensions.
Seule une hypocrisie plus grande le différencie de Juppé, partis de gauche et directions syndicales devant justifier l’aide et le soutien qu’ils apportent dans la mise en oeuvre de cette politique anti-ouvrière. Ainsi les lois Aubry permettent-elles aux patrons d’accroître la flexibilité et l’intensité du travail, de geler les salaires, de masquer des suppressions d’emplois et de recevoir en plus de nouvelles subventions pour le faire. Mais le gouvernement et la gauche toute entière, PCF compris, tentent de les vendre aux travailleurs comme des mesures pour la réduction du temps de travail.
Pour le plan d’urgence et le mouvement d’ensemble
La classe ouvrière est certainement désillusionnée mais pas défaite. Depuis des années elle cède du terrain mais sans avoir encore mené de combats d’envergure. Ces derniers mois encore les mouvements ont été nombreux, en réaction aux menaces de licenciements mais aussi aux accords Aubry, contre la flexibilité, la remise en question des acquis, la suppression des temps de pause, l’allongement de la journée de travail ou encore le gel des salaires. Mais ils sont restés dispersés, limités, inconnus le plus souvent des autres travailleurs y compris du même groupe, voire de la même entreprise. La plupart des organisations syndicales en effet non seulement ne militent pas pour une extension, que les travailleurs n’envisagent pas eux-mêmes, mais ne remplissent même pas leur tâche élémentaire d’information ou de coordination. Certes bien des réactions actuelles aux mesures d’application des 35 heures ont lieu à l’initiative des syndicalistes locaux. C’est la marge de manoeuvre que les appareils nationaux leur laissent, voire même leur conseillent d’utiliser : se battre localement et secteur par secteur pour une meilleure application dans le cadre d’accords généraux signés ou acceptés de fait par tous. Mais c’est aussi au moins un indice que si, pour l’instant, les syndicats ne sont pas poussés, ils trouvent un certain répondant lorsqu’ils appellent les travailleurs à réagir. L’attitude des directions syndicales, y compris de la CGT, refusant de s’associer à l’appel du PCF à manifester le 16 octobre, est caractéristique de leur volonté de ne rien faire qui puisse contribuer à une mobilisation d’ensemble des travailleurs.
Rares sont les mouvements qui ont attiré même un instant une plus large attention comme celui des roulants SNCF au printemps. Encore plus rares les grèves qui ont duré des semaines, voire des mois, et ont fini par triompher comme celle des travailleurs d’Elf, grâce à des circonstances exceptionnelles qui opposaient les capitalistes entre eux.
La classe ouvrière n’est pas démoralisée, mais elle ne voit pas ou ne croit pas à une possibilité de bataille générale contre le patronat, d’autant plus qu’elle discerne fort bien qu’il a le soutien total du gouvernement, malgré les feintes colères de Jospin ou Aubry ou les présentations tendancieuses des syndicats et de la gauche plurielle.
C’est pourtant cette bataille générale, un mouvement d’ensemble, une grève générale, qui pourraient seuls renverser la situation, mettre un terme à l’offensive de la bourgeoisie, reprendre le terrain perdu, en reprendre même à l’adversaire et mettre les salariés en situation de force par rapport à leurs exploiteurs.
Avancée depuis quelques années par Lutte Ouvrière, avant d’être repris par d’autres groupes ou courants d’extrême gauche, l’idée d’un "plan d’urgence" a esquissé l’ensemble des mesures possibles et souhaitables à imposer pour changer la situation du monde du travail. Mais jusqu’ici l’agitation et la propagande en faveur de ces objectifs ont été faites surtout lors les campagnes électorales, qui ne fournissent pas les meilleures circonstances, qu’on le veuille ou non, pour insister aussi sur les luttes, le mouvement d’ensemble ou la grève générale, c’est-à-dire les moyens pour imposer ce plan d’urgence. Dans cet intervalle exceptionnel de deux années sans élections, la première tâche de notre organisation est donc de défendre cette perspective auprès des travailleurs, et d’autant plus qu’ils sont sceptiques, désabusés ou incrédules.
Pour l’extension de notre activité militante
Ni les campagnes électorales ni même les succès ne suffiront pour que nos idées et surtout nos perspectives soient de mieux en mieux entendues et perçues du monde du travail. Pour cela il nous faut toucher par notre activité militante une fraction de la population laborieuse plus importante.
Pour cela, la feuille d’entreprise a été le moyen essentiel utilisé par notre organisation jusqu’ici. Sans doute ni le seul ni adapté à toutes les circonstances, il est cependant dans la situation que nous connaissons encore aujourd’hui un moyen qui permet de faire connaître nos positions, nos arguments et notre existence même à l’ensemble des travailleurs du rang, un moyen aussi de trouver et regrouper les travailleurs les plus combatifs et les plus sensibles à nos idées ou nos perspectives. Il nous faut donc multiplier les feuilles d’entreprise.
La notoriété grandissante de LO depuis les élections présidentielles de 1995, renforcée encore par le récent résultat des européennes, fait justement qu’un certain nombre de travailleurs, souvent ex-militants ou sympathisants d’extrême gauche, de LO ou d’autres courants, trotskystes, communistes, libertaires, regardent vers notre organisation, dont forcément quelques-uns au moins dans des entreprises où nous ne sommes pas présents. Les rechercher systématiquement et leur proposer de nous aider à entamer un travail politique dans leur usine, chantier, laboratoire ou bureau, peut nous permettre d’apparaître dans quelques dizaines d’entreprises nouvelles, peut-être plus si nous savons utiliser tous les appuis connus, trouver ceux avec qui nous n’avons pas encore le contact direct.
La cible première pour la publication de ces feuilles reste bien entendu les plus grandes entreprises. Mais la tendance actuelle du capitalisme est de réduire les concentrations de salariés sur le même site pour disperser la main-d’oeuvre dans des entreprises plus petites, particulièrement en ce qui concerne les entreprises de production. Il nous faut donc cibler aussi les entreprises de taille moyenne, de quelques centaines de salariés tout au plus. De plus, dans les entreprises de cette taille, la présence syndicale étant faible, voire inexistante, le travail politique se double de celui de faire vivre ou revivre le syndicat, qui reste une des tâches permanentes des militants ouvriers communistes.
Avec la même volonté d’utiliser tous nos éventuels soutiens, il est même possible d’envisager ici ou là une feuille locale, sur une zone industrielle par exemple. Il faut certes prendre garde qu’elle ne serve d’ersatz de la feuille d’entreprise qui dans tous les cas est prioritaire. Et une feuille sur plusieurs petites entreprises d’un même secteur ou d’une zone industrielle nécessitant dès son démarrage, pour ne pas être une fiction, de soutiens bien plus nombreux qu’une feuille d’entreprise , est au-dessus de nos forces dans bien des cas. Mais peut-être pas dans tous. Elle pourrait alors contribuer à accroître notre implantation et, par les contacts que l’on nouerait, donner une possibilité supplémentaire pour l’organisation d’avoir connaissance d’un plus grand nombre de ces petits conflits, peut-être d’y intervenir.
Le déclenchement de grandes luttes dépend de nombreux facteurs, dont beaucoup nous échappent, et pratiquement pas de l’agitation des organisations politiques, même plus large qu’elle n’est actuellement. Cependant le moral et la confiance de la classe ouvrière en ses capacités, et donc sa confiance dans les perspectives que nous défendons, dépend en partie au moins du déroulement et de l’issue des luttes limitées qui s’engagent quotidiennement, c’est-à-dire du fait qu’elles soient menées jusqu’au bout de leurs possibilités, tant du point de vue des résultats matériels que des progrès dans la conscience des travailleurs. Et cette tâche reste bien celle des militants révolutionnaires même dans une période de relatif calme social. La plupart du temps, les organisations syndicales ne manifestent une combativité apparente que lorsque les travailleurs ne veulent pas se battre. Et encore ! Combien d’accords Aubry ont-ils été signés par ces organisations syndicales sans opposition active certes mais contre les sentiments des travailleurs ? Et surtout combien d’entre ces organisations syndicales, devant le moindre mouvement, même minoritaire, même très limité, même de 10 % seulement du personnel, n’ont-elles qu’une volonté, celle de l’arrêter au plus vite ?
Pour l’action commune avec le PCF et les organisations ouvrières
L’élection d’une vingtaine de conseillers régionaux de Lutte Ouvrière il y a un an, celle de députés européens cette année, n’ont pas changé l’importance et la force de Lutte Ouvrière dans la société, le nombre de ses militants ou de ses sympathisants actifs. Elles ont changé son importance sur la scène politicienne, aux yeux des médias comme des partis politiques, en particulier ceux de gauche.
Ce poids électoral, concrétisé par ces élus, a amené le PCF, dont la politique est essentiellement déterminée par les élections et l’activité parlementaire, à modifier sa politique à notre égard. Au parlement de Strasbourg, il a accepté l’intégration des élus trotskystes au groupe des Gauches Unies Européennes, accord purement technique mais dont il espère bien quelques retombées et bénéfices politiques. Et il a proposé la co-organisation de la manifestation pour l’emploi le 16 octobre, en attendant peut-être d’autres actions en commun sur ce thème ou sur d’autres.
L’action commune avec le PCF comme avec d’autres partis, syndicats, associations qui peuvent se réclamer de près ou de loin du mouvement ouvrier, voire simplement de la gauche, est souhaitable. Nous devons même prendre les devants et la rechercher systématiquement. Lutte Ouvrière doit avoir une politique, c’est-à-dire des propositions tant sur les modes d’action que sur les objectifs, à l’égard du PCF et des organisations qui peuvent compter dans le mouvement ouvrier, en premier lieu les grandes centrales syndicales. Le poids politique acquis aujourd’hui par notre organisation, en tout cas relativement à ces organisations, non seulement l’autorise, mais l’impose. Que le PCF juge bon de prendre lui-même l’initiative de nous faire des propositions en est une indication.
Il était donc juste de répondre positivement aux propositions du PCF, et d’accepter non seulement de participer mais aussi d’être co-organisateurs. Il était juste de proposer de donner une suite au 16 octobre sous la forme d’actions qui soient susceptibles d’élargir la mobilisation. Et il est juste de consacrer nos forces à mobiliser pour le succès des manifestations du 11 décembre. Il faudra répondre de la même façon à d’éventuelles propositions semblables à venir. Ou plutôt mieux même, en faire nous-mêmes.
Mais le PCF fait partie de la gauche plurielle. Il participe au gouvernement et soutient la politique anti-ouvrière de celui-ci, n’émettant des réserves et des critiques que pour justifier son alignement final. Ainsi, le 16 octobre, tout était soigneusement pesé et calculé pour que la manifestation aboutisse à conforter la politique de sa direction, celle dont Robert Hue se vante avec pas mal de cynisme, "un pied dans les institutions", "un pied dans le mouvement populaire" : le flou des objectifs de l’appel commun comme l’annonce du ralliement à la loi Aubry la veille. L’invitation faite à l’extrême gauche à participer et même co-organiser avait elle-même pour but de renforcer la démonstration. Le PCF pouvait faire défiler dans la rue ses propres troupes dont une partie renâcle devant la politique de Jospin, les flanquer même de celles des organisations anti-gouvernementales notoires que sont LO et la LCR, sans que cela ne change, n’ébranle ou ne nuise à son soutien et à sa participation au gouvernement.
Cela ne doit pas nous empêcher de saisir les occasions de nous retrouver avec les militants et sympathisants PCF, ou d’autres organisations plus ou moins liées au mouvement ouvrier, lorsqu’ à l’appel de leur direction ils descendent dans la rue pour exprimer même confusément des revendications et des aspirations qui sont celles des travailleurs. Le nombre des manifestants peut alors être un facteur contribuant à redonner le moral, à eux-mêmes ou à d’autres. Nous devons donc dans la mesure de nos moyens contribuer démonstrativement et ouvertement à faire qu’il y ait ce nombre, à appeler et organiser. Mais cela ne doit pas nous amener à fermer les yeux sur la politique de leur parti absolument contraire à ces aspirations et revendications.
Avec le PCF, aujourd’hui, il y a nécessité pour Lutte Ouvrière et l’extrême gauche de démontrer aux militants notre volonté d’agir en commun avec eux. Mais il y a aussi nécessité de ne pas donner ne serait-ce que l’impression que nous constituons même implicitement un front politique avec sa direction sur la base de la politique actuelle de celle-ci. Ne serait-ce que pour la clarté de la démonstration que nous voulons faire auprès des militants et travailleurs PCF : si nous sommes prêts à agir en commun y compris avec Robert Hue pour l’emploi, nous ne sommes pas prêts à approuver le moindrement son soutien au gouvernement. Et quand lui-même mélange les deux par sa propre attitude, c’est à nous de les démêler par la nôtre. Le 16 octobre, il était faux pour les révolutionnaires de défiler aux côtés ou bras dessus bras dessous avec des gens qui au même moment renouvelaient ouvertement leur soutien au gouvernement, votaient la loi Aubry, approuvaient une politique allant à l’encontre des buts mêmes de la manifestation et entendaient ouvertement se servir de celle-ci pour conforter cette politique, et de ne pas se démarquer sur ces questions.
Pour proposer l’action commune au PCF comme à d’autres partis, syndicats ou associations du mouvement ouvrier, il ne s’agit évidemment pas de mettre des conditions inacceptables tant par sa direction que par ses militants, d’exiger au préalable l’abandon des volets d’une politique que nous condamnons, comme le soutien au gouvernement, ou de ne pas être prêts à agir sur des objectifs limités sur lesquels il peut y avoir accord. Mais à chaque pas fait en commun, les modalités de l’apparition de notre organisation, les mots d’ordre et les slogans mis en avant, dépendent du contexte comme des objectifs que nous nous assignons mais aussi que les autres s’assignent. Dans une manifestation aux objectifs limités, mais clairs, il est parfaitement normal de se limiter à ceux-ci. Si le 16 octobre il n’avait été question que de manifester "pour l’emploi", Lutte Ouvrière aurait peut-être été fondée de se limiter à mettre l’accent uniquement sur "l’interdiction des licenciements" ou "le contrôle des comptes". Mais de par la volonté de la direction du PCF témoin l’annonce de son ralliement à la loi Aubry , il s’agissait aussi et avant tout d’une opération politique visant à justifier sa présence et son maintien au sein du gouvernement.
Nous n’entraînerons d’autres courants, militants ou organisations, dans des actions communes, et à plus forte raison dans une mobilisation croissante, comme LO le propose aujourd’hui au PC et aux syndicats, qu’en prouvant certes que nous sommes parfaitement loyaux dans l’action. Mais loyauté signifie aussi dire clairement ce pour quoi nous sommes prêts à combattre avec eux, ce pour quoi il n’en est pas question et ce à quoi nous nous opposons. Et le dire aux militants individuellement ou collectivement, aux directions et, quand il le faut, dans les actions menées en commun.
Pour la poursuite du front d’extrême gauche avec la LCR
Grâce à l’élection de deux députés européens de la Ligue Communiste Révolutionnaire et trois de Lutte Ouvrière, le front constitué entre les deux organisations à l’occasion de ces élections s’est maintenu. Mais depuis juin, il s’est surtout manifesté au parlement européen ou dans l’activité des députés européens.
La profession de foi commune, base politique de l’alliance conclue pour les élections, était un programme non pour les élections mais pour les luttes, comme Arlette Laguiller et Alain Krivine l’ont répété eux-mêmes au long de la campagne. Elle reprenait en effet l’essentiel du plan d’urgence popularisé par LO et que notre organisation, même quand elle l’a avancé en guise de plate-forme électorale, a toujours présenté comme la série d’objectifs que la classe ouvrière pourra et devra se donner quand elle entrera en lutte.
Les élections sont passées et ne se représenteront, heureusement, que dans un an et demi. Les grandes luttes ne sont toujours pas là. Mais la nécessité de les préparer dans la mesure de nos moyens, et donc la nécessité d’une agitation et d’une propagande pour le mouvement d’ensemble et les mesures d’urgence, demeure plus que jamais. La LCR et LO qui ont fait cette agitation à l’occasion des élections tout en disant que c’était pour préparer la suite sont maintenant dans cette suite.
Dans le droit fil de ce qu’elles ont dit, fait et promis ensemble, elles doivent maintenant prolonger leur campagne électorale par une nouvelle campagne commune sur le plan d’urgence et le mouvement d’ensemble. Et LO doit le proposer explicitement à la LCR.
Les modalités et le rythme meetings, rencontres militantes, affiches, tracts, etc. d’une telle campagne, hors élections, sont à définir et à débattre. Ses axes et ses points d’attaque aussi, afin de toucher le maximum de travailleurs et de militants en fonction de leurs préoccupations du moment : actuellement il est impossible de dissocier une campagne sur plan d’urgence d’une dénonciation de la loi Aubry vecteur actuel et surtout futur des attaques tous azimuts des patrons et du gouvernement et sans doute demain des projets de réformes de la Sécurité sociale, de la santé ou des régimes de retraite.
En tout cas il ne fait pas de doute qu’une telle campagne serait nécessaire. Elle permettrait de consolider l’alliance avec la LCR sur une politique de lutte de classe, de faire apparaître la force politique des révolutionnaires sur un autre terrain que celui des élections ou du parlement européen, de s’adresser aux autres organisations politiques ou syndicales ouvrières avec plus de crédibilité et de force et sans doute d’entraîner et de rassembler autour de nous un certain nombre de militants et de groupes, en tout cas d’extrême gauche.
La Ligue Communiste Révolutionnaire a fait depuis deux mois un certain nombre de propositions d’activités communes. Elles ont été jugées pointillistes ? Pas assez nettement insérées dans une perspective plus large en donnant l’impression de n’avoir d’autres finalités que de prouver une unité plus symbolique que réelle ? Peut-être. Mais en les rejetant pour l’essentiel sans s’en saisir pour proposer cette perspective plus large, Lutte Ouvrière ne répondrait pas mieux aux tâches de l’heure, et raterait une occasion de faire faire un pas en avant aux deux organisations.
12 novembre 1999

L’extrême gauche devant ses choix

9 mai 2002

Au-delà du psychodrame de l’entre deux tours des présidentielles qui a conduit au plébiscite de Chirac, restent les résultats réels du premier tour de ce scrutin : un désaveu de la droite et de la gauche gouvernementales (particulièrement marqué par la déroute du PS et l’effondrement du PC), le maintien de l’extrême droite à son haut niveau de 1995 et une poussée notable de l’extrême gauche qui dépasse les 10 %.
La présence pesante de l’extrême droite fait désormais partie d’un phénomène quasi général en Europe. L’exception française, en l’occurrence, tient à ce que le poids inquiétant de l’extrême droite est, pour la première fois, en partie contrebalancé par la percée électorale de l’extrême gauche. Non pas que les conditions objectives soient différentes en France de celles de l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche ou la Hollande… Même aggravation des conditions d’existence des couches populaires. Même polarisation de la richesse et de la pauvreté. Mêmes vagues de licenciements. Même discrédit des partis de gouvernement, de droite comme de gauche. Non pas même, sans doute, que les possibilités de mobilisation de la classe ouvrière ou son niveau de conscience, y soient différents. Les grandes manifestations italiennes contre Berlusconi en témoignent.
La différence tient à l’existence en France de Lutte Ouvrière qui, depuis près de trente ans, tout en privilégiant son identité prolétarienne, n’a pas hésité à se présenter aux suffrages des électeurs sur la base d’un programme d’opposition radicale à la gauche gouvernementale. Y compris à contre courant, quand l’électorat populaire misait ses espoirs sur l’union de la gauche et Mitterrand. Ce positionnement politique a longtemps cristallisé des scores ne dépassant pas les 3 %, tout en étant perçu… et apprécié, bien au-delà. C’est ainsi que l’extrême gauche a acquis une véritable identité politique au niveau national, avant même que les conditions soient réunies pour devenir une force politique significative (ce qu’elle n’est toujours pas). Les désillusions et surtout la démoralisation qui ont suivi la politique gouvernementale de la gauche et la montée du chômage se sont d’abord traduites pendant plus d’une décennie par la percée, puis la montée régulière de l’extrême droite. Puis les présidentielles de 1995 ont annoncé une nouvelle évolution avec le score d’Arlette Laguiller – 5,3 % – toujours sur la base de la même dénonciation radicale de la droite comme de la gauche gouvernementales et d’un programme de revendications d’urgence pour le monde du travail. Depuis, d’un scrutin à l’autre, ces scores n’ont fait que se confirmer, toujours sur le même positionnement politique (y compris aux dernières municipales où les scores de la LCR égalisaient ceux de LO, suite aux listes communes LO-LCR aux Européennes).
Comme quoi, même dans un contexte qui est loin de traduire une montée ouvrière, sans parler de conditions révolutionnaires, la classe ouvrière peut exprimer sa conscience politique et mesurer l’évolution de celle-ci, pour peu qu’on lui en donne vraiment l’occasion. La presse et les commentateurs ont bien sûr parlé de vote « protestataire », comme si le vote pour Arlette ou « le facteur » n’était jamais qu’un bras d’honneur sans lendemain. Eh bien non. Pris en ce sens-là, le vote pour l’extrême gauche, qui se confirme et progresse depuis sept ans, n’est pas plus un vote ‘protestataire’ que celui pour l’extrême droite. C’est un vote qui exprime un choix politique : le rejet de la gauche gouvernementale et de sa politique pour se tourner vers l’extrême gauche. Un choix qui pourrait bien devenir de plus en plus un vote de conviction.
En somme, même si les scores de l’extrême gauche dépassent de très loin son implantation militante, il reste que près de trois millions d’électeurs se reconnaissent désormais dans une force politique potentielle susceptible de prendre la relève révolutionnaire du PCF. Trois millions… contre, malheureusement, les cinq millions et demi qui regardent toujours vers l’extrême droite, laquelle, par ses liens avec la droite institutionnelle et l’appareil d’Etat, représente déjà nettement plus qu’une force potentielle !
Les plus et les moins de la situation

Le plus, donc, c’est cette nouvelle percée de l’extrême gauche, face au seul maintien de l’extrême droite. Certes, le nouvel effondrement du PC, en soi, n’a rien de particulièrement réjouissant. Mais cette fois-ci, bien plus qu’en 1995, il s’est fait franchement au bénéfice de l’extrême gauche. Il s’agit là aussi d’un fait nouveau : la désaffection à l’égard du PCF n’est plus désormais le symptôme de la seule démoralisation politique et militante, mais reflète une attente du côté des révolutionnaires. Et cela, c’est incontestablement un plus. Si l’on en croit le verdict électoral, il doit donc aujourd’hui exister, au sein des milieux populaires et militants, un certain espoir de voir les révolutionnaires pallier la déconfiture du PCF.
Autant de possibilités ouvertes pour l’extrême gauche, même si le hiatus entre l’attente électorale et la concrétisation des vocations militantes est grand.
Venons-en aux moins. Car rien n’est acquis, très loin de là. Avec un score actuel de 17 %, la percée de l’extrême droite remonte à près de vingt ans et ne s’est jamais démentie depuis. Là aussi, il ne s’est agi jusqu’à présent que d’une percée électorale qui n’a pas entraîné la création d’un parti fasciste. La situation économique ne contraint pas aujourd’hui la grande bourgeoisie de ce pays à financer des troupes d’extrême droite prêtes à en découdre avec les militants de gauche ou d’extrême gauche, ni même à recruter de quoi faire la loi dans les cités populaires. Et jusqu’à présent, à supposer qu’il le souhaite un jour et qu’il trouve les troupes ad hoc, Le Pen n’a jamais fait le choix des gesticulations musclées dans la rue, se cantonnant chaque année à sa procession rituelle du 1er mai en l’honneur de Jeanne d’Arc.
Pour le moment, la grande bourgeoisie n’a pas intérêt à voir l’extrême droite, Le Pen ou un autre, venir au gouvernement. Le patron du MEDEF, le baron Seillière, s’est même payé le luxe d’affirmer en substance que Le Pen pourrait provoquer des troubles sociaux et que son programme démagogique serait moins favorable au patronat que les politiques anti-sociales menées par la gauche ou la droite ! Mais si la prospérité actuelle de la bourgeoisie française ne la conduit pas aujourd’hui à envisager d’un bon œil un gouvernement d’extrême droite, ou à participation d’extrême droite, cela ne veut pas dire qu’elle ne voit aucune utilité à l’existence d’un fort courant d’extrême droite. D’abord parce qu’elle préfère disposer d’une telle force en cas de besoin. Ensuite parce qu’elle sait que l’extrême droite exerce une pression sur tous les gouvernements, de gauche ou de droite, dans un sens hostile aux travailleurs.
Bref, sans représenter un véritable péril fasciste, le poids de l’extrême droite constitue bel et bien un danger potentiel.
10 % à l’extrême gauche, 17 % à l’extrême droite, cela traduit certes une polarisation aux extrêmes. Mais pour risquer un raccourci, disons que les conditions d’un parti révolutionnaire en France seraient sans doute réunies si le même thermomètre électoral affichait plutôt les chiffres inverses. Cela permet du moins de mesurer la distance à parcourir… et pas sur le seul terrain électoral !
Il serait un peu forcé de parler aujourd’hui de « course » entre l’extrême gauche et l’extrême droite (la situation actuelle n’ayant pas grand chose à voir avec celle de l’Italie ou de l’Allemagne des années vingt). En revanche, suite au profond discrédit des partis de gauche au sein des masses populaires, c’est effectivement à l’extrême gauche, forte des suffrages qui se sont portés sur elle, qu’il revient de disputer à l’extrême droite l’influence sur les couches populaires, autrement dit, de reconquérir cette influence idéologique que l’extrême droite, précisément, s’est taillée depuis vingt ans dans les milieux ouvriers essentiellement aux dépens de celle du Parti communiste.
Comment faire pièce à l’extrême droite ?

Ne parlons même pas de la comédie du « vote antifasciste » consistant à plébisciter Chirac au second tour des présidentielles. La gauche elle-même remporterait-elle les législatives, et, hypothèse d’école, assisterait-on à une nouvelle mouture de cohabitation après le scrutin du 9 juin prochain, que les conditions seraient parfaitement réunies pour que l’extrême droite – avec Le Pen ou un autre – atteigne de nouveaux sommets dans les années qui viennent, même si le Front National n’avait aucun député à la chambre. Les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Et peut-être en pire.
L’enjeu actuel d’une lutte véritable contre l’ascendant de l’extrême droite, est de réussir à redonner espoir aux couches les plus démoralisées du monde ouvrier, autrement dit à lui redonner des perspectives politiques et l’envie de renouer avec le militantisme prolétarien.
La quadrature du cercle, vu les faibles forces militantes de l’extrême gauche en dépit de ses scores électoraux ? Peut-être. Mais ce qui est sûr, c’est que cet espoir et ces perspectives ne viendront pas d’ailleurs, et que le thermomètre électoral nous indique que, somme toute, pour une fois, la balle est sans doute dans le camp des révolutionnaires.
Les révolutionnaires devront certes réunir bien des conditions militantes, diriger des luttes marquantes et faire preuve de toutes sortes d’initiatives politiques pour atteindre cet objectif.
Mais il est une condition sine qua non : qu’ils continuent de défendre un programme d’opposition intransigeante à tous les partis qui se sont relayés au gouvernement depuis vingt ans, donc y compris à ceux de l’ex gauche plurielle ou de la future « gauche unie ».
L’extrême gauche pourrait participer à tous les défilés anti-Le Pen qui se présentent, qu’elle en soit ou non à l’initiative, et même réussir a rassembler (voire recruter) beaucoup de monde sur cette base, qu’elle risquerait de perdre le crédit qu’elle a acquis ces dernières années dans l’opinion populaire, donc de ruiner ses chances de pouvoir sérieusement faire pièce aux démagogues d’extrême droite, si elle se contentait, sous une forme ou une autre, de devenir l’appendice (donc la caution) d’extrême gauche de la gauche gouvernementale, que celle-ci soit ou non aux commandes. Elle pourrait même contribuer ainsi à dédouaner cette même gauche et lui redorer son blason auprès des masses en laissant croire qu’elle est à la tête du combat contre l’extrême droite, comme cela est en train se passer en Italie à l’occasion des grandes manifestations contre Berlusconi.
La plus grave erreur, en la circonstance, serait de donner une caution politique aux appareils de la gauche, voire de la droite, sous couvert de « front unique » contre l’extrême droite ou de prétendre faire « barrage ». Et c’est précisément la faute que la LCR n’a pas pu s’empêcher de commettre entre les deux tours. Pour ne pas se couper des masses ? Lesdites masses, qu’elles aillent ou non voter Chirac, n’en demandaient pas tant. Et Chirac une fois élu, il aurait mieux valu qu’elles se souviennent que toute l’extrême gauche avait fait bloc pour dénoncer l’opération d’intoxication des partis institutionnels. C’est un tel bloc d’extrême gauche, peut-être à contre courant pendant quelques jours, mais capable de défiler le 1er mai avec des mots d’ordre contre Le Pen et contre Chirac, qui aurait fait la preuve de sa consistance politique tant auprès des plus larges couches populaires (y compris celles qui regardent vers l’extrême droite), que de la jeunesse qui vient de montrer qu’elle ne demande qu’à s’éveiller à la conscience politique. Hélas, pour faire bloc, il faut être au moins deux, et LO était seule à tenir ses positions.
Le jeu de dupes du second tour n’aura sans doute été, au bout du compte, qu’une brève péripétie politicienne. Assez brève, espérons-le, pour que le million et demi de personnes qui ont défilé dans les rues le 1er mai, sans parler des dizaines de milliers de lycéens qui se sont mobilisés le reste de la quinzaine, en sortent vaccinés pour les prochaines mobilisations qui les attendent. Mais en raccourci, l’épisode résume assez bien le type d’épreuves politiques qui risquent d’attendre l’extrême gauche dans la période à venir.
Différents scénarios

Pour l’heure, nous n’en sommes qu’à faire le bilan de scores électoraux, éminemment volatils, même s’ils reflètent une tendance qui, pour l’extrême gauche, se confirme depuis sept ans. Mais il n’y a aucun automatisme en la matière, et l’extrême gauche pourrait se retrouver totalement marginalisée, sans que la situation objective lui soit forcément défavorable.
Imaginons que l’extrême gauche ne réponde pas aux attentes que traduisent ses scores, et que l’extrême droite se consolide encore. Le PCF quant à lui, ne se relèvera probablement pas, laissant le soin à ses ex ministres et élus de se reaycler au PS ou au Mouvement des Citoyens, voire chez les Verts. S’il y a des conflits sociaux, on pourra compter sur les appareils syndicaux, plus que jamais intégrés à l’appareil d’Etat, pour les dévoyer, voire les contrer directement. Imaginons qu’une partie de l’extrême gauche, en l’occurrence la LCR, forte de sa propre percée électorale, revienne à ses vieux démons et, à l’exemple de ce qui s’est passé en Italie par exemple, consacre toute ses nouvelles énergies militantes à remettre en selle les débris du stalinisme pour constituer un appendice de la social-démocratie tel que Rifondazione communista, ou, version plus française, à s’agglomérer au front disparate de ce qu’elle appellera avec optimisme une « alternative radicale contre la droite et l’extrême droite ». Elle se discréditera encore plus vite que le PCF ne l’a fait, tout en ayant contribué à ériger un obstacle de plus à la construction d’un authentique parti révolutionnaire.
Certes, en France, le verdict électoral a pour l’instant donné raison, au sein du mouvement trotskyste, à la tendance qui a toujours maintenu le cap, c’est-à-dire à Lutte Ouvrière, la LCR n’ayant atteint des scores comparables qu’en adoptant la même orientation fondamentale.
Mais l’on ne saurait, dans la situation actuelle, se contenter et encore moins se satisfaire de l’expérimentation parallèle des orientations divergentes de ces tendances du trotskysme. Plus exactement, le mouvement trotskyste, en France, aurait aujourd’hui beaucoup à perdre à renoncer à constituer son propre front d’extrême gauche sur l’orientation politique intransigeante que lui ont valu ses derniers succès électoraux.
Chacun pour soi ?

En fait il y a une bataille politique à mener au sein de l’extrême gauche, d’une organisation à l’autre, certes, mais aussi au sein de chaque organisation, pour constituer ce front des révolutionnaires susceptible de constituer la seule véritable force d’opposition politique aux appareils politiciens de droite et de gauche, dans laquelle pourrait se reconnaître les couches les plus opprimées et exploitées de la population.
Un tel front ne supprimerait pas la plupart des divergences politiques qui justifient l’existence séparée des organisations trotskystes depuis des décennies, et qui – là dessus la LCR comme LO sont bien d’accord – ne sauraient être départagées qu’au sein d’un véritable parti de plusieurs dizaines de milliers de membres.
Mais ce front de l’extrême gauche est aujourd’hui nécessaire pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il existe de fait sur le terrain électoral depuis le succès de la campagne d’Arlette Laguiller en 1995, sur la base du programme d’urgence qu’elle avait défendu. Qu’il s’est concrétisé aux Européennes par des listes communes, sur une même profession de foi, mais qu’il s’est poursuivi de fait, en dépit des deux candidatures séparées, aux dernières présidentielles, sur la base du même programme de dénonciation de la droite comme de la gauche plurielle et d’exigence de l’interdiction des licenciements. Et si ce front programmatique, à défaut d’être organisationnel, a été possible à l’occasion des dernières élections, il n’y a pas de raison d’y renoncer en dehors des élections.
Bien sûr, il aurait mieux valu qu’aux prochaines législatives les deux organisations concluent un accord de répartition sur la base d’une orientation commune. D’abord pour des raisons électorales bien sûr, dans la mesure où le réflexe du vote utile, face à l’extrême droite et aux candidatures unique de la gauche, risque de toutes façons de peser sur le vote d’extrême gauche, et que les nouveaux électeurs des deux organisations seront forcément déçus de la présence concurrente des deux candidatures d’extrême gauche. Mais, bien plus important pour l’avenir, parce qu’un tel accord aurait permis de confirmer l’orientation politique de l’ensemble de l’extrême gauche lors de la campagne des présidentielles.
Bien entendu, le flottement puis le revirement politique de la LCR entre les deux tours inaugurait mal d’un accord possible et pouvait faire craindre le retour à ses vieilles orientations qu’elle résumait par le slogan « battre la droite et l’extrême droite », même si elle en change aujourd’hui quelque peu la formulation. Mais la bataille valait la peine d’être menée (d’autant qu’au sein de la LCR, nombreux ont été les militants qui n’ont pas apprécié le dérapage de l’appel à voter contre Le Pen, donc pour Chirac) ; et c’était à LO, qui garde à son actif d’avoir toujours tenu l’orientation politique permettant la percée électorale de l’extrême gauche, de proposer une plate-forme, voire une profession de foi communes. La discussion aurait peut-être échoué, mais il fallait la mener.
Certes, le score d’Olivier Besancenot aux présidentielles, talonnant celui d’Arlette Laguiller, constitue un succès notable pour la LCR, sur la base même du programme de LO, succès que la tendance la plus droitière de la même LCR s’est empressée d’exploiter à son profit…
Mais pour l’heure, le rapport des forces politiques global au sein de l’extrême gauche reste toujours en faveur de son aile la plus intransigeante. C’est du moins la leçon des scrutins des sept dernières années. L’erreur serait de renoncer à vouloir entraîner la Ligue Communiste sur l’orientation d’Arlette Laguiller, de se cantonner à sa propre originalité, voire, plus ennuyeux encore, de miser en quelque sorte sur la politique du pire et se dire, les raisins étant toujours trop verts, que le mieux est de permettre à toutes les politiques de faire leurs preuves, et de se féliciter, par exemple, que la LCR, forte de sa percée électorale et sous la pression de sa propre droite, puisse prendre la responsabilité effective de son suivisme vis-à-vis de la gauche.


Au-delà des élections, un bloc d’extrême gauche sur un programme de défense du monde du travail, contre la droite, la gauche gouvernementale et l’extrême droite

Oui, il faut un front, ou si l’on préfère un bloc, de l’extrême gauche face à l’extrême droite et aux partis traditionnels de la droite et de la gauche. Un front susceptible de rallier l’adhésion morale des couches populaires qui ont le plus souffert de la politique anti-ouvrière des vingt dernières années. Un front permettant de présenter une alternative à la déroute du PCF, sur la base d’un programme de défense des intérêts du monde du travail contestant directement la politique menée tant par la droite que par la gauche. Un front susceptible de mettre l’extrême gauche en meilleure situation de proposer au reste du mouvement ouvrier les mobilisations unitaires indispensables, tant sur le terrain politique, entre autres contre l’extrême droite, que sur celui de la défense des intérêts des travailleurs.
En ce qui concerne les luttes ouvrières, ce front de l’extrême gauche se devra de militer pour une lutte d’ensemble, sur un programme revendicatif général à la classe ouvrière, celui avancé tant par Arlette Laguiller qu’Olivier Besancenot aux dernières présidentielles. Ce programme comprend les mesures que la classe ouvrière devra imposer pour assurer la défense de ses intérêts vitaux (interdiction des licenciements, revalorisation uniforme des salaires, des retraites et des minima sociaux, lutte contre la précarité, la flexibilité, l’exclusion et la misère qui gagne les cités populaires et les campagnes, suppressions des subventions au patronat, contrôle des comptes des entreprises et des banques, augmentations des impôts des grandes sociétés, suppression des impôts indirects comme la TVA, révocabilité des élus). C’est ce programme qu’il s’agit de mettre en avant aux élections législatives, face à tous les prétendus programmes dont on nous rebat les oreilles aux élections du type « France forte », « France sûre » ou « France rassemblée ».
Il s’agit de défendre ensemble, contre les partis de gouvernement, une politique d’unité des luttes ouvrières qui nécessite de s’adresser aux organisations ouvrières tout en défendant une politique offensive à leur égard. Le crédit de l’extrême gauche lui permet de parler fort et clair au mouvement syndical et ouvrier pour proposer les initiatives de lutte d’ensemble que ce soit pour les retraites, la défense des salaires et des emplois. Et les occasions de prendre de telles initiatives vont se précipiter, car il n’y a pas de pause pour les attaques anti-sociales. En témoignent les plans sociaux qui se sont multipliés en pleine période électorale (14 000 suppressions d’emplois ces dernières semaines, relève Le Monde du 2 mai 2002, dus aux tous derniers licenciements collectifs contre lesquels le gouvernement de gauche n’a pas levé le petit doigt, sans compter toutes les suppressions d’emplois programmées mais pas encore annoncées).
Un sondage de l’INSEE, réalisé avant le premier tour, mais rendu public après, relève que le moral des ménages français est au plus bas pour deux raisons : la baisse des revenus des ménages et l’emploi. Une autre question peut mettre en cause le calme social : celle de la baisse des revenus liée à l’inflation. Ou encore celle des retraites menacées par les projets du patronat. Les attaques patronales et gouvernementales contre le monde du travail vont rendre inévitable des confrontations dans les mois à venir. Si une telle lutte était empêchée, détournée ou battue, le risque serait grand, avec le découragement, que le mécontentement social profite à l’extrême droite. Que la lutte démarre sur l’une ou l’autre de ces questions, il appartiendra à ce front d’extrême gauche de militer pour qu’elle aille jusqu’au bout, pour qu’elle ne soit pas dévoyée, arrêtée avant terme, trahie en somme.

En Europe, l’extrême gauche française est sans doute aujourd’hui la mieux placée pour remporter ce défi. En tout cas, depuis trente ans, la reconstitution d’une vaste armée industrielle de réserve, la polarisation croissante de la richesse et de la pauvreté, a privé les appareils réformistes traditionnels d’une bonne partie de leur pouvoir d’illusions sur les masses, du moins pour un temps. Et l’extrême gauche, au travers de la caisse de résonance des différentes élections, a su donner une audience à ses propres orientations. Toute la question est de savoir si les révolutionnaires, qui viennent de supplanter le PCF dans l’électorat populaire, sauront, face à l’extrême droite et aux partis gouvernementaux, lui substituer une véritable force politique révolutionnaire. Les conditions de l’émergence d’une telle force n’ont jamais été aussi propices depuis la dernière guerre, et la perspective d’un parti révolutionnaire pourrait peut-être enfin sortir du domaine de l’espoir théorique.
9 mai 2002

La large participation à la manifestation des travailleurs d’EDF-GDF le 3 octobre dernier indique que les travailleurs pourraient bien prendre le coup de colère, en ce mois d’octobre ponctué de multiples journées d’action, et marquer ainsi le début d’une réaction ouvrière de plus grande envergure. Mais les perspectives d’une contre-offensive de la classe ouvrière sont hypothéquées par la politique des organisations ouvrières, syndicats et partis de gauche, qui conservent une attitude plus que réservée.
La déception des salariés devant la politique anti-ouvrière de la gauche puis la déconfiture électorale de celle-ci, ont pu contribuer à donner un répit provisoire au nouveau gouvernement. Mais la réalité des mesures gouvernementales ne peut manquer de réveiller le mécontentement social, ce qui est déjà en train de se produire. Reste à savoir si la réaction ouvrière sera à la mesure des attaques ou si les confédérations syndicales vont parvenir à jouer leur rôle de modérateur et à organiser l’émiettement des conflits.
Si le gouvernement annonce tout un programme d’attaques pour décider ensuite par où commencer, les syndicats ont la tactique inverse. Réponses au coup par coup, soigneusement séparées et échelonnées. Ils n’ont aucune stratégie visible de mobilisation croissante, aucun plan visant à une riposte d’ensemble.
Au lieu de proposer des plans de mobilisation crédibles les directions syndicales s’acharnent à disperser les réactions ouvrières dans des journées d’action sans lendemains annoncés et destinées à épuiser la combativité ouvrière. Et ce ne sont pas les partis de gauche, ni le PS ni le PCF, ni même leurs dissidents “ de gauche ” qui vont mettre en avant des objectifs de lutte propres aux travailleurs. Le fait qu’ils soient dans l’opposition ne les a pas reconvertis à la lutte de classe. Si le PS a annoncé une grande offensive c’est sur le terrain... parlementaire en ralentissant le débat sur les 35 heures et sur le budget. Quant au PCF, lors de son conseil national des 28 et 29 septembre, il a déclaré dans un paragraphe intitulé “ nous ne sommes pas un syndicat ” : “ Mais notre rôle dans ces batailles ne peut s’assimiler à celui d’un syndicat. Ces derniers prendront leurs responsabilités. (..) Mais notre vocation se situe sur une autre dimension. Nous devons avancer notre vision alternative (..) notre conception d’ensemble de la société. ” En somme, le PCF renvoie la balle aux directions syndicales, censées “ prendre leurs responsabilités ”. Lui-même s’en dispense.

A l’extrême gauche… de repartir en campagne, sur le terrain social !

C’est donc à l’extrême-gauche que revient la responsabilité de défendre une perspective de lutte d’ensemble. Arlette Laguiller et Olivier Besancenot, chacun pour leur propre organisation, ont avancé dans leurs déclarations de rentrée la perspective d’une lutte d’ensemble en se référant à décembre 1995. “ Le monde du travail, s’il a été trompé par les partis de gauche lorsqu’il était au gouvernement, n’a rien perdu de sa force, et il peut faire reculer le gouvernement, comme il a fait reculer le gouvernement Juppé dans les grèves de 1995 " disait le communiqué du 6 septembre de la porte-parole de notre organisation . Perspective qu’Olivier Besancenot avait également évoquée dans son discours à l’Université d’été de la LCR : " On va tout faire pour qu’un mouvement d’ensemble des salariés, secteurs privés et publics unis, voie le jour, pour de vraies conquêtes sociales, pour faire face à l’urgence actuelle. Notre responsabilité, c’est de casser la fatalité, de tuer la résignation, de proposer un front unitaire des travailleurs. Un front rassemblé sans exclusive, dans l’action permanente pour défendre nos retraites, nos emplois, nos salaires ou nos services publics ".
Certes, les organisations d’extrême gauche n’ont pas le poids militant qui permettrait de se substituer aux directions syndicales et d’appeler directement à la généralisation du mouvement avec une chance de succès, ni même celui d’imposer un tel “ front unitaire ” à des organisations ouvrières qui ne le souhaitent pas, en tout cas en l’absence d’une telle volonté manifeste dans la classe ouvrière. Même si ce “ front unitaire des travailleurs ” dont parle O.Besancenot serait de la plus grande nécessité aujourd’hui.
Cela ne signifie pas que les organisations d’extrême gauche doivent rester sur la réserve. Au contraire. La manifestation des gaziers et électriciens du 3 octobre a montré, pour le moins, que les travailleurs répondaient massivement présent, pour peu qu’on les appelle à l’action. Elle a montré qu’il existe un mécontentement latent chez les travailleurs, en décalage avec les objectifs limités et dispersés avancés par les organisations syndicales. Et si les syndicats n’ont pas donné à cette journée la suite qu’elle aurait méritée, s’ils ne s’en sont pas servi comme point d’appui à une généralisation de la réaction ouvrière, il est d’autant plus vital que de tels objectifs soient défendus largement par les révolutionnaires. Dans son meeting de rentrée du 4 octobre, Arlette Laguiller proposait de “ propager l’idée de la généralisation de la contre-offensive ouvrière ”. En effet. Mais une telle perspective mérite d’être défendue par les révolutionnaires beaucoup plus largement que dans leur milieu proche ou dans leurs secteurs d’intervention habituels.
Pendant la campagne électorale, les différents groupes d’extrême gauche ont popularisé les objectifs que les travailleurs peuvent donner à leurs luttes. Maintenant que les élections sont passées et que les travailleurs sont confrontés à la fois aux attaques gouvernementales et patronales et à la politique d’émiettement des appareils syndicaux, il serait nécessaire et souhaitable que les révolutionnaires relancent une campagne politique publique sur les mêmes thèmes. Et si possible qu’ils mènent cette campagne ensemble.
Car si le programme de mesures d’urgence a touché de larges couches de travailleurs pendant la campagne électorale, il faudrait que les mêmes, du moins une bonne partie, sachent que l’extrême gauche continue à défendre de telles perspectives au-delà des élections. Evidemment, nous ne disposons plus des moyens officiels d’une campagne électorale. Mais nous pouvons néanmoins nous donner les moyens d’une véritable campagne politique : campagne d’affiches, de tracts, de communiqués et meetings communs sur les mêmes thèmes.
Dans le contexte actuel, non seulement un certain nombre de salariés pourraient être réceptifs à l’idée d’une généralisation des mouvements, mais ils pourraient ensuite la reprendre à leur compte.
Les organisations d’extrême gauche qui le souhaitent peuvent donc jouer un rôle actif dans ce sens. Elles peuvent faire tout leur possible pour mener une campagne active en faveur d’un mouvement d’ensemble, en exprimant les revendications et les objectifs communs à tous les travailleurs, objectifs communs sur lesquels les différents mouvements pourraient converger.

C’est donc le moment de repartir en campagne. C’est le moment, tant que les organisations syndicales n’ont pas encore épuisé la combativité ouvrière en multipliant jusqu’à plus soif les journées sans lendemain, et que la perspective d’un mouvement d’ensemble reste entière.
Il ne s’agirait peut-être encore que d’une campagne propagandiste mais qui populariserait toutes les revendications permettant d’établir un pont entre les différentes catégories de travailleurs :
l’interdiction des licenciements
l’embauche massive dans les services publics (financée par la suppression des subventions au patronat),
l’augmentation générale des salaires (300 euros minimum d’augmentation mensuelle pour tous), des allocations et minima sociaux et leur indexation sur la hausse réelle des prix
la défense des régimes de retraite par répartition et le retour aux 37 ans et demi pour tous
l’embauche de tous les précaires qui le veulent,
la régularisation des sans-papiers,
les 35 heures avec embauches compensatoires, sans flexibilité ni perte de salaire,
l’interdiction de la privatisation des services publics

Les groupes d’extrême gauche, à commencer par LO et la LCR, devraient pouvoir s’entendre sur le contenu d’un tel programme d’urgence actualisé, et disposent des moyens militants de mener une telle campagne à l’échelle nationale. Même s’il a été tempéré par les maigres résultats des législatives, l’effet du score additionné de plus de 10 % des trois organisations trotskistes en lice à la présidentielle n’a pas été effacé, ce qui veut dire que les travailleurs et les militants y prêteront attention, surtout si la campagne répond à leurs préoccupations et aspirations. De plus, la récente campagne électorale s’est traduite par une petite progression des sympathies au sein de la population. La LCR affirme ainsi avoir attiré des centaines de nouveaux sympathisants et pouvoir s’implanter dans de nouvelles villes (Inprecor, juillet 2002). Lutte Ouvrière, dans le même ordre de grandeur, a aussi gagné de nouveaux contacts à l’échelle nationale, y compris dans de nouvelles villes.
De nouveaux sympathisants, de nouvelles recrues, des relais dans des localités d’où l’extrême gauche était absente jusque là : cette base élargie, au niveau national de surcroît, devrait faciliter l’impact d’une telle campagne politique. Les révolutionnaires devraient dès maintenant mettre le capital de sympathie gagné au travers des élections et le petit élargissement organisationnel qui semble cette fois-ci avoir suivi, au service de la propagande active pour une lutte d’ensemble des travailleurs.

L’occasion de renforcer ses liens avec les autres militants ouvriers

Une telle campagne politique pourrait également permettre de se lier à de nouveaux travailleurs, en particulier aux jeunes ouvriers qui regardent vers l’extrême gauche depuis son apparition médiatique, mais sans avoir encore franchi le pas militant. Elle viserait également à s’adresser plus spécifiquement aux milieux militants de la classe ouvrière (militants syndicaux de toutes étiquettes, sympathisants, militants ou ex militants du PC…), et ce serait un premier pas pour se lier à eux plus largement sur une base commune : la préparation d’une contre- offensive d’ensemble.
Une telle campagne en faveur du mouvement d’ensemble aurait-elle peu de chance de dépasser le simple stade propagandiste, tant que l’extrême gauche n’aurait pas établi plus largement qu’actuellement des liens de confiance avec les militants de la classe ouvrière de toutes tendances ? Peut-être. Mais justement, cette campagne serait aussi un pas dans cette direction. Elle peut contribuer à établir de tels liens et préparer les conditions ultérieures d’une véritable politique de front uni. D’autant que les révolutionnaires ont marqué des points auprès d’une fraction des militants ouvriers lors de la récente campagne électorale. Le fait que le porte-parole de la LCR, Olivier Besancenot, ait été chaleureusement accueilli à la dernière Fête de l’Humanité par une partie du milieu du PC, militants et sympathisants, témoigne que la sympathie que ces derniers portent à l’extrême gauche (qui s’est traduite dans les scores du premier tour des présidentielles) est encore intacte. Et il est probable qu’Arlette Laguiller aurait recueilli les mêmes témoignages de sympathie (même s’ils n’auraient pas forcément été exprimés par les mêmes militants). Cela signifie que les révolutionnaires ne sont pas en mauvaise position pour convaincre toute une partie des milieux militants de la classe ouvrière de la nécessité d’un programme de revendications et de mobilisation d’ensemble. Reste à savoir si les organisations d’extrême gauche ont cette préoccupation, et la volonté de mener une politique dans ce sens.

Pour ce qui est de notre organisation, Arlette Laguiller observait à juste titre le 4 octobre dernier que des milliers de militants et sympathisants du PC continuent, malgré les trahisons successives de leurs partis, à militer : au niveau syndical, associatif, dans les milieux ouvriers, chômeurs et populaires. Elle appelait ces militants à "déborder le cadre de la politique que propose le Parti Communiste". Mais, pratiquement, que propose notre organisation à ces militants pour déborder ce cadre ? Si nous ne leur faisons aucune proposition, autant dire qu’on les laisse livrés à eux-mêmes. S’adresser à eux, ce serait leur proposer, à eux et à leur parti, de se battre ensemble sur des objectifs communs aux travailleurs, sur ce programme de revendications et de mobilisation d’ensemble, quel que soit son intitulé, dont Arlette Laguiller parle par ailleurs. En revanche ne faire aucune proposition ne pourrait qu’aboutir à faire douter de notre volonté de mettre notre politique à l’unisson de nos discours.

Quant à la Ligue Communiste Révolutionnaire, elle semble attentive à la crise des organisations de gauche, et en particulier à celle du PCF. Et face à ce qu’elle appelle "l’ouverture d’un espace à gauche", elle se donne même un air plus offensif que Lutte Ouvrière. Mais l’attitude offensive ne suffit pas, encore faut-il savoir pour quels objectifs.


Front uni, ou front populaire ? Les chausse-trapes de l’ambiguïté

La LCR a appelé en cette rentrée à des forums de rencontre et de discussion dont l’objectif essentiel serait de " réaliser les convergences entre des militants qui aspirent à changer la gauche... pour changer le monde " (Rouge, 19/09/02). Dans sa démarche, la LCR ne s’adresse donc pas prioritairement aux militants ouvriers, et quand bien même de tels militants se retrouveraient à ce genre de forums, la discussion sur un mouvement d’ensemble des travailleurs (dont elle fait également mention) serait donc noyée dans d’autres considérations, celles de ceux qui voudraient construire " une vraie gauche " ou " un parti anti-capitaliste, féministe, écologiste, internationaliste ". L’objectif de ces rencontres reste donc volontairement ambigu. Soit il s’agit de construire la Ligue (faute d’autres interlocuteurs… ) en réunissant ses nouveaux sympathisants. Mais alors, pourquoi édulcorer le programme et ne parler que de “ vraie gauche ” ou de “ parti anti-capitaliste ”, et pas de parti communiste révolutionnaire ? Soit il s’agit de séduire différents types de refondateurs au sein du PC ou de politiciens du PS en mal de “ pôle de radicalité ” en rassemblant tout le monde autour de la perspective d’une “ vraie gauche ”. Mais cette fois on est très loin de perspectives de lutte de classe. Et le “ Front unitaire ” pour les luttes dont parle Olivier Besancenot fait dès lors plutôt penser à un ersatz de Front populaire en vue d’un programme… électoral sinon gouvernemental ! Car à quoi rime aujourd’hui cette insistance de la LCR, dans des déclarations d’Alain Krivine (fête de l’Humanité) ou d’Olivier Besancenot (tribune dans Le Monde du 26 septembre) à se référer à la possibilité d’un “ gouvernement de rupture avec le capitalisme ”, au fait que les révolutionnaires savent eux aussi “ prendre leurs responsabilités ”, sans qu’il y soit question de renversement du capitalisme, de révolution sociale, en invoquant même parfois l’expérience de “ démocratie participative ” de Porto Alegre ? Cultiver à ce point le flou et l’ambiguïté vise peut-être à rallier tous les tenants de la “ vraie gauche ”, ceux qui se veulent “ 100 % à gauche ”, mais certainement pas à affirmer son identité communiste révolutionnaire ni même à proposer un quelconque ralliement autour d’un programme de mobilisation et de lutte pour l’ensemble des travailleurs.

La “ vraie gauche ” ? Parlons-en.

Il est vrai, pour reprendre les termes employés par la LCR qu’un " espace politique s’est ouvert à gauche ", sur la base de l’échec et du discrédit de la gauche. Le problème, c’est de savoir si les révolutionnaires vont tout faire pour que cet espace soit occupé par un pôle des communistes révolutionnaires, ou s’ils vont contribuer à la constitution d’une “ gauche de la gauche ”, autrement dit à la énième entreprise de recyclage des débris de la gauche gouvernementale.
Bien sûr, il est nécessaire dans le contexte actuel de s’adresser politiquement aux militants de gauche déçus, en particulier aux militants du PCF. Quand on lit dans Inprecor (juillet 2002) : " la phase de crise du PC exige une série d’initiatives spécifiques de la Ligue ", on peut approuver cette préoccupation d’entamer une démarche vis-à-vis du PC. Mais cette démarche, la LCR la fait de la mauvaise manière. Au lieu de gagner les militants de gauche à une perspective de luttes sociales, elle tente de les raccrocher à leurs illusions passées. "Ne pas abandonner des secteurs populaires pour qui les combats d’une vraie gauche gardent un sens, voilà la signification de la référence 100% à gauche " lit-on plus loin.
Mais que sont les " combats d’une vraie gauche " ? Le rôle des directions de gauche a toujours été d’abuser de la confiance des travailleurs pour mener une politique en faveur de la bourgeoisie. La gauche au pouvoir ces cinq dernières années l’a encore montré. Depuis des décennies, aussi loin qu’on remonte dans l’histoire bourgeoise de ce pays, où est donc “ la vraie gauche " ? Celle de 1848 qui a livré les ouvriers désarmés à la répression ? Celle des socialistes de 1914 qui se sont joint à l’Union Sacrée ? Celle de la guerre d’Algérie et des guerres coloniales ? Celle qui avec Mitterrand a couvert le génocide du Rwanda ? Et ce ne sont que quelques exemples. Si des "secteurs populaires" peuvent encore avoir des illusions sur la gauche, les révolutionnaires devraient bien se garder de les entretenir.
Sans compter qu’entretenir des ambiguïtés par rapport à une "vraie gauche" ne peut que susciter la méfiance d’une large partie des travailleurs qui aujourd’hui s’en est détournée, parfois même pour lorgner vers l’extrême-droite. Mais ces travailleurs-là ne se sont pas forcément détournés de la lutte sociale, et c’est sur ce terrain-là principalement qu’on peut s’adresser à eux. C’est sur ce terrain qu’on pourra les ravir à l’influence du Front National, pas en essayant de propager le mythe d’une "vraie gauche" qui pourrait tout au plus contribuer à discréditer à leur tour les révolutionnaires.
Si demain se produit un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière, cette question des perspectives politiques influerait évidemment de manière déterminante sur la politique que mèneraient les révolutionnaires. Quand Olivier Besancenot déclare " En France, une course de vitesse est engagée avec le Front National pour que les catégories populaires ne se laissent pas abuser par leur pire ennemi. Une course qui sera d’abord gagnée ou perdue sur le terrain social, par la jonction d’une gauche anticapitaliste et de la renaissance d’un puissant mouvement social " (Le Monde, 26/09) on nage en pleine ambiguïté. Car ou bien on défend un plan de lutte et de mobilisation contre n’importe quel gouvernement (qu’il s’agit de proposer également, bien sûr, aux réformistes...), y compris contre un éventuel gouvernement de “ la gauche anticapitaliste ” (une gauche qui se révélerait bien vite tout comme celles qui l’ont précédée beaucoup moins anticapitaliste au gouvernement que dans l’opposition), ou bien il ne s’agit effectivement que d’un futur programme de gouvernement à la rhétorique radicale. Et dans ce deuxième cas, on se dirige à coup sûr vers une trahison des luttes des travailleurs.

Un pôle des révolutionnaires, pas un pôle de “ radicalité ”

Oui, il y a bien une possibilité pour les révolutionnaires de construire autour d’eux un pôle politique mais sur des bases qui leur sont propres : ni l’électoralisme, ni un bon gouvernement, ni une vraie gauche, mais en défendant une politique qui renforce le camp des travailleurs face à l’offensive patronale et gouvernementale et qui lie entre elles toutes les catégories de travailleurs et toutes les revendications.
Nous ne reviendrons pas sur les raisons qui nous font penser que Lutte Ouvrière aurait dû et devrait toujours proposer la constitution d’un tel front de l’extrême gauche sur cette politique et ces objectifs (cf. nos tribunes dans les numéros de la LDC de mai et juin 2002).
Pour l’heure, cela pourrait passer par une campagne de propagande commune des révolutionnaires sur la nécessité d’une riposte d’ensemble aux mesures Raffarin.
Cela n’empêcherait aucunement la LCR et LO de s’efforcer de regrouper chacune autour d’elle leurs nouveaux sympathisants et militants ni de gagner en influence propre sur l’ensemble du territoire, chacune par ses propres méthodes. En revanche, une telle campagne, surtout menée en commun, offrirait des atouts de différents ordres :
Elle donnerait une suite au succès électoral de l’extrême gauche au premier tour des présidentielles, en faisant la preuve que les révolutionnaires proposent au monde du travail une perspective en dehors des périodes électorales et se donnent les moyens de se faire entendre.
Elle offrirait aux nouveaux militants et sympathisants des deux organisations (et peut-être à d’autres) des objectifs militants directement liés aux intérêts immédiats de la classe ouvrière, tout en leur permettant d’établir des liens avec des militants d’autres obédiences sur des bases de classe parfaitement claires.
Elle établirait de fait un bloc de l’extrême gauche sur un programme de riposte d’ensemble de la classe ouvrière, vis-à-vis duquel les autres courants auraient à se déterminer, et non l’inverse.
Elle assurerait une apparition politique de l’extrême gauche à la fois dénuée d’ambiguïté et de toute frilosité sectaire.

Il ne s’agirait là que d’une campagne commune de propagande, en tout cas pour commencer. Mais qui pourrait déboucher sur une politique commune de front uni adressée au reste du mouvement ouvrier, pour peu que ce faisant, la mobilisation de nos forces militantes soient en mesure de vérifier, devant l’ensemble des travailleurs, le potentiel mobilisateur de la situation sociale du moment. Et, quoi qu’il en soit, un telle campagne serait un premier pas vers une nouvelle force politique, occupant à l’extrême gauche, sur des bases politiques de classe, “ l’espace politique ” laissé par le discrédit de la gauche, PCF compris. Un bon début.
11 octobre 2002

Pour un front de lutte

20 septembre 2005

C’est peu de dire que les trois premiers mois du gouvernement de Villepin auront vu une offensive contre les classes populaires d’une violence et d’une intensité qui dépassent celles montrées pourtant plusieurs années durant par ses prédécesseurs, Jospin ou Raffarin. Et déjà ces deux-là se classaient à un bon niveau de l’échelle de Richter anti-ouvrière.

Il est vrai que de Villepin a eu, jusqu’ici, la tâche facile. Facile en effet d’estimer la signification exacte de la victoire du Non au référendum. Facile surtout de prendre la mesure de la détermination de l’opposition, en tout cas celle de gauche, celle de droite étant peut-être une autre affaire... Mon Dieu, protégez-le de ses amis, il semble, hélas, se charger fort bien de ses ennemis !

Et ne mettons pas la pusillanimité du PS sur le fait qu’il serait divisé. Les années précédentes il ne l’était pas, sans montrer plus de courage. Il n’a pas changé de politique : attendre, sans surtout rien faire pour les précipiter, la chute et la déconsidération de la droite et que les électeurs, faute de mieux et avec de moins en moins d’illusions, le ramène finalement au pouvoir. Certes, comme c’est pour faire exactement la même politique en faveur des riches contre les pauvres que la droite... il a le temps et nous aussi !

Les centrales syndicales ont fini par décider d’une journée d’action le 4 octobre. Mais il leur a fallu trois mois pour s’y résoudre et surtout laisser passer l’été... et les ordonnances scélérates, première tranche du programme du premier ministre. Et elles n’ont pas plus de plan qu’avant pour la suite à donner, au cas tout de même probable où patrons et gouvernement n’accéderaient pas à leurs demandes, fort vagues d’ailleurs, de revaloriser le pouvoir d’achat et de favoriser enfin vraiment l’emploi. Il est vrai que la seule suite qu’elles envisagent, c’est que employeurs et ministres veuillent bien entamer des négociations. Pour les bonnes relations avec ceux-là, une mobilisation prolongée dans la rue ou dans des grèves doit leur sembler inutile, sinon néfaste.

Et pourtant c’est bien un mouvement d’ensemble jusqu’à satisfaction de principales revendications qui serait plus nécessaire et plus urgent que jamais.

Bien sûr, que ce mouvement ait lieu ou non, et rapidement, ne dépend qu’en faible part de l’extrême gauche. Mais pour une faible part quand même. À condition qu’elle ait une politique. Elle en aurait les moyens. Sans exagérer leur impact et leur influence Lutte ouvrière et Arlette Laguiller comptent auprès d’une partie des travailleurs, des syndicalistes et des militants de gauche. Et de même la Ligue communiste révolutionnaire et Olivier Besancenot.

Ces derniers, il est vrai et justement, tentent d’utiliser la stature qu’ils ont gagné. C’est, hélas, pour une politique qui si elle aboutissait ferait une nouvelle fois le lit de la gauche gouvernementale. Car s’il est juste de proposer l’unité aux courants qui ne sont ni communistes ni révolutionnaires ce doit être pour les luttes, pas pour refaire un nouveau parti de gauche prêt à suivre très exactement la voie des anciens.

LO se refuse à juste titre à se joindre à cette entreprise. Mais sans proposer une autre politique ni à la LCR ni aux militants ouvriers qui peuvent regarder vers elle.

En cette rentrée de l’automne, devant l’offensive redoublée du gouvernement et du patronat, ce serait pourtant le moment.

La LCR et LO ne peuvent certainement pas organiser seules une suite au 4 octobre. Mais elles pourraient faire savoir qu’elles sont prêtes à contribuer à la mettre sur pied avec tous ceux, organisations et militants, qui en voient la nécessité. Ça s’appelle effectivement proposer un front mais de lutte.

18 septembre 2005

Front de gauche ou front de lutte ?

16 septembre 2005

Il est vraiment fâcheux que le premier ministre ne lise pas soigneusement, à moins que ce ne soit pas du tout, la littérature de la gauche du Non. Car de toute évidence ni lui ni le gouvernement ni la droite ni le Medef n’ont pris la mesure de leur défaite, n’ont conscience du coup reçu ni n’ont compris que leur système était en crise depuis le 29 mai dernier.
Certes, si l’on en croit certains camarades de la LCR, ce ne serait qu’une fuite en avant de tout ce beau monde. Il faudrait alors reconnaître qu’il sait déguiser son désarroi sous une belle arrogance, nous dirions presque avec panache si ce n’était, hélas, aux dépens de notre classe.
Jamais gouvernement n’a multiplié, ou aidé le patronat à multiplier, autant de coups contre le monde du travail en aussi peu de temps et en tellement de directions : le temps de travail, les salaires, les droits sociaux, les droits syndicaux, les dernières protections contre la précarité, tout ce qui reste des « acquis » (dont on voit bien que dans cette société d’exploitation, ils n’en sont que tant que les travailleurs ont la force et la volonté de les faire respecter), tout passe à la moulinette. Et toutes les catégories : les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, les salariés qu’on presse comme des citrons avant de les jeter sur le pavé, les chômeurs qu’on contrôle toujours plus pour les indemniser de moins en moins, les retraités dont les perspectives redeviennent de plus en plus sombres. Sans oublier les très mal logés, travailleurs la plupart d’origine immigrée, que Sarkozy prétextant l’insécurité expulse en fanfare - chassant ainsi sur les terres de Le Pen.
Jamais premier ministre, de gauche ou de droite, n’a semblé plus libre de développer une politique anti-ouvrière que ces trois derniers mois, depuis que Dominique de Villepin a remplacé Jean-Pierre Raffarin.
Mais qu’aurait-il donc fait si le Oui était sorti victorieux du scrutin ? Instauré un régime carrément fasciste ?
Il est peut-être temps de dégriser. En tout cas pour toute la gauche et l’extrême gauche qui a appelé à voter Non. Et de prendre conscience que la bataille du référendum n’en était pas une, qu’il était acquis d’avance que rien ne changerait, pour personne (si on excepte quelques ministres qui ont perdu ou gagné leur poste, et encore, les changements en question étaient sans doute décidés avant le résultat !). Il est de plus en plus évident, avec le recul, que le seul résultat dudit référendum a été de donner à la gauche et aux centrales syndicales le prétexte (même s’il est vrai que sans le référendum, elles en auraient trouvé un autre ou se seraient passées de prétexte) pour ne donner aucune suite à la journée du 10 mars. Pourtant quelques signes avaient alors montré qu’une mobilisation des salariés était possible.
Sous cet angle, pour Chirac, Raffarin ou Villepin et le gouvernement de droite, le référendum a été un plein succès. On pourrait ajouter aussi pour tous les politiciens de gauche, qu’ils aient appelé à voter Oui comme Hollande ou Non comme Fabius. En fait pour tous ceux qui entendent éviter que le mécontentement se traduise par des luttes, dans les grèves ou dans la rue. Oui, ce référendum a été un succès pour tous ceux qui, défaits ou victorieux au soir des présidentielles et des législatives, nous demandaient de regarder immédiatement à l’horizon des régionales et des européennes, puis dès la sortie de celles-ci appelaient à s’investir dans le référendum, et après celui-ci nous suggèrent de mettre tous nos espoirs dans... les nouvelles présidentielles et législatives de 2007.
Non, vraiment, pourquoi de Villepin, la droite ou les patrons ne se sentiraient-ils pas aussi libres depuis ce printemps qu’avant ? Quels obstacles, quelles oppositions trouvent-ils depuis devant eux et leur politique ?

Les confédérations syndicales ?
Si le 10 mars n’a pas eu de suite, elles en sont les premières responsables. Qu’elles aient appelé explicitement à voter, Oui pour la CFDT, Non pour la CGT, ou pas, toutes par leur attitude ont indiqué qu’il s’agissait de passer de la rue aux urnes. Et toutes surtout ont accueilli avec satisfaction les propositions de négociations, dont la date d’ailleurs était parfois fixée pour trois mois plus tard, après le référendum. Il leur a suffi de cela pour geler de facto toute idée de continuer un mouvement à peine commencé.
En cette rentrée, toutes les centrales se sont mises d’accord pour une journée nationale d’action le 4 octobre sur les thèmes du pouvoir d’achat et de l’emploi. Ce sont bien en effet les deux principaux problèmes du monde du travail. Mais avec quelle volonté de faire autre chose qu’un nouveau 10 mars sans plus de lendemain que celui-ci ?
Le 29 mai passé, et alors que le nouveau gouvernement annonçait tout de suite clairement la couleur (contrat nouvelle embauche, pressions accrues sur les chômeurs, volonté de procéder par ordonnances), toutes les confédérations se sont ruées vers Matignon qui leur faisait de l’oeil. Pour se plaindre ensuite que le premier ministre n’avait tenu compte en rien de leurs suggestions dans la rédaction desdites ordonnances, mais aussi pour remettre à septembre la mise sur pied de toute réaction. Certes, l’été n’est guère propice à l’organisation de mouvements de protestation. Mais que n’ont-elles proposé de réagir avant, dès le mois de juin, puisque dès la première semaine qui suivit le référendum, tout le monde connaissait les intentions réelles de Villepin ?
Et aujourd’hui que proposent-elles d’autre comme objectif au 4 octobre sinon encore une fois de négocier ? Evoquent-elles une suite à donner à cette journée ? Pas la moindre, alors que tout le monde sait qu’il faudra un mouvement d’envergure dans l’espace comme dans le temps pour faire reculer gouvernement et patronat ?
Ce n’est donc pas de ce côté que le gouvernement peut se sentir entravé. Espérons quand même, bien sûr, que le 4 octobre ne reste pas sans lendemain. Mais pour que ce soit le cas, pour que les centrales syndicales, ou certaines d’entre elles, se résolvent à lui donner une suite, immédiate et non dans six mois ou un an, voire après les prochaines élections (sans vergogne, toutes font maintenant référence au 10 mars à propos du 4 octobre !), il faudra une sacrée pression des travailleurs, voire une menace de se passer d’elles.

La gauche du Non ?
De l’université d’été du PRS (Pour une République Sociale de Jean-Luc Mélenchon), en passant par le rassemblement des Collectifs du Non et l’Université d’été de la LCR, jusqu’à la fête de L’Humanité, la même brochette des leaders de la gauche du Non est apparue et réapparue ensemble pour se féliciter de leur succès du 29 mai.
Ne discutons pas ici du bien fondé de s’attribuer celui-ci, en oubliant quasiment que les voix de droite et d’extrême droite y ont quand même contribué pour une part importante même si elle ne peut être chiffrée. La vraie question est de savoir ce qu’ils entendent faire de cette victoire sur les partisans de l’ultra-libéralisme, puisque victoire il y a eu, paraît-il ?
« Transformer l’essai » ont clamé, chacun dans le style qui est le leur, Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet, Yves Salesse, Francine Bavay ou Olivier Besancenot. Excellent objectif. Mais quelle traduction ? Ont-ils profité de la nouvelle stature que leur combat et leur victoire dans cette bataille du référendum leur ont donnée, pour fixer des objectifs de lutte et les proposer au mouvement ouvrier, à la gauche, à l’ensemble des travailleurs ? Pour proposer les nouveaux combats, cette fois hors des urnes, qui terrasseraient définitivement les partisans du libéralisme à qui ils auraient déjà fait mettre un genou à terre le 29 mai ?
Pour l’instant chacun s’est contenté d’inviter les autres à partager la tribune que sa propre organisation a dressée au cours de l’été. Et là de se féliciter que chacun réponde avec empressement aux invitations des autres et manifeste la volonté de rester tous ensemble. Au mieux de discuter les alliés qu’ils devraient se trouver : à Besancenot qui fait à juste titre la moue, Mélenchon vante les mérite de Fabius ; à la LCR qui ne jure que par la « gauche de la gauche », le PCF répond « toute la gauche ».
Se trouver de nouveaux alliés et être unis, pourquoi pas ? Mais pour quel but ?
Et c’est là que la plupart des chefs de la gauche de la gauche se révèlent effectivement bien... de gauche. C’est-à-dire qu’ils n’entendent par lutte politique que lutte électorale et qu’au fond ils se méfient, au moins autant que les chefs syndicaux, d’une mobilisation des travailleurs ou des masses populaires. Comment alors pourraient-ils donc la proposer, voire en parler autrement que par quelques formules ronflantes mais sans traduction concrète dans les discours ?
Quand Marie-George Buffet se risque dans cette direction, c’est au mieux pour appeler à se joindre à la journée syndicale du 4 octobre, à laquelle de toute manière tous les militants de la gauche du Non sont déjà bien décidés à participer. Mais sans critiquer les timidités des confédérations syndicales, et sans faire, à la place de celles-ci qui sont défaillantes, de propositions pour la nécessaire suite à donner. Cette suite pour la chef du PCF se limite à de nouvelles réunions de la gauche pour discuter de comment et sur quel programme cette gauche pourrait... se réunir : un grand rassemblement national du « tous ensemble » le 22 octobre ; un grand forum national le 26 novembre pour faire le point sur la construction d’un programme de gouvernement populaire et citoyen.
Buffet pense donc bien à la suite, mais dans la seule perspective des élections de 2007, dans un an et demi, pas du tout en terme de luttes et de mobilisations, sauf celle des électeurs. Inutile sans doute d’épiloguer sur les perspectives des autres membres de la bande, Mélenchon, Bavay, Salesse ou Bové quand il déclare au soir même de la fête de L’Huma sur les ondes de RTL qu’il est prêt à assumer « un rôle de passerelle entre les Non de gauche »... pour rassembler d’ailleurs au-delà de ces mêmes Non puisqu’il « pense notamment aux Verts ».
Compter sur ces hommes et femmes politiques de la gauche du Non pour impulser la mobilisation et les luttes ? Pas davantage que sur les Bernard Thibault, Jean-Claude Mailly ou François Chérèque.

La LCR ?
C’est pourtant ce que feint de croire la LCR qui inlassablement propose et repropose depuis trois mois de constituer un « front social et politique ».
Bien sûr, ce front, dans l’esprit des camarades de la LCR - son porte-parole le répète à chacune de ses rencontres avec les autres leaders de la gauche du Non - aurait aussi comme objectif de promouvoir les luttes. Mais cela ne fait qu’ajouter à l’ambiguïté de sa proposition. Si la LCR allait jusqu’au bout de sa démarche et si celle-ci se concrétisait, cela ne pourrait que l’amener à se ranger, pour un temps ou définitivement, dans un camp peut-être « anti-libéral » mais certainement pas prolétarien.
Quelle est la base politique de ce front, en effet ? Ni la participation commune à des combats sociaux, ni un programme lutte de classe, mais le seul vote Non au dernier référendum. Ce seul vote, dont les raisons étaient plus que confuses et contradictoires, même si on ne parle que de celles des seuls électeurs de gauche, permet à la LCR de se jeter dans un même sac, pêle-mêle avec des réformistes qui ne cachent pas leurs distances d’avec le camp de la classe ouvrière ou d’anciens ministres de Jospin, fiers de l’avoir été et se réclamant de leur passé.
Tout ce monde pourrait-il se retrouver éventuellement au coude à coude dans la lutte comme les y invite avec obstination Olivier Besancenot ? Peut-être. De toute manière il est juste de le leur proposer ne serait-ce que pour les mettre au pied du mur devant les travailleurs qui ne pourraient comprendre qu’on écarte a priori, pour des raisons qui apparaîtraient alors de rivalité entre boutiques politiques, ceux qui parlent de se joindre au mouvement. On peut d’ailleurs leur faire confiance pour le faire d’eux-mêmes, ne serait-ce que pour mieux contrôler et à terme arrêter un mouvement qui se développerait.
L’erreur de la LCR n’est donc pas de leur proposer de lutter ensemble, pour aider à la mobilisation, par exemple, pour arracher l’augmentation de 300 euros mensuels pour tous ou l’interdiction des licenciements, de constituer donc un front si l’on veut mais sur des objectifs précis. Mais ce n’est pas ça que proposent, meeting commun après meeting commun, les leaders de la LCR à leurs alliés. Ce « front social et politique » est conçu par eux comme une alliance permanente et globale avec pour finalité de construire un programme commun. On imagine d’abord le salmigondis que ce programme pourrait être, même si Mélenchon ou Buffet consentaient à y introduire quelques pincées de radicalisme révolutionnaire. Et puis surtout, il ne pourrait avoir qu’un objectif électoral.
Les alliés de la LCR ne cachent d’ailleurs pas que leur but, en constituant plus ou moins formellement ce front, est de se mettre en meilleure position pour nouer d’autres alliances électorales ou gouvernementales avec le reste de la gauche, celle que la LCR continue à appeler social-libérale, voire une partie de la droite (mais qui distingue vraiment aujourd’hui la droite de la gauche quand elles sont au gouvernement ?). Mélenchon va répétant à chaque occasion que Fabius est le seul candidat possible de toute la gauche, gauche de la gauche incluse ; Buffet milite ouvertement pour la réconciliation avec les deux ailes du PS, celle du Oui et celle du Non. Et Alain Krivine et Olivier Besancenot eux-mêmes ont à plusieurs reprises laissé entendre que la LCR ne serait pas opposée à entrer dans un gouvernement. Peuvent-ils l’imaginer sans le PS, alors que tous les autres participants de leur front social et politique ne le jugent ni pensable ni souhaitable ? Certes, ils ajoutent immédiatement que ce serait à la condition sine qua non que ce gouvernement défende les intérêts des travailleurs. Mais quel homme de gauche a jamais dit, avant d’aller au pouvoir, qu’il n’y mettait pas cette condition rigoureuse ? Ah, les discours de Mitterrand sur ce thème avant 1981 !
En tout cas ce que la LCR propose, là consciemment, c’est bien la constitution d’un parti de la gauche de la gauche (pas révolutionnaire, cela ne fait de doute pour personne, et en fait, vu la majorité des politiciens qui le composent, même pas réformiste non plus). C’est le but, il faut le reconnaître, poursuivi depuis longtemps par une aile de la LCR qui a sans doute vu dans l’épisode du référendum l’occasion de pousser ses pions.
Qu’on l’appelle front ne change rien ; pas plus le fait qu’il soit composé de sous-partis et de fractions qui gardent une grande autonomie. Il a déjà existé bien des partis semblables. Nous avons encore l’exemple tout récent du Parti des travailleurs du Brésil. Il était né pourtant sous des auspices autrement combatifs et même prolétariens que le front social et politique qu’on nous propose aujourd’hui en France. Cela ne l’a pas empêché de jouer, vite et mal, un remake de la social-démocratie. Un exemple sur lequel les camarades de la LCR devraient se pencher, eux qui, il y a peu encore, approuvaient assez chaudement l’entrée de certains de leurs camarades brésiliens dans le gouvernement de Lula. Certes le front social et politique a sans doute moins d’avenir que le PT. Mais si, par hasard il en avait un... ce ne pourrait être que celui-là.
La LCR s’efforce sans doute de répondre au désir sincère de nombreux militants de gauche ou du mouvement ouvrier de voir naître un front des luttes. Mais cela n’en rend que la manœuvre plus néfaste. Car si la LCR persistait dans cette politique, en s’appuyant sur ce désir légitime, elle ne ferait qu’aider à leur faire avaler un produit frauduleux qui n’a rien à voir avec la nécessaire unité dans le combat, une nouvelle mouture d’un parti de gauche électoraliste, parlementaire et collaborationiste de classe.

Ou Lutte Ouvrière ?
Malgré sa décision d’appeler finalement au vote Non (que nous continuons à désapprouver), Lutte ouvrière n’a pas marché dans cette manœuvre. Elle ne s’acoquine pas avec les Mélenchon, Buffet ou autre Emmanuelli sur les mêmes tribunes. Dans de telles circonstances la politique de la chaise vide est sans aucun doute la meilleure. A condition qu’elle ne devienne pas le siège du vide politique.
Si ce front de la gauche de la gauche connaît quelque succès auprès de certains militants, pourtant méfiants tant vis-à-vis de la gauche que des centrales syndicales, c’est parce qu’il répond, mal certes mais à un vrai problème : comment créer les conditions de la contre-offensive ouvrière et populaire à laquelle ces militants aspirent et qu’ils attendent depuis si longtemps ?
La réponse de la LCR n’est qu’illusions. Mais dénoncer celles-ci n’est pas suffisant si dans le même temps on ne tente pas d’en apporter une autre, meilleure.
Il est juste mais pas suffisant de refuser d’aller débattre d’anticapitalisme avec Mélanchon et Buffet à l’université de la LCR, si dans le même temps on ne propose pas à celle-ci de voir ensemble quelle riposte on pourrait proposer au mouvement ouvrier face aux attaques du gouvernement et des patrons.
Il n’est sans doute pas faux non plus pour Arlette Laguiller de répondre au contraire à l’invitation de se rendre à la fête de L’Humanité. Mais le geste n’aurait de sens que s’il était accompagné d’une proposition au PCF de débattre de la riposte ouvrière que les communistes et la gauche devraient proposer à la rentrée. Sinon il se transforme en un simple geste de bonne amitié bien peu clair politiquement, voire manifestant une volonté de faire partie quand même de la grande famille de la gauche. L’Humanité du lendemain n’a d’ailleurs pas manqué de le présenter ainsi. Et du coup le refus de s’intégrer dans le « front social et politique » devient difficilement compréhensible par les militants du PCF comme de la LCR, auxquels il risque bien d’apparaître un produit du sectarisme organisationnel.
D’autant plus qu’au final pratiquement LO se trouverait réduite à participer, comme les autres et dans les mêmes limites, aux initiatives soit des centrales syndicales soit de la gauche, telles que le 4 octobre, voire le 22 octobre, sans s’être plus démarquée, sans avoir proposé quoique ce soit d’autre. Il y a plusieurs manières de faire du suivisme, pas seulement celle de la LCR.
Décidément, il serait grand temps que les organisations révolutionnaires s’efforcent, à la hauteur de leurs moyens matériels et politiques (mais mis en commun, ceux-ci ne sont pas nuls), d’avoir une politique indépendante vis-à-vis de la gauche, mais qui colle aussi aux besoins présents du monde du travail et donc s’adresse à l’ensemble du mouvement ouvrier. Sans doute en ces cent premiers jours du gouvernement de Villepin l’occasion en a été manquée. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
16 septembre 2005

Le point de vue de Léo Picard et Samuel Holder :
(tiré du site "Culture et révolution")

Où va l’extrême gauche ?
« Il n’est pas de sauveur suprême,
Ni dieu, ni césar, ni tribun ».

L’Internationale est un chant dans lequel se reconnaissent depuis le début du XXe siècle les militants, les travailleurs et les jeunes qui aspirent à une émancipation complète du genre humain de toutes les formes d’oppression et d’exploitation. Si le rejet des césars qui écrasent et des dieux qui aliènent semble faire consensus, il n’est pas évident que le rejet des tribuns soit clairement et définitivement admis et assumé. C’est même tout le contraire auquel nous assistons à la faveur de la campagne actuelle pour les élections présidentielles.

Les péripéties d’une recherche de candidature à la gauche de la gauche ont occupé l’essentiel du temps et des préoccupations des membres des collectifs anti-libéraux pendant près de dix mois. La Ligue Communiste Révolutionnaire s’est dégagée dans sa majorité de ce processus pour proposer le même candidat qu’en 2002 et Lutte Ouvrière n’a pas osé prendre le risque de présenter une personnalité autre que celle qui a, au fil des campagnes électorales depuis 1973, eu le temps d’être connue d’un large public et d’être fortement médiatisée.

Il en ressort que aussi bien LO, la LCR que dorénavant les diverses composantes du mouvement anti-libéral à la gauche du PS, n’imaginent pas un seul instant ne pas avoir leur tribun connu, avec son capital de sympathie, pour porter leurs idées et les intérêts de leurs mouvements. Personne n’imagine intervenir efficacement dans l’arène politique avec des obscurs, des invisibles et des sans-grades, sans avoir « un bon client » ou « une bonne cliente » à proposer sur les plateaux télévisés ou les émissions de radio, sans plan média. Le piège de la personnalisation intrinsèque aux institutions de la Ve République et de son moment politique fort, fondateur et refondateur, les élections présidentielles, fonctionne donc avec une efficience particulièrement remarquable en 2007.

Comment l’extrême gauche en est-elle arrivée là ? Le présent article voudrait explorer cette question et tenter d’y apporter des réponses, ainsi qu’à la question corollaire : Et maintenant, où va-t-elle ?

Ayant milité un certain nombre d’années à Lutte Ouvrière avant d’en être exclus avec d’autres en mars 1997, ayant ensuite milité au sein de la tendance Voix des Travailleurs, puis au sein de la LCR pour l’un de nous ou à proximité d’elle pour l’autre, nous n’appartenons plus aujourd’hui à aucune organisation politique. Nous nous considérons cependant toujours comme membres et militants de cette extrême gauche au sens large qui inclut tous les courants et individus d’origines diverses (libertaires, trotskystes, ex-maoïstes, ex-« capitalistes d’Etat », altermondialistes...) qui considèrent que la destruction du système capitaliste est une nécessité vitale pour l’humanité.

Si notre texte est avant tout centré sur la LCR et LO, organisations que nous avons été amenés à connaître de près, cela ne signifie pas que nous tenions pour négligeables les autres composantes collectives ou individuelles de l’extrême gauche. Nous nous intéressons à ces organisations parce qu’elle occupent une place centrale et continuent de jouer un rôle important dans l’extrême gauche française.

Nous ne sommes pas tentés le moins du monde par un exercice dérisoire de règlements de compte ni par un travail d’approche de type universitaire qui se voudrait « neutre ». Notre problème est un problème militant : les deux organisations d’extrême gauche sont-elles susceptibles de jouer un rôle moteur dans l’émergence d’une nouvelle force politique pour le camp des exploités ? Notre diagnostic, concernant les organisations, est pessimiste. Mais il demeure fondamentalement optimiste quant à ce qui existe et se développe, à l’extérieur, au sein de l’extrême gauche et au-delà, dans la jeunesse et au sein du monde du travail.

Nous tentons dans ce texte une évaluation historique et critique de LO et de la LCR. Comme il s’agit d’organisations politiques se situant toujours officiellement sur le terrain de la révolution prolétarienne mondiale et non d’amicales de vieux camarades qu’il faudrait traiter avec ménagement, nous ne chercherons pas à atténuer la dimension critique de notre propos. Ajoutons que cette évaluation, que nous ne pouvons qu’esquisser ici, nous implique nous-mêmes et suppose donc une critique de ce qui a été notre propre façon de militer et de nous engager dans le champ politique.

Des intérêts historiques du prolétariat aux intérêts de boutique
La fonction d’une campagne n’a plus pour but de bousculer le paysage audio-visuel de la bourgeoisie, d’aider les travailleurs à comprendre les enjeux politiques et sociaux fondamentaux et de les appeler à se préparer à lutter pour mettre en oeuvre eux-mêmes la transformation de la société. Une campagne électorale, et tout particulièrement la campagne présidentielle, a insidieusement fini par avoir une fonction de conservation et de maintien en activité de ses militants et de son organisation. Cette fonction est d’autant plus prépondérante qu’elle s’effectue sur le mode de la concurrence avec l’organisation rivale de longue date.

En 2007 Lutte Ouvrière apparaît de façon encore plus flagrante qu’en 2002 comme une organisation routinière, cachant plus que jamais son absence de perspectives politiques derrière des dénonciations moralistes sur un ton pathétique contre le patronat inique, forcément inique. Il est révélateur que le premier slogan d’affiches de LO dans cette campagne soit, sur le mode de la fausse interrogation, un message méprisant à l’égard de la LCR : « Arlette Laguiller. Qui d’autre peut se dire sincèrement dans le camp des travailleurs ? » Que signifie ce credo d’autosuffisance qui est l’axe de la première campagne d’affiches de cette organisation ? De fait, LO prétend qu’elle détient le monopole de l’expression des intérêts politiques des travailleurs. Au passage, LO ne peut pas affirmer plus clairement qu’Olivier Besancenot n’est pas sincèrement dans le camp des travailleurs puisque seule la candidate de LO y est.

La fausse fidélité qui consiste à rabâcher des évidences sur la malfaisance des capitalistes fait donc bon ménage avec l’esprit de boutique le plus mesquin. On peut porter des critiques sévères à la politique de la LCR, ce dont nous n’allons d’ailleurs pas nous priver dans ce texte. Mais contester implicitement, insidieusement, qu’Olivier Besancenot soit sincèrement dans le camp des travailleurs relève d’une mauvaise foi détestable. Non seulement Olivier Besancenot est un travailleur et un militant qui paie de sa personne aux côtés des salariés en lutte mais bien d’autres aussi fort heureusement, à la LCR et dans d’autres organisations ou collectifs d’extrême gauche.

Au-delà de l’aversion que peut provoquer cette anecdote, il faut prendre la mesure de ce qu’elle traduit de l’évolution de LO, de la LCR et de leurs relations depuis les années 1960. La perspective et l’activité des deux organisations ont considérablement changé. Jusqu’au milieu des années 80, LO et la LCR ont été immergées dans l’époque et les militants ont alors essayé de prendre la réalité à bras le corps en s’en donnant les moyens, en confrontant leurs méthodes et points de vue, en s’enrichissant mutuellement des expériences les uns des autres. La situation contraste très nettement avec celle que ces organisations ont connue depuis, où la vie organisationnelle s’est progressivement désynchronisée de la situation objective, et où les militants se sont repliés sur leurs organisations respectives. Avec une parenthèse de courte durée dans la seconde moitié des années 1990 dans les soubresauts consécutifs à la disparition de l’URSS – parenthèse sur laquelle nous reviendrons.

Par glissement, on est passé d’une perspective centrée sur les intérêts de classe des exploités, à une perspective centrée sur le microcosme organisationnel. Il n’y a pas de « point de vue de Dieu » transcendant et parfaitement objectif sur la réalité, et notre perception est nécessairement située donc subjective. La difficulté à laquelle chaque militant comme chaque courant est confronté, c’est d’échapper à une vision autocentrée pour se hisser, non pas à un point de vue universel, mais à un point de vue qui soit au moins « universel pour nous » : celui qui reflète les intérêts généraux de notre camp social. Tous les débats théoriques et pratiques qui ont traversé le mouvement ouvrier depuis un siècle et demi se sont placés dans cette optique, à plus forte raison les débats qui ont traversé le mouvement trotskyste à ses origines.

L’histoire des dernières décennies est l’histoire d’un décrochage, de cette lente involution qui a conduit les deux groupes à une vision organisationnellement autocentrée des choses, chacun dans son coin. C’est lié au vieillissement des cadres organisationnels, à une forme d’installation dans le monde environnant, au conservatisme que tout cela engendre.

1. Des origines à Mai 68, un héritage vivant mais malmené
Quel a été le projet historique du mouvement trotskyste ? Depuis la création de l’Opposition de gauche en URSS en 1923 par Trotsky et ses camarades et ensuite de l’Opposition de gauche internationale en 1929, le courant trotskyste s’est caractérisé lui-même comme un courant communiste prolétarien visant à jouer un rôle dans la transformation révolutionnaire de la société à l’échelle mondiale. C’est cette visée internationaliste en liaison avec les combats de la classe ouvrière et des masses opprimées dans différents pays qui a constamment maintenu une continuité et une vitalité indéniable au trotskysme jusqu’à la fin du vingtième siècle. En dépit des conjonctures ou des périodes marquées par des épreuves, des difficultés ou des vents idéologiques contraires, il se sera toujours trouvé, ne serait-ce qu’une poignée de jeunes femmes et hommes se reconnaissant dans les idées de ce courant.

De la fin des années vingt jusqu’à l’explosion du bloc soviétique, rejoindre une organisation trotskyste aura été pour plusieurs générations de militants, un choix de vie exaltant où l’on déclarait la guerre au capitalisme et au stalinisme qui avait trahi la révolution russe, saboté ou écrasé plusieurs révolutions ou grandes mobilisations du prolétariat de la Chine en 1927 à la Hongrie en 1956, de l’Espagne de 1937 aux mouvements de 1968 notamment en France et en Tchécoslovaquie. L’émancipation des travailleurs et l’avenir d’une société socialiste à l’échelle mondiale ne pouvaient se penser pour les militants jeunes ou chevronnés qu’en opposition aux partis et organisations contrôlés par les staliniens. Ceux-ci faisant obstacle à la prise de conscience du rôle historique du prolétariat, acculant les travailleurs dans les voies du réformisme et les anesthésiant avec de fortes doses d’électoralisme, le problème s’est constamment posé aux trotskystes de trouver les voies et les moyens d’affronter cet obstacle ou de le contourner. En fait la difficulté était dans certaines périodes notamment celle de la Seconde guerre mondiale et de la « guerre froide » de tout simplement parvenir à continuer à exister et à agir. Rappelons que plusieurs militants furent assassinés pendant la guerre et à « la Libération ».

Il est difficile de se faire une idée aujourd’hui de la puissance et de la prégnance du stalinisme au sein de la classe ouvrière mais aussi dans d’autres milieux, notamment celui des universités. Pour nous en tenir au cas de la France, c’est à un véritable monopole idéologique sur les travailleurs que le PCF s’est efforcé d’imposer constamment avec des résultats incontestables, surtout dans la période allant du milieu de la Seconde guerre mondiale jusqu’à Mai 68. Le PCF considérait la classe ouvrière comme sa chasse gardée, la CGT et l’intelligentsia comme des viviers de recrutement de ses cadres. Il ne tolérait pas la contestation sur sa gauche. Il a abondamment pratiqué les calomnies et les agressions physiques contre les trotskystes jusque dans les années soixante-dix. Le courant trotskyste en dépit de la diversité des organisations, analyses et choix militants qui l’ont toujours divisé apparaissait d’autant plus dangereux et intolérable qu’il se positionnait comme voulant construire un autre parti, authentiquement communiste, c’est-à-dire révolutionnaire et internationaliste.

Ce parti ne parvenant pas à prendre forme, malgré des succès dans le recrutement dans l’après-guerre du Parti Communiste Internationaliste et malgré le rôle décisif joué par l’Union Communiste (groupe Barta) dans la grève de Renault-Billancourt en 1947 qui obligea le PCF à être chassé du gouvernement, chaque organisation eut sa propre stratégie de survie.

Encore est-il nécessaire de préciser qu’aucune tendance n’a jamais eu pour but de seulement survivre, de seulement durer en attendant des évènements ou des temps plus propices. De 1944 à 1968, la faiblesse des effectifs et parfois les moments où tel ou tel groupe a frôlé l’inexistence voire disparu pour quelques années, n’ont jamais découragé des militants trotskystes d’élaborer une politique à visée stratégique comme ce fut le cas par exemple du groupe Barta qui n’a jamais compté plus de dix-huit militants.

Ils se pensaient tous comme porteur d’une politique fondamentale pour l’avenir du prolétariat pas seulement français mais mondial et en même temps comme des éléments d’une avant-garde se voulant de type bolchevique. L’idée n’était pas celle, élitiste, défendue et mise en pratique par les staliniens d’une direction « infaillible » et autoritaire sur les travailleurs. L’avant-garde au sens léniniste est plutôt un rassemblement d’hommes et de femmes engagés dans le combat révolutionnaire avant la révolution, qui par là anticipent et tentent de constituer un intellectuel collectif à mettre au service de l’ensemble de la classe quand elle entre en mouvement. Les militants trotskystes étaient prêts à prendre de grands risques dans ce but. Sur un plan personnel, choisir de rejoindre une organisation trotskyste jusqu’en mai 68, c’était être à contre-courant, c’était vouloir relever un défi.

Quoi que l’on pense rétrospectivement du caractère profondément juste, discutable, erroné, ridicule ou aberrant des options politiques et organisationnelles de tel ou tel groupe, ce qu’ils partageaient malgré tout était la conviction que leurs idées révolutionnaires internationalistes et leurs actions pouvaient jouer un rôle historique même si leur nombre était faible. Pour les jeunes de cette période, le PCF illustrait de façon éloquente le fait que le nombre n’est pas un critère recevable pour qui se bat pour l’émancipation des travailleurs et le communisme authentique.

On ne comprendrait pas sinon le pouvoir d’attraction des différentes composantes du trotskysme qui ont toutes réussi à renaître de leurs cendres à plusieurs reprises. Les quelques jeunes et travailleurs qui rejoignaient ces groupes savaient qu’ils allaient se heurter à de grandes difficultés. Ils étaient convaincus à la fois qu’ils allaient jouer un rôle à plus ou moins brève échéance et évidemment connaître une répression plus ou moins brutale. Les groupes trotskystes jusqu’en 1968 ne constituaient donc en aucune manière des milieux dans lesquels on était amené à s’installer tranquillement et pour longtemps. Leurs divergences étaient suffisamment saillantes pour que chacun soit intellectuellement stimulé et ait envie de relever le défi : comprendre et si possible participer à l’élaboration de la politique la meilleure pour le prolétariat et les masses opprimées des colonies, avec des fondements théoriques adéquats et des applications pratiques efficaces.

Les divergences surgiront sur une foule de questions, l’appréciation du régime de Tito en Yougoslavie, la nature des États des pays d’Europe de l’Est, la signification de la « déstalinisation » de Khrouchtchev, la nature des révolutions chinoise en 1949 et cubaine en 1959, les formes du soutien à apporter aux combattants nationalistes algériens divisés entre le FLN et le MNA, l’analyse de la guerre froide et les risques d’éclatement d’une Troisième guerre mondiale à partir de l’escalade de la guerre en Corée... Cette situation au début des années cinquante avait profondément divisé et affaibli la IVe Internationale et en particulier le PCI après la proposition d’un de ses dirigeants Michel Raptis, dit Pablo, de procéder à l’entrisme de tous les militants dans les organisations staliniennes. Selon lui, devant l’urgence de la situation qui ne laissait plus le temps de construire des partis révolutionnaires, il fallait se trouver là où ne manquerait pas de se produire la radicalisation de la classe ouvrière. Dans la section française, une majorité constituée de l’essentiel des militants ouvriers s’opposa vigoureusement à cette politique suicidaire et ce fut la scission.

La propre analyse de ces militants regroupés dans l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI dite « lambertiste » du pseudonyme de son dirigeant Lambert) les incita, après l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, évènement qu’ils considéraient comme une défaite historique du prolétariat, à collaborer avec le groupe Voix Ouvrière constitué en partie de militants issus de l’ancien groupe Barta. Cette collaboration se traduisit par la publication régulière de bulletins d’entreprises communs. Elle impliqua une attitude commune, solidaire et ferme, face aux nervis staliniens agressant les diffuseurs de ces bulletins. Les incidents les plus graves devant l’usine Saviem à Saint-Ouen furent relatés et commentés dans une brochure commune, « Pour la démocratie ouvrière » (mars 1962). Le travail commun entre l’OCI et Voix Ouvrière redonna de l’énergie aux militants d’entreprise de l’OCI et permit le développement de VO en province alors qu’elle n’existait jusqu’alors que sur la région parisienne. Bien plus, comme à chaque fois que des groupes trotskystes ont réussi à oeuvrer ensemble sur un terrain où un autre, tous les militants furent amenés à s’intéresser avec un intérêt plus vif aux analyses des autres et donc à progresser politiquement.

En s’interdisant de relever les moments de rapprochements, de collaborations voire d’unité dans l’histoire des différents groupes trotskystes et surtout en ne comprenant pas ce qu’ils ont apporté de positif, on s’installerait dans les confortables et déplaisants stéréotypes sur les trotskystes toujours divisés, les uns toujours « ouverts » et d’autres « sectaires » ou dans un « bunker » de toute éternité. La réalité a été infiniment plus complexe et plus riche, ce qui est toujours pénible pour les esprits réducteurs, qu’ils soient militants, historiens ou journalistes.

Les deux dernières années de la guerre d’Algérie et celles qui conduisent ensuite à Mai 68 ont été une période de politisation intense des jeunes salariés et encore plus des étudiants. La révolte contre les infamies de l’État français commises contre le peuple algérien et contre celles de l’impérialisme américain au Viêt-Nam a amené certains d’entre eux particulièrement exigeants à rechercher les organisations trotskystes qui indiquaient un horizon large, un cadre d’analyse global apparaissant à la fois rigoureux et enthousiasmant. La révolte secoua fortement les organisations de jeunesse contrôlées par le PCF et aboutit à des exclusions massives dans l’UEC en 1966 et à la création de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire. Cette toute jeune organisation allait rejoindre formellement en 1969 la section française officielle de la IVe Internationale, presque moribonde à la suite de la politique entriste dans le PCF pour former la Ligue Communiste.

L’émulation et la concurrence entre les trois principales organisations, OCI, Voix Ouvrière et la Ligue Communiste dans ces années effervescentes politiquement et bientôt socialement étaient fortes mais pas destructrices. L’isolement n’était possible pour personne. A l’université fréquemment, aux Auberges de Jeunesse, parfois dans les entreprises, dans les meetings suivis de débats, comme le Cercle Léon Trotsky organisé par VO, les militants des différentes tendances y compris anarchistes se retrouvaient et polémiquaient pied à pied. Ce climat où chacun était habité par des certitudes poussait néanmoins à acquérir une formation politique très étoffée aussi bien pour gagner des gens à son organisation que pour faire bonne figure dans les débats avec les rivaux. Au demeurant le sens de la moquerie des autres et de soi-même était un ingrédient assez commun aux différents groupes trotskystes et un indice de bonne santé. Il faut dire que dans ces années d’avant 68, on était déjà un militant très formé sur tous les plans à l’âge de 25 ans et évidemment un « vieux dirigeant » à 35 ou 40 ans ! Les militants les plus nombreux, toutes tendances confondues, avaient moins de 30 ans, une situation qui tranche nettement avec la figure de l’extrême gauche aujourd’hui.

A partir de notre évocation des années qui ont précédé Mai 68, on ne s’étonnera pas que les différents groupes d’extrême gauche notamment Voix Ouvrière et la Ligue Communiste avec leurs divergences et leur profil très différent, se soient retrouvés en mai 68 côte à côte dans une ambiance très fraternelle, que ce soit dans la cour de la Sorbonne, dans les facs et les bâtiments publics occupés, à la porte de certaines usines ou dans les manifestations.

2. De l’heure de gloire du « gauchisme » en 1968 au triomphe de la social-démocratie en 1981
En continu depuis 1968, les identités de LO et de la LCR se sont en partie construites et bien des choix se sont faits en fonction de l’autre organisation, aussi bien au travers de rapprochements, d’actions communes que de polémiques ou d’observations attentives de ce que faisait l’autre. Même si ces interactions n’expliquent pas tout, nous allons être amenés à insister sur elles.

Le grossissement des effectifs dans la foulée de 68 et la radicalité qui continuait à s’exprimer sur tous les terrains pendant plusieurs années vont progressivement modifier l’horizon des uns et des autres et donner un sens différent, plus gros de conséquences, aux rapprochements et aux polémiques. Ce furent des années d’apprentissage accéléré et de maturation politique pour tout le monde. La perspective de la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire à relativement brève échéance apparaissait crédible, à portée de main. Des rencontres LO-LCR nombreuses eurent lieu pour discuter d’un journal commun et des étapes préparatoires en vue d’une fusion des deux organisations. Si le processus n’est pas allé à son terme comme on le sait, il aura permis entre autres choses l’existence d’une grande manifestation célébrant la Commune de Paris, d’un grand meeting commun, d’une fête commune, d’un supplément commun dans les hebdomadaires respectifs, d’une campagne commune pour populariser des revendications susceptibles d’unir les travailleurs. Rétrospectivement, il peut sembler étonnant qu’il se soit passé autant de choses (largement oubliées ou ignorées aujourd’hui), sachant les différences et les divergences entre LO et la LCR dans les années d’après Mai 68. Il faut donc entrer un peu dans le détail.

La période « triomphaliste » d’une LCR qui se développe numériquement bien plus que LO n’aura pas eu que du mauvais. En présentant un candidat à l’élection présidentielle de 1969 sur des thèmes certes gauchistes1, qui ne pouvaient pas mordre sur une fraction significative de la classe ouvrière, la LCR a au moins prouvé que ce type de campagne n’était plus la chasse gardée des partis réformistes. LO décida d’être unitaire pour deux en faisant campagne activement pour Alain Krivine. Ce fut une excellente occasion pour ses militants de faire une campagne politique large, de gagner en compétence et d’élargir son audience. D’autant plus que la direction de LO était du coup bien décidée à présenter sa candidate aux présidentielles suivantes qui eurent lieu en 1974.

La LCR, que LO n’avait pas cessé de fustiger comme petite bourgeoise par sa composition sociale et ses secteurs d’interventions, commença surtout à partir de 1970 à mettre les bouchées doubles pour acquérir une implantation dans les entreprises, non sans succès. Son attention à cette implantation ne cessera ensuite de rester une de ses priorités. L’exemple et la pression de Lutte Ouvrière n’y a pas été pour rien.

LO, que la LCR n’avait pas cessé de fustiger comme secte repliée sur elle, économiste et ouvriériste, attirait des lycéens et des collégiens du technique, faisait une campagne commune avec le PSU dirigé alors par Michel Rocard sur les transports en commun et faisait des listes communes avec ce parti aux élections municipales à Paris. Celles et ceux qui s’imaginent que LO s’en est toujours tenu à s’implanter lentement et de façon besogneuse dans les entreprises sont assez loin de la réalité. LO fut présente avec la LCR à bien des manifestations notamment contre la guerre du Vietnam, contre la dictature de Franco ou pour le droit à l’avortement. Par ailleurs LO impulsa un mouvement de collégiens du technique (avec son journal « Ceux du Technique ») et un mouvement de comités d’usagers des transports en commun sur l’agglomération parisienne qui mena parfois des actions spectaculaires. Elle mena en banlieue parisienne une campagne très soutenue à la suite d’un crime raciste. En province les militants de LO animèrent des comités contre des logements insalubres, contre un projet de dépôt de chlore dans une usine Rhône-Poulenc et aussi des comités contre les insuffisances des transports en commun. Loin d’être indifférent aux questions écologiques, son hebdomadaire a consacré dans les années soixante-dix de nombreux dossiers, articles et interviews sur les centrales nucléaires, l’usine de retraitement de la Hague et les diverses formes de pollution par les industriels. Là encore l’esprit d’initiative permanent de la LCR n’a pas été sans stimuler celui de LO dans un certain nombre de domaines.

La volonté de défendre ses idées devant un public populaire large, bien au-delà du cadre des entreprises se concrétisa par la première fête nationale de Lutte Ouvrière en 1971, et en 1973 par sa participation aux législatives dans 171 circonscriptions avec pour la première fois Arlette Laguiller comme porte-parole. De son côté la LCR se présenta dans 91 autres circonscriptions suite à un accord de répartition des circonscriptions avec LO. L’expérience des campagnes communes LO-LCR aux municipales de 1977 et de 1983 et aux Européennes de 1979 (et ultérieurement de 1999) ont été bénéfiques pour la LCR comme le reconnaît Alain Krivine dans son livre Ça te passera avec l’âge (éd. Flammarion) : « Personnellement, j’ai pas mal appris au cours de campagnes communes, changeant complètement le type de discours que je faisais dans les années soixante-dix. » (page 218).

La LCR eut de son côté de multiples terrains d’intervention qui attestaient sa volonté d’être présente sur tous les fronts, dans tous les secteurs de la lutte, même si elle n’en avait pas toujours les forces et les capacités politiques : travail dans l’armée avec des jeunes du contingent, lutte physique contre l’extrême droite, implication dans le Secours Rouge, soutien aux travailleurs de LIP en 1973, publication d’un quotidien, présence active dans le mouvement féministe et pour les droits des homosexuels, et bien sûr présence dans toutes les manifestations suscitées par les guerres impérialistes et la répression dans le monde.

Tout ce que faisait l’autre organisation était naturellement matière à des critiques vives et à des analyses fouillées. On n’en était pas encore au « chacun chez soi » d’aujourd’hui du style « on se connaît, inutile de discuter », sauf un jour par an lors d’un débat à la fête nationale de LO avec quelques piques convenues. Et en dehors de cela, quand c’est possible des deux côtés, une campagne... électorale, forcément électorale.

La LCR et LO se sont trouvées sur un même terrain mais dans une position de forte rivalité au cours des mouvements qui ont concerné la jeunesse scolarisée. Ce fut en particulier le cas au cours du mouvement étudiant de 1973 contre la loi Debré visant à supprimer les sursis pour le service militaire. La LCR, qui avait des positions fortes dans les lycées, défendait une ligne unitaire au risque de mettre les collégiens du techniques à la remorque du mouvement des lycéens tandis que LO qui avait développé tout un travail fructueux en direction des collèges techniques se battait pour l’autonomie du mouvement des jeunes du technique. LO se battait en particulier pour la coordination des jeunes du technique et pour qu’ils aient leurs revendications politiques, contre l’armée et pas seulement pour le maintien des sursis (qui ne les concernait d’ailleurs pas). Cela dans un contexte éloigné de ce qui est connu aujourd’hui, où la sélection sociale à l’entrée des lycées était beaucoup plus forte et où les enfants des couches populaires étaient massivement scolarisés dans les collèges techniques.

Ces positionnements découlaient d’une divergence politique importante qui remontait aux origines de ces deux mouvements et sur laquelle il faut s’arrêter car elle va perdurer jusqu’à aujourd’hui sous des formes diverses et de façon plus ou moins appuyée selon les circonstances.

Indépendance de classe, unité et suivisme
On a vu que pendant la Seconde guerre mondiale et les années qui ont suivi, le PCF avait bloqué efficacement toute possibilité d’émergence d’un mouvement ouvrier révolutionnaire même numériquement faible. Face à cette situation, les trotskystes se sont divisés en deux orientations fondamentalement différentes. Schématiquement, les uns (l’Union communiste de Barta et à sa suite Voix Ouvrière) considéraient qu’il fallait chercher au sein même de la classe ouvrière les éléments susceptibles de constituer une avant-garde révolutionnaire avec de jeunes « cadres » intellectuels entièrement dévoués à la construction d’une telle avant-garde. Les autres (le PCI qui sera le cadre politique de référence pour la LCR) estimaient que les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, principalement staliniennes, comptaient dans leurs rangs et même à leurs directions des travailleurs trompés, susceptibles d’être ébranlés et gagnés aux idées révolutionnaires plus facilement que des travailleurs du rang. Ces deux orientations différentes n’étaient pas en elles-mêmes contradictoires mais elles pouvaient le devenir au travers de leurs mises en oeuvre.

La première position calait clairement et d’entrée de jeu une position d’indépendance de classe et de confiance a priori dans les capacités de travailleurs du rang à comprendre les enjeux d’une grande lutte et à y jouer un rôle décisif en franchissant l’obstacle des bureaucraties syndicales et des directions politiques réformistes. C’est cette politique qui s’est avérée convaincante à Renault-Billancourt en 1947. Dans le contexte de l’époque, une petite « secte ouvriériste » n’aurait pas pu jouer un rôle aussi important dans une grève de cette ampleur.

La recherche prioritaire d’éléments d’avant-garde « trompés » à défaut d’avoir soi-même des forces faisant levier pouvait facilement déraper en diverses illusions et formes de suivismes ce qui n’a pas manqué de se produire à maintes reprises. En prenant ses désirs pour des réalités, tout dirigeant nationaliste ou réformiste, en délicatesse ou en rupture a pu être facilement paré de vertus avant-gardiste potentielles. Et bien sûr cela commandait de rechercher l’unité à tout prix avec ce type de dirigeants au nom du Front Unique, de l’unité, etc. On ne fera pas ici la liste beaucoup trop longue des personnes qui ont été courtisées, qui ont suscité des espoirs puis des déconvenues de Tito à Ben Bella, de Tillon à Juquin et au-delà. Le tropisme unitaire sans lucidité ni maîtrise du processus a conduit tout naturellement à ce qu’on a appelé le « campisme », le choix impératif et prioritaire d’un camp, comprenant en règle générale des associés étrangers aux intérêts du prolétariat, contre un adversaire suprême.

En s’inspirant de la première orientation, LO a attaché une importance primordiale à la perspective d’aider à la création de comités de grève élus et contrôlés par les assemblées de grévistes. Elle a pu mettre en application cette orientation dans plusieurs grèves importantes, notamment au Crédit Lyonnais, chez Chausson, à Jeumont-Schneider, etc.

La LCR ne s’est positionnée en faveur des comités de grève que dans les cas rares où le comité de grève était bien accepté par les syndicats influents de l’entreprise considérée (par exemple à l’EGF de Brest). Sinon la LCR, par souci unitaire au niveau des directions syndicales, préférait pousser à la mise en place d’une intersyndicale au cours des grèves, ce qui n’a évidemment pas la même signification qu’un comité de grève élu comprenant des travailleurs du rang et des syndicalistes parmi les plus estimés.

De la fin des années quatre-vingt jusqu’à nos jours, LO ne cherchera plus aussi systématiquement et avec la même détermination à favoriser la mise en place de comités de grève. De même elle sera beaucoup moins réticente à ce que tous ses militants d’entreprises accèdent à des responsabilités syndicales diverses et finira par les encourager à le faire.

L’examen des deux orientations que nous venons de faire était nécessaire pour comprendre la différence de politique de LO et de la LCR à l’égard de l’Union de la Gauche, et plus précisément du PCF et du PS relancé depuis le congrès d’Épinay vers des perspectives électorales riantes par François Mitterrand. La LCR et LO ont critiqué impitoyablement le caractère décoloré et réformiste du programme de gouvernement du PCF de 1972 puis Programme Commun de l’Union de la Gauche mis au point en 19722.

La récession économique survint en 1974-1975. Le climat vira petit à petit à l’inquiétude dans les entreprises.

La LCR plaquant artificiellement et à contre sens le schéma d’analyse de Trotsky du Front Populaire et de la grève générale de Juin 1936, appela à partir de 1978 à « l’union dans les luttes » et à « un gouvernement PC-PS, sans ministres Radicaux de gauche ». LO mit ouvertement en garde les travailleurs qu’ils n’obtiendraient rien des partis de gauche s’ils accédaient au gouvernement, d’autant moins qu’ils ne s’engageaient à satisfaire aucune revendication importante pour les travailleurs. Toutefois, en raison de l’attitude belliqueuse du PCF à l’égard du PS à partir de 1977 et du gauchissement de son langage, LO fit l’hypothèse que cette attitude traduisait peut-être une radicalisation dans les classes populaires. Elle voudra le vérifier en présentant des candidats dans presque toutes les circonscriptions aux législatives de 1978 et constatera qu’il n’en est rien. En dépit de la faiblesse de son score (1%), LO a particulièrement réussi cette campagne qui renforcera durablement le maillage de son implantation locale. Le succès était dû au fait que la direction de LO avait fait pleinement confiance à ses militants et à ses sympathisants pour improviser et faire tout ce qui était nécessaire sur le terrain avec les moyens du bord, c’est-à-dire avant tout le soutien d’ouvriers, d’employés, d’enseignants et d’agriculteurs inconnus jusqu’alors qui sympathisaient avec les idées défendues par LO.

L’année suivante en 1979, en dépit de leurs divergences de vue sur la situation politique française, LO et la LCR se présentaient ensemble aux élections européennes sur une liste intitulée « Pour les États-Unis socialistes d’Europe » qui obtint 3,08% des voix. La fête nationale de LO fut transformée en fête Ligue-LO à cette occasion. Précisons que depuis Mai 68, c’était toujours LO qui avait eu l’initiative des campagnes électorales communes. Ajoutons que la LCR avait aussi proposé à LO des campagnes politiques ou des actions ponctuelles communes qui avaient été refusées par LO.

Dans les dernières années du septennat de Giscard d’Estaing, la LCR estimait qu’une victoire de la Gauche serait un encouragement pour les luttes tandis que LO combattait, à contre courant, les illusions des classes populaires tout en appelant malgré tout à voter Mitterrand au deuxième tour en 1981 par solidarité avec les travailleurs qui voulaient en faire l’expérience. La victoire de la Gauche et de Mitterrand n’allait pas déclencher une dynamique des luttes, contrairement aux attentes de la LCR.

3. 1981-1994 : faire face à l’offensive contre les travailleurs et à l’effondrement du bloc soviétique et du stalinisme
Dans les premiers mois du gouvernement de la gauche, l’attitude des travailleurs était confiante et attentiste : « Il faut leur laisser du temps... » était la réflexion la plus fréquente quand les militants révolutionnaires critiquaient le gouvernement.

Après quelques mois d’« état de grâce » pour le gouvernement, les attaques de la bourgeoisie lancées depuis le milieu des années soixante-dix reprirent de plus belle. Le gouvernement rebaptisa « rigueur » l’austérité de l’ancien premier ministre Raymond Barre. Les plans de licenciements se multiplièrent et le pouvoir d’achat des salariés continua à s’éroder. De fortes résistances s’exprimèrent en 1982 et 1983 au sein de grandes concentrations ouvrières, notamment dans le secteur de l’automobile : usines Citroën, Chausson, Renault-Billancourt, Renault-Flins, Talbot... Des grèves puissantes éclatèrent mobilisant avant tout des O.S. (ouvriers spécialisés). Parmi eux, les travailleurs immigrés étaient particulièrement actifs. La déclaration calomnieuse du premier ministre socialiste Maurois contre « les grèves organisées par les Ayatollahs » aura des conséquences désastreuses et durables sur les ouvriers immigrés. Le lâchage des grévistes de Talbot par la confédération CGT marquera également les esprits dans les usines. Le sentiment fut le suivant : « Non seulement le gouvernement de gauche est contre nous mais les syndicats nous laisseront tomber si nous nous mettons en grève à fond. » Les ultimes explosions de colère dans la sidérurgie lorraine en 1983-84 seront impuissantes à empêcher la liquidation de dizaines de milliers d’emplois sous l’égide du gouvernement.

L’amertume suscitée par ces défaites et par la montée du chômage de masse va se traduire sur le plan politique par une désaffection à l’égard du PCF et bientôt par une inquiétante progression des résultats électoraux du Front National dans certaines agglomérations ouvrières. Le Pen qui avait obtenu 0,74% aux présidentielles de 1974 et n’avait pas pu se présenter à celles de 1981 obtiendra 14,4% à celles de 1988.

Dans ce contexte de plus en plus difficile, comment LO et la LCR vont-elles réagir ? Bien que la LCR, qui n’avait pas pu présenter Alain Krivine en 1981 faute d’un nombre suffisant de parrainages, n’ait pas appelé préférentiellement à voter pour Arlette Laguiller, la direction de LO, sans rancune, proposa à la LCR de constituer des listes communes aux élections municipales de 1983. Des listes s’intitulant « La Voix des Travailleurs contre l’austérité » purent se présenter dans 80 villes (contre 56 aux municipales de 1977 avec des listes LO-LCR-OCT). Cette campagne contribua fortement à l’enracinement local des deux organisations. Les militants de la LCR s’étaient impliqués avec beaucoup plus de conviction qu’en 77. Au reste la LCR eut deux élus. Les conditions semblaient à nouveau favorables pour un rapprochement au-delà des élections, ce qui se traduisit par une fête commune en 1985, des réunions entre militants à tous les niveaux et en particulier pendant des mois par la tenue de cellules communes. Cela permit de mieux comprendre comment militaient les uns et les autres. Dans leur for intérieur, certains militants de LO et de la LCR touchèrent du doigt au travers de cette expérience ce que pouvait avoir de caduque ou de valide telle ou telle habitude ou pratique propre à leur organisation. La plupart, bien sûr, en tirèrent probablement la confirmation qu’ils avaient choisi la meilleure des organisations et qu’il ne fallait rien y changer. Si l’expérience avait continué, les perceptions auraient évolué car jamais les militants de LO et de la LCR n’ont été aussi proches que dans la période allant de 1983 à 1985. Ce qui ne signifie pas que toute méfiance avait disparu de part et d’autre.

En 1986 les relations se dégradèrent assez vite entre la direction de LO et celle de la LCR. LO reprocha à la Ligue de vouloir l’impliquer, mine de rien, dans sa tentative de construction d’une « alternative » constituée de gens ne se situant pas sur le terrain de la classe ouvrière. Les échanges allaient s’envenimer à la suite d’un incident à la fin d’un meeting à Strasbourg avec Arlette Laguiller où des militants locaux de la LCR avaient protesté vigoureusement contre l’absence de débat décidé par LO en voulant s’approcher de la tribune pour prendre malgré tout la parole. La direction de LO exigea des excuses de la part de la direction de la LCR. Ne les obtenant pas, elle décida de la rupture des relations à tous les niveaux, envoyant même ses militants localement demander à ceux de la LCR de désavouer leur direction. Ce qu’aucun ne fit évidemment, y compris ceux qui avaient tissé des liens étroits avec les militants locaux de LO.

Une des tendances de la LCR, la T3, y trouvait évidemment son compte puisqu’elle était hostile à l’unité LO-LCR. La LCR se lança à nouveau de façon éperdue et vaine dans la quête de personnes en rupture avec les partis de gauche pour constituer la mythique « alternative ». LO estimait pouvoir se passer sans dommages de ses bonnes relations avec la LCR. Illusions croisées. Le « froid » instauré fut préjudiciable aux deux organisations sur plusieurs plans, en renforçant certaines de leurs faiblesses spécifiques et en ne leur permettant pas d’analyser ensemble, avec leurs différences, les transformations importantes qui allaient affecter le monde à la fin des années 80.

Du repli sur soi de LO...
La thématique chère à la direction de LO du « comportement inadmissible qu’on ne peut laisser passer » était promise à un grand et triste avenir. Le psychodrame moraliste sera un moyen de plus en plus récurrent pour affronter les divergences ou les interrogations qui surgiront au sein de LO. Aller à la rupture avec la LCR sur un incident déplaisant mais tout de même mineur, avait un caractère inédit. L’épisode n’a certes pas une portée historique mais il est significatif d’une évolution inquiétante.

Il faut tenter de l’éclairer par les transformations internes à l’oeuvre au sein de LO à partir du milieu des années quatre-vingts. Ces changements sont à la fois d’ordre politique et d’ordre organisationnel. Au départ il y avait une analyse de la situation politique et sociale comme marquée par un recul et une démoralisation croissante et probablement durable de la classe ouvrière. L’analyse était juste mais le sera nettement moins plus tard quand les traits noirs de la situation seront exagérément accentués et les éléments positifs systématiquement minorés. Les évènements de 1995 exploseront à la figure de la direction de LO comme on le verra plus loin, en contradiction avec sa vision d’une période de recul continu. Conséquence de cette analyse unilatérale, la direction de LO va estimer qu’il faut resserrer les rangs et inviter les militants qui ne seraient pas prêts à affronter une dure répression à accepter le statut de sympathisants avant qu’il ne soit trop tard.

Parallèlement le constat était fait que l’organisation vieillissait et qu’elle n’aurait pas d’avenir si elle ne consentait pas un effort de recrutement permanent et intensif pour gagner des jeunes. Cette orientation faisait l’unanimité. Une méthode de recrutement par paliers progressifs fut mise en oeuvre pour gagner des lycéens susceptibles d’avoir la stature de « militants professionnels ». Les résultats étaient comptabilisés et les statistiques suivies de près. Cet effort volontariste, concerté et organisé aura des résultats positifs indiscutables. Tout le monde pourra constater dans ces années-là que LO était la seule organisation capable de gagner des jeunes en nombre et de les garder. La méthode dans ses modalités comparatives avait aussi son revers. Elle créa un esprit de commando. Elle créa un malaise en introduisant des éléments de concurrence entre les groupes et les militants « accrochant » les lycéens, les uns ayant des succès (qui leur montaient parfois à la tête) et les autres se décourageant de ne pas arriver à grand-chose.

D’autant plus que les cibles visées dans le recrutement étaient « les meilleurs élèves des meilleures classes des meilleurs lycées ». D’où une accentuation de l’orientation consistant à vouloir gagner des jeunes intellectuels pour constituer une élite sélectionnée à qui l’on va faire subir une série de tests pour éprouver leurs capacités.

Plus tard le constat du nombre faible de jeunes travailleurs dans les rangs de LO provoquera la mise au point d’un processus très élaboré dit « tapis roulant » où on ne cherchait pas à gagner les jeunes travailleurs d’emblée sur le côté attractif des idées révolutionnaires, contrairement aux lycéens. Des paliers relationnels furent conçus pour que les plus jeunes militants se lient humainement aux jeunes travailleurs et repèrent ensuite ceux à même d’être cultivés puis ultérieurement politisés et formés. Ceci dit, les efforts déployés auront permis à un nombre assez important de jeunes travailleurs de se lier au milieu de LO, même si très peu d’entre eux ont eu une vocation militante pleine et entière.

Sans entrer dans le détail, ce processus complexe au phases calibrées et quantifiées avec précision renforça l’idée implicite déjà présente suite à la campagne en direction des lycéens, que le recrutement est au fond affaire de « méthodologie organisationnelle » plutôt que de politique. Mais aussi plus généralement que l’on peut construire une organisation de « cadres révolutionnaires » par une culture, certes très consistante, des militants, mais au travers de ce qui s’avère être une sorte de culture hors sol.

L’environnement culturel et militant interne à LO finit de fait par être conçu comme devant et pouvant fournir le capital d’expériences suffisant à la formation d’un jeune militant. L’accent était alors mis sur une culture politique en grande partie livresque et romanesque, le jeune militant étant invité à se nourrir de l’expérience (inévitablement plus grandiose) des précurseurs bolcheviks. Il manquait à cette formation de forger sa propre expérience au contact de la lutte et de la confrontation politique vivante. Alors que c’était encore le cas quelques années plus tôt quand LO envoyait, quand cela était possible, ses nouveaux recrutés pour un temps aux Jeunesses Communistes pour découvrir un autre milieu militant, et pour les prémunir contre un anticommunisme n’ayant rien à voir avec le trotskysme ; ou encore quand les jeunes militants de LO discutaient d’arrache-pied avec les jeunes militants de la LCR de Cuba, des Démocraties Populaires ou de la façon d’intervenir dans les entreprises.

La formation LO devint pendant ces années quatre-vingts plus étroitement « idéologique » et « activiste », dans le sens péjoratif du terme. Elle se doubla d’un moralisme de plus en plus prégnant, d’une méfiance renforcée à l’égard des « comportements petits-bourgeois inadmissibles » dont on considérait qu’ils menaçaient l’identité de classe de l’organisation. Les années passant, cette formation eut aussi le défaut de maintenir en grande partie les jeunes militants organisés dans des cellules spécifiques dédiées au recrutement à l’écart du reste de l’organisation et vice versa. Ce qui ne pouvait aboutir qu’à un appauvrissement mutuel alors qu’un des points forts de LO jusqu’alors avait été de réussir à collectiviser les expériences et la culture des uns et des autres, qu’ils ou elles travaillent en entreprise ou pas.

Ces années-là que des journalistes ont appelés « les années Tapie » et qui correspondent à une décennie où les « Yuppies » étaient présentées comme des héros, et les idées progressistes et a fortiori communistes comme conduisant au totalitarisme, n’étaient pas du tout favorables à la diffusion des idées révolutionnaires au sein de la jeunesse et de la classe ouvrière. LO a mieux réussi que d’autres organisations à maintenir ces idées et à les transmettre. Pour ce faire elle a été tiraillée entre deux tendances à l’oeuvre en permanence : s’ouvrir aux autres et se refermer sur soi. L’ouverture s’est traduite par exemple par la volonté de faire participer ses jeunes militants étudiants ou lycéens au mouvement contre la réforme Devaquet. Bien plus, elle leur a donné le champ libre, ce qui était inédit pour LO, de jouer un rôle dirigeant là où ils le pouvaient dans ce « mouvement de petits bourgeois ». Elle s’est traduite par son effort pour concevoir de nouveaux stages de formation incluant par exemple un vaste corpus d’ouvrages analysant la crise du capitalisme depuis la crise du dollar en 1969 et la récession de 1974-1975, les thèmes en débat dans le champ scientifique (biologie, physique, paléontologie, etc.) ou encore des stages faisant découvrir un vaste ensemble de romans d’écrivains du monde entier et de différentes époques. L’expérience d’une radio libre, « Radio La Bulle », a même été tentée pendant quelques mois par LO.

La direction de LO était également consciente de son risque d’enfermement humain et politique dans les frontières de l’hexagone. Pour y remédier elle a demandé en 1985 au Secrétariat Unifié (SU) de la IVe Internationale d’être intégrée comme organisation observatrice. Après le refus du SU, LO a engagé une collaboration avec le MAS (Mouvement pour le socialisme) argentin dirigé par Nahuel Moreno qui s’est traduite en particulier par un échange de militants participant aux activités de l’autre organisation. Enfin LO a envoyé pour des périodes plus ou moins longues des militants dans des organisations trotskystes membres de son regroupement international, l’Union Communiste Internationaliste. Ces expériences, de même que le recrutement de jeunes discutant de tout à perte de vue, ont à la fois créé un appel d’air salutaire et des difficultés organisationnelles et politiques. Intégrer la nouveauté du contenu de ces expériences lui a finalement posé des problèmes insurmontables qui entraîneront des réponses de plus en plus rigides et disciplinaires.

Les efforts des militants de LO sur le terrain de recrutement s’ajoutèrent à ceux qu’ils poursuivaient dans les régions et les entreprises en permanence et à l’occasion des campagnes électorales, des fêtes et des caravanes d’été. LO fut en position de jouer un rôle déterminant ou important dans quelques grèves notamment dans celle des cheminots à l’hiver 1986-87 et à la SNECMA en 1988 où ils impulsèrent des coordinations de grévistes.

... aux errements droitiers de la LCR
De son côté la LCR tentait de combattre l’érosion de ses effectifs par d’autre voies, en s’investissant toujours dans le syndicalisme étudiant, dans SOS Racisme et dans les mouvements de lycéens et d’étudiants tel que celui contre la réforme Devaquet en novembre-décembre 1986.

La fronde des rénovateurs dans le PCF redonna des couleurs aux espoirs de la LCR de réaliser l’unité avec des secteurs, sinon des pans entiers de militants se détachant de l’appareil. Le rêve de la « grande unité » avec des partenaires influents dans la classe ouvrière reprenait corps et amenuisait à nouveau son intérêt pour la « petite unité » avec seulement les révolutionnaires de Lutte Ouvrière. Résultat, ce fut en vue des élections présidentielles de 1988, la campagne derrière Pierre Juquin, un ancien dirigeant du PCF exclu du Bureau Politique en 1984 et en dissidence ouverte l’année suivante. Juquin se proposa pour oeuvrer autour de sa personne à un rassemblement « unitaire » et « à la gauche de la gauche ». L’essentiel de l’énergie dans cette campagne avait été fournie par les militants de la LCR. Le score de Juquin (2,08%) comme les résultats politiques furent très décevants pour la LCR même si elle chercha à se persuader du contraire. Les travailleurs influencés encore par le PCF ou déçus par ce parti, ne s’étaient pas massivement sentis représentés par Juquin.

Les militants d’entreprise de la LCR furent particulièrement en pointe dans le secteur de la Santé et de la Poste, eux aussi partie prenante de coordinations et à l’origine de la création de syndicats SUD (Solidaire Unitaire Démocratique) suite à des conflits jusqu’à l’exclusion de la CFDT de plus en plus hostile au recours à la grève.

A la LCR comme à LO, les responsabilités syndicales prirent dans ces années-là une place de plus en plus importante avec des conséquences positives et d’autres plus embarrassantes. Le découragement, l’érosion du recrutement et la perte de crédibilité du PCF se répercutaient sur la CGT. Des places de responsabilités se libéraient et ne pouvaient être défendues de façon aussi farouche par l’appareil qu’au cours de la décennie précédente. Un certain nombre de militants de LO et de la LCR accédaient à des responsabilités au sein de la CGT dans un contexte où la combativité ouvrière déclinait sensiblement. Il devenait difficile d’avoir une perception politique qui aille au-delà d’un positionnement revendicatif et de défense des droits acquis, lié au seul contexte de l’entreprise. Parfois les liens tissés avec des équipes cégétistes liées à l’appareil ne permettaient pas toujours d’avoir le recul nécessaire face aux manipulations de l’appareil confédéral. On en eut un exemple à la fin de la grève à Renault-Cléon en 1991 où les militants LCR de cette entreprise ne parvinrent pas à garder leur autonomie par rapport au syndicat CGT voulant faire reprendre le travail sous la pression de la direction confédérale, contre l’avis majoritaire des grévistes.

L’impact de la chute du bloc soviétique
Pour comprendre les spécificités de la deuxième moitié des années 80 et de la première moitié des années 1990, il faut avoir à l’esprit que l’offensive mondiale du Capital contre le Travail et le démantèlement des protections sociales déjà bien entamés se sont accompagnés d’une campagne multiforme de dénigrement des idées communistes et progressistes et de valorisation des idées individualistes et des « gagneurs » dans la sphère de l’entreprise et de la finance. L’effondrement du bloc soviétique sans que le prolétariat n’intervienne pour son propre compte va déjouer toutes les attentes ou les espoirs des différents groupes trotskystes. C’est finalement ce fait international majeur qui va provoquer au sein de la direction de LO une crise importante qui va empoisonner durablement les relations internes dans toute cette organisation.

Dans des périodes antérieures, à plusieurs reprises des militants de LO avaient remis en cause l’analyse de l’URSS comme État ouvrier dégénéré. A chaque fois les discussions furent violentes et se soldèrent par des départs ou des exclusions. Il était habituellement entendu par la direction de LO qu’une divergence sur l’URSS était une fausse barbe de petit-bourgeois ayant d’autres divergences qu’il n’osait exprimer. Quand des militants de la direction suggérèrent que la nature de l’URSS était en train de changer au travers de la « perestroïka » de Gorbatchev et qu’on assistait à une contre-révolution, la majorité de la direction s’empressa de plomber la discussion en mettant en cause des « comportements inadmissibles et hypocrites ». Au lieu de chercher à y voir clair collectivement, y compris au travers de discussions polémiques, on assista à un effondrement des relations fraternelles au sein de la direction, les minoritaires étant accusés d’avoir voulu au travers de cette question déclencher une lutte de pouvoir et ébranler la cohésion de l’organisation en réfractant en son sein des pressions de la petite bourgeoisie intellectuelle. La discussion se poursuivit malgré tout vaille que vaille comme l’attestent de nombreux textes mais dans un climat de suspicion permanent, avec des épisodes psychodramatiques et des exclusions individuelles de minoritaires pour « manquement aux principes », à la « discipline », pour « attitudes mensongères »...

Les années 90 installèrent donc LO dans un état de crise permanent qui renforça une approche pessimiste et moraliste de tous les problèmes. Mais la crise déclenchée par le débat sur l’URSS est avant tout le révélateur d’une authentique limite atteinte par cette organisation après plus de trente années de développement : l’incapacité à débattre collectivement de l’un des piliers fondamentaux de l’héritage trotskyste, alors même que cette discussion est rendue nécessaire par l’évolution du monde environnant. Tout se passe alors comme si LO, s’étant constituée comme organisation trotskyste, ne pouvait pas renoncer à la nature ouvrière de l’État soviétique puis russe sous peine de s’effondrer3. S’il est évidemment infantile de découvrir une situation nouvelle chaque matin, la tendance inverse qui consiste à appréhender l’actualité exclusivement sous ses aspects de continuité avec le passé est quant à elle totalement rétrograde. Le conservatisme idéologique est ici fondé dans un conservatisme organisationnel. Pour ne pas mettre en cause la routine, le fonctionnement rythmé par ses congrès et autres échéances internes, rien de tel que la vision cyclique d’un temps répétitif voire éternisé, en dehors de l’histoire.

4. 1995/2000 : début d’un renouveau
La seconde moitié des années 1990 allait voir surgir les prémices d’une situation nouvelle pour le courant révolutionnaire. Plusieurs éléments en ont été les indicateurs. Sans avoir totalement, loin de là, tiré toutes les conséquences de l’écroulement du bloc soviétique et du mouvement stalinien, les organisations trotskystes françaises ont su utiliser le cadre électoral pour mener campagne sur des axes sociaux qui touchaient juste.

Les révolutionnaires dans les élections
Le premier phénomène marquant pour l’extrême gauche française dans cette période c’est en effet le score inédit de LO aux présidentielles de 1995. Pour la première fois en France, une candidature issue du mouvement trotskyste sortait de la marginalité pour atteindre un score comparable à celui des candidats du PCF. C’est cependant un peu l’ironie de l’histoire que d’avoir fait de l’arène électorale celle où l’extrême gauche française allait percer.

Il est utile ici de rappeler la position originaire du mouvement trotskyste vis-à-vis des élections. Le mouvement marxiste révolutionnaire a longuement et intensément débattu la question du positionnement vis-à-vis des institutions. Entre la conviction que l’État et ses institutions sont les instruments de domination par excellence du système et le spectacle affligeant des partis ouvriers venus s’embourgeoiser au contact des postes de pouvoir, la tentation a toujours été grande de rejeter purement et simplement la participation au jeu électoral.

La ligne des organisations trotskystes s’est constituée dans le sillage du positionnement de Lénine, fustigeant le « gauchisme » et les positions anarchisantes : il s’agissait alors d’être pragmatique avec la question des élections plutôt que de se cantonner à une position moralement pure, loin du pouvoir corrupteur, mais inefficiente. Évidemment, les révolutionnaires n’ont jamais cru que les élections allaient changer la vie – du moins ceux qui ont fini par le croire ont-ils cessé d’être révolutionnaires. L’idée de se présenter aux élections, voire d’avoir des élus, n’a jamais été qu’on allait pouvoir ainsi transformer de l’intérieur et graduellement le système. L’idée était plutôt d’utiliser les élections, la campagne mais aussi, le cas échéant, les postes d’élus, comme point d’appui pour les luttes, seules à même de peser contre le système.

La campagne menée par LO en 19954 a ainsi été centrée sur « le troisième tour social ». Le premier tour pour compter les forces, rien de décisif ne devant se jouer au deuxième tour, restait la période post-élections, donc les luttes. L’enjeu de la campagne, cantonnée au premier tour, était alors de populariser des revendications sociales radicales articulées en « plan d’urgence ». Le principe n’était pas alors celui d’un catalogue revendicatif de type syndical radical, mais bien d’un programme politique inspiré du programme de transition : pas un « programme minimum » sur la répartition des richesses, mais une série de revendications s’en prenant au capital assorti d’une méthodologie : le contrôle ouvrier.

Le succès a été – pour l’époque – époustouflant. Il était l’expression d’une radicalisation chez les salariés notamment qui s’était déjà exprimée sur le terrain des grèves dès la fin de 1994 et au printemps 95, notamment à Air France et chez Renault. Le thème du « troisième tour social » avait une telle pertinence qu’il s’est traduit très concrètement par le mouvement de novembre-décembre 95 ! Sur le terrain revendicatif ce mouvement défensif fut victorieux. Mais il apporta bien davantage que la mise en échec du plan Juppé. Nous ne reprendrons pas ici une analyse de fond de ce mouvement. Mais avec douze ans de recul, il apparaît de façon encore plus évidente comme un mouvement qui a ouvert plusieurs brèches. Il a redonné le goût de la lutte collective et de la contestation sous des formes plus démocratiques et plus méfiantes à l’égard des directions syndicales et politiques traditionnelles. Il a fait reculer en partie pour toute une période le fatalisme et le sentiment d’impuissance qui avaient fini par atteindre bien des travailleurs et des militants. Dans la lancée du mouvement de 1995, des jeunes vinrent sur la scène politique et sociale et des anciens y revinrent avec une énergie renouvelée. Les effets politiques et sociaux furent de longue durée et de longue portée.

Ainsi le succès électoral de LO de 95 qui était pour bien des gens celui de l’extrême gauche s’est confirmé quatre ans plus tard, quand la liste LO-LCR aux élections européennes a décroché cinq postes de députés au parlement européen. Ce qu’il a manifesté, c’est bien une nouveauté dans la situation objective. Les élections peuvent constituer un reflet partiel des transformations politiques. Elles sont souvent vues et interprétées, par les révolutionnaires qui mènent campagne eux-mêmes, comme un baromètre, un thermomètre, un sondage grandeur nature – on reviendra plus loin sur les limites et les pièges de cette métaphore. Toujours est-il qu’elles traduisent à leur façon certaines réalités politiques. En l’occurrence, on a assisté à partir de 1995 à la maturation politique d’une frange de salariés et de jeunes, un processus qui ne s’est pas démenti depuis.

On est en effet passé d’une situation – de 1968, voire de l’après-guerre aux années 1990 – où le mouvement ouvrier et les mobilisations sociales au sens large étaient presque entièrement dominés par les partis réformistes (PS et PCF, et aussi parfois investis par le PSU dans les années 1960-1970), à une situation où une frange radicale en était émancipée. C’est-à-dire émancipée des illusions dans la gauche institutionnelle, et émancipée de la stratégie électoraliste qui va avec. Entre-deux, Mitterrand était passé par là, la grande désillusion consécutive aux années de la rigueur à partir de 1982, l’émergence électorale de Le Pen en 1984, et le gigantesque recul militant du PCF tout au long des années 1980 et 1990.

« Nouveaux mouvements sociaux »
Autre manifestation de cette maturation : les années 1990 ont vu l’émergence de mouvements sociaux massifs, se situant à la périphérie du mouvement ouvrier traditionnel et posant de fait la question de l’alternative sociale et politique. Les années 1970 avaient déjà vu l’apparition de mouvements sociaux, souvent très politisés – notamment du fait de la présence importante de militants d’extrême gauche – et se situant à l’écart des sentiers traditionnellement battus : mouvements anti-coloniaux, écologistes, féministes. Le fait est que, peut-être du fait de la situation des années 1970, le débat au sein de ces mouvements était entièrement « balisé » par des délimitations venant de l’extérieur, entre positionnements « gauchistes » et « réformistes » post-staliniens ou social-démocrates. Les organisations existantes ont certainement enrichi leurs programmes respectifs d’expériences et de problématiques nouvelles, mais ces mouvements n’ont pas en tant que tels produit un besoin nouveau de politique.

La situation était en apparence différente pendant les années 1990. Ce sont les mouvements des « sans » qui ont marqué tout d’abord le paysage, sans-logis avec le DAL, travailleurs sans-papiers et travailleurs sans-emploi (notamment le mouvement des chômeurs à l’hiver 1997). Les « exclus », ces sacrifiés des restructurations et de la mondialisation capitalistes, qui n’avaient suscité jusqu’ici que des oeuvres caritatives, ceux-là même relevaient la tête, investissant le champ politique et faisant la Une de l’actualité. La nouveauté ne résidait pas tant dans les méthodes de lutte que dans le fait que dans ces secteurs on assistait à ce qu’on n’avait plus connu depuis des décennies dans les secteurs traditionnels de la classe ouvrière : des travailleurs qui s’organisent eux-mêmes, prennent leur sort en main et travaillent à l’amélioration de leur sort.

Vers la fin des années 1990, on assista aussi à l’émergence du mouvement altermondialiste et du mouvement antiguerre. Ce furent les premières réactions d’ampleur au nouvel ordre impérialiste mondial. Elles se sont manifestées sous différentes formes, depuis le succès d’associations comme Attac (créée en 1998) aux contre-sommets qui ont égrené le tournant du siècle (Seattle 1999, sommets anti-G8 comme Gênes 2001, changements de présidence de l’UE...), en passant par la tenue des forums sociaux mondiaux et de leurs variantes continentales et locales, ou par les mobilisations contre les croisades états-uniennes (Afghanistan, Irak). Du point de vue politique, l’apparition du mouvement altermondialiste est certainement le fait le plus marquant des dix dernières années. Il a posé d’emblée, explicitement la question d’« un autre monde ». Dix ans après la Chute du Mur et l’annonce de la fin de l’histoire par les chantres du capitalisme, une nouvelle génération militante s’est dressée et a posé le problème sans détour : sommes-nous condamnés à vivre dans ce monde, ou pouvons-nous en changer ?

La LCR a été attentive et à l’affût de ces mouvements de chômeurs (marches européennes), sans-papiers, précaires, elle a joué un rôle très actif dans la création et/ou l’animation de Sud et d’AC !, des Forums sociaux, d’ATTAC, etc., ce qui était juste ; mais elle n’avait pas d’autonomie et d’orientation propre en tant qu’organisation révolutionnaire dans ces collectifs et mouvements dont elle était partie prenante. En caricaturant à peine on peut résumer le positionnement des deux organisations vis-à-vis de ces mouvements : pour LO « On a une orientation donc on ne participe pas à ces trucs », et pour la LCR : « On participe donc on s’abstient d’avoir une orientation ».

Ces mouvements ont renouvelé pourtant la question, lancinante pour l’extrême gauche, du « débouché politique » pour les luttes. Les « nouveaux mouvements sociaux » se développaient sur fond de transformations économiques et sociales profondes, avec les délocalisations, la déstructuration de la classe ouvrière et la décomposition du mouvement ouvrier traditionnel, notamment une intégration de plus en plus poussée des appareils syndicaux au jeu institutionnel. Les luttes concernées se déroulaient ainsi loin du noyau dur historique de la classe ouvrière, d’où des difficultés à les appréhender : doit-on passer avec armes et bagages du côté des nouveaux mouvements sociaux, et abandonner l’idée que la lutte des classes sera le facteur central de la révolution socialiste ? Ou bien au contraire mépriser l’agitation périphérique et poursuivre le travail de fourmi (tout) contre les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, syndicats et partis ? Il semble que beaucoup n’aient pas su échapper à cette fausse alternative.

5. 1995/2000 : la question de l’unité des marxistes révolutionnaires
La nouveauté de la décennie 1990 ne pouvait pas ne pas avoir d’impact sur le microcosme de l’extrême gauche. Les choses se sont réfractées différemment selon les environnements organisationnels. Nous allons continuer à concentrer notre attention sur les deux organisations d’extrême gauche ayant pignon sur rue en France, LO et la LCR5.

Nous synthétisons à nouveau leurs parcours respectifs pour mieux comprendre les faiblesses de ces deux organisations face aux possibilités qui se sont développées tout particulièrement entre 1995 et 2003. Les stratégies de construction des deux organisations ont, malgré les apparences, convergé dans les années post-68. Il s’agissait alors, des deux côtés, de stratégies relativement élitistes basées sur le recrutement et la formation de « cadres » révolutionnaires. Le niveau d’engagement moyen exigé des militants était alors particulièrement élevé. Chacune avec son optique, les deux organisations s’armaient alors dans un contexte de rivalité avec un PCF ayant une situation de quasi monopole sur le mouvement ouvrier comme sur toute forme de contestation sociale. Le diagnostic commun aux organisations trotskystes depuis les années 30 était celui de la « crise de direction » : les directions du mouvement ouvrier socialiste et communiste ont trahi, elles sont passées du côté de la bourgeoisie ; l’objectif est de construire une nouvelle internationale ouvrière qui en soit débarrassée, la tâche principale étant alors de construire une direction de rechange. C’est dire que le mouvement trotskyste ne s’est pas seulement positionné par contraste (l’Opposition de gauche) au stalinisme : toute sa stratégie de construction a été conçue, pendant des décennies, à partir de la réalité d’un mouvement ouvrier politique massivement organisé au sein des partis social-démocrates et staliniens.

Là où LO et la LCR divergeaient, c’était – au-delà des différences de positionnement politique sur les conflits coloniaux, les pays de l’Est, etc. – dans la méthode de construction des organisations : à ce qui est devenu la stratégie du bunker de LO répondait celle de l’ouverture à tous vents de la LCR. Quand la première est restée rivée sur sa « priorité », à savoir l’implantation dans les secteurs industriels traditionnels de la classe ouvrière, la seconde s’est activée sur tous les fronts au risque de sombrer dans le mouvementisme. Il a résulté de ces fonctionnements divergents des régimes internes assez différents (monolithisme du côté de LO, multiplicité de tendances centrifuges à la LCR), et une attitude différente à l’encontre du programme (dogmatisme dictatorial à LO, révisionnisme démocratique à la LCR).

Quoi qu’il en soit, ces défauts ne doivent pas masquer l’essentiel, à savoir que les deux organisations ont réussi, chacune à sa manière, à préserver et transmettre le capital politique du trotskysme en milieu hostile pendant un demi-siècle. Mais dans les années 1990, la question est alors devenue : ces organisations sont-elles aptes à propager leur capital politique, à le transformer et le mettre au service de la constitution du nouveau mouvement ouvrier ? Rien n’est moins sûr.

LO a, assez logiquement, subi l’impact des transformations objectives avec une relative violence. Le monolithisme impliquant une certaine rigidité, le contraire eût été étonnant. Avec la Chute du Mur, les premières mises en cause de l’analyse trotskyste historique de l’URSS comme État ouvrier dégénérés ont donc tourné au psychodrame et à l’apparition d’une fraction publique, l’Étincelle, en 1996. En apparence l’épisode finit par être relativement bien digéré par l’organisation : ladite Fraction ne mordant jamais au-delà de 2 ou 3% des votes lors des congrès annuels, elle va servir de caution démocratique à la direction majoritaire.

L’effet 1995 sera plus violent : il faudra alors faire face au succès et répondre à un nouveau public ayant voté LO et prêt à aller plus loin. Au soir du premier tour des présidentielles, la candidate de LO lança un appel à la création d’un grand parti défendant les intérêts politiques des travailleurs ; à la Tendance Révolution ! de la LCR qui répondit « chiche ! », elle rétorqua que chacun était libre de ratisser dans son coin. Le bilan interne, ce fut après six mois de débat violent et empoisonné sur la faisabilité ou non dudit parti, une majorité qui décréta que c’était infaisable ; LO rompit comme un monolithe, excluant près de 200 militants et sympathisants : deux villes quasi complètes et elles seules (à quelques individus près). Autrement dit, LO a fait montre d’une totale incapacité à assumer la moindre différence d’appréciation politique et en conséquence à se mettre en phase avec la situation.

L’approche étroite et, pour dire les choses nettement, boutiquière de LO et de la LCR par rapport aux évènements politiques et sociaux de 1995 indique les limites inquiétantes de ces deux organisations. La majorité de la LCR a été prise à contre-pied par le succès de LO dont elle ne pouvait rien tirer comme bénéfice organisationnel. Elle ne comprendra pas le sens général des 5 % recueillis par LO. Elle va s’obstiner pendant encore trois ans dans son cours « droitier » à la recherche de « forces » politisées susceptibles de constituer une « alternative 100 % à gauche ».

De son côté, LO, non seulement va sous-estimer la portée des 5 % obtenus par Arlette Laguiller mais aussi celle du mouvement de novembre-décembre 95 ! Certes les militants de LO comme ceux de la LCR y ont participé activement mais sans orientation proposée par leur direction. Le caractère démocratique vivant émanant des assemblées, comités et coordinations était systématiquement sous-évalué par la direction de LO qui y voyait avant tout un mouvement défensif permis par les directions de FO et de la CGT et un mouvement anti-Maastricht. En guise d’« analyse », le mouvement ne donnera lieu qu’à une chronologie développée dans la revue Lutte de classe.

En 1995 il est clair que LO et la LCR se sont refusées à comprendre la logique d’ensemble qui relie l’expression politique de la radicalisation sur le terrain électoral à celle qui est survenue quelques mois plus tard dans les grèves et dans la rue.

Le groupe exclu de LO au printemps 1997, qui a pris le nom de Voix des Travailleurs (VDT), va pendant trois ans défendre la ligne de l’unité des marxistes révolutionnaires avant d’intégrer majoritairement les rangs de la LCR. L’idée était qu’il fallait abandonner les vieilles stratégies organisationnelles car la période avait changé, et que le nouveau public de l’extrême gauche, l’attente d’un débouché politique exigeaient de créer un cadre large dont les organisations révolutionnaires puissent être partie prenante. Elle s’est traduite par quelques initiatives notables par leurs dimensions comme par leur contenu. La perspective de l’unité n’était pas alors seulement le sous-titre d’un hebdomadaire militant, mais elle rencontra un écho chez de nombreux militants révolutionnaires dans différentes villes : Paris, Bordeaux, Rouen, Nancy, Lille et un intérêt auprès de militants dans d’autres pays notamment en Amérique Latine et en Grande Bretagne.

Le regroupement des révolutionnaires s’est traduit par la fusion du groupe initial VDT avec celui de la Ligue Internationale des Travailleurs (LIT) issu du courant moreniste et par une collaboration permanente avec le collectif publiant la revue Carré Rouge (CR), composé de militants issus du courant lambertiste. Cette fusion et cette collaboration élargissaient l’horizon des participants et enrichissaient les débats. Sur Bordeaux et sur Rouen des fêtes communes et une campagne commune aux élections régionales de 1998 auront lieu (entre VDT, la LCR, la Gauche Révolutionnaire, l’Association pour le Regroupement des Travailleurs). Les collaborations les plus poussées par ailleurs se feront à Rouen où les groupes ci-dessus publieront des bulletins d’entreprises communs et se réuniront régulièrement en assemblées générales communes. L’unité des révolutionnaires aura eu un effet également bénéfique au cours du long mouvement et de la grève avec occupation à l’usine Ralston près de Rouen en 1998 où les militants de la LCR et de VDT ont agi ensemble fraternellement, ce qui a permis la mise en place d’un comité de grève élu et contrôlé par l’assemblée générale des grévistes et d’optimiser les forces des travailleurs contre leur patron. Ce que nous venons de mentionner rapidement est suffisamment probant sur la valeur d’une orientation visant à une unité active, dans la clarté et le respect des différences de chacun. Il ne s’agissait pas d’additionner des petits groupes et de pratiquer une unité de façade sans conséquences. L’unité n’avait de sens et de portée que si elle engageait tous les participants entre eux et vis-à-vis des travailleurs et si elle les amenait à fonctionner démocratiquement, sans manoeuvres et coups d’éclat qui pèsent lourdement dans l’héritage des groupes d’extrême gauche. L’unité ne pouvait prendre toute sa signification qu’en permettant d’attirer dans les débats et dans les actions des jeunes et des salariés attirés non seulement par les idées révolutionnaires mais aussi par la probité et l’attitude respectueuse de ceux prétendants défendre ces idées. L’unité ne pouvait permettre de franchir d’autres étapes que par une aspiration de tous les militants à renoncer aux comportements de petits chefs et/ou sottement avant-gardistes.

Simultanément aux expériences concrètes évoquées plus haut, VDT a également mené des discussions avec d’autres groupes encore, notamment Workers Liberty, Partisan ! et Pouvoir Ouvrier. Mais les échanges qui pouvaient s’avérer les plus importants étaient ceux avec la Fraction minoritaire de LO et avec la Tendance Révolution ! (TR !) de la LCR. Car si rien ne réussissait à faire bouger ni LO ni la LCR, les perspectives ouvertes depuis 1995 ne pouvaient que difficilement prendre corps pour jeter les bases d’un parti révolutionnaire démocratique des travailleurs. L’objectif le plus audacieux et le plus fructueux des rencontres entre VDT, la Fraction et la TR ! aurait été de parvenir à la fusion de ces trois tendances assez rapidement, ce qui aurait inévitablement obligé LO et la LCR à changer, à beaucoup changer, dans le bon sens si on s’en tient au seul critère qui vaille : l’intérêt des travailleurs.

Les trois tendances ont réussi à co-organiser une conférence ouvrière qui a été un succès et a rassemblé plusieurs centaines de personnes. Les choses n’iront pas plus loin. VDT refusa de participer à une revue commune où son droit de pouvoir critiquer librement les directions de LO et de la LCR serait a priori bridé. Cette divergence indiquait que sur le fond les camarades de la Fraction et de la TR ! voulaient faire évoluer leur organisation respective progressivement et prudemment, sans risque de rupture avec leur majorité. C’était une autre conception de l’unité des révolutionnaires que celle défendue activement par VDT au début, et qui aura de toute façon des conséquences indéniables bien que fort limitées.

Ironie de l’histoire, la volonté unitaire s’est traduite au niveau des directions majoritaires de LO et de la LCR... mais sur le terrain électoral. Après le succès de LO aux régionales de 1998, la majorité de la LCR semblait s’être convaincue qu’une propagande de classe et non pas « à gauche vraiment » pouvait rencontrer l’adhésion d’une frange non négligeable des milieux populaires. En a résulté l’alliance électorale de 1999, pour les européennes, strict accord d’appareil qui n’a débouché sur quasiment aucune activité commune en dehors du parlement européen. Des succès électoraux des années 1995-1999 semble provenir cette sorte d’obsession électoraliste qui affecte depuis l’extrême gauche. Les élections ne sont plus simplement un moyen, une occasion de mener campagne pour les luttes, elles sont devenues l’alpha et l’oméga de la vie politique des organisations révolutionnaires.

Les anciennes stratégies de construction n’en ont pas été ébranlées. Elles ont tout au plus été « enrichies », si l’on peut dire, de la frénésie des campagnes électorales. Les majorités de LO et de la LCR qui observaient l’agitation unitaire de VDT, de la Fraction, de la TR !, de Carré Rouge et de la GR avec un mélange d’inquiétude et de condescendance, on finalement fait l’unité... entre elles seulement, presque exclusivement sur le terrain électoral et sans sortir du ronron habituel6. En 2000, la majorité des militants de VDT ont intégré la LCR.

L’auto-construction paraît bien être la maladie sénile du gauchisme. Plutôt que d’auto-construction, on devrait en fait parler d’auto-conservation de cercles de dirigeants historiques7. Mais les dirigeants, s’ils ne sont pas massivement contestés, sont à l’image des organisations qu’ils dirigent. LO et la LCR ont chacune généré un milieu installé dans des stratégies routinières, stérilisant le neuf quand il ne le fait pas fuir.

L’unité des révolutionnaires avait un sens politique au tournant des années 1990. Il était juste de miser sur la capacité des organisations révolutionnaires à faire leur propre révolution, pour se mettre en situation de féconder la lutte des classes. Cette stratégie s’est avérée un échec, parce qu’elle a buté sur le conservatisme des organisations en question. Les années qui ont suivi 1999 donnent le sentiment d’un gâchis d’énergie militante, et d’une grande perte de temps.

6. 2000/2007 : les dernières occasions manquées...
En 2002 l’exploit électoral de 1999 est réédité. En mieux, puisque c’est la première fois que les candidatures d’extrême gauche atteignent 10 % des suffrages exprimés8, et c’est également la première fois que l’extrême gauche dépasse le PCF : la candidature de Robert Hue obtient 3,37% des voix, quand celles d’Arlette Laguiller et Olivier Besancenot en rassemblent respectivement 5,72 et 4,25 %. Au-delà de l’échec calamiteux de la gauche plurielle – Jospin étant évincé du second tour au profit de Le Pen –, on est confronté à l’inversion du rapport de force historique entre stalinisme et trotskysme. L’extrême gauche possède désormais un électorat populaire, y compris dans des zones qui n’étaient pas des bastions du PCF.

Ces résultats sont l’expression d’une radicalité grandissante dans le salariat. Comme après les élections présidentielles de 1995, le « troisième tour social » suivra celles de 2002 avec le très massif mouvement de mai-juin 2003 contre la réforme des retraites. Mais la situation est alors plus riche de possibilités quand la gauche institutionnelle a cessé de passer pour une alternative crédible au gouvernement Raffarin : la réforme Fillon avait été scellée main dans la main par Jospin et Chirac, par la signature de la prolongation des cotisations de retraite (et accessoirement la libéralisation des services publics...) à Barcelone en mars 2002. Le mouvement de grève piétine faute d’organisation et de direction à la hauteur – dit autrement : du fait du freinage continu des directions confédérales, notamment CFDT et CGT – et il échoue finalement, mais les leçons politiques restent. A l’été qui suit, un énorme rassemblement altermondialiste voit converger des milliers de grévistes, syndicalistes et militants, ainsi que des milliers de jeunes, sur le plateau du Larzac. Avec en toile de fond le mouvement tenace et dynamique des intermittents du spectacle qui resteront mobilisés pendant plusieurs mois.

Les résultats du premier tour des présidentielles de 2002 ont donc été en partie l’expression de cette radicalisation. Mais le « thermomètre » électoral n’est pas neutre, il reflète aussi le rayonnement propre des organisations. Quand 2,8 millions d’électeurs apportent leur suffrage à Arlette Laguiller et Olivier Besancenot, il ne s’agit évidemment pas d’une adhésion au marxisme révolutionnaire. Mais de quoi s’agit-il ? Tout dépend des contenus de campagne, dira-t-on. Or ces contenus sont extrêmement faibles. LO ressasse depuis 1995 son « plan d’urgence », série de mesures syndicales radicales assorties du « contrôle » exercé par les travailleurs et de la nécessité de « l’ouverture des livres de comptes » ; voyant que la recette fonctionne, et l’ayant reprise à son compte à l’occasion de la campagne commune de 1999, la LCR dégaine elle aussi ses mesures d’urgence assorties de quelques revendications sociétales (écologistes, féministes, antiracistes...) absente à LO.

Tout cela ressemble fort au « programme minimum » vilipendé par Trotsky dans le programme de transition. Le rituel rappel du contrôle n’y change pas grand chose. Le trait est renforcé quand sur la forme, loin des premières campagnes d’Alain Krivine ou Arlette Laguiller « crevant l’écran », les candidats assagis se prêtent au jeu médiatique des émissions people pour faire passer, au mieux, quelques bribes de leur programme. Il est indiscutablement utile de marteler un certain nombre de revendications importantes pour le monde du travail, comme l’interdiction des licenciements, l’augmentation des salaires et la défense des services publics. Mais est-ce à cela que doit se réduire la finalité de l’intervention d’organisations révolutionnaires ?

Les organisations d’extrême gauche n’ont pas formulé ni exprimé ce qui seul peut offrir un « débouché politique » authentique aux luttes : la perspective d’un gouvernement des travailleurs, appuyé sur la mobilisation et l’auto-organisation des salariés et des chômeurs sur les lieux de travail et dans les quartiers, résolu à s’en prendre aux intérêts des multinationales et du CAC 40 pour satisfaire les droits sociaux fondamentaux.

On trouve donc une explication immédiate du phénomène des « vases communicants » entre PCF et extrême gauche. Faute de formuler un projet de gouvernement par en bas, l’extrême gauche semble s’en remettre aux gouvernements habituels, à l’alternance gauche–droite. Le sens du vote à l’extrême gauche au premier tour ne peut alors être que d’affirmer ses revendications pour peser sur la politique du gouvernement de gauche qui sortira au second tour. L’extrême gauche a ainsi fini par jouer le rôle électoral que le PCF était en difficulté de jouer après cinq ans de gouvernement de gauche plurielle.

Les élections, et puis rien
Il n’est finalement pas étonnant que rien ne soit sorti de ces campagnes. En 2002, la LCR a vécu à son tour ce que LO avait connu en 1995 : une campagne à grand succès, des meetings de masse avec un public populaire, jeune, et un résultat à la hauteur. Le crédit dont les deux organisations ont bénéficié aurait dû offrir des perspectives inédites de construction et d’implantation militante de l’extrême gauche. Encore aurait-il fallu qu’il y ait la maturité et la volonté politique d’aller dans ce sens. Or la LCR a géré son succès en 2002 à la manière de LO en 1995 : après avoir lancé un Appel au rassemblement de la gauche anticapitaliste à l’automne 2003, la majorité de la LCR s’est empressée de l’enterrer. De fait, au-delà des déclarations d’intention pour la galerie, LO et la LCR n’ont jamais pris aucune initiative sérieuse pour impulser la construction d’une nouvelle force politique.

Faut-il en conclure que les organisations d’extrême gauche sont restées immatures, à se complaire au stade gauchiste et groupusculaire ? Certainement pas. Mais elles ont vieilli en suivant la mauvaise pente, celle à laquelle les politologues destinent généralement les radicaux : l’adaptation aux institutions de la démocratie bourgeoise. Certains (l’aile droite de la LCR notamment) font le chemin explicitement et en appellent à la formulation d’un projet de gouvernement du type de ce que préconise le PCF, en rupture avec le social-libéralisme, pour une majorité de gauche vraiment à gauche. Moins consciente et programmatique, l’intégration des majorités de LO et de la LCR au système n’en est pas moins effective. Elles se sont « coulées dans le moule ».

Aujourd’hui si un(e) inconnu(e) intervenait de façon suffisamment vigoureuse sur le fond comme dans la forme, comme un(e) salarié(e) parmi d’autres ne jouant pas le jeu médiatico-politique, il ou elle se verrait refouler promptement des plateaux télévisés comme « mauvais client », irrécupérable par le système. Indépendamment de leurs qualités personnelles et du contenu de leurs interventions, le formatage des porte-parole de l’extrême gauche a fini par s’effectuer insidieusement au point qu’ils ne sont plus en mesure de prendre ce risque.

Nous ne pointons pas ici seulement le formatage quasi inévitable de l’image mais aussi et avant tout du discours de candidats comme Arlette Laguiller et Olivier Besancenot. La sphère médiatique n’est pas moins prégnante et déformante pour des révolutionnaires que la sphère parlementaire l’a été à d’autres époques de l’histoire du mouvement ouvrier pour des députés se réclamant de la Révolution sociale. Les directions de LO et de la LCR sont manifestement inconscientes des pressions qui s’exercent à ce niveau sur elles-mêmes et par voie de conséquence sur la façon d’intervenir de leurs porte-parole. Ils s’y accrochent sans se poser de questions puisqu’ils « passent bien » à la télé et à la radio et que « les retours » du côté des travailleurs sont positifs, ce qui est incontestable. La personnalisation sans mesure et la routine d’arguments banalisés n’entraînent dès lors aucun questionnement, aucune inquiétude sur le bien fondé de campagnes présidentielles auxquelles elles sont bien rodées.

Le régime de la Ve République, avec ses institutions et ses médias dominants, aura progressivement amené LO et la LCR à s’y adapter jusqu’à un point inattendu. Les appréciations péjoratives de certains journalistes ou des représentants d’instituts de sondage qualifiant les candidatures d’extrême gauche de candidatures « protestataires » ou « de témoignage » finissent par acquérir une certaine pertinence. Elles font partie du paysage convenu d’une campagne présidentielle à la française. La preuve évidente de la façon efficace dont la bourgeoisie est parvenue à canaliser les « trublions » d’extrême gauche sur le terrain électoral est la façon dont la direction de la LCR a finalement été amenée, en dépit de ses propres singularités, à mener des campagnes semblables à celles de LO, avec des argumentaires extrêmement proches et un souci prononcé de l’effet médiatique produit par leur candidat9. Cette adaptation va jusqu’à s’exprimer dans le caractère très hexagonal des axes de campagnes électorales quand les uns et les autres basent leurs revendications sur les chiffres nationaux et critiquent ce que fait ou ne fait pas l’État.

Nous sommes conscients que se dégager de ce piège alors que LO et la LCR ont chacun un candidat connu et apprécié, défendant des idées dans lesquelles un grand nombre de salariés se reconnaissent, n’aurait rien de facile. Le problème de fond est que ces organisations n’estiment pas qu’il y ait là un piège et une dérive de leur part. Problème de fond car plus on se focalise sur les campagnes électorales et leur médiatisation, plus les militants y consacrent d’énergie et de préoccupations pendant des mois, et moins on est en mesure de faire fond sur les capacités des travailleurs à transformer la société par leur intervention propre dans la lutte des classes.

La perspective : en finir avec le capitalisme
Le quinquennat 2002-2007 a été riche en luttes. Outre le mouvement de mai-juin 2003 évoqué plus haut, les années 2005 et 2006 ont connu des mobilisations sans précédent dans plusieurs secteurs de la jeunesse : mouvement lycéen au printemps 2005, émeutes des banlieues à l’automne 2005, mouvement contre le CPE et la loi dite d’égalité des chances au printemps 2006. D’autres secteurs se sont mobilisés en opposition au gouvernement, depuis le mouvement des chercheurs jusqu’à la campagne de solidarité avec les enfants sans-papiers conduite par le Réseau Éducation Sans Frontières (RESF). Électoralement, les deux faits marquants sur cette période ont été la sanction du gouvernement aux régionales de 2004, et surtout le rejet du traité constitutionnel européen le 29 mai 2005, en rupture avec le positionnement de l’UMP et du PS.

Cette série, qui fait écho aux mobilisations ailleurs, en Amérique latine notamment, témoigne à elle seule de la persistance de fortes tensions sociales et politiques. Le capitalisme mondialisé, le Medef et ses alliés libéraux de droite et de gauche n’ont pas encore emporté la partie. Les capacités de résistance du monde du travail sont sérieusement amoindries après des années de restructurations, de plans de licenciements et de précarisation forcenée. Les perspectives politiques sont obscurcies par les avancées idéologiques d’un système qui promeut la frénésie consumériste, « la croissance », les valeurs morales traditionnelles, « l’ordre juste », « la République » et « l’identité française ». Mais les capacités de lutte et les perspectives n’ont pas été annihilées. En France comme ailleurs, en Amérique latine notamment, la résistance populaire se manifeste à différents endroits.

L’accession de Le Pen au second tour des présidentielles de 2002 a brutalement confirmé ce que l’extrême gauche analysait depuis plusieurs années : une course de fond est engagée avec le capitalisme, qui va reposer à plus ou moins long terme l’alternative socialisme ou barbarie. La faillite du stalinisme a laissé un vide politique sans précédent, posant la nécessité de la construction d’une nouvelle force politique ancrée dans la lutte des classes, pour en finir avec le capitalisme.

L’extrême gauche organisée n’a pas été à la hauteur de la situation. Piégée par ses succès électoraux, elle s’est progressivement déphasée du mouvement réel, elle s’est installée dans les institutions alors même qu’une fraction grandissante de la population s’en détache, s’abstient d’aller voter sans pour autant s’abstenir de lutter, ou alors vote sans se sentir engagée : pour faire obstacle à Le Pen ou à la Constitution européenne hier, à Sarkozy demain. Les militants de LO et de la LCR ont acquis une fâcheuse tendance à surévaluer les élections, à la mesure de leur investissement militant, alors que leurs électeurs en ont un usage bien plus pragmatique et pondéré.

Il semble que la « fenêtre d’opportunités » ouverte pour l’extrême gauche autour de 1995 se soit refermée depuis 2003. Faute d’avoir su faire vivre une perspective anticapitaliste crédible, utile dans les luttes, les organisations révolutionnaires ont cédé le devant de la scène aux nouveaux partisans du réformisme de gauche. Le débat sur la constitution européenne, en mobilisant des dizaines de milliers d’individus, militants syndicaux, associatifs, politiques et non encartés, sur la base d’un rejet du libéralisme sans préjugé, a en effet relancé quelques vieilles barbes réformistes en perte de vitesse sur la ligne d’un « antilibéralisme » assumé : la ligne d’une gestion sociale du capitalisme, plutôt que de la rupture avec le système.

Il est pour nous évident que l’antilibéralisme version Bové ou Buffet ne peut que préparer des lendemains qui déchantent. Le capitalisme mondialisé a sapé les bases matérielles qui ont permis, tout au long du vingtième siècle, aux illusions réformistes de perdurer dans les métropoles impérialistes. La liquidation des interventions sociales de l’État, des institutions du salaire socialisé (Sécurité sociale, retraites), la marchandisation effrénée de tous les secteurs de la vie indiquent que le capitalisme du 21e siècle n’est plus prêt à tolérer les marges de manoeuvre du passé. L’illusion de l’antilibéralisme ne fera pas longtemps écran.

L’enjeu posé depuis des décennies, mais posé avec une acuité renforcée depuis une quinzaine d’années, est de rassembler une nouvelle force politique ancrée dans les luttes, défendant jusqu’au bout les intérêts du camp social majoritaire, autrement dit d’une force disposée à en finir avec le capitalisme. Nous avons longtemps cru que les organisations révolutionnaires auraient un rôle crucial à jouer dans cette construction. Mais l’histoire récente de l’extrême gauche française montre que cela ne sera vraisemblablement pas le cas : LO et la LCR sont avant tout préoccupées par la préservation de l’existant, par la gestion de leur capital politique, voire électoral, en phase avec les institutions plutôt qu’avec la lutte des classes.

Cette perspective est encore en gestation en sein de l’extrême gauche, parmi les militants des organisations trotskystes mais aussi ailleurs, chez les syndicalistes révolutionnaires, dans la mouvance anarchiste ou altermondialiste, et parmi de nombreux militants non-encartés. L’avenir de l’anticapitalisme n’est pas écrit, il reste à tracer. L’enjeu demeure, aujourd’hui plus que jamais, de reconstruire sur les décombres du siècle passé la perspective d’une société sans exploitation, sans oppression, sans classe et sans État.

Le 24 mars 2007

Léo Picard (piccard@no-log.org) & Samuel Holder

Notes
1 Le gauchisme, dénoncé par Lénine comme « maladie infantile du communisme », est cette orientation politique guidée par l’impatience révolutionnaire qui conduit à envisager des thèmes de propagande et des modes d’action radicaux au risque de se couper de la majorité des travailleurs (refus de militer dans les syndicats réformistes, refus de participer aux élections, etc.). Le qualificatif, adressé par Lénine aux jeunes Partis communistes en pleine vague révolutionnaire, a été repris par le vieux PCF devenu réformiste à l’encontre des militants d’extrême gauche en Mai 68.

2 Lire ou relire les textes en question plonge évidemment le lecteur dans une autre époque mais indique aussi à quel point LO et la LCR ont bien changé.

3 En 2006 (!), LO considère toujours officiellement qu’il s’agit d’un État ouvrier : « malgré le développement d’une classe bourgeoise, la catégorie sociale dominant la société reste la bureaucratie. Nous n’avons aucune raison de changer notre caractérisation de la société russe car bien de ses singularités demeurent liées au passé, à l’émergence de l’Etat ouvrier, à sa bureaucratisation puis à sa décomposition, sous le coup des rivalités internes de la bureaucratie. » (Textes de congrès de LO publiés dans Lutte de classe n°101, décembre 2006-janvier 2007)

4 La LCR de l’époque, tout à ses errements droitiers, n’a pas présenté de candidat. Elle a appelé à choisir entre la candidature de LO et les candidatures du PCF et des Verts, partis qui allaient être partie prenante de la « gauche plurielle » gouvernementale deux ans plus tard. Critiquée en interne par sa tendance minoritaire, « Révolution ! », la majorité de la LCR fera un revirement à gauche après les régionales de 1998, jusqu’à s’allier électoralement avec LO pour les européennes de 1999.

5 Nous n’abordons pas ici le cas du PT, ce qui est regrettable, car nous ne le connaissons pas suffisamment à titre personnel, mais surtout parce que le courant lambertiste ne s’affiche plus de longue date comme étant d’extrême gauche.

6 Une autre convergence s’est faite en octobre 1999... sur le terrain du conformisme et de la soif de reconnaissance des appareils. Alors que le PCF – qui participait au gouvernement ! – avait initié une manifestation contre le chômage, le 16 octobre, qualifiée de « « manif » pour et contre le gouvernement » par Le Monde, LO et la LCR y sont allées et ont envoyé leurs porte-parole dans le « carré des personnalités », en tête de cortège. Dans la foulée, les députés communistes (sauf deux d’entre eux) votaient la seconde loi Aubry.

7 Une illustration consternante de ce mécanisme a été offerte par la direction de la LCR au sujet du Brésil. Début 2003 la majorité de la section brésilienne du SU, Démocratie Socialiste, a décidé de participer au gouvernement de Lula aux ordres du FMI, par l’envoi d’un ministre chargé de la réforme agraire, Miguel Rossetto. La majorité de la LCR s’est alors refusée à dénoncer cette participation à un gouvernement bourgeois qui allait pourtant à l’encontre des intérêts des travailleurs brésiliens et de tous les principes élémentaires du marxisme révolutionnaire.

8 9,97 % pour LO et la LCR donc sans compter le PT, 10,44 % avec le PT.

9 L’épisode du soutien inattendu de Sarkozy à la quête de parrainages d’Olivier Besancenot est un autre révélateur du fait qu’une telle candidature ne gêne en rien le système.

Messages

  • Un article sur les effets directs des idées politiques de l’extrême gauche en FRance : parce qu’ils militent au sein de la classe ouvrière, ces militants pèsent à leur échelle sur la lutte de classes.

    De la même façon qu’il suffisait qu’un seul militant politique en 1947 à Renault Billancourt, fasse germer l’idée de la grève et surtout d’un comité de grève, contre la toute puissante CGT qui disait que la grève était l’arme des trusts et qu’il fallait produire pour reconstruire la France.

    En 2007,2009, a Continental ou PSA, Toyota, Renault Sandouville, et dans beaucoup de boites liés à l’industrie automobile, il suffit d’une poignée de militants d’extrème gauche pour sauver la face des centrales syndicales et faire croire que le seul problème c’est les dirigeants des centrales comme Thibault qui ne sont pas solidaires de leur lutte.

    Pas un mot sur le fait énorme de laisser chaque boite isolée, car cela c’est aussi la responsabilité des sections syndicales d’entreprise locales qui a l’heure d’internet et du portable, ont volontairement choisi de dire que chaque entreprise avait ses propres problèmes, revendications, solutions industrielles, ses formes de luttes, etc...

    Article du WSWS

    France : les « gauchistes » opportunistes s’unissent à la CGT pour faire dérailler la lutte pour les emplois
    Par Pierre Mabut et Antoine Lerougetel
    29 septembre 2009
    accès au site du WSWS

    Une manifestation de travailleurs de l’industrie automobile luttant contre les fermetures d’usine et les licenciements de masse représente l’exemple par excellence de la manière dont les syndicats, avec le soutien des opportunistes petits-bourgeois de Lutte ouvrière (LO) et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) conduisent les travailleurs dans une impasse.

    Banderole de Continental
    La manifestation qui s’est tenue à Paris le 17 septembre a réuni quelque trois mille travailleurs de toute la France. La plupart sont engagés dans des luttes tenaces et dans certains cas désespérées pour la défense de leur emploi. En règle générale, ces luttes ont été trahies par les fédérations syndicales qui les ont isolées usine par usine et ont vendu les emplois contre de maigres indemnités de licenciement.

    L’appel initial à manifester est venu de la branche CGT de l’entreprise de pneumatiques Goodyear d’Amiens où 817 travailleurs sont menacés de licenciement. La CGT (Confédération générale du travail), l’une des plus importantes confédérations syndicales françaises est proche du Parti communiste (PC.)

    L’appel à la manifestation a reçu le soutien immédiat des travailleurs licenciés de l’entreprise de pneumatiques Continental de Clairoix. Six parmi eux ont écopé de peines de prison avec sursis de trois à cinq mois et des amendes pour avoir saccagé des bâtiments de la sous-préfecture en signe de protestation contre la fermeture de leur usine. Ils font appel de leur condamnation.

    D’autres délégations de travailleurs présentes à la manifestation venaient des industries automobiles Peugeot et Renault, General Motors de Strasbourg, Ford à Blanquefort, Delphi, Wagon et des pneus Michelin (Montceau-les-Mines), Freescale (Toulouse), New Fabris et Molex.

    Les travailleurs de New Fabris avaient menacé il y a quelques semaines de faire sauter leur usine et ont à présent accepté un plan de licenciement. Les travailleurs de Molex, après onze mois de lutte ont voté à contrecœur en faveur d’un plan négocié par la CGT et d’autres syndicats deux jours seulement avant la manifestation. L’accord comprend le licenciement de 283 travailleurs et une indemnité de licenciement d’un mois de salaire par année travaillée dans l’entreprise. Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, qui a participé aux négociations chez Molex a qualifié ceci d’« issue positive ».

    Une grande amertume est en train de se développer chez les travailleurs de l’industrie automobile face à l’abandon par les syndicats de la défense des emplois et des sites. A la fin de la manifestation parisienne, des personnes excédées ont fait irruption à la Bourse et couvert les murs de graffitis anticapitalistes. Pendant ce temps, les organisateurs de la marche donnaient la possibilité à ceux-là mêmes qui sabotent leur lutte de se présenter comme leurs défenseurs.

    A l’invitation de la bureaucratie syndicale de Continental Clairoix et de Goodyear Amiens, des dirigeants des fédérations CGT de l’industrie automobile étaient présents à la manifestation parisienne ainsi que diverses personnalités des partis de « gauche » bourgeois. Parmi eux se trouvaient Cécile Duflot (Verts), Pierre Laurent (PC), Jean-Luc Mélenchon (ancien ministre du Parti socialiste et fondateur du Parti de Gauche) et Arnaud Montebourg, social-démocrate droitier.

    Arlette Laguiller de Lutte ouvrière (LO) et Olivier Besancenot du NPA étaient bien en vue dans le cortège et leurs organisations bien représentées. Ils ont entrepris la tâche de contenir la colère accumulée des travailleurs envers les dirigeants syndicaux et de les maintenir en situation de subordination.

    L’animosité s’est développée particulièrement contre Bernard Thibault, le dirigeant de la CGT, qui collabore ouvertement et quasiment au jour le jour avec le programme du président droitier Nicolas Sarkozy et qui consiste à faire payer à la classe ouvrière le prix de la crise économique. Il s’est opposé à toute mesure d’étendre au reste de la classe ouvrière.la lutte menée par les usines menacées.

    Thibault qui s’est fait traité de « racaille » par le leader CGT de Clairoix a brillé par son absence à la manifestation. Il avait dit à un journaliste de Médiapart qu’il était pris ailleurs. Il avait ajouté : « Notre tâche est d’autant moins facile qu’on [les membres de la CGT] attend peut-être trop du syndicalisme. »

    Les industries de l’automobile et de l’équipement automobile sont parmi les plus touchées par la récession. La CGT évalue les pertes d’emplois dans cette industrie à 150.000 depuis le début de la crise.

    Les dirigeants des fédérations CGT de métallurgie et de chimie au niveau national et local, sous la pression de la base, essaient de se distancer de la direction confédérale. Mais en droite ligne avec la direction confédérale, aucune n’a appelé ses membres à faire grève pour soutenir la manifestation du 17 septembre.

    Le quotidien du PC stalinien, L’Humanité, a donné la raison de la présence des directions fédérales de la CGT à la manifestation du 17 septembre. C’est pour servir de « tremplin avant deux journées d’action interprofessionnelle prévues les 7 et 22 octobre ». Le 7 octobre est la journée internationale des syndicats pour un « emploi décent. » Le 22 octobre est la journée « des enjeux de l’industrie », qui est en préparation pour que se tiennent des discussions entre le gouvernement, les patrons et les syndicats lors d’états-généraux proposés par Thibault de la CGT à Sarkozy afin de développer une politique visant à soutenir l’industrie française dans la crise mondiale.

    En d’autres termes, la manifestation parisienne a été cyniquement utilisée pour soutenir la politique de collaboration de classe de Thibault et d’autres dirigeants syndicaux, et les protestations symboliques organisées par les syndicats sont là pour désamorcer la situation. Olivier Besancenot a couvert cela en saluant cette manifestation parisienne, la qualifiant de « convergence de luttes. »

    LO et le NPA ont tous deux apporté leur soutien sans critique aux dirigeants syndicaux CGT de la Chimie d’Amiens Goodyear (Mickaël Wamen) et de Clairoix (Xavier Mathieu) dont la démarche consiste à obtenir les meilleures indemnités de licenciement possible. Ils glorifient Mathieu comme l’homme qui a obtenu 50.000 euros d’indemnité de licenciement pour chaque travailleur de Continental licencié dans son usine, et pourtant l’accord conclu entre les syndicats, les patrons et le gouvernement comprenait l’acceptation de la fermeture de l’usine et l’engagement de ne pas mobiliser contre les licenciements et les fermetures dans les autres sites Continental d’Europe.

    De tels accords permettent aux entreprises de diminuer la production puis de fermer leurs usines tout en contenant la résistance des travailleurs et la possibilité d’une contagion de la mobilisation au niveau national et international. Pratiquement toutes les entreprises qui ferment des sites et qui licencient des travailleurs sont des transnationales engagées dans des restructurations à échelle internationale (Continental, Goodyear, Molex, New Fabris.)

    Tandis que le NPA couvre la bureaucratie syndicale, elle lance des appels de pure forme à une loi pour l’« interdiction des licenciements » à une « grève générale » et à des mobilisations syndicales pour « faire reculer vraiment et durablement pouvoir et patronat ». Mais à plusieurs reprises, Besancenot du NPA a rassuré les syndicats et le gouvernement disant qu’en appelant à une grève générale le NPA n’envisageait aucunement « le grand soir. »

    L’appel du NPA aux syndicats a pour but de maintenir les travailleurs sous le contrôle de ces organisations dont le rôle est de faire porter aux travailleurs le fardeau de la crise. LO et le NPA ne mettent jamais en avant un programme pour une mobilisation politique de la classe ouvrière qui soit indépendante. Au contraire, ils présentent une liste de revendications sociales dont ils prétendent qu’elles peuvent être gagnées avec les syndicats en augmentant la pression sur les patrons et le gouvernement.

    Besancenot du NPA a exprimé sa satisfaction de cette journée d’action, déclarant qu’elle représentait une vraie lutte contre la destruction des emplois. « Ça faisait des mois et des mois, cette fois-ci c’est devenu une réalité. Et c’est venu pas par le haut, mais par la base, parce qu’il y avait beaucoup d’obstacles. »

    Xavier Mathieu, faisant référence aux travailleurs de Goodyear qui les premiers ont appelé à la manifestation a déclaré : « Eux, ils ont réussi à faire bouger les fédérations du secteur automobile et de la métallurgie et du caoutchouc et à créer une vraie unité. » Malgré ses attaques contre Thibault, les différences politiques entre Mathieu et la direction de la CGT sont marginales.

    Des reporters du WSWS ont parlé à plusieurs travailleurs lors de la manifestation. Florian de l’usine Goodyear d’Amiens a un poste de technicien de maintenance. « La situation est très vague. les syndicats sont très désunis. Pour la lutte contre la crise économique, il faut éviter la délocalisation et augmenter les salaires. On ne peut pas défendre nos intérêts sans défendre ceux de la classe ouvrière d’autres pays. Oui, c’est une question internationale. »

    Thierry, des pneumatiques Continental n’est pas syndiqué. « La situation, c’est qu’ils ferment l’usine avec 1200 à la rue. Pendant 2 ans on est au chômage. On doit essayer de trouver du boulot, oui, on est abandonné. La vraie victoire ce serait de garder nos emplois. On part avec certains avantages comparés à d’autres sites qui ferment. Mais on ne peut pas parler de victoire. Les syndicats pensent toujours à leurs mandats, aux élections, pas aux salariés, au lieu de penser aux rassemblement et manifestation qu’on fait plus fort pour lutter contre la crise économique. »

    Emmanuel travaille à NDM construction à Caumont. « On est là pour une victoire, mais pour l’instant on n’a pas eu de victoire. Si tout le monde descend dans la rue, on peut arriver à lutter contre la crise économique. Il faut que les gens soient solidaires un peu plus avec la perspective d’augmentation de salaire et d’embauche. On est là contre la délocalisation. »

    (Article original anglais paru le 24 septembre 2009)

  • La cause du peuple : Pierrot et les autres ...nos camarades révolutionnaires.

    Pour écouter l’émission radio cliquezici.

    Avant mai 68 le PC voit naitre de nombreux groupes issus de ses troupes qui s’écartent de la ligne stalinienne et deviennent trotskistes ou maoïstes en réaction à la politique de l’URSS. Et au sein des maoïstes, s’épanouissent de nouvelles branches à l’origine commune qui assez vite s’opposent. Mais tous seront marqués par Mai 68 et tous veulent voir naitre société nouvelle. Le mot d’ordre des maoïstes (qui sont alors, le Parti communiste marxiste léniniste de France PCMLF, la Gauche prolétarienne GP, Vive la révolution VLR, l’Union des jeunesses communistes marxistes léninistes UJCML, la gauche ouvrière prolétarienne GOP) est de suivre la voie de Mao, de "descendre de son cheval pour cueillir des fleurs". En d’autres termes, les militants révolutionnaires abandonnent études et carrières pour rejoindre le prolétariat, travailler en usine et favoriser une révolution populaire et spontanée qui ne saurait tarder. Ils veulent aussi affaiblir les syndicats traditionnels qu’ils soupçonnent d’affaiblir et de paralyser les masses ouvrières. Les maos vont donc s’établir dans les usines ou mai 68 a eu le plus d’impact, Flins et Sochaux par exemple. Ces intellectuels et ces étudiants découvrent alors les grands pays et paysages industriels, partagent les conditions de vie et de travail des ouvriers spécialisés et tentent de mettre le feu à la première étincelle...

  • Pour la première fois, une discussion semblait débuter au POI : un article de Jean-Jacques Marie qui, pour la première et, semble-t-il, la dernière fois, aura réellement mis les pieds dans le plat dans les colonnes d’Informations Ouvrières – et c’est tout à son honneur. Son sujet est la CES, sa matière est fournie par la critique d’une phrase très obscure de Marc Gauquelin dans un n° précédent à propos des pressions des institutions européennes sur la « gauche radicale ». Le véritable obstacle ou l’obstacle principal est constitué par les directions des organisations syndicales liées à la CES, explique J.J. Marie, directions dont le rôle politique est plus important selon lui que la « gauche radicale » bien qu’elle ait aussi ses responsabilités. Pour la première fois depuis … 1969 ? – un article de discussion dans Informations Ouvrières mettait le doigt sur la question des liens entre ses principaux rédacteurs et la direction confédérale de FO, qui conclut (avec certes un petit point d’interrogation) en accusant Marc Gauquelin de « détourner l’attention des véritables obstacles à surmonter pour se préparer au choc qui vient ».

  • L’extrême gauche française s’est noyée dans le syndicalisme : LO à la CGT, NPA à SUD et POI à FO...

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