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La révolte du monde arabe est-elle une révolution démocratique bourgeoise ?

samedi 26 mars 2011, par Robert Paris

La révolte du monde arabe est-elle une révolution démocratique bourgeoise ou nécessite-t-elle la construction d’un monde nouveau débarrassé de l’exploitation capitaliste ?

Dégagez aussi les exploiteurs, les chefs militaires, les impérialistes et le système qui les soutient !!!

Michel Rocard titre un article des "Echos" : Les racines bourgeoises de la révolution tunisienne où il écrit "la Tunisie soit en train de connaître la première révolution bourgeoise jamais intervenue dans le monde arabe." !!!

Bernard Guetta écrit dans "Libération" : "« En termes marxistes, on pourrait appeler cela une révolution bourgeoise », dit un vieil intellectuel de la gauche démocratique mais le fait est, poursuit-il, que la jeunesse éduquée, celle de la place Tahrir, constitue une nouvelle classe ascendante et créatrice, qu’elle est la bourgeoisie républicaine du XIXe siècle européen et que les promesses économiques et démocratiques dont elle est porteuse suscitent un consensus car l’intérêt national exige leur réalisation."

Même l’"Humanité" écrit sous la plume de Dominique Baillet :

"La Tunisie a montré courageusement la voie des révolutions arabes. Elle a mis fin à cette période « néocoloniale », née aux lendemains des Indépendances dans les années 1950-1960 et inaugure une nouvelle phase de l’histoire, que l’on peut qualifier de période « néodémocratique ». En effet, après un demi-siècle de colonialisme économique et géostratégique, mis en oeuvre par les anciennes puissances coloniales, dont la France, et plus largement par les puissances occidentales, en particulier les États-Unis, la Tunisie, puis l’Égypte, et sans doute bientôt d’autres pays arabes, comme la Jordanie, le Yémen, l’Algérie, etc. montrent que la révolution arabe démocratique est non seulement faisable mais souhaitable, que l’islam ou la civilisation arabo-musulmane n’est pas antinomique avec l’aspiration démocratique « à l’occidentale », bien au contraire, et enfin que l’islamisme radical ne constitue pas la seule alternative au despotisme militaire laïc. Ces révolutions, actuelles et à venir, gagneront à terme, dans les dix prochaines années, de manière inévitable, l’ensemble des pays arabes du pourtour méditerranéen, et notamment la Palestine occupée, colonisée, dirai-je, par la puissance israélienne. Elles vont constituer un instrument majeur pour résoudre le conflit israélo-palestinien, car elles risquent de dissiper à terme la peur islamiste encore présente dans les pays arabes mais aussi européens, de constituer un moyen de pression légitime et démocratique, comme naguère avait constitué l’Union soviétique, face à Israël et son allié américain, et enfin de permettre la naissance d’un État palestinien laïc et démocratique. Par ces révolutions, encore inachevées, les Tunisiens, puis les Égyptiens, et bientôt, d’autres peuples arabes, ont montré que ce n’est pas lorsque les conditions objectives de la révolution existent que la révolution éclate, mais lorsque le peuple prend conscience que ses conditions de vie objectives sont intolérables. Ils montrent que, si le XXe siècle a été dominé par l’utopie communiste, le XXIe siècle sera dominé plus modestement par la réalisation de l’idéal démocratique, condition indispensable au développement social et économique des peuples, et constituant, si j’ose dire, un smic culturel, pour l’ensemble des habitants de notre planète. Mais ces révolutions ne pourront être véritablement démocratiques sans l’aide et le soutien des Européens, des Occidentaux et des nouvelles puissances émergentes. Il ne s’agit pas d’en appeler à une nouvelle ingérence, ou à espérer un « troisième stade du colonialisme », mais à oeuvrer à la mise en place d’un nouveau partenariat, tout en laissant les peuples arabes propriétaires de leur propre révolution. Voici, me semble-t-il, la voie à suivre. "

En somme une perspective tout à fait bourgeoise et capitaliste....

Pour qualifier le soulèvement de tout un peuple en Tunisie, les commentateurs internationaux ont d’abord hésité entre révolte et révolution, pour enfin adopter le qualificatif de « révolution du Jasmin ». Mais cela n’était pas sans arrière pensées : il s’agissait d’assimiler le mouvement aux "transitions démocratiques" des pays de l’Est.

Mais très vite, le fait que ces régimes étaient les meilleurs amis des fameuses "démocraties" occidentales s’est posé. C’est bel et bien le monde capitaliste occidental qui avait souhaité maintenir ce type de dictature dans la région du pétrole... D’autre part, la crise mondiale du capitalisme n’est nullement étrangère à l’éclatement de ces régimes.

D’autre part, le fait que ces sociétés soient celles du capitalisme moderne et non des sociétés antiques modifie la problématique. La révolution française, qui sert souvent de référence à tort à notre avis, ne visait pas d’abord à changer le système politique mais le système social (voir les cahiers de doléance).

Ce ne sont pas seulement quelques commentateurs qui tentent de ramener la dimension de ces révolutions à une démocratie bourgeoise, c’est le cas de toute la direction impérialiste. L’objectif de celui-ci n’est bien sûr pas de participer à un débat théorique sur ce thème mais de détourner et de retarder la conscience des masses qui participent à ces révolutions sociales.

Comment poser la question de la nature de classe de ces révolutions ?

Il est d’abord nécessaire de distinguer plusieurs niveaux : les aspirations des masses en lutte à l’heur actuel d’une part, les conditions objectives qui sont données à ces luttes d’autre part, les nécessités objectives de la situation en somme et l’état de la lutte des classes mondiale qui comprend notamment un certain niveau de conscience et d’organisation. Toutes ces données, loin d’être figées, sont d’ailleurs modifiées par la lutte du monde arabe notamment.

D’autre part, nous ne sommes plus à une époque - et depuis longtemps puisque c’était déjà vrai pour Marx - où on puisse isoler (et encore moins opposer) révolution bourgeoise et révolution prolétarienne.

Rappelons le point de vue développé par Trotsky : même une révolution ne posant que des aspirations théoriquement mises en avant par la bourgeoisie au cours de son histoire, si elle est le fait d’une lutte dont la force marchante est le prolétariat, est objectivement une révolution prolétarienne. Elle peut ne pas être conçue comme telle y compris par le prolétariat lui-même et, dans ce cas, elle échoue complètement...

Il est tout d’abord évident que ces mouvements ne se limitent pas à revendiquer la démocratie et qu’ils ont une racine sociale profonde. La dimension de la revendication sociale est d’autant plus évidente que tous les régimes ont d’abord répondu en distribuant des sommes importantes aux plus démunis sous diverses formes.

Comme l’écrit FAOUZI ELMIR "À tous égards, le monde arabe vit aujourd’hui un moment historique de son histoire avec l’imprévisible révolte tunisienne qui a pris de court les gouvernements capitalistes occidentaux et leur homme lige obligé de fuir précipitamment avec sa suite devant la fronde populaire après 23 ans de règne. Cette même révolte tunisienne « du pain et de la faim » éclate en même temps dans d’autres pays arabes, en Algérie, en Jordanie, en Egypte, au Soudan. Pour prévenir une révolte à la tunisienne, le régime libyen était obligé de distribuer 2000 dinars aux pauvres et aux besogneux. La propagande politique des pays capitaliste cherche à manipuler l’opinion publique occidentale et arabe en faisant croire que les manifestants et les révoltés tunisiens, algériens, jordaniens, égyptiens battent le pavé et défilent dans les rues parce qu’ils sont assoiffés de démocratie, d’élection, de liberté d’expression, c’est-à-dire du bla bla à l’occidentale. Ce que veulent en réalité les masses arabes, ce n’est pas difficile à deviner, on peut le lire facilement sur leurs banderoles lors des grandes manifestations dans les rues de Tunis, d’Alger, d’Amman, du Caire etc. « nous avons faim », « la faim, c’est mécréant », « nous voulons du travail ». (...) Ce serait une grave erreur d’appréciation d’attribuer la révolte tunisienne et la fuite précipitée de Zine Albdine Ben Ali à la nature et aux caractéristiques d’un régime politique, celui de la Tunisie. En réalité, ce sont la propagande politique capitaliste et ses relais dans le monde arabo-musulman qui cherchent à focaliser l’attention, pour divertir et maquiller la réalité des choses, sur le côté politique, répressif et anti-démocratique du régime de Ben Ali dans le but de gommer les raisons profondes qui sont à l’origine de la révolte de la jeunesse tunisienne. (...) La question qui se pose est de savoir si la révolte de la jeunesse tunisienne est politique ou sociale. Ceux qui cherchent à noyer le poisson en donnant une coloration politique à la révolte tunisienne se trompent, car celle-ci est avant tout une crise sociale. Mais dire que la révolte tunisienne est une crise sociale, cela ne reflète que partiellement la réalité, car pour être dans le vrai, il faudra aussitôt ajouter qu’elle est aussi et avant tout le symptôme pathologique d’une crise globale bien plus profonde dépassant largement les frontières d’un pays, LA crise d’un système planétaire en phase terminale qui est en train de rendre son âme, le système capitaliste dont la Tunisie n’est qu’un simple maillon. Autrement dit, pour être plus clair et plus précis, Mohamed Bouaziz, le jeune qui s’est immolé par le feu et qui a été à l’origine de la révolte n’est pas seulement victime de l’injustice sociale de son pays, la Tunisie et du régime de Ben Ali mais il est aussi victime d’un système planétaire générateur de misère et d’injustice, le capitalisme. (...) Pour la propagande capitaliste, la révolte de la jeunesse égyptienne contre Hosni Moubarak exprime la volonté de tout un peuple de se libérer d’un régime despotique et dictatorial et traduit ses aspirations vers la démocratie et la liberté. Depuis la révolte jadis de la jeunesse tunisienne qui a mis fin à un régime établi depuis 23 ans et la révolte d’aujourd’hui de la jeunesse égyptienne qui est en train d’asséner le coup de grâce au régime de Hosni Moubarak au pouvoir depuis 30 ans, la propagande capitaliste martèle et intoxique les opinions publiques en présentant ces deux événements comme des mouvements de révolte pour la démocratie. (...) Pourquoi chaque révolte, soit dans le monde arabe ou ailleurs dans le monde, est-elle toujours interprétée comme une révolte pour une démocratie à l’occidentale ? Pourquoi n’est-elle pas autre chose qu’une simple aspiration à la démocratie ? Pourquoi le sens de l’histoire doit-il forcément s’orienter dans un seul sens, celui de la démocratie de nos missionnaires bornés ? N’y a-t-il pas un autre sens de l’histoire ? Pourquoi l’histoire ne s’orienterait-elle pas vers un autre système plus ou moins égalitaire, un système « partageux » où les richesses sociales reviennent à tous ceux qui les ont produites et non pas à une poignée de profiteurs et d’exploiteurs capitalistes ? (...) Le vent de révolte qui souffle aujourd’hui au Moyen-Orient et en Afrique du Nord constitue à bien des égards un tournant non seulement dans l’histoire de cette région du monde mais dans l’histoire de l’humanité tout entière. C’est en effet la fin d’un cycle et le début d’un autre, la fin d’un système qui agonise et qui meurt lentement de sa mort naturelle et le début d’une nouvelle période marquée par des incertitudes et des convulsons."

Un texte de "Spartacus" à débattre sur ce thème :

"La dimension et portée des mouvements sociaux en Algérie, Tunisie et Égypte se mesure à l’échelle mondiale. Les autorités chinoises censurent les recherches sur Internet concernant le mot "Egypte" (1). Alors que depuis plus de deux ans le capitalisme en crise impose aux exploités et marginalisés de la planète une exceptionnelle dégradation de leurs conditions d’existence, alors que les luttes des salariés dans les plus vieux pays capitalistes semblent impuissantes et affaiblies, l’explosion sociale qui a secoué ces pays, avec sa spontanéité, son courage et sa détermination a constitué une bouffée d’air frais, un rappel cinglant de cette réalité simple, que ceux d’en bas, quand ils le veulent, peuvent ébranler les pouvoirs les mieux établis.

Au point de départ de l’explosion se trouve la révolte des plus pauvres, les chômeurs, les prolétaires mais aussi d’une partie des classes moyennes, des jeunes diplômés qui subissent aussi l’aggravation du chômage. De façon générale, le jeunes générations y jouent un rôle de premier plan. Il s’agit d’une réaction contre la dégradation des conditions économiques d’existence provoquée par la crise mondiale, mais aussi contre le règne de la terreur quotidienne, la menace d’être licencié, emprisonné ou tué si on manifeste son mécontentement, contre les abus d’une police omniprésente et corrompue qui rackette la population à tous les niveaux (2). Cependant le mouvement a aussi entraîné d’autres couches de la population : des secteurs des classes moyennes élevées qui subissent aussi les exactions du pouvoir en place, et même des fractions de la classe dominante, y compris dans l’armée, qui y trouvent un moyen de se débarrasser de clans qui monopolisaient le pouvoir au détriment de tous les autres.

Les médias et gouvernements du monde ont vite fait de qualifier ces mouvements de "révolution", la "révolution de jasmin", pour la Tunisie, évidemment pas pour lui ouvrir les perspectives de la seule révolution qui mettrait un terme à la misère qui a provoqué le soulèvement, une révolution anticapitaliste, mais pour l’enfermer dans l’étroite et inoffensive issue d’une "démocratisation" de la gestion du capitalisme.

L’apparition spontanée de "comités de quartier", dans une dynamique d’auto-organisation, tout comme les "fraternisations" de la population en lutte avec l’armée ont pu à un moment donné poser la question à certains d’une dynamique révolutionnaire prolétarienne, comme ce fut le cas en 1905 ou en 1917 en Russie, par exemple. Mais, les "comités de quartier" se sont cantonnés essentiellement -quoique non exclusivement- à des tâches d’auto-défense contre les exactions des "milices" de Ben-Ali ou de Moubarak et de leurs polices.

Quant aux "fraternisations" avec l’armée, le refus de tirer sur les manifestants ne fut pas le résultat d’une révolte des soldats contre leur hiérarchie (comme en 1905 ou 1917) -ce qui constitue un des principaux critères pour commencer à parler de révolution véritablement- mais d’un ordre venu de cette hiérarchie.

Le terme de "révolution" peut recouvrir de nombreuses définitions, suivant que l’on mette l’accent sur la nature des actions des forces mises en mouvement, sur les résultats de ces actions, ou autre.

Mais, même si les luttes sociales sont loin d’être terminées en Tunisie comme en Égypte et que des grèves continuent ou se développent actuellement, on ne peut pas parler de révolution prolétarienne, au sens historique du terme.

Peut-on parler alors de révolution "bourgeoise" ? Non, car la bourgeoisie est depuis longtemps déjà au pouvoir en Tunisie, comme en Egypte et dans tous les pays arabes. Une révolution "démocratique" ? Formellement les régimes en Tunisie et Égypte sont "démocratiques", avec une constitution, des partis, un parlement, des élections au suffrage universel, etc. Ironiquement, les partis de Ben-Ali et de Moubarak contiennent le mot "démocratique" dans leur nom : "Rassemblement Constitutionnel Démocratique", pour le premier, Parti National Démocratique", pour le second. Les deux partis faisaient partie, jusqu’à leur très récente expulsion au cours des événements, de l’Internationale Socialiste.

Il s’agit d’un mouvement qui porte en son sein différentes aspirations et différentes classes et intérêts. Jusqu’à présent il a fait son unité autour des objectifs de renversement des gouvernements en place et un développement des "libertés". Mais alors que pour ceux d’en bas il s’agit d’une lutte contre la misère, l’exploitation et l’oppression quotidiennes, pour ceux d’en haut il s’agit d’une lutte pour mieux se répartir les accès au pouvoir et à la richesse, tout en créant un appareil politico-syndical capable d’encadrer, canaliser et stériliser les luttes sociales.

"Démocratiser" la vie politique de pays capitalistes moins développés ne va pas de soi. Non parce que, comme le disent les bourgeoisies locales, "le peuple n’est pas assez éduqué", (elles savent bien faire voter les analphabètes avec des figurines sur les bulletins), mais parce que les classes possédantes y sont trop souvent incapables de se structurer, d’organiser le spectacle démocratique tout en mettant en place des mécanismes d’alternance à la gestion de l’État. En l’absence d’une économie suffisamment forte et structurante, c’est l’appareil de l’État, et en premier lieu l’armée, qui sert de colonne vertébrale à l’organisation sociale du pays, et de la classe dominante en premier lieu. Mais la gestion de l’État constitue une source d’enrichissement trop importante pour ne pas être la proie de l’infinie cupidité des différentes factions dominantes. L’armée elle-même est souvent divisée et la vie "politique" peut prendre la forme d’affrontements entre fractions de l’armée. On le voit actuellement en Côte d’Ivoire, autre pays en voie de "démocratisation", comme on l’a vu en Tunisie (contre la garde prétorienne de Ben Ali). En Égypte la presse a parlé à un moment donné de l’opposition dans l’armée entre, d’un côté, la garde présidentielle et l’aviation, et de l’autre le reste de l’armée.

La "démocratisation" de la vie politique dans ces pays sera difficile et souvent chaotique avant que tous les nouveaux prétendants à l’accès aux rennes de la machine étatique parviennent à limiter leur cupidité et leurs conflits internes et organiser un spectacle démocratique "crédible".

La chute de Ben-Ali et de Moubarak loin d’avoir conclu le mouvement social qui les a provoquées, l’a étendu et intensifié dans le prolétariat des deux pays. En Égypte c’est même une nouvelle extension des grèves qui a conduit à la démission définitive de Moubarak. Aucune des aspirations des prolétaires et des plus pauvres à l’origine du mouvement n’a été réalisée, si ce n’est la liberté de parole et d’action qui ont de fait été -pour le moment- imposées dans et par la rue. Les prolétaires des industries et des services sont entrés en lutte massivement, aux quatre coins des deux pays. Leurs revendications sont d’ordre économique aussi bien que politique. Elles concernent autant des questions de salaires et de conditions de travail que des révocations de responsables politiques ou d’entreprises, l’abolition de lois répressives ou le droit d’organisation syndicale.

Le prolétariat sera confronté à trois combats simultanément : pour imposer le maintien de la liberté de parole et d’action conquises dans la rue ; pour arracher des améliorations de ces conditions de travail et d’existence ; pour ne pas se laisser embrigader, diviser, encadrer puis paralyser par toutes les forces "démocratiques", "patriotiques", politiques et syndicales qui entreprennent leur travail de "normalisateurs".

Présentée comme une conquête du peuple, la démocratie bourgeoisie est surtout le plus efficace rempart contre les forces qui peuvent menacer l’ordre établi.

Les aspirations et exigences des prolétaires devront pour se faire un chemin affronter beaucoup de ceux qui aujourd’hui parlent en leur nom. Malheureusement, comme nous le montre l’expérience des nombreuses "démocratisations" qui se se sont déroulées depuis les années 1970, de l’Espagne et du Portugal jusqu’aux deniers pays de l’Est, le combat est rarement gagné.

L’utilisation des nouvelles technologies

Une des caractéristiques des mouvements sociaux en Tunisie et en Égypte c’est l’importance du recours aux nouvelles technologies de communication, en particulier Internet et les téléphones portables. Le médias parlaient pour la Tunisie de "la première cyber-révolution". La Tunisie est un pays où la densité d’accès à Internet est particulièrement élevée pour la région, mais même en Égypte elles ont joué un rôle important. Elles ont permis l’extension foudroyante et une certaine "auto-organisation" du mouvement. Les mobilisations, la coordination des actions, la circulation des informations se sont faits pour l’essentiel en dehors des appareils de partis et des syndicats existants. En Tunisie, le site Takriz ("Cassage de couilles") qui joua un rôle important dans les événements, reçu près de deux millions de visites au cours du seul jour de la chute de Ben-Ali (4). Il existe dans une partie des participants au mouvement, en particulier parmi les jeunes qui se disent volontiers "a-politiques", une méfiance assez généralisée vis-à-vis des partis de toutes sortes qui viennent "confisquer notre révolution". Les nouveaux moyens de communication ont permis à cette méfiance de se concrétiser et d’affirmer une liberté nouvelle. Le plus intéressant à ce niveau c’est des expériences, même si très ponctuelles, comme celle en Tunisie d’auto-organisation de services publics comme le ramassage des ordures.

Mais les événements ont aussi démontré la "fragilité" de ce puissant moyen d’auto-organisation. Aussi bien en Tunisie qu’en Égypte les gouvernements ont montré pratiquement qu’ils avaient les moyens d’en interrompre le fonctionnement à volonté. Même si cela s’est traduit par des pertes économiques faramineuses, la vie de toutes les entreprises et administrations étant devenue totalement dépendante d’Internet et des portables, cela a aussi mis en évidence la nécessité d’inventer des solutions pour faire face à ce genre de black-out.

Le rôle des États-Unis

Il est impossible de comprendre le déroulement des événements en Tunisie, Égypte, Jordanie, Yémen, etc. sans tenir compte du relookage de la diplomatie américaine dans la région et plus globalement vis à vis des pays "islamiques". Dans son discours "historique" du Caire, prononcé en juin 2009, moins de six mois après son investiture, Barak HUSSEIN (comme il le rappelle dans son allocution) Obama à tracé les lignes principales d’un "nouveau début" dans les rapports entre les États-Unis et "l’Islam". Parmi elles, il désigne explicitement la nécessité de la démocratie et la critique des régimes qui ne respectent pas les droits de l’homme, etc. (5) Cette politique se veut en rupture ouverte avec celle de Bush et l’image d’une Amérique en guerre contre "l’Islam". Il s’agit de promouvoir l’image d’une Amérique qui veut partir sur de nouvelles bases en aidant et stimulant la vie des pays musulmans, en particulier dans le domaine de la démocratie. Dans son récent discours sur l’état de la Nation, Obama a insisté sur le fait que les États-Unis devaient être un "phare" pour le monde.

Les explosions sociales en Algérie, Tunisie et Égypte n’ont pas eu comme origine des manipulations de la diplomatie américaine. C’est la misère et son aggravation qui restent le véritable déclencheur. Mais le gouvernement américain, même s’il a pu être surpris, a réagi en intégrant les événements dans une stratégie globale, mûrie et réfléchie depuis longtemps, affinée avec l’arrivée de l’administration Obama aux commandes. Ainsi, les hommes qui ont signifié à Ben Ali son départ du pays, le chef d’état major de l’armée, Rachid Ammar, celui qui avait refusé de faire tirer sur la population, et le ministre des affaires étrangères , Kamel Morjan, sont restés en contact permanent avec le gouvernement américain pendant toute la durée des événements. Les contacts entre l’administration américaine et des secteurs déterminants de l’armée égyptienne sont aussi constants. Obama et Hillary Clinton se sont relayés pour déclarer publiquement l’appui de leur gouvernement à la transition démocratique égyptienne. Le vice président Biden adressait ouvertement des recommandations précises à son homologue Souleimane.

"

la suite...

Messages

  • Alors que presque tous les intellectuels d’Orient ou d’Occident ont accueilli avec bonne humeur les «  révoltes arabes  », une bonne part des intellectuels et universitaires algériens ont eu un hochement de tête dubitatif, qualifiant cette saison historique de printemps «  gris  » ou de «  pseudo printemps  », et les révoltes arabes de «  pseudo révolutions  », de révolutions «  douteuses  » ou «  minuscules  ». Cet avis, dont on ne saurait dire s’il est majoritaire ou minoritaire dans le sens commun algérien, est néanmoins partagé par de larges couches sociales, en particulier celle des lettrés et plus généralement par la classe moyenne, émergée au début des années 2000 grâce à l’envolée des prix des hydrocarbures. Beaucoup ont mis cela sur le compte de la guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie, une décennie durant, après l’arrêt du processus électoral des législatives remportées par le parti du Front islamique du Salut (FIS) en janvier 1992. En effet, entre 1992 et 2002, plusieurs intellectuels, universitaires, journalistes algériens, âgés pour la plupart d’une cinquantaine d’années, furent assassinés, chez eux ou dans leur quartier. Les sociologues furent parmi ceux qui payèrent l’un des plus lourds tributs au terrorisme. Nombreux furent ceux contraint à l’exil, en France notamment, où ils reçurent accueil et soutien. Le sens commun algérien, bien que feignant de condamner «  les violences d’où qu’elles viennent  », du pouvoir ou de l’opposition islamiste, semblent avoir été plus réceptifs aux partisans de la plate-forme de Rome6 qui, en coulisse, attribuaient à l’armée algérienne l’essentiel des actes terroristes commis contre les civils. Ajoutons à cela que les États voisins de l’Algérie, le Maroc et la Tunisie en particulier, ont vécu le drame algérien dans un mélange de crainte et de soulagement : crainte de voir le brasier algérien sauter les frontières, mais soulagement de constater que l’épisode démocratique qui risquait de déstabiliser ces pays, se clôturait dans le sang. À part le célèbre romancier Rachid Mimouni, on ne connaît pas d’autres noms d’universitaires ou d’intellectuels algériens réfugiés au Maroc, et selon quelques témoignages de sociologues algériens, la Tunisie n’était pas spécialement une terre d’accueil.

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