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Les puissances impérialistes pendant la vague révolutionnaire en Europe

samedi 20 septembre 2014, par Robert Paris

La vague révolutionnaire en Europe 1918-1920,
vue par les dirigeants politiques de l’impérialisme

« 24 mars 1919

  Président Wilson (USA) : C’est en ce moment une véritable course contre la montre entre la paix et l’anarchie et le public commence à manifester son impatience. (...)

  Lloyd George (GB) : (...) Je propose donc, avec la Président Wilson, que nous nous réunissions entre chefs de gouvernements, deux fois par jour s’il le faut, pour aller plus vite, et que nous commencions dès demain. »

« 25 mars 1919

  Général Alby : La question du ravitaillement d’Odessa est posé par une série de télégrammes des généraux Berthelot et Franchet d’Espérey (...) nous oblige à trouver le moyen de nourrir, à Odessa et autour de cette ville, un million de personnes. Si nous ne pouvons pas le faire, il est inutile de songer à garder Odessa.

  En réponse à une question posée par M. Lloyd George sur les effectifs alliés à Odessa, le général Alby répond qu’ils s’élèvent à environ 25.000 hommes.

  Clemenceau (France) : Ce matin même, le général d’Espérey a demandé qu’on lui envoie pour Odessa des troupes polonaises d’Italie. (...)

  Général Alby : L’Italie est disposée à envoyer 7.000 Polonais (...) Les autorités russes d’Odessa demandent qu’on leur fournisse du pain à raison de 1.000 tonnes par semaine, (...) 15.000 tonnes de charbon par mois sont absolument nécessaires, sans quoi le danger d’une révolte de la population serait très grand. (...)

  Président Wilson : Je suis frappé, dans des dépêches qu’on nous a lues, de ces mots : « La population d’Odessa nous est hostile ». S’il en est ainsi, on peut se demander à quoi sert de garder cet îlot entouré, presque submergé par le bolchevisme. (...) Cela me confirme dans ma politique, qui est de laisser la Russie aux Bolcheviks – ils cuiront dans leur jus jusqu’à ce que les circonstances aient rendu les Russes plus sages - et de nous borner à empêcher le bolchevisme d’envahir d’autres parties de l’Europe.

  Lloyd George : J’ai entendu tout récemment M.Bratiano qui considère que ce qu’il y a de plus important à faire en Roumanie : 1° de nourrir la population 2° d’équiper l’armée 3° de donner la terre aux paysans. Ce sont des moyens intelligents et efficaces de préserver la Roumanie du bolchevisme. Mais devons-nous nous obstiner à garder Odessa, dont la population se soulèvera dès que les Bolcheviks feront leur apparition ? Il vaut mieux concentrer tous nos moyens de défense en Roumanie et établir là notre barrière contre le bolchevisme. (...) La population sibérienne est-elle favorable à Koltchak ou non ?

  Général Thwaites : Koltchak paraît soutenu par la population ; mais un mouvement de mécontentement et une tendance au bolchevisme se produisent dans la région occupée par les Japonais.

  Lloyd George : Si Odessa tombe, qu’arrivera-t-il ?

  Général Thwaites : Les Bolcheviks attaqueront immédiatement la Roumanie.

  Colonel Kish : (...) L’occupation d’Odessa par les Bolcheviks donnera en Russie l’impression d’une grande victoire remportée par eux sur les Alliés. L’événement serait donc important du point de vue moral. Mais c’est la seule raison sérieuse que nous ayons de garder Odessa. (...)

  Clemenceau : Le péril bolcheviste s’étend en ce moment vers le sud et vers la Hongrie ; il continuera à s’étendre tant qu’il ne sera pas arrêté ; il faut l’arrêter à Odessa et à Lemberg. (...)

  Maréchal Foch : Abandonner Odessa, c’est abandonner la Russie du sud, mais à vrai dire elle est déjà perdue et nous ne la perdrons pas une seconde fois..

  Clemenceau : je demanderai au Maréchal Foch s’il a un nom à nous fournir pour le général qui prendrait le commandement de l’armée roumaine. »

« 26 mars 1919

  Loucheur : 30 milliards minimum est (...) ce que je crois sincèrement l’Allemagne capable de payer (...)

  Lloyd George : Si les dirigeants allemands arrivent à la conclusion que ce qu’ils ont de mieux à faire est d’imiter la Hongrie et de faire alliance avec les Bolcheviks, s’ils préfèrent le risque d’une anarchie de quelques années à une servitude de trente-cinq ans que ferons-nous ? (...) Si nous avions à occuper un pays très peuplé, comme la Westphalie, tandis que l’Allemagne autour de nous se relèverait ou serait agitée par un bolchevisme contagieux, quels ne seraient pas nos dépenses et nos risques ? (...) Ma conviction est que les Allemands ne signeront pas les propositions qu’on envisage (...) L’Allemagne passera au Bolchevisme. (...)

  Président Wilson : Je ne puis qu’exprimer mon admiration pour l’esprit qui se manifeste dans les paroles de M.Lloyd George. Il n’y a rien de plus honorable que d’être chassé du pouvoir parce qu’on a eu raison. (...) le gouvernement de Weimar est sans crédit. S’il ne peut rester au pouvoir, il sera remplacé par un gouvernement tel qu’il sera impossible de traiter avec lui. (...) Nous devons à la paix du monde de ne pas donner à l’Allemagne la tentation de se jeter dans le Bolchevisme, nous ne savons que trop les relations des chefs bolcheviks avec l’Allemagne.

  Clemenceau : J’approuve fondamentalement M.Lloyd George et M. Wilson, mais je ne crois pas qu’il y ait désaccord entre eux et M.Loucheur qui, en homme d’affaires expérimenté, se garderait bien de rien faire qui pût tuer la poule aux œufs d’or. (...) Nous avons raison de craindre le bolchevisme chez l’ennemi (les pays vaincus) et d’éviter d’en provoquer le développement, mais il ne faudrait pas le répandre chez nous-mêmes. (...) soit en France soit en Angleterre. Il est bien de vouloir ménager les vaincus, mais il ne faudrait pas perdre de vue les vainqueurs. Si un mouvement révolutionnaire devait se produire quelque part, parce que nos solutions paraîtraient injustes, que ce ne soit pas chez nous.

  Lloyd George : (...) Je sais quelque chose du danger bolcheviste dans nos pays ; je le combat moi-même depuis plusieurs semaines (...) Le résultat, c’est que des syndicalistes comme Smilie, le secrétaire général des mineurs, qui auraient pu devenir un danger formidable, finissent par nous aider à éviter un conflit. Les capitalistes anglais –dieu merci ! – ont peur, et cela les rend raisonnables. Mais en ce qui concerne les conditions de paix, ce qui pourrait provoquer une explosion du bolchevisme en Angleterre, ce ne serait pas le reproche d’avoir demandé trop peu à l’ennemi, mais celui de lui avoir demandé trop. L’ouvrier anglais ne veut pas accabler le peuple allemand par des exigences excessives. (...) De toutes manières, nous allons imposer à l’Allemagne une paix très dure : elle n’aura plus de colonies, plus de flotte, elle perdra 6 ou 7 millions d’habitants, une grande partie de ses richesses naturelles : presque tout son fer, une grande partie de son charbon. Militairement, nous la réduisons à l’état de la Grèce, et au point de vue naval, à celui de la République Argentine. Et sur tous ces points nous sommes entièrement d’accord. (...) Si vous ajoutez à cela des conditions secondaires qui puissent être considérées comme injustes, ce sera peut-être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. »

« 27 mars 1919

  Président Wilson : Je ne crains pas dans l’avenir les guerres préparées par les complots secrets des gouvernements mais plutôt les conflits créés par le mécontentement des populations. (...)

  Maréchal Foch : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. En ce qui concerne particulièrement la Roumanie, les mesures nécessaires sont prévues en détail pour envoyer à son armée les effets et équipements qui lui manquent. Cette armée sera placée sous le commandement d’un général français. Vienne sera occupée par des troupes alliées sous un commandement américain. (...) Nous sommes d’accord sur l’aide à donner à l’armée roumaine et sur l’évacuation d’Odessa, qui est liée à notre actions en Roumanie. (...) Quant à l’idée d’opérer la jonction entre les forces polonaises et roumaines pour faire face à l’est, c’est le prélude d’une marche vers et cela nous conduit à la question d’une intervention militaire en Russie. Nous avons examiné cette question plus d’une fois et nous sommes chaque fois arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas penser à une intervention militaire. (...) L’évacuation d’Odessa est considérée comme le moyen de reporter des ressources, dont l’emploi à Odessa ne pouvait conduire à aucun résultat satisfaisant, sur la Roumanie pour compléter ses moyens de défense. (...)

  Maréchal Foch (chef des armées alliées) : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. (...) Contre une maladie épidémique, on fait un cordon sanitaire : on place un douanier tous les deux cent mètres et on empêche les gens de passer.

  Orlando (Italie) : Je demande la permission de lire deux télégrammes que nous recevons de notre commissaire italien à Vienne sur la situation. Le premier nous informe qu’on a reçu à Vienne une dépêche du gouvernement révolutionnaire de Budapest, invitant le prolétariat viennois à suivre l’exemple des Hongrois. Il a été décidé par les révolutionnaires viennois de former un conseil de travailleurs, de manière à les mettre en état de prendre le pouvoir (...) Le second télégramme (...) considère l’infiltration bolcheviste comme probable si la garde populaire n’est pas désarmée. Le gouvernement est faible, mais il suffirait, pour rétablir la situation, d’envoyer à Vienne deux régiments américains qui seraient reçus avec soulagement par la majorité de la population. Une déclaration des Alliés au sujet des approvisionnements produirait un effet utile mais ne servirait à rien si elle venait après le triomphe des bolchevistes.

  Général Diaz : Le bolchevisme est un mouvement populaire qui se manifeste partout où les vivres manquent et où l’autorité centrale est faible . (...) Son succès paraît lié aux succès du mouvement bolcheviste russe.. (...) la fermentation qui se produit actuellement n’a pas lieu seulement à Vienne, mais jusque dans les pays slovènes, partout en un mot où la population souffre de l’insuffisance du ravitaillement. En occupant Vienne fortement, on tient les voies de communication et on arrête ce progrès menaçant. Ce qu’il faut c’est donner aux populations l’impression que nous apportons des vivres, l’ordre et la sécurité. Sans cela elles se jetteront instinctivement du côté du désordre.

  Général Bliss : Le mot « bolcheviste » revient si souvent dans nos débats qu’évidemment il donne le ton à tout ce qui vient d’être dit. Si nous remplacions par le mot « révolutionnaire », ce serait peut-être plus clair. Le bolchevisme est la forme prise par le mouvement révolutionnaire dans les pays arriérés qui ont particulièrement souffert. D’ailleurs nous entendons dire, tantôt que le bolchevisme russe est un produit allemand, tantôt que c’est un mouvement essentiellement russe et qui, de l’est, vient envahir l’Europe. S’il était certain qu’il vient de Russie, c’est là évidemment qu’il faudrait le tuer. Mais le problème est plus difficile. Un cordon sanitaire pourrait arrêter les bolchevistes, mais non le bolchevisme, et pour en faire une barrière véritable, il faudrait déployer des forces très considérables depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. (...)

  Président Wilson : La question n’est-elle pas de savoir s’il est possible d’organiser une résistance armée contre le bolchevisme, ce qui veut dire : avons-nous, non seulement les troupes qu’il faut, mais les moyens matériels, et le sentiment public qui nous soutiendrait ? A mon avis, essayer d’arrêter un mouvement révolutionnaire par des armées en ligne, c’est employer un balai pour arrêter une grande marée. Les armées, d’ailleurs, peuvent s’imprégner du bolchevisme qu’elles seraient chargées de combattre. Un germe de sympathie existe entre les forces qu’on voudrait opposer. Le seul moyen d’agir contre le bolchevisme, c’est d’en faire disparaître les causes. (...) Une de ces causes est l’incertitude des populations au sujet de leurs frontières de demain, des gouvernements auxquels elles devront obéir, et, en même temps, leur détresse parce qu’elles manquent de vivres, de moyens de transport et de moyens de travail. (...) »

« 28 mars 1919

  Président Wilson : Je crains beaucoup la transformation de l’enthousiasme en désespoir aussi violent que le bolchevisme qui dit : « il n’y a pas de justice dans le monde, tout ce qu’on peut faire c’est se venger par la force des injustices commises auparavant par la force. » (...)

« 29 mars 1919

  Président Wilson : L’armistice nous autorise à envoyer des troupes en Pologne pour le maintien de l’ordre. Il faut bien faire comprendre aux Allemands que c’est dans ce but et pour protéger la Pologne des bolcheviks russes que les troupes du général Haller sont envoyées à Varsovie.

  Lloyd George : Il n’est pas de l’intérêt du gouvernement allemand de nous empêcher de former une barrière contre le bolchevisme. (...) Sachons prendre une décision ; ne faisons pas avec la Hongrie comme avec la Russie ; une Russie nous suffit. »

« 31 mars 1919

  Pichon : Que s’est-il passé (en Hongrie) ? (...) Le départ du comte Karoliyi et (. .) la chute du gouvernement (...). Une république des soviets a été proclamée. Nos missions ont été chassées et le premier acte du nouveau gouvernement a été de s’adresser à Lénine et de lui dire qu’on était prêts à marcher avec lui. (...)

  Président Wilson : Il faut avant tout éclaircir la situation. Le gouvernement de Budapest (...) est un gouvernement de soviets parce que c’est la forme de gouvernement à la mode et il peut y avoir bien des espèces de soviets.

  Pichon : La Hongrie nous répond par la révolution, par l’expulsion de nos missions. Nous sommes liés à la Roumanie, à qui nous avons promis de libérer les populations transylvaines.

  Président Wilson : Il faut éviter, par une attitude trop dure, de pousser un pays après l’autre dans le bolchevisme. Le même danger existe à Vienne. Si nous avions à jeter là une ligne de démarcation, Vienne pourrait se jeter le lendemain dans le bolchevisme. Si de pareils événements se répètent, nous n’aurons pas de paix, parce que nous ne trouverons plus personne pour le conclure. En ce qui concerne la Hongrie (...) il ne servirait à rien de lui dire « Nous ne voulons rien avoir à faire avec vous (...) nous n’avons jamais rien eu à faire, ni les uns ni les autres, avec des gouvernements révolutionnaires. » Quant à moi, je suis prêt à entrer en conversation avec n’importe quel coquin (...)

  Lloyd George : Le comte Karolyi est un homme fatigué, qui a jeté le manche après la cognée, et le bolchevisme n’a eu qu’à prendre une place vide. »

« 8 avril 1919

  Orlando : Nous avons reçu un télégramme de notre légation en Suisse nous annonçant que la proclamation de la république des soviets à Vienne est probable pour le 14 de ce mois, à moins que Vienne ne soit occupée par les Alliés.

  Lloyd George : Qui propose-t-on d’envoyer occuper Vienne ? pourquoi, si nous suivions ces suggestions, n’occuperions-nous pas l’Europe entière ? Nos représentants à Berlin nous tiennent le même langage ; il n’y aurait plus de raison de s’arrêter. (...) J’ai reçu un télégramme du War Office me faisant connaître que la situation en Allemagne s’aggrave et que l »on craint une catastrophe. (...) Aujourd’hui, nous apprenons la proclamation de la république des soviets en Bavière. Le danger est que, quand nous demanderons aux délégués allemands : « qui représentez-vous ? », ils ne sachent que répondre. (...) Nous sommes d’accord pour examiner ce que nous aurons à faire non seulement si l’Allemagne tombe en décomposition, mais aussi si la situation s’aggrave en Autriche et dans les pays voisins. (...) »

« 16 avril 1919

  Balfour : Il y a, sur la côte de la Baltique, des troupes allemandes qui luttent contre les Bolcheviks et qui nous demandent de les aider en leur fournissant du charbon et des vivres et même en leur permettant de recevoir des renforts d’Allemagne. Nous avons consenti (...) »

« 18 avril 1919

  Le Président Wilson donne lecture du texte sur la Pologne.

  Lloyd George : Un article que je n’aime pas est celui qui demande la dissolution des conseils d’ouvriers et de soldats. L’exécution n’en est pas facile.

  Clemenceau : C’est ce que nous avons fait sur les territoires que nous occupons.

  Lloyd George : Sans doute, mais nous nous désirons précisément éviter d’avoir à occuper cette région éloignée.

« 21 avril 1919

  Orlando : Quant à moi, j’ai toujours eu le souci de calmer l’opinion. (...) Si je revenais en Italie en apportant une paix qui provoquerait un soulèvement de la population, je rendrai un mauvais service au monde entier. Si l’opinion du président Wilson prévaut, il y aura une révolution en Italie, n’en doutez pas. Récemment des échauffourées se sont produites à Rome et à Milan entre le bolchevistes et les patriotes. Ce sont les bolchevistes qui ont été battus. A Milan, deux d’entre eux ont été tués. Or cet élément nationaliste qui est si excité en ce moment ferait la révolution si la paix lui paraissait mauvaise (...) Une Italie déçue et mécontente, ce sera la révolution et un danger pour le monde entier.

  Balfour : Mais supposez que l’Italie se brouille avec les Etats-Unis, je ne vois pas comment la vie économique pourra continuer, et, dans ce cas, comment éviterez vous la révolution sociale ?

  Orlando : J’ai encore espoir d éviter la révolution sociale si je reste avec mon pays. »

« 22 avril 1919

  Lloyd George : J’ai peur d’une crise que nous ne puissions plus maîtriser (...) Notre pauvre Europe est comme un terrain semé de grenades ; si on y met le pied, tout saute. »

« 23 avril 1919

  Président Wilson : Il n’est pas possible de faire quoi que ce soit dans ce pays (l’Allemagne) avant que la population ait les vivres et les moyens de travail indispensables. La disette, au sens le plus général du mot, est le terrain sur lequel croît le bolchevisme. (...) Je ne peux pas consentir à donner à donner à l’Italie ce qui serait la cause d’une séparation dangereuse entre le monde slave et l’Europe occidentale. Nous sommes devant une alternative : ou nous attirerons les slaves du sud vers l’Europe occidentale et vers la Société des Nations, ou nous les rejetterons vers la Russie et le bolchevisme. »

« 24 avril 1919

  Président Wilson : Dans les villes (allemandes) il y a du bolchevisme. »

« 29 avril 1919

  Vandervelde : Nous avons, à l’heure présente, 800.000 chômeurs survivent avec une allocation de 777 à 14 francs par semaine. La vie, en Belgique, est trois fois plus chère qu’en 1914. Cependant l’ordre et le calme n’ont cessé d’y régner. Ce qui les a maintenus, c’est d’abord l’organisation très forte de notre parti ouvrier dont je suis fier de dire qu’elle est la plus puissante garantie d’ordre qui existe dans notre pays (...). Je ne suis pas suspect de vues extrêmes (...) Dans le discours que j’ai prononcé en séance plénière sur les conditions de travail, j’ai dit que les ouvriers belges, ayant à choisir entre la méthode anglaise et la méthode russe, avaient choisi la méthode anglaise. Mr Lloyd George m’a dit qu’il était fier de voir que les ouvriers belges reconnaissaient l’excellence de la méthode britannique. Mais pour que cela dure, il est indispensable que vous nous aidiez : il y va de l’avenir de nos travailleurs et de notre pays même. ».

« 30 avril 1919

  Lloyd George : Pour l’emploi du temps, il a été proposé d’étudier la semaine prochaine les questions relatives à la paix en Autriche. (...)

  Ce qui me rallie à la proposition de M. Lloyd George, c’est l’effet moral que la convocation aura en Autriche. Les dépêches que nous recevons de Vienne indiquent l’urgence de soutenir le gouvernement actuel. La disette, le sentiment que la paix n’est pas en vue, créent un état d’esprit dangereux (...)

  Lloyd George : Je propose d’entendre M. Tchaïkovsky le chef du gouvernement d’Arkhangel (...) Les renseignements que nous recevons indiquent que Koltchak avance et pourra sans doute rejoindre Arkhangel (...) et, d’autre part, que le gouvernement de Lénine est encore puissant, mais incline peu à peu vers une politique plus modérée.

  Clemenceau : Nos informations tendent à montrer que la puissance des Bolcheviks décline.

  Lloyd George : Ici nos informations diffèrent. (...)

  Président Wilson : Un des éléments qui troublent la paix du monde est la persécution des Juifs. Vous savez qu’ils sont particulièrement mal traités en Pologne et qu’ils sont privés des droits de citoyen en Roumanie. (...) Rappelez-vous que, quand les Juifs étaient traités en hors la loi en Angleterre, ils agissaient comme des gens hors la loi. Notre désir est de les ramener partout dans la loi commune. (...) (Suite le 3 mai) Nos gouvernements, du moins les gouvernements britannique et américain, ont pris, vis-à-vis des Juifs, l’engagement d’établir en Palestine quelque chose qui ressemble à un Etat israélite, et les Arabes y sont très opposés.

  (Suite le 17 mai) Ce n’est pas seulement un sentiment de bienveillance à l’égard des Juifs, mais par l’incertitude du danger que le traitement injuste des Juifs crée dans différentes parties de l’Europe. Le rôle des Juifs dans le mouvement bolcheviste est dû sans aucun doute à l’oppression que leur race a subi pendant si longtemps. Les persécutions empêchent le sentiment patriotique de naître et provoquent l’esprit de révolte. A moins que nous ne portions remède à la situation des Juifs, elle restera un danger pour le monde.

  (Suite 6 juin) France, Italie, Grande Bretagne, Etats-Unis, ce n’est pas sur leurs territoires que l’on trouve cet élément juif qui peut devenir un danger pour la paix en Europe, mais en Russie, en Roumanie, en Pologne, partout où les Juifs sont persécutés.

  Lloyd George : Cette difficulté subsistera jusqu’à ce que les Polonais deviennent assez intelligents pour savoir tirer parti de leurs Juifs, comme le font les Allemands.

  (Suite 23 juin) Président Wilson Le plus important est d’apaiser les inquiétudes des Juifs. Je crains toujours de laisser subsister de ce côté un ferment dangereux. »

« 2 mai 1919

  Lloyd George : On me fait savoir que, dans plusieurs villes d’Italie, des soldats anglais ont été insultés dans les rues. (...)

  Président Wilson : En jetant un cristal dans un liquide, on le fait parfois cristalliser tout entier.

  Lloyd George : Quelquefois aussi, on provoque une explosion.

  Président Wilson : L’explosion s’est déjà produite. (...) l’attitude de l’Italie est indubitablement agressive. (...) »

« 7 mai 1919

  Lloyd George : Je voudrai vous parler de la Russie La situation s’y transforme de la façon la plus remarquable : nous assistons à un véritable effondrement du bolchevisme, à tel point que le cabinet britannique sollicite de nous une décision immédiate sur notre politique en Russie. D’après nos renseignements, Koltchak est sur le point de joindre ses forces à celles d’Arkhangel ; il est possible aussi qu’il arrive à bref délai à Moscou et y établisse un nouveau gouvernement. (...)

  Président Wilson : Que fournissez-vous à Koltchak et à Dénikine ?

  Lloyd George : Des armes et des munitions. »

« 8 mai 1919

  Président Wilson : Rien n’a été décidé sur les frontières de la Russie ou celles qu’il a lieu d’établir à l’intérieur de l’ancien empire russe. »

« 9 mai 1919

  Président Wilson : Quand nous essayâmes pour la première fois d’envoyer des vivres aux populations russes (...) des troupes américaines ont assuré la police du chemin de fer entre le Pacifique et Irkoutsk. Notre gouvernement n’a pas confiance dans l’amiral Koltchak qui est soutenu par la France et l’Angleterre. (...) Dans ces conditions, nous devons ou prendre le parti de soutenir Koltchak et de renforcer notre armée d’occupation, ou nous retirer totalement. Mais si nous augmentons nos effectifs, le Japon fera de même. Quand nous sommes allés en Sibérie, nous nous étions entendus avec le Japon pour envoyer là-bas des forces équivalentes. En fait, nous avons envoyé 9000 hommes et le japon 12000. Mais, peu à peu, il a augmenté ses effectifs et les a porté à 70.000 hommes. (...) Si, d’autre part, nous renforçons les troupes qui gardent le chemin de fer, je crains une coalition entre les Cosaques et les Japonais contre nous. Pour moi j’ai toujours été d’avis de nous retirer de Russie (...)

  Lloyd George : (...) Il devient nécessaire de nous entendre sur une politique commune en Russie. D’après nos renseignements, l’amiral Koltchak avance rapidement à l’ouest de l’Oural et cela semble démontrer que les Bolcheviks n’ont plus la force de résister, ou que les moyens de transport leur manquent complètement. Quelles sont les dernières nouvelles ?

  Sir Maurice Hankey : Les derniers télégrammes montrent que l’amiral Koltchak envoie des forces à la fois dans la direction d’Arkhangel et vers le sud-ouest.

  Président Wilson : Nous avons certainement le droit de demander à Koltchak quelles sont ses intentions.

  Lloyd George : D’abord sur la question agraire, il faut lui demander s’il est bien résolu à ne pas reprendre la terre aux paysans.

  Président Wilson : D’après les informations que j’ai reçues d’un homme qui connaît très bien la Russie et sa situation présente, les paysans se sont emparés de la terre irrégulièrement et au hasard. (...)

  Lloyd George : Il faut se résigner à des irrégularité de ce genre dans une révolution : le fait s’est produit lors de la révolution française. (...)

  Lloyd George : Si l’amiral Koltchak peut nous rejoindre, c’est la fin du bolchevisme. ( ..)

  Président Wilson : Les troupes américaines d’Arkhangel ne sont pas bien sures. (...) Il est toujours dangereux de se mêler de révolutions étrangères. (...)

  Lloyd George : Ici ce sont des Russes qui agissent et nous ne ferons que les seconder. (...)

  Lord Robert Cecil : Le grand problème que nous avons à résoudre est de remettre l’Europe au travail. Partout, le chômage se développe, surtout dans les Etats nouveaux. Se borner à nourrir cette population de chômeurs serait presque sans effet au point de vue politique : s’ils sont nourris et sans travail, ils seront encore plus disposés à se révolter que dans la plus extrême détresse. (...) Ce qui est certain, c’est que si rien n’est fait, nous nous trouverons en présence du chaos et de l’anarchie. »

« 10 mai 1919

  Président Wilson : Une intransigeance de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne. et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...)

  Lloyd George : J’ai reçu ce matin un autre rapport qui me dit qu’à mesure que Koltchak avance, il se produit des désordres derrière lui. Les Bolcheviks ont quelques succès en Sibérie orientale. Cela ne veut-il pas dire que l’on croit que si Koltchak réussissait, le but final de son entourage serait le retour au passé ? Ne croit-on pas que c’est à cela que les Alliés veulent l’aider ? (...) »

« 17 mai 1919

  Maharadjah de Bikaner : Nous ne pouvons que déconseiller de la manière la plus formelle tout partage de la Turquie (...) C’est avec tout le sentiment de ma responsabilité que j’appelle votre attention sur le danger de désordre et de haine que cette question contient, non seulement pour l’Inde mais pour le monde entier.

  Montagu : Il y a un danger véritable chez les peuples musulmans. (...) Un Américain qui avait été prisonnier des Bolcheviks à Tachkent (...) a été frappé par l’attitude des Musulmans à l’égard des Alliés : le sentiment parmi eux était que la Conférence prenait position contre l’Islam. Je n’ai pas besoin de rappeler les événements récents qui se sont produits en Egypte et dans l’Afghanistan. Dans le Pendjab, des agitateurs hindous, excités par les Bolcheviks, provoquaient les populations à la révolte. (...) Il est sans exemple que l’on ait ainsi ouvert les mosquées à des prédicateurs ou à des orateurs qui n’appartenaient pas eux-mêmes à la religion musulmane. »

« 19 mai 1919

  Président Wilson : La situation à Varsovie est certainement dangereuse. L’opinion est très montée et aux excitations nationalistes se mêlent des menaces de grève générale des postes et des chemins de fer. (...) Paderewski nous avertit qu’une intransigeance complète de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...) Le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. Il n’y aurait pas de résistance. (...) On nous conseille d’envoyer à Budapest une mission politique ayant à sa tête un homme comme le général Smuts pour assurer l’établissement d’un gouvernement stable. (...)

  Lloyd George : Nous sommes au milieu des sables mouvants. (...) Avez-vous vu le télégramme de Lénine qui accuse les troupes de Denikine d’atrocités. J’ai bien peur qu’en fait les atrocités n’aient lieu des deux côtés. Que penser des victoires de Koltchak ? (...)

  Président Wilson : Même incertitude au sujet de la Hongrie. Nous recevons des rapports sur l’impopularité de la dictature du prolétariat. (...) La conclusion de mon représentant est que le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. (...)

  Clemenceau : Il me paraît bien difficile d’occuper Budapest. Que nous demandera-t-on d’occuper ensuite ? Ce n’est pas la première fois qu’on nous invite à occuper telle ou telle partie de l’Europe. (...)

  Président Wilson : J’ai donné au Département d’Etat l’instruction d’entrer directement en communication avec l’amiral Koltchak et de lui poser un certain nombre de questions, notamment sur ses intentions en ce qui concerne l’Assemblée Constituante et le régime agraire.

« 20 mai 1919

  Lord Robert Cecil : Lénine ne veut pas accepter la condition de suspension des hostilités. Après consultation avec le Conseil suprême économique, je conseille aux gouvernements de choisir entre deux politiques : il faut ou écraser les Bolcheviks ou imposer aux différents groupes belligérants de la Russie (...) qu’une Constituante soit immédiatement convoquée. En tout cas, il ne faut pas essayer de mêler les deux systèmes. (...)

  Clemenceau : Si nous cessons d’envoyer des armes à Koltchak et à Denikine, ce n’est pas cela qui arrêtera Lénine. (...)

  Lloyd George : D’un côté, nous avons des révolutionnaires violents et sans scrupules, de l’autre des gens qui prétendent agir dans l’intérêt de l’ordre, mais dont les intentions nous sont suspectes. Toutefois, nous avons le devoir de ne pas abandonner ceux dont nous avons eu besoin (...)

  Lloyd George : Nous aurons aussi à examiner la question des provinces baltiques. (. ;) Comment faire fond sur ces populations ? Nous avons à un moment donné cherché à leur distribuer des armes pour combattre contre les Bolcheviks, mais nous y avons renoncé, parce que nous trouvions trop peu de gens en qui on pût avoir confiance. »

« 21 mai 1919

  Lloyd George : Le monde musulman s’agite, vous savez nos difficultés en Egypte, l’Afghanistan est en état de guerre avec nous. Pendant la guerre nous avons levé dans les Indes plus d’un million d’hommes, presque tous musulmans, ce sont eux qui ont supporté presque tout le poids de la lutte contre la Turquie, quoique encadrés par des troupes blanches. Le monde musulman n’oublie pas cela. La division de la partie proprement turque de l’Asie Mineure serait injuste et impolitique (...)

  Général Le Rond : Les Ukrainiens n’ont que médiocrement résisté aux Bolchevistes. (...) Les Polonais sont beaucoup plus capables qu’eux d’arrêter la marche en avant du bolchevisme.

  Général Botha : Les Polonais, avec des munitions qu’ils reçoivent de nous, attaquent des gens qui ne sont pas nos ennemis (Ukraine). S’ils ont besoin de ce que nous leur donnons pour combattre les Bolchevistes, nous sommes prêts à continuer à le leur donner. (...) Si nous tolérons ce que la Pologne fait aujourd’hui, nous jetterons nous-mêmes le peuple ukrainien dans les bras des Bolcheviks.

  Président Wilson : Si Paderewski tombe et que nous coupions les vivres à la Pologne, la Pologne elle-même ne deviendra-t-elle pas bolcheviste ? Le gouvernement de Paderewski est comme une digue contre le désordre, et peut-être la seule possible.

  Lloyd George : Les Polonais estiment que le moyen de combattre les Bolchevistes n’est pas de s’unir avec les Ukrainiens contre eux, mais de supprimer les Ukrainiens. Quarante millions d’Ukrainiens, s’ils sont foulés aux pieds, se soulèveraient contre nous et pourraient créer un nouveau bolchevisme quand l’ancien se serait effondré. »

« 23 mai 1919

  Orlando : Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir nier que l’état d’esprit en Italie est fort préoccupant. C’est un aveu qui me coûte beaucoup. L’exaspération de l’opinion italienne vient en partie de la fatigue de la guerre, en partie de la sensation d’anxiété provenant du fait que l’Italie ne voit pas les questions qui l’intéressent recevoir leur solution. (...) Il en est résulté une tension qui va, je le reconnais, jusqu’à la folie de la persécution ; et cela se tourne contre le gouvernement italien lui-même.

  Président Wilson : N’est-ce pas l’Angleterre qui a fourni la plus grande partie des armes et des munitions à Koltchak et à Denikine ? Les Etats-Unis n’ont rien fourni, sauf aux Tchécoslovaques.

  Lloyd George : C’est en effet la Grande-Bretagne qui a fait la plus grande partie de ces fournitures.

  Clemenceau : Nous en avons fait aussi mais moins que vous.

  Président Wilson : Notre rôle est différent. Nous n’avons fait que venir en aide aux Tchécoslovaques et assurer en partie la garde du chemin de fer transsibérien. (...)

  Lloyd George : Il faut reprendre la question de l’armement des petits Etats de l’Europe centrale. (...)

  Nous laisserons des troupes à la Pologne à cause du voisinage de la Russie. Nous laisserons des troupes à la Roumanie pour la même raison. »

« 24 mai 1919

  Président Wilson : Nous craignons que l’amiral Koltchak, le général Denikine et le gouvernement d’Arkhangel ne soient soumis à des influences contre-révolutionnaires et que, s’ils n’ont pris aucun engagement vis-à-vis de nous, leur victoire n’aboutisse à une réaction qui conduirait sans doute à de nouveaux désordres et à une nouvelle révolution. (...)

  Lloyd George : En Angleterre, le sentiment contre l’action de toute troupe britannique en Russie est de plus en plus fort. En revanche, nous pouvons laisser tous les individus qui, de leur propre gré, s’engageront au service d’un des gouvernements russes (Koltchak ou Denikine), leur fournir cette sorte d’assistance individuelle. En fait, lorsque nous avons demandé des volontaires pour notre corps d’occupation d’Arkhangel, nous en avons trouvé beaucoup. (...) D’ailleurs, ce qu’il faut en Russie, ce sont avant tout des spécialistes, artilleurs, aviateurs, etc… (. ;) Il est peut-être mieux de ne même pas mentionner ces volontaires dans notre dépêche (...).

  Président Wilson : Ce n’est pas moi qu’il faut persuader mais le Congrès des Etats-Unis qui s’est montré jusqu’à présent hostile à l’idée de toute intervention en Russie. Je crois que cette attitude pourra changer si l’amiral Koltchak réponde d’une manière satisfaisante aux questions que nous allons lui poser. (...) Mais, pour aider l’amiral Koltchak dans sa marche vers l’ouest, nous ne lui fournissons que des moyens matériels, en laissant aux individus le droit de s’engager volontairement dans les armées russes. (...) Notre ambassadeur à Tokyo est en route pour Omsk ; il doit voir l’amiral Koltchak et se former une opinion sur lui et son entourage.

  Lloyd George : Il serait bon d’envoyer quelqu’un faire la même enquête chez le général Denikine. (...) Denikine est entouré de bons officiers mais dont les méthodes sont brutales : ils ont fusillé quinze mille bolchevistes après les avoir fait prisonniers. »

« 26 mai 1919

  Président Wilson : Le traité de Londres a été conclu dans des circonstances qu,i depuis, se sont modifiées. (...) L’opinion du monde elle-même s’est modifiée. (...) le monde n’avait pas encore compris qu’il y avait là une question qui le regardait (l’oppression des peuples colonisés menaçant de se joindre à la révolution russe et européenne) et dans laquelle son avenir même était en jeu, c’est ce qui n’a été compris que graduellement aux Etats-Unis et dans d’autres pays. (...) C’est alors que j’ai fait au Congrès mon discours sur nos buts de guerre (. ;) mes quatorze points (...). Le traité de Londres est fondé sur l’idée de l’ancienne politique européenne que la puissance la plus forte a le droit de régler le sort de la plus faible. (...) Si aujourd’hui cette idée était maintenue, elle provoquerait des réactions fatales à la paix du monde.

« 28 mai 1919

  Clemenceau : Nous allons discuter (...) pour tous les petits Etats (...) la question de la limitation de leurs armements (...)

  Président Wilson : Il y a, dans cette partie du monde, un facteur inconnu : c’est la Russie. Ne pouvons-nous pas dire que, là où ce facteur peut se faire sentir, des forces militaires pourront être maintenues suffisantes pour parer à toute éventualité ?

  Clemenceau : ce qu’il faut surtout, c’est ne pas trop hâter le désarmement des Etats d’Europe centrale.

  Lloyd George : Je crains ce qui peut arriver si ces Etats ont des armées très supérieures à celle de l’Autriche. Je n’ai pas grande confiance dans la Roumanie, dans la Serbie.

  Président Wilson : Il vaut mieux établir un régime provisoire tant que la période d’incertitude et de désordre continue. Il est impossible aujourd’hui, quand l’est de l’Europe est dans un état si critique, de militer définitivement les forces de chaque Etat. »

« 29 mai 1919

  Lloyd George : En Russie, rien n’a plus contribué à rendre les Bolcheviks populaires que l’occupation étrangère. (En Europe centrale) il faut éviter que l’occupation irrite la population, accumule les haines et crée un danger pour l’Europe entière. »

« 2 juin 1919

  Lloyd George : J’estime qu’il est de mon devoir de vous indiquer la situation de la délégation britannique en ce qui concerne le traité de paix. Elle est difficile. Notre opinion publique désire avant tout la paix (...) elle ne soutiendrait pas un gouvernement qui reprendrait la guerre. »

« 3 juin 1919

  Lloyd George : Je crains que Koltchak n’ait subi un échec sérieux. »

« 6 juin 1919

  Le président Wilson donne lecture du télégramme de l’amiral Koltchak en réponse à la demande de garanties des Alliés : (...) « Il paraît impossible de rappeler l’assemblée de 1917 élue sous un régime de violence bolcheviste et dont les membres sont maintenant en majorité dans les rangs des Soviets. »

« 9 juin1919

  Président Wilson : Je prie les membres du Conseil militaire interallié de nous faire connaître la situation militaire en Hongrie. (...)

  Lloyd George : J’ai des informations récentes d’un Anglais, venu de Budapest, et d’ailleurs très hostile à Bela Kun. Il rejette toute la faute de ce qui est arrivé sur les Roumains. (...) Bela Kun, à ce moment, était perdu. Il était isolé dans Budapest. Sa situation pouvait se comparer à celle de la Commune de Paris immédiatement avant sa chute. L’avance des Roumains a soulevé le sentiment national hongrois et donné à Bela Kun une armée (...) J’ai reçu deux télégrammes de notre représentant militaire à Prague. Le premier dit que la situation est très grave, que les Tchèques manquent de munitions, que Presbourg est menacé et que le bolchevisme se développe en Slovaquie. Le second annonce qu’à la requête du Président Masaryk, le général Pellé a été placé à la tête de l’armée tchécoslovaque et la loi martiale proclamée à Presbourg. (...) Le général Franchet d’Esperey, qui nous représente tous, a donné une première fois aux Roumains ordre de s’arrêter. Cet ordre n’a pas été obéi. (...) Je propose d’arrêter tout envoi de matériel à la Roumanie jusqu’à ce qu’elle ait obéi à notre ordre. (...) La plus grande partie de nos difficultés vient de ce que les Etats qui sont nos amis refusent de suivre nos instructions. (...)

  Président Wilson : Je n’aime pas jouer les dépôts de munitions. Cela peut produire des explosions. (...)

  Lloyd George : Les Allemands ne savent plus où ils en sont. Ils ressemblent à un homme pris dans un cyclone, à qui l’on demanderait tout à coup : « à quel prix vendez-vous votre cheval ? » D’ailleurs nous sommes un peu dans la même situation. (...) Il faut aboutir. Nous ne pourrons tenir aucune des autres nations tant que nous n’aurons pas fait la paix avec l’Allemagne. »

« 10 juin 1919

  Président Wilson : Nous vous avons convoqués, Messieurs, parce que nous sommes très préoccupés de la situation militaire en Hongrie et autour de la Hongrie. (...) Cette seconde offensive (roumaine) a eu comme conséquence la chute de Karolyi, dont l’attitude envers l’Entente était plus amicale que celle d’aucun autre homme d’Etat hongrois .C’est alors que Bela Kun s’empara du pouvoir. Son gouvernement n’était pas de nature à être accepté par les classes les plus établies de la population. Mais quand les Tchèques, à leur tour, attaquèrent le territoire hongrois. On nous rapporte que les officiers de l’ancienne armée hongroise eux-mêmes vinrent se ranger autour du gouvernement de Bela Kun. Celui-ci donc arrivé au pouvoir en conséquence de l’offensive roumaine y a été consolidé par l’offensive tchèque. Rien ne peut être plus fatal à notre politique. (...) Nous devons éviter de créer nous-mêmes le bolchevisme en donnant aux populations des pays ennemis de justes raisons de mécontentement. »

« 12 juin 1919

  Lloyd George : En réponse à l’amiral Koltchak, nous ne pouvons faire plus que lui promettre notre appui. Il est impossible de reconnaître son gouvernement comme celui de toute la Russie. (...)

  Orlando : Il y a en Italie une grève qui me préoccupe (...)

  Lloyd George : J’ai eu quelques renseignements sur ce qui s’est passé à Rome pendant la visite de Ramsay MacDonald. Les socialistes italiens étaient d’avis de faire un coup, d’accord avec les groupes ouvriers de France et d’Angleterre. (...)

  Orlando : L’agitation qui a lieu en Italie en ce moment est surtout dirigée contre la hausse des prix. Il y a eu quelques incidents sérieux à La Spezia : une personne a été tuée et deux blessées.

  Lloyd George : Cette question des prix me préoccupe beaucoup et je crois que nous devrons bientôt faire un effort pour la résoudre en commun. A mon avis, il faudra établir un système d’achats interalliés.. Autrement nous courrons à une révolution dans toute l’Europe.

« 13 juin 1919

  Lloyd George : Les moyens militaires à employer si les Allemands refusent de signer (la paix) ont été étudiés. Mais, à mon avis, le meilleur moyen d’obtenir la signature, c’est d’annoncer dès maintenant que nous nous préparons, en cas de refus, à reprendre le blocus. (...) Ce que je veux, c’est hâter la conclusion de la paix. Si la paix ne vient pas promptement, je crains un chaos qui serait bien pire que tout ce qu’ont pu faire des années de blocus (...) J’ai peur de trouver à Berlin un autre Moscou (...)

  Président Wilson : La famine a produit ailleurs le chaos et je crains qu’elle ne le produise aussi en Allemagne.

  Clemenceau : Lloyd George n’a pas envie d’aller à Berlin, moi non plus..

« 17 juin 1919

  Lloyd George : Le Conseil économique nous demande s’il n’y a pas lieu de lever le blocus de la Russie bolcheviste et de la Hongrie dès la signature du traité avec l’Allemagne. La question, en réalité, se borne à savoir si les allemands seront les seuls à avoir le droit de commercer avec la Russie. (...) Si je croyais que nous puissions écraser les Bolcheviks cette année, je serai d’avis de faire un grand effort auquel participeraient les flottes anglaise et française. Mais l’amiral Koltchak vient d’être repoussé à trois cent kilomètres en arrière. Une des ses armées est détruite. (...) Pour moi, l’amiral Koltchak ne battra pas Lénine. Il arrivera plutôt un moment où les adversaires se rapprocheront pour mettre fin à l’anarchie. Il semble que les affaires militaires des Bolcheviks soient bien conduites. Mais les observateurs qui nous renseignent disent que la pure doctrine bolcheviste est de plus en plus abandonnée et que ce qui se constitue là-bas, c’est un Etat qui ne diffère pas sensiblement d’un Etat bourgeois.

  Clemenceau : Etes-vous sûr du fait ?

  Président Wilson : Il est peut-être encore trop tôt pour le croire. (...)

  Clemenceau : Il faut, en tout cas, tenir l’engagement que nous venons de prendre vis-à-vis de l’amiral Koltchak.

  Lloyd George : Certainement. (...)

  Président Wilson : Nous ne nous sommes engagés d’ailleurs qu’à l’aider en lui fournissant du matériel. (...) La question est celle-ci : sommes-nous en guerre avec la Russie bolcheviste ?

  Lloyd George : Des troupes britanniques sont à Arkhangel. (...)

  Président Wilson : Je vous signale que le Conseil interallié des transports maritimes a donné hier l’ordre d’arrêter les navires chargés de vivres à destination des ports de la Baltique (...) Je rappelle que j’ai beaucoup insisté pour que nous commencions par l’action militaire et que nous n’ayons recours au blocus qu’en dernier lieu. (...) Je ne suis pas d’avis de réduire à la famine la population d’un grand pays, sauf si c’est le dernier moyen d’action qui nous reste (...) »

« 23 juin 1919

  Balfour : Une dépêche interceptée du gouvernement de Weimar à la délégation allemande de Versailles (...) : le gouvernement allemand se déclare prêt à signer. (...)

  Lloyd George : M. Winston Churchill viendra sous peu vous parler du rapatriement des Tchèques par Arkhangel. On réclame instamment en Bohême le retour des troupes tchèques de Russie. M. Winston Churchill est surtout préoccupé d’établir, si cela est possible, des communications entre l’amiral Koltchak et Arkhangel, et les troupes tchèques sur le retour pourraient y aider. Mais il faut pour cela qu’elles soient remplacées le long du Transsibérien par des troupes japonaises et américaines. »

« 25 juin 1919

  Clemenceau : Si nous prenons l’attitude qu’il faut, je crois qu’il y aura en Pologne des troubles locaux, mais pas de lutte armée. En tout cas, il ne faut pas laisser grandir le mouvement. (...) Le président Wilson nous prie de ne pas recommencer la guerre. Je le crois bien ! Mon pays a souffert plus que tout autre. Il s’élève en France un cri universel pour la démobilisation. (...) Toutefois, il y a un intérêt suprême qui s’élève au dessus du désir légitime d’en finir avec la guerre : il ne faut pas que les résultats de la guerre nous échappent par notre faiblesse. (...)

  Lecture d’un rapport de la commission des affaires baltiques sur l’avance allemande qui se poursuit systématiquement. Le danger du côté des Bolcheviks n’est pas moins sérieux. (...) Un rapport annexe provenant des agents des Puissances alliées et associées dans la Baltique demande l’envoi d’une mission militaire interalliée sous le commandement d’un général anglais. Il demande également l’envoi d’instructeurs et d’armes. (...)

  Lloyd George : Voilà des gens qui se battent pour leur liberté, et qui ne pourront pas continuer si nous ne leur envoyons pas d’argent. Pour ce qui est de les approvisionner en vivres et en munitions j’y suis prêt et je sui d’avis de leur envoyer la mission demandée. (...) Vous vous souvenez de l’échec et du recul de l’amiral Koltchak : il a perdu trois cent kilomètres de terrain. Mais en même temps Dénikine avance du côté du sud et les cosaques du Don se sont levés pour l’aider. (...) D’après un rapport, même si le front bolchevik était percé, les tchécoslovaques n’arriveraient pas à Arkhangel en temps voulu pour y être embarqués avant l’hiver. Nous pouvons leur proposer de faire un effort pour hâter leur libération mais nous courrons quelque risque si l’effort ne réussit pas. »

« 26 juin 1919

  Clemenceau : J’ai reçu un télégramme de Bela Kun il y a quelques jours. Il demandait des garanties dont la première était la reconnaissance de la république des soviets. Je n’ai pas répondu. (...)

  Lloyd George : Nous ne pouvons pas dire que nous ne reconnaîtrons jamais un gouvernement de soviets. Si défectueux que soit ce genre de gouvernement, il est, somme toute, plus représentatif que l’était celui du tsar.

  Clemenceau : Cette reconnaissance présenterait ici des dangers réels. » « 28 juin 1919 (dernière réunion du Conseil des Quatre)
  Président Wilson : Je ferai observer que nos délibérations ont eu le caractère de conversations privées.

  Clemenceau : Assurément, publier ces comptes-rendus serait tout ce qu’il pourrait y avoir de plus dangereux.

  Président Wilson : (...) Si j’avais pensé que cette question se poserait, je n’aurai jamais consenti à ce qu’on prît des notes. »

« Les délibérations du Conseil des Quatre »

Sommaire du site

La vague révolutionnaire en Europe 1918-1920,
vue par les dirigeants politiques de l’impérialisme

« 24 mars 1919
  Président Wilson (USA) : C’est en ce moment une véritable course contre la montre entre la paix et l’anarchie et le public commence à manifester son impatience. (...)
  Lloyd George (GB) : (...) Je propose donc, avec la Président Wilson, que nous nous réunissions entre chefs de gouvernements, deux fois par jour s’il le faut, pour aller plus vire, et que nous commencions dès demain. »
« 25 mars 1919
  Général Alby : La question du ravitaillement d’Odessa est posé par une série de télégrammes des généraux Berthelot et Franchet d’Espérey (...) nous oblige à trouver le moyen de nourrir, à Odessa et autour de cette ville, un million de personnes. Si nous ne pouvons pas le faire, il est inutile de songer à garder Odessa.
  En réponse à une question posée par M. Lloyd George sur les effectifs alliés à Odessa, le général Alby répond qu’ils s’élèvent à environ 25.000 hommes.
  Clemenceau (France) : Ce matin même, le général d’Espérey a demandé qu’on lui envoie pour Odessa des troupes polonaises d’Italie. (...)
  Général Alby : L’Italie est disposée à envoyer 7.000 Polonais (...) Les autorités russes d’Odessa demandent qu’on leur fournisse du pain à raison de 1.000 tonnes par semaine, (...) 15.000 tonnes de charbon par mois sont absolument nécessaires, sans quoi le danger d’une révolte de la population serait très grand. (...)
  Président Wilson : Je suis frappé, dans des dépêches qu’on nous a lues, de ces mots : « La population d’Odessa nous est hostile ». S’il en est ainsi, on peut se demander à quoi sert de garder cet îlot entouré, presque submergé par le bolchevisme. (...) Cela me confirme dans ma politique, qui est de laisser la Russie aux Bolcheviks – ils cuiront dans leur jus jusqu’à ce que les circonstances aient rendu les Russes plus sages - et de nous borner à empêcher le bolchevisme d’envahir d’autres parties de l’Europe.
  Lloyd George : J’ai entendu tout récemment M.Bratiano qui considère que ce qu’il y a de plus important à faire en Roumanie : 1° de nourrir la population 2° d’équiper l’armée 3° de donner la terre aux paysans. Ce sont des moyens intelligents et efficaces de préserver la Roumanie du bolchevisme. Mais devons-nous nous obstiner à garder Odessa, dont la population se soulèvera dès que les Bolcheviks feront leur apparition ? Il vaut mieux concentrer tous nos moyens de défense en Roumanie et établir là notre barrière contre le bolchevisme. (...) La population sibérienne est-elle favorable à Koltchak ou non ?
  Général Thwaites : Koltchak paraît soutenu par la population ; mais un mouvement de mécontentement et une tendance au bolchevisme se produisent dans la région occupée par les Japonais.
  Lloyd George : Si Odessa tombe, qu’arrivera-t-il ?
  Général Thwaites : Les Bolcheviks attaqueront immédiatement la Roumanie.
  Colonel Kish : (...) L’occupation d’Odessa par les Bolcheviks donnera en Russie l’impression d’une grande victoire remportée par eux sur les Alliés. L’événement serait donc important du point de vue moral. Mais c’est la seule raison sérieuse que nous ayons de garder Odessa. (...)
  Clemenceau : Le péril bolcheviste s’étend en ce moment vers le sud et vers la Hongrie ; il continuera à s’étendre tant qu’il ne sera pas arrêté ; il faut l’arrêter à Odessa et à Lemberg. (...)
  Maréchal Foch : Abandonner Odessa, c’est abandonner la Russie du sud, mais à vrai dire elle est déjà perdue et nous ne la perdrons pas une seconde fois..
  Clemenceau : je demanderai au Maréchal Foch s’il a un nom à nous fournir pour le général qui prendrait le commandement de l’armée roumaine. »
« 26 mars 1919
  Loucheur : 30 milliards minimum est (...) ce que je crois sincèrement l’Allemagne capable de payer (...)
  Lloyd George : Si les dirigeants allemands arrivent à la conclusion que ce qu’ils ont de mieux à faire est d’imiter la Hongrie et de faire alliance avec les Bolcheviks, s’ils préfèrent le risque d’une anarchie de quelques années à une servitude de trente-cinq ans que ferons-nous ? (...) Si nous avions à occuper un pays très peuplé, comme la Westphalie, tandis que l’Allemagne autour de nous se relèverait ou serait agitée par un bolchevisme contagieux, quels ne seraient pas nos dépenses et nos risques ? (...) Ma conviction est que les Allemands ne signeront pas les propositions qu’on envisage (...) L’Allemagne passera au Bolchevisme. (...)
  Président Wilson : Je ne puis qu’exprimer mon admiration pour l’esprit qui se manifeste dans les paroles de M.Lloyd George. Il n’y a rien de plus honorable que d’être chassé du pouvoir parce qu’on a eu raison. (...) le gouvernement de Weimar est sans crédit. S’il ne peut rester au pouvoir, il sera remplacé par un gouvernement tel qu’il sera impossible de traiter avec lui. (...) Nous devons à la paix du monde de ne pas donner à l’Allemagne la tentation de se jeter dans le Bolchevisme, nous ne savons que trop les relations des chefs bolcheviks avec l’Allemagne.
  Clemenceau : J’approuve fondamentalement M.Lloyd George et M. Wilson, mais je ne crois pas qu’il y ait désaccord entre eux et M.Loucheur qui, en homme d’affaires expérimenté, se garderait bien de rien faire qui pût tuer la poule aux œufs d’or. (...) Nous avons raison de craindre le bolchevisme chez l’ennemi (les pays vaincus) et d’éviter d’en provoquer le développement, mais il ne faudrait pas le répandre chez nous-mêmes. (...) soit en France soit en Angleterre. Il est bien de vouloir ménager les vaincus, mais il ne faudrait pas perdre de vue les vainqueurs. Si un mouvement révolutionnaire devait se produire quelque part, parce que nos solutions paraîtraient injustes, que ce ne soit pas chez nous.
  Lloyd George : (...) Je sais quelque chose du danger bolcheviste dans nos pays ; je le combat moi-même depuis plusieurs semaines (...) Le résultat, c’est que des syndicalistes comme Smilie, le secrétaire général des mineurs, qui auraient pu devenir un danger formidable, finissent par nous aider à éviter un conflit. Les capitalistes anglais –dieu merci ! – ont peur, et cela les rend raisonnables. Mais en ce qui concerne les conditions de paix, ce qui pourrait provoquer une explosion du bolchevisme en Angleterre, ce ne serait pas le reproche d’avoir demandé trop peu à l’ennemi, mais celui de lui avoir demandé trop. L’ouvrier anglais ne veut pas accabler le peuple allemand par des exigences excessives. (...) De toutes manières, nous allons imposer à l’Allemagne une paix très dure : elle n’aura plus de colonies, plus de flotte, elle perdra 6 ou 7 millions d’habitants, une grande partie de ses richesses naturelles : presque tout son fer, une grande partie de son charbon. Militairement, nous la réduisons à l’état de la Grèce, et au point de vue naval, à celui de la République Argentine. Et sur tous ces points nous sommes entièrement d’accord. (...) Si vous ajoutez à cela des conditions secondaires qui puissent être considérées comme injustes, ce sera peut-être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. »
« 27 mars 1919
  Président Wilson : Je ne crains pas dans l’avenir les guerres préparées par les complots secrets des gouvernements mais plutôt les conflits créés par le mécontentement des populations. (...)
  Maréchal Foch : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. En ce qui concerne particulièrement la Roumanie, les mesures nécessaires sont prévues en détail pour envoyer à son armée les effets et équipements qui lui manquent. Cette armée sera placée sous le commandement d’un général français. Vienne sera occupée par des troupes alliées sous un commandement américain. (...) Nous sommes d’accord sur l’aide à donner à l’armée roumaine et sur l’évacuation d’Odessa, qui est liée à notre actions en Roumanie. (...) Quant à l’idée d’opérer la jonction entre les forces polonaises et roumaines pour faire face à l’est, c’est le prélude d’une marche vers et cela nous conduit à la question d’une intervention militaire en Russie. Nous avons examiné cette question plus d’une fois et nous sommes chaque fois arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas penser à une intervention militaire. (...) L’évacuation d’Odessa est considérée comme le moyen de reporter des ressources, dont l’emploi à Odessa ne pouvait conduire à aucun résultat satisfaisant, sur la Roumanie pour compléter ses moyens de défense. (...)
  Maréchal Foch (chef des armées alliées) : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. (...) Contre une maladie épidémique, on fait un cordon sanitaire : on place un douanier tous les deux cent mètres et on empêche les gens de passer.
  Orlando (Italie) : Je demande la permission de lire deux télégrammes que nous recevons de notre commissaire italien à Vienne sur la situation. Le premier nous informe qu’on a reçu à Vienne une dépêche du gouvernement révolutionnaire de Budapest, invitant le prolétariat viennois à suivre l’exemple des Hongrois. Il a été décidé par les révolutionnaires viennois de former un conseil de travailleurs, de manière à les mettre en état de prendre le pouvoir (...) Le second télégramme (...) considère l’infiltration bolcheviste comme probable si la garde populaire n’est pas désarmée. Le gouvernement est faible, mais il suffirait, pour rétablir la situation, d’envoyer à Vienne deux régiments américains qui seraient reçus avec soulagement par la majorité de la population. Une déclaration des Alliés au sujet des approvisionnements produirait un effet utile mais ne servirait à rien si elle venait après le triomphe des bolchevistes.
  Général Diaz : Le bolchevisme est un mouvement populaire qui se manifeste partout où les vivres manquent et où l’autorité centrale est faible . (...) Son succès paraît lié aux succès du mouvement bolcheviste russe.. (...) la fermentation qui se produit actuellement n’a pas lieu seulement à Vienne, mais jusque dans les pays slovènes, partout en un mot où la population souffre de l’insuffisance du ravitaillement. En occupant Vienne fortement, on tient les voies de communication et on arrête ce progrès menaçant. Ce qu’il faut c’est donner aux populations l’impression que nous apportons des vivres, l’ordre et la sécurité. Sans cela elles se jetteront instinctivement du côté du désordre.
  Général Bliss : Le mot « bolcheviste » revient si souvent dans nos débats qu’évidemment il donne le ton à tout ce qui vient d’être dit. Si nous remplacions par le mot « révolutionnaire », ce serait peut-être plus clair. Le bolchevisme est la forme prise par le mouvement révolutionnaire dans les pays arriérés qui ont particulièrement souffert. D’ailleurs nous entendons dire, tantôt que le bolchevisme russe est un produit allemand, tantôt que c’est un mouvement essentiellement russe et qui, de l’est, vient envahir l’Europe. S’il était certain qu’il vient de Russie, c’est là évidemment qu’il faudrait le tuer. Mais le problème est plus difficile. Un cordon sanitaire pourrait arrêter les bolchevistes, mais non le bolchevisme, et pour en faire une barrière véritable, il faudrait déployer des forces très considérables depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. (...)
  Président Wilson : La question n’est-elle pas de savoir s’il est possible d’organiser une résistance armée contre le bolchevisme, ce qui veut dire : avons-nous, non seulement les troupes qu’il faut, mais les moyens matériels, et le sentiment public qui nous soutiendrait ? A mon avis, essayer d’arrêter un mouvement révolutionnaire par des armées en ligne, c’est employer un balai pour arrêter une grande marée. Les armées, d’ailleurs, peuvent s’imprégner du bolchevisme qu’elles seraient chargées de combattre. Un germe de sympathie existe entre les forces qu’on voudrait opposer. Le seul moyen d’agir contre le bolchevisme, c’est d’en faire disparaître les causes. (...) Une de ces causes est l’incertitude des populations au sujet de leurs frontières de demain, des gouvernements auxquels elles devront obéir, et, en même temps, leur détresse parce qu’elles manquent de vivres, de moyens de transport et de moyens de travail. (...) »
« 28 mars 1919
  Président Wilson : Je crains beaucoup la transformation de l’enthousiasme en désespoir aussi violent que le bolchevisme qui dit : « il n’y a pas de justice dans le monde, tout ce qu’on peut faire c’est se venger par la force des injustices commises auparavant par la force. » (...)
« 29 mars 1919
  Président Wilson : L’armistice nous autorise à envoyer des troupes en Pologne pour le maintien de l’ordre. Il faut bien faire comprendre aux Allemands que c’est dans ce but et pour protéger la Pologne des bolcheviks russes que les troupes du général Haller sont envoyées à Varsovie.
  Lloyd George : Il n’est pas de l’intérêt du gouvernement allemand de nous empêcher de former une barrière contre le bolchevisme. (...) Sachons prendre une décision ; ne faisons pas avec la Hongrie comme avec la Russie ; une Russie nous suffit. »
« 31 mars 1919
  Pichon : Que s’est-il passé (en Hongrie) ? (...) Le départ du comte Karoliyi et (. .) la chute du gouvernement (...). Une république des soviets a été proclamée. Nos missions ont été chassées et le premier acte du nouveau gouvernement a été de s’adresser à Lénine et de lui dire qu’on était prêts à marcher avec lui. (...)
  Président Wilson : Il faut avant tout éclaircir la situation. Le gouvernement de Budapest (...) est un gouvernement de soviets parce que c’est la forme de gouvernement à la mode et il peut y avoir bien des espèces de soviets. .
  Pichon : La Hongrie nous répond par la révolution, par l’expulsion de nos missions. Nous sommes liés à la Roumanie, à qui nous avons promis de libérer les populations transylvaines.
  Président Wilson : Il faut éviter, par une attitude trop dure, de pousser un pays après l’autre dans le bolchevisme. Le même danger existe à Vienne. Si nous avions à jeter là une ligne de démarcation, Vienne pourrait se jeter le lendemain dans le bolchevisme. Si de pareils événements se répètent, nous n’aurons pas de paix, parce que nous ne trouverons plus personne pour le conclure. En ce qui concerne la Hongrie (...) il ne servirait à rien de lui dire « Nous ne voulons rien avoir à faire avec vous (...) nous n’avons jamais rien eu à faire, ni les uns ni les autres, avec des gouvernements révolutionnaires. » Quant à moi, je suis prêt à entrer en conversation avec n’importe quel coquin (...)
  Lloyd George : Le comte Karolyi est un homme fatigué, qui a jeté le manche après la cognée, et le bolchevisme n’a eu qu’à prendre une place vide. »
« 8 avril 1919
  Orlando : Nous avons reçu un télégramme de notre légation en Suisse nous annonçant que la proclamation de la république des soviets à Vienne est probable pour le 14 de ce mois, à moins que Vienne ne soit occupée par les Alliés.
  Lloyd George : Qui propose-t-on d’envoyer occuper Vienne ? pourquoi, si nous suivions ces suggestions, n’occuperions-nous pas l’Europe entière ? Nos représentants à Berlin nous tiennent le même langage ; il n’y aurait plus de raison de s’arrêter. (...) J’ai reçu un télégramme du War Office me faisant connaître que la situation en Allemagne s’aggrave et que l »on craint une catastrophe. (...) Aujourd’hui, nous apprenons la proclamation de la république des soviets en Bavière. Le danger est que, quand nous demanderons aux délégués allemands : « qui représentez-vous ? », ils ne sachent que répondre. (...) Nous sommes d’accord pour examiner ce que nous aurons à faire non seulement si l’Allemagne tombe en décomposition, mais aussi si la situation s’aggrave en Autriche et dans les pays voisins. (...) »
« 16 avril 1919
  Balfour : Il y a, sur la côte de la Baltique, des troupes allemandes qui luttent contre les Bolcheviks et qui nous demandent de les aider en leur fournissant du charbon et des vivres et même en leur permettant de recevoir des renforts d’Allemagne. Nous avons consenti (...) »
« 18 avril 1919
  Le Président Wilson donne lecture du texte sur la Pologne.
  Lloyd George : Un article que je n’aime pas est celui qui demande la dissolution des conseils d’ouvriers et de soldats. L’exécution n’en est pas facile.
  Clemenceau : C’est ce que nous avons fait sur les territoires que nous occupons.
  Lloyd George : Sans doute, mais nous nous désirons précisément éviter d’avoir à occuper cette région éloignée.
« 21 avril 1919
  Orlando : Quant à moi, j’ai toujours eu le souci de calmer l’opinion. (...) Si je revenais en Italie en apportant une paix qui provoquerait un soulèvement de la population, je rendrai un mauvais service au monde entier. Si l’opinion du président Wilson prévaut, il y aura une révolution en Italie, n’en doutez pas. Récemment des échauffourées se sont produites à Rome et à Milan entre le bolchevistes et les patriotes. Ce sont les bolchevistes qui ont été battus. A Milan, deux d’entre eux ont été tués. Or cet élément nationaliste qui est si excité en ce moment ferait la révolution si la paix lui paraissait mauvaise (...) Une Italie déçue et mécontente, ce sera la révolution et un danger pour le monde entier.
  Balfour : Mais supposez que l’Italie se brouille avec les Etats-Unis, je ne vois pas comment la vie économique pourra continuer, et, dans ce cas, comment éviterez vous la révolution sociale ?
  Orlando : J’ai encore espoir d éviter la révolution sociale si je reste avec mon pays. »
« 22 avril 1919
  Lloyd George : J’ai peur d’une crise que nous ne puissions plus maîtriser (...) Notre pauvre Europe est comme un terrain semé de grenades ; si on y met le pied, tout saute. »
« 23 avril 1919
  Président Wilson : Il n’est pas possible de faire quoi que ce soit dans ce pays (l’Allemagne) avant que la population ait les vivres et les moyens de travail indispensables. La disette, au sens le plus général du mot, est le terrain sur lequel croît le bolchevisme. (...) Je ne peux pas consentir à donner à donner à l’Italie ce qui serait la cause d’une séparation dangereuse entre le monde slave et l’Europe occidentale. Nous sommes devant une alternative : ou nous attirerons les slaves du sud vers l’Europe occidentale et vers la Société des Nations, ou nous les rejetterons vers la Russie et le bolchevisme. »
« 24 avril 1919
  Président Wilson : Dans les villes (allemandes) il y a du bolchevisme. »
« 29 avril 1919
  Vandervelde : Nous avons, à l’heure présente, 800.000 chômeurs survivent avec une allocation de 777 à 14 francs par semaine. La vie, en Belgique, est trois fois plus chère qu’en 1914. Cependant l’ordre et le calme n’ont cessé d’y régner. Ce qui les a maintenus, c’est d’abord l’organisation très forte de notre parti ouvrier dont je suis fier de dire qu’elle est la plus puissante garantie d’ordre qui existe dans notre pays (...). Je ne suis pas suspect de vues extrêmes (...) Dans le discours que j’ai prononcé en séance plénière sur les conditions de travail, j’ai dit que les ouvriers belges, ayant à choisir entre la méthode anglaise et la méthode russe, avaient choisi la méthode anglaise. Mr Lloyd George m’a dit qu’il était fier de voir que les ouvriers belges reconnaissaient l’excellence de la méthode britannique. Mais pour que cela dure, il est indispensable que vous nous aidiez : il y va de l’avenir de nos travailleurs et de notre pays même. ».
« 30 avril 1919
  Lloyd George : Pour l’emploi du temps, il a été proposé d’étudier la semaine prochaine les questions relatives à la paix en Autriche. (...)
  Ce qui me rallie à la proposition de M. Lloyd George, c’est l’effet moral que la convocation aura en Autriche. Les dépêches que nous recevons de Vienne indiquent l’urgence de soutenir le gouvernement actuel. La disette, le sentiment que la paix n’est pas en vue, créent un état d’esprit dangereux (...)
  Lloyd George : Je propose d’entendre M. Tchaïkovsky le chef du gouvernement d’Arkhangel (...) Les renseignements que nous recevons indiquent que Koltchak avance et pourra sans doute rejoindre Arkhangel (...) et, d’autre part, que le gouvernement de Lénine est encore puissant, mais incline peu à peu vers une politique plus modérée.
  Clemenceau : Nos informations tendent à montrer que la puissance des Bolcheviks décline.
  Lloyd George : Ici nos informations diffèrent. (...)
  Président Wilson : Un des éléments qui troublent la paix du monde est la persécution des Juifs. Vous savez qu’ils sont particulièrement mal traités en Pologne et qu’ils sont privés des droits de citoyen en Roumanie. (...) Rappelez-vous que, quand les Juifs étaient traités en hors la loi en Angleterre, ils agissaient comme des gens hors la loi. Notre désir est de les ramener partout dans la loi commune. (...) (Suite le 3 mai) Nos gouvernements, du moins les gouvernements britannique et américain, ont pris, vis-à-vis des Juifs, l’engagement d’établir en Palestine quelque chose qui ressemble à un Etat israélite, et les Arabes y sont très opposés.
  (Suite le 17 mai) Ce n’est pas seulement un sentiment de bienveillance à l’égard des Juifs, mais par l’incertitude du danger que le traitement injuste des Juifs crée dans différentes parties de l’Europe. Le rôle des Juifs dans le mouvement bolcheviste est dû sans aucun doute à l’oppression que leur race a subi pendant si longtemps. Les persécutions empêchent le sentiment patriotique de naître et provoquent l’esprit de révolte. A moins que nous ne portions remède à la situation des Juifs, elle restera un danger pour le monde.
  (Suite 6 juin) France, Italie, Grande Bretagne, Etats-Unis, ce n’est pas sur leurs territoires que l’on trouve cet élément juif qui peut devenir un danger pour la paix en Europe, mais en Russie, en Roumanie, en Pologne, partout où les Juifs sont persécutés.
  Lloyd George : Cette difficulté subsistera jusqu’à ce que les Polonais deviennent assez intelligents pour savoir tirer parti de leurs Juifs, comme le font les Allemands.
  (Suite 23 juin) Président Wilson Le plus important est d’apaiser les inquiétudes des Juifs. Je crains toujours de laisser subsister de ce côté un ferment dangereux. »
« 2 mai 1919
  Lloyd George : On me fait savoir que, dans plusieurs villes d’Italie, des soldats anglais ont été insultés dans les rues. (...)
  Président Wilson : En jetant un cristal dans un liquide, on le fait parfois cristalliser tout entier.
  Lloyd George : Quelquefois aussi, on provoque une explosion.
  Président Wilson : L’explosion s’est déjà produite. (...) l’attitude de l’Italie est indubitablement agressive. (...) »
« 7 mai 1919
  Lloyd George : Je voudrai vous parler de la Russie La situation s’y transforme de la façon la plus remarquable : nous assistons à un véritable effondrement du bolchevisme, à tel point que le cabinet britannique sollicite de nous une décision immédiate sur notre politique en Russie. D’après nos renseignements, Koltchak est sur le point de joindre ses forces à celles d’Arkhangel ; il est possible aussi qu’il arrive à bref délai à Moscou et y établisse un nouveau gouvernement. (...)
  Président Wilson : Que fournissez-vous à Koltchak et à Dénikine ?
  Lloyd George : Des armes et des munitions. »
« 8 mai 1919
  Président Wilson : Rien n’a été décidé sur les frontières de la Russie ou celles qu’il a lieu d’établir à l’intérieur de l’ancien empire russe. »
« 9 mai 1919
  Président Wilson : Quand nous essayâmes pour la première fois d’envoyer des vivres aux populations russes (...) des troupes américaines ont assuré la police du chemin de fer entre le Pacifique et Irkoutsk. Notre gouvernement n’a pas confiance dans l’amiral Koltchak qui est soutenu par la France et l’Angleterre. (...) Dans ces conditions, nous devons ou prendre le parti de soutenir Koltchak et de renforcer notre armée d’occupation, ou nous retirer totalement. Mais si nous augmentons nos effectifs, le Japon fera de même. Quand nous sommes allés en Sibérie, nous nous étions entendus avec le Japon pour envoyer là-bas des forces équivalentes. En fait, nous avons envoyé 9000 hommes et le japon 12000. Mais, peu à peu, il a augmenté ses effectifs et les a porté à 70.000 hommes. (...) Si, d’autre part, nous renforçons les troupes qui gardent le chemin de fer, je crains une coalition entre les Cosaques et les Japonais contre nous. Pour moi j’ai toujours été d’avis de nous retirer de Russie (...)
  Lloyd George : (...) Il devient nécessaire de nous entendre sur une politique commune en Russie. D’après nos renseignements, l’amiral Koltchak avance rapidement à l’ouest de l’Oural et cela semble démontrer que les Bolcheviks n’ont plus la force de résister, ou que les moyens de transport leur manquent complètement. Quelles sont les dernières nouvelles ?
  Sir Maurice Hankey : Les derniers télégrammes montrent que l’amiral Koltchak envoie des forces à la fois dans la direction d’Arkhangel et vers le sud-ouest.
  Président Wilson : Nous avons certainement le droit de demander à Koltchak quelles sont ses intentions.
  Lloyd George : D’abord sur la question agraire, il faut lui demander s’il est bien résolu à ne pas reprendre la terre aux paysans.
  Président Wilson : D’après les informations que j’ai reçues d’un homme qui connaît très bien la Russie et sa situation présente, les paysans se sont emparés de la terre irrégulièrement et au hasard. (...)
  Lloyd George : Il faut se résigner à des irrégularité de ce genre dans une révolution : le fait s’est produit lors de la révolution française. (...)
  Lloyd George : Si l’amiral Koltchak peut nous rejoindre, c’est la fin du bolchevisme. ( ..)
  Président Wilson : Les troupes américaines d’Arkhangel ne sont pas bien sures. (...) Il est toujours dangereux de se mêler de révolutions étrangères. (...)
  Lloyd George : Ici ce sont des Russes qui agissent et nous ne ferons que les seconder. (...)
  Lord Robert Cecil : Le grand problème que nous avons à résoudre est de remettre l’Europe au travail. Partout, le chômage se développe, surtout dans les Etats nouveaux. Se borner à nourrir cette population de chômeurs serait presque sans effet au point de vue politique : s’ils sont nourris et sans travail, ils seront encore plus disposés à se révolter que dans la plus extrême détresse. (...) Ce qui est certain, c’est que si rien n’est fait, nous nous trouverons en présence du chaos et de l’anarchie. »
« 10 mai 1919
  Président Wilson : Une intransigeance de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne. et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...)
  Lloyd George : J’ai reçu ce matin un autre rapport qui me dit qu’à mesure que Koltchak avance, il se produit des désordres derrière lui. Les Bolcheviks ont quelques succès en Sibérie orientale. Cela ne veut-il pas dire que l’on croit que si Koltchak réussissait, le but final de son entourage serait le retour au passé ? Ne croit-on pas que c’est à cela que les Alliés veulent l’aider ? (...) »
« 17 mai 1919
  Maharadjah de Bikaner : Nous ne pouvons que déconseiller de la manière la plus formelle tout partage de la Turquie (...) C’est avec tout le sentiment de ma responsabilité que j’appelle votre attention sur le danger de désordre et de haine que cette question contient, non seulement pour l’Inde mais pour le monde entier.
  Montagu : Il y a un danger véritable chez les peuples musulmans. (...) Un Américain qui avait été prisonnier des Bolcheviks à Tachkent (...) a été frappé par l’attitude des Musulmans à l’égard des Alliés : le sentiment parmi eux était que la Conférence prenait position contre l’Islam. Je n’ai pas besoin de rappeler les événements récents qui se sont produits en Egypte et dans l’Afghanistan. Dans le Pendjab, des agitateurs hindous, excités par les Bolcheviks, provoquaient les populations à la révolte. (...) Il est sans exemple que l’on ait ainsi ouvert les mosquées à des prédicateurs ou à des orateurs qui n’appartenaient pas eux-mêmes à la religion musulmane. »
« 19 mai 1919
  Président Wilson : La situation à Varsovie est certainement dangereuse. L’opinion est très montée et aux excitations nationalistes se mêlent des menaces de grève générale des postes et des chemins de fer. (...) Paderewski nous avertit qu’une intransigeance complète de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...) Le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. Il n’y aurait pas de résistance. (...) On nous conseille d’envoyer à Budapest une mission politique ayant à sa tête un homme comme le général Smuts pour assurer l’établissement d’un gouvernement stable. (...)
  Lloyd George : Nous sommes au milieu des sables mouvants. (...) Avez-vous vu le télégramme de Lénine qui accuse les troupes de Denikine d’atrocités. J’ai bien peur qu’en fait les atrocités n’aient lieu des deux côtés. Que penser des victoires de Koltchak ? (...)
  Président Wilson : Même incertitude au sujet de la Hongrie. Nous recevons des rapports sur l’impopularité de la dictature du prolétariat. (...) La conclusion de mon représentant est que le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. (...)
  Clemenceau : Il me paraît bien difficile d’occuper Budapest. Que nous demandera-t-on d’occuper ensuite ? Ce n’est pas la première fois qu’on nous invite à occuper telle ou telle partie de l’Europe. (...)
  Président Wilson : J’ai donné au Département d’Etat l’instruction d’entrer directement en communication avec l’amiral Koltchak et de lui poser un certain nombre de questions, notamment sur ses intentions en ce qui concerne l’Assemblée Constituante et le régime agraire.
« 20 mai 1919
  Lord Robert Cecil : Lénine ne veut pas accepter la condition de suspension des hostilités. Après consultation avec le Conseil suprême économique, je conseille aux gouvernements de choisir entre deux politiques : il faut ou écraser les Bolcheviks ou imposer aux différents groupes belligérants de la Russie (...) qu’une Constituante soit immédiatement convoquée. En tout cas, il ne faut pas essayer de mêler les deux systèmes. (...)
  Clemenceau : Si nous cessons d’envoyer des armes à Koltchak et à Denikine, ce n’est pas cela qui arrêtera Lénine. (...)
  Lloyd George : D’un côté, nous avons des révolutionnaires violents et sans scrupules, de l’autre des gens qui prétendent agir dans l’intérêt de l’ordre, mais dont les intentions nous sont suspectes. Toutefois, nous avons le devoir de ne pas abandonner ceux dont nous avons eu besoin (...)
  Lloyd George : Nous aurons aussi à examiner la question des provinces baltiques. (. ;) Comment faire fond sur ces populations ? Nous avons à un moment donné cherché à leur distribuer des armes pour combattre contre les Bolcheviks, mais nous y avons renoncé, parce que nous trouvions trop peu de gens en qui on pût avoir confiance. »
« 21 mai 1919
  Lloyd George : Le monde musulman s’agite, vous savez nos difficultés en Egypte, l’Afghanistan est en état de guerre avec nous. Pendant la guerre nous avons levé dans les Indes plus d’un million d’hommes, presque tous musulmans, ce sont eux qui ont supporté presque tout le poids de la lutte contre la Turquie, quoique encadrés par des troupes blanches. Le monde musulman n’oublie pas cela. La division de la partie proprement turque de l’Asie Mineure serait injuste et impolitique (...)
  Général Le Rond : Les Ukrainiens n’ont que médiocrement résisté aux Bolchevistes. (...) Les Polonais sont beaucoup plus capables qu’eux d’arrêter la marche en avant du bolchevisme.
  Général Botha : Les Polonais, avec des munitions qu’ils reçoivent de nous, attaquent des gens qui ne sont pas nos ennemis (Ukraine). S’ils ont besoin de ce que nous leur donnons pour combattre les Bolchevistes, nous sommes prêts à continuer à le leur donner. (...) Si nous tolérons ce que la Pologne fait aujourd’hui, nous jetterons nous-mêmes le peuple ukrainien dans les bras des Bolcheviks.
  Président Wilson : Si Paderewski tombe et que nous coupions les vivres à la Pologne, la Pologne elle-même ne deviendra-t-elle pas bolcheviste ? Le gouvernement de Paderewski est comme une digue contre le désordre, et peut-être la seule possible.
  Lloyd George : Les Polonais estiment que le moyen de combattre les Bolchevistes n’est pas de s’unir avec les Ukrainiens contre eux, mais de supprimer les Ukrainiens. Quarante millions d’Ukrainiens, s’ils sont foulés aux pieds, se soulèveraient contre nous et pourraient créer un nouveau bolchevisme quand l’ancien se serait effondré. »
« 23 mai 1919
  Orlando : Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir nier que l’état d’esprit en Italie est fort préoccupant. C’est un aveu qui me coûte beaucoup. L’exaspération de l’opinion italienne vient en partie de la fatigue de la guerre, en partie de la sensation d’anxiété provenant du fait que l’Italie ne voit pas les questions qui l’intéressent recevoir leur solution. (...) Il en est résulté une tension qui va, je le reconnais, jusqu’à la folie de la persécution ; et cela se tourne contre le gouvernement italien lui-même.
  Président Wilson : N’est-ce pas l’Angleterre qui a fourni la plus grande partie des armes et des munitions à Koltchak et à Denikine ? Les Etats-Unis n’ont rien fourni, sauf aux Tchécoslovaques.
  Lloyd George : C’est en effet la Grande-Bretagne qui a fait la plus grande partie de ces fournitures.
  Clemenceau : Nous en avons fait aussi mais moins que vous.
  Président Wilson : Notre rôle est différent. Nous n’avons fait que venir en aide aux Tchécoslovaques et assurer en partie la garde du chemin de fer transsibérien. (...)
  Lloyd George : Il faut reprendre la question de l’armement des petits Etats de l’Europe centrale. (...)
  Nous laisserons des troupes à la Pologne à cause du voisinage de la Russie. Nous laisserons des troupes à la Roumanie pour la même raison. »
« 24 mai 1919
  Président Wilson : Nous craignons que l’amiral Koltchak, le général Denikine et le gouvernement d’Arkhangel ne soient soumis à des influences contre-révolutionnaires et que, s’ils n’ont pris aucun engagement vis-à-vis de nous, leur victoire n’aboutisse à une réaction qui conduirait sans doute à de nouveaux désordres et à une nouvelle révolution. (...)
  Lloyd George : En Angleterre, le sentiment contre l’action de toute troupe britannique en Russie est de plus en plus fort. En revanche, nous pouvons laisser tous les individus qui, de leur propre gré, s’engageront au service d’un des gouvernements russes (Koltchak ou Denikine), leur fournir cette sorte d’assistance individuelle. En fait, lorsque nous avons demandé des volontaires pour notre corps d’occupation d’Arkhangel, nous en avons trouvé beaucoup. (...) D’ailleurs, ce qu’il faut en Russie, ce sont avant tout des spécialistes, artilleurs, aviateurs, etc… (. ;) Il est peut-être mieux de ne même pas mentionner ces volontaires dans notre dépêche (...).
  Président Wilson : Ce n’est pas moi qu’il faut persuader mais le Congrès des Etats-Unis qui s’est montré jusqu’à présent hostile à l’idée de toute intervention en Russie. Je crois que cette attitude pourra changer si l’amiral Koltchak réponde d’une manière satisfaisante aux questions que nous allons lui poser. (...) Mais, pour aider l’amiral Koltchak dans sa marche vers l’ouest, nous ne lui fournissons que des moyens matériels, en laissant aux individus le droit de s’engager volontairement dans les armées russes. (...) Notre ambassadeur à Tokyo est en route pour Omsk ; il doit voir l’amiral Koltchak et se former une opinion sur lui et son entourage.
  Lloyd George : Il serait bon d’envoyer quelqu’un faire la même enquête chez le général Denikine. (...) Denikine est entouré de bons officiers mais dont les méthodes sont brutales : ils ont fusillé quinze mille bolchevistes après les avoir fait prisonniers. »
« 26 mai 1919
  Président Wilson : Le traité de Londres a été conclu dans des circonstances qu,i depuis, se sont modifiées. (...) L’opinion du monde elle-même s’est modifiée. (...) le monde n’avait pas encore compris qu’il y avait là une question qui le regardait (l’oppression des peuples colonisés menaçant de se joindre à la révolution russe et européenne) et dans laquelle son avenir même était en jeu, c’est ce qui n’a été compris que graduellement aux Etats-Unis et dans d’autres pays. (...) C’est alors que j’ai fait au Congrès mon discours sur nos buts de guerre (. ;) mes quatorze points (...). Le traité de Londres est fondé sur l’idée de l’ancienne politique européenne que la puissance la plus forte a le droit de régler le sort de la plus faible. (...) Si aujourd’hui cette idée était maintenue, elle provoquerait des réactions fatales à la paix du monde.
« 28 mai 1919
  Clemenceau : Nous allons discuter (...) pour tous les petits Etats (...) la question de la limitation de leurs armements (...)
  Président Wilson : Il y a, dans cette partie du monde, un facteur inconnu : c’est la Russie. Ne pouvons-nous pas dire que, là où ce facteur peut se faire sentir, des forces militaires pourront être maintenues suffisantes pour parer à toute éventualité ?
  Clemenceau : ce qu’il faut surtout, c’est ne pas trop hâter le désarmement des Etats d’Europe centrale.
  Lloyd George : Je crains ce qui peut arriver si ces Etats ont des armées très supérieures à celle de l’Autriche. Je n’ai pas grande confiance dans la Roumanie, dans la Serbie.
  Président Wilson : Il vaut mieux établir un régime provisoire tant que la période d’incertitude et de désordre continue. Il est impossible aujourd’hui, quand l’est de l’Europe est dans un état si critique, de militer définitivement les forces de chaque Etat. »
« 29 mai 1919
  Lloyd George : En Russie, rien n’a plus contribué à rendre les Bolcheviks populaires que l’occupation étrangère. (En Europe centrale) il faut éviter que l’occupation irrite la population, accumule les haines et crée un danger pour l’Europe entière. »
« 2 juin 1919
  Lloyd George : J’estime qu’il est de mon devoir de vous indiquer la situation de la délégation britannique en ce qui concerne le traité de paix. Elle est difficile. Notre opinion publique désire avant tout la paix (...) elle ne soutiendrait pas un gouvernement qui reprendrait la guerre. »
« 3 juin 1919
  Lloyd George : Je crains que Koltchak n’ait subi un échec sérieux. »
« 6 juin 1919
  Le président Wilson donne lecture du télégramme de l’amiral Koltchak en réponse à la demande de garanties des Alliés : (...) « Il paraît impossible de rappeler l’assemblée de 1917 élue sous un régime de violence bolcheviste et dont les membres sont maintenant en majorité dans les rangs des Soviets. »
« 9 juin1919
  Président Wilson : Je prie les membres du Conseil militaire interallié de nous faire connaître la situation militaire en Hongrie. (...)
  Lloyd George : J’ai des informations récentes d’un Anglais, venu de Budapest, et d’ailleurs très hostile à Bela Kun. Il rejette toute la faute de ce qui est arrivé sur les Roumains. (...) Bela Kun, à ce moment, était perdu. Il était isolé dans Budapest. Sa situation pouvait se comparer à celle de la Commune de Paris immédiatement avant sa chute. L’avance des Roumains a soulevé le sentiment national hongrois et donné à Bela Kun une armée (...) J’ai reçu deux télégrammes de notre représentant militaire à Prague. Le premier dit que la situation est très grave, que les Tchèques manquent de munitions, que Presbourg est menacé et que le bolchevisme se développe en Slovaquie. Le second annonce qu’à la requête du Président Masaryk, le général Pellé a été placé à la tête de l’armée tchécoslovaque et la loi martiale proclamée à Presbourg. (...) Le général Franchet d’Esperey, qui nous représente tous, a donné une première fois aux Roumains ordre de s’arrêter. Cet ordre n’a pas été obéi. (...) Je propose d’arrêter tout envoi de matériel à la Roumanie jusqu’à ce qu’elle ait obéi à notre ordre. (...) La plus grande partie de nos difficultés vient de ce que les Etats qui sont nos amis refusent de suivre nos instructions. (...)
  Président Wilson : Je n’aime pas jouer les dépôts de munitions. Cela peut produire des explosions. (...)
  Lloyd George : Les Allemands ne savent plus où ils en sont. Ils ressemblent à un homme pris dans un cyclone, à qui l’on demanderait tout à coup : « à quel prix vendez-vous votre cheval ? » D’ailleurs nous sommes un peu dans la même situation. (...) Il faut aboutir. Nous ne pourrons tenir aucune des autres nations tant que nous n’aurons pas fait la paix avec l’Allemagne. »
« 10 juin 1919
  Président Wilson : Nous vous avons convoqués, Messieurs, parce que nous sommes très préoccupés de la situation militaire en Hongrie et autour de la Hongrie. (...) Cette seconde offensive (roumaine) a eu comme conséquence la chute de Karolyi, dont l’attitude envers l’Entente était plus amicale que celle d’aucun autre homme d’Etat hongrois .C’est alors que Bela Kun s’empara du pouvoir. Son gouvernement n’était pas de nature à être accepté par les classes les plus établies de la population. Mais quand les Tchèques, à leur tour, attaquèrent le territoire hongrois. On nous rapporte que les officiers de l’ancienne armée hongroise eux-mêmes vinrent se ranger autour du gouvernement de Bela Kun. Celui-ci donc arrivé au pouvoir en conséquence de l’offensive roumaine y a été consolidé par l’offensive tchèque. Rien ne peut être plus fatal à notre politique. (...) Nous devons éviter de créer nous-mêmes le bolchevisme en donnant aux populations des pays ennemis de justes raisons de mécontentement. »
« 12 juin 1919
  Lloyd George : En réponse à l’amiral Koltchak, nous ne pouvons faire plus que lui promettre notre appui. Il est impossible de reconnaître son gouvernement comme celui de toute la Russie. (...)
  Orlando : Il y a en Italie une grève qui me préoccupe (...)
  Lloyd George : J’ai eu quelques renseignements sur ce qui s’est passé à Rome pendant la visite de Ramsay MacDonald. Les socialistes italiens étaient d’avis de faire un coup, d’accord avec les groupes ouvriers de France et d’Angleterre. (...)
  Orlando : L’agitation qui a lieu en Italie en ce moment est surtout dirigée contre la hausse des prix. Il y a eu quelques incidents sérieux à La Spezia : une personne a été tuée et deux blessées.
  Lloyd George : Cette question des prix me préoccupe beaucoup et je crois que nous devrons bientôt faire un effort pour la résoudre en commun. A mon avis, il faudra établir un système d’achats interalliés.. Autrement nous courrons à une révolution dans toute l’Europe.
« 13 juin 1919
  Lloyd George : Les moyens militaires à employer si les Allemands refusent de signer (la paix) ont été étudiés. Mais, à mon avis, le meilleur moyen d’obtenir la signature, c’est d’annoncer dès maintenant que nous nous préparons, en cas de refus, à reprendre le blocus. (...) Ce que je veux, c’est hâter la conclusion de la paix. Si la paix ne vient pas promptement, je crains un chaos qui serait bien pire que tout ce qu’ont pu faire des années de blocus (...) J’ai peur de trouver à Berlin un autre Moscou (...)
  Président Wilson : La famine a produit ailleurs le chaos et je crains qu’elle ne le produise aussi en Allemagne.
  Clemenceau : Lloyd George n’a pas envie d’aller à Berlin, moi non plus..
« 17 juin 1919
  Lloyd George : Le Conseil économique nous demande s’il n’y a pas lieu de lever le blocus de la Russie bolcheviste et de la Hongrie dès la signature du traité avec l’Allemagne. La question, en réalité, se borne à savoir si les allemands seront les seuls à avoir le droit de commercer avec la Russie. (...) Si je croyais que nous puissions écraser les Bolcheviks cette année, je serai d’avis de faire un grand effort auquel participeraient les flottes anglaise et française. Mais l’amiral Koltchak vient d’être repoussé à trois cent kilomètres en arrière. Une des ses armées est détruite. (...) Pour moi, l’amiral Koltchak ne battra pas Lénine. Il arrivera plutôt un moment où les adversaires se rapprocheront pour mettre fin à l’anarchie. Il semble que les affaires militaires des Bolcheviks soient bien conduites. Mais les observateurs qui nous renseignent disent que la pure doctrine bolcheviste est de plus en plus abandonnée et que ce qui se constitue là-bas, c’est un Etat qui ne diffère pas sensiblement d’un Etat bourgeois.
  Clemenceau : Etes-vous sûr du fait ?
  Président Wilson : Il est peut-être encore trop tôt pour le croire. (...)
  Clemenceau : Il faut, en tout cas, tenir l’engagement que nous venons de prendre vis-à-vis de l’amiral Koltchak.
  Lloyd George : Certainement. (...)
  Président Wilson : Nous ne nous sommes engagés d’ailleurs qu’à l’aider en lui fournissant du matériel. (...) La question est celle-ci : sommes-nous en guerre avec la Russie bolcheviste ?
  Lloyd George : Des troupes britanniques sont à Arkhangel. (...)
  Président Wilson : Je vous signale que le Conseil interallié des transports maritimes a donné hier l’ordre d’arrêter les navires chargés de vivres à destination des ports de la Baltique (...) Je rappelle que j’ai beaucoup insisté pour que nous commencions par l’action militaire et que nous n’ayons recours au blocus qu’en dernier lieu. (...) Je ne suis pas d’avis de réduire à la famine la population d’un grand pays, sauf si c’est le dernier moyen d’action qui nous reste (...) »
« 23 juin 1919
  Balfour : Une dépêche interceptée du gouvernement de Weimar à la délégation allemande de Versailles (...) : le gouvernement allemand se déclare prêt à signer. (...)
  Lloyd George : M. Winston Churchill viendra sous peu vous parler du rapatriement des Tchèques par Arkhangel. On réclame instamment en Bohême le retour des troupes tchèques de Russie. M. Winston Churchill est surtout préoccupé d’établir, si cela est possible, des communications entre l’amiral Koltchak et Arkhangel, et les troupes tchèques sur le retour pourraient y aider. Mais il faut pour cela qu’elles soient remplacées le long du Transsibérien par des troupes japonaises et américaines. »
« 25 juin 1919
  Clemenceau : Si nous prenons l’attitude qu’il faut, je crois qu’il y aura en Pologne des troubles locaux, mais pas de lutte armée. En tout cas, il ne faut pas laisser grandir le mouvement. (...) Le président Wilson nous prie de ne pas recommencer la guerre. Je le crois bien ! Mon pays a souffert plus que tout autre. Il s’élève en France un cri universel pour la démobilisation. (...) Toutefois, il y a un intérêt suprême qui s’élève au dessus du désir légitime d’en finir avec la guerre : il ne faut pas que les résultats de la guerre nous échappent par notre faiblesse. (...)
  Lecture d’un rapport de la commission des affaires baltiques sur l’avance allemande qui se poursuit systématiquement. Le danger du côté des Bolcheviks n’est pas moins sérieux. (...) Un rapport annexe provenant des agents des Puissances alliées et associées dans la Baltique demande l’envoi d’une mission militaire interalliée sous le commandement d’un général anglais. Il demande également l’envoi d’instructeurs et d’armes. (...)
  Lloyd George : Voilà des gens qui se battent pour leur liberté, et qui ne pourront pas continuer si nous ne leur envoyons pas d’argent. Pour ce qui est de les approvisionner en vivres et en munitions j’y suis prêt et je sui d’avis de leur envoyer la mission demandée. (...) Vous vous souvenez de l’échec et du recul de l’amiral Koltchak : il a perdu trois cent kilomètres de terrain. Mais en même temps Dénikine avance du côté du sud et les cosaques du Don se sont levés pour l’aider. (...) D’après un rapport, même si le front bolchevik était percé, les tchécoslovaques n’arriveraient pas à Arkhangel en temps voulu pour y être embarqués avant l’hiver. Nous pouvons leur proposer de faire un effort pour hâter leur libération mais nous courrons quelque risque si l’effort ne réussit pas. »
« 26 juin 1919
  Clemenceau : J’ai reçu un télégramme de Bela Kun il y a quelques jours. Il demandait des garanties dont la première était la reconnaissance de la république des soviets. Je n’ai pas répondu. (...)
  Lloyd George : Nous ne pouvons pas dire que nous ne reconnaîtrons jamais un gouvernement de soviets. Si défectueux que soit ce genre de gouvernement, il est, somme toute, plus représentatif que l’était celui du tsar.
  Clemenceau : Cette reconnaissance présenterait ici des dangers réels. » « 28 juin 1919 (dernière réunion du Conseil des Quatre)
  Président Wilson : Je ferai observer que nos délibérations ont eu le caractère de conversations privées.
  Clemenceau : Assurément, publier ces comptes-rendus serait tout ce qu’il pourrait y avoir de plus dangereux.
  Président Wilson : (...) Si j’avais pensé que cette question se poserait, je n’aurai jamais consenti à ce qu’on prît des notes. »

« Les délibérations du Conseil des Quatre »

Messages

  • Pour savoir ce que pensaient les chefs d’Etat des grandes puissances de la révolution bolchevique : lire « Les délibérations du Conseil des Quatre », Compte-rendu officiel des chefs d’Etat des grandes puissances édité par le CNRS avec Wilson président des Etats-Unis, Lloyd George chef du gouvernement anglais, Clemenceau chef du gouvernement français, Orlando chef du gouvernement italien, Paderewski chef du gouvernement polonais, Montagu secrétaire d’Etat pour l’Inde.
    • Président Wilson : Je suis frappé, dans des dépêches qu’on nous a lues, de ces mots : « La population d’Odessa nous est hostile ». S’il en est ainsi, on peut se demander à quoi sert de garder cet îlot entouré, presque submergé par le bolchevisme. (...) Cela me confirme dans ma politique, qui est de laisser la Russie aux Bolcheviks – ils cuiront dans leur jus jusqu’à ce que les circonstances aient rendu les Russes plus sages - et de nous borner à empêcher le bolchevisme d’envahir d’autres parties de l’Europe. (…)

    • Clemenceau : Le péril bolcheviste s’étend en ce moment vers le sud et vers la Hongrie ; il continuera à s’étendre tant qu’il ne sera pas arrêté ; il faut l’arrêter à Odessa et à Lemberg. (...)

    • - Lloyd George : Si les dirigeants allemands arrivent à la conclusion que ce qu’ils ont de mieux à faire est d’imiter la Hongrie et de faire alliance avec les Bolcheviks, s’ils préfèrent le risque d’une anarchie de quelques années à une servitude de trente-cinq ans que ferons-nous ? (...) Si nous avions à occuper un pays très peuplé, comme la Westphalie, tandis que l’Allemagne autour de nous se relèverait ou serait agitée par un bolchevisme contagieux, quels ne seraient pas nos dépenses et nos risques ? (...) Ma conviction est que les Allemands ne signeront pas les propositions qu’on envisage (...) L’Allemagne passera au Bolchevisme. (...)

    • - Président Wilson : Je ne puis qu’exprimer mon admiration pour l’esprit qui se manifeste dans les paroles de M.Lloyd George. Il n’y a rien de plus honorable que d’être chassé du pouvoir parce qu’on a eu raison. (...) le gouvernement de Weimar est sans crédit. S’il ne peut rester au pouvoir, il sera remplacé par un gouvernement tel qu’il sera impossible de traiter avec lui. (...) Nous devons à la paix du monde de ne pas donner à l’Allemagne la tentation de se jeter dans le Bolchevisme, nous ne savons que trop les relations des chefs bolcheviks avec l’Allemagne.

    • - Lloyd George : (...) Je sais quelque chose du danger bolcheviste dans nos pays ; je le combat moi-même depuis plusieurs semaines (...) Le résultat, c’est que des syndicalistes comme Smilie, le secrétaire général des mineurs, qui auraient pu devenir un danger formidable, finissent par nous aider à éviter un conflit. Les capitalistes anglais –dieu merci ! – ont peur, et cela les rend raisonnables. Mais en ce qui concerne les conditions de paix, ce qui pourrait provoquer une explosion du bolchevisme en Angleterre, ce ne serait pas le reproche d’avoir demandé trop peu à l’ennemi, mais celui de lui avoir demandé trop. L’ouvrier anglais ne veut pas accabler le peuple allemand par des exigences excessives. (...) De toutes manières, nous allons imposer à l’Allemagne une paix très dure : elle n’aura plus de colonies, plus de flotte, elle perdra 6 ou 7 millions d’habitants, une grande partie de ses richesses naturelles : presque tout son fer, une grande partie de son charbon. Militairement, nous la réduisons à l’état de la Grèce, et au point de vue naval, à celui de la République Argentine. Et sur tous ces points nous sommes entièrement d’accord. (...) Si vous ajoutez à cela des conditions secondaires qui puissent être considérées comme injustes, ce sera peut-être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. »

  • • - Maréchal Foch : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. En ce qui concerne particulièrement la Roumanie, les mesures nécessaires sont prévues en détail pour envoyer à son armée les effets et équipements qui lui manquent. Cette armée sera placée sous le commandement d’un général français. Vienne sera occupée par des troupes alliées sous un commandement américain. (...) Nous sommes d’accord sur l’aide à donner à l’armée roumaine et sur l’évacuation d’Odessa, qui est liée à notre actions en Roumanie. (...) Quant à l’idée d’opérer la jonction entre les forces polonaises et roumaines pour faire face à l’est, c’est le prélude d’une marche vers et cela nous conduit à la question d’une intervention militaire en Russie. Nous avons examiné cette question plus d’une fois et nous sommes chaque fois arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas penser à une intervention militaire. (...) L’évacuation d’Odessa est considérée comme le moyen de reporter des ressources, dont l’emploi à Odessa ne pouvait conduire à aucun résultat satisfaisant, sur la Roumanie pour compléter ses moyens de défense. (...)
    • - Maréchal Foch (chef des armées alliées) : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. (...) Contre une maladie épidémique, on fait un cordon sanitaire : on place un douanier tous les deux cent mètres et on empêche les gens de passer.
    • - Orlando (Italie) : Je demande la permission de lire deux télégrammes que nous recevons de notre commissaire italien à Vienne sur la situation. Le premier nous informe qu’on a reçu à Vienne une dépêche du gouvernement révolutionnaire de Budapest, invitant le prolétariat viennois à suivre l’exemple des Hongrois. Il a été décidé par les révolutionnaires viennois de former un conseil de travailleurs, de manière à les mettre en état de prendre le pouvoir (...) Le second télégramme (...) considère l’infiltration bolcheviste comme probable si la garde populaire n’est pas désarmée. Le gouvernement est faible, mais il suffirait, pour rétablir la situation, d’envoyer à Vienne deux régiments américains qui seraient reçus avec soulagement par la majorité de la population. Une déclaration des Alliés au sujet des approvisionnements produirait un effet utile mais ne servirait à rien si elle venait après le triomphe des bolchevistes.
    • - Général Diaz : Le bolchevisme est un mouvement populaire qui se manifeste partout où les vivres manquent et où l’autorité centrale est faible . (...) Son succès paraît lié aux succès du mouvement bolcheviste russe.. (...) la fermentation qui se produit actuellement n’a pas lieu seulement à Vienne, mais jusque dans les pays slovènes, partout en un mot où la population souffre de l’insuffisance du ravitaillement. En occupant Vienne fortement, on tient les voies de communication et on arrête ce progrès menaçant. Ce qu’il faut c’est donner aux populations l’impression que nous apportons des vivres, l’ordre et la sécurité. Sans cela elles se jetteront instinctivement du côté du désordre.
    • - Général Bliss : Le mot « bolcheviste » revient si souvent dans nos débats qu’évidemment il donne le ton à tout ce qui vient d’être dit. Si nous remplacions par le mot « révolutionnaire », ce serait peut-être plus clair. Le bolchevisme est la forme prise par le mouvement révolutionnaire dans les pays arriérés qui ont particulièrement souffert. D’ailleurs nous entendons dire, tantôt que le bolchevisme russe est un produit allemand, tantôt que c’est un mouvement essentiellement russe et qui, de l’est, vient envahir l’Europe. S’il était certain qu’il vient de Russie, c’est là évidemment qu’il faudrait le tuer. Mais le problème est plus difficile. Un cordon sanitaire pourrait arrêter les bolchevistes, mais non le bolchevisme, et pour en faire une barrière véritable, il faudrait déployer des forces très considérables depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. (...)
    • - Président Wilson : La question n’est-elle pas de savoir s’il est possible d’organiser une résistance armée contre le bolchevisme, ce qui veut dire : avons-nous, non seulement les troupes qu’il faut, mais les moyens matériels, et le sentiment public qui nous soutiendrait ? A mon avis, essayer d’arrêter un mouvement révolutionnaire par des armées en ligne, c’est employer un balai pour arrêter une grande marée. Les armées, d’ailleurs, peuvent s’imprégner du bolchevisme qu’elles seraient chargées de combattre. Un germe de sympathie existe entre les forces qu’on voudrait opposer. Le seul moyen d’agir contre le bolchevisme, c’est d’en faire disparaître les causes. (...) Une de ces causes est l’incertitude des populations au sujet de leurs frontières de demain, des gouvernements auxquels elles devront obéir, et, en même temps, leur détresse parce qu’elles manquent de vivres, de moyens de transport et de moyens de travail. (...) »
    • « 28 mars 1919
    • - Président Wilson : Je crains beaucoup la transformation de l’enthousiasme en désespoir aussi violent que le bolchevisme qui dit : « il n’y a pas de justice dans le monde, tout ce qu’on peut faire c’est se venger par la force des injustices commises auparavant par la force. » (...)
    • « 29 mars 1919
    • - Président Wilson : L’armistice nous autorise à envoyer des troupes en Pologne pour le maintien de l’ordre. Il faut bien faire comprendre aux Allemands que c’est dans ce but et pour protéger la Pologne des bolcheviks russes que les troupes du général Haller sont envoyées à Varsovie.
    • - Lloyd George : Il n’est pas de l’intérêt du gouvernement allemand de nous empêcher de former une barrière contre le bolchevisme. (...) Sachons prendre une décision ; ne faisons pas avec la Hongrie comme avec la Russie ; une Russie nous suffit. »
    • « 31 mars 1919
    • - Pichon : Que s’est-il passé (en Hongrie) ? (...) Le départ du comte Karoliyi et (. .) la chute du gouvernement (...). Une république des soviets a été proclamée. Nos missions ont été chassées et le premier acte du nouveau gouvernement a été de s’adresser à Lénine et de lui dire qu’on était prêts à marcher avec lui. (...)
    • - Président Wilson : Il faut avant tout éclaircir la situation. Le gouvernement de Budapest (...) est un gouvernement de soviets parce que c’est la forme de gouvernement à la mode et il peut y avoir bien des espèces de soviets. .
    • - Pichon : La Hongrie nous répond par la révolution, par l’expulsion de nos missions. Nous sommes liés à la Roumanie, à qui nous avons promis de libérer les populations transylvaines.
    • - Président Wilson : Il faut éviter, par une attitude trop dure, de pousser un pays après l’autre dans le bolchevisme. Le même danger existe à Vienne. Si nous avions à jeter là une ligne de démarcation, Vienne pourrait se jeter le lendemain dans le bolchevisme. Si de pareils événements se répètent, nous n’aurons pas de paix, parce que nous ne trouverons plus personne pour le conclure. En ce qui concerne la Hongrie (...) il ne servirait à rien de lui dire « Nous ne voulons rien avoir à faire avec vous (...) nous n’avons jamais rien eu à faire, ni les uns ni les autres, avec des gouvernements révolutionnaires. » Quant à moi, je suis prêt à entrer en conversation avec n’importe quel coquin (...)
    • - Lloyd George : Le comte Karolyi est un homme fatigué, qui a jeté le manche après la cognée, et le bolchevisme n’a eu qu’à prendre une place vide. »
    • « 8 avril 1919
    • - Orlando : Nous avons reçu un télégramme de notre légation en Suisse nous annonçant que la proclamation de la république des soviets à Vienne est probable pour le 14 de ce mois, à moins que Vienne ne soit occupée par les Alliés.
    • - Lloyd George : Qui propose-t-on d’envoyer occuper Vienne ? pourquoi, si nous suivions ces suggestions, n’occuperions-nous pas l’Europe entière ? Nos représentants à Berlin nous tiennent le même langage ; il n’y aurait plus de raison de s’arrêter. (...) J’ai reçu un télégramme du War Office me faisant connaître que la situation en Allemagne s’aggrave et que l »on craint une catastrophe. (...) Aujourd’hui, nous apprenons la proclamation de la république des soviets en Bavière. Le danger est que, quand nous demanderons aux délégués allemands : « qui représentez-vous ? », ils ne sachent que répondre. (...) Nous sommes d’accord pour examiner ce que nous aurons à faire non seulement si l’Allemagne tombe en décomposition, mais aussi si la situation s’aggrave en Autriche et dans les pays voisins. (...) »

  • « 25 juin 1919
      Clemenceau : Si nous prenons l’attitude qu’il faut, je crois qu’il y aura en Pologne des troubles locaux, mais pas de lutte armée. En tout cas, il ne faut pas laisser grandir le mouvement. (...) Le président Wilson nous prie de ne pas recommencer la guerre. Je le crois bien ! Mon pays a souffert plus que tout autre. Il s’élève en France un cri universel pour la démobilisation. (...) Toutefois, il y a un intérêt suprême qui s’élève au dessus du désir légitime d’en finir avec la guerre : il ne faut pas que les résultats de la guerre nous échappent par notre faiblesse. (...)
      Lecture d’un rapport de la commission des affaires baltiques sur l’avance allemande qui se poursuit systématiquement. Le danger du côté des Bolcheviks n’est pas moins sérieux. (...) Un rapport annexe provenant des agents des Puissances alliées et associées dans la Baltique demande l’envoi d’une mission militaire interalliée sous le commandement d’un général anglais. Il demande également l’envoi d’instructeurs et d’armes. (...)
      Lloyd George : Voilà des gens qui se battent pour leur liberté, et qui ne pourront pas continuer si nous ne leur envoyons pas d’argent. Pour ce qui est de les approvisionner en vivres et en munitions j’y suis prêt et je sui d’avis de leur envoyer la mission demandée. (...) Vous vous souvenez de l’échec et du recul de l’amiral Koltchak : il a perdu trois cent kilomètres de terrain. Mais en même temps Dénikine avance du côté du sud et les cosaques du Don se sont levés pour l’aider. (...) D’après un rapport, même si le front bolchevik était percé, les tchécoslovaques n’arriveraient pas à Arkhangel en temps voulu pour y être embarqués avant l’hiver. Nous pouvons leur proposer de faire un effort pour hâter leur libération mais nous courrons quelque risque si l’effort ne réussit pas. »
    « 26 juin 1919
      Clemenceau : J’ai reçu un télégramme de Bela Kun il y a quelques jours. Il demandait des garanties dont la première était la reconnaissance de la république des soviets. Je n’ai pas répondu. (...)
      Lloyd George : Nous ne pouvons pas dire que nous ne reconnaîtrons jamais un gouvernement de soviets. Si défectueux que soit ce genre de gouvernement, il est, somme toute, plus représentatif que l’était celui du tsar.
      Clemenceau : Cette reconnaissance présenterait ici des dangers réels. » « 28 juin 1919 (dernière réunion du Conseil des Quatre)
      Président Wilson : Je ferai observer que nos délibérations ont eu le caractère de conversations privées.
      Clemenceau : Assurément, publier ces comptes-rendus serait tout ce qu’il pourrait y avoir de plus dangereux.
      Président Wilson : (...) Si j’avais pensé que cette question se poserait, je n’aurai jamais consenti à ce qu’on prît des notes. »

    « Les délibérations du Conseil des Quatre »

  • « 26 mai 1919
      Président Wilson : Le traité de Londres a été conclu dans des circonstances qu,i depuis, se sont modifiées. (...) L’opinion du monde elle-même s’est modifiée. (...) le monde n’avait pas encore compris qu’il y avait là une question qui le regardait (l’oppression des peuples colonisés menaçant de se joindre à la révolution russe et européenne) et dans laquelle son avenir même était en jeu, c’est ce qui n’a été compris que graduellement aux Etats-Unis et dans d’autres pays. (...) C’est alors que j’ai fait au Congrès mon discours sur nos buts de guerre (. ;) mes quatorze points (...). Le traité de Londres est fondé sur l’idée de l’ancienne politique européenne que la puissance la plus forte a le droit de régler le sort de la plus faible. (...) Si aujourd’hui cette idée était maintenue, elle provoquerait des réactions fatales à la paix du monde.
    « 28 mai 1919
      Clemenceau : Nous allons discuter (...) pour tous les petits Etats (...) la question de la limitation de leurs armements (...)
      Président Wilson : Il y a, dans cette partie du monde, un facteur inconnu : c’est la Russie. Ne pouvons-nous pas dire que, là où ce facteur peut se faire sentir, des forces militaires pourront être maintenues suffisantes pour parer à toute éventualité ?
      Clemenceau : ce qu’il faut surtout, c’est ne pas trop hâter le désarmement des Etats d’Europe centrale.
      Lloyd George : Je crains ce qui peut arriver si ces Etats ont des armées très supérieures à celle de l’Autriche. Je n’ai pas grande confiance dans la Roumanie, dans la Serbie.
      Président Wilson : Il vaut mieux établir un régime provisoire tant que la période d’incertitude et de désordre continue. Il est impossible aujourd’hui, quand l’est de l’Europe est dans un état si critique, de militer définitivement les forces de chaque Etat. »
    « 29 mai 1919
      Lloyd George : En Russie, rien n’a plus contribué à rendre les Bolcheviks populaires que l’occupation étrangère. (En Europe centrale) il faut éviter que l’occupation irrite la population, accumule les haines et crée un danger pour l’Europe entière. »
    « 2 juin 1919
      Lloyd George : J’estime qu’il est de mon devoir de vous indiquer la situation de la délégation britannique en ce qui concerne le traité de paix. Elle est difficile. Notre opinion publique désire avant tout la paix (...) elle ne soutiendrait pas un gouvernement qui reprendrait la guerre. »
    « 3 juin 1919
      Lloyd George : Je crains que Koltchak n’ait subi un échec sérieux. »
    « 6 juin 1919
      Le président Wilson donne lecture du télégramme de l’amiral Koltchak en réponse à la demande de garanties des Alliés : (...) « Il paraît impossible de rappeler l’assemblée de 1917 élue sous un régime de violence bolcheviste et dont les membres sont maintenant en majorité dans les rangs des Soviets. »
    « 9 juin1919
      Président Wilson : Je prie les membres du Conseil militaire interallié de nous faire connaître la situation militaire en Hongrie. (...)
      Lloyd George : J’ai des informations récentes d’un Anglais, venu de Budapest, et d’ailleurs très hostile à Bela Kun. Il rejette toute la faute de ce qui est arrivé sur les Roumains. (...) Bela Kun, à ce moment, était perdu. Il était isolé dans Budapest. Sa situation pouvait se comparer à celle de la Commune de Paris immédiatement avant sa chute. L’avance des Roumains a soulevé le sentiment national hongrois et donné à Bela Kun une armée (...) J’ai reçu deux télégrammes de notre représentant militaire à Prague. Le premier dit que la situation est très grave, que les Tchèques manquent de munitions, que Presbourg est menacé et que le bolchevisme se développe en Slovaquie. Le second annonce qu’à la requête du Président Masaryk, le général Pellé a été placé à la tête de l’armée tchécoslovaque et la loi martiale proclamée à Presbourg. (...) Le général Franchet d’Esperey, qui nous représente tous, a donné une première fois aux Roumains ordre de s’arrêter. Cet ordre n’a pas été obéi. (...) Je propose d’arrêter tout envoi de matériel à la Roumanie jusqu’à ce qu’elle ait obéi à notre ordre. (...) La plus grande partie de nos difficultés vient de ce que les Etats qui sont nos amis refusent de suivre nos instructions. (...)
      Président Wilson : Je n’aime pas jouer les dépôts de munitions. Cela peut produire des explosions. (...)
      Lloyd George : Les Allemands ne savent plus où ils en sont. Ils ressemblent à un homme pris dans un cyclone, à qui l’on demanderait tout à coup : « à quel prix vendez-vous votre cheval ? » D’ailleurs nous sommes un peu dans la même situation. (...) Il faut aboutir. Nous ne pourrons tenir aucune des autres nations tant que nous n’aurons pas fait la paix avec l’Allemagne. »
    « 10 juin 1919
      Président Wilson : Nous vous avons convoqués, Messieurs, parce que nous sommes très préoccupés de la situation militaire en Hongrie et autour de la Hongrie. (...) Cette seconde offensive (roumaine) a eu comme conséquence la chute de Karolyi, dont l’attitude envers l’Entente était plus amicale que celle d’aucun autre homme d’Etat hongrois .C’est alors que Bela Kun s’empara du pouvoir. Son gouvernement n’était pas de nature à être accepté par les classes les plus établies de la population. Mais quand les Tchèques, à leur tour, attaquèrent le territoire hongrois. On nous rapporte que les officiers de l’ancienne armée hongroise eux-mêmes vinrent se ranger autour du gouvernement de Bela Kun. Celui-ci donc arrivé au pouvoir en conséquence de l’offensive roumaine y a été consolidé par l’offensive tchèque. Rien ne peut être plus fatal à notre politique. (...) Nous devons éviter de créer nous-mêmes le bolchevisme en donnant aux populations des pays ennemis de justes raisons de mécontentement. »
    « 12 juin 1919
      Lloyd George : En réponse à l’amiral Koltchak, nous ne pouvons faire plus que lui promettre notre appui. Il est impossible de reconnaître son gouvernement comme celui de toute la Russie. (...)
      Orlando : Il y a en Italie une grève qui me préoccupe (...)
      Lloyd George : J’ai eu quelques renseignements sur ce qui s’est passé à Rome pendant la visite de Ramsay MacDonald. Les socialistes italiens étaient d’avis de faire un coup, d’accord avec les groupes ouvriers de France et d’Angleterre. (...)
      Orlando : L’agitation qui a lieu en Italie en ce moment est surtout dirigée contre la hausse des prix. Il y a eu quelques incidents sérieux à La Spezia : une personne a été tuée et deux blessées.
      Lloyd George : Cette question des prix me préoccupe beaucoup et je crois que nous devrons bientôt faire un effort pour la résoudre en commun. A mon avis, il faudra établir un système d’achats interalliés.. Autrement nous courrons à une révolution dans toute l’Europe.
    « 13 juin 1919
      Lloyd George : Les moyens militaires à employer si les Allemands refusent de signer (la paix) ont été étudiés. Mais, à mon avis, le meilleur moyen d’obtenir la signature, c’est d’annoncer dès maintenant que nous nous préparons, en cas de refus, à reprendre le blocus. (...) Ce que je veux, c’est hâter la conclusion de la paix. Si la paix ne vient pas promptement, je crains un chaos qui serait bien pire que tout ce qu’ont pu faire des années de blocus (...) J’ai peur de trouver à Berlin un autre Moscou (...)
      Président Wilson : La famine a produit ailleurs le chaos et je crains qu’elle ne le produise aussi en Allemagne.
      Clemenceau : Lloyd George n’a pas envie d’aller à Berlin, moi non plus..
    « 17 juin 1919
      Lloyd George : Le Conseil économique nous demande s’il n’y a pas lieu de lever le blocus de la Russie bolcheviste et de la Hongrie dès la signature du traité avec l’Allemagne. La question, en réalité, se borne à savoir si les allemands seront les seuls à avoir le droit de commercer avec la Russie. (...) Si je croyais que nous puissions écraser les Bolcheviks cette année, je serai d’avis de faire un grand effort auquel participeraient les flottes anglaise et française. Mais l’amiral Koltchak vient d’être repoussé à trois cent kilomètres en arrière. Une des ses armées est détruite. (...) Pour moi, l’amiral Koltchak ne battra pas Lénine. Il arrivera plutôt un moment où les adversaires se rapprocheront pour mettre fin à l’anarchie. Il semble que les affaires militaires des Bolcheviks soient bien conduites. Mais les observateurs qui nous renseignent disent que la pure doctrine bolcheviste est de plus en plus abandonnée et que ce qui se constitue là-bas, c’est un Etat qui ne diffère pas sensiblement d’un Etat bourgeois.
      Clemenceau : Etes-vous sûr du fait ?
      Président Wilson : Il est peut-être encore trop tôt pour le croire. (...)
      Clemenceau : Il faut, en tout cas, tenir l’engagement que nous venons de prendre vis-à-vis de l’amiral Koltchak.
      Lloyd George : Certainement. (...)
      Président Wilson : Nous ne nous sommes engagés d’ailleurs qu’à l’aider en lui fournissant du matériel. (...) La question est celle-ci : sommes-nous en guerre avec la Russie bolcheviste ?
      Lloyd George : Des troupes britanniques sont à Arkhangel. (...)
      Président Wilson : Je vous signale que le Conseil interallié des transports maritimes a donné hier l’ordre d’arrêter les navires chargés de vivres à destination des ports de la Baltique (...) Je rappelle que j’ai beaucoup insisté pour que nous commencions par l’action militaire et que nous n’ayons recours au blocus qu’en dernier lieu. (...) Je ne suis pas d’avis de réduire à la famine la population d’un grand pays, sauf si c’est le dernier moyen d’action qui nous reste (...) »
    « 23 juin 1919
      Balfour : Une dépêche interceptée du gouvernement de Weimar à la délégation allemande de Versailles (...) : le gouvernement allemand se déclare prêt à signer. (...)
      Lloyd George : M. Winston Churchill viendra sous peu vous parler du rapatriement des Tchèques par Arkhangel. On réclame instamment en Bohême le retour des troupes tchèques de Russie. M. Winston Churchill est surtout préoccupé d’établir, si cela est possible, des communications entre l’amiral Koltchak et Arkhangel, et les troupes tchèques sur le retour pourraient y aider. Mais il faut pour cela qu’elles soient remplacées le long du Transsibérien par des troupes japonaises et américaines. »

  • « 3 juin 1919
      Lloyd George : Je crains que Koltchak n’ait subi un échec sérieux. »
    « 6 juin 1919
      Le président Wilson donne lecture du télégramme de l’amiral Koltchak en réponse à la demande de garanties des Alliés : (...) « Il paraît impossible de rappeler l’assemblée de 1917 élue sous un régime de violence bolcheviste et dont les membres sont maintenant en majorité dans les rangs des Soviets. »
    « 9 juin1919
      Président Wilson : Je prie les membres du Conseil militaire interallié de nous faire connaître la situation militaire en Hongrie. (...)
      Lloyd George : J’ai des informations récentes d’un Anglais, venu de Budapest, et d’ailleurs très hostile à Bela Kun. Il rejette toute la faute de ce qui est arrivé sur les Roumains. (...) Bela Kun, à ce moment, était perdu. Il était isolé dans Budapest. Sa situation pouvait se comparer à celle de la Commune de Paris immédiatement avant sa chute. L’avance des Roumains a soulevé le sentiment national hongrois et donné à Bela Kun une armée (...) J’ai reçu deux télégrammes de notre représentant militaire à Prague. Le premier dit que la situation est très grave, que les Tchèques manquent de munitions, que Presbourg est menacé et que le bolchevisme se développe en Slovaquie. Le second annonce qu’à la requête du Président Masaryk, le général Pellé a été placé à la tête de l’armée tchécoslovaque et la loi martiale proclamée à Presbourg. (...) Le général Franchet d’Esperey, qui nous représente tous, a donné une première fois aux Roumains ordre de s’arrêter. Cet ordre n’a pas été obéi. (...) Je propose d’arrêter tout envoi de matériel à la Roumanie jusqu’à ce qu’elle ait obéi à notre ordre. (...) La plus grande partie de nos difficultés vient de ce que les Etats qui sont nos amis refusent de suivre nos instructions. (...)
      Président Wilson : Je n’aime pas jouer les dépôts de munitions. Cela peut produire des explosions. (...)
      Lloyd George : Les Allemands ne savent plus où ils en sont. Ils ressemblent à un homme pris dans un cyclone, à qui l’on demanderait tout à coup : « à quel prix vendez-vous votre cheval ? » D’ailleurs nous sommes un peu dans la même situation. (...) Il faut aboutir. Nous ne pourrons tenir aucune des autres nations tant que nous n’aurons pas fait la paix avec l’Allemagne. »
    « 10 juin 1919
      Président Wilson : Nous vous avons convoqués, Messieurs, parce que nous sommes très préoccupés de la situation militaire en Hongrie et autour de la Hongrie. (...) Cette seconde offensive (roumaine) a eu comme conséquence la chute de Karolyi, dont l’attitude envers l’Entente était plus amicale que celle d’aucun autre homme d’Etat hongrois .C’est alors que Bela Kun s’empara du pouvoir. Son gouvernement n’était pas de nature à être accepté par les classes les plus établies de la population. Mais quand les Tchèques, à leur tour, attaquèrent le territoire hongrois. On nous rapporte que les officiers de l’ancienne armée hongroise eux-mêmes vinrent se ranger autour du gouvernement de Bela Kun. Celui-ci donc arrivé au pouvoir en conséquence de l’offensive roumaine y a été consolidé par l’offensive tchèque. Rien ne peut être plus fatal à notre politique. (...) Nous devons éviter de créer nous-mêmes le bolchevisme en donnant aux populations des pays ennemis de justes raisons de mécontentement. »
    « 12 juin 1919
      Lloyd George : En réponse à l’amiral Koltchak, nous ne pouvons faire plus que lui promettre notre appui. Il est impossible de reconnaître son gouvernement comme celui de toute la Russie. (...)
      Orlando : Il y a en Italie une grève qui me préoccupe (...)
      Lloyd George : J’ai eu quelques renseignements sur ce qui s’est passé à Rome pendant la visite de Ramsay MacDonald. Les socialistes italiens étaient d’avis de faire un coup, d’accord avec les groupes ouvriers de France et d’Angleterre. (...)
      Orlando : L’agitation qui a lieu en Italie en ce moment est surtout dirigée contre la hausse des prix. Il y a eu quelques incidents sérieux à La Spezia : une personne a été tuée et deux blessées.
      Lloyd George : Cette question des prix me préoccupe beaucoup et je crois que nous devrons bientôt faire un effort pour la résoudre en commun. A mon avis, il faudra établir un système d’achats interalliés.. Autrement nous courrons à une révolution dans toute l’Europe.
    « 13 juin 1919
      Lloyd George : Les moyens militaires à employer si les Allemands refusent de signer (la paix) ont été étudiés. Mais, à mon avis, le meilleur moyen d’obtenir la signature, c’est d’annoncer dès maintenant que nous nous préparons, en cas de refus, à reprendre le blocus. (...) Ce que je veux, c’est hâter la conclusion de la paix. Si la paix ne vient pas promptement, je crains un chaos qui serait bien pire que tout ce qu’ont pu faire des années de blocus (...) J’ai peur de trouver à Berlin un autre Moscou (...)
      Président Wilson : La famine a produit ailleurs le chaos et je crains qu’elle ne le produise aussi en Allemagne.
      Clemenceau : Lloyd George n’a pas envie d’aller à Berlin, moi non plus..
    « 17 juin 1919
      Lloyd George : Le Conseil économique nous demande s’il n’y a pas lieu de lever le blocus de la Russie bolcheviste et de la Hongrie dès la signature du traité avec l’Allemagne. La question, en réalité, se borne à savoir si les allemands seront les seuls à avoir le droit de commercer avec la Russie. (...) Si je croyais que nous puissions écraser les Bolcheviks cette année, je serai d’avis de faire un grand effort auquel participeraient les flottes anglaise et française. Mais l’amiral Koltchak vient d’être repoussé à trois cent kilomètres en arrière. Une des ses armées est détruite. (...) Pour moi, l’amiral Koltchak ne battra pas Lénine. Il arrivera plutôt un moment où les adversaires se rapprocheront pour mettre fin à l’anarchie. Il semble que les affaires militaires des Bolcheviks soient bien conduites. Mais les observateurs qui nous renseignent disent que la pure doctrine bolcheviste est de plus en plus abandonnée et que ce qui se constitue là-bas, c’est un Etat qui ne diffère pas sensiblement d’un Etat bourgeois.
      Clemenceau : Etes-vous sûr du fait ?
      Président Wilson : Il est peut-être encore trop tôt pour le croire. (...)
      Clemenceau : Il faut, en tout cas, tenir l’engagement que nous venons de prendre vis-à-vis de l’amiral Koltchak.
      Lloyd George : Certainement. (...)
      Président Wilson : Nous ne nous sommes engagés d’ailleurs qu’à l’aider en lui fournissant du matériel. (...) La question est celle-ci : sommes-nous en guerre avec la Russie bolcheviste ?
      Lloyd George : Des troupes britanniques sont à Arkhangel. (...)
      Président Wilson : Je vous signale que le Conseil interallié des transports maritimes a donné hier l’ordre d’arrêter les navires chargés de vivres à destination des ports de la Baltique (...) Je rappelle que j’ai beaucoup insisté pour que nous commencions par l’action militaire et que nous n’ayons recours au blocus qu’en dernier lieu. (...) Je ne suis pas d’avis de réduire à la famine la population d’un grand pays, sauf si c’est le dernier moyen d’action qui nous reste (...) »
    « 23 juin 1919
      Balfour : Une dépêche interceptée du gouvernement de Weimar à la délégation allemande de Versailles (...) : le gouvernement allemand se déclare prêt à signer. (...)
      Lloyd George : M. Winston Churchill viendra sous peu vous parler du rapatriement des Tchèques par Arkhangel. On réclame instamment en Bohême le retour des troupes tchèques de Russie. M. Winston Churchill est surtout préoccupé d’établir, si cela est possible, des communications entre l’amiral Koltchak et Arkhangel, et les troupes tchèques sur le retour pourraient y aider. Mais il faut pour cela qu’elles soient remplacées le long du Transsibérien par des troupes japonaises et américaines. »
    « 25 juin 1919
      Clemenceau : Si nous prenons l’attitude qu’il faut, je crois qu’il y aura en Pologne des troubles locaux, mais pas de lutte armée. En tout cas, il ne faut pas laisser grandir le mouvement. (...) Le président Wilson nous prie de ne pas recommencer la guerre. Je le crois bien ! Mon pays a souffert plus que tout autre. Il s’élève en France un cri universel pour la démobilisation. (...) Toutefois, il y a un intérêt suprême qui s’élève au dessus du désir légitime d’en finir avec la guerre : il ne faut pas que les résultats de la guerre nous échappent par notre faiblesse. (...)
      Lecture d’un rapport de la commission des affaires baltiques sur l’avance allemande qui se poursuit systématiquement. Le danger du côté des Bolcheviks n’est pas moins sérieux. (...) Un rapport annexe provenant des agents des Puissances alliées et associées dans la Baltique demande l’envoi d’une mission militaire interalliée sous le commandement d’un général anglais. Il demande également l’envoi d’instructeurs et d’armes. (...)
      Lloyd George : Voilà des gens qui se battent pour leur liberté, et qui ne pourront pas continuer si nous ne leur envoyons pas d’argent. Pour ce qui est de les approvisionner en vivres et en munitions j’y suis prêt et je sui d’avis de leur envoyer la mission demandée. (...) Vous vous souvenez de l’échec et du recul de l’amiral Koltchak : il a perdu trois cent kilomètres de terrain. Mais en même temps Dénikine avance du côté du sud et les cosaques du Don se sont levés pour l’aider. (...) D’après un rapport, même si le front bolchevik était percé, les tchécoslovaques n’arriveraient pas à Arkhangel en temps voulu pour y être embarqués avant l’hiver. Nous pouvons leur proposer de faire un effort pour hâter leur libération mais nous courrons quelque risque si l’effort ne réussit pas. »
    « 26 juin 1919
      Clemenceau : J’ai reçu un télégramme de Bela Kun il y a quelques jours. Il demandait des garanties dont la première était la reconnaissance de la république des soviets. Je n’ai pas répondu. (...)
      Lloyd George : Nous ne pouvons pas dire que nous ne reconnaîtrons jamais un gouvernement de soviets. Si défectueux que soit ce genre de gouvernement, il est, somme toute, plus représentatif que l’était celui du tsar.
      Clemenceau : Cette reconnaissance présenterait ici des dangers réels. » « 28 juin 1919 (dernière réunion du Conseil des Quatre)
      Président Wilson : Je ferai observer que nos délibérations ont eu le caractère de conversations privées.
      Clemenceau : Assurément, publier ces comptes-rendus serait tout ce qu’il pourrait y avoir de plus dangereux.
      Président Wilson : (...) Si j’avais pensé que cette question se poserait, je n’aurai jamais consenti à ce qu’on prît des notes. »

    « Les délibérations du Conseil des Quatre »

    • Merci pour la transcription d’un ouvrage épuisé : Paul MANTOUX, Les Délibérations du Conseil des Quatre - 24 mars-28 juin 1919, CNRS Éditions, 1955 2 vol. (1. Jusqu’à la remise à la délégation allemande des conditions de paix ; 2. Depuis la remise à la délégation allemande des conditions de paix jusqu’à la signature du traité de Versailles).

    • C’est effectivement un ouvrage intéressant au plus haut point car, en pleine révolution prolétarienne en Europe, on voit les problèmes que se posent de l’intérieur les dirigeants impérialistes du camp des vainqueurs de la guerre mondiale.

      A remarquer entre autres que ces chefs impérialistes estiment que les Juifs d’Europe de l’Est sont un danger qu’il faudrait éliminer car ils aggravent les risques révolutionnaires...

    •   Président Wilson : Un des éléments qui troublent la paix du monde est la persécution des Juifs. Vous savez qu’ils sont particulièrement mal traités en Pologne et qu’ils sont privés des droits de citoyen en Roumanie. (...) Rappelez-vous que, quand les Juifs étaient traités en hors la loi en Angleterre, ils agissaient comme des gens hors la loi. Notre désir est de les ramener partout dans la loi commune. (...) (Suite le 3 mai) Nos gouvernements, du moins les gouvernements britannique et américain, ont pris, vis-à-vis des Juifs, l’engagement d’établir en Palestine quelque chose qui ressemble à un Etat israélite, et les Arabes y sont très opposés.

        (Suite le 17 mai) Ce n’est pas seulement un sentiment de bienveillance à l’égard des Juifs, mais par l’incertitude du danger que le traitement injuste des Juifs crée dans différentes parties de l’Europe. Le rôle des Juifs dans le mouvement bolcheviste est dû sans aucun doute à l’oppression que leur race a subi pendant si longtemps. Les persécutions empêchent le sentiment patriotique de naître et provoquent l’esprit de révolte. A moins que nous ne portions remède à la situation des Juifs, elle restera un danger pour le monde.

        (Suite 6 juin) France, Italie, Grande Bretagne, Etats-Unis, ce n’est pas sur leurs territoires que l’on trouve cet élément juif qui peut devenir un danger pour la paix en Europe, mais en Russie, en Roumanie, en Pologne, partout où les Juifs sont persécutés.

        Lloyd George : Cette difficulté subsistera jusqu’à ce que les Polonais deviennent assez intelligents pour savoir tirer parti de leurs Juifs, comme le font les Allemands.

        (Suite 23 juin) Président Wilson Le plus important est d’apaiser les inquiétudes des Juifs. Je crains toujours de laisser subsister de ce côté un ferment dangereux. »

      « 2 mai 1919

        Lloyd George : On me fait savoir que, dans plusieurs villes d’Italie, des soldats anglais ont été insultés dans les rues. (...)

        Président Wilson : En jetant un cristal dans un liquide, on le fait parfois cristalliser tout entier.

        Lloyd George : Quelquefois aussi, on provoque une explosion.

        Président Wilson : L’explosion s’est déjà produite. (...) l’attitude de l’Italie est indubitablement agressive. (...) »

      « 7 mai 1919

        Lloyd George : Je voudrai vous parler de la Russie La situation s’y transforme de la façon la plus remarquable : nous assistons à un véritable effondrement du bolchevisme, à tel point que le cabinet britannique sollicite de nous une décision immédiate sur notre politique en Russie. D’après nos renseignements, Koltchak est sur le point de joindre ses forces à celles d’Arkhangel ; il est possible aussi qu’il arrive à bref délai à Moscou et y établisse un nouveau gouvernement. (...)

        Président Wilson : Que fournissez-vous à Koltchak et à Dénikine ?

        Lloyd George : Des armes et des munitions. »

      « 8 mai 1919

        Président Wilson : Rien n’a été décidé sur les frontières de la Russie ou celles qu’il a lieu d’établir à l’intérieur de l’ancien empire russe. »

      « 9 mai 1919

        Président Wilson : Quand nous essayâmes pour la première fois d’envoyer des vivres aux populations russes (...) des troupes américaines ont assuré la police du chemin de fer entre le Pacifique et Irkoutsk. Notre gouvernement n’a pas confiance dans l’amiral Koltchak qui est soutenu par la France et l’Angleterre. (...) Dans ces conditions, nous devons ou prendre le parti de soutenir Koltchak et de renforcer notre armée d’occupation, ou nous retirer totalement. Mais si nous augmentons nos effectifs, le Japon fera de même. Quand nous sommes allés en Sibérie, nous nous étions entendus avec le Japon pour envoyer là-bas des forces équivalentes. En fait, nous avons envoyé 9000 hommes et le japon 12000. Mais, peu à peu, il a augmenté ses effectifs et les a porté à 70.000 hommes. (...) Si, d’autre part, nous renforçons les troupes qui gardent le chemin de fer, je crains une coalition entre les Cosaques et les Japonais contre nous. Pour moi j’ai toujours été d’avis de nous retirer de Russie (...)

        Lloyd George : (...) Il devient nécessaire de nous entendre sur une politique commune en Russie. D’après nos renseignements, l’amiral Koltchak avance rapidement à l’ouest de l’Oural et cela semble démontrer que les Bolcheviks n’ont plus la force de résister, ou que les moyens de transport leur manquent complètement. Quelles sont les dernières nouvelles ?

        Sir Maurice Hankey : Les derniers télégrammes montrent que l’amiral Koltchak envoie des forces à la fois dans la direction d’Arkhangel et vers le sud-ouest.

        Président Wilson : Nous avons certainement le droit de demander à Koltchak quelles sont ses intentions.

        Lloyd George : D’abord sur la question agraire, il faut lui demander s’il est bien résolu à ne pas reprendre la terre aux paysans.

        Président Wilson : D’après les informations que j’ai reçues d’un homme qui connaît très bien la Russie et sa situation présente, les paysans se sont emparés de la terre irrégulièrement et au hasard. (...)

        Lloyd George : Il faut se résigner à des irrégularité de ce genre dans une révolution : le fait s’est produit lors de la révolution française. (...)

        Lloyd George : Si l’amiral Koltchak peut nous rejoindre, c’est la fin du bolchevisme. ( ..)
        Président Wilson : Les troupes américaines d’Arkhangel ne sont pas bien sures. (...) Il est toujours dangereux de se mêler de révolutions étrangères. (...)

        Lloyd George : Ici ce sont des Russes qui agissent et nous ne ferons que les seconder. (...)

        Lord Robert Cecil : Le grand problème que nous avons à résoudre est de remettre l’Europe au travail. Partout, le chômage se développe, surtout dans les Etats nouveaux. Se borner à nourrir cette population de chômeurs serait presque sans effet au point de vue politique : s’ils sont nourris et sans travail, ils seront encore plus disposés à se révolter que dans la plus extrême détresse. (...) Ce qui est certain, c’est que si rien n’est fait, nous nous trouverons en présence du chaos et de l’anarchie. »

      « 10 mai 1919

        Président Wilson : Une intransigeance de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne. et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...)

        Lloyd George : J’ai reçu ce matin un autre rapport qui me dit qu’à mesure que Koltchak avance, il se produit des désordres derrière lui. Les Bolcheviks ont quelques succès en Sibérie orientale. Cela ne veut-il pas dire que l’on croit que si Koltchak réussissait, le but final de son entourage serait le retour au passé ? Ne croit-on pas que c’est à cela que les Alliés veulent l’aider ? (...) »

      « 17 mai 1919

        Maharadjah de Bikaner : Nous ne pouvons que déconseiller de la manière la plus formelle tout partage de la Turquie (...) C’est avec tout le sentiment de ma responsabilité que j’appelle votre attention sur le danger de désordre et de haine que cette question contient, non seulement pour l’Inde mais pour le monde entier.

        Montagu : Il y a un danger véritable chez les peuples musulmans. (...) Un Américain qui avait été prisonnier des Bolcheviks à Tachkent (...) a été frappé par l’attitude des Musulmans à l’égard des Alliés : le sentiment parmi eux était que la Conférence prenait position contre l’Islam. Je n’ai pas besoin de rappeler les événements récents qui se sont produits en Egypte et dans l’Afghanistan. Dans le Pendjab, des agitateurs hindous, excités par les Bolcheviks, provoquaient les populations à la révolte. (...) Il est sans exemple que l’on ait ainsi ouvert les mosquées à des prédicateurs ou à des orateurs qui n’appartenaient pas eux-mêmes à la religion musulmane. »

      « 19 mai 1919

        Président Wilson : La situation à Varsovie est certainement dangereuse. L’opinion est très montée et aux excitations nationalistes se mêlent des menaces de grève générale des postes et des chemins de fer. (...) Paderewski nous avertit qu’une intransigeance complète de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...) Le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. Il n’y aurait pas de résistance. (...) On nous conseille d’envoyer à Budapest une mission politique ayant à sa tête un homme comme le général Smuts pour assurer l’établissement d’un gouvernement stable. (...)

        Lloyd George : Nous sommes au milieu des sables mouvants. (...) Avez-vous vu le télégramme de Lénine qui accuse les troupes de Denikine d’atrocités. J’ai bien peur qu’en fait les atrocités n’aient lieu des deux côtés. Que penser des victoires de Koltchak ? (...)
        Président Wilson : Même incertitude au sujet de la Hongrie. Nous recevons des rapports sur l’impopularité de la dictature du prolétariat. (...) La conclusion de mon représentant est que le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. (...)

        Clemenceau : Il me paraît bien difficile d’occuper Budapest. Que nous demandera-t-on d’occuper ensuite ? Ce n’est pas la première fois qu’on nous invite à occuper telle ou telle partie de l’Europe. (...)

        Président Wilson : J’ai donné au Département d’Etat l’instruction d’entrer directement en communication avec l’amiral Koltchak et de lui poser un certain nombre de questions, notamment sur ses intentions en ce qui concerne l’Assemblée Constituante et le régime agraire.

      « 20 mai 1919

        Lord Robert Cecil : Lénine ne veut pas accepter la condition de suspension des hostilités. Après consultation avec le Conseil suprême économique, je conseille aux gouvernements de choisir entre deux politiques : il faut ou écraser les Bolcheviks ou imposer aux différents groupes belligérants de la Russie (...) qu’une Constituante soit immédiatement convoquée. En tout cas, il ne faut pas essayer de mêler les deux systèmes. (...)

        Clemenceau : Si nous cessons d’envoyer des armes à Koltchak et à Denikine, ce n’est pas cela qui arrêtera Lénine. (...)

        Lloyd George : D’un côté, nous avons des révolutionnaires violents et sans scrupules, de l’autre des gens qui prétendent agir dans l’intérêt de l’ordre, mais dont les intentions nous sont suspectes. Toutefois, nous avons le devoir de ne pas abandonner ceux dont nous avons eu besoin (...)

        Lloyd George : Nous aurons aussi à examiner la question des provinces baltiques. (. ;) Comment faire fond sur ces populations ? Nous avons à un moment donné cherché à leur distribuer des armes pour combattre contre les Bolcheviks, mais nous y avons renoncé, parce que nous trouvions trop peu de gens en qui on pût avoir confiance. »

      « 21 mai 1919

        Lloyd George : Le monde musulman s’agite, vous savez nos difficultés en Egypte, l’Afghanistan est en état de guerre avec nous. Pendant la guerre nous avons levé dans les Indes plus d’un million d’hommes, presque tous musulmans, ce sont eux qui ont supporté presque tout le poids de la lutte contre la Turquie, quoique encadrés par des troupes blanches. Le monde musulman n’oublie pas cela. La division de la partie proprement turque de l’Asie Mineure serait injuste et impolitique (...)

        Général Le Rond : Les Ukrainiens n’ont que médiocrement résisté aux Bolchevistes. (...) Les Polonais sont beaucoup plus capables qu’eux d’arrêter la marche en avant du bolchevisme.

        Général Botha : Les Polonais, avec des munitions qu’ils reçoivent de nous, attaquent des gens qui ne sont pas nos ennemis (Ukraine). S’ils ont besoin de ce que nous leur donnons pour combattre les Bolchevistes, nous sommes prêts à continuer à le leur donner. (...) Si nous tolérons ce que la Pologne fait aujourd’hui, nous jetterons nous-mêmes le peuple ukrainien dans les bras des Bolcheviks.

        Président Wilson : Si Paderewski tombe et que nous coupions les vivres à la Pologne, la Pologne elle-même ne deviendra-t-elle pas bolcheviste ? Le gouvernement de Paderewski est comme une digue contre le désordre, et peut-être la seule possible.

  • Un article intéressant sur les différentes prise de notes : Conference Interpreting in the First International Labor Conference (Washington, D. C., 1919), Le prisme de l’histoire / The History Lens, 2005.

  • Pour ceux qui pratique l’italien :
    MINISTERO DEGLI AFFARI ESTERI
    COMMISSIONE PER LA PUBBLICAZIONE DEI DOCUMENTI DIPLOMATICI
    I DOCUMENTI DIPLOMATICI ITALIANI
    SESTA SERIE : 1918-1922
    VOLUME III (24 marzo – 22 giugno 1919)
    1080 pages Télécharger pdf

  • Pour ceux qui pratiquent l’allemand : Die britische Deutschlandkonzeption und -politik 1918-1919, 201 page Télécharger pdf.

  • « 24 mars 1919
      Président Wilson (USA) : C’est en ce moment une véritable course contre la montre entre la paix et l’anarchie et le public commence à manifester son impatience. (...)
      Lloyd George (GB) : (...) Je propose donc, avec la Président Wilson, que nous nous réunissions entre chefs de gouvernements, deux fois par jour s’il le faut, pour aller plus vire, et que nous commencions dès demain. »
    « 25 mars 1919
      Général Alby : La question du ravitaillement d’Odessa est posé par une série de télégrammes des généraux Berthelot et Franchet d’Espérey (...) nous oblige à trouver le moyen de nourrir, à Odessa et autour de cette ville, un million de personnes. Si nous ne pouvons pas le faire, il est inutile de songer à garder Odessa.
      En réponse à une question posée par M. Lloyd George sur les effectifs alliés à Odessa, le général Alby répond qu’ils s’élèvent à environ 25.000 hommes.
      Clemenceau (France) : Ce matin même, le général d’Espérey a demandé qu’on lui envoie pour Odessa des troupes polonaises d’Italie. (...)
      Général Alby : L’Italie est disposée à envoyer 7.000 Polonais (...) Les autorités russes d’Odessa demandent qu’on leur fournisse du pain à raison de 1.000 tonnes par semaine, (...) 15.000 tonnes de charbon par mois sont absolument nécessaires, sans quoi le danger d’une révolte de la population serait très grand. (...)
      Président Wilson : Je suis frappé, dans des dépêches qu’on nous a lues, de ces mots : « La population d’Odessa nous est hostile ». S’il en est ainsi, on peut se demander à quoi sert de garder cet îlot entouré, presque submergé par le bolchevisme. (...) Cela me confirme dans ma politique, qui est de laisser la Russie aux Bolcheviks – ils cuiront dans leur jus jusqu’à ce que les circonstances aient rendu les Russes plus sages - et de nous borner à empêcher le bolchevisme d’envahir d’autres parties de l’Europe.
      Lloyd George : J’ai entendu tout récemment M.Bratiano qui considère que ce qu’il y a de plus important à faire en Roumanie : 1° de nourrir la population 2° d’équiper l’armée 3° de donner la terre aux paysans. Ce sont des moyens intelligents et efficaces de préserver la Roumanie du bolchevisme. Mais devons-nous nous obstiner à garder Odessa, dont la population se soulèvera dès que les Bolcheviks feront leur apparition ? Il vaut mieux concentrer tous nos moyens de défense en Roumanie et établir là notre barrière contre le bolchevisme. (...) La population sibérienne est-elle favorable à Koltchak ou non ?
      Général Thwaites : Koltchak paraît soutenu par la population ; mais un mouvement de mécontentement et une tendance au bolchevisme se produisent dans la région occupée par les Japonais.
      Lloyd George : Si Odessa tombe, qu’arrivera-t-il ?
      Général Thwaites : Les Bolcheviks attaqueront immédiatement la Roumanie.
      Colonel Kish : (...) L’occupation d’Odessa par les Bolcheviks donnera en Russie l’impression d’une grande victoire remportée par eux sur les Alliés. L’événement serait donc important du point de vue moral. Mais c’est la seule raison sérieuse que nous ayons de garder Odessa. (...)
      Clemenceau : Le péril bolcheviste s’étend en ce moment vers le sud et vers la Hongrie ; il continuera à s’étendre tant qu’il ne sera pas arrêté ; il faut l’arrêter à Odessa et à Lemberg. (...)
      Maréchal Foch : Abandonner Odessa, c’est abandonner la Russie du sud, mais à vrai dire elle est déjà perdue et nous ne la perdrons pas une seconde fois..
      Clemenceau : je demanderai au Maréchal Foch s’il a un nom à nous fournir pour le général qui prendrait le commandement de l’armée roumaine. »
    « 26 mars 1919
      Loucheur : 30 milliards minimum est (...) ce que je crois sincèrement l’Allemagne capable de payer (...)
      Lloyd George : Si les dirigeants allemands arrivent à la conclusion que ce qu’ils ont de mieux à faire est d’imiter la Hongrie et de faire alliance avec les Bolcheviks, s’ils préfèrent le risque d’une anarchie de quelques années à une servitude de trente-cinq ans que ferons-nous ? (...) Si nous avions à occuper un pays très peuplé, comme la Westphalie, tandis que l’Allemagne autour de nous se relèverait ou serait agitée par un bolchevisme contagieux, quels ne seraient pas nos dépenses et nos risques ? (...) Ma conviction est que les Allemands ne signeront pas les propositions qu’on envisage (...) L’Allemagne passera au Bolchevisme. (...)
      Président Wilson : Je ne puis qu’exprimer mon admiration pour l’esprit qui se manifeste dans les paroles de M.Lloyd George. Il n’y a rien de plus honorable que d’être chassé du pouvoir parce qu’on a eu raison. (...) le gouvernement de Weimar est sans crédit. S’il ne peut rester au pouvoir, il sera remplacé par un gouvernement tel qu’il sera impossible de traiter avec lui. (...) Nous devons à la paix du monde de ne pas donner à l’Allemagne la tentation de se jeter dans le Bolchevisme, nous ne savons que trop les relations des chefs bolcheviks avec l’Allemagne.
      Clemenceau : J’approuve fondamentalement M.Lloyd George et M. Wilson, mais je ne crois pas qu’il y ait désaccord entre eux et M.Loucheur qui, en homme d’affaires expérimenté, se garderait bien de rien faire qui pût tuer la poule aux œufs d’or. (...) Nous avons raison de craindre le bolchevisme chez l’ennemi (les pays vaincus) et d’éviter d’en provoquer le développement, mais il ne faudrait pas le répandre chez nous-mêmes. (...) soit en France soit en Angleterre. Il est bien de vouloir ménager les vaincus, mais il ne faudrait pas perdre de vue les vainqueurs. Si un mouvement révolutionnaire devait se produire quelque part, parce que nos solutions paraîtraient injustes, que ce ne soit pas chez nous.
      Lloyd George : (...) Je sais quelque chose du danger bolcheviste dans nos pays ; je le combat moi-même depuis plusieurs semaines (...) Le résultat, c’est que des syndicalistes comme Smilie, le secrétaire général des mineurs, qui auraient pu devenir un danger formidable, finissent par nous aider à éviter un conflit. Les capitalistes anglais –dieu merci ! – ont peur, et cela les rend raisonnables. Mais en ce qui concerne les conditions de paix, ce qui pourrait provoquer une explosion du bolchevisme en Angleterre, ce ne serait pas le reproche d’avoir demandé trop peu à l’ennemi, mais celui de lui avoir demandé trop. L’ouvrier anglais ne veut pas accabler le peuple allemand par des exigences excessives. (...) De toutes manières, nous allons imposer à l’Allemagne une paix très dure : elle n’aura plus de colonies, plus de flotte, elle perdra 6 ou 7 millions d’habitants, une grande partie de ses richesses naturelles : presque tout son fer, une grande partie de son charbon. Militairement, nous la réduisons à l’état de la Grèce, et au point de vue naval, à celui de la République Argentine. Et sur tous ces points nous sommes entièrement d’accord. (...) Si vous ajoutez à cela des conditions secondaires qui puissent être considérées comme injustes, ce sera peut-être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. »
    « 27 mars 1919
      Président Wilson : Je ne crains pas dans l’avenir les guerres préparées par les complots secrets des gouvernements mais plutôt les conflits créés par le mécontentement des populations. (...)
      Maréchal Foch : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. En ce qui concerne particulièrement la Roumanie, les mesures nécessaires sont prévues en détail pour envoyer à son armée les effets et équipements qui lui manquent. Cette armée sera placée sous le commandement d’un général français. Vienne sera occupée par des troupes alliées sous un commandement américain. (...) Nous sommes d’accord sur l’aide à donner à l’armée roumaine et sur l’évacuation d’Odessa, qui est liée à notre actions en Roumanie. (...) Quant à l’idée d’opérer la jonction entre les forces polonaises et roumaines pour faire face à l’est, c’est le prélude d’une marche vers et cela nous conduit à la question d’une intervention militaire en Russie. Nous avons examiné cette question plus d’une fois et nous sommes chaque fois arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas penser à une intervention militaire. (...) L’évacuation d’Odessa est considérée comme le moyen de reporter des ressources, dont l’emploi à Odessa ne pouvait conduire à aucun résultat satisfaisant, sur la Roumanie pour compléter ses moyens de défense. (...)
      Maréchal Foch (chef des armées alliées) : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. (...) Contre une maladie épidémique, on fait un cordon sanitaire : on place un douanier tous les deux cent mètres et on empêche les gens de passer.
      Orlando (Italie) : Je demande la permission de lire deux télégrammes que nous recevons de notre commissaire italien à Vienne sur la situation. Le premier nous informe qu’on a reçu à Vienne une dépêche du gouvernement révolutionnaire de Budapest, invitant le prolétariat viennois à suivre l’exemple des Hongrois. Il a été décidé par les révolutionnaires viennois de former un conseil de travailleurs, de manière à les mettre en état de prendre le pouvoir (...) Le second télégramme (...) considère l’infiltration bolcheviste comme probable si la garde populaire n’est pas désarmée. Le gouvernement est faible, mais il suffirait, pour rétablir la situation, d’envoyer à Vienne deux régiments américains qui seraient reçus avec soulagement par la majorité de la population. Une déclaration des Alliés au sujet des approvisionnements produirait un effet utile mais ne servirait à rien si elle venait après le triomphe des bolchevistes.
      Général Diaz : Le bolchevisme est un mouvement populaire qui se manifeste partout où les vivres manquent et où l’autorité centrale est faible . (...) Son succès paraît lié aux succès du mouvement bolcheviste russe.. (...) la fermentation qui se produit actuellement n’a pas lieu seulement à Vienne, mais jusque dans les pays slovènes, partout en un mot où la population souffre de l’insuffisance du ravitaillement. En occupant Vienne fortement, on tient les voies de communication et on arrête ce progrès menaçant. Ce qu’il faut c’est donner aux populations l’impression que nous apportons des vivres, l’ordre et la sécurité. Sans cela elles se jetteront instinctivement du côté du désordre.
      Général Bliss : Le mot « bolcheviste » revient si souvent dans nos débats qu’évidemment il donne le ton à tout ce qui vient d’être dit. Si nous remplacions par le mot « révolutionnaire », ce serait peut-être plus clair. Le bolchevisme est la forme prise par le mouvement révolutionnaire dans les pays arriérés qui ont particulièrement souffert. D’ailleurs nous entendons dire, tantôt que le bolchevisme russe est un produit allemand, tantôt que c’est un mouvement essentiellement russe et qui, de l’est, vient envahir l’Europe. S’il était certain qu’il vient de Russie, c’est là évidemment qu’il faudrait le tuer. Mais le problème est plus difficile. Un cordon sanitaire pourrait arrêter les bolchevistes, mais non le bolchevisme, et pour en faire une barrière véritable, il faudrait déployer des forces très considérables depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. (...)
      Président Wilson : La question n’est-elle pas de savoir s’il est possible d’organiser une résistance armée contre le bolchevisme, ce qui veut dire : avons-nous, non seulement les troupes qu’il faut, mais les moyens matériels, et le sentiment public qui nous soutiendrait ? A mon avis, essayer d’arrêter un mouvement révolutionnaire par des armées en ligne, c’est employer un balai pour arrêter une grande marée. Les armées, d’ailleurs, peuvent s’imprégner du bolchevisme qu’elles seraient chargées de combattre. Un germe de sympathie existe entre les forces qu’on voudrait opposer. Le seul moyen d’agir contre le bolchevisme, c’est d’en faire disparaître les causes. (...) Une de ces causes est l’incertitude des populations au sujet de leurs frontières de demain, des gouvernements auxquels elles devront obéir, et, en même temps, leur détresse parce qu’elles manquent de vivres, de moyens de transport et de moyens de travail. (...) »
    « 28 mars 1919
      Président Wilson : Je crains beaucoup la transformation de l’enthousiasme en désespoir aussi violent que le bolchevisme qui dit : « il n’y a pas de justice dans le monde, tout ce qu’on peut faire c’est se venger par la force des injustices commises auparavant par la force. » (...)
    « 29 mars 1919
      Président Wilson : L’armistice nous autorise à envoyer des troupes en Pologne pour le maintien de l’ordre. Il faut bien faire comprendre aux Allemands que c’est dans ce but et pour protéger la Pologne des bolcheviks russes que les troupes du général Haller sont envoyées à Varsovie.
      Lloyd George : Il n’est pas de l’intérêt du gouvernement allemand de nous empêcher de former une barrière contre le bolchevisme. (...) Sachons prendre une décision ; ne faisons pas avec la Hongrie comme avec la Russie ; une Russie nous suffit. »

  • Lloyd George : «  Tout l’ordre politique, dans ses aspects politique, social, et économique, est mis en question par les masses d’un bout à l’autre de l’Europe. »

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