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L’enfance, le haut lieu de la violence sociale dans la société bourgeoise

jeudi 21 juin 2012, par Robert Paris

« On dit de l’enfance que c’est le temps le plus heureux d’une existence. En est-il toujours ainsi ? Non. Peu nombreux ceux dont l’enfance est heureuse. L’idéalisation de l’enfance a ses lettres d’origine dans la vieille littérature des privilégiés. Une enfance assurée de tout et, avec surcroît, une enfance sans nuage dans les familles héréditairement riches et instruites, toute de caresses et de jeux, restait dans la mémoire comme une clairière inondée de soleil à l’orée du chemin de la vie. Les grands seigneurs en littérature ou les plébéiens qui chantèrent les grands seigneurs ont magnifié cette idée de l’enfance toute pénétrée d’esprit aristocratique. L’immense majorité des gens, si seulement ils jettent un coup d’oeil en arrière, aperçoivent au contraire une enfance sombre, mal nourrie, asservie. La vie porte ses coups sur les faibles, et qui donc est plus faible que les enfants ?... »

Léon Trotsky - "Ma vie"

L’enfance, le haut lieu de la violence sociale dans la société bourgeoise

Nous propageons tous un mythe, celui de l’enfance heureuse. Il nous est nécessaire et, en même temps, ils nous détruit... Il est surtout nécessaire à la propagation et au maintien des normes de la société d’exploitation qui passe également, et même tout particulièrement, par les enfants pour s’entretenir.

On fait souvent croire que les enfants malheureux sont seulement les victimes d’affreux tortionnaires et c’est tout à fait faux. Ils sont souvent tout simplement les enfants de parents qui ont été des enfants malheureux et qui n’ont jamais pu surmonter les séquelles des violences (le plus souvent psychologiques plus que physiques) qu’ils ont subies...

Le but de ce texte n’est pas moral. Il ne s’agit pas d’accuser qui que ce soit, ni les parents, ni les enseignants ou éducateurs, ni aucun individu placé dans la machine à broyer, qui a été lui-même broyé et qui ne voit nullement comment il pourrait agir autrement qu’il le fait. L’objectif n’est ni d’améliorer l’éducation des enfants ni les relations parents-enfants ni de donner des remords à quelqu’un en lui suggérant d’agir autrement. Nous ne diffusons ici aucune méthode d’éducation et n’en discutons aucune. Les relations humaines d’une époque sont tributaires du niveau social des relations de classes et de leur évolution historique, bien plus que des aspirations et des conceptions des individus, qu’ils soient parents, éducateurs ou tout individu participant de cette société. Non, nous cherchons d’abord simplement à heurter un tabou, un mensonge social généralisé selon lequel tout serait fait dans nos sociétés pour le bonheur des enfants, tous les sacrifices seraient pour eux, parce que c’est au nom de ce mensonge qu’on propage la domination sociale au plus profond des consciences dans le sein du sein de la vie que l’on croit personnelle : dans la famille.

Il suffit de constater que des millions d’enfants ont été livrés à des prêtres pédophiles dans le plus grand silence général et continuent à l’être partout dans le monde pour voir que la société bourgeoise est d’une hypocrisie crasse sur cette question. Mais la violence faite aux enfants est très loin de se résumer à l’exploitation sexuelle, celle des religieux, des proxénètes ou de quelques malades ou dépravés.

Certains pensent qu’elle est surtout constituée par les violences des parents abusifs. Ils se trompent. Les coups ne sont pas ce qui martyrise le plus d’enfants. Les pressions morales peuvent être bien pires et marquer bien plus durablement et même empêcher le développement de la personne, l’empêcher de se construire, de prendre confiance en soi.

L’objectif donné aux parents de transformer leurs enfants en bêtes à concourir des examens est déjà une violence, avec chantage sentimental en cas d’insuccès, menaces sur leur avenir (dans leur propre intérêt bien entendu) et cela dès les plus petites classes. Le mépris en cas d’échec est d’une grande violence. Une fois de plus, redisons que nous ne reprochons ici rien moralement aux individus, ni aux parents, ni aux enseignants, ni à personne, nous essayons seulement de décrire un système de domination qui pénètre au plus profond des vies individuelles pour mieux se propager et s’enraciner.

Mais ce n’est encore qu’une petite partie des violences faites aux enfants sur lesquels porte tout l’effort de la société pour imposer ses valeurs et ses produits. Les adultes sont eux-mêmes des enfants qui ont souffert, n’ont pu surmonter les problèmes que cela leur a causé et qui les propagent ensuite à la génération suivante. Et c’est ainsi que le système social trouve dans les relations individuelles le moyen d’imposer ses normes. Cela n’a rien d’étonnant : avant que naisse l’Etat, la famille était l’instrument de l’oppression sociale. On peut sur ce thème lire ou relire le fameux ouvrage d’Engels sur l’origine de la famille.

L’enfance est le thème du mensonge le plus éculé de la société moderne. On entend partout dire qu’elle est mille fois protégée : par la famille, par l’école, par l’Etat, par sa justice, par sa police et on en passe, sans parler de la religion qui porte l’enfance au pinacle. Tout serait fait pour l’enfant dont on dit qu’il n’aurait jamais été aussi libre, ou aussi adulé ou aussi éduqué. Il y a dans ces quelques mots plus encore de contrevérités. L’enfance est, plus que jamais, le moment où s’exerce la violence la plus insidieuse de la société bourgeoise, de ses valeurs, de sa hiérarchie sociale, de ses préjugés, de son fric, de sa marchandisation du monde.

Loin d’être un lieu sûr, une protection de l’enfance, la famille est un moyen sûr de transmission de cette oppression et de cette violence individuelle et sociale. Pas plus que l’Etat n’est né pour protéger les citoyens, la famille n’a pas été instituée pour protéger l’enfant mais pour donner charge aux parents de rendre l’enfant adapté aux critères sociaux et aux lois des oppresseurs.

Bien sûr, tout cela n’empêche pas chaque parent de penser qu’il a tout fait pour ses enfants et chacun le pense vraiment et même l’a vraiment fait en le croyant. Quand on propage l’idéologie sociale, on croit toujours agir librement et en fonction de ses propres valeurs, et, bien entendu, on croit agir dans l’intérêt de ses proches.

Certes, j’entends déjà certains réagir : on n’est plus à l’époque où on envoyait les enfants de pauvres travailler dans les mines de charbon ! Aujourd’hui, ils sont éduqués, ont des jouets à foison, sont bien traités, etc. Mensonge ! L’essentiel du monde envoie les enfants de pauvres trier les déchets des immenses poubelles à ciel ouvert et aussi dans les mines d’uranium ou d’or… Au vu au su de tout le monde, des enfants sont objets de commerce sexuel et certaines villes sont même des centres touristiques internationaux grâce à ce commerce là. Citons par exemple certaines villes d’Asie mais aussi Marrakech au Maroc. Tout le monde "civilisé" félicite pourtant ces villes de leur succès !

Mais l’exploitation du travail des enfants n’est pas la principale violence qu’ils subissent. Les enfants de riches peuvent être aussi opprimés et subir autant de violences psychologiques que les enfants de pauvres, et même éventuellement plus... Leur mise aux normes de la société bourgeoise est bien pire. Leur transformation en acheteurs, en consommateurs des produits imposés par les normes économiques du moment, leur transformation en propagateurs des goûts sociaux imposés par les média, la publicité, les trusts, la société et l’Etat, leur utilisation pour ses campagnes de propagande de manière insidieuse au travers des films, toutes ces méthodes ont été développées massivement et ne sont nullement combattues par les autorités, au contraire. Le conformisme social, qui est instrument essentiel de toute société d’exploitation, a été rationalisé et développé à l’extrême par la société bourgeoise et son moment essentiel est justement l’enfance. C’est le moment où l’individu a le moins les moyens de se défendre, est le plus malléable et ignore le plus les buts de cette société, y compris a le moins de moyens face aux adultes dont ses propres parents. C’est non seulement le moment où ces derniers croient devoir lui imposer leur croyance religieuse mais aussi le moment où, qu’ils le veuillent ou pas, ils vont devoir lui imposer la croyance en cette société, l’acceptation de tout ce que, spontanément, l’enfant pourrait rejeter. Par exemple, pourquoi on laisse cette vieille dame par terre dans la rue ? Pourquoi on ne l’amènerait pas chez nous, à la maison ? Les enfants posent des questions dérangeantes, n’est-ce pas ?

L’éducation des enfants est d’abord répression. Il s’agit d’imposer des buts, des centres d’intérêt, des méthodes, d’occuper les esprits, de ne pas les laisser rêver, imaginer, chercher sa voie...

La sexualité des enfants est spontanée et innocente, mais dénoncée par les adultes qui imposent par contre leur vision de la place de l’homme et de la femme. Pour ceux qui ne voient pas où se situe cette propagande destinée aux enfants je conseille l’un des derniers films pour enfants de Disney. Voir ici

De nombreux enfants ont subi des situations éprouvantes qui vont handicaper leur sexualité et leur vision d’eux-mêmes durablement sans que les parents soient conscients du rôle qu’ils ont joué pour cela. Les raisons sont multiples. Il y a d’abord les préjugés et notamment le tabou, que les parents croient devoir défendre devant les enfants pour tout ce qui est sexuel. L’interdit qui est juste est bien entendu le tabou de l’inceste. Par contre, cela ne va pas jusqu’à s’interdire de permettre aux enfants d’entendre parler de l’amour et de la sexualité à la maison et en dehors. Ensuite, la situation éprouvante pour les enfants est tout simplement de ne pas être souhaité, de ne pas être aimé ou d’être l’enfant de parents qui ne s’aiment pas et propagent cette maladie de la relation sans amour à leur enfants, détruisant parfois leur confiance dans la relation homme/femme. Toutes ces situations sont des violences. Par exemple, on peut aisément traiter de violence le fait qu’un enfant perçoive qu’il est un poids lourd aux yeux de ses parents. La violence entre ses parents est bien entendu une autre cause de souffrance pour l’enfant. L’utilisation de l’enfant pour régler les problèmes entre les parents est encore une source de souffrance pour l’enfant, par exemple pour l’enfant chargé par sa présence d’empêcher l’un des conjoints de continuer à imposer des relations non souhaitées.

On ne peut pas parler des violences subies par les enfants sans parler de celles subies par les adultes. L’oppression de la femme, le manque de liberté des relations homme/femme sont des causes directes de violences subies par les enfants, notamment de naissances non souhaitées ou qui ne surviennent pas par amour.

Bien des gens pensent que tout cela ne dépend que des mœurs et n’a rien à voir avec l’existence d’une société de classe et avec l’exploitation qu’ils taxent d’économique. Ils se trompent. Les mœurs dépendent de l’état social et de l’histoire de la lutte des classes. C’est le cas des relations hommes/femmes. Chacun sait qu’elles ne sont pas les mêmes d’une région à une autre mais cela provient du fait que différentes régions ont eu différentes histoires de la lutte des classes. Chacun sait aussi que les mœurs changent d’une époque à une autre, même pour une culture et une société donnée. Là aussi, l’histoire entraîne des changements des rapports de classe et ceux-ci influent sur les relations homme/femme. Et, comme nous le disions plus haut, c’est l’état de ces relations qui entraîne des violences plus ou moins grandes à l’égard des enfants.

Les violences entre enfants sont à l’image des modes de domination de la société des adultes et font certainement autant de mal sinon plus que les violences entre adultes et enfants.

On ne peut prétendre libérer les enfants de ces violences sans remettre en cause l’oppression sociale, l’oppression sexuelle sous toutes ses formes et l’oppression des femmes. Les enfants ne sont nullement dans un monde à part. Ils concentrent en eux, au contraire, toutes les souffrances des adultes, même quand ils l’ignorent eux-mêmes.

Les sociétés fondées sur l’exploitation de l’homme par l’homme auront toujours besoin de l’oppression de la femme et d’autant plus que l’exploitation est menacée par ses propres contradictions. Plus la femme est opprimée, plus l’enfant subit de violences de toutes sortes. Ce sont des lois que l’on a constaté dans toutes les sociétés et toutes les régions du monde. On ne peut se contenter de « sauver les enfants » car nous sommes tous des enfants.

Messages

  • La chasse à l’enfant de Jacques Prévert :

    Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
    Au-dessus de l’île, on oit des oiseaux. Tout autour de l’île il y a de l’eau.
    Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
    Qu’est-ce-que c’est que ces hurlements ?
    Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
    C’est la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l’enfant.
    Il avait dit j’en ai assez de la maison de redressement et les gardiens à coup de clefs lui avaient
    brisé les dents et puis ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
    [...]
    C’est la meute des honnêtes gens
    Qui fait la chasse à l’enfant. Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis. Tous les braves gens s’y
    sont mis. Qu’est-ce qui nage dans la nuit ? Quels sont ces éclairs ces bruits ? C’est un enfant qui
    s’enfui. On tire sur lui à coups de fusil.
    Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

  • La défense de l’enfance par le monde capitaliste, c’est les Thénardiers à l’œuvre.

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