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Le dernier poilu ou la dernière boucherie guerrière ?

mercredi 12 mars 2008, par Robert Paris

A bas la boucherie d’hier ....

sans oublier de condamner les boucheries actuelles (Irak, Afghanistan, ...)

et en se préparant à combattre les boucheries futures issues des mêmes crises du système capitaliste !

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Le gouvernement français prétend se servir de la mort des derniers "poilus" (les soldats de la guerre mondiale de 1914-1918) pour justifier le sacrifice de générations de jeunes « pour défendre la France ».

Les deux derniers poilus, eux, n’avaient nullement cautionné ces guerres impérialistes :

* Lazare Ponticelli déclarait :
« Tous ces jeunes tués, on ne peut pas les oublier. Je tire sur toi, je ne te connais pas. Si seulement tu m’avais fait du mal…"
"Cette guerre, on ne savait pas pourquoi on la faisait. On se battait contre des gens comme nous."
« Vous tirez sur des pères de famille, c’est complètement idiot la guerre".
« Je n’ai jamais oublié mes camarades, morts dans cette horreur de la guerre. »
« Nous étions dans les tranchées, à quelques mètres de l’armée autrichienne. On en venait même à échanger nos boules de pain contre leur tabac. »

* Louis Cazenave affirmait :
"Il faut avoir entendu les blessés entre les lignes, criblés d’éclats d’obus. Ils hurlaient, appelaient leurs mères, suppliaient qu’on les achève. Et on ne pouvait pas bouger pour aller les sortir. Les Allemands, on les retrouvait quand on allait chercher de l’eau au puits. On discutait. Ils étaient comme nous, ils en avaient assez."
Le patriotisme ? "De la fumisterie, un moyen de faire gober n’importe quoi !"
La guerre ? "Aïe, aïe, aïe ! Un truc absurde, inutile ! A quoi ça sert de massacrer des gens ? Rien ne peut le justifier, rien !"

Quand est-ce que l’on enterre cette société qui produit les guerres ?

Anatole France disait :
« On croit mourir pour la patrie et on meurt pour les banquiers. »

Et Jaurés déclarait :
« Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage. »

Lénine expliquait dans la préface de "L’impérialisme, stade suprême du capitalisme" :

"La guerre de 1914-1918 a été de part et d’autre une guerre impérialiste (c’est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage), une guerre pour le partage du monde, pour la distribution et la redistribution des colonies, des "zones d’influence" du capital financier, etc.

Car la preuve du véritable caractère social ou, plus exactement, du véritable caractère de classe de la guerre, ne réside évidemment pas dans l’histoire diplomatique de celle-ci, mais dans l’analyse de la situation objective des classes dirigeantes de toutes les puissances belligérantes. Pour montrer cette situation objective, il faut prendre non pas des exemples, des données isolées (l’extrême complexité des phénomènes de la vie sociale permet toujours de trouver autant d’exemples ou de données isolées qu’on voudra à l’appui de n’importe quelle thèse), mais tout l’ensemble des données sur les fondements de la vie économique de toutes les puissances belligérantes et du monde entier."

Rappelons aussi le discours des classes dirigeantes :

"La catastrophe de 1914 est d’origine allemande. Il n’y a qu’un menteur professionnel pour le nier".
Georges Clemenceau, Grandeurs et misères d’une victoire

Peut-on se permettre de faire comme si les "poilus" étaient morts pour quelque chose, pour faire en sorte qu’on soit aujourd’hui en paix, alors que la France est en guerre actuellement :

 en Afghanistan
 aux côtés des dictateurs comme Idriss Déby au Tchad

Elle soutient de nombreuses guerres locales sans même que la population française soit informée de ces conflits et de l’implication de l’Etat français. C’est le cas par exemple au Zaïre. Des contingents français occupent de nombreux pays comme le Liban.

N’oublions pas le génocide du Rwanda effectué sous la direction du pouvoir français (gauche et droite réunie) et qui a reçu la bénédiction du parlement français (commission Quilès).

N’oublions pas que si l’Europe se targue d’avoir maintenu la paix de longues années après avoir été le théâtre de trois guerres internationales successives, c’est encore une fois mensonger puisque les principaux pays européens ont été impliqué dans les différents camps de la guerre de Yougoslavie.

Tout discours prétendant que le régime capitaliste peut être en paix est un discours mensonger.

Tout discours qui prétend que les Etats, que les armées, que les gouvernants sont là pour sauver la paix est un discours mensonger.

La cause des guerres aujourd’hui c’est la recherche du profit capitaliste, c’est la course aux matières premières, aux marchés, au contrôle des régimes. Aujourd’hui comme hier, le capitalisme mène à la crise économique générale et du coup à la guerre mondiale.

On n’en finira jamais avec les guerres par des cérémonies du souvenir mais en œuvrant au changement de cette société dépassée.

Léon Trotsky

La famille Declerc

novembre 1915

Jules Declerc est à la guerre depuis novembre dernier ; il a quarante cinq ans, et dans le civil il était contrôleur de tramway. S’il avait été simple soldat, il serait resté avec sa classe quelque part, à l’arrière, à un poste d’auxiliaire. Mais pour le malheur de sa femme et pour le sien propre, il est sergent et il a été envoyé sur le front. Aujourd’hui ses galons lui coûtent cher, dit sa femme. Les premières semaines, il les a passées presque tout le temps au milieu des combats ; ensuite il a été dans les tranchées, et dans ces derniers mois sous Toul.

Madame Declerc est une belle femme, avec un frais visage au fin profil et des cheveux gris. Elle attend son mari en permission de quatre jours ; elle l’attend silencieusement, opiniâtrement . Sa voisine, Madame Richard, porteuse de pain, attendait aussi le sien, mais Richard a été tué par un boulet perdu, loin derrière la ligne de feu, à la veille de son départ pour la maison.

Au troisième mois de la guerre, ses petites économies commençait à s’épuiser, Madame Declerc se mit à travailler comme femme de ménage, et son propre ménage à elle passa du coup au second plan. Les enfants vont à l’école et y reçoivent un repas. Pendant les trois dernières semaines, le fils aîné Marcel, douze ans, visage pâle, coiffé d’un vieux béret, demande chaque jour à sa mère en revenant de l’école : « Et papa, est-il arrivé ? » et s’entend répondre une fois de plus que non ..., mais, pour sûr, bientôt, d’un jour à l’autre.

Madame Declerc a reçu de Paris une lettre de sa sœur aînée qui lui annonce la mort de son fils. Il avait vingt ans, il s’était marié en avril, il était parti à la guerre an août. « Ah ! quel bon garçon c’était. Il ne ressemblait à aucun autre... » dit Madame Declerc en pleurant à chaudes larmes... « Ma sœur est souvent malade et l’enfant est resté un certain temps chez nous ; nous l’aimions comme un fils ». Il avait été tué par une balle de schrapnell, légèrement sans doute, à la tête, un de ses amis l’avait porté au poste de secours. A ce moment même, éclata un obus qui blessa l’ami et tua le blessé. « On ne peut pas l’oublier, monsieur, il ne ressemblait à personne... »

Le lendemain du jour où arriva la nouvelle de la mort de Richard, Madame Declerc fut en retard d’un quart d’heure au travail et, en s’excusant expliqua à sa patronne : « C’est que, Madame, nous n’avons pas dormi pendant cette nuit. » « Nous » c’étaient les autres, celles qui étaient veuves et celles qui vivaient dans la crainte perpétuelle du veuvage. Elles se rassemblaient par groupes chez chaque nouvelle veuve ou auprès de chaque mère privée de son enfant pour passer la nuit avec elle, se souvenir et pleurer la plupart en deuil, avec de petits portraits du mari ou du fils, en broche sur la poitrine. Elles se repaissaient ensemble de leur malheur, de sa fatalité, de son universalité, et le matin suivant elles retournaient au travail.

C’est dans cette atmosphère d’angoisse, de nuits blanches et de labeur que Madame Declerc attend silencieusement, opiniâtrement son mari. « Non, non, dit-elle, aux instants de désespoir, aucun homme ne reviendra de la guerre, aucun. »

A la fin d’octobre, le pâle Marcel, dans son long pardessus qui sera encore bon l’année prochaine, revient à cinq heures du soir de l’école, par la grande rue, quand tout à coup, le petit marchand de légumes lui jette : « Cours ton père est revenu. »

Les mots lui sonnent aux oreilles et il court, repoussant de ses jambes maigres les pans interminables de son manteau. « Marcel, ton père est arrivé » lui crie Madame Richard en traversant la rue. Marcel, tout pâle, fait rapidement un signe de tête et, la main tachée d’encre, appuyé sur sa poitrine, il continue à courir. Le fruitier, l’homme le plus gros de Sèvres, est sur le pas de sa porte (son poids l’a sauvé du service militaire), il voit courir Marcel et lui crie d’un ton encourageant : « dépêche-toi, ton père t’attend ». Marcel veut courir encore plus vite, mais impossible : son cœur bat, ses oreilles sonnent et ses jambes ne veulent plus bouger. Il pleure doucement, serre ses doigts tachés d’encre sur sa poitrine et chuchote : « Me voilà, papa, me voilà, cher, cher papa, me voilà.. ; » Il pleure et il rassemble ses dernières forces pour monter en courant la côte.

Le sergent Declerc est en effet arrivé, enfin, en permission de quatre jours. Comme les autres, on l’a envoyé pendant cent heures dans la vie de famille, dans la vie pacifique, à condition de revenir au jour fixé. En pleine nuit, les permissionnaires de toutes armes sont montés dans un train sombre, sans lumière, à quelques kilomètres de la ligne de feu ; éreintés, ils se sont assis ou couchés sur les banquettes ou par terre et peu après ils se sont endormis à la cadence mesurés des wagons. Ensuite ils se sont groupés dans les gares régulatrices en petites sociétés de « pays ». Le lien du front est rompu pour le moment, celui du pays est rétabli ; on cause patois. Plus ils s’éloignent du front, plus le calme les assourdit. Declerc, avec le groupe le plus nombreux, descend à Paris.

Au moment de son arrivée, la femme était au travail, Marcel à l’école et seulement les deux petits, sous la surveillance de la sœur aînée, étaient à la maison. Le sergent embrassa les enfants, jeta un coup d’œil autour de lui et ressentit en lui-même certaine joie inquiète mélangée d’étonnement. Madame Declerc revint chez elle, ne sachant rien, fatiguée de croire et d’espérer, et cinq minutes après la joyeuse rencontre, une angoisse lancinante s’était emparée d’elle ; dans quatre jours, il faudra qu’il regagne le front.

Le sergent est très calme, ne se plaint de rien et sa femme s’étonne et s’effraie. Elle a l’impression de ne pas trouver le chemin de son cœur et le caractère éphémère de l’entrevue lui en devient plus douloureux ; on se croirait au carrefour de deux vies divergentes. Il est très économe Declerc, et non seulement il n’a pas une seule fois demandé d’argent, mais encore il a économisé sur sa solde de sergent ; il apporte à la maison une petite somme avec des cadeaux pour les enfants.

Tranquillement, comme assourdi encore par le calme qui l’entoure, il raconte les tranchées allemandes, qui étaient si près qu’on pouvait converser, le soir d’une ligne à l’autre presque sans élever la voix. Mais c’était défendu... On ne voit pas la fin de la guerre, c’est à dire qu’on ne voit dans les événements aucun indice de cette fin.

D’une voix rabaissée et lointaine — sa femme ne lui connaissait pas encore une voix pareille — le sergent raconte les grenades à main et les mines ; les gaz asphyxiants et les liquides enflammés, les fils barbelés... et Madame Declerc l’écoute les yeux fixes, croyant à peine avoir devant elle son vieux Jules, qu’il ait pu vivre et agir ainsi ; de temps en temps, elle le prend par la manche en disant :
« Non, je ne te verrai plus jamais, tu ne reviendras plus me voir. » Le sergent ne confirme ni n’infirme ; il lisse doucement ses cheveux tôt blanchis et regarde de côté.

Une fois dans l’obscurité, Marcel entendit une conversation de ce genre ; il grimpa sur les genoux du père, comme un pauvre petit chien faible, prit dans ses deux mains une des grosses mains et se mit à embrasser cette chère et rude main, avec une indéfinissable expression de désespoir muet que quelque chose de chaud mouilla les doigts du sergent.

Le lendemain de son arrivée, le sergent, bien lavé et rasé de frais, rendit visite à ses parents et amis. Les femmes l’assiègent de questions troublantes sur la guerre et sur la fin, le regardant comme s’il pouvait donner tout de suite une réponse décisive. Chaque fois, Declerc se troublait, se rappelant les instructions du capitaine au moment du départ en « perm » : Ne rien dire, et il répondait de façon évasive : « Nous espérons », en évitant le coup d’œil de ses interlocuteurs. Les femmes hochaient la tête et se taisaient.

Les quatre jours passèrent vite. Les voici déjà assis dans le wagon côte à côte, le sergent Declerc et sa femme. Elle l’accompagne jusqu’à Paris, lui tient le bras et le fixe dans les yeux. Une tendresse aiguë anime son regard et ses doigts. Lui est renfermé, comme distrait. Il lui répond brièvement, d’un ton presque indifférent et regarde surtout par la fenêtre. Parfois seulement, quand leurs regards se croisent, un sourire reconnaissant glisse sur son visage et disparaît. Il ne veut pas céder à l’émotion ; par la pensée, il est déjà là-bas.

A Paris, il faut aller à la gare du Nord. C’est là qu’on timbre le titre de permission, et voilà de nouveau Declerc embrigadé, détail infime, dans la grande machine de guerre : Sèvres, la femme et Marcel sont couverts pour lui d’un rideau de fumée. D’un air distrait il dit adieu à sa femme sous les yeux des autres permissionnaires et assis avec eux dans son compartiment le voilà définitivement replongé corps et âme dans l’atmosphère de la zone des armées.

Madame Declerc a remis dans l’armoire sa robe des dimanches, sa bague et sa chaîne qu’elle avait mises pour son mari, et elle recommence à monter les cent-quarante marches du coteau pour aller au travail ? Et déjà quelques jours plus tard, avec crainte et espérance, elle guettait des yeux le facteur. Les sombres nouvelles se succèdent. L’épicier de la riche boutique du coin est mort, son commis est blessé, le frère cadet du patron du magasin de jouets a eu la jambe enlevée. De plus en plus souvent les femmes en deuil se rassemblent la nuit, et elles en comptent déjà soixante-dix qui ne reviendront plus à Sèvres.

Marcel porte soigneusement le nouveau béret qu’on lui a fait avec l’ancien képi du sergent. Après le départ de son père ses paupières sont longtemps restées rouges, les taches sombres qu’il a sous les yeux sont plus profondes que jamais.

Sèvres, novembre 1915
L. TROTSKY.

Texte publié dans la « Kievskaya Mysl » en 1915, puis dans l’« Humanité » le 22 janvier 1922.

La fin des guerres impérialistes, c’est la révolution sociale.

Extrait de la "La lutte contre la deuxième guerre impérialiste mondiale" de Barta

"L’impérialisme, base de la guerre.

"Qu’est-ce que l’impérialisme (le capitalisme des monopoles né de la libre concurrence) ?

"L’impérialisme, c’est la mainmise du capital financier (monopoles, trusts) sur l’économie mondiale. Cette mainmise s’est accomplie de la manière suivante : les pays arrivés les premiers au stade industriel cherchèrent des débouchés et des matières premières sur les autres continents, retardataires économiquement : Afrique, Asie, Amériques, etc… L’Angleterre et plus tard la France s’emparèrent des colonies, du dix-septième au dix-neuvième siècle. Quand d’autres pays devinrent industriels, l’Allemagne, le Japon, etc... Ils ne trouvèrent plus que des miettes. Cette situation leur était d’autant plus intolérable que leur puissance industrielle, basée sur une technique plus avancée, dépassait celle de leurs rivaux. C’est au début du vingtième siècle que le capitalisme de la libre concurrence se transforma en capitalisme des monopoles, c’est-à-dire que le globe acheva d’être partagé en sphères d’influence et possessions des pays capitalistes « avancés ».

Les impérialismes tard venus, « affamés », ne peuvent donc plus obtenir des débouchés et des matières premières qu’au détriment des sphères d’influence et possessions des vieux impérialismes « repus ». En 1914 éclata la première guerre mondiale pour le repartage du globe. Elle tourna à l’avantage des impérialismes « repus », mais ceux-ci durent cependant céder le pas devant un jeune rival qui avait décidé de la victoire : les Etats-Unis.

« La force change différemment chez ces participants du partage, car il ne peut y avoir en régime capitaliste de développement égal des entreprises, des trusts, des branches d’industrie, des pays (Lénine). Bientôt le Traité de Versailles, imposé par l’Entente, devint caduc, l’Allemagne écrasée se relève rapidement, et d’autre part, les rapports de forces dans le monde changent complètement. Voilà sur quelle base surgit la deuxième guerre mondiale pour le deuxième repartage du globe. La comédie de la « révision pacifique » n’était destinée précisément qu’à cacher ce fait capital aux yeux des peuples.

L’impérialisme, oppresseur des peuples.
« Ce qui est essentiel pour l’impérialisme », dit encore Lénine, « c’est la rivalité de plusieurs grandes puissances tendant à l’hégémonie, c’est-à-dire à la conquête de territoires, non pas tant pour elles-mêmes que pour affaiblir l’adversaire et saper son hégémonie ».

C’est uniquement dans le but impérialiste d’affaiblir son rival que l’Angleterre se flatte de libérer le continent de la domination allemande, et que l’Allemagne annonce la libération de l’Egypte, de l’Inde, du monde arabe, etc..., de l’oppression anglaise. Malgré leurs phrases sur la libération des peuples opprimés par d’autres qu’eux-mêmes, les pays impérialistes en lutte font en réalité un front unique contre la liberté des peuples. Si l’Allemagne voulait réellement libérer les Indes, ce n’est pas Gandhi qu’elle exalterait comme promoteur de cette libération, car l’homme qui se trouve à la tête de la « désobéissance passive » n’est que l’agent des lords pour briser ce mouvement.

L’internationalisme
« Les alliances pacifiques préparent la guerre et surgissent à leur tour de la guerre, se conditionnant l’une l’autre, engendrant les alternatives de lutte pacifique et non pacifique sur une seule et même base, celle des liens et rapports impérialistes entre l’économie et la politique mondiale » (Lénine).

Tant que subsiste l’impérialisme (le capitalisme des monopoles) la paix n’est qu’une trêve entre deux guerres. La lutte pour la paix se transforme ainsi en lutte contre le capitalisme impérialiste."

Lettres de "poilus" de la guerre de 1914-1918 :

Verdun,
Le 18 mars 1916,
Ma chérie,
Je t’écris pour te dire que je ne reviendrai pas de la guerre. S’il te plaît, ne pleure pas, sois forte. Le dernier assaut m’a coûté mon pied gauche et ma blessure s’est infectée. Les médecins disent qu’il ne me reste que quelques jours à vivre. Quand cette lettre te parviendra, je serai peut-être déjà mort. Je vais te raconter comment j’ai été blessé.
Il y a trois jours, nos généraux nous ont ordonné d’attaquer. Ce fut une boucherie absolument inutile. Au début, nous étions vingt mille. Après avoir passé les barbelés, nous n’étions plus que quinze mille environ. C’est à ce moment-là que je fus touché. Un obus tomba pas très loin de moi et un morceau m’arracha le pied gauche. Je perdis connaissance et je ne me réveillai qu’un jour plus tard, dans une tente d’infirmerie. Plus tard, j’appris que parmi les vingt mille soldats qui étaient partis à l’assaut, seuls cinq mille avaient pu survivre grâce à un repli demandé par le Général Pétain.
Dans ta dernière lettre, tu m’as dit que tu étais enceinte depuis ma permission d’il y a deux mois. Quand notre enfant naîtra, tu lui diras que son père est mort en héros pour la France. Et surtout, fais en sorte à ce qu’il n’aille jamais dans l’armée pour qu’il ne meure pas bêtement comme moi.
Je t’aime, j’espère qu’on se reverra dans un autre monde, je te remercie pour tous les merveilleux moments que tu m’as fait passer, je t’aimerai toujours.
Adieu
Soldat Charles Guinant

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Lettre d’Henri Floch fusillé pour l’exemple à Vingré. Le caporal Henri Floch était greffier de la justice de paix à Breteuil.

Ma bien chère Lucie, Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.

Voici pourquoi : Le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.

Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans.

Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre...

Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.

Je vais me confesser à l’instant, et j’espère te revoir dans un monde meilleur. Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité

Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout. Henri Floch

Le 30 mai 1917

Léonie chérie
J’ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu’elle t’arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd’hui témoigner de l’horreur de cette guerre.

Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique. Aujourd’hui, les rives de l’Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n’est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne. En plus des balles, des bombes, des barbelés, c’est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s’écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l’odeur est pestilentielle.
Tout manque : l’eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide ! Un seul repas de nuit et qui arrive froid à cause de la longueur des boyaux à parcourir. Nous n’avons même plus de sèches pour nous réconforter parfois encore un peu de jus et une rasade de casse-pattes pour nous réchauffer.
Nous partons au combat l’épingle à chapeau au fusil. Il est difficile de se mouvoir, coiffés d’un casque en tôle d’acier lourd et incommode mais qui protège des ricochets et encombrés de tout l’attirail contre les gaz asphyxiants. Nous avons participé à des offensives à outrance qui ont toutes échoué sur des montagnes de cadavres. Ces incessants combats nous ont laissé exténués et désespérés. Les malheureux estropiés que le monde va regarder d’un air dédaigneux à leur retour, auront-ils seulement droit à la petite croix de guerre pour les dédommager d’un bras, d’une jambe en moins ? Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme et inutile boucherie.
Le 16 avril, le général Nivelle a lancé une nouvelle attaque au Chemin des Dames. Ce fut un échec, un désastre ! Partout des morts ! Lorsque j’avançais les sentiments n’existaient plus, la peur, l’amour, plus rien n’avait de sens. Il importait juste d’aller de l’avant, de courir, de tirer et partout les soldats tombaient en hurlant de douleur. Les pentes d’accès boisées, étaient rudes .Perdu dans le brouillard, le fusil à l’épaule j’errais, la sueur dégoulinant dans mon dos. Le champ de bataille me donnait la nausée. Un vrai charnier s’étendait à mes pieds. J’ai descendu la butte en enjambant les corps désarticulés, une haine terrible s’emparant de moi.
Cet assaut a semé le trouble chez tous les poilus et forcé notre désillusion. Depuis, on ne supporte plus les sacrifices inutiles, les mensonges de l’état major. Tous les combattants désespèrent de l’existence, beaucoup ont déserté et personne ne veut plus marcher. Des tracts circulent pour nous inciter à déposer les armes. La semaine dernière, le régiment entier n’a pas voulu sortir une nouvelle fois de la tranchée, nous avons refusé de continuer à attaquer mais pas de défendre.
Alors, nos officiers ont été chargés de nous juger. J’ai été condamné à passer en conseil de guerre exceptionnel, sans aucun recours possible. La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l’exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d’obtempérer. En nous exécutant, nos supérieurs ont pour objectif d’aider les combattants à retrouver le goût de l’obéissance, je ne crois pas qu’ils y parviendront.
Comprendras-tu Léonie chérie que je ne suis pas coupable mais victime d’une justice expéditive ? Je vais finir dans la fosse commune des morts honteux, oubliés de l’histoire. Je ne mourrai pas au front mais les yeux bandés, à l’aube, agenouillé devant le peloton d’exécution. Je regrette tant ma Léonie la douleur et la honte que ma triste fin va t’infliger.
C’est si difficile de savoir que je ne te reverrai plus et que ma fille grandira sans moi. Concevoir cette enfant avant mon départ au combat était une si douce et si jolie folie mais aujourd’hui, vous laisser seules toutes les deux me brise le cœur. Je vous demande pardon mes anges de vous abandonner.
Promets-moi mon amour de taire à ma petite Jeanne les circonstances exactes de ma disparition. Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l’exemple est réhabilitée, mais je n’y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre.
Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage car la France nous a trahi et la France va nous sacrifier.
Promets-moi aussi ma douce Léonie, lorsque le temps aura lissé ta douleur, de ne pas renoncer à être heureuse, de continuer à sourire à la vie, ma mort sera ainsi moins cruelle. Je vous souhaite à toutes les deux, mes petites femmes, tout le bonheur que vous méritez et que je ne pourrai pas vous donner. Je vous embrasse, le cœur au bord des larmes. Vos merveilleux visages, gravés dans ma mémoire, seront mon dernier réconfort avant la fin.

Eugène ton mari qui t’aime tant

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"Le 13 septembre 1916,

Mon cher Gérard,

Je viens de recevoir ton aimable babille et suis heureux que tu est pû avoir une petite permission pour voir ton deuzième enfant. Quant a moi je suis toujours en prévention et compte passé Samedi en conseil. Je ne sais ce qu’ils font me faire, mais s’ils veulent me faire plaisir, ils n’ont qu’a me fusiller car j’en est assez de cette injustice. Je suis la victime d’un de mes chers lieutenant, mais si malheureusement après ma condamnation je suis victime d’une autre insolent comme celui-ci je ne sais trop a qui je irais car je suis a bout. En plus de cela ma mère est au lit, et je craints une issue fatale pour elle. C’est elle qui me retient quand elle n’existera plus, moi seule déciderait du reste, car la patience est à bout. J’aurais bien fait venir le député de chez nous qui est bon avocat et qui ne s’en serait que fait un plaisir, mais j’est peur que ma mère vienne à l’apprendre. Enfin si je suis condamné injustement je n’esiterai pas a le faire venir car ma vie civile pourrait être atteinte par l’injustice militaire. Enfin j’espère que tu as passer trois jours heureux et que toute ta famille est en bonne santé. Si tu me r’écrit pas avant samedi voila mon adresse : Prévoté de 12ème division Section Postale C° 33e. Quand a la vie militaire tu as une idée si je veux rester au régiment je ne peux te dire ce que j’en pense sur cette carte du régiment mais mon vieux avoir enduré ce que j’est enduré pendant trois mois a cause d’une manille tu doit savoir ce que j’en pense. N’as tu plus eu des nouvelles de Chabal et de Rouzey, sont-ils bien été tué ? Je te serre une cordiale poignée de mains et t’envoi mes meilleurs souvenirs pour ta famille.

Ton Poteau, Gabriel C."

Les fusillés « pour l’exemple »

Pendant la Première Guerre mondiale, en France 2 400 « poilus » auront été condamnés à mort et 600 fusillés pour l’exemple [1], les autres voyant leur peine commuée en travaux forcés. Ces condamnations ont été prononcées pour refus d’obéissance, mutilations volontaires, désertion, Délit de lâcheté ou mutinerie (en 1917).
Les exécutions sommaires
Cette estimation de 600 fusillés pour l’exemple ne prend pas en compte les exécutions sommaires. Celles ci sont relatées dans les carnets de guerre des soldats. Ainsi les Mémoires d’un troupier d’Honoré Coudray du 11e bataillon de chasseurs alpins explicite les exécutions sommaires auxquelles il a assisté :
 En juillet 1916, un chasseur est accusé de dévaliser les morts, blessé par les artilleurs, il est abattu par son commandant. Coudray commente "le taré P.... a trouvé un moyen rapide de suppléer au conseil de guerre,....aucun interrogatoire, aucune enquête". Pour masquer son crime, le commandant inscrira la victime dans la liste des morts au champs d’honneur.
 En octobre 1916, un jeune chasseur de la classe 1915, paniqué, fuit le front pendant un bombardement. Le commandant le convoque : "monte sur le parapet", le commandant le suit et le tue d’une balle dans la tête.
Outre les informations d’Honoré Coudray, il est intéressant de connaitre ses convictions : catholique, monarchiste et fervent partisan de l’ordre, il reprochera aux mutins de 1917, leur attitude de rébellion. Ainsi il démontre que la critique des exactions de cet officier n’est pas liée à un parti pris contestataire[2].
Les motifs des condamnations
En 1914, les condamnés sont principalement accusés de s’être volontairement mutilés un membre (main, pied). Laisser sa main traîner au dessus de la tranchée était passible du conseil de guerre.
En 1915 et 1916, on assiste de plus en plus à des désertions, puis se développent deux formes de crimes :
• Le refus d’obéissance devant l’ennemi. Cette dénomination issue de la justice militaire sera le prétexte à des condamnations totalement arbitraires notamment lorsque les généraux n’étaient pas satisfaits d’un repli de troupes.
• L’abandon de poste. Il s’agit de désertion dans la majeure partie des cas.
En 1917, les condamnations concernent des comportements collectifs. Les célèbres mutineries du Chemin des Dames restent gravées dans les mémoires tant par leur caractère exceptionnel que dans la répression qui suivit[3].
Le Poilu ne refuse pas de se battre mais il refuse d’attaquer à outrance. A Craonne, plus de cent hommes mouraient à la minute lors des sanglants assauts commandés par le général Nivelle.
En 1918, en France comme chez les Alliés, on constate un déclin des exécutions. En effet, les commandements militaires comprennent mieux l’état mental des soldats, les conséquences du « Shell-Shock », ce choc psychologique provoqué par les conditions de vie des soldats notamment sous les bombardements.
L’évolution de la justice militaire pendant la guerre [

Conseil de guerre dans une église (Journal l’Illustration Octobre 17)
Au tout début de la guerre, les militaires ont obtenu du gouvernement la présentation des prévenus devant le conseil de guerre sans instruction préalable. Début septembre 1914, le ministre de la guerre abolissait les possibilités de recours en grâce et en révision. De plus, Joffre réussit à imposer aux politiques, la constitution de cours martiales dénommées « les conseils de guerre spéciaux » , qui devaient juger rapidement et durement pour l’exemple. Les prévenus était jugés par une « cour » composée en général du commandant de régiment assisté de deux officiers. Ils votaient et la majorité scellait le sort du soldat. En cas de condamnation à mort la sentence était applicable dans les 24h selon les préconisations de Joffre. Ainsi les principes d’indépendance des juges, de débats contradictoires et enfin de recours ont été abolis. Sur les 600 fusillés pour l’exemple environ 430, l’ont été en 1914 et 1915 (source André Bach). Devant les abus révélés par la presse et les associations, le parlement tenta d’atténuer cette justice expéditive. A la fin de l’année 1915, les conseils de guerre spéciaux seront supprimés. Enfin le 27 avril 1916, une loi permet d’atténuer et de contrôler cette justice militaire.
France 1914
• Marcel Loiseau blessé se rend à l’infirmerie. Il est accusé d’abandon de poste avec mutilation volontaire et fusillé. Il est réhabilité en 1922, l’accusation étant infondée.
• Les Martyrs de Vingré, Le caporal Floch, les soldats Blanchard, Durantet, Gay, Pettelet et Quinault, réhabilités solennellement par la Cour de Cassation le 29 janvier 1921.
• Léonard Leymarie, condamné pour mutilation volontaire, il a été réhabilité en 1923.
• Élie Lescop, fusillé en octobre, pour abandon de poste et mutilation volontaire, à Souain.
• Jean-Julien Chapelant, sous-lieutenant commandant la 3e, a été capturé avec une poignée de survivants. Blessé, il réussit à regagner les lignes françaises. Pourtant, il sera condamné à mort pour « capitulation en rase campagne ». Le 10 octobre 1914, il sera fusillé attaché à son brancard dressé contre un pommier[10].
France 1915
• Félix Baudy, maçon de la Creuse a été fusillé avec le soldat François Fontanaud, le caporal Antoine Morange et le soldat Henri Prébost, suite au refus collectif de sa compagnie de remonter à l’assaut. Ils ont été réhabilités en 1934 par la Cour spéciale de justice, cette dernière comprenant des anciens combattants[11].
• Les soldats Camille Chemin et Édouard Pillet ont été condamnés à mort à cause d’un malentendu. Leur capitaine les a désignés pour rester à l’arrière afin de surveiller des sacs. Un nouveau capitaine est nommé, celui ci les considère comme déserteur. Ils sont condamnés et exécutés. Ils seront réhabilités en 1934[12].
• Lucien Bersot, condamné à mort pour refus d’obéissance ; il avait refusé de porter un pantalon en loques et maculé de sang. Il a été réhabilité en 1922[13], .
• Les caporaux de Souain, les quatre caporaux Théophile Maupas, Louis Lefoulon, Lucien Lechat, et Louis Girard ont été condamnés suite au refus collectif de la compagnie de remonter à l’assaut. Ils ont été réhabilités en 1934 par la Cour spéciale de justice, cette dernière comprenant des anciens combattants.
• Auguste Gonsard, soldat du 104e RI, condamné à mort et fusillé en mars, pour abandon de poste par automutilation. Il fut réhabilité en 1925.
France 1916
• Le soldat Le Dû fusillé en septembre 1916, dans l’Oise, pour rébellion.
France 1917
• Le caporal Joseph Dauphin condamné à mort car sous l’effet de l’alcool (les permissions avaient été refusées), il aurait tiré quelques coups de fusil et lancé à la cantonade des propos séditieux. Avant cette condamnation il avait reçu en 1915, la Croix de guerre avec palmes pour plusieurs actes héroïques. Promu caporal, il reçut par trois fois une citation pour sa conduite exemplaire au combat. Il n’a pas été réhabilité.
• François Marie Laurent de Mellionnec est souvent cité comme ayant été exécuté "parce que ce Breton ne savait pas le français". N. Offenstadt produit (page 41) le certificat du médecin militaire, le docteur Buy, qui le soupçonne de mutilation volontaire, alors qu’il est blessé à la main gauche. La contre-expertise de 1933 conclut que la pièce médicale du dossier est insuffisante pour prouver une mutilation volontaire. Il est réhabilité en 1934[14].

Messages

  • « Nous sommes ici parce que nos pères ont menti. »

    R. Kipling

    Épitaphe pour les morts de la première guerre mondiale.

  • Comme tous les ans, dans les premiers jours du mois de novembre, à l’approche du 11, flotte en ma tête une chanson ; elle revient sans cesse, comme un ressac continu. Elle donc est là, ténue, bien ancrée depuis pas mal d’années, c’est la chanson de Craonne. « C’est à Craonne sur le plateau… ». Souvenir des sacrifiés !

    Elle a bercé mon enfance, et pour cause, ce fut Edmond mon grand-père qui me la fredonnait à l’oreille ; enfance heureuse puisque j’ai passé une bonne partie de celle-ci sur les genoux de cet érudit libertaire tandis que mes parents travaillaient.

    Edmond l’Anar, comme beaucoup de ceux nés à la fin du XIXème siècle il avait fait la grande guerre. Non pas dans les tranchées, mais sur la mer. Hormis quelques médailles qui lui importaient peu, le souvenir qu’il affichait le plus volontiers, y tenant beaucoup, était celui d’une grande photo du Suffren sur lequel il avait navigué un certain temps, -le « Suffrin » comme disaient à tord les bretons puisque le Bailli de Suffren naquit au Château de Saint-Cannat situé entre Salon-de-Provence et Aix, et il est douteux que dans le midi de la France on prononçât son nom ainsi.

    Photo dans le bas de laquelle on pouvait lire : « -Campagne de 1914-15- », « -Souvenir d’années terribles- ». Et oui, aux Dardanelles (février, mars 1915) ce ne fut pas une croisière de plaisir car la grande tuerie eut aussi la mer comme champ de bataille.

    Nous oublions souvent que même les marins, qui sont d’un monde à part, eurent leur moment de révolte devant la boucherie inutile, et, malgré la censure, la chanson de Craonne parviendra jusque dans les équipages de la flotte déjà sensibilisés par l’absurdité du monde dans lequel ont les avaient entrainés. La prise de conscience qu’ils se battaient pour des intérêts qui les dépassaient, ceux du grand capital, firent que l’on entendait aussi des grognements dans les rangs de la marine. Moins fort peut-être car la discipline y était de fer, mais perceptible dans les rapports avec les gradés ; cela fait d’ailleurs remonter à ma mémoire le souvenir d’une anecdote mainte fois racontée par Edmond qui se trouvait sur les lieux à cette époque, escale technique probablement.

    C’était à Toulon, c’est sûr, à St Mandrier, je ne peux l’affirmer, ni si c’était devant l’arsenal, l’Amirauté, ou autre lieu stratégique, ma mémoire est vague sur le lieu exacte, peu importe d’ailleurs…

    Le fusillé-marin de garde dans la guérite semblait endormi, le fusil nonchalamment appuyé à celle-ci. Un jeune lieutenant de vaisseau vint à passer, s’apercevant de la scène, il s’approcha subrepticement, se saisi du fusil et ôta les cartouches qu’il cacha sous la guérite. Sur ces entrefaites, content du mauvais tour qu’il allait jouer au marin pour le faire plonger -comme le disait l’expression populaire pour désigner la mise aux arrêts-, il alla chercher un autre officier pour lui servir de témoin.

    Mais l’homme de garde dormait en gendarme, c’est-à-dire que l’un de ses yeux guettait malgré l’apparente somnolence de son propriétaire ; eh oui, il parait que les gendarmes dorment ainsi, ça demande à être vérifié ! Bref, sitôt que le lieutenant eu tourné les talons, notre sentinelle totalement éveillée récupéra ses munitions et arma son fusil en basculant la culasse.

    Le lieutenant de retour en compagnie de l’un de ses collègues s’avança d’un pas décidé vers l’entrée du lieu gardé par le fusiller-marin. Celui-ci, voyant la détermination de l’officier qui ne déclina pas son identité, fit alors les sommations d’usages ; à la troisième, il tira, tuant net le lieutenant de vaisseau…

    Arrêt de rigueur, déclaré sentinelle dangereuse, mais comme il n’y avait pas eu de témoin de la manipulation de l’officier hormis le rapport orale du second officier, l’affaire en restera là. Sans doute les autorités militaires n’ont-elles pas voulu alimenter la révolte sourde que l’on sentait perceptible.

    Au demeurant, c’eut été à proximité de la présence de l’ennemi, aux ras des tranchées, on aurait compris plus facilement une telle rigueur de la part des protagonistes de ces faits, mais Toulon étant à l’autre bout de la France tout laisse à croire que ce fût le fort ressentiment envers cette guerre injuste et pour les officiers donnant des ordres souvent ressentis comme absurdes, voire insensés, qui arma le bras meurtrier du marin.

    C’est du moins tel qu’Edmond l’a toujours ressenti, malaise qui alors courrait dans toute l’armée française, la marine comprise. Les sacrifiés ne voulaient plus l’être…

    Certes, en cette fin d’année 2010 où une xénophobie nauséabonde est exacerbée par les plus hautes sphères d’un état autocratique, j’aurais pu aussi rappeler à la mémoire de beaucoup le sacrifice de nos frères africains qui vinrent se faire tuer dans les tranchées pour défendre la prétendue mère patrie, qu’il conviendrait mieux d’appeler « l’amère patrie » quand on pense à ce que l’on fait maintenant des fils de ceux qui sont venus se battre pour elle.

    Mais tous les exploités devant l’esclavagisme du capitalisme ne sont-ils pas frère !, et il est bon de rappeler que tous ne se plièrent pas sous le joug d’exploiteurs cherchant dans la guerre les prétextes pour remettre l’économie en marche, pour freiner le trop d’acquits sociaux, et surtout, en occupant le peuple, stopper ainsi la rébellion que l’on sentait monter dans divers pays !

    « On vante les héros de la guerre sauvage parce que, désirant se distinguer devant les hommes, jouir de la gloire et obtenir des récompenses, ils ont tués et ont été tués.

    Personne ne parle des héros de la guerre contre la guerre qui, en silence, sont morts et meurent sous les verges et dans les prisons ou dans l’exil et qui demeurent malgré tout fidèles à la vérité et à leur noble cause. » Tolstoï (Les deux guerres, 1888)

    http://le-ragondin-furieux.blog4ever.com

    Michel Mengneau

  • Le 6 septembre 1914, le général Joffre, commandant en chef des armées françaises du Nord-Est, déclare : « Au moment où s’engage une bataille dont dépend le salut du pays, […] aucune défaillance ne peut être tolérée ». Joffre obtient que soient créés des conseils de guerre spéciaux qui ont tout pouvoir pour rendre des jugements sans appel et prononcer des condamnations à la peine de mort immédiatement exécutables.

    Pendant toute la période de la Première Guerre mondiale, 2400 soldats sont condamnés à mort pour refus d’obéissance, mutilations volontaires, désertion, abandon de poste devant l’ennemi, délit de lâcheté ou mutinerie… 675 d’entre eux sont fusillés pour l’exemple, les autres voient leur peine commuée en travaux forcés.

    Le dossier d’Henri Bourgund, « fusillé sans jugement », est révélateur de l’état d’esprit qui règne alors dans les rangs de l’État-major de l’armée. Contre toute attente, Joffre y paraît davantage soucieux d’équité et de justice que les généraux Pétain et Barbot, partisans quant à eux de méthodes plus expéditives…

    Rapport du chef de bataillon Fournier sur l’exécution de Bourgund

    Daté du 20 mars 1915, ce rapport établit les faits tels qu’ils apparaissent dans le journal de marche du bataillon. À la date du 8 novembre 1914 figure la mention : Exécution du Chasseur Bourgund du 60e Bataillon, condamné à mort pour avoir abandonné son poste en présence de l’ennemi et déserté à l’intérieur.

    « Des renseignements recueillis auprès des témoins, il ressort que le chasseur Bourgund ayant quitté son bataillon a été pris en subsistance par le 57e Bataillon, 9e Compagnie. Ce chasseur avait l’habitude, chaque fois que sa compagnie se trouvait engagée, de quitter la ligne de combat sous des prétextes futiles et de rejoindre lorsque le danger était écarté ; il avait pour ce fait répété, reçu des observations et même des punitions.

    Lors des combats de Saint-Laurent [Saint-Laurent-Blangy, Pas-de-Calais], ce chasseur disparut à nouveau de sa compagnie, ramené quelques jours après, il fut incarcéré et une plainte en Conseil de guerre établie contre lui.

    Ce chasseur a été condamné à mort et fusillé par une section du 97e Régiment d’infanterie à Sainte-Catherine (dans un pré à la lisière Est de Ste-Catherine et au Nord de la Scarpe), où il est inhumé.

    Les deux médecins du bataillon ont assisté à l’exécution. Aucune pièce officielle relatant l’exécution du chasseur Bourgund ne figure dans les archives du bataillon ».
    Le général Barbot présente sa version des faits

    Le 25 mars, le général Barbot commandant la 77e Division adresse un courrier au Général Pétain, commandant le 33e Corps d’Armée, dont voici quelques extraits :

    « À chaque engagement de sa compagnie, ce chasseur disparaissait et rentrait ensuite, le danger écarté. Il avait déjà été signalé à Tilloy, les 2 et 3 octobre ; mais la période agitée traversée par la division dans le courant d’octobre, ainsi que le changement de bataillon du chasseur Bourgund n’avaient pas permis, tout d’abord, d’élucider les fautes reprochées à cet homme.

    Au cours des combats soutenus par la division à St-Laurent (20 au 26 octobre), Bourgund quitta à nouveau sa compagnie à laquelle il fut ramené quelques jours plus tard. Il avait été trouvé en civil à Arras. Il fut alors emprisonné et le Commandant du 57e Bataillon établit un rapport sur les faits qui lui étaient reprochés.

    Jugeant que des exemples immédiats étaient nécessaires pour le maintien de la discipline, je vous demandai, le 7 novembre, après examen du dossier du chasseur Bourgund, de le faire passer par les armes, son crime étant hors de doute.

    Sur réponse affirmative de votre part, cet homme fut exécuté le 8 novembre par un piquet du 97e Régiment d’Infanterie, dans les conditions indiquées sur le rapport du Commandant du 57e Bataillon de Chasseurs. »
    Lettre de justification du général Pétain

    Le 26 mars 1915, le général de division Pétain, commandant le 33e Corps d’Armée, adresse une lettre au général de Maud’huy, commandant la 10e Armée, lettre dans laquelle il justifie et revendique l’ordre d’exécution immédiate prononcé par lui-même :

    Extraits : « Les faits tels qu’ils sont rapportés sont parfaitement exacts. Le 7 novembre, le général commandant la division m’a transmis la plainte établie contre le chasseur Bourgund. Il me faisait remarquer, qu’en raison de la situation très difficile dans laquelle se trouvait sa division et des défaillances qui s’étaient produites peu auparavant, il lui paraissait nécessaire de faire des exemples et de procéder sans délai à la répression des fautes commises. Il concluait en me demandant l’autorisation de faire passer par les armes le chasseur Bourgund sur la culpabilité duquel il ne pouvait exister aucun doute.

    J’ai donné l’ordre de procéder immédiatement à l’exécution de ce chasseur, estimant alors, comme encore maintenant, qu’en des circonstances pareilles, il est du devoir du commandement d’assurer de semblables responsabilités. »

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