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Dialogue sur la religion et les religions

jeudi 30 mai 2013, par Robert Paris

Avertissement : Pourquoi dialoguer sur les religions dans un site qui est ouvertement athée, matérialiste, adversaire déclaré de toutes les institutions des classes dirigeantes, y compris les religions, combattant pour la libération de l’homme non seulement de ses chaînes matérielles mais aussi de ses chaînes idéologiques ? Pourquoi donner ainsi la parole à un partisan déclaré des religions et mysticismes. Pas parce que nous prônons une tolérance des idéologies passéistes. Pas parce que nous estimons qu’il faudrait donner la parole à tous, par souci démocratique. Les religions n’ont pas besoin de notre site pour avoir déjà largement la parole dans la société ! Mais seulement parce qu’étant dialecticiens, nous estimons que la pensée comme la réalité ne s’expriment vraiment que pas opposition, combat, débat. Et, effectivement, sur bien d’autres thèmes, nous avons souvent souhaité développer nos idées sous forme d’un débat, d’un dialogue, d’une discussion, suivant en cela nombre de philosophes, de scientifiques, de penseurs et auteurs divers, de Galilée à Heisenberg en passant par Socrate, Platon et Diderot.

Dialogue sur la religion et les religions

Samuel

Je vais tenter de défendre sur ce site l’idée qu’on ne doit pas se détourner de l’apport philosophique, psychologique, personnel, social, moral, intellectuel, relationnel et éventuellement matériel, non pas d’une religion, non pas des institutions religieuses telles qu’elles existent, mais de la religion en tant qu’idée d’une existence immatérielle qui s’impose à nous, qui nous permet de concevoir autrement la vie, qui réunit les hommes sur d’autres bases, qui permet de faire face à la mort, aux angoisses, aux choix difficiles de la vie, qui permet de comprendre la place de l’homme dans l’univers.

Je crains de devoir faire face aux affirmations d’un matérialisme le plus abrupt selon lesquelles il faudrait détruire non seulement telle ou telle institution religieuse comme la papauté mais aussi toute pensée mystique dans l’homme, toute conception idéaliste, toute idéologie permettant de s’élever au dessus des prétendus buts et faits purement matériels.

Robert

Donc, si je comprends bien, selon toi un affreux matérialiste marxiste ne peut pas attacher la moindre importance aux idées et doit s’en tenir aux faits matériels. Je crains que tu ne connaisses qu’une version très barbare du matérialisme étroit, celui qui considérerait le cerveau comme une horloge par exemple, l’univers comme de simples planètes en rotation gravitationnelle et l’homme comme une espèce de machine en mouvement. Marx n’a jamais défendu un tel point de vue. Il est très loin de se refuser à l’étude des pensées idéalistes et tu le sais certainement, il a tiré l’essentiel de sa philosophie d’un auteur très idéaliste : Hegel. Même s’il a produit une version matérialiste de la pensée dialectique d’Hegel, Marx n’a jamais conçu le combat entre idéalisme et matérialisme comme un combat entre le Bien et le Mal, comme tu sembles le croire. Au contraire, il a considéré que ce combat était le premier des dialogues dialectiques et donc produisant sans cesse des pensées nouvelles, permettant aux interlocuteurs de progresser tous deux dans leurs idées, dans leurs argumentations, dans leur philosophie.

J’en profite pour te faire remarquer que, par une loi dialectique, les contraires peuvent, ici comme ailleurs, se transformer l’un dans l’autre, le matérialisme en idéalisme et inversement. Le matérialisme figé, non dialectique, niant tout phénomène d’ordre spirituel peut devenir une religion de la science et l’idéalisme érigé en dogme institutionnalisé s’est lui-même transformé en force matérielle qu’est l’institution des temples et églises, véritables centres de pouvoir économique, politique, social de la société.

Un autre exemple de ces renversements dialectiques : les plus acharnés des opposants à la religion sont tout aussi idéalistes philosophiquement. En effet, ceux qui estiment que la première chose à combattre sont les religions les placent en fait au dessus des classes sociales. Ils font de la religion le Mal absolu hors de l’histoire des hommes comme les religieux en font le Bien absolu hors de l’Histoire… Mais les religions n’existent pas hors de l’Histoire des hommes. Même si elles développent des images fantasmagoriques, elles répondent à des besoins réels, moraux, psychologiques, politiques, sociaux ou matériels.

Samuel

Si tu ne souhaites pas être assimilé à un matérialisme mécaniste ou figé, je ne souhaite pas davantage que ma conception soit ramenée à un simple soutien de tous les temples et institutions religieuses, de la Mecque au Dalaï Lama !

Robert

J’ai bien remarqué cette particularité de ton point de vue philosophique qui défend la spiritualité en général et pas une philosophie spirituelle en particulier et, ne t’inquiètes pas, je compte bien répondre aussi là-dessus. Je voudrais d’ailleurs te faire remarquer que, si elle évite des débats du type des crimes pédophiles des églises ou des guerres de religion ou encore de la position des religions sur les femmes, a l’inconvénient de situer la spiritualité à la fois partout et nulle part, dans toutes les pensées religieuses et dans aucune en particulier. Mais, cela ne fait rien et examinons donc ce point de vue.

Je voudrais d’abord te faire remarquer que tu te donnes ainsi une tâche très difficile et que tu ne sembles pas voir combien le refus d’examiner la place de l’institution religieuse permet difficilement de comprendre les religions actuellement dominantes dans le monde puisque, pour l’essentiel, toutes s’en revendiquent. Celles qui sont les moins liées à la société civile, qui en détachent artificiellement leurs religieux, ont des monastères où ils enferment leurs fidèles et font des quêtes auprès de la population pour subsister, ce qui est une forme particulière d’institution et de relation sociale. Les autres, comme la papauté que tu citais, sont carrément des pouvoirs à la fois spirituels et matériels sur les hommes, reliés directement au pouvoir politique, économique et social.

Samuel

C’est bien pour cela que je ne souhaite pas discuter de la forme que prend aujourd’hui l’organisation des religions mais du besoin humain de spiritualité et la ténacité des croyances malgré les défauts et vices de ce mode humain d’organisation. Car j’estime qu’au-delà des formes que ces religions ont prises, leur existence témoigne d’un effort de l’homme pour accéder à une sorte de pensée détachée du monde matériel et c’est cet effort que je souhaite discuter et pas la forme parfois horrible que cela a suscité. Exactement comme on peut parler de l’amour humain même si certains hommes sont capables de le transformer en jalousie, en possession, en pornographie ou en viol.

Robert

Comme je te le disais, j’estime que tu te donnes une tâche surhumaine de donner une base aux pensées spirituelles de l’homme d’aujourd’hui sans aucun fondement institutionnel, social ou matériel quelconque. Je voudrais, en effet, te faire remarquer que toutes les anciennes religions qui n’ont pas disposé de telles institutions pour être diffusées et défendues, c’est-à-dire les 99,99% des pensées mystiques et religions, ont purement et simplement disparu, corps et biens si l’on peut dire.

Samuel

Je ne crois pas être une exception et il existe bien des personnes qui croient en une existence spirituelle sans suivre aveuglément une croyance telle qu’elle est diffusée par les institutions.

Robert

Bien sûr, tu as raison, chaque croyant, même s’il appartient en fait à une église, y pratique plus ou moins, qu’il apprécie ou critique plus ou moins, a le sentiment d’agir en suivant une force purement personnelle, ressentie de manière intime, qui établisse une relation personnelle entre lui et son dieu. Cependant, même s’il pratique selon sa propre version personnelle, ce croyant connaitrait-il le judaïsme, le christianisme, l’islam, le bouddhisme ou le taoïsme et pourrait-il seulement y penser s’il n’existait aucune institution religieuse propageant et défendant cette conception ? Enfin, si dans la société civile et dans l’Etat, il n’existait aucune force sociale se tournant vers les religions, celles-ci continueraient-elles d’exister ? Quand je parle du soutien institutionnel des religions, je ne parle pas seulement des papautés ou des Dalaï Lama mais aussi des institutions sociales, des classes dirigeantes qui ont trouvé intérêt à telle ou telle époque de soutenir telle ou telle religion. La religion s’intègre dans le paysage social, économique et politique d’une époque, d’une région et n’est pas toute seule, isolée dans un espace vide, sur son petit nuage idéaliste ou mystique.

Les religions institutionnalisées actuelles sont nées en liaison avec un Etat. L’exemple des Egyptiens est le plus fameux. Les prêtres y étaient l’un des pouvoirs principaux du régime pharaonique. Il y a eu osmose entre cet Etat et la fondation de la religion. Il y a même eu construction simultanée de la religion et de l’Etat. Voir l’Etat de Jérusalem à l’effondrement de l’Etat d’Israël, les dieux de l’Olympe et l’Etat grec, l’Islam et l’Etat musulman, C’est le cas aussi bien du judaïsme, du christianisme, ou de l’Islam. Même si ce lien ne signifie pas que la religion soit toujours née en dépendance de l’Etat : le bouddhisme est né de la crise de l’Etat…Certaines religions ont ouvertement comme préoccupation le fonctionnement et la stabilité de l’Etat, comme le confucianisme. D’autres, comme le christianisme, ont au départ d’autres visées (libération du peuple juif) mais leur succès provient de leur capacité à servir le pouvoir (l’Etat romain) dans ses visées idéologiques et dans son mode d’organisation de la vie civile des peuples dominés de l’empire.

Bien sûr, historiquement, les relations entre Etat et religion ont été variées à l’extrême. Mais il est certain que des religions avant l’Etat n’ont rien à voir avec celles qui sont apparues après. L’Etat a tellement modifié les conceptions religieuses qu’il a imposé la notion de dieu-roi ce qui était impensable avant l’existence des rois...
La première tentative connue d’imposer une religion du dieu unique a été celle du pharaon Akhénaton qui visait à enlever le pouvoir aux prêtres et à imposer un pouvoir unique du roi. La seconde est celle des prêtres juifs de Juda. On se souvient que les Juifs étaient divisé en deux pays : Israël et Juda. Israël, agricole, plus prospère, acceptait les dieux des peuples voisins avec lesquels il commerçait. Juda, centrée sur l’élevage, a affiché une prétention à plus de piété pour accuser son voisin d’avoir rompu avec dieu. Et ce dieu unique a été imposé par un pouvoir unique, celui du roi de Jérusalem. Le Deutéronome — premier texte juif monothéiste même s’il ne nie pas encore les autres dieux — semble avoir été écrit vers 622 av. J.-C. quand le roi Josias entend faire de Yahvé le seul Dieu de Juda et empêcher qu’il ne soit vénéré sous différentes manifestations comme cela semble être le cas à Samarie ou à Teman, dans l’idée de faire de Jérusalem le seul lieu saint légitime de la divinité nationale et du pouvoir royal le pouvoir unique du peuple juif. Après la destruction du royaume juif, il a fallu justifier que le peuple élu ait perdu son royaume. C’est le but dès lors des dirigeants juifs qui expliquent que dieu a puni son peuple pour son manque de piété. Le peuple retrouvera son pays et aura un Etat quand le Messie reviendra sur terre et, à la fin des temps, restaurera "le royaume de dieu en Israël".

Samuel

Je ne vois pas en quoi tes arguments sur le poids dans la vie des hommes, de la société civile, matérielle, politique et sociale, pourraient démolir le fondement spirituel des aspirations humaines. Ce que tu dis ne prouve nullement l’absence d’un sentiment humain lui permettant d’accéder à un autre niveau qui est celui de la spiritualité, de la supra-matérialité, de la grandeur du sens non terrestre de l’homme. Bien sûr, tu ne m’apprends rien de neuf en me disant que tous les hommes, y compris les croyants, sont reliés aux institutions de la société. Le croyant n’est certainement pas le plus dépendant des forces sociales et politiques de la société où il vit puisqu’il se donne d’autres buts que ceux de seulement réussir matériellement sa vie. Il est porté par une aspiration à dépasser les buts sociaux, politiques, économiques et à atteindre une vision idéelle, plus pure, plus grande au sens moral et intellectuel. Cela ne veut pas dire qu’il vit sur son nuage, qu’il ne mange pas, ne parle pas aux autres humains, ne sait pas qu’ils souffrent éventuellement matériellement, mais qu’il se donne aussi d’autres buts que purement matériels. L’homme ne vit pas que de pain, comme tu le sais certainement tout matérialiste que tu sois. Mais ton matérialisme entend cependant ramener la solution de tous les problèmes de l’humanité à la nécessité de pouvoir correctement se nourrir, se loger, travailler et entrer en relation avec les autres hommes. Je pense qu’une grande partie de l’humanité, dans un monde aux buts affichés purement matérialistes, reste attachée à la recherche de buts supra-matériels que tu ignores ou veut ignorer. Cette humanité est capable de se sacrifier matériellement, y compris en donnant sa vie, pour accéder à de tels buts spirituels. Et ton matérialisme est bien incapable, selon moi, d’accepter cela, pour ne pas dire d’expliquer cela.

Robert

Tu nous prêtes, à nous marxistes, des conceptions qui me semblent très éloignées de miennes ou de ce qu’a écrit Karl Marx. Notamment, tu sembles croire que Marx ignorait l’existence des conceptions religieuses parmi les hommes ou de leur importance. Tu sembles penser que Marx n’en donnait aucune interprétation et préférais se contenter de dire : à bas la religion que de chercher les sources des sentiments religieux. Rien de plus faux ! La philosophie de Marx est née en plein débat philosophique sur ces questions, débat mené par les Kant, les Hegel, les Feuerbach ou les philosophes des Lumières. Comme toi et moi, ces penseurs savaient, tout comme Marx après eux, que les hommes attribuent une grande importance à leurs croyances et qu’elles jouent un rôle non négligeable dans la manière dont ils mènent leurs vies. Les classes dirigeantes et les gouvernants, qui ont choisi d’investir des sommes considérables dans ces religions et pas seulement du fait de leur croyance, le pensaient aussi. Et ils pensaient également pouvoir mettre ces croyances au service de leurs intérêts de classe. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Samuel

Voilà bien vos méthodes : ramener les sentiments religieux et les pensées mystiques des hommes aux institutions religieuses et aux buts des Etats et des classes dirigeantes ! Et vous croyez que cela suffit à expliquer les sentiments des hommes et leur besoin de spiritualité !

Robert

Ce n’est pas moi qui ramène aux institutions religieuses. Tu dis que ce sont des croyances individuelles mais la plupart de ces individus ressentent le besoin de suivre des idéologies diffusées par ces institutions religieuses et n’ont pas une idéologie qui leur soit propre. Sans ces institutions, jamais ces hommes n’auraient par eux-mêmes inventé ces conceptions, qu’elles soient juives, chrétiennes, bouddhistes ou taoïstes.

Je ne cherchais pas, en rappelant que tu ne peux pas oublier purement et simplement les institutions religieuses et sociales, à te dire que les croyances n’existent que si elles trouvent un appui matériel. Sinon, elles ne peuvent franchir la barrière des siècles et disparaissent.

Samuel

Mais tu n’es pas sans remarquer que les institutions particulières, les croyances particulières, les idéologies particulières disparaissent mais le besoin de croire ne disparaît pas…

Robert

Mais qu’est-ce qui permet de penser que ces croyants croient en la même chose, qu’ils idolâtrent le taureau, la lune, la roue, la source, la pierre dressée ou le roi-pharaon ? Qu’est-ce qui permet de penser que les chrétiens d’aujourd’hui croient à la même chose que ceux qui ont fondé le christianisme ou les Juifs actuels que ceux qui ont fondé le judaïsme. Seul le texte a pu ne pas changer mais les hommes ont des visions qui ont tellement changé que ce n’est pas possible de penser comme à l’époque, y compris sur le terrain religieux.

C’est pour cela que je te disais tout à l’heure que, dès que les forces sociales d’une époque ont disparu, les croyances qui y étaient liées ont également disparu des consciences. La société des chasseurs-cueilleurs a disparu et, même si des hommes chassent encore, ils sont incapables de faire appel à l’âme de l’animal chassé comme ils le faisaient à l’époque. Cette dernière pensée est morte dans les consciences comme si elle n’avait jamais existé. La religion ou les religions des chasseurs-cueilleurs ne réapparaitront plus et aucun homme ne peut faire mieux que tenter de l’imaginer. Les 99,99 % des religions ont disparu, corps et biens si on peut dire, et l’âme avec les biens… On ne les connait plus. On ne les comprend plus. On ne les diffuse plus. Personne ne prie plus pour cela. Qui se souvient d’Isis et Osiris ? Quelle prière pour Amon ? Qui reconnaît Aton ? Que fait-on pour la religion crétoise du Minotaure ? Avez-vous eu une pensée pour Mardouk, pour Athéna, pour Jupiter, pour Quetzalcoatl, le dieu serpent des Indiens, pour le dieu taureau Apis, pour Zeus, pour Hathor, pour Baal et bien d’autres encore… Que sont devenus les dieux de la civilisation Harapéenne de l’Indus ? Et ceux de la vieille civilisation de la Crête ? Sans parler ceux des Olmèques ? Pourquoi ont-ils disparu en même temps que la société qui les défendait ? Pourquoi les hommes n’ont pas continué à croire en eux quand la société civile s’est dissoute ? Pourquoi on ne trouve plus personne pour prier comme il fallait les prier, pour diffuser leur message, pour faire appel à eux comme il fallait le faire. On voit ainsi que le supra-matériel religieux a besoin absolument de son fondement matériel, le supra-social de son fondement social, le supra-institutionnel de son fondement institutionnel. Avec le monde Incas est disparue la religion incas. Avec le régime des pharaons est disparue la religion des pharaons. Avec le système social des chasseurs ont disparu les religions de chasseurs.

L’homme religieux ou croyant n’est pas un individu face à la nature et au monde, mais un élément d’un ensemble social. Ce n’est pas un hasard si sa croyance est collective, fait appel à des rites, des pratiques, des textes éventuellement, qui sont reconnus et respectés par toute une collectivité. Il n’a pas créé seul sa religion et elle n’est pas née de manière séparée de son mode de vie. Toutes les croyances religieuses visent les larges masses et ne durent que si elles sont parvenues à essaimer. Il n’existe pas de religion individuelle. Le meilleur moyen de s’en rendre compte est de regarder un homme venu d’une région reculée vivre dans une cité moderne, par exemple un Boshiman ayant vécu au village puis venant vivre à la ville capitaliste en Afrique du sud. Sa croyance s’émousse très rapidement, même s’il la retrouve en rentrant au village. Hors du contexte social, les dieux n’ont plus le même pouvoir sur l’homme.

Hors d’un mode de production aussi. Il y a eu divers modes de production dans l’histoire des hommes et ils sont déterminants sur leur mode de vie mais aussi sur leurs idéologies.

Par exemple, nous sommes accoutumés aux religion de la "création" (le monde et l’homme créés par un dieu), mais de telles conceptions n’ont commencées elles-mêmes à être conçues qu’à partir du moment où, dans l’ère de sa relation à la nature, l’homme a été créateur et non plus prédateur... Créateur non seulement de sa production de blé, d’orge, mais créateur aussi de sa relation avec des animaux domestiqués. Du coup, créateur de ses représentations artisanales mais aussi artistiques. Créateur de statuettes représentant l’homme. Et du coup, on a l’homme pensant dieu comme un créateur de statuettes en terre qu’il aurait ensuite animées, le dieu potier qui a fait l’homme à partir de la glaise...

La croyance qui valorise le surnaturel, est principalement fondée sur ce qui se passe dans la vie réelle (naturelle ou de sociale).
La partie surnaturelle (les esprits) est encore fondée sur un autre mécanisme naturel : la pensée inconsciente, les hallucinations (naturelles ou provoquées). L’inconscient n’est qu’un fonctionnement réel du cerveau qui échappe partiellement ou totalement à notre conscience. Les pensées qui n’ont pas été produites consciemment par l’homme lui semblent venir des esprits...

L’homme, qui sent en lui un esprit différent de sa conscience, attribue un même esprit aux animaux, aux sources, aux arbres, aux déserts, au vent, à l’orage.

L’homme voit dieu à son image. L’homme social voit dieu à son image sociale.

Quand l’homme fait partie de la nature, ses croyances ne l’en extraient pas. L’homme qui se perçoit comme un animal a des dieux animaux. L’homme qui se perçoit comme une simple famille a des dieux familiaux fondés sur le culte des ancêtres.

Plus l’homme domine la nature, plus il donne des traits humains à ses divinités.

L’homme qui chasse a des croyances relatives aux animaux chassés. Les considérant comme une famille du même type que la famille humaine, il s’adresse à leurs dieux pour s’excuser de les avoir chassés.

Samuel

Bien entendu, pour toi, derrière ces religions diverses il n’y a aucune recherche humaine commune. En excluant l’existence de sentiments mystiques, tu ne peux que prétendre qu’une disparition de religion est la disparition définitive des croyances. Comment expliques-tu alors que le nombre de gens qui se réunissent dans le monument mégalithique de Stonehenge soit de plus en plus important alors que la société des mégalithes a disparu corps et biens comme tu dis.

Cela montre seulement que tu estimes que les idées des hommes n’ont aucune existence propre, qu’elles sont simplement un produit de leur mode de vie, de leur problèmes matériels. Changez le mode de vie et vous changerez de philosophie nous dis-tu mais le christianisme a survécu en passant de la société des éleveurs nomades à la société esclavagiste, de l’esclavagisme à l’empire romain, de l’empire romain au féodalisme, du féodalisme à la société bourgeoise et au capitalisme.

Robert

Ce que tu dis suppose que ce que cherchent les gens à Stonehenge soit identique et que c’est le même christianisme, c’est-à-dire que le chrétien d’aujourd’hui comprenne ce qui a motivé les premiers chrétiens venus de Palestine et du judaïsme. Or je crains fort que l’essentiel des chrétiens actuels ignorent complètement pourquoi des Juifs ont quitté les préceptes de la religion juive pour devenir chrétiens et ce que signifiait pour eux quitter la religion juive…
Le judaïsme, religion juive de Juda, région sud de Palestine, fondée par les rabbins de Jérusalem, celle de l’Ancien Testament, s’opposait à la religion juive du nord (région d’Israël) par le fait que la religion de Jérusalem théorisait être une religion ethnique d’un peuple d’éleveurs nomades (première parole de cette Bible : « N’oublies jamais que tu es le fils d’un pasteur nomade araméen » et aussi le frère éleveur nomade assassiné par son frère agriculteur : « Caïn, qu’as-tu fait de ton frère Abel »). L’activité agricole dans les plaines avait permis de développer un grand commerce aux côtés des anciens Cananéens, puis avec les autres peuples voisins, entraînant des alliances commerciales et des mariages interethniques alors que les Juifs des régions arides et montagneuses du sud cultivaient le dieu unique d’une seule ethnie choisie par dieu et n’acceptant pas que d’autres ethnies aient le droit de se convertir au judaïsme.

Le Juif actuel, pour pratiquer sa religion, peut parfaitement rester ignorant des circonstances qui ont vu sa naissance : cette guerre entre les Juifs du nord et ceux du sud, entre l’ouverture des premiers et la fermeture des seconds (ceux qui ont écrit l’Ancien Testament). Il peut aussi parfaitement ignorer les circonstances historiques qui ont fait que cette religion soit aussi hostile aux femmes, allant jusqu’à faire de la première prière de l’homme : « je te remercie mon dieu de ne pas m’avoir fait femme ». Il peut ignorer que c’est la guerre entre les agriculteurs matriarcaux du nord de la Palestine et les pasteurs nomades patriarcaux du sud qui la fonde. Il peut croire que c’est dans les origines de l’ensemble des Juifs, données par dieu avant la scission entre nord et sud, que se situaient ces conceptions patriarcales. Cependant le fait que l’appartenance à l’ethnie juive soit déterminée par les femmes montre qu’il n’en est rien et que, chez les Juifs comme chez d’autres peuples, l’ancien temps signifie le matriarcat, marqué par la descendance matrilinéaire.

Quant au chrétien d’aujourd’hui, il peut parfaitement ignorer d’où est venu le christianisme parmi ce peuple juif et pour quelle raison, comment le prophète Pierre a suggéré, face à l’impossibilité de secouer l’oppression nationale des Juifs de Palestine par l’empire romain, de changer la religion ethnique en religion universelle et de catéchiser les romains dans leurs propres villes.

Comme on le voit, il est impossible de séparer l’histoire de ces religions résumées à quelques traits des épisodes historiques de l’époque qui entraînait les peuples à changer des conceptions ancestrales. La politique n’est jamais absente, ni des considérations selon lesquelles les Juifs du nord ont subi un holocauste voulu par dieu pour les punir de leur ouverture vis-à-vis des autres religions et autres peuples, ni des considérations selon lesquelles le peuple juif ne doit pas devenir agriculteur et commerçant pour ne jamais être assimilé par ses voisins. On constate également que le nord de la Palestine (Israël) envahi par l’Assyrie, la religion du nord a disparu intégralement et il n’en reste plus rien aujourd’hui alors qu’à l’époque florissante du royaume d’Israël, les synagogues du nord étaient autrement plus puissantes et riches que les pauvres rabbins de Jérusalem qui n’ont dû d’avoir un véritable Temple de grande ampleur qu’aux Romains.

Le judaïsme a été aussi lié à l’époque aux représentants Juifs auprès des autorités d’occupation militaire romaine, le sanhédrin, que le christianisme sera lié au choix des empereurs romains du christianisme comme religion unique d’empire imposé dès lors aux classes dirigeantes de l’empire. Sans ce choix, jamais le christianisme n’aurait connu une telle expansion mondiale et serait resté une secte de Juifs de Palestine pourchassée à Rome. D’autres religions comme le protestantisme, l’Islam, les religions d’Asie sont apparues lors de circonstances historiques pas moins dramatiques et connues comme des révolutions sociales, notamment les tentatives de la bourgeoisie contre la féodalité. Là encore impossible de séparer l’apparition de religions nouvelles du contexte politique économique et social. Le développement du protestantisme suit exactement les avancées de la révolution bourgeoise en Suisse, en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas, puis en France.

Samuel

Bien sûr, tu vois midi à ta porte et cela ne m’empêche pas de le voir à la mienne. Personne n’a dit que l’Histoire n’existe pas. Les croyants vivent en tant qu’hommes et, en tant que tels, ils participent de l’Histoire des hommes et de leurs sociétés. Mais tout ce que tu en conclues est faux. Cela ne signifie en rien que l’histoire des classes et des Etats par le marxisme explique les religions. La meilleure preuve n’en est-elle pas que les croyances religieuses, les conceptions de la spiritualité soient nées bien avant les classes, et bien avant les Etats. Nous avons de nombreuses preuves de manifestations spirituelles de l’homme des sociétés primitives, des autels au dieu ours par les anciens chasseurs, des représentations qui indiquent une vision mystique comme celles des aborigènes australiens. L’idée mystique est représentée par des sculptures, par des dessins et gravures des parois des grottes comme en Dordogne ou sur les rochers de la civilisation du mont Bégo. Les peuples qui ont vécu à l’époque contemporaine le même type de société et que nous avons pu rencontrer comme les indigènes de Nouvelle Guinée, les pygmées du Kalahari ou les peuples de la forêt d’Emeraude nous montrent que, dans les états anciens de la société humaine, le besoin de spiritualité était tout aussi présent. Les hommes ont eu conscience d’une présence qu’ils ont vécu de manière inexplicable et immatérielle, d’idées et de sentiments qui ne proviennent pas de ce qu’ils ont vécu ni de ce que d’autre hommes leur ont dit. Ils sentent que, dans leur cerveau, de telles idées et sentiments ne pouvaient germer sans une intervention extérieure supra-naturelle. S’ils n’étaient pas transportés ainsi hors d’eux-mêmes, ils n’auraient pas pu peindre de telles choses, chanter de telles choses, faire de telles musiques. Sans cet élan spirituel, pas de musique de Bach, pas de peinture de Fra Angelico, pas de basilique de San Giorgio Maggiore à Venise, pas de discours de Bossuet et même pas de pensée mystique de Jean-Jacques Rousseau ou de Luther. Qui peut croire que, sans élan mystique, Mahomet ait pu écrire le texte de l’Islam ?

Robert

Les humains qui nous ont précédé avaient-ils des sentiments de type plus ou moins mystique, religieux, un sens du supra-naturel ? Pourquoi pas ? Et peut-être bien davantage que nous puisque tous les événements de la vie quotidienne étaient complètement incompréhensibles pour eux : de la foudre à la pluie, de la montée des cours d’eau à leur assèchement. En citant l’influence des Etats, des classes sociales, je ne voulais pas affirmer que les conceptions religieuses étaient nées après l’apparition de l’exploitation de l’homme par l’homme et du fait de la division de la société en classes. Je voulais seulement souligner que la vie civile et terrestre est à l’origine des besoins intellectuels de l’homme et que les religions instituées proviennent de la société humaine institutionnalisée comme les mystiques, les sorcelleries, les animismes, les chamanismes anciens proviennent de la première organisation des hommes, de leur activité commune et de leurs besoins individuels comme sociaux.

Le marxisme ne nie pas l’existence de la pensée humaine, au nom de son appartenance à l’ensemble du monde matériel, et il n’a nullement besoin de nier non plus l’existence d’un inconscient humain ou d’un irrationnel de la pensée humaine. Ces derniers ne sont pas spécialement religieux d’ailleurs. Les pensées irrationnelles naissent dans tous les cerveaux, les rêves aussi, les fantasmes aussi. Tous les êtres humains ont des visions s’ils se droguent. Tous ont également des visions s’ils restent longtemps sans manger ou longtemps seuls, s’ils sont affolés ou égarés. Ces phénomènes font appel à des mécanismes du cerveau chez l’ensemble des êtres humains. L’irrationnel est même la base de la formation d’idées rationnelles au sein du cerveau humain. (voir ici)

Et tout cela a lieu sans nécessiter de pensée particulièrement religieuse. La plupart des gens ne rêvent pas de dieu mais de ce qui les concerne personnellement dans la vie de tous les jours. Ce sont simplement des pensées beaucoup moins rationnelles.

L’irrationnel n’a donc pas besoin d’une explication particulière ni supra-naturelle : il est naturel pour le fonctionnement cérébral de l’homme !
Le sentiment que nos idées ne sont pas venues de nous-mêmes provient du fait que la plupart d’entre elles nous viennent la nuit quand notre cerveau est moins sollicité par notre activité et notre environnement. Cela n’est pas non plus particulier aux sentiments religieux. Tous les scientifiques, y compris ceux qui sont athées, ont trouvé leurs idées de manière inconsciente, involontaire, rêvée, intuitive et pas en raisonnant au départ rationnellement. Le compositeur athée ou le scientifique athée sont tout aussi portés par un élan d’enthousiasme pour les idées qui leur viennent quasi automatiquement quand ils sont inspirés. Et cette inspiration n’est pas particulièrement divine. Un philosophe athée comme Diderot remarquait lui aussi qu’on pense en rêvant, ce qu’il a illustré en rapportant les rêves, réels ou inventés, de D’Alembert. Il était bien loin d’en déduire que sa philosophie athée avait été inspirée par... dieu !

Le cerveau humain produit toutes les pensées de l’homme et, si certaines semblent très éloignées de ce que nous voyons et vivons, c’est parce que le cerveau ne se contente pas d’assembler des faits et des choses vues mais produit de la nouveauté. Il a une capacité à aller plus loin que ce que l’on sait, que ce que l’on voit, d’imaginer, d’inventer, de créer. D’où la religion mais aussi d’om l’art, la science, les mathématiques. Cependant, le cerveau fait partie de l’univers de la matière qui a été de l’inerte au vivant. Les animaux eux aussi ont besoin de rêver… même si personne ne leur a encore attribué des capacités de croire en dieu. Cela peut venir !

Samuel

Inutile d’ironiser ainsi. Cela ne rajoute aucune force aux arguments. Justement, il s’avère que les animaux rêvent mais n’ont pas de tendances mystiques ou spirituelles ! Quant aux capacités du cerveau dont tu parles, si elles sont vérifiées, cela signifie que l’homme a la capacité de recevoir des messages irrationnels. Je n’y vois rien de contraire à l’idée que l’homme a besoin de cette spiritualité, même celui qui s’en défend le plus : l’athée. Et il suffira que la vie le frappe parmi les siens pour que ce besoin lui revienne avec d’autant plus de force qu’il l’aura chassé durement. Chacun sait que nous avons tous des moments où une petite voix nous parle, ce que Socrate appelait son démon intérieur et, que ce philosophe soit religieux ou pas ce qui est encore douteux, il est sûr que nous avons souvent fait cette expérience d’avoir envie de faire quelque chose que notre morale réprouve et d’entendre cette petite voix intérieure.

Robert

Tu as parfaitement raison et sans avoir été frappés par la mort de nos proches, sans un choc, tout homme ressent un dialogue en intérieur entre deux voix qui se combattent sans cesse disant : je vais faire cela et aussi : non, c’est mieux de ne pas le faire. Cela non plus n’a rien de mystique. Il y a des dialogues contradictoires à de nombreux niveaux dans le cerveau : entre les hémisphères cérébraux, entre zones, entre conscient et inconscient, etc… D’où ce sentiment parfois d’être habité par un autre. Les malades de rupture du corps calleux qui joint les deux hémisphères cérébraux sont ainsi atteints de dédoublement de la conscience. La petite voix n’est pas divine non plus.

Samuel

En tout cas, nous avons parfaitement montré que l’homme a connu et défendu des croyances supra-naturelles bien avant qu’existent les classes sociales, l’ordre social fondé sur l’exploitation de l’homme et l’Etat. Cela montre qu’il ne sert à rien d’agiter sans cesse « l’alliance du sabre et du goupillon » pour discréditer le sentiment religieux profond de l’homme. Il ne sert à rien de souligner les horreurs du groupe qui monopolise la Mecque ni la pédophilie des prêtres qui sont des êtres humains, soumis aux mêmes risques que les autres. L’église, les temples, les monastères, les hommes, religieux ou pas, ne sont pas détachés de la terre mais les pensées humaines peuvent s’en détacher.

Robert

Rêver n’est pas se détacher du monde matériel. Halluciner non plus. Se droguer pas davantage. Et pourtant on voit ainsi des mondes inattendus, surnaturels en apparence….

Quant aux institutions de la société ou de la religion, elles ne sont pas le seul lien des croyances avec l’univers réel. Il y a tous les liens entre les croyances humaines et l’activité humaine.

Il suffit de suivre l’évolution des conceptions religieuses.

Tant que l’homme n’a été que prédateur sur la nature, cueilleur de plantes et d’animaux morts, il n’a pas conçu de dieu créateur et la notion de création lui est restée étrangère. L’animisme ne conçoit aucune création et se considère non comme créé mais comme réincarnation, comme élément des cycles de la vie. Quand l’homme est devenu potier, qu’il a figuré en terre glaise des représentations humaines, il a inventé le « dieu potier » qui a donné souffle de vie à des créatures tirées de la glaise.

Un autre exemple : si les croyances de type mystique sont très anciennes, la croyance en un seul dieu date, elle, de la royauté. Pour croire en un roi du ciel, les hommes ont dû d’abord connaître un roi sur terre. Il n’est donc pas étonnant que les rois et les dieux aient eu partie liée depuis toujours. Les Juifs élisaient un roi des Juifs et ils ont aussi défendu l’idée d’un dieu unique pour un peuple unique. Mais ils ne prétendaient pas à un dieu de tous les hommes, à une religion universelle pour la simple et bonne raison que leur vie, à l’époque, ne se concevait qu’en termes d’ethnie d’éleveurs ne se mêlant pas du tout aux autres peuples. Dès que les Juifs ont connu une autre vie sociale en Israël, dans le nord de la Palestine, ils ont fait évoluer leur religion et ceux du sud les ont accusé d’avoir accepté des alliances avec d’autres peuples, une ouverture vers les autres religions. C’est la vie réelle, matérielle et sociale, qui détermine nos conceptions et, en particulier, nous amène à en chercher de nouvelles. Si des hommes ont rompu avec le judaïsme pour créer le christianisme ou l’islam, ce n’est pas parce qu’un dieu leur avait parlé mais parce que leur monde évoluait de manière radicale et nécessitait d’urgence un changement idéologique radical.

Il est évident dans le monde actuel que la question religieuse n’est pas une simple question de convictions personnelles. Les religions ont un rôle politique et social considérable. Des guerres, des guerres civiles, des dictatures, de prétendues insurrections populaires religieuses s’emparent du drapeau de la religion pour cacher des visées bien plus terrestres. Elles ne se contentent pas de donner des instructions religieuses aux croyants. Elles leur proposent des combats sociaux, économiques et politiques. Dans bien des pays, la religion intervient en politique, y compris au sommet de l’Etat. Et, bien entendu, les religions interviennent dans la vie sociale, dans la vie quotidienne.

Les révolutionnaires ne sont pas neutres sur toutes ces questions et ne peuvent nullement se contenter de parler de liberté de croyance, de liberté de culte, de liberté d’athéisme. Ils ne peuvent se contenter de discuter culturellement du phénomène religieux. Car ce n’est pas seulement un phénomène culturel.

La religion n’a rien à voir avec l’ignorance, l’inculture. La culture ne peut suffire à combattre des croyances. Les hommes les plus cultivés ont parfois affirmé des croyances religieuses. La culture et même la science ne peuvent suffire à répondre aux religions. Il ne faut pas compter sur le seul progrès des connaissances, qu’elles soient scientifiques ou artistiques, pour faire face aux croyances religieuses.

Et d’abord, il nous faut une analyse du phénomène religieux. Comme tout phénomène social, celui-ci peut plus aisément être disséqué si on l’étudie au moment où une société est en train de le disséquer réellement : lors de transformation radicales.

On comprend mieux un fonctionnement social au moment où celui-ci est en train de se déchirer que lorsqu’il fonctionne tranquillement sans nullement être contesté.

A bien des moments, les peuples ont contesté leurs propres croyances religieuses. Ces événements sont cruciaux dans la compréhension du rôle et de la signification sociale des croyances religieuses.

Ainsi, le peuple français durant la révolution de 1790 ou le peuple espagnol durant la révolution de 1936 ont connu une vague anti-chrétienne virulente qui a éradiqué des siècles de croyance. Ce n’est pas le travail culturel qui a permis ce changement impressionnant. C’est la lutte sociale qui, arrivée à son point culminant, a entraîné cette prise de conscience. La hiérarchie catholique,qui était du côté de l’ordre établi que le peuple voulait renverser, a elle-même entraîné une telle prise conscience radicale et provoqué cette vague violemment hostile à la religion dans des pays qui étaient profondément croyants.

Ces événements nous donnent un éclairage différent du rôle social des religions, un rôle de conservation de l’ordre social, et du combat contre ces instruments des classes dirigeantes.

Comme le montre également l’histoire ancienne, bien des fois les peuples ont eu à combattre à la fois les classes dirigeantes (ou leurs représentants dans l’Etat) et les hiérarchies religieuses. Quand les peuples ont brûlé les palais, ils n’ont généralement pas épargné les temples. Et ce n’est pas un hasard. L’alliance du sabre et du goupillon ne date pas d’une époque récente.

Pas étonnant non plus qu’ils aient tendance à chuter en même temps.

Cependant, aujourd’hui, les rois sont tombés mais les religions sont toujours présentes. En effet, la royauté n’est qu’une forme de pouvoir au dessus de la société. Si la forme a changé, la domination s’est poursuivie. Les hommes ne sont toujours pas les maîtres de leur propre avenir. Rien d’étonnant alors qu’ils dépendent encore de croyances qui les font passer pour esclaves du destin. C’est leur dépendance économique et sociale qui fait peser un lourd doute sur l’avenir et les amène à continuer, malgré des capacités considérablement accrues par rapport à la nature, de se sentir dépendants d’une force supérieure, qui les dépasse. Le capitalisme a accru, comme jamais auparavant, les capacités techniques de l’homme mais pas ses capacités sociales. Les catastrophes continuent de le frapper et ce n’est pas le nouvel effondrement du système à partir de 2007 qui prouve le contraire. L’avenir est toujours aussi incertain et cela amène les hommes à se sentir faibles, dominés, dépendants et donc inquiets, stressés. Cela ne les mène pas automatiquement aux religions mais cela leur donne une certaine emprise.

Samuel

Tu tiens absolument à identifier idée religieuse et idéologie sociale. Mais l’existence d’une histoire des hommes ne signifie pas qu’elle soit déterminante dans l’histoire des croyances.

Robert

Le dualisme (corps/esprit ; monde matériel/monde spirituel ; naturel/surnaturel) est une caractéristique des religions. Il choisit systématiquement de considérer que les esprits dominent (conception dite idéaliste). Mais ce n’est pas forcément un strict dualisme car les hommes de l’époque semblaient considérer que les esprits vivaient parmi eux, ou en eux, et que le monde matériel n’était qu’illusoire. De telles conceptions peuvent avoir comme fondement la prise de conscience que l’inconscient agit sur nous. Ainsi, le créateur, artiste, scientifique ou penseur, sent ben qu’il est dépassé par sa création. Il n’a pas le sentiment d’avoir pensé consciemment tout ce qu’il a inventé ni de l’avoir seulement trouvé par l’observation de la réalité. Les rêves, le délire des fous, les extases des personnes dans un état de transe, l’effet des drogues naturelles, et bien d’autres phénomènes psychologiques sont à l’origine de cette idée selon laquelle un esprit, étranger à notre corps, nous habiterait. Dans les tribus de chasseurs, il pouvait s’agir de l’esprit animal de la tribu, par exemple l’animal protecteur de la tribu, qui peut être tabou pour la chasse.

Ce ne sont pas les seuls parallélismes entre idéologie religieuse et idéologie sociale. Si l’anthropologue Alain Testart démontre dans "Des dieux à l’image des hommes" que "la figure des dieux a été modelée sur celle des rois", il en va de même des autres manifestations de la croyance religieuse. L’apparition des royautés a été un changement radical dans le mode de direction de la société qui était auparavant un mode collectif et familial. L’apparition d’un personnage unique, le dieu, est tout aussi brutale et un changement tout aussi radical.

Et ce n’est pas la seule fois que l’idéologie religieuse reflète le changement social. La plus grande révolution sociale est certainement le passage de l’homme prédateur de la nature à l’homme créateur de sa production. Il en découle le passage de croyances fondées sur l’appartenance à la nature (animismes, chamanismes, totémismes, ...) à des croyances fondées sur une création de la nature par un esprit. Uns société fondée sur l’ethnie produit une religion ethnique. Quiconque a lu l’Ancien testament ne risque pas d’ignorer qu’il a été écrit par et pour un peuple d’éleveurs ! Une société où la femme est dominée produit une idéologie du même type. L’homme producteur et créateur a un dieu producteur et créateur. Par contre, l’homme prédateur de la nature n’a même pas un mot pour concevoir la notion de "création". L’homme potier a un dieu qui a modelé l’homme comme une poterie. Bien entendu, il s’agit d’une création et non d’un simple reflet. L’homme produit dieu dans son cerveau et il n’est que partiellement un reflet de la société. Il est aussi un reflet de ses besoins individuels et également un reflet de son fonctionnement cérébral, conscient et inconscient.

Cependant, la religion ne s’élève jamais au dessus de la société. Une société qui considère l’esclavage comme normal aura une religion qui en fera de même, comme le judaïsme. Une société qui est désespérée après une tentative échouée de transformation sociale, se terminant dans un bain de sang, produira une religion de la peine et de la consolation mystique dans l’isolement et la renonciation. Une société dans laquelle une classe, autrefois opprimée, se voit devenir dirigeante produira une croyance qui justifie ce nouveau mode de fonctionnement social, comme c’est le cas pour le protestantisme face au catholicisme.

Dans les combats politiques et sociaux, l’idéologie religieuse sera un drapeau couvrant les véritables intérêts sociaux et politiques. Bush n’a pas plus de volonté de défendre le catholicisme contre l’islam que Ben Laden n’a de volonté de défendre l’islam face au catholicisme. Ce sont d’autres problèmes qui sont en réalité à l’oeuvre et qui amènent ces confrontations. Comme c’est le cas dans les guerres d’Afghanistan et d’Irak, l’apparence du combat entre Occident et Orient est une tenue camouflage autant que celle d’un conflit de religions. Les luttes de classes ont été camouflées aussi bien dans les guerres de religion lors de la Saint Barthélemy qu’elles le sont aujourd’hui.

Toutes les idéologies qui présentent la religion comme un constante de l’homme omettent de dire que cette soi disant constante n’a cessé de suivre les changements sociaux. Ainsi, l’idéologie de bien et du mal du moyen-âge a été reflétée par les notions de dieu et de diable, de paradis et d’enfer. Le même christianisme réadapté aux besoins de la bourgeoisie montante et dominante a oublié le diable et l’enfer. La croyance ne préexiste pas à la société, même sil elle joue un grand rôle - surtout conservateur.

La bourgeoisie conquérante d’Europe de l’ouest a eu besoin de combattre la religion chrétienne, pilier de l’ordre féodal. Lors de la révolution française de 1790, cet affrontement a pris un tour radical. Par la suite, la bourgeoisie, arrivée à ses fins, a maintenu la religion pour que le peuple reste à sa place. Dans le reste du monde, où la bourgeoisie a dominé sans mener des révolutions, elle s’est bien gardée de démolir les bases idéologiques des anciens féodalismes ou paternalismes, les idéologies religieuses. Aujourd’hui, elle préfère bien entendu qu’on cultive les mysticismes que les idées révolutionnaires. Même dans le pays le plus scientifique du monde, le plus capitaliste du monde, ce sont des idéologies réactionnaires qui prospèrent.

Samuel

Réactionnaire ! Le mot est lâché ! D’un seul coup, tout ce qui peut venir du mystique, de la spiritualité, de la médiation transcendantale, d’une philosophie idéaliste, de l’immatériel, de la prière, tout cela est décrié violemment par ce terme de réactionnaire qui jette dans le même sac des religions, des croyances diverses, des pratiques aussi diverses, des pensées personnelles comme des grandes religions historiques, ainsi vouées aux gémonies !

Robert

Pas du tout ! Le terme réactionnaire, employé ici, signifie seulement d’un autre âge. Continuer à se croire un éleveur issu des Araméens n’est pas possible mais se revendiquer de sa religion l’est ! S’imaginer vivant dans un peuple mégalithique n’est pas faisable mais on peut essayer de ressentir des émotions fortes en allant se recueillir devant les pierres dressées de Stonehenge.

Les messages des religions sont des messages venus de peuples qui n’existent plus, même dans nos imaginations.

Nous sommes complètement incapables de reconstituer ce que pensait un homme de l’époque de la création de l’ancien testament ou du bouddhisme. C’est à cette époque que ce son message prenait son sens.

Certains prétendent que nous ne devons pas parler d’idéologies réactionnaires à propos des croyances religieuses car ce serait, paraît-il, une insulte à ces personnes et une attitude fausse vis-à-vis des idéologies du passé. Mais prétendre que l’on peut croire au judaïsme de 4000 ans avant J.-C. dans le monde d’aujourd’hui, n’est-ce pas là que réside le véritable mépris des hommes du passé, de leurs croyances et de leur mode de vie ?

Samuel

Je te signale quand même que cette attitude révèle un manque d’ouverture à l’égard de l’essentiel des hommes et cela caractérise tous les matérialistes. Vous croyez comprendre les religions et les religieux en les enserrant dans une histoire humaine, sociale et politique, mais vous méprisez leurs manières de voir. Vous ne vous contentez pas de rejeter pour vous-mêmes les religions, vous les rejetez aussi pour ceux qui y croient. Vous n’échangez aucune idée avec eux. Vous n’estimez pas avoir à donner et à recevoir de leur part. Vous ne débattez pas vraiment.

Robert

Tout d’abord, je te ferais remarquer que c’est toi qui, en refusant d’analyser historiquement les croyances, les met toutes dans le même sac, ce qui est méprisant.

En disant "les religions", nous nous heurtons à une difficulté : le type de contenu a pu varier considérablement d’une religion à l’autre et d’une époque à une autre. Quelle limite donner au terme de religion ? Y a-t-il eu un culte de l’ours ? Ira-t-on jusqu’au culte du taureau, s’il a existé ou de la déesse-mère, dans le même cas ? Peut-on d’un même trait juger de cela et des grandes religions institutionnalisées de notre époque ? Peut-on analyser de la même manière christianisme et bouddhisme ?

Bien sûr que non. Et pourtant, les considérations qui suivent concernent les religions et pas spécifiquement chacune d’entre elles. De même que l’on peut parler de l’esclavage ou de l’homme, du néolithique ou de l’hominisation, même si chaque situation a sa particularité.

La démarche propre à la religion consiste à produire une croyance en des forces immatérielles situées en dehors du monde matériel et au-dessus de lui. Elle détermine, du coup, des comportements consistant non seulement dans une morale humaine, mais dans des règles destinées à obéir aux volontés de ces forces qui dominent le monde terrestre. L’objectif de cet univers virtuel, celui des esprits, qui vient s’ajouter au monde connu de nos sens, est de résoudre les multiples contradictions insolubles de la réalité. En opposant ces deux mondes, le réel et le virtuel, la matériel et l’immatériel, le sensible et l’inconnaissable, l’humain et le divin, le naturel et le surnaturel, la religion prétend résoudre l’existence de ces contradictions fondamentales qui nous heurtent sans cesse de manière douloureuse. Ces contradictions sont celles de la vie et de la mort (comme la nécessité pour survivre de tuer d’autre animaux alors que le chasseur antique se considère lui-même comme un animal et qu’il y a des interdits contre le fait de tuer), du pouvoir et de la faiblesse, de la tentation et de la punition, de la pulsion et de l’inhibition, du bien-être et de la misère, de l’amour et de la haine, du conscient et de l’inconscient, de la connaissance et de l’ignorance, de l’oppresseur et de l’opprimé, de la soumission et de la révolte,… En donnant à la réalité un jour nouveau, celui du mythe, l’homme transcende ses souffrances, ses déchirements entre ces pôles contraires. Cela ne l’aide pas à les surmonter mais plutôt à les supporter. Le mythe ne résout pas le problème réel, mais il lui donne un sens, une interprétation qui le rend plus acceptable, plus général et moins individuel, qui lui permet de ne pas devoir en assumer seul tout le poids puisque c’est la collectivité qui lui dit ce qu’il faut en penser et ce qu’il faut faire dans ces situations. Par la mythologie religieuse, le pauvre accède à la richesse (en pensée), le faible accède à la force, l’ignorant accède à la connaissance, celui qui a peur gagne en confiance (en dieu et pas en lui-même), …

Quant à discuter idées avec des croyants, c’est loin d’être simple.

La religion ne se discute pas, ne se négocie pas, ne se critique pas et ne s’auto-critique pas non plus. La religion est indiscutable car elle n’obéit pas au principe de confrontation avec la réalité sensible. Elle agit dans un autre monde, celui des esprits, que nous ne voyons pas, ne connaissons pas et qui ne nous est accessible que par intercession de certains personnages très particuliers qui font la passerelle entre les deux mondes, sorciers, mages, oracles, astrologues et autres prêtres...

La religion ne se confronte pas. Ni à la science de la nature. Ni à celle de l’Histoire. Elle n’y est pas tenue du fait de sa propre nature. Elle n’a pas besoin de se confronter au monde matériel puisqu’elle est censée obéir aux lois immatérielles. Elle n’a pas à se confronter vraiment à l’Histoire puisqu’elle vise à l’éternité. Le changement historique, elle peut l’admettre dans l’histoire des hommes et des sociétés (la Bible, par exemple, raconte tout plein d’histoires) mais elle n’a pas à soumettre le principe religieux à une histoire. Ce principe visant à l’éternité et à la surpuissance, n’a pas à se soumettre aux aléas de l’histoire qui est du domaine, inférieur : celui des hommes et des biens terrestres.

Samuel

En somme, les religions ne sont que mauvaises ! Je ne vois pas là une conception dialectique. La croyance c’est le Mal !

Robert

La religion en tant que croyance n’est ni bonne ni mauvaise parce qu’elle n’existe pas. Ce qui existe c’est l’institution religieuse et son idéologie. Les deux sont d’abord et avant tout au service des classes dirigeantes. C’est elles que nous combattons parce que nous souhaitons que les hommes agissent consciemment pour libérer la société de ses chaînes.

Samuel

Pourquoi estimes-tu que vouloir changer le monde est philosophiquement incompatible avec croire en dieu ou en une philosophie spirituelle ? Pourtant, les religions et croyances sont toutes porteuses de messages philosophiques et spirituels utiles.

Robert

La religion indique un code de comportement qui divise les attitudes en deux catégories : le bien et le mal. Elle résout la contradiction en divisant tout en deux parties séparées et disjointes. Le mal est absolu, indiscutable, tabou, interdit sous peine de mécontenter les esprits. Il s’oppose diamétralement au bien. L’homme n’a pas à s’interroger lui-même sur ce qui serait bien ou mal : la collectivité en a décidé depuis très longtemps par la voix des ancêtres. Il n’a pas besoin de comprendre. La pérennité des générations est censée lui montrer que la question a été tranchée une fois pour toutes, il y a bien longtemps.

Samuel

On n’est pas obligés de mêler la croyance avec les politiques. Cela ne donne aucun bon résultat et ce n’est nullement indispensable.

Robert

C’est la séparation qui me semble difficile. Dès leur naissance, les religions jouent un rôle politique. Ce n’est pas un détournement d’intention. Le djihad est né avec l’Islam et pas d’Al Qaïda. La croisade chrétienne ne date pas de Bush. C’est dans le texte de la Bible que les Juifs massacrent quiconque prétendait faire partie du peuple élu à l’égal des Juifs. Et la Bible est pleine de guerres contre d’autres peuples et de violences à l’égard de tous ceux qui sont opposés à cette croyance. La religion a été le drapeau des guerres et des révolutions, comme par exemple le protestantisme pour la bourgeoisie d’Europe occidentale. Aujourd’hui aussi impossible de ne pas voir que les religions servent de drapeau pour des combats politiques et sociaux, par exemple dans le monde musulman mais aussi avec le retour d’un catholicisme politique très à droite, anti-musulmans, anti-banlieues et anti-gay en France.

Samuel

Tu ne peux pas défendre ta conception dialectique sans stigmatiser les religions et les religieux ? Voilà ce qui mène à Mao au massacre tibétain, par exemple, au nom de la libération marxiste !

Robert

En faisant la guerre au Tibet, Mao se moquait complètement de la religion de la population. Prétendre qu’il livrait un combat seulement contre le bouddhisme, ce serait comme prétendre que son régime aurait lancé la prétendue « révolution culturelle » ou aurait massacré à Tiananmen parce que les manifestants étaient confucéens ! L’idéologie de Mao n’a pas plus à voir avec le marxisme que l’idéologie des pionniers américains n’a à voir avoir avec le capitalisme américain. Mao défend une conception paysanne, fermée, nationaliste, étatiste, anti-dialectique qui n’a rien à voir ni avec Marx ni avec Lénine. Quant aux motivations du régime chinois, au Tibet comme ailleurs, elles sont d’abord politiques et sociales et pas idéologiques. On le voit puisqu’avec la même couverture idéologique prétendument communiste, le régime chinois se révèle avoir mis en place le plus dynamique des pays capitalistes !

Samuel

En tout cas, les religions ont la vie dure, même au royaume du capitalisme-communiste chinois et cela seul montre que l’aspiration des hommes à la spiritualité ne vient pas du soutien des classes dirigeantes et des Etats mais de besoins humains profonds. Au-delà des différences et divergences entre religions, entre époques, entre régions, j’y vois une profonde continuité des aspirations transcendentales de l’homme.

Robert

La première remarque que nous souhaitons faire concerne la durabilité des religions que certains auteurs soulignent pour indiquer qu’ils les estiment indispensables à l’homme. Les grandes religions semblent relativement vieilles et ont semble-t-il à peu près tenu le coup aux multiples changements sociaux, de mode de vie, de système social. Du bouddhisme au judaïsme ou au christianisme, ils ont passé des vieilles sociétés au monde moderne et cela semblerait nous dire qu’ils correspondent à un besoin humain éternel... Nous ne le pensons pas. Du moins pas en ces termes.

Tout d’abord, ce qui frappe n’est pas exactement la pérennité des religions mais le très grand nombre des religions anciennes qui ont disparu. Cela montre que l’idéologie ne plane pas au dessus de la société. Quand une civilisation disparaît, sa religion ne se maintient pas. Nombre de gens vont se promener près des temples égyptiens que le monde entier nous présente mais personne ne croit plus à la religion des Pharaons ! Seuls les égyptologues la connaissent. Elle n’attire plus personne. Pourtant elle a été le fondement d’un des Etats les plus religieux qu’on ait connu... Cette religion a disparu, comme tout le mode politique, social, de civilisation qui lui était lié.

Or l’essentiel des civilisations ont disparu, ne laissant que quelques traces sous terre...

Les croyances de ces hommes ont disparu avec leur société. Il y a bien un lien entre ces croyances et les institutions qui les ont organisé. Il a fallu des temples, des ordres religieux, des ordres civils aussi pour les imposer, les apprendre aux hommes, aux enfants.

La religion n’est pas indépendante du mode de fonctionnement de la société civile.

On ne conçoit pas, dans les villes actuelles ce que viendrait faire une religion du dieu ours, ni un culte du taureau... Donc la forme qu’a pris la croyance en un monde idéal a changé avec le monde réel. Cependant, elle peut correspondre à des besoins pérennes...

Il y a le besoin de rompre la peur, le besoin de ne pas craindre l’avenir, de ne pas souffrir de la mort des proches, de ne pas avoir à assumer des charges psychologiques qui nous dépassent, le besoin de vivre avec le poids énorme de nos besoins inconscients. Tout cela a bien pu être des besoins qui ont passé au travers des siècles, des types de société, des modes de production divers en restant des besoins humains, moraux, mentaux, psychologiques, et même sociaux que l’on ne doit pas négliger.

L’homme ne vit pas que de pain. Les hommes ont besoin de mythes, de légendes, de rêves, d’idéal. Le cerveau humain ne se contente pas de ce que l’on sait. Il interprète. Il lui faut des thèses sur ce que l’on ne voit pas. Il invente du virtuel. Il brode sur le réel. Il lui faut des sciences mais aussi des philosophies. Ce n’est pas nécessairement des religions. Mais les religions répondent à ce besoin de conception générale philosophique.

Cela ne veut pas dire que les religions suffisent à répondre à ces besoins ni qu’elles vont sans cesse être le moyen d’y répondre...

La mort tient une part considérable dans la société humaine. Elle tient aussi une part très importante dans les religions. Et très probablement, il n’y a aucun hasard que les religions aient tenu à contrôler tous les arts cérémoniaux de la mort. Elles ont également donné une interprétation idéologique générale de celle-ci, permettant à chaque personne qui a perdu ses proches de se sentir prise en charge par la collectivité dans son malheur et dans ses difficultés à vivre sans ce proche.

Certains scientifiques ont cru trouver des bases physiologiques aux croyances religieuses dans des éléments du fonctionnement cérébral. C’est possible. Ce qui est certain, c’est que les rêves, les hallucinations, les pensées inconscientes qui viennent au niveau conscient, les intuitions, les pensées étonnantes au réveil et autres manifestations d’un esprit en nous qui nous dépasse sont des éléments qui ont poussé les hommes à croire aux esprits...

Cela ne signifie pas que les dires, les idéologies qui sous-tendent les religions, correspondent à une quelconque "nature humaine". En effet, ces affirmations là ont varié complètement, s’opposent d’une époque à une autre, d’une religion à une autre.

Elles sont du même domaine que toute idéologie. Cela signifient qu’elles ont une histoire, que cette histoire est liée à l’histoire des sociétés qui les ont porté, que leurs idéologies ne dépendent pas seulement de quelques voyants, prophètes ou autres croyants, mais des besoins matériels et réels de la société qui les portait.

Rien d’étonnant que les religions aient d’abord été féminines puis ensuite machistes. La société suivait exactement les mêmes évolutions... La raison n’en vient pas aux mentalités, mais d’abord aux modes de vie qui avaient changé.

Les religions institutionnalisées qui ont survécu sont toutes extrêmement hostiles aux femmes. C’est une évidence qui frappe de prime abord. Elles datent toutes des débuts de la propriété privée des biens, où la famille est devenue la base de cette propriété, la descendance reconnue devenant du même coup un pilier fondamental de l’ordre social. D’où la nécessité de vérifier que la femme n’avait pas couché avec un autre homme. Les religions ont épousé cet objectif...

Elles ont correspondu ensuite à un besoin de toutes les sociétés fondées sur la propriété privée et ce jusqu’à nos jours...

Après avoir monopolisé la mort, ces religions ont pris barre sur les relations hommes-femmes.

Ensuite, elles ont pris possession de l’idéologie en construction des enfants.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, qu’elles aient assuré une certaine pérennité.

Cependant, il est abusif de dire que les Juifs pratiquent telle quelle leur religion ancienne, ou de même les chrétiens et les bouddhistes. Ce n’est pas faisable ni pensable.

Par exemple, les anciens Juifs étaient esclavagistes, avaient plusieurs femmes, couchaient avec leurs enfants...

Bien entendu, ni l’Islam, ni le judaïsme, ni le bouddhisme ou le christianisme ne peuvent être pratiqués comme à la naissance de ces religions. On ignore d’ailleurs ce qui se faisait à l’époque.
Ceux qui se revendiquent de la continuité ne savent même pas qu’elle est impossible.

Le monde change inexorablement et même un idéaliste qui s’imagine être hors du temps et de l’espace ne l’est pas.

Samuel

Je concluerais plutôt que même un matérialiste qui s’estime être en dehors de la spiritualité ne l’est pas.

Notre conversation se conclue ainsi momentanément. Elle aura peut-être une suite en fonction des demandes des lecteurs…

Messages

  • "Le marxisme est un matérialisme. A ce titre il est aussi implacablement hostile à la religion que le matérialisme des encyclopédistes du XVIII° siècle ou le matérialisme de Feuerbach. Voilà qui est indéniable. Mais le matérialisme dialectique de Marx et d’Engels va plus loin que les encyclopédistes et Feuerbach en ce qu’il applique la philosophie matérialiste au domaine de l’histoire, au domaine des sciences sociales. Nous devons combattre la religion ; c’est l’a b c de tout le matérialisme et, partant, du marxisme. Mais le marxisme n’est pas un matérialisme qui s’en tient à l’a b c. Le marxisme va plus loin. Il dit : il faut savoir lutter contre la religion ; or, pour cela, il faut expliquer d’une façon matérialiste la source de la foi et de la religion des masses. On ne doit pas confiner la lutte contre la religion dans une prédication idéologique abstraite ; on ne doit pas l’y réduire ; il faut lier cette lutte à la pratique concrète du mouvement de classe visant à faire disparaître les racines sociales de la religion. Pourquoi la religion se maintient‑elle dans les couches arriérées du prolétariat des villes, dans les vastes couches du semi-prolétariat, ainsi que dans la masse des paysans ? Par suite de l’ignorance du peuple, répond le progressiste bourgeois, le radical ou le matérialiste bourgeois. Et donc, à bas la religion, vive l’athéisme, la diffusion des idées athées est notre tâche principale. Les marxistes disent : c’est faux. Ce point de vue traduit l’idée superficielle, étroitement bourgeoise d’une action de la culture par elle-même. Un tel point de vue n’explique pas assez complètement, n’explique pas dans un sens matérialiste, mais dans un sens idéaliste, les racines de la religion. Dans les pays capitalistes actuels, ces racines sont surtout sociales. La situation sociale défavorisée des masses travailleuses, leur apparente impuissance totale devant les forces aveugles du capitalisme, qui causent, chaque jour et à toute heure, mille fois plus de souffrances horribles, de plus sauvages tourments aux humbles travailleurs, que les événements exceptionnels tels que guerres, tremblements de terre, etc., c’est là qu’il faut rechercher aujourd’hui les racines les plus profondes de la religion. « La peur a créé les dieux. » La peur devant la force aveugle du capital, aveugle parce que ne pouvant être prévue des masses populaires, qui, à chaque instant de la vie du prolétaire et du petit patron, menace de lui apporter et lui apporte la ruine « subite », « inattendue », « accidentelle », qui cause sa perte, qui en fait un mendiant, un déclassé, une prostituée, le réduit à mourir de faim, voilà les racines de la religion moderne que le matérialiste doit avoir en vue, avant tout et par‑dessus tout, s’il ne veut pas demeurer un matérialiste primaire. Aucun livre de vulgarisation n’expurgera la religion des masses abruties par le bagne capitaliste, assujetties aux forces destructrices aveugles du capitalisme, aussi longtemps que ces masses n’auront pas appris à lutter de façon cohérente, organisée, systématique et consciente contre ces racines de la religion, contre le règne du capital sous toutes ses formes."

    LENINE - De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion. 1909

  • « Pourquoi la religion se maintient‑elle dans les couches arriérées du prolétariat des villes, dans les vastes couches du semi-prolétariat, ainsi que dans la masse des paysans ?

    « Par suite de l’ignorance du peuple, répond le progressiste bourgeois, le radical ou le matérialiste bourgeois. Et donc, à bas la religion, vive l’athéisme, la diffusion des idées athées est notre tâche principale. Les marxistes disent : c’est faux.  »

  • « Aucun livre de vulgarisation n’expurgera la religion des masses abruties par le bagne capitaliste, assujetties aux forces destructrices aveugles du capitalisme, aussi longtemps que ces masses n’auront pas appris à lutter de façon cohérente, organisée, systématique et consciente contre ces racines de la religion, contre le règne du capital sous toutes ses formes. »

  • “S’ils invoquent le ciel, c’est pour usurper la terre.”

    Robespierre

  • Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.

    La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

    Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.

    La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l’homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu’il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l’homme, pour qu’il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu’il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme, tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même.

    L’histoire a donc la mission, une fois que la vie future de la vérité s’est évanouie, d’établir la vérité de la vie présente. Et la première tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, consiste, une fois démasquée l’image sainte qui représentait la renonciation de l’homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique....

    Karl Marx, Critique de la philosophie hégélienne du droit

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