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La révolte des Roms en Slovaquie orientale de 2004 : révolte ethnique ou révolte ouvrière ?

samedi 2 novembre 2013, par Robert Paris

La révolte des Roms en Slovaquie orientale de 2004 : révolte ethnique ou révolte ouvrière ?

(Les Temps maudits, n° 26, pp.47-52, mai-décembre 2007)

Ce qui s’est passé en février 2004 en Slovaque est sans précédent depuis des dizaines et des dizaines d’années. Ce fut une véritable révolte de la faim, la révolte de prolétaires roms réduits à la misère par le capitalisme néolibéral qui a succédé au « communisme » stalinien (capitalisme d’État) et qui a sacrifié toute une partie de son prolétariat - le prolétariat rom - intégré à la classe ouvrière sous le régime stalinien. C’est aussi la première révolte des Roms depuis plus de cent ans.

Si cette révolte est quasiment passée inaperçue en France, ce n’est pas par hasard. La situation des tziganes dans l’hexagone est catastrophique. Ils sont persécutés par les lois sécuritaires de Sarkozy, marginalisés, criminalisés, privés de fait de leurs droits de citoyens et n’ont jamais la parole dans les médias, si ce n’est par l’intermédiaire d’organisations bidon financées par l’État. Cette révolte aurait pu leur donner de mauvaises idées.

UNE FRACTION SACRIFIÉE DU PROLÉTARIAT

La Slovaquie n’est pas une exception aux tentatives du Capital de démanteler l’État-providence dans le but de gagner du temps et de l’espace pour surmonter sa crise. Dans ce pays, les dernières réformes gouvernementales de ce type ont inclus de dures réductions des allocations familiales. Ainsi, en 2002, une famille de 5 personnes pouvait recevoir jusqu’à 17 890 couronnes slovaques d’allocations ; l’année suivante, la somme se réduisait déjà à 13 650, pour en arriver à 6 710 au début 2004. Alors que le salaire moyen était de 14 000 couronnes slovaques par mois en 2003, sa valeur réelle a diminué. Le taux de chômage est d’environ 15,60%, mais les Roms vivent principalement dans des régions où ce chiffre est multiplié par deux, voire plus, eux mêmes pouvant être au chômage à 100%.

Les Roms sont environ 400 000, sur une population totale de 5 400 000 habitants ; ils constituent une minorité nationale, comme les 700 000 Hongrois et 30 000 autres personnes (Tchèques, Moraves, Ruthènes, Allemands, Polonais et Ukrainiens). À cause de leur fort taux de fécondité, leur nombre ne cesse d’augmenter. Avec les anciens niveaux d’allocations familiales, il était possible pour des parents de familles nombreuses d’éviter l’esclavage salarial. Bien sûr, dans ce cas, ils étaient pauvres, mais pouvaient survivre sans souffrir de la famine, surtout s’ils étaient impliqués dans l’économie souterraine (travail au noir, récupération, petits chapardages) ou s’ils pratiquaient l’élevage d’animaux et le jardinage.

Lors des restructurations qui commencèrent en 1989, les Roms ont été les premiers licenciés et, de ce fait, exclus du marché du travail. Depuis, ils n’ont pas eu d’autre choix, même en voulant travailler « normalement ». La plupart des jeunes n’ont jamais été intégrés dans le salariat depuis cette époque.

Le gouvernement slovaque proclama qu’un des buts de sa réforme était d’empêcher que les ouvriers ne vivent de leurs enfants. Il voulait ainsi créer une véritable armée de réserve forcée d’accepter n’importe quel boulot, afin de faire baisser les salaires et de rendre le pays plus attractif pour les investisseurs étrangers. Dans le cas des Roms, cela n’a pas fonctionné. Il est très difficile de trouver même un travail très mal payé dans les zones où le chômage ne descend jamais au dessous de 30%, à plus forte raison si vous êtes victime de discrimination raciale, y compris sur le marché du travail. Les régions les plus touchées par ce processus sont celles de Presov et de Kosice, à l’est de la Slovaquie, où la rébellion a explosé ; elles n’ont pas obtenu plus de 1,8% des investissements étrangers. De plus, le capital étranger veut une main d’œuvre non seulement bon marché, mais aussi qualifiée (dans l’automobile, l’électronique et la sidérurgie) et les Roms sont généralement, comme en France, des travailleurs non qualifiés.

Outre la réduction du montant des allocations, leur attribution est désormais liée à l’acceptation d’un travail d’intérêt général (ce qui donne des idées au gouvernement français, dans le cadre du RMI). Même si les autorités locales avaient assez d’argent pour embaucher des chômeurs dans ses TIG, ce ne serait pas suffisant pour résorber le chômage. Tout ceci nous donne un cocktail explosif.

RÉVOLTE DE LA FAIM ET EXPROPRIATIONS COLLECTIVES

Les premiers signes de révolte sociale dans les régions orientales de Slovaquie apparurent le 2 février 2004. Des habitants du village de Hran (district de Trebisov) refusèrent d’envoyer leurs enfants à l’école, pour protester contre la baisse des allocations. Le 8 février, plusieurs centaines de Roms de Pavlovce nad Uhom manifestaient contre les nouvelles lois. Quatre jours plus tard, un rassemblement similaire, de 300 personnes, avait lieu à Michalovce. Les Roms menaçaient explicitement de pratiquer des expropriations. Entre les 11 et 14 février, un supermarché de la chaîne Billa, à Levoca, était attaqué quatre fois par un groupe d’environ 80 Roms, qui récupérèrent de la nourriture (saucisses de viande et surgelés). Les agents de sécurité appelèrent la police, mais les Roms les menacèrent de représailles, tout en expliquant que s’ils volaient, c’est parce qu’ils n’avaient plus rien à manger.

Le 18 février, une manifestation conjointe de Roms et de non Roms (gadjés) avait lieu à Vranov nad Toplou, pour réclamer du travail. Selon les statistiques officielles, la région comptait 8 000 chômeurs, pour seulement 50 postes disponibles. Les manifestants condamnaient les nouvelles réformes.

Le matin du 20 février, les employés d’un magasin de Drahnov découvrirent que celui-ci avait été pillé. Une autre expropriation eut lieu le même jour à Cierna nad Tison. Une cinquantaine de Roms accompagnés de leurs enfants pillèrent de la nourriture, pour un montant de 40 à 50 000 couronnes. Treize d’entre eux furent arrêtés et condamnés. Le jour suivant, 200 Roms échouèrent à piller un magasin COOP jednota à Trhoviste (district de Michalovce), car le gérant avait verrouillé les portes et prévenu la police. Les Roms demandèrent à entrer dans le magasin pour prendre de la nourriture sans la payer. Ils n’écoutèrent pas les injonctions de la police, qui appela des renforts, dont une unité spéciale de Kosice. Les Roms se dispersèrent, puis revinrent le soir pour envahir le magasin. Malheureusement la police les attendait et 33 d’entre eux furent arrêtés.

Le 23 février, un rassemblement de plusieurs centaines de Roms se tint au centre de Trebisov. La police, considérant la manifestation comme illégale, les refoula. Les Roms essayèrent de piller un magasin, mais la police les chassa dans leurs quartiers et en fit le siège. Dans la soirée, 248 policiers essayèrent de repousser la foule en utilisant des canons à eau, des gaz lacrymogènes, des grenades et des balles d’alarme. Les Roms répondirent par des jets de pierres et de bouteilles, blessant deux policiers et endommageant deux voitures de police, aux cris de : « Fascistes ! » et « Nous voulons manger ! » La rébellion fut matée en une heure, mais le quartier resta coupé du reste de la ville. Le 24, une trentaine de 30 Roms - dont des enfants - attaquèrent un car de police avec des pierres. Plusieurs centaines de policiers investirent le village et les Roms se dispersèrent dans les champs environnants : 69 d’entre eux furent accusés de vol, d’émeute et d’attaque contre la police. Un Rom fit ce commentaire : « On veut juste faire savoir que nos enfants ont faim. Le gouvernement ne nous donne ni argent ni nourriture et, par dessus tout, il nous envoie la police. » Peu de temps après, le gouvernement pris publiquement la décision d’envoyer 600 policiers supplémentaires dans la région. « Ça va être la guerre et nous n’avons pas d’armes », commenta un Rom de Trebisov.

Le 25 février, plusieurs femmes (romnia), enfants (tiknés) et un seul homme (rom) pillèrent un magasin à Caklov La police les arrêta brutalement et blessa gravement un jeune enfant. À partir de cette date, les actions de pillage se déplacèrent de l’est pour atteindre le centre, puis l’ouest de la Slovaquie. Mais ce n’étaient pas des actions isolées. Le point le plus important à noter est qu’à Zemplin, le 24 février, des ouvriers non Roms s’étaient joints aux expropriations collectives. Autre élément d’importance : les descriptions que firent les médias des premiers pillages servirent de propagateurs à la révolte. Tous les reportages télévisés montraient des enfants roms chantant devant des boutiques pillées des slogans « Nous voulons manger ! », des Roms en colère jetant des bouteilles et des pavés, une police utilisant des grenades lacrymogènes et des canons à eau, et des unités spéciales équipées de pistolets mitrailleurs ratissant les campements des émeutiers et des récupérateurs. La manifestation et les pillages de Trebisov sont nés ainsi. Ayant appris ce qui s’était passé dans d’autres villes, les Roms vivant là participèrent spontanément au mouvement. Dans d’autres cas, les Roms investirent des supermarchés en déclarant qu’ils voulaient de la nourriture gratuitement, comme ils l’avaient vu à la télévision.

RÉPRESSION ET RACISME ANTI-ROM

Derrière le déploiement de la police et de l’armée pour briser ces émeutes, le gouvernement slovaque essayait aussi de jouer la carte du racisme, le président de la République, Rudolf Schuster, ayant ouvertement alerté sur le danger possible. Le gouvernement fit de son mieux pour persuader la population que les événements n’étaient pas des « émeutes sociales », mais des émeutes de Roms, selon le ministre de l’Intérieur Vladimir Palko. Il a également défini le mouvement non comme de véritables expropriations collectives, mais comme « un crime tel qu’il s’en commet tous les jours » (chacun sait que les Roms sont des voleurs).

BILAN DE LA RÉVOLTE

Si la lourde répression empêche les Roms d’entreprendre d’autres révoltes, le gouvernement a dû faire quelques concessions. Le ministre des Affaires sociales, M. Kanik, a déclaré que le gouvernement qu’il y était prêt sur la réforme des allocations familiales. Des travailleurs sociaux furent dépêchés dans les régions agitées pour expliquer aux Roms que le pillage était une mauvaise solution, aux conséquences désastreuses. Le le 24 février, le gouvernement fourni des logements provisoires aux Roms de Novacany, près de Kosice, sans domicile depuis deux jours, car leurs caravanes en bois avaient brûlé..Le 25 février, le maire de Trhoviste signait un accord avec l’agence pour l’emploi de Michalovce, fournissant des TIG pour une communauté locale de Roms au chômage qui avaient été impliqués dans les pillages.

Les classes moyennes roms et leur représentation politique jouèrent un rôle important dans la répression et la récupération du mouvement. Le parlement rom appela à une journée de manifestations le 25 février, après avoir même envisagé de bloquer les voies ferrées aux frontières. Mais au fur et à mesure que la lutte de classes se développait et devenait incontrôlable, le parlement rom effrayé fit marche arrière, déclarant que sa proposition de manifestations était déplacée et commençant à parler d’annulation. Mais il se retrouva débordé et ne fut pas écouté. Dans plusieurs endroits, il y eu des manifestations pacifiques et sans pillage. Montrant sa traîtrise, le parlement rom annonça qu’il était temps d’en finir avec les protestations, parce que ce n’était pas la bonne solution, allant jusqu’à proposer son aide à la police, pour supprimer les révoltes en organisant des patrouilles mixtes, formées de policiers et de Roms.

Il faut signaler que ces révoltes - si elles ont montré un haut niveau de conscience de classe - n’ont éclaté que parce que la situation était devenue intenable. Bien qu’il n’ait pas réussi à s’étendre aux grandes villes (l’importante communauté rom de Kosice, capitale de la région, est restée passive), ce mouvement a dépassé le racisme anti-rom, comme le prouvent les manifestations pacifiques du 25 février unissant prolétaires roms et non roms, où ces derniers déclaraient qu’ils auraient dû le faire depuis longtemps et n’étaient pas surpris par ces actions, « car il est impossible de survivre dans ces conditions ».

Une chose est évidente, le capital et ses gouvernements sont incapables de résoudre ces problèmes (le chômage, les droits des minorités roms), tant en Slovaquie qu’en France. Ils ne connaissent qu’une réponse aux revendications : la répression.

RAPPEL HISTORIQUE

Les Roms constituent l’une des branches du peuple romani, qui a quitté l’Inde entre le Ve et le Xe siècle, devant une série d’invasions pour émigrer vers l’ouest et s’est divisé en plusieurs grandes branches roms sinto-manouches et gitanos, elles-mêmes subdivisées en de nombreuses sous branches, tribus et clans parlant des dialectes issus du romani (langue indo-européenne dérivée du sanskrit). Après avoir traversé l’Iran, l’Arménie et l’empire byzantin, ils sont arrivés en Europe au XVe siècle, fuyant l’invasion turque ottomane. Ils ont été bien accueillis en Bohème par le roi Sigismond, qui leur délivra des passeports, d’où leur surnom de « bohémiens ». Intégrés à la classe ouvrière dans la « République socialiste de Slovaquie », les Roms se sont dotés d’organisations propres : le parlement rom pour la moyenne bourgeoisie, les syndicats pour les ouvriers. Certains ont milité au parti communiste tchécoslovaque, jusqu’à atteindre de hautes responsabilités, comme Emil Rigo, membre du Bureau politique, qui fut un stalinien pur et dur, de ceux qui appelèrent les troupes soviétiques pour écraser le printemps de Prague en 1968. Cette moyenne bourgeoisie rom est issue du cadre rom du PCT (la bourgeoisie rouge), après l’écroulement du régime, alors que l’écrasante majorité du prolétariat rom est composée d’ouvriers non qualifiés, donc les premiers sacrifiés par la victoire du néolibéralisme sur le « communisme stalinien ». La communauté rom de Slovaquie a souffert du fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale, sous le gouvernement clérico-fasciste de Mgr Tiso (chef de l’État slovaque vassal de Hitler, entre 1930 et 1945).

PANI, COMMISSION INTERSYNDICALE DES GENS DU VOYAGE DE LA CNT

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