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Hegel a-t-il raison de dire que « Tout ce qui est réel est rationnel » ?

samedi 21 décembre 2013, par Robert Paris

Hegel a-t-il raison de dire que « Tout ce qui est réel est rationnel » ?

« Tout ce qui est réel est rationnel », cette portion fameuse de phrase a été tiraillée en tous sens, commentée de part en part, au point qu’on peut se demander pourquoi on chercherait encore à lui faire dire… ce qu’elle ne disait pas. Car, effectivement, la plupart des commentateurs, qu’ils l’approuvent ou la réprouvent, ne font que commenter un texte qu’Hegel n’a pas écrit.

Et tout d’abord car, philosophe, il n’emploie pas les mots au sens du commun mais en un sens qui lui est tout à fait particulier ce qui, reconnaissons-le, n’aide pas la compréhension. Ce que nous appelons tous les jours réalité, par exemple ce qui se déroule sous nos yeux, n’est pas ce que Hegel appelle « le réel » et ce que nous désignons par rationalité, un raisonnement que nous faisons par exemple, n’est pas « le rationnel » de Hegel. Il conviendra donc de clarifier la signification des concepts hégéliens si on ne veut pas s’en tenir à une interprétation triviale selon laquelle les faits réels ont tous une cause qui, elle-même, a une cause.

Qui plus est, nous verrons que la phrase n’est pas exactement celle-là ni la préoccupation de Hegel dans cette question celle qu’on a le plus souvent imaginée….

Le premier point qu’il convient de savoir, c’est que la phrase en question de Hegel n’est pas une phrase parmi tant d’autres mais, effectivement, l’expression d’une préoccupation, d’un sens fondamental dans la philosophie de Hegel et que comprendre cette phrase, c’est déjà bel et bien comprendre l’essence même de la pensée philosophique de Hegel. On n’est donc pas en train de perdre son temps en triturant une fois de plus une malheureuse phrase secondaire au sein de milliers de pages du plus grand philosophe de tous les temps. Certes, Hegel est un casse-tête intellectuel mais, si la caverne est difficile à trouver, le trésor qui s’y cache en vaut la peine.

Hegel, défenseur de l’ordre établi ?

C’est dans le domaine du droit et de la question de l’Etat que Hegel a été amené à développer ce point de vue. C’est pour cette raison que beaucoup y ont vu une justification de l’ordre social établi qui, même s’il est oppressif, serait le règne de la nécessité. Bien des gens affirment d’ailleurs qu’Hegel était plutôt réactionnaire, un partisan ferme de l’Etat et de l’autorité, disent-ils, ce qui expliquerait cette phrase. Cependant, Hegel est bien plus complexe puisqu’il a été d’emblée partisan de la révolution française qu’il percevait comme le début de la liberté en Europe.

On lira avec profit la réponse sur cette question de Friedrich Engels qui démontre que c’est une parfaite erreur d’interprétation des conceptions de Hegel.

Engels y rappelle notamment que, pour Hegel, ce qui est réel est ce qui est nécessaire et pas tout ce qui existe devant nos yeux. Par exemple, pour Hegel, le féodalisme européen de son époque n’était plus réel. On serait en droit de penser qu’Hegel aurait dit aujourd’hui que le capitalisme n’est plus réel…

Engels écrit dans « Ludwig Feuerbach » :

« Aucune thèse philosophique ne s’est autant attiré la reconnaissance de gouvernements bornés et la colère de libéraux non moins bornés que la thèse fameuse de Hegel : « Tout ce qui est réel est rationnel, et tout ce qui est rationnel est réel. » N’était-ce pas, manifestement, la sanctification de tout ce qui existe, la consécration philosophique du despotisme, de l’État policier, de la justice arbitraire, de la censure ? C’est ainsi que l’interprétèrent Frédéric-Guillaume III, et ses sujets avec lui. Or, chez Hegel, tout ce qui existe n’est nullement réel d’emblée. L’attribut de la réalité ne s’applique chez lui qu’à ce qui est en même temps nécessaire ; « la réalité dans son déploiement s’avère être la nécessité » ; c’est pourquoi il ne considère pas non plus d’emblée comme réelle n’importe quelle mesure gouvernementale - Hegel cite lui-même l’exemple d’ « une certaine institution fiscale ». Mais ce qui est nécessaire s’avère en dernière instance également rationnel, et, appliquée à l’État prussien d’alors, la thèse de Hegel ne signifie pas autre chose que : cet État est rationnel, conforme à la raison dans la mesure où il est nécessaire ; s’il nous paraît cependant mauvais, mais continue néanmoins d’exister bien qu’il soit mauvais, c’est que la mauvaise qualité du gouvernement trouve sa justification et son explication dans la mauvaise qualité correspondante des sujets. Les Prussiens d’alors avaient le gouvernement qu’ils méritaient.

Or, la réalité n’est aucunement, d’après Hegel, un attribut qui revient de droit en toutes circonstances et en tout temps à un état de choses social ou politique donné. Tout au contraire. La République romaine était réelle, mais l’Empire romain qui la supplanta ne l’était pas moins. La monarchie française de 1789 était devenue si irréelle, c’est-à-dire si dénuée de toute nécessité, si irrationnelle, qu’elle dut être nécessairement abolie par la grande Révolution dont Hegel parle toujours avec le plus grand enthousiasme. Ici la monarchie était par conséquent l’irréel et la Révolution le réel. Et ainsi, au cours du développement, tout ce qui précédemment était réel devient irréel, perd sa nécessité, son droit à l’existence, son caractère rationnel ; à la réalité mourante se substitue une réalité nouvelle et viable, d’une manière pacifique, si l’ancien état de choses est assez raisonnable pour mourir sans résistance, violente s’il se regimbe contre cette nécessité. Et ainsi la thèse de Hegel se tourne, par le jeu de la dialectique hégélienne elle-même, en son contraire : tout ce qui est réel dans le domaine de l’histoire humaine devient, avec le temps, irrationnel, est donc déjà par destination irrationnel, entaché d’avance d’irrationalité : et tout ce qui est rationnel dans la tête des hommes est destiné à devenir réel, aussi en contradiction que cela puisse être avec la réalité apparemment existante. La thèse de la rationalité de tout le réel se résout, selon toutes les règles de la dialectique hégélienne, en cette autre : Tout ce qui existe mérite de périr.

Mais la véritable signification et le caractère révolutionnaire de la philosophie hégélienne (nous devons nous borner ici, à la considérer en tant que conclusion de tout le mouvement depuis Kant), c’est précisément qu’elle mettait fin une fois pour toutes au caractère définitif de tous les résultats de la pensée et de l’activité humaines. La vérité qu’il s’agissait de reconnaître dans la philosophie n’était plus, chez Hegel, une collection de principes dogmatiques tout faits, qu’il ne reste plus, quand on les a découverts, qu’à apprendre par coeur ; la vérité résidait désormais dans le processus même de la connaissance, dans le long développement historique de la science qui s’élève des degrés inférieurs à des degrés de plus en plus élevés du savoir, sans arriver jamais, par la découverte d’une prétendue vérité absolue, au point où elle ne peut plus avancer et où il ne lui reste plus rien d’autre à faire qu’à demeurer les bras croisés et à contempler bouche bée la vérité absolue à laquelle elle serait parvenue. Et cela dans le domaine de la connaissance philosophique comme dans celui de tous les autres savoirs et de l’activité pratique.

Pas plus que la connaissance, l’histoire ne peut trouver un achèvement définitif dans un état idéal parfait de l’humanité ; une société parfaite, un « État » parfait sont des choses qui ne peuvent exister que dans l’imagination ; tout au contraire, toutes les situations qui se sont succédées dans l’histoire ne sont que des étapes transitoires dans le développement sans fin de la société humaine progressant de l’inférieur vers le supérieur. Chaque étape est nécessaire, et par conséquent légitime pour l’époque et les conditions auxquelles elle doit son origine ; mais elle devient caduque et injustifiée en présence de conditions supérieures nouvelles qui se développent peu à peu dans son propre sein ; il lui faut faire place à une étape supérieure qui entrera à son tour dans le cycle de la décadence et de la mort. De même que la bourgeoisie, au moyen de la grande industrie, de la concurrence et du marché mondial, dissout, dans la pratique, toutes les vieilles institutions stables et vénérables, de même cette philosophie dialectique dissout toutes les notions de vérité absolue définitive et d’états absolus de l’humanité qui y correspondent. II ne subsiste rien de définitif, d’absolu, de sacré devant elle ; elle montre la caducité de toutes choses et en toutes choses, et rien ne subsiste devant elle que le processus ininterrompu du devenir et du périr, de l’ascension sans fin de l’inférieur au supérieur, dont elle n’est elle-même que le reflet dans le cerveau pensant. Elle a, il est vrai, également son côté conservateur ; elle reconnaît la légitimité de certaines étapes du développement de la connaissance et de la société pour leur époque et leurs conditions ; mais elle ne va pas plus loin. Le conservatisme de cette manière de voir est relatif, son caractère révolutionnaire est absolu - le seul absolu, d’ailleurs, qu’elle laisse prévaloir. »

fin de citation du texte d’Engels.

Sur l’ordre établi, Hegel affirmait que « Ce qui existe mérite de périr parce qu’il contient déjà les contradictions qui causeront sa perte. » et il écrit dans « Histoire de la philosophie » : « Il faut rendre justice à l’aspect négatif ... On doit reconnaître la contradiction présente dans l’existence (...). »
S’il est exact qu’Hegel finira sa vie en parfait réactionnaire politiquement, il écrivait avec enthousiasme sur la Révolution française à ses débuts :
« Les vieilles institutions n’avaient plus de place dans le sentiment développé de la liberté consciente (...). On se comporta destructivement contre ce qui était déjà détruit intérieurement. »
« La liberté devient un état du monde, elle se raccorde à l’histoire du monde, dont elle devient une époque. » proclame Hegel, démesurément enthousiaste, qui rajoute : « Les
deux mondes sont réconciliés ; le ciel est descendu et transporté sur la terre. »

La légende rapporte que, pendant la Révolution française Hegel aurait planté avec Hölderlin et Schelling un arbre de la liberté…
Hegel est demeuré sa vie durant attaché au souvenir de la Révolution de 1789. Il dira, dans ses cours de Berlin sur la philosophie de l’histoire qu’elle fut un « magnifique lever de soleil » :

« Depuis que le soleil se tient au firmament et que les planètes décrivent leur cercle autour de lui, on n’avait jamais vu que l’homme se mît sur sa tête, c’est-à-dire sur la pensée, et édifiât la réalité d’après celle-ci. Anaxagore avait dit le premier que le noûs [la raison] régissait le monde ; mais c’est seulement maintenant que l’homme est parvenu à connaître que la pensée doit régir la réalité spirituelle. Ce fut donc là un magnifique lever de soleil. Tous les êtres pensants ont en commun célébré cette époque. Une émotion sublime a régné en ce temps, un enthousiasme de l’esprit a fait frissonner le monde, comme si l’on était alors parvenu à la réconciliation effective du divin avec le monde. »
« On a dit que la Révolution française est sortie de la philosophie et ce n’est pas sans raison que l’on a appelé la philosophie sagesse universelle. »

Commentaire de Hegel sur la Révolution française dans « Leçons sur la Philosophie de l’Histoire » :
.
« La pensée, le concept du droit se fit tout d’un coup valoir et le vieil édifice d’iniquité ne put lui résister.
Dans la pensée du droit, on construisit donc alors une constitution, tout devant désormais reposer sur cette base.
Depuis que le soleil se trouve au firmament et que les planètes tournent autour de lui, on n’avait pas vu l’homme
Se placer la tête en bas, c’est-à-dire se fonder sur l’idée et construire d’après elle la réalité.
Anaxagore avait dit le premier que le νοῦς (esprit) gouverne le monde ; mais c’est maintenant seulement que l’homme est parvenu à reconnaître que la pensée doit régir la réalité spirituelle. C’était donc là un superbe lever de soleil.
Tous les êtres pensants ont célébré cette époque. Une émotion sublime a régné en ce temps là, l’enthousiasme de l’esprit a fait frissonner le monde, comme si à ce moment seulement on en était arrivé à la véritable réconciliation du divin avec le monde. »

Politiquement, Hegel s’est engagé dans la vague révolutionnaire en Europe, notamment en traduisant et en faisant éditer en Allemagne un texte suisse proposant cette extension de la révolution française : les « Lettres de Jean-Jacques Cart à Bernard de Muralt »

Les dures réalités de la France révolutionnaire devaient le faire tomber de son piédestal :

« La liberté universelle ne peut donc produire ni une œuvre positive ni une opération positive ; il ne lui reste que l’opération négative ; elle est seulement la furie
et la destruction. »

« L’unique œuvre et opération de la liberté universelle est donc la mort, et, plus exactement, une mort qui n’a aucune
portée intérieure, qui n’accomplit rien, car ce qui est nié c’est le point vide de contenu, le point du Soi absolument libre.
C’est ainsi la mort la plus froide et la plus plate, sans plus de signification que de trancher une tête de chou ou d’engloutir une gorgée d’eau. »

« Ainsi la suspicion règne ; mais la vertu, dès qu’elle devient suspecte, est déjà condamnée. La suspicion acquit une formidable puissance et conduisit à l’échafaud le monarque dont la volonté subjective était précisément la conscience religieuse catholique. Robespierre posa le principe de la vertu comme l’objet suprême et l’on peut dire que l’homme prit la vertu au sérieux. Maintenant la vertu et la terreur dominent ; en effet la vertu subjective qui ne règne que d’après le sentiment, amène avec elle la plus terrible tyrannie. Elle exerce sa puissance sans user des formes juridiques et le châtiment qu’elle inflige est lui aussi, simple – la mort. Cette tyrannie devait s’anéantir ; car toutes les inclinations, tous les intérêts, la raison même s’opposaient à cette terrible liberté conséquente qui, dans sa concentration, entrait en scène aussi fanatique. »

Hegel écrivait dans « Introduction à la philosophie de l’histoire » :

« L’histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté - progrès dont nous avons à reconnaître la nécessité... La liberté elle-même n’existe que pour autant qu’elle est en lutte avec son contraire... On confond souvent la liberté avec l’arbitraire ; mais l’arbitraire n’est qu’une liberté irrationnelle, les choix et les décisions qu’il provoque étant dictés, non par la volonté raisonnable, mais par des impulsions accidentelles, par des mobiles sensibles extérieurs. »
Engels dit : « Hegel a été le premier à représenter exactement le rapport de la liberté et de la nécessité. Pour lui, la liberté est l’intellection de la nécessité ». « La nécessité n’est aveugle que dans la mesure où elle n’est pas comprise. » La liberté n’est pas dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées. Cela est vrai aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui régissent l’existence physique et psychique de l’homme lui-même, deux classes de lois que nous pouvons séparer tout au plus dans la représentation, mais non dans la réalité. La liberté de la volonté ne signifie donc pas autre chose que la faculté de décider en connaissance de cause. Donc, plus le jugement d’un homme est libre sur une question déterminée, plus grande est la nécessité qui détermine la teneur de ce jugement... La liberté consiste par conséquent dans l’empire sur nous-mêmes et la nature extérieure, fondé sur la connaissance des nécessités naturelles. »

Karl Marx soulignait ce caractère révolutionnaire de la philosophie d’Hegel : « Sous sa forme rationnelle, la dialectique n’est, aux yeux de la bourgeoisie et de ses théoriciens, que scandale et horreur, parce que, outre la compréhension positive de ce qui existe, elle englobe également la compréhension de la négation, de la disparition inévitable de l’état des choses existant ; parce qu’elle considère toute forme sous l’aspect du mouvement, par conséquent aussi sous son aspect transitoire ; parce qu’elle ne s’incline devant rien et qu’elle est, par son essence, critique et révolutionnaire. »
Comme l’écrivait Léon Trotsky, « Grâce à l’impulsion puissante donnée par la révolution française, Hegel avait anticipé sur le mouvement général de la science. Mais, comme c’était seulement une anticipation, et bien qu’Hegel soit un génie, cela lui donnait un caractère idéaliste. »

Hegel y fait donc profession d’idéaliste pur ?

C’est l’autre type de commentaire dans lequel bien des auteurs ont versé.

On peut en effet croire y lire un simple a priori philosophique idéaliste, c’est-à-dire l’affirmation selon laquelle les idées humaines (le rationnel) priment sur la matière (le réel), et donc la thèse inverse de celle du matérialisme (pour lequel les idées humaines sont une partie de l’univers réel matériel. Effectivement, Hegel est un idéaliste mais pour lui, matière et esprit, c’est exactement le même monde.

D’ailleurs, la phrase exacte de Hegel ne dit pas seulement cela. Elle dit aussi son contraire dialectique :

« Tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel. »

Donc si l’on interprétait la première partie de la phrase comme un a priori idéaliste, la deuxième, elle, serait une affirmation d’un matérialiste convaincu !

La cause de l’erreur de compréhension provient du fait que, pour lui, le réel n’est pas spécialement la matière et le rationnel n’est pas non plus exactement le mode de pensée rationnel de l’homme. Hegel n’entend pas ces notions comme le fait le langage courant. Le réel de Hegel n’est pas la réalité du philosophe pragmatique et le rationnel n’est pas la logique pure du philosophe métaphysicien.

Tout d’abord un a priori philosophique de type scientifique

Hegel est marqué par le bond en avant de la compréhension scientifique de son époque et il affirme son soutien à l’affirmation selon laquelle le monde est connaissable et la connaissance doit porter sur le monde réel et pas s’enfoncer dans les sables mouvants de la métaphysique.

L’idée d’une rationalité s’oppose bien sûr à l’irrationnel, combat le mysticisme, le surnaturel, le magique, l’inexplicable, l’inconcevable, etc… Mais, plus encore, l’idée de rationalité du réel combat celle d’une réalité qui agit n’importe comment, de manière tout à fait inexplicable, sans aucune relation avec des situations réelles et objectives.

Hegel lance d’abord une première affirmation de type scientifique : le monde peut être compris et le monde a besoin pour être compris d’une philosophie qui corresponde au fonctionnement réel du monde.

Une autre affirmation scientifique est contenue dans cette phrase : le monde n’est pas ce qu’il semble être en apparence. Le réel n’est pas l’immédiat, n’est pas l’apparent, n’est pas le bon sens. Il n’y aucune simplicité à reconnaître le réel. Pas plus qu’il n’est facile de construire la philosophie (la rationalité) nécessaire à la science du réel. Pas plus d’évidence du réel que d’évidence de la pensée sur le réel. Pas de compréhension du réel sans pensée sur celui-ci et pas de pensée qui ne soit une pensée sur le réel.

A la phrase : « Tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel. », il rajoute : « L’histoire n’est que la manifestation de la raison. »

Selon lui, le réel obéit à la raison. Cela ne signifie pas qu’il obéisse à la raison humaine. Mais qu’il a une raison propre.

Plekhanov explique ainsi dans "Pour le 60 ème anniversaire de la mort de Hegel" :

"Si Hegel répète, après Anaxagore, que la Raison gouverne le monde, cela ne veut pas du tout dire, dans sa bouche, que le monde est gouverné par la pensée de l’homme. De ce que la nature est un système rationnel, il ne s’ensuit pas qu’elle soit douée de conscience. Le mouvement du système solaire s’accomplit selon des lois immuables, et ces lois constituent la raison de ce système ; mais ni le soleil, ni les planètes qui tournent autour de lui, conformément à ces lois, n’en ont conscience ." (Philosophie de l’histoire , pp. 15-16). Doué de conscience, l’homme assigne des buts précis à son action ; mais l’histoire ne va pas comme le voudraient les hommes. Chaque action humaine entraîne une part d’imprévu, et c’est cette part qui, souvent, ou, plutôt, presque toujours, constitue l’acquisition la plus essentielle de l’histoire ; c’est elle qui conduit à l’accomplissement de l’Esprit universel. Dans l’Histoire universelle, il résulte des actions humaines quelque chose d’autre encore que ce à quoi elles tendaient ." Les hommes agissent comme l’exige leur intérêt, mais la conséquence de l’acte est quelque chose de neuf, quelque chose qui se trouvait certes contenu dans cet acte, mais qui n’était point dans la conscience, ni dans l’intention. (Philosophie de l’histoire , p.35). L’Etat, les peuples et les individus poursuivent des fins privées, personnelles. Et, sous cet angle, ils sont incontestablement des acteurs conscients et pensants . Mais, en poursuivant consciemment leurs fins propres (qui, d’ordinaire, témoignent aussi de certaines aspirations communes vers le Bien et le Juste), ils réalisent inconsciemment les fins de l’Esprit universel."

Quant au rationnel, pour Hegel, c’est l’ensemble des concepts fondamentaux dialectiquement et intérieurement reliés à leurs opposés. Ce qui est rationnel n’est pas le vrai mais la dialectique du changement et du mouvement dans laquelle le vrai et le faux s’échangent sans cesse.

Pour Hegel, l’idée d’une rationalité du réel ne suppose pas du tout que la pensée humaine ou l’âme domine la réalité (ni l’idée inverse). Elle signifie qu’il y a « une raison » dans l’Histoire, « une raison » dans le Vivant, « une raison » dans le fonctionnement de la matière inerte, « une raison » dans la psychologie humaine, « une raison dans la transformation des sociétés ». Cela ne veut pas dire que l’homme parvienne nécessairement à détecter facilement cette « raison interne des choses » en faisant marcher son raisonnement humain. En disant que l’univers a sa propre logique, Hegel n’affirme pas que cette logique interne et objective soit aisément perceptible à l’entendement humain. C’est deux questions tout à fait indépendantes. Par contre, cela indique dans quelle direction l’entendement humain, voulant décrypter le réel, doit se diriger.

Remarquons que cette idée est, dialectiquement, une conception tout autant matérialiste qu’idéaliste. Si le réel obéit à une raison objective, c’est qu’il n’est pas dépendant de la pensée humaine. Dans sa fameuse phrase, n’oublions jamais que Hegel parle de la logique interne du réel et non de la conception logique de la pensée de l’homme.

Hegel affirme donc que le réel, apparemment désordonné, ne semblant obéir à aucune règle, est cependant sujet à une certaine forme de logique qui ne peut nous étonner que parce qu’elle est très éloignée de l’entendement commun encore appelé bon sens. Et la dialectique des contraires est très éloignée du sens commun.

Si parfois, Hegel semble dire que la matière domine l’esprit, parfois c’est l’inverse.

Pour Hegel, la philosophie est « la science de la raison en tant que celle-ci est l’idée et la conscience de toute existence dans son développement nécessaire. »

En fait, cette affirmation de Hegel est, une fois encore, très proche de l’a priori scientifique sur le monde. En effet, tout scientifique, avant même de débuter une étude, une recherche ou une expérience, part de l’idée qu’il existe des interactions connaissables dans le monde réel, des logiques du réel, cachées certes, mais accessibles à la compréhension humaine ou, au moins, existantes.

Le réel est voilé, bien souvent. L’illusion est toujours forte et nous entraîne loin du vrai fonctionnement mais ce véritable mode d’existence du réel existe et peut être trouvé. Utiliser la philosophie adéquate dans ce but n’a rien d’évident mais cela signifie que la réalité a un sens, même s’il est partiellement caché. La réalité n’est pas un simple amas de faits se suivant sans ordre, sans nécessité, sans logique. Elle a une signification. Encore faut-il disposer d’une philosophie permettant d’entendre ses raisons !

Sans l’a priori contenu dans cette phrase de Hegel, le scientifique ne pourrait pas partir à la recherche des fonctionnements du réel, puisqu’on pourrait supposer qu’il n’existerait le plus souvent aucun fonctionnement général à chercher.

Cela peut paraître évident qu’il en existe à chaque fois mais cela ne l’est nullement. Et, chaque fois qu’on cherche le fonctionnement d’un phénomène nouveau, on se rend compte qu’on dispose de trop peur d’imagination conceptuelle pour deviner les mécanismes et la logique du fonctionnement du réel, ce qui fait que l’on est toujours surpris quand la solution est finalement trouvée. Et pour mettre en évidence un phénomène au travers d’une expérience, il faut déjà de l’imagination car, si on regardait seulement la réalité et pas une expérience qui isole le phénomène à étudier et évite les interférences avec d’autres phénomènes, on ne trouverait absolument aucune logique du réel, aucune raison de son fonctionnement.

Même quand il n’a pas trouvé de processus pour isoler le phénomène, le chercheur arrive à l’expérience avec un état d’esprit dit justement scientifique qui lui permet d’être sûr qu’il y a quelque chose à trouver. Si un phénomène particulier se déroule il faut en chercher la raison. La raison n’est pas forcément la même d’un secteur d’étude à un autre ou même d’un phénomène à un autre. Mais lorsque l’atome émet un photon ou que le régime tsariste s’écroule, cette conception affirme que ce n’est pas seulement un effet d’une série de hasard mais, en même temps, le produit d’une série emboitée de raisons, d’une nécessité.

Nécessité, raison interne de la dynamique, logique, histoire, type de rationalité, dialectique des contraires, voilà les notions nécessaires à la compréhension du réel et contenues dans la petite phrase de Hegel et c’est pour cela que nous disions qu’elle contient une bonne partie des conceptions de Hegel.

Il n’y a aucun hasard que la conception de Hegel rejoigne la science. Hegel expose ainsi dans sa préface de 1827 à l’Encyclopédie : « Ce à quoi je me suis appliqué et m’applique dans mes recherches philosophiques, c’est à arriver à la connaissance scientifique de la vérité. C’est là la voie la plus difficile, mais la seule qui possède un intérêt et une valeur pour l’esprit qui, une fois placé sur le terrain de la pensée, ne se laisse pas détourner de son but par de vaines apparences, et qui possède la volonté et le courage que donne l’amour de la vérité… Quant à la science, elle a devant elle ce riche contenu qu’ont amené des centaines et des milliers d’années d’activité scientifique, et ce contenu ne se présente pas à elle comme un fait, ou comme une matière historique que d’autres ont possédée, qui serait passée pour nous, et qui serait un objet fait pour la mémoire… »

Et la science a bien mille donné raison à Hegel : des phénomènes apparemment absurdes ont révélé leur logique inattendue comme la dualité onde/corpuscule dans la physique quantique de la matière et de la lumière, ou encore des phénomènes apparemment désordonnés ont dévoilé un type particulier d’ordre, ou enfin des phénomènes que le bon sens donnait tels se sont révélés autres comme le vide qui s’est révélé plein de toutes les sortes de corpuscules, des situations apparemment calmes qui se sont révélées très agitées, comme la surface de l’eau (avec sa séparation apparemment plan et en réalité sans limitation plan mais avec interpénétration eau/air). Il y a une rationalité à des événements, et y compris à des événements contradictoires.

La raison du réel est d’autant moins évidente qu’elle change suivant l’échelle à laquelle on l’étudie. L’histoire de la révolution française heure par heure n’est pas l’histoire mois par mois ni année par année. L’histoire en suivant les individus ou en suivant les classes ne donne pas les mêmes résultats. Si vous voulez appliquer une logique, il convient de savoir à quelle échelle vous voulez l’appliquer. Par exemple, à notre échelle, nous croyons pouvoir répondre clairement à des situations parce que nous répondons à des questions par oui ou par non. Le corps est au repos ou il ne l’est pas. C’est un corpuscule ou c’est une onde. Un objet est dans un état ou dans un autre. Un objet est dans une position ou dans une autre. Le bon sens nous dirait que cette philosophie doit pouvoir s’appliquer à tous les domaines hiérarchiques de la matière et ce n’est pas exact. A l’échelle quantique, on ne peut plus prédire et dans le vide quantique, on ne peut pas savoir si la possibilité qu’une telle expérience ait lieu est réelle.

Il n’y a donc pas la même raison dans un domaine. Par exemple, pas la même raison dans l’histoire à l’échelle individuelle et à la nôtre d’individus. Nous savons que la raison qui gouverne un individu n’est pas la même que celle qui concerne un groupe. Un groupe d’atomes n’ont pas la même logique dans ses déplacements qu’un atome….

Tout d’abord, une pensée dialectique

Débutons par une citation qui me semble exprimer clairement ce qu’est la dialectique, c’est-à-dire le mouvement du réel aussi bien que le mouvement de l’idée :

« Le phénomène est un processus d’avènement et de disparition, qui, lui-même, n’advient ni ne disparaît, mais est en soi et constitue l’actualité et le mouvement de la vérité vivante. »

La dialectique est fondamentale car elle est le mouvement, transformation aussi bien des idées que du réel. Or des questions comme : ceci est-il réel n’a pas une réponse par oui ou par non. Cela change. Le réel ne s’atteint qu’au bout d’un long parcours comme on le sait en sciences. Parcours durant lequel on change souvent d’une idée pour son contraire. On a d’abord cru à la lumière particule, puis onde puis onde/particule. C’est donc un cheminement qui mène vers le réel. Il n’y a pas de réponse par oui ou par non à des questions comme l’électron est-il réel ? Oui à un niveau d’étude et non à un autre. Oui à un moment et non à un autre.
On ne peut pas séparer le oui du non, pas plus que les deux faces de la même pièce, que les pôles nord et sud d’un aimant, que la tête et le corps d’un homme vivant, que les particules et les antiparticules dans le vide quantique, que la matière et la lumière quantiques, que le plein et le vide dans l’univers matériel à toutes les échelles, etc…

On croit pouvoir répondre par oui ou par non, quelque soit l’échelle où l’on pose la question, si celle-ci est convenablement posée : par exemple, solide ou fluide ? Mais à l’échelle d’une molécule ou d’un petit nombre de molécules, la question ne devient plus correctement posée puisqu’à cette échelle, on ne distingue plus solide et fluide, ni température, ni pression, etc… A notre échelle, un système est dans un état ou dans un autre. A plus petite échelle, loin d’être plus précise, la connaissance de l’état est plus floue. L’état immédiat n’est que l’un des états potentiels et c’est l’ensemble des états potentiels qui détermine le cours de l’histoire et pas seulement l’état actuel qui influe sur les états suivants.

La raison du réel dévoile ainsi ses lois et elles n’ont rien de trivial, de commun, d’évident, de formellement logique, de direct.

La conception scientifique, Hegel l’applique à la pensée tournée vers elle-même. Il donne comme objectif : « connais-toi toi-même » ! Il lui découvre des démarches, des détours, des paradoxes, des pièges et finalement des lois.

Le réel ne s’oppose plus si diamétralement à l’irréel car il est recherche permanente, il est construction progressive, il est confrontation. Le rationnel n’est une réponse par vrai ou faux mais un cheminement qui peut, en cours de route, donner des réponses contraires. Et donner en même temps aussi les deux réponses diamétralement opposées sans que l’on puisse dire : « c’est absurde » mais plutôt « c’est la loi de la dialectique ».

La thèse fondamentale de Hegel est que cette dialectique est constitutive du devenir aussi bien de la pensée que de la réalité ; être et pensée sont donc identiques. Tout se développe selon lui dans l’unité des contraires, et ce mouvement est la vie du tout. Toutes les réalités se développent donc par ce processus qui est un déploiement de l’Esprit absolu dans la religion, dans l’art, la philosophie et l’histoire. Comprendre ce devenir, c’est le saisir conceptuellement de l’intérieur. Ainsi tout ce qui est rationnel est réel, et tout ce qui est « réellement réel » est rationnel. Pour autant, tout ne peut pas être produit nécessairement par l’Esprit. En effet, Hegel distingue dans le donné ce qui répond à une exigence nécessaire, et ce qui n’est qu’expression contingente de cette nécessité. Napoléon est à la fois l’incarnation d’un moment nécessaire de l’Idée et un individu particulier, privé, dont un simple valet de chambre pourrait raconter l’histoire… mais ce ne serait que l’histoire du point de vue de ce valet, et non l’histoire du point de vue de sa signification en soi et pour soi, l’histoire philosophique. Mais cette compréhension de la réalité ne peut venir qu’une fois les oppositions synthétisées et résolues, et c’est pourquoi la philosophie est la compréhension de l’histoire passée : « la chouette de Minerve ne prend son envol qu’au crépuscule. » Par exemple, Napoléon achève la Révolution française et Hegel le comprend.

Conclusion :

L’importance de cette thèse de Hegel ne doit pas être minimisée : elle place le lien entre la liberté et la nécessité, entre le hasard et la loi, entre l’Histoire et la Raison. Pour Marx et Engels, elle représentera le changement radical permettant de quitter les Lumières et les utopistes pour entrer dans le domaine de l’étude et de l’intervention au sein de la chaîne de ma nécessité du développement historique, de quitter la métaphysique du réel, qui mène à la religion de l’ordre comme à la religion du désordre, pour entrer dans la dialectique du changement nécessaire et de l’ordre nouveau potentiel.

Voici maintenant ce que dit Hegel de sa propre phrase :

« L’on trouve dans la préface de ma Philosophie du Droit, ces propositions : « Ce qui est rationnel est aussi réel, et ce qui est réel est aussi rationnel. » Ces propositions bien simples ont été vivement attaquées, et elles ont paru extraordinaires... Mais en ce qui concerne leur signification, pour la bien saisir, il faut se pénétrer de ce principe (…) que, relativement à la forme, l’existence est en partie apparence et en partie réalité. Dans la vie ordinaire, tous les événements, l’erreur, le mal et tout ce qui appartient à cet ordre de choses, ainsi que toute existence passagère et périssable, sont accidentellement appelés des réalités. Et même, aux yeux de la conscience vulgaire, c’est une exagération que de considérer une existence contingente comme une réalité, car une telle existence n’a que la valeur d’une possibilité, laquelle peut être aussi bien ou n’être pas. Mais, lorsque j’ai parlé de réalité, il était bien aisé de comprendre dans quel sens j’ai employé cette expression, puisque dans ma Logique, j’ai traité de la réalité, et que, non seulement je l’ai distinguée du contingent, qui a, lui aussi une existence, mais de l’être, de l’existence et d’autres déterminations.

Plusieurs opinions s’élèvent contre la réalité de la raison. D’une part, je ne vois pas dans les idées et l’idéal que des êtres chimériques, et dans la philosophie qu’un système de ces fantômes. D’autre part, l’idéal est considéré comme quelque chose de trop excellent pour avoir une réalité, ou encore comme ne pouvant pas la produire. Mais la séparation de la réalité et de l’idée plaît surtout à l’entendement qui prend les rêves de ses abstractions pour des êtres véritables (…). »

Hegel, dans Introduction à la Petite Logique

Qu’explique donc Hegel sur sa conception du réel dans Science de la Logique ?

« Réalité peut être un mot à plusieurs sens, parce qu’il est utilisé par des déterminations très diverses, et même opposées. Lorsqu’on dit de pensées, de concepts, de théories, qu’ils n’ont aucune réalité, cela veut dire alors qu’il ne leur revient aucun être-là extérieur, aucune effectivité ; en soi ou dans le concept, l’idée de la république platonicienne pourrait bien être vraie. A l’inverse, c’est seulement l’apparence de la richesse qui est présente dans le train de vie, on dit également que « la réalité fait défaut », et l’on entend que ce train de vie n’est qu’un être-là extérieur qui n’a aucun fondement intérieur. De certaines occupations, on dit qu’elles ne sont pas des occupations réelles, savoir ne sont pas des occupations qui ont une valeur en soi ; ou bien de raisons, qu’elles ne sont pas réelles, dans la mesure où elles ne sont puisées à l’essence de la Chose…. Les choses sont dites en soi dans la mesure où on fait abstraction de tout être-pour-autre-chose, c’est-à-dire en général dans la mesure où elles sont pensées sans aucune détermination, comme des néants. »

La réalité définit donc pour Hegel un niveau d’intelligence très approfondi : elle est déterminée et non contingente.

La raison, pour Hegel, est objective et n’est donc pas l’expression de la pensée humaine. Elle est contenue dans la logique du mouvement réel. La raison est dialectique car c’est par la dialectique que se construit le chemin aussi bien de l’entendement que de la matière.

Pour Hegel, « la raison non dialectique n’est pas capable de connaître le rationnel. » (Introduction à la Science de la Logique)

A la finale, on peut conclure que tout concept, aboutissement hégélien du réel, s’appuie sur une logique dialectique et l’expose.

Hegel écrit : « Le point de vue essentiel tient en ce que l’on a affaire en somme à un concept nouveau du traitement scientifique. La philosophie, en tant qu’elle doit être science, ne peut pas à cet effet, ainsi que je l’ai rappelé ailleurs, emprunter sa méthode à une science subordonnée comme l’est la mathématique, pas plus qu’elle ne peut en rester aux affirmations catégoriques de l’intuition intérieure, ou se servir du raisonnement fondé sur la réflexion extérieure. Mais c’est seulement à la nature du contenu qu’il revient de se mouvoir dans le connaître scientifique, en tant que c’est cette réflexion propre du contenu qui seulement pose et produit à la fois sa détermination même.

L’entendement détermine et fixe les déterminations ; la raison est négative et dialectique, parce qu’elle réduit à rien les déterminations de l’entendement ; elle est positive parce qu’elle produit l’universel, et subsume en lui le particulier. De même que l’on a coutume de prendre l’entendement comme quelque chose de séparé de la raison en général, de même aussi a-t-on coutume de prendre la raison dialectique comme quelque chose de séparé de la raison positive. Mais dans sa vérité la raison est esprit, et celui-ci est supérieur à l’un et à l’autre, il est une raison d’entendement ou un entendement de raison. Il est le négatif, ce qui constitue aussi bien la qualité de la raison dialectique que de l’entendement ; - il nie ce qui est simple, et c’est ainsi qu’il pose la différence déterminée de l’entendement ; il dissout tout autant cette différence, et c’est ainsi qu’il est dialectique. Pourtant il ne se maintient pas dans le néant de ce résultat, mais en lui il est aussi bien positif, et ainsi il a établi par là le premier terme simple, mais comme un universel ; sous cet universel n’est pas subsumé un particulier donné, mais dans ce déterminer et dans sa réduction le particulier s’est déjà co-déterminé. Ce mouvement spirituel, qui dans sa simplicité se donne sa détermination et dans celle-ci son égalité avec lui-même, et qui est donc le développement immanent du concept, est la méthode absolue du connaître, et en même temps l’âme immanente du contenu lui-même. – C’est seulement en suivant ce chemin qui se construit lui-même que la philosophie, je l’affirme, est capable d’être science objective, démontrée. – C’est de cette manière que j’ai essayé de présenter la conscience dans la « Phénoménologie de l’Esprit ». La conscience est l’esprit comme objet concret ; mais le mouvement par lequel elle se meut vers l’avant repose uniquement, comme il en va du développement de toute vie naturelle et spirituelle, sur la nature des essentialités pures qui constituent le contenu de la logique. La conscience, en tant qu’elle est l’esprit se manifestant, qui se libère sur son chemin de son immédiateté et de sa concrétude, parvient au niveau du savoir pur qui a pour objet ces essentialités pures elles-mêmes, telles qu’elles sont en et pour soi. Ce sont les pensées pures, l’esprit qui pense son essence. Leur auto-mouvement est leur vie spirituelle, il est ce par quoi la science se constitue et ce dont elle est la présentation… »

Messages

  • « Qu’ils sont aveugles, ceux qui s’imaginent que des institutions, des constitutions, des lois qui ne sont plus en accord avec les moeurs, les besoins, l’opinion des hommes, des lois qui n’expriment plus l’Esprit, peuvent continuer à subsister, - que des formes dans lesquelles l’intelligence et le sentiment ne s’intéressent plus sont assez puissantes pour constituer l’unité d’un peuple. Toutes les tentatives de restituer, par un barbouillage grandiloquent, la confiance en des rapports et des parties d’une constitution que la foi a quittée, de donner un vernis de belles paroles aux fossoyeurs, non seulement couvent de honte leurs malins inventeurs, mais encore préparent une éruption bien plus effrayante, dans laquelle au besoin de l’amélioration s’ajoute la vengeance ; et la foule, toujours dupée et opprimée punit aussi la malhonnêteté. Devant le sentiment de l’ébranlement de toutes choses, ne faire rien qu’attendre tranquillement et aveuglément l’écroulement du vieil édifice plein de fissures et attaqué dans ses racines et de se laisser écraser par l’échafaudage croulant est contraire à la sagesse autant qu’à la dignité. »

    Friedrich W. Hegel (1798)

    Celui qui a écrit cela peut-il être qualifié de réactionnaire ?

  • « Il faut se garder, dans des recherches qui peuvent bien avoir pour objet la connaissance rationnelle, de considérer comme nécessaires, ou, suivant l’expression consacrée, de construire a priori des phénomènes qui sont marqués du caractère de la contingence. Ainsi, bien que le langage, par exemple, soit, pour ainsi dire, le corps de la pensée, la contingence y joue cependant un rôle, comme elle en joue un dans le droit, dans l’art, etc. Il est vrai de dire que la tâche de la science, et surtout de la philosophie, consiste à saisir la nécessité cachée sous l’apparence de l’être contingent. Mais il ne faudrait pas cependant entendre la chose comme si la contingence n’était que le fait de notre représentation subjective, et comme si, pour atteindre à la vérité, il n’y avait qu’à l’écarter.... La contingence, en tant que réalité immédiate, est en même temps la possibilité d’une autre existence, non à titre de simple possibilité abstraite, telle que nous l’avons d’abord rencontrée, mais comme possibilité réelle. Et c’est ainsi qu’elle est condition. Lorsqu’on parle de la condition d’une chose, on veut dire d’abord qu’on a une existence, un être immédiat, et ensuite qu’on a une détermination suivant laquelle cet être immédiat doit être supprimé pour servir à la réalisation d’autre chose. La réalité immédiate comme telle n’est pas en général ce qu’elle doit être, mais elle est comme brisée ; c’est une réalité finie et c’est sa destinée de se consumer. »

    Friedrich W. Hegel (« Petite Logique »)

  • « Il ne faut pas s’arrêter à l’être immédiat ou à la détermination en général, mais il faut en revenir à la raison d’être. »

    Friedrich W. Hegel (« Grande Logique »)

  • « Même quand des déterminations juridiques sont justes et rationnelles, il est tout à fait différent de les montrer comme telles, ce qui ne peut se faire réellement que par le concept – et d’exposer le côté historique de leur apparition, les circonstances, les cas, les besoins, les événements qui ont suscité leur établissement. La justification historique, quand elle confond l’avènement externe avec l’avènement conceptuel, fait inconsciemment le contraire de ce qu’elle a l’intention de faire. Quand l’avènement d’une institution dans des conditions déterminées se démontre complètement nécessaire et conforme au but, et que par là l’exigence du point de vue historique est remplie, il s’ensuit, -.si l’on veut faire passer cette explication pour une justification de la chose elle-même ; - plutôt le contraire. En effet : puisque ces circonstances n’existent plus, l’institution n’a plus de sens ni de légitimité. Ainsi, par exemple, quand on fait valoir pour la conservation des ordres monastiques leurs mérites dans le défrichement et le peuplement des déserts, dans la conservation de l’érudition pour l’enseignement et les copies, et qu’on considère ces mérites comme une raison pour perpétuer les cloîtres, il s’ensuit justement de ces arguments que dans des circonstances changées, et du moins dans cette mesure, les cloîtres sont devenus superflus et inutiles. »

    Friedrich W. Hegel (« Philosophie du Droit »)

  • « La Raison est l’unité la plus haute de la conscience et de la conscience de soi – de la connaissance d’un objet à la connaissance de soi. Elle est la certitude que ses déterminations sont également objectives, c’est-à-dire des déterminations de l’essence des choses en même temps qu’elles sont des pensées subjectives. »

    Hegel dans Propédeutique philosophique

  • « La raison ne peut penser et agir dans le monde que parce que le monde n’est pas un pur chaos. »

    Friedrich Hegel

  • « Dans la culture, les œuvres originales et tout à fait prodigieuses sont comparables à une bombe tombant dans une ville paresseuse, où tout çà est assis devant sa chope de bière, plein de sapience, et ne sent pas que c’est justement son plat bien-être qui a provoqué l’éclat du tonnerre. »

    Friedrich Hegel

  • Pas évident cette question posée par Hegel !

    « Le plus incompréhensible sur le monde, c’est qu’il soit compréhensible. »

    Albert Einstein

  • Engels écrit dans « Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande »

    « La réalité n’est aucunement, d’après Hegel, un attribut qui revient de droit en toutes circonstances et en tout temps à un état de choses social ou politique donné. Tout au contraire. La République romaine était réelle, mais l’Empire romain qui la supplanta ne l’était pas moins. La monarchie française de 1789 était devenue si irréelle, c’est-à-dire si dénuée de toute nécessité, si irrationnelle, qu’elle dut être nécessairement abolie par la grande Révolution dont Hegel parle toujours avec le plus grand enthousiasme. Ici la monarchie était par conséquent l’irréel et la Révolution le réel. Et ainsi, au cours du développement, tout ce qui précédemment était réel devient irréel, perd sa nécessité, son droit à l’existence, son caractère rationnel ; à la réalité mourante se substitue une réalité nouvelle et viable, d’une manière pacifique, si l’ancien état de choses est assez raisonnable pour mourir sans résistance, violente s’il se regimbe contre cette nécessité. Et ainsi la thèse de Hegel se tourne, par le jeu de la dialectique hégélienne elle-même, en son contraire : tout ce qui est réel dans le domaine de l’histoire humaine devient, avec le temps, irrationnel, est donc déjà par destination irrationnel, entaché d’avance d’irrationalité : et tout ce qui est rationnel dans la tête des hommes est destiné à devenir réel, aussi en contradiction que cela puisse être avec la réalité apparemment existante. La thèse de la rationalité de tout le réel se résout, selon toutes les règles de la dialectique hégélienne, en cette autre : Tout ce qui existe mérite de périr. »

  • Hegel :

    « La raison ne peut penser et agir dans le monde que parce que le monde n’est pas un pur chaos. »

    « La raison gouverne le monde et par conséquent gouverne et a gouverné l’histoire universelle. »

    « La raison est l’opération conforme à un but. »

    « La philosophie peut être considérée comma la science de la liberté ; parce qu’en elle disparaît le caractère étranger des objets, et par là la finitude de la conscience, c’est uniquement en elle que se dissipent la contingence, la nécessité naturelle et la rapport à une extériorité en général, et par là la dépendance, la nostalgie et la crainte ; c’est seulement dans la philosophie que la raison est absolument auprès d’elle-même. »

    « On peut appeler ruse de la Raison le fait que celle-ci laisse agir à sa place les passions, en sorte que c’est seulement le moyen par lequel elle parvient à l’existence qui éprouve des pertes et subit des dommages. »

  • Hegel dans « La Raison dans l’Histoire » :

    « La seule idée qu’apporte la philosophie est la simple idée de la raison – l’idée que la Raison gouverne le monde et que, par conséquent, l’histoire s’est elle aussi déroulée rationnellement. »

  • « Dans la nature, tout a toujours une raison. Si tu comprends cette raison, tu n’as plus besoin de l’expérience. »

    Léonard de Vinci

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