Accueil > 16- EDITORIAUX DE LA VOIX DES TRAVAILLEURS > Diviser pour régner

Diviser pour régner

mercredi 12 février 2014, par Robert Paris

Diviser pour régner

« Nous sommes menacés par l’invasion massive des travailleurs étrangers » déclarent les Suisses, ou du moins certains d’entre eux, dénonçant ainsi des travailleurs français, italiens, allemands ou belges, etc, qu’ils accusent de tous les maux de la terre, du chômage, des taxes, des impôts, de la hausse du coût de la vie ou de l’insécurité. Or la Suisse en est à la nième version des mesures antimigratoires et a une des législations les plus sévères en la matière. Inutile de dire qu’en Suisse comme ailleurs, il s’agit d’une démagogie et que les vrais responsables de la situation de crise ne sont nullement étrangers. D’ailleurs, ceux qui accusent les étrangers, en Suisse comme ailleurs, sont le plus souvent ceux qui ne les fréquentent même pas. Ce sont les cantons où il n’y a presque pas d’étrangers qui ont massivement voté contrairement aux cantons où il y en a une forte proportion.

En France, aussi, ce sont les petites villes, les régions rurales et les départements comme Alsace ou Lorraine où il y a très peu d’étrangers qui sont les plus susceptibles de tomber dans la pire démagogie raciste et anti-immigrés, ou même anti Français d’origine maghrébine, africaine ou autre.

D’ailleurs, des démagogues de tous bords n’ont pas tardé de se saisir de l’ « initiative suisse » pour réclamer un référendum en France ou de nouvelles lois, qu’il s’agisse de l’extrême droite pour laquelle la panacée est la sortie de l’Europe, de la droite qui menace de sortir de l’espace de Schengen ou de la gauche type Valls qui réclame de pouvoir casser la législation actuelle du droit de séjour des étrangers pour la rendre encore plus stricte. Le gouvernement de gauche n’est pas le dernier à jouer de la montée des nationalismes, lui qui mène campagne contre les Roms, qui stigmatise une prétendue invasion des travailleurs bulgares et roumains, qui s’attaque aux sans-papiers, qui s’investit en faveur d’une guerre en Syrie, prend partie pour l’Etat d’Israël contre les Palestiniens, contribuant à faire porter en France le conflit, etc.

Gauche, droite et extrême droite (jusqu’à la gauche de la gauche !) rivalisent de nationalisme, qu’il s’agisse de situation économique, de chômage, de fermetures d’entreprises sur le même thème : l’étranger, ce serait le danger ! Et en apprenant que la Suisse rejetait les immigrés français, certains en ont conclu non qu’ils souhaitaient exclure les Suisses de France mais plutôt les Arabes. Curieuse symétrie !!! Ces gens-là aimeraient bien que des référendums montrent la haine de l’opinion publique à l’égard des étrangers mais ils se gardent bien de demander des référendums pour dire « pour ou contre les aides sans fins aux banques et aux trusts » ou bien « pour ou contre les guerres de la France aux quatre coins du monde » comme la dernière guerre au Mali qui s’étend maintenant au Niger, au Tchad, en Libye.

Fondamentalement, cette montée des nationalismes, des xénophobies et des haines est le produit d’un monde capitaliste, incapable de se sortir de sa crise depuis 2007, qui se délite, se dégrade, devient plus violent, plus misérable, plus dur mais les travailleurs immigrés ne sont, comme tous les travailleurs, que des victimes de ces bouleversements et n’en sont nullement la cause. Même les catastrophes qui obligent des Ivoiriens, des Maliens, des Nigériens ou des Centrafricains à immigrer proviennent des mêmes sources que les catastrophes qui amènent les suppressions massives d’emplois à Bouygues, Renault, Peugeot. Ce sont les trusts et l’Etat français qui détruisent ces pays comme ils détruisent nos emplois. Les peuples ne sont nullement les responsables de ces destructions, de ces guerres, de ces effondrements économiques, sociaux et politiques.

Accuser les étrangers, c’est une manière de blanchir les classes dirigeantes et leur Etat. Ce n’est pas les immigrés qui dirigent Peugeot. Ce n’est pas les immigrés qui dirigent les banques et ponctionnent ainsi nos impôts pour les renflouer périodiquement à coups de centaines de milliards. Ce n’est pas les immigrés qui décident que l’argent de nos impôts doive être distribué au grand capital sans la moindre obligation d’embauches en contrepartie. Ce n’est pas les immigrés qui poussent le gouvernement à casser progressivement les retraites, les services publics, la santé, les transports, la Sécu, le code du travail et on en passe… Il n’y a aucune pression en ce sens qui serait due à la présence de travailleurs étrangers. Ceux qui accusent l’immigration sont des lâches qui n’osent pas accuser leur propre couardise. Au lieu de s’en prendre aux vrais responsables des licenciements massifs, les patrons des trusts et des banques et le gouvernement qui les soutient, ils s’en prennent à d’autres victimes. C’est tellement plus simple !

Mais si, nous travailleurs, ne parvenons pas à nous unir dans un vaste mouvement d’ensemble contre les licenciements et suppressions d’emplois, en quoi cela peut nous sauver d’accuser d’autres travailleurs des malheurs qui nous frappent ? Si nous continuons à suivre les stratégies désastreuses des directions syndicales en nous défendant dos au mur, entreprise par entreprise, site par site, corporation par corporation, au lieu de définir un plan de lutte d’ensemble, un programme social général et d’entraîner tous les travailleurs, du public et du privé, dans une même lutte. Comme il est plus simple d’accuser nos frères qui ont seulement une autre origine nationale (ou une couleur de peau, ou une religion différente) plutôt que de nous en prendre à nos propres faiblesses, à nos propres défauts, à nos propres limites dans la défense de nos intérêts communs.

Certains Français estiment qu’ils sont chez eux et que c’est à eux de décider s’ils acceptent sur « leur sol » des étrangers. Mais, puisqu’ils sont « chez eux », pourquoi y laissent-ils des gens qui leur sont vraiment étrangers, comme les banquiers, comme les capitalistes, comme les patrons des trusts, détruire leur entreprise, détruire leur emploi, détruire leur santé, les poussant parfois au suicide, détruire leur vie de famille et leur logement ?

Opposer étrangers et nationaux, opposer les peuples entre eux, accuser les Roms, les Roumains, les Bulgares, ou encore les Grecs, les Espagnols, les Portugais, les Africains ou les Maghrébins d’être des causes du chômage, c’est cacher la vraie opposition qui devient violente avec la crise, celle entre une minorité de possesseurs de capitaux et le reste de la population. C’est cacher que la cause du chômage s’appelle Peugeot, Total, Sanofi, Bouygues, les banques sans parler de l’Etat français qui supprime massivement des emplois de postiers, d’infirmiers, de cheminots, d’enseignants, etc. Nous n’avons pas réussi à nous opposer à toutes ces attaques mais est-ce une raison pour s’en prendre à des boucs émissaires ? Pourquoi tomber dans le panneau qui nous est tendu en dérivant la colère sociale vers des questions sociétales afin d’opposer pro et anti Musulmans, pro et anti Juifs, pro et anti famille gay, pro et anti PMA, pro et anti IVG, afin de prétendre que l’essentiel qui serait menacé ne serait pas l’emploi, le salaire, les conditions de travail, le logement, la santé mais une prétendue identité nationale, identité religieuse, identité raciale, identité civilisationnelle !

Ce qu’on appelle l’ « identitaire » est devenu une nouvelle manière de présenter de la volonté d’opposer entre elles deux fractions de la population laborieuse en prétendant mettre en avant des « valeurs chrétiennes », des « valeurs occidentales », des « valeurs anti-islamiques » et aussi, bien sûr, des valeurs pro-sionistes ou pro-islamistes.

Comme par hasard, à chaque grande crise économique, la solution avancée par les classes dirigeantes consiste à faire monter la haine entre les peuples, à développer racisme, xénophobie, divisions raciales, religieuses, ethniques, régionales, de sexe ou de genre et autres.

Plus la situation va avancer, plus il deviendra clair qu’une alternative seule existe :

 soit unir les travailleurs de toutes origines, de toutes activités professionnelles, du public et du privé, avec ou sans papiers, avec ou sans religion, avec ou sans CDI, avec ou sans origines étrangères, les unir contre les grands capitalistes et leurs défenseurs gouvernementaux, contre le droit des possesseurs de capitaux de nous faire perdre notre emploi, notre gagne-pain, de détruire nos vies.

 soit opposer violemment entre eux les exploités, en déclenchant une guerre civile violente contre les jeunes de banlieue, contre les Musulmans, contre les immigrés, contre les populations d’origine maghrébine ou africaine, etc… Les dernières manifestations de l’extrême droite ont montré ce qui pousse sur le terreau de la crise du capitalisme et cela s’appelle le fascisme. C’est une extrême droite qui utilise la démagogie, qui dénonce aussi les banquiers, qui dénonce l’Europe, qui parle même de révolution (en y rajoutant de suite nationale). Le national-socialisme, cela ne vous rappelle rien ? Et vous ne croyez pas que suffisamment de Français ou d’Allemands (sans parler des autres peuples) ont eu leurs yeux pour pleurer afin qu’on n’en remette pas une couche ?

Le pire de tout serait d’être fasciné par une montée des idées d’extrême droite… Ceux qui se polarisent sur la vague d’opinions publiques fascistes, et proposent d’y résister en appelant au retour à des valeurs de modération républicaines et démocratiques, ne nous aident pas à combattre la situation réelle. Ce n’est pas l’opinion petite bourgeoise nationaliste ou raciste, surexcitée, affolée par sa peur des conséquences de la crise du système, même si elle influence des franges du prolétariat, qui fait la loi. La racine du mal n’est pas l’opinion mais l’effondrement du capitalisme. La petite bourgeoisie n’a aucune perspective propre à offrir et ne peut sortir du système. Même le fascisme ne parvient au pouvoir que par décision de la classe capitaliste et non du fait d’une montée d’un quelconque opinion publique. Ce n’est pas un choix d’opinion qui amène la grande bourgeoisie à choisir le fascisme, c’est un choix de classe. Certes, si la petite bourgeoisie abandonne son choix traditionnel de l’ordre pour devenir violente et agressive, c’est à cause de la crise du système qui ne lui offre plus la vie dont elle bénéficiait mais ce n’est pas pour cela que la petite bourgeoisie devient capable de diriger la société. Seules la bourgeoisie et le prolétariat le sont. Et c’est la lutte des classes qui est l’issue de la crise.

Ce qui déterminera l’avenir, c’est qui l’emportera de la bourgeoisie et du prolétariat. Pas qui l’emportera entre les Français et les autres, les Européens et les autres, les Occidentaux et les autres, ni les Chrétiens, les Musulmans et les Juifs…

Et, pour que le prolétariat l’emporte, ce qui comptera, c’est qu’il soit capable non seulement de se battre pour ses intérêts de classe, et pas chacun pour sa corporation et sa boite, mais, plus encore, qu’il soit capable de se battre pour une perspective pour toute la société, petite bourgeoisie et jeunesse comprises, perspective qui sorte le monde de la domination des possesseurs de capitaux. Et, pour cela, il importe que le prolétariat échappe aux griffes des réformistes politiques et syndicaux, tous ceux qui lui présentent le Titanic du capitalisme comme si c’était une bouée de sauvetage !

Messages

  • Y a-t-il vraiment une propagande identitaire anti-islamique ? Un journal comme L’Express titre successivement « La peur de l’Islam », « Le vrai coût de l’immigration », « Islam, le danger communautariste », « Cet Islam sans gêne », « Valls, prêt à tout », « L’Occident face à l’Islam », « Le spectre islamiste » « Le choc Jésus-Mahomet », « Demain, Charia ? »... Comme le montre l’Express ou Le Figaro, la droite ne cesse de mettre en avant le risque des banlieues, des musulmans, de la charia. Le gouvernement de gauche monte en épingle tout bruit de jeunes de banlieue qui iraient faire le djihad en Syrie alors que lui-même s’est révélé plus va-t-en guerre en Syrie qu’Obama et qu’il y est aux côtés des intégristes musulmans contre Assad comme Sarkozy l’était en Libye.

  • Un des moyens de diviser est le racisme anti-maghrébin, introduit dans les entreprises dès l’embauche.

    Une étude du gouvernement sur les discriminations à l’embauche a été étouffée par le même gouvernement mais révélée le 8 janvier par France Inter.

    Elle affirme que « les entreprises françaises pratiquent une discrimination significative et robuste selon le critère de l’origine à l’encontre du candidat présumé maghrébin ».

    Cette étude, révélée par France Inter, fait suite à une campagne de tests anonymes menée entre octobre 2018 et janvier 2019 auprès de 103 grandes entreprises parmi les 250 plus grandes capitalisations de la bourse de Paris. Elle a été réalisée par une équipe de chercheurs de l’université Paris-Est Créteil à la demande du gouvernement.

    Ces chercheurs ont réalisé plus de 8 500 tests en combinant des candidatures et des demandes d’information, à la fois en réponse à des offres d’emploi ou de façon spontanée. A chaque test, deux profils fictifs identiques sont envoyés, l’un avec un prénom et nom d’origine maghrébine (comme Hicham Kaidi ou Jamila Benchargui), l’autre avec un patronyme d’origine française (comme Julien Legrand ou Emilie Petit).

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.