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Le réveil du militarisme japonais

lundi 17 février 2014, par Robert Paris

Le réveil du militarisme japonais

Par Peter Symonds - WSWS

Près de 70 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement droitier du premier ministre Shinzo Abe est en train de rapidement remilitariser le Japon, en libérant les forces armées de toute contrainte juridique ou constitutionnelle et en révisant l’histoire dans le but de blanchir les crimes et les atrocités passés commis par l’impérialisme japonais.

Abe est engagé dans une offensive idéologique, marquée par sa visite le 26 décembre au sanctuaire Yasukuni consacré aux Japonais morts à la guerre, dont 14 criminels de guerre de classe A condamnés. Le même mois, il a nommé quatre figures de droite à des postes au conseil d’administration de l’opérateur audiovisuel public NHK afin de changer son orientation politique.

Il n’a pas fallu longtemps pour comprendre le but de ces nominations. En effet, fin janvier, le nouveau président de NHK, Katsuto Momii, a déclenché un tollé en justifiant la maltraitance de centaines de milliers de femmes réduites durant les années 1930 et 1940 en esclaves sexuelles par l’armée impériale. Momii s’éest excusé d’avoir exprimé son point de vue privé en qualité de président, sans pour autant rétracter ses propos.

Cette semaine, une autre personne nommée par Abe, Naoki Hyakuta, a déclaré que le Viol de Nankin, l’une des pires atrocités du vingtième siècle, « ne s’est jamais produit. »

En 1937, les troupes japonaises étaient entrées dans la ville et s’étaient livrées des semaines durant à une orgie de viols, de meurtres et de destruction lors de laquelle jusqu’à 300.000 civils et soldats chinois furent tués.

Et pourtant, Hykuta a affirmé que le massacre de Nankin avait été inventé de toutes pièces dans le but de couvrir les crimes commis par les Etats-Unis lors du largage de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. C’est un argument qui jusqu’ici était utilisé par des groupes marginaux d’extrême-droite. Ces derniers justifient les crimes hideux commis par l’impérialisme japonais dans les années 1930 et 1940 en montrant du doigt ceux commis par l’impérialisme américain durant la Deuxième Guerre mondiale.

Le déni de crimes à grande échelle comme celui du Viol de Nankin n’a qu’une seule signification, c’est la préparation idéologique pour de nouvelles guerres et de nouvelles atrocités.

Le gouvernement japonais n’est pas seul en cela. Cinq ans après le déclenchement de la crise financière mondiale de 2008, le capitalisme est embourbé dans un marasme économique et une tourmente financière qui attisent des rivalités inter-impérialistes, des interventions néo-coloniales et des intrigues diplomatiques aux quatre coins du globe.

Ce n’est pas par hasard qu’Abe est en train de réveiller le militarisme japonais, le gouvernement de grande coalition en Allemagne est en train d’abandonner son ancienne politique de retenue militaire. Les gouvernements britannique et australien, entre autres, se servent de l’anniversaire de la Première Guerre mondiale pour glorifier le bain de sang qui a coûté la vie à des millions de personnes durant la lutte inter-impérialiste en faveur de colonies, de marchés et de l’hégémonie stratégique.

Le principal facteur déstabilisant de la politique mondiale est la montée du militarisme américain. Les interventions néo-coloniales menées par les Etats-Unis ont dévasté l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et la Syrie. Actuellement, les Etats-Unis sont engagés au nom du « pivot vers l’Asie » d’Obama dans une terrible offensive diplomatique pour miner la Chine et l’encercler militairement.

Le gouvernement Obama est responsable d’encourager le Japon à adopter une attitude plus agressive contre la Chine en créant un nouveau point chaud dangereux dans la Mer de Chine orientale, au sujet des îles contestées Senkaku-Diaoyu. Hier, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a rencontré son homologue japonais et affirmé une fois de plus que Washington soutiendrait Tokyo dans une guerre contre Beijing au sujet de ces escarpements rocheux inhabités.

Après avoir incité le Japon à entreprendre une remilitarisation, les Etats-Unis ont mis en branle des forces politiques qu’ils ne contrôlent pas. Le gouvernement Abe, tout en réaffirmant l’alliance entre les Etats-Unis et le Japon, est déterminée à défendre les intérêts de l’impérialisme japonais.

Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2012, Abe a augmenté le budget militaire et mis en place un Conseil de sécurité nationale pour concentrer entre ses mains la politique étrangère et la politique de défense. Il est en train de s’efforcer de mettre fin aux restrictions constitutionnelles qui pèsent sur la participation des forces armées dans des guerres d’agression.

Ce réveil du militarisme sert à la fois à poursuivre les intérêts de l’impérialisme japonais à l’étranger et à projeter vers l’extérieur, à l’encontre d’un « ennemi étranger », les tensions que suscitent la crise économique grandissante à l’intérieur du pays. Abe est arrivé au pouvoir en promettant de mettre un terme à deux décennies de déflation et de stagnation économique. Son « Abenomics » s’est cependant révélé être une chimère et a renforcé les parts de marché sans toutefois réussir à produire une croissance soutenue.

Le mois dernier à Davos, Abe a très clairement exposé son programme devant le Forum économique mondial. Il a montré clairement que l’impérialisme japonais n’est pas prêt à renoncer à sa position de puissance dominante en Asie.

Sans trop se soucier de ceux qui décrivent le Japon comme le « pays du soleil couchant », Abe a insisté pour dire qu’une « nouvelle aube » était en train de se lever. Sa description de la Chine comme nouvelle puissance agressive comparable à l’Allemagne d’avant la Première Guerre mondiale s’accompagnait d’un plan de restructuration pro-marché censé transformer le Japon en l’un des « endroits au monde les plus favorables aux entreprises. »

Il n’existe pas, au sein de l’establishment politique japonais, d’opposition significative à la dérive d’Abe vers le militarisme. Tout en exprimant des critiques mitigées à l’égard du gouvernement, le Parti démocratique du Japon, qui se trouve dans l’opposition, de même que le Parti communiste japonais, soutiennent pleinement les revendications japonaises sur les îles contestées en Mer de Chine orientale, la question centrale contribuant au regain de tensions avec la Chine.

Toutefois, la classe ouvrière a à son actif une longue histoire d’opposition au militarisme japonais. Les crimes commis dans les années 1930 et 1940 par le régime en place durant la guerre ne s’étaient pas limités à des atrocités à l’extérieur, tel le massacre de Nankin. La Tokkō, ou « police de la pensée » avait été tout aussi impitoyable que la Gestapo nazie en Allemagne pour éliminer toute forme de critique ou d’opposition, notamment parmi les travailleurs. La loi d’Abe sur les secrets d’Etat, promulguée récemment, a suscité une grande opposition au Japon parce que justement elle rappelait la loi de Préservation de la Paix de 1925 qui avait considérablement élargi le rôle de la Tokkō.

Les attaques provocatrices d’Abe contre la Chine, les commentaires faits par les personnes qu’il a nommées au NHK niant le Viol de Nankin, et les développements qui y sont étroitement liés, constituent un avertissement majeur pour les travailleurs et les jeunes au Japon et dans tous les autres pays. Les préparatifs de guerre s’accompagnent d’une campagne de mensonges et de chauvinisme qui présage une guerre de classes à l’encontre de la classe ouvrière. Les travailleurs ne pourront mettre fin à la course à la guerre et à l’assaut contre leur niveau de vie et les droits démocratiques qu’en unifiant leurs luttes internationalement, sur la base d’un programme socialiste visant à mettre fin au système capitaliste en faillite.

Messages

  • Des manifestants se sont rassemblés devant le bâtiment du parlement à Tokyo dimanche pour exiger le retrait d’une base américaine de l’île d’Okinawa. De nombreux rassemblements ont eu lieu récemment, à la fois sur l’île et sur le reste du territoire japonais, en opposition à la présence de l’armée américaine dans le pays.

    On estime à 15 000 les participants à la manifestation qui ont dénoncé dimanche le projet de transfert de la base américaine du Marine Corp Air Station de Futenma, sur l’île d’Okinawa, vers un nouveau site en cours de construction à Henoko. Futenma est situé dans la ville de Ginowan, tandis que Henoko se trouve le long d’une côte moins peuplée d’Okinawa. Beaucoup de gens tenaient des banderoles disant « Non à Henoko. » Ils exigaient que la base soit complètement retirée de la préfecture d’Okinawa.

    Un manifestant, Akemi Kitajima, a déclaré à la presse : « Il faut que nous arrêtions cette construction. Le gouvernement tente d’imposer le plan, peu importe avec quelle force Okinawa lui dit ’non’. » Les manifestants ont également exprimé leur opposition aux projets américains de déployer des avions militaires Osprey CV-22 s sur la base aérienne de Yokota à Tokyo.

    Une manifestation plus grande avait eu lieu le dimanche précédent rassemblant 35.000 personnes à Okinawa pour s’opposer au plan de réinstallation de la base. Les actions de protestations avaient commencé deux jours avant et s’étaient poursuivies tout le week-end. Ce samedi là, les manifestants ont défilé autour de la base de Futenma et ont été rejoints dans d’autres villes du Japon par environ 2.600 manifestants. Outre leur opposition à la base, les gens ont crié des mots d’ordre comme « Opposons-nous aux liens renforcés de défense américano-japonais » dirigés contre le tournant du Japon vers le militarisme.

  • De grandes manifestations ont eu lieu à Tokyo dimanche contre la législation militaire débattue dans la Chambre haute (Diète) de la législature japonaise. C’est un signe du sentiment anti-guerre très répandu au Japon et de l’opposition au soutien du Premier ministre Shinzo Abe pour la poussée guerrière des États-Unis contre la Chine.

    Des dizaines de milliers de personnes ont défilé devant la Diète. Selon les organisateurs, il y avait 120.000 manifestants. Environ 200 rassemblements plus petits se sont produits à travers le Japon. A Osaka, 25.000 personnes se sont rassemblées pour dénoncer le projet de loi et le gouvernement Abe.

    Divers groupes ont organisé la manifestation. Certains ont des liens avec les partis d’opposition, tel le Parti démocratique du Japon (PDJ). Les manifestants ont porté des pancartes et ont scandé des slogans dont « La paix, pas la guerre », « Supprimez les lois maintenant » et « Abe dégage » !

    La législation est composée de deux projets de loi. L’un permettrait au gouvernement de mobiliser les Forces d’autodéfense sans faire adopter une loi spéciale ou des prolongement réguliers par la Diète. L’autre projet de loi comporte 10 révisions de lois actuelles, qui permettraient au Japon de fournir un soutien militaire à un allié, tel les États-Unis.

    Le Japon pourrait donc participer à des guerres américaines, notamment contre la Chine. Washingon encourage Tokyo à se remilitariser dans le cadre de son « pivot vers l’Asie », une stratégie visant à saper l’influence chinoise dans la région et à encercler la Chine militairement. L’impérialisme japonais en profite pour se libérer des restrictions imposées après la Seconde Guerre mondiale aux forces armées japonaises afin de poursuivre agressivement ses intérêts.

    Les chefs du PDJ, Katsuya Okada, et du Parti communiste japonais (PCJ), Kazuo Shii, ont pris la parole lors de la manifestation pour critiquer le militarisme d’Abe. « Le gouvernement Abe doit comprendre que les citoyens ordinaires sont conscients qu’il y a crise et sont en colère », a déclaré Okada. Shii a dit : « Nous allons certainement mettre fin à ces projets de loi en développant la campagne à travers le Japon".

    Cependant, toute la classe politique s’est alignée d’une manière ou d’une autre sur la position des Etats-Unis contre la Chine. Au pouvoir en 2012, le PDJ a « nationalisé » les îles contestées Senkaku/Diaoyu afin de contrarier Pékin. À l’époque, le PCJ a critiqué le DPJ depuis la droite, parce qu’il n’avait pas affirmé de manière suffisamment agressive les droits du Japon sur les îles. Le PCJ a reproché à la Chine de créer des tensions régionales.

    Les manifestations anti-guerre ne cessent de croître en nombre depuis que la législation militaire a été votée à la chambre basse en mai. Elles attirent un large éventail de la population. Des Japonais âgés qui se souviennent des horreurs de la Seconde Guerre mondiale ont rejoint les protestations, aux côtes des jeunes et des étudiants qui ont été généralement marginalisés de la vie politique.

  • De nouvelles organisations se forment, dont les Mères contre la guerre, fondée en juillet et qui a recueilli 20.000 signatures d’opposition à la législation militaire d’Abe. Une collégienne de 14 ans qui a manifesté aux côtés de sa mère a déclaré : « Je n’ai pas le droit de voter, mais je ne veux pas voir la loi adoptée parce que je veux que la paix continue au Japon ».

    Un autre groupe, le Comité anti-guerre 1.000, a recueilli 1.650.000 signatures contre la législation. Les étudiants d’action d’urgence pour une démocratie libérale, formé en réaction à la loi sur le secret d’Etat adoptée en décembre 2013, prennent aussi place dans les cortèges.

    Beaucoup d’avocats ont rappelé que la législation militaire est inconstitutionnelle, car elle contrevient à l’article 9 de la constitution japonaise qui renonce formellement à la guerre et déclare que le Japon ne maintiendrait jamais plus de forces armées.

    Abe a choisi de "réinterpréter" la Constitution l’année dernière, sachant très bien qu’un amendement, qui nécessite un référendum national, serait presque certainement vaincu. Environ 60 pour cent des sondés d’un sondage récent étaient catégoriquement opposés à la législation sécuritaire, alors que plus de 80 pour cent de la population exprimait des réserves.

    Cette hostilité aux nouvelles lois reflète le sentiment anti-guerre profondément enraciné au Japon, surtout dans la classe ouvrière. En 1960, des manifestations de masse ont éclaté contre la signature d’un traité de sécurité qui permettait le maintien permanent de bases militaires américaines au Japon et engageait le Japon comme allié des USA. Les manifestations ont forcé l’annulation d’une visite au Japon par le président américain Eisenhower. L’armée américaine a dû envoyer un hélicoptère pour secourir l’ambassadeur des États-Unis, dont la voiture était entourée de manifestants.

    Quand le traité a finalement été ratifié, le Premier ministre japonais Nobusuke Kishi s’est senti obligé de démissionner. Après la Seconde Guerre mondiale, il avait été soupçonné de crimes de guerre et emprisonné. C’était un responsable du régime fantoche japonais en Mandchourie et ministre du Cabinet de guerre du ministre Hideki Tojo. Abe, le petit-fils de Kishi, a déclaré à plusieurs reprises son admiration pour Kishi.

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