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Le parti, ce n’est pas d’abord un appareil de militants ni une masse d’adhérents, ce n’est pas d’abord des structures organisationnelles. Ce n’est pas seulement une direction mais surtout une orientation, des analyses, des perspectives et une politique. Ces dernières ne doivent pas avoir comme critère la sauvegarde du groupe, mais d’abord les intérêts de classe. Les communistes n’ont pas d’intérêts particuliers de leur groupe à défendre, disait Marx dans « Le Manifeste ». Etre communiste, ce n’est pas s’isoler du reste du mouvement ouvrier ou des courants d’extrême gauche, mais ce n’est pas non plus mettre son drapeau dans sa poche dès qu’il y a des affrontements entre perspectives opposées. La perspective communiste est celle qui n’oublie jamais la perspective du renversement total, mondial et définitif du capitalisme, même dans une période où ce changement pourrait sembler très éloigné, même si les travailleurs eux-mêmes semblent loin d’être sensibles à cette perspective. Les communistes révolutionnaires ne se servent pas de leur particularité pour se détourner du mouvement ouvrier réel et se mettre en retrait. Mais ils ne pratiquent pas non plus l’opportunisme consistant à s’adapter pour avoir plus de succès. En somme, ni sectarisme, ni opportunisme : le chemin est étroit. La confiance en l’avenir communiste ne résulte pas de la confiance dans des leaders suprêmes mais dans les capacités que les prolétaires ont déjà montré dans l’Histoire et dans la connaissance des lois de la lutte des classes. Dans le passé, ce sont les groupes et partis révolutionnaires qui se sont souvent fait bien plus de mal que la bourgeoisie ne leur en a fait. Ce n’est pas dans les prisons, dans les tortures, face aux pelotons d’exécutions que des groupes révolutionnaires ont théorisé leurs reculs, leurs capitulations, leurs dérives ou leurs renoncements. Au contraire, c’est au plus haut sommet de leurs succès qu’ils ont cédé à la pression de la réussite. Même le parti bolchevique. C’est lorsqu’ils étaient en situation de jouer un rôle important et même décisif que les groupes communistes révolutionnaires (en tout cas qui se revendiquaient de cette perspective) ont reculé politiquement. Il ne suffit pas de dénoncer ces renonciations. Il faut aussi les analyser. Elles ne concernent pas que leurs auteurs mais tous les militants révolutionnaires. Sur ce terrain aussi, qui ne tire pas des leçons du passé sera rattrapé par lui. La première des leçons est que le sectarisme et l’opportunisme sont des frères jumeaux. La deuxième est que ceux qui placent l’organisation (ou sa direction) au dessus des perspectives, ceux qui renoncent à l’analyse théorique, se préparent des lendemains difficiles. Il ne suffit pas de prétendre faire d’un groupe un corps homogène, prétendument imperméable aux influences extérieures (surtout celle des autres groupes révolutionnaires) pour bâtir une cohésion politique. Il faut étudier, d’abord étudier et encore étudier… Etudier les luttes passées, les conditions des révolutions, les modes de fonctionnement de la société et de la nature. Celui qui continue à apprendre du monde en changement permanent n’est pas sujet à la maladie de l’auto-centrage. Le monde ne tourne pas autour de notre nombril. Le fixer avec admiration ou avec fascination ne peut pas être une politique. Se gargariser du mot de construction du parti n’est en rien une recette pour le construire. S’approprier la conscience des fonctionnements du monde y rapproche bien plus et permet bien plus aussi de rejoindre un jour un autre mouvement de la conscience : celui d’un prolétariat qui tirera les leçons de ses propres expériences. Les autres raccourcis ou prétendus tels mènent dans le mur…
Robert Paris
0- Introduction
Les difficultés du combat pour une politique des révolutionnaires
Pendant de longues années, l’organisation française Lutte Ouvrière, isolée du reste du mouvement trotskyste par le sectarisme de ce dernier, a fait de pauvreté vertu et a prétendu conserver la pureté doctinale par l’isolement organisationnel, s’appuyant, pour le justifier, sur l’opportunisme des autres trotskystes. Elle a, en partie, conservé un héritage trotskyste transmis via le militant roumain Barta alors que bien des organisations trotskystes s’adaptaient au stalinisme, au réformisme et au nationalisme. Mais , en même temps, elle a répondu par un sectarisme de type guesdiste à l’opportunisme des autres, prétendant que le redressement des autres organisations trotskystes n’était pas l’une de ses tâches. Les dernières évolutions opportunistes de cette organisation (élections, banlieues, politiques syndicales, objectifs et définitions de l’organisation) démontrent l’inanité de cette méthode. Le sectarisme ne protège pas de l’opportunisme. La carence théorique n’est pas une garantie de conservation des idées, pas plus pour les idées révolutionnaires que pour les autres. La fermeture organisationnelle n’est pas un principe valable de formation des militants révolutionnaires.
Même quand une organisation se donne comme objectif de ne pas se transformer, de ne pas changer ses analyses, de ne pas se laisser influencer par le monde extérieur, tout cela finit quand même par arriver...
Car ne pas avancer, c’est déjà reculer. Le monde, lui, avance, change, nécessite une analyse qui poursuive son élaboration et améliore sa pratique, non pas qui renonce aux idées fondamentales mais qui poursuive son travail critique et approfondisse ses conceptions. Vouloir figer les conceptions est un désir vain et qui est nuisible aux révolutionnaires.
La solidité de l’édifice construit par les révolutionnaires ne peut provenir de l’étanchéité de l’organisation, mais de la confiance des révolutionnaires dans les capacités potentielles du prolétariat et dans la validité des idées révolutionnaires. Ces deux points sont les bases solides du travail des militants révolutionnaires.
L’objectif des révolutionnaires n’est pas de travailler pour les intérêts du groupe révolutionnaires mais pour les intérêts historiques du prolétariat, ce qui est bien différent. Marx le rappelait dans "Le Manifeste", les communistes révolutionnaires n’ont pas d’intérêts d’organisation à défendre. Remplacer la classse par l’organisation, même si celle-ci était la plus belle du monde, serait une déviation grave.
Les combats des communistes révolutionnaires n’en font pas, en période normale, un courant majoritaire dans la classe ouvrière, n’entraînent pas une majorité des militants à les suivre. En période normale, les militants et les travailleurs eux-mêmes sont réformistes. Nous ne devons pas nous y adapter de quelque manière que ce soit. ce serait de l’opportunisme. Nous ne devons pas rejeter les travailleurs et les militants sous prétexte qu’ils sont réformistes. ce serait du sectarisme. La politique des révolutionnaires ets ce chemin étroit entre opportunisme et sectarisme. Il est aisé de sortir du chemin car celui-ci n’est pas tracé d’avance, n’est pas en ligne droite, n’a rien d’évident.
D’où la nécessité d’un débat des révolutionnaires. On ne doit pas remplacer ce débat par la fidélité à une direction politiques, aussi compétente soit-elle. Des révolutionnaires qui se contentent de faire confiance en une direction sont des militants qui ne sont pas en train de se former à penser par eux-mêmes et donc qui se détournent d’une des tâches fondamentales de formation des révolutionnaires.
Ce long préambule me semble nécessaire pour parler des évolutions d’un groupe comme Lutte Ouvrière. En effet, les dérives du militantisme révolutionnaire ne ressemblent nullement aux dérives de la politique bourgeoise telle que la pratiquent les partis réformistes ou de droite.
Les groupes révolutionnaires peuvent changer au point de nuire aux intérêts mêmes du prolétariat. Des groupes trotskystes comme le POUM en Espagne ou le POR en Bolivie, pour ne prendre quer ces deux exemples de partis révolutionnaires qui se sont détournés d’une politique révolutionnaire en pleine révolution, peuvent devenir opportunistes et ainsi se détourner complètement des intérêts du prolétariat. Nul ne peut prétendre que son organisation soit prémunie contre une telle évolution due à une politique fausse de la direction.
Sur ce point, le combat pour une politique juste est indispensable au sein des révolutionnaires. Et les coups de barre d’un côté et de l’autre ne suffisent pas à ramener dans le droit chemin. Au contraire, la preuve est faite avec les dernières évolutions de Lutte Ouvrière, que les excès du sectarisme mènent directement à une phase d’opportunisme.
L’argument classique de l’opportunisme est la nécessité de ne pas se couper des masses. L’argument classique du sectarisme est la laideur des positions des autres organisations. Dans les deux cas, il s’agit de prétextes. On peut se battre aux côtés d’organisations révolutionnaires ayant bien des défauts et même pire, d’organisations réformistes. On peut également débattre avec elles sans perdre sa boussole, quand on en a une. Inversement, les masses ont bon dos lorsque des révolutionnaires font semblant de s’appuyer sur leur prétendu "niveau de conscience" pour renoncer à leurs positions de principe.
L’organisation ne doit pas suivre les travailleurs quand ceux-ci reculent, ne doivent pas craindre de s’isoler. Inversement, l’organisation ne doit pas avoir d’autres préoccupation essentielle que celles des larges masses, pas d’intérêt d’organisation à défendre comme le disait Marx.
1- D’où vient l’organisation Lutte Ouvrière ?
L’origine du courant Barta représente non seulement un refus de l’opportunisme qui caractérisait la politique des trotskystes officiels à la fin de la deuxième guerre mondiale mais aussi la capacité à s’unir avec des militants issus d’autres horizons politiques pour mener une politique ouvrière interventionniste.
Dans une certaine mesure, le groupe Voix Ouvrière puis Lutte Ouvrière a repris des analyses et des pratiques du groupe Barta. Il ne les a pas enrichies et s’est contenté de ne pas sombrer dans l’opportunisme des autres groupes trotskystes. Il a refusé de développer des théories qui lui soient propres et en particulier de se fonder sur des conceptions de la construction du parti et sur son propre programme.
Il a bénéficié de la montée des luttes succédant à mai-juin 1968 pour former des militants ouvriers interventionnistes qui ne capitulent pas devant les directions syndicales.
Il a pâti du manque de liens avec d’autres groupes en France et dans le monde, du climat de lutte boutiquière au sein du mouvement trotskyste en France.
2- A quelles difficultés s’est heurté Lutte Ouvrière ?
Isolement international organisé par les courants officiels du trotskysme : adhérez d’abord, on discutera ensuite ...
Défauts d’un petit groupe national qui a des développements à l’extérieur sans que les groupes d’autres pays discutent sa politique
Formation d’un courant essentiellement dans un pays colonialiste et impérialiste dont l’ensemble du mouvement ouvrier cultive d’accommodements à la politique de sa propre bourgeoisie.
Formation des militants plus axée sur la fidélité aux analyses du passé que sur l’analyse des évolutions présentes et, surtout, absence de programme.
Le passage du petit groupe au parti révolutionnaire a été conçu dans les dernières années plus sur l’intervention politique électorale que sur l’intervention sociale, dans les luttes et l’intervention politique hors élections.
3- Quelles ont été les évolutions récentes de Lutte Ouvrière ?
Les tactiques qui prennent le pas sur les principes (élections, syndicats, internationalisme...
Les reculs qui prennent appui sur les mentalités d’une fraction de la classe ouvrière (esprit sécuritaire, anti-banlieues, état d’esprit défensif où on défend autant les "acquis" que la société elle-même
Les reculs de principe (renoncer à affirmer publiquement que l’on veut renverser l’Etat bourgeois, son armée, sa police, ses parlements et toutes ses institutions, accepter de participer au vote sur la constitution bourgeoise)
Les reculs politiques qui découlent des reculs précédents (s’allier électoralement avec la gauche bourgeoise)
Les reculs qui s’appuient sur l’absence de conscience ou de mobilisation du prolétariat (absence d’activité de propagande anti-impérialiste claire, manque d’aide aux militants des pays colonisés ou néo-colonisés, ...
4- Documents d’hier et d’aujourd’hui
La définition de Lutte Ouvrière dans l’hebdomadaire est assez significative. Alors qu’elle est restée la même de 1975 à 2002, elle change alors et de manière importante. En particulier, voici ce que disait l’ancienne version : "Les travailleurs devront détruire l’appareil d’Etat de la bourgeoisie, c’est-à-dire son gouvernement mais aussi son Parlement, ses tribunaux, sa police, son armée et exercer eux-mêmes, directement, pouvoir, car le bulletin de vote ne peut changer la vie."
La nouvelle version :
"Nous sommes convaincus que les travailleurs peuvent remplacer le capitalisme par une société libre, fraternelle et humaine car ils constituent la majorité de la population et n’ont aucun intérêt personnel au maintien de l’actuelle société. Pour cela, ils devront remplacer l’Etat de la bourgeoisie pour créer un régime où les masses populaires exerceront elles-mêmes le pouvoir en assurant un contrôle démocratique sur tous les rouages du pouvoir économique et politique."
La destruction de l’Etat a disparu entre les deux versions. Pourtant Lutte Ouvrière jugeait très durement autrefois tout courant révolutionnaire qui aurait fait disparaitre cette mention :
« Oui, le premier acte de salut public de la classe ouvrière (…) ce devra être de détruire cette armée, pas de l’épurer en faisant le tri entre les bons et les mauvais officiers (…) Non, il faudra détruire, briser définitivement le pouvoir du corps des officiers. (…) Et tous ceux qui n’inscriraient pas la mise hors d’état de nuire de l’armée et de la police dans leur programme, qui ne fixent pas ouvertement cet objectif à la classe ouvrière, qui ne disent pas aujourd’hui, clairement, que dès que le rapport de forces mettra le soulèvement populaire à l’ordre du jour, ce sera là la première tâche des travailleurs, ceux-là ne défendent pas les travailleurs, mais préparent de nouvelles désillusions, ou de nouveaux massacres. Et les travailleurs doivent s’en méfier, quelles que soient leurs phrases révolutionnaires, ou peut-être d’autant plus que leurs phrases sont révolutionnaires. Et, camarades, cette leçon tragique du Chili est certainement valable pour bien d’autres pays, y compris pour nous ici en Europe. » (conclusion du Cercle Léon Trotsky sur le Chili)
L’attitude dans les campagnes électorales
Citons par exemple la campagne des élections présidentielles de mars 2007 qui rompt particulièrement avec les positions qui devraient être celles de révolutionnaires. « Un programme de défense des travailleurs par Arlette Laguiller » : (tract de la campagne électorale de LO aux présidentielles de mars 2007) « Un jour ou l’autre, la colère populaire éclatera et accouchera d’un tel mouvement revendicatif. C’est afin qu’il ne se trompe pas d’objectif quand il se produira, qu’il ne prenne pas l’accessoire pour l’essentiel, que j’expose ce programme qui n’a rien de révolutionnaire en ce sens qu’il ne prévoit ni l’expropriation du capital, ni la transformation de la propriété privée de l’ensemble des grandes entreprises en propriété collective, en propriété d’Etat. Cependant, au lieu de privilégier les intérêts de la classe capitaliste, ce programme rétablit, un peu, l’équilibre entre celle-ci et les travailleurs, la classe des producteurs de valeur, en prenant une partie des privilèges économiques des propriétaires de capitaux pour améliorer le sort des classes populaires. (…) Ce qui suit n’est pas mon programme de gouvernement, mais ce qui devrait être au-delà des mots creux ou démagogiques (…) le programme d’une présidence représentant réellement la population et capable de s’attaquer immédiatement et efficacement à la crise du logement, au chômage massif et à la dégradation passée, présente et à venir du niveau de vie de la plus grande partie de la population. Le financement de ces mesures reposerait, comme je le montre, sur une augmentation des impôts, mais une augmentation sélective qui ne toucherait que les revenus très élevés et les bénéfices des sociétés, en particulier celles du CAC40 et d’ailleurs de façon modérée par rapport à l’ampleur des profits. Il ne s’agit même pas d’un partage des richesses, il s’agit seulement que tout le monde participe à l’effort nécessaire pour compenser les inégalités les plus criantes. Je ne discute pas de ce que devraient faire Nicolas Sarkozy, François Bayrou ou Le Pen, car ils ne prétendent même pas améliorer le niveau de vie des classes populaires. Ce que j’expose donc ici, c’est ce que devraient être les premières mesures d’un gouvernement vraiment socialiste.
1- Le logement (…) La première mesure à prendre serait de créer un Office national du Logement qui prendrait en mains la construction d’un million de logements par an pensant trois ans. (…) Il faudra donc, sous la direction de l’Etat et essentiellement par son apport financier, définir un plan national, en accord avec les municipalités et les associations de locataires.
2- Chômage, emploi et niveau de vie Le chômage est une cause essentielle de la réduction du niveau de vie, de l’aggravation des conditions de travail et de l’insécurité permanente du travailleur devant l’emploi. C’est un problème dont tous les gouvernants ont parlé, mais sans le résoudre, au contraire, puisqu’il n’a cessé de s’aggraver depuis trente ans.
Citons également l’attitude de Lutte Ouvrière vis-à-vis de la gauche gouvernementale et pro-capitaliste (y compris le parti "communiste") lors des élections municipales de 2008 :
suite à venir ...
Citons enfin l’évolution des attitudes de Lutte Ouvrière vis-à-vis des référendums sur la constitution critiqué dans un article de 2005 de la revue Lutte de classe :
"(...) Les Non de l’extrême gauche
Accents jacobins et quasiment nationalistes au Parti des travailleurs ; euphorie à la perspective de s’amalgamer à la gauche du Non et d’apparaître aux mêmes tribunes que les Mélenchon et autres Buffet chez la Ligue communiste révolutionnaire ; discrétion et manque d’enthousiasme à se joindre à un concert dont les ténors ne sont évidemment pas du camp des travailleurs pour Lutte ouvrière : chacune des organisations d’extrême gauche marque bien ses différences non seulement dans ses arguments mais dans son style de campagne. Pourtant cette fois, aucune ne manque à l’appel. Pratiquement toute l’extrême gauche s’est placée dans le camp du Non.
Ses raisons ? Pour la plupart elle se contente de les puiser en tout ou partie dans l’argumentaire de cette gauche dont elle recherche les bonnes grâces, voire l’alliance. Ainsi la LCR reprend à son compte sans nuance ni réserve le thème d’une constitution européenne qui aggraverait la situation actuelle. Elle va jusqu’à laisser entendre que les constitutions nationales actuelles, y compris donc la constitution française, seraient quand même une protection pour les droits sociaux et démocratiques. « Ce document impose une révision des constitutions nationales qui devront être en concordance avec les législations européennes, et imprime en profondeur que le droit européen primera sur toutes les constitutions nationales... » regrette Rouge dans son dossier.
Lutte ouvrière elle-même a abandonné le point de vue exprimé encore en 2000 (Constitutions, référendums, plébiscites, supplément au n°1679 de Lutte Ouvrière) : « C’est pourquoi, du point de vue des intérêts des travailleurs, toutes les constitutions bourgeoises sont à combattre. Et toute participation à un référendum constitutionnel, même par un vote négatif, revient à légitimer la propriété bourgeoise. » Notre organisation a certes refusé, à juste titre, de s’associer à une campagne électorale du Non avec des partis ou des hommes responsables de la dégradation sociale. Elle répète « qu’une victoire du non ne changera rien à l’organisation économique et sociale, au capitalisme, à la course au profit, à la concurrence qui sont les causes des crises, du chômage et de la pauvreté ». Mais elle n’en appelle pas moins à voter contre la constitution européenne, ce qui est qu’on le veuille ou non, une manière de laisser entendre que l’adoption de celle-ci aggraverait les choses ou rendrait plus difficiles les combats de la classe ouvrière. Un encouragement aux luttes ?
En fait, si l’on rejette les mauvaises raisons piochées dans l’argumentaire de nos adversaires politiques, la seule qui pourrait inciter les révolutionnaires à appeler à participer au référendum serait que cette participation soit un encouragement à engager le combat sur d’autres terrains. Ainsi, pour la LCR, « demain, une victoire du Non serait un formidable encouragement à nos luttes ici et en Europe ». De même Arlette Laguiller déclarait au journal Le Monde du 11/12/2004 que « un Non à la constitution donnerait une victoire morale aux travailleurs ».
Le problème reste d’abord que le Non est loin d’être acquis. Les sondages le donnent certes gagnant aujourd’hui. Mais en cinq semaines la tendance peut s’inverser. Si le Oui l’emporte, les travailleurs devront-ils considérer qu’ils ont subi une défaite, même si une majorité d’entre eux a voté Non ? Car il n’y a pas que la classe ouvrière appelée aux urnes. Les privilégiés, qui votent proportionnellement en bien plus grand nombre et qui ne voient pas une partie d’entre eux éliminée d’avance de la participation au scrutin (cas des travailleurs immigrés, en particulier ceux venant des pays non européens), peuvent suffire à faire pencher la balance dans l’autre sens. Doit-on prendre le risque d’un découragement de la partie la plus politisée et la plus motivée du monde du travail devant un résultat électoral qu’on aura contribué, par des pronostics hasardeux ou des prédictions douteuses, à faire apparaître comme un revers pour elle ? Le rôle des révolutionnaires n’est-il pas au contraire de relativiser d’avance le résultat et de souligner que, quel qu’il soit, il ne changera rien à la situation objective ni des travailleurs ni de leurs possibilités de lutter quand ils le voudront ?
Et d’ailleurs une victoire du Non serait-elle automatiquement une victoire des travailleurs ? Apparaîtrait-elle même ainsi ? Rien n’est moins sûr.
Bien sûr, un slogan comme « Non à l’Europe des patrons et Oui à l’Europe des travailleurs », qui justifie les prises de positions de la plupart des organisations d’extrême gauche, sonne bien, clair et même juste. Sauf qu’aucun bulletin de vote de ce type ne sera disponible le 29 mai pour permettre d’exprimer ce point de vue. Ce sera Non ou Oui. Le reste de la phrase sera sans doute présent... dans certaines têtes, mais nulle part ailleurs. Et donc il ne sera pas décompté. Au final, toutes les sortes de Non, souvent contradictoires, vont s’additionner et se fondre. Et tout le monde le sait parfaitement, y compris ceux qui affirment aujourd’hui que la victoire du Non serait la victoire d’un Non de gauche.
D’autant plus que dans les motivations pour voter Non, même parmi les travailleurs, les revendications sociales conscientes se mêlent à bien d’autres sentiments, parfois bien réactionnaires : peur de l’Europe, peur des délocalisations, peur de la concurrence des travailleurs étrangers, voire relents xénophobes ou racistes.
Il n’est d’ailleurs que de voir la liste des tendances politiques qui appellent à voter Non pour se convaincre que ce vote ne permettra pas d’exprimer clairement les intérêts propres à la classe ouvrière. A qui sera donc due une victoire du Non : aux communistes révolutionnaires comme Arlette Laguiller ou Olivier Besancenot, ou aux défenseurs des intérêts des classes possédantes, eux-mêmes bien divers, depuis les tenants de la gauche gouvernementale comme Buffet, Emmanuelli ou Mélenchon jusqu’aux réactionnaires xénophobes et racistes comme de Villiers ou Le Pen ? Montrer notre solidarité ?
Certes une victoire du Non serait un camouflet pour Chirac. Et cela seul justifie pour beaucoup un vote Non, sans se préoccuper plus avant des conséquences ou de la suite. C’est bien d’ailleurs d’abord pour être à l’unisson avec ce sentiment populaire que LCR (« une victoire du Non (...) serait aussi un désaveu cinglant pour Chirac et Raffarin ») comme Lutte Ouvrière (« Pour justifier l’appel à voter « non », il suffirait de dire que c’est un moyen d’expression limité, mais un moyen, comme l’ont été les élections régionales et européennes, pour désavouer le gouvernement Chirac-Raffarin et rejeter par la même occasion le projet de Constitution » lit-on dans Lutte de Classe de septembre 2004) appellent à voter Non.
Montrer notre solidarité avec ce sentiment qui anime aujourd’hui une bonne partie de la classe ouvrière pourrait être une vraie raison qui amène l’extrême gauche à appeler à voter Non. Mais le désir d’affirmer une solidarité avec les plus conscients, les plus combatifs ou les plus révoltés de notre classe ne peut pourtant faire oublier les conséquences possibles d’un geste politique et les illusions et désillusions qu’il contribue à renforcer. Un vote qui désavouerait Chirac et Raffarin peut suffire à réjouir nombre de travailleurs... dans un premier temps. Mais après ? Quand Chirac, sinon Raffarin qu’on nous dit de toute manière condamné à brève échéance, continuera la même politique comme si de rien n’avait été ? Le président a déjà annoncé qu’il ne démissionnerait pas ; la plupart de ses opposants ont dit eux-mêmes qu’ils n’entendaient pas le mettre en cause avant la date de la fin de son mandat, dans deux ans ; et la suite des élections régionales et européennes de l’an dernier... nous a montré que la gauche, celle du Oui comme celle du Non, ne fera pas un geste pour exploiter une victoire électorale et déstabiliser le président.
Ne vaut-il pas mieux, dès aujourd’hui, mettre l’accent sur la nécessité, référendum ou pas, victoire du Oui ou du Non, de préparer et d’engager le combat sur un autre terrain ; et dès maintenant, plutôt que de spéculer sur ce qu’on peut attendre du référendum, mettre en garde contre ce qu’il ne faut pas en attendre ? Mieux à faire
Bien sûr, contrairement à la gauche, la LCR comme LO soulignent aussi que au-delà du référendum, la lutte des travailleurs sera nécessaire pour inverser le rapport de forces avec le patronat français ou européen. Mais ces réserves ne s’effacent-elles pas derrière ce qui apparaît forcément aujourd’hui, et apparaîtra de plus en plus au fur et à mesure que nous approcherons du jour du scrutin, comme l’essentiel : le fait de mêler notre voix à celles d’adversaires ouverts ou de faux amis de la classe ouvrière pour un appel à faire un geste politiquement confus et sans perspective ?
Qu’une partie de l’électorat populaire se saisisse de l’occasion pour exprimer même de manière confuse un ras-le-bol, c’est une chose. Que les révolutionnaires les y appellent instamment, c’en est une autre.
Ce n’est pas parce que Chirac feint de consulter le peuple sur un sujet (tout en espérant une réponse sur un autre d’ailleurs) que les révolutionnaires doivent se sentir obligés d’obtempérer et de participer à la consultation.
Ce n’est pas parce qu’un Mélenchon nous incite par « devoir citoyen » à « prendre nos responsabilités » (comme ses pareils sans doute ont su le faire au moment du second tour des présidentielles en 2002 ?) que nous devons nous sentir tenus de nous positionner et de cocher les seules cases du questionnaire : Oui ou Non.
Ce n’est même pas parce que des travailleurs de notre entourage ont envie de se saisir de l’occasion pour désavouer Chirac qu’il faut faire d’un sentiment que nous comprenons, mais dont nous connaissons toutes les limites, une consigne de vote... qui loin de faire la clarté accroît encore la confusion.
Quoi qu’il en soit, c’est sur un autre terrain, celui des grèves, de la rue, que le mécontentement doit s’exprimer pour être efficace et changer les choses." Le 21 avril 2005
Comparons quelques déclarations concernant les alliances à gauche :
"Pour notre part, nous tenons à avoir des élus, mais sur la base de ce que nous dirons aux électeurs, aussi bien au 1er qu’au 2e tour et pas en baissant la tête devant le parti de Jospin, de Martine Aubry, de Chevènement et de Fabius." Lettre de la direction de Lutte Ouvrière au Bureau Politique de la LCR le 22 juin 2000, à propos des élections municipales de 2001
"C’est pourquoi nous avons engagé des discussions avec les listes de gauche qui nous sollicitaient et, dans d’autres cas, nous avons pris l’initiative en nous adressant aux candidats du PCF. Nous ne faisons pas cela pour avoir des élus car, des élus, nous pouvons en avoir en nous présentant indépendamment comme en 2001." "Lutte Ouvrière et les Municipales à venir", Lutte Ouvrière n°2051, 22 novembre 2007
"Nous n’avons en effet aucun intérêt à conclure des alliances sur un programme d’accords avec nos éventuels alliés si cela ne nous permettait pas d’avoir des élus, voire nous en empêchait" Texte "Municipales 2008", congrès de LO décembre 2007
"Dans les circonstances politiques actuelles, Lutte Ouvrière souhaite qu’il y ait dès le premier tour une union de toutes les forces de gauche et elle est prête à y participer." "Lutte Ouvrière et les élections municipales", Lutte Ouvrière n°2060, 25 janvier 2008
Citation du "Nouvel Observateur" du 02-05-2008 :
utte Ouvrière a décidé de suspendre les militants de sa fraction minoritaire, L’Etincelle, qui ont contesté l’accord électoral aux municipales avec le PS et le PCF, décidé par la direction, a-t-on appris, lundi 4 février, auprès de la formation trotskiste. Le site de l’Express (Express.fr), qui a révélé l’affaire, a publié une lettre de la fraction Etincelle demandant au Comité central du parti d’"annuler" cette décision. "Les membres de la Fraction Etincelle ont été suspendus et non exclus", a précisé à l’AFP la direction du parti, qui refuse de communiquer le nombre des militants concernés. La Fraction "a rompu, sur les municipales, les accords établis avec la majorité" au dernier Congrès de décembre 2007, indique-t-on au parti d’Arlette Laguiller, où on entend régler la question "lors du prochain congrès" fin 2008. Lutte ouvrière avait décidé, pour la première fois de son histoire, de conclure des accords aux municipales avec le Parti socialiste et le Parti communiste. Des négociations sont conclues, ou en cours de finalisation, notamment en Seine-Saint-Denis et ailleurs (Cher, Nord Pas-de-Calais, Rhône, etc.).
Pas d’alliance gouvernementale
Tout en rejetant une alliance gouvernementale avec le PS, LO se dit prête à participer à des exécutifs municipaux avec la gauche. "Nous faisons la différence entre la participation au gouvernement, où la gauche ne peut mener qu’une politique favorable au grand patronat" et "le gouvernement des municipalités", explique à l’AFP Georges Kaldy, l’un des principaux dirigeants de LO. Il ajoute : "Pour un ouvrier ou un chômeur c’est mieux de vivre dans une ville gouvernée par la gauche que par la droite". La Fraction Etincelle, formée en 1996, conteste cette stratégie : "Une fois que nous aurons mis le pied dans des dizaines ou centaines de majorités municipales d’union de la gauche, quelle sera la suite ?" lors des prochains scrutins, notamment aux législatives, interroge-t-elle. (Avec AFP)
L’attitude vis-à-vis des appareils bureaucratiques des syndicats
Autrefois (en 1987) LO écrivait :
“Un des problèmes majeurs qui se posent aux travailleurs conscients et, par voie de conséquence, aux révolutionnaires est que, dans les pays les plus industrialisés, les syndicats sont devenus des organismes officiels de plus en plus intégrés à la société bourgeoise. Interlocuteurs institutionnalisés de l’Etat et des patrons, ils siègent dans maints comités, conseils, commissions, et autres appendices des Etats, ils sont gestionnaires directs ou associés d’organismes sociaux. Tout ceci leur procure des postes, des moyens, un poids social et des possibilités matérielles qui les rendent de plus en plus indépendants des travailleurs et de plus en plus dépendants de la bourgeoisie et de son Etat.
Quels que soient le nombre de leurs syndiqués, la façon dont sont recueillies les cotisations, les modalités même du fonctionnement syndical, il y a dans tous les pays, où existe un syndicalisme légal, une constante : les syndicats fonctionnent comme des appareils bureaucratiques ayant leurs propres intérêts, de plus en plus coupés de la base ouvrière, à laquelle les rattachent, seuls, les délégués d’atelier ou d’usine.
Ils sont donc en voie de conséquence devenus les agents de l’Etat bourgeois dans le monde du travail. Cela apparaît de façon claire en période de crise économique : non seulement les syndicats sont incapables d’impulser les combats nécessaires à la défense des travailleurs, mais ils acceptent de fait l’austérité quand il n’en sont pas les propagandistes et les acteurs comme on le voit dans le cas des Etats-Unis où ils ont accepté de signer des accords comportant des baisses de salaires.
Le problème pour les militants révolutionnaires – et ce n’est pas un problème nouveau – est donc de savoir s’il est juste dans ces conditions de militer dans les syndicats, comment et dans quelles perspectives.
Le mouvement trotskyste a répondu à cette question, dès sa création et les réponses font partie de son programme de fondation.
Oui, les militants ouvriers révolutionnaires doivent militer dans les syndicats existants quel que soit leur degré de bureaucratisme et leur politique de collaboration de classe, afin d’y combattre les vieilles directions conservatrices, qu’elles soient staliniennes, réformistes ou chrétiennes. Ils ne doivent pas tourner le dos à la réalité pour se lancer dans la constitution de syndicats prétendument “révolutionnaires”, condamnés à n’être que des sectes inefficaces et vides. Pour gagner de l’influence sur la classe ouvrière, il faut militer dans les organisations qui ont de l’influence sur elle, précisément pour tenter d’arracher la classe ouvrière à cette influence conservatrice, démobilisatrice.
Oui, le programme des trotskystes affirme cette nécessité mais il affirme aussi, et c’est complémentaire, la nécessité, pour les révolutionnaires, de créer dans les moments de luttes, où de larges masses de travailleurs sont en mouvement, des organisations autonomes comme les Comités de grève, ou d’usine, capables de représenter, dans le mouvement, la totalité des travailleurs en lutte. Nécessité d’autant plus impérative, que les vieux appareils syndicaux conservateurs s’opposeront à un moment ou à un autre aux travailleurs en lutte, et qu’il sera vital alors pour l’avenir du mouvement engagé que les travailleurs aient leur propre organe de décision et de direction.
C’est sur ce problème que nous nous séparons des autres organisations trotskystes ou plutôt que les autres organisations trotskystes se séparent de leur programme. Car si nous sommes tous d’accord sur la première partie de la réponse – il faut militer dans les syndicats existants – il n’y a guère que notre tendance à militer systématiquement pour que, à chaque fois que des travailleurs entrent sérieusement en lutte, ils se donnent les moyens de participer le plus largement et le plus directement possible à l’organisation et à la direction de leur propre combat, au travers d’Assemblées générales et d’organismes comme les Comités de grève.
La plupart des organisations trotskystes privilégient le travail syndical, au point d’en faire leur seule forme d’intervention en entreprise. Ils admettent que dans une phase, toujours ultérieure des luttes, les directions syndicales puissent être débordées mais cette phase ne se présente jamais selon eux.
C’est une question de fond. Les révolutionnaires trotskystes ne peuvent pas assimiler la classe ouvrière aux syndicats. Les syndicats sont une formation sociale issue de l’histoire de la société capitaliste, liée à son évolution. La classe ouvrière, elle, demeure pour nous, marxistes, la classe socialement révolutionnaire, celle qui est porteuse d’une autre société. La révolution, la transformation sociale de la société, ne se fera pas sans elle, sans sa participation active, consciente, massive, à la gestion de la société, et, dans sa phase transitoire, à la direction de son Etat.
Pour nous, révolutionnaires marxistes, la classe ouvrière est notre classe. La classe ouvrière, aussi diverse, aussi mélangée soit-elle, touchant par ses couches supérieures à la petite bourgeoisie, par ses couches inférieures au lumpenprolétariat, la classe ouvrière, toujours renouvelée, qui rassemble dans les pays impérialistes les émigrés de tous les pays, la classe ouvrière est la seule classe d’avenir. Elle est aujourd’hui trop souvent résignée, victime de préjugés, de l’inculture, mais c’est elle pourtant qui fera la révolution, elle qui trouve dans ses combats, un courage, un enthousiasme, une générosité, une puissance d’imagination, de décision, de créativité qui bouscule tous les élitismes, toutes les hiérarchies, toutes les valeurs établies de la société bourgeoise.
Ce ne sont pas les syndicats qui feront la révolution. Certes, on peut imaginer que sous l’impact d’un formidable mouvement de masse, leur appareil et leur direction ayant volé en éclats, les militants syndicalistes retrouvent la confiance dans leur classe et participent consciemment à la révolution. Mais cela ne viendra pas des appareils, pas même du travail des révolutionnaires dans les syndicats. Cela viendra du mouvement de masse à condition que les révolutionnaires aient travaillé à ce mouvement.
Tout cela est dans le programme trotskyste, tout cela est dans le programme bolchevique, dans la révolution russe, la seule révolution ouvrière du monde moderne.
Et c’est pour cela que les militants de notre tendance, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis, ou aux Antilles ont comme orientation de militer non seulement dans les syndicats, mais aussi, et en priorité, dans la classe ouvrière tout entière.
Concrètement, notre tendance est à peu près la seule à faire, systématiquement, avec persévérance, un travail de propagande et d’organisation en direction de toute la classe ouvrière et pas seulement en direction de la pseudo élite syndicale. Cela passe, aujourd’hui, par l’édition d’une presse politique d’entreprise qui, pour son élaboration, son financement, sa diffusion, implique la participation de travailleurs prêts à dénoncer l’exploitation, l’arbitraire patronal, la politique de classe de l’Etat et les compromissions syndicales.
Evidemment pour les militants qui vont mener de front les deux activités, syndicale et politique, cela demande une certaine prudence voire une discrétion certaine. Bien sûr, le travail politique peut parfois gêner ou entraver l’activité syndicale en prêtant le flanc à la répression des bureaucrates. Mais le renoncement est pire quant à ses conséquences que les quelques inconvénients – réels – que notre choix peut avoir. Mais c’est justement ce choix que nous faisons, que l’immense majorité des autres tendances qui se disent trotskystes ne font pas. Et nous sommes conscients d’être en cela les plus fidèles au programme de fondation de la Quatrième Internationale.
Ce choix, cette fidélité passent aussi par une pratique qui privilégie, dans les moments de lutte, la formation d’organes autonomes de travailleurs en lutte, les Comités de grève.
Notre solidarité fondamentale est celle qui nous unit à la classe ouvrière, elle va bien au-delà des accords, des alliances, et des compromis que tout militant est amené à conclure dans le milieu syndical et dont, malheureusement, beaucoup de militants trotskystes ne savent pas s’échapper, même lorsqu’ils ont le choix entre la solidarité avec les intérêts des travailleurs et la solidarité avec des militants syndicalistes qui soutiennent la politique des bureaucrates”.
Et aujourd’hui ....
Texte du dernier congrès de décembre 2007 à propos des journées d’action bidon, éparpillées et sans lendemain des directions syndicales :
"Des journées d’action se succédant et se renforçant dans un temps relativement court peuvent préparer et conduire à une grève générale. C’est pourquoi d’ailleurs nos camarades, dans les entreprises, participent à la vie syndicale et y prennent leurs responsabilités. Pas pour y recruter des militants politiques mais pour amener les syndicats à jouer leur rôle. "
!!!!
suite à venir ....
L’attitude vis-à-vis de la révolte des banlieues :
Texte signé par LO :
« Banlieues : les vraies urgences
(…) Faire cesser les violences, qui pèsent sur des populations qui aspirent légitimement au calme, est évidemment nécessaire. Dans ce contexte, l’action des forces de l’ordre, qui doit s’inscrire dans un cadre strictement légal et ne pas conduire à des surenchères, ne saurait être la seule réponse. D’ores et déjà, nous devons ouvrir un autre chemin si nous ne voulons pas que se poursuivent ou se renouvellent les violences qui viennent de se produire. (…) » Le 14 novembre 2005 Signataires : Les Alternatifs, Alternative citoyenne, Association des Tunisiens en France, ATTAC, ATMF, Cactus républicain/La gauche, CEDETIM-IPAM, CGT, Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), Droit Solidarité, Fac Verte, FCPE, Fédération anarchiste, FIDH, FSU, FTCR, GISTI, Les Oranges, Les Verts, LDH, Lutte ouvrière (LO), Mouvement pour une alternative républicaine et sociale (MARS), Mouvement des jeunes socialistes (MJS), Mouvement National des Chômeurs et des Précaires (MNCP), MRAP, PCF, Rassemblement des associations citoyennes de Turquie (RACORT), Réseaux citoyens de Saint-Etienne, Réformistes et Solidaires (Re-So), Syndicat des Avocats de France, Syndicat de la Magistrature, Union démocratique bretonne (UDB), UNEF, Union nationale lycéenne (UNL), UNSA, Union Syndicale Solidaires.
Texte d’un éditorial de LO :
L’espoir n’est ni dans la violence stérile ni dans la résignation
Après la banlieue parisienne, la flambée de violence dans les quartiers populaires s’est répandue dans d’autres villes. Ce n’étaient certainement pas les cyniques propos de Chirac sur « l’égalité des chances » qui pouvaient toucher les jeunes ! Quant à Sarkozy, chaque fois qu’il ouvre la bouche, il propulse dans les rues de nouveaux contingents de jeunes, voire de gamins.
Et il n’est pas dit que le geste, aussi démagogique que provocant, de faire appel à une loi sur l’état d’urgence datant de la guerre d’Algérie influe sur le devenir du mouvement.
Cette flambée de violence est stérile. Brûler les voitures de ses propres parents ou voisins, brûler des autobus qui desservent les quartiers populaires, saccager des écoles maternelles témoigne de la part de ceux qui le font d’une absence de conscience sociale et de solidarité. Rendre la vie plus invivable encore pour les siens, simplement par imitation des autres, n’est pas la seule façon d’exprimer sa colère, et sûrement pas la meilleure.
Mais comment les dirigeants politiques, ceux qui sont au pouvoir comme ceux qui rêvent d’y revenir, pourraient-ils convaincre ces jeunes que, malgré leur vie présente, il y a un espoir d’avenir ?
La pauvreté des quartiers transformés en ghettos, le chômage, l’absence criante d’infrastructures n’expliquent pas la forme prise par la révolte mais en constituent le terreau. Comment oser prétendre que l’on fait quelque chose pour les quartiers populaires, lorsque les jeunes qui y vivent constatent jour après jour que rien n’y change, si ce n’est en pire ? Et que l’État n’y apparaît que sous la forme, en bas, de contrôles policiers au faciès ou d’interventions massives de CRS, en haut, de ministres méprisants vis-à-vis de tout ce qui est pauvre ?
La majorité de droite et l’opposition socialiste se retrouvent aujourd’hui à faire appel, en même temps qu’à la matraque, à « l’idéal républicain ». Mais comment les jeunes de ces quartiers pourraient-ils prendre cette République pour idéal, alors qu’elle est faite pour les riches et les puissants ? Comment donner en exemple ceux qui s’en sortent par le travail, alors que ceux qui en cherchent n’en trouvent pas ?
Comment arracher les jeunes des quartiers populaires à l’influence des petits parasites qui vivent de trafics de toutes sortes, alors que la vie ne sourit qu’aux grands parasites qui dominent la société ? Et comment les convaincre qu’il est stupide de brûler des écoles dans les quartiers populaires, alors qu’à côté d’une école brûlée, combien d’autres, indispensables pourtant, n’ont même pas été construites parce que ceux qui nous gouvernent ne consacrent pas d’argent à cela ? Pendant qu’il y a des milliards dépensés en faveur des riches, les écoles des quartiers populaires sont surchargées, avec des enseignants dans l’impossibilité matérielle de transmettre à tous ce minimum d’éducation que les familles n’ont pas les moyens de transmettre -ne serait-ce que savoir lire, écrire et même parler correctement.
Les travailleurs n’ont pas à se réjouir de la forme que prend cette explosion, et pas seulement parce qu’ils sont les premiers à en souffrir. La jeunesse, c’est l’avenir. Mais de quel avenir une jeunesse déboussolée peut-elle être l’artisan ?
Ce ne sont pas ceux qui nous gouvernent qui peuvent donner un espoir à la jeunesse des quartiers pauvres. Car la seule perspective qu’ils offrent, c’est, au mieux, la réussite individuelle pour quelques-uns et la résignation pour les autres.
Pour que la jeunesse pauvre n’en soit pas réduite à l’alternative entre la résignation dans l’exploitation et la violence stérile, il faudrait que le mouvement ouvrier retrouve sa capacité de lutte et surtout la volonté politique d’incarner vis-à-vis de cette jeunesse un espoir de transformation sociale.
Ce qui se passe dans les quartiers populaires ne signifie pas seulement la faillite d’un gouvernement. Il signifie plus encore la faillite de l’organisation capitaliste de la société, pourrie d’inégalités, d’injustices, et qui ne peut mener la vie sociale qu’à la décomposition.
Éditorial des bulletins d’entreprise de la majorité de Lutte Ouvrière du 7 novembre 2005
Tribune de la minorité
Y a le feu... pour entrer en lutte tous ensemble !
C’est la révolte d’une fraction de la jeunesse ouvrière qui en une douzaine de jours s’est étendue dans les quartiers où vivent les familles en situation la plus précaire dans le travail comme les conditions de vie.
C’est la révolte de la génération qui est appelée à venir nous rejoindre à l’usine, au chantier ou au bureau ; et nous rejoint parfois déjà... par intermittence, parce que tout ce qu’on lui offre c’est petits boulots ou postes d’intérim. Que nous soyons français de longues générations ou immigrés de date récente, ce sont nos enfants, nos frères, nos sœurs, ou les futurs camarades de nos enfants, ceux avec qui ceux-ci devront partager une vie de galère ou de dignité... suivant ce que nous en aurons fait.
C’est bien d’ailleurs la rage contre cette vie de galère et l’envie de dignité qui poussent ces jeunes dans la rue chaque soir. Pour venger la mort absurde des deux adolescents de Clichy-sous-bois, pour riposter aux insultes de Sarkozy les traitant de « racaille » ou prétendant nettoyer leur quartier au karcher, pour faire payer les brimades et les vexations d’une police hostile et méprisante.
Sans moyens, sans travail, sans éducation (ou quand ils en ont une, les employeurs s’en foutent), ils ne voient souvent de perspective que dans l’individualisme, la débrouillardise, les trafics, petits ou grands. Pas étonnant que lorsqu’elle explose, leur révolte reste aveugle dans ses cibles, qu’ils cassent pour casser, brûlent pour brûler, caillassent les bus, les trains ou les pompiers comme les policiers...
Le gouvernement et les capitalistes, les vrais responsables de la situation des banlieues, sont à l’abri de leurs pierres. Leurs voitures comme leurs résidences sont protégées de leurs cocktails molotov.
Ils ne le seraient pas d’un mouvement de colère de l’ensemble des salariés. Celui-là d’ailleurs n’aurait pas besoin de jeter des pierres ni de mettre le feu. Il aurait d’autres moyens, plus efficaces, pour mettre les puissants à genoux, de la grève jusqu’au soulèvement massif qui pourrait être d’autant plus pacifique qu’il serait puissant : même des dizaines de milliers de policiers ne peuvent barrer les rues à des millions de travailleurs. Mai 68 a atteint sa vigueur maximum quand l’insurrection étudiante (qui avait aussi brûlé des voitures) a débouché sur la grève générale.
Certes les jeunes sont loin d’être tous conscients que leur révolte aurait intérêt à déboucher sur un mouvement bien plus large de tout le monde du travail. Beaucoup n’ont même aucun sentiment d’appartenir à ce monde du travail. Les plus inconscients, ou les plus stupides, semblent même se contre-foutre du reste de la population, quand ils brûlent les voitures des gens de leur cité par exemple. Ils montrent même parfois une hostilité aux autres travailleurs, quand ils caillassent trains ou bus avec voyageurs et conducteurs.
C’est là l’impasse, et pour eux et pour nous tous. Mais les œillères et les préjugés d’une jeunesse sans tradition politique ni éducation sociale, ne tomberont pas toutes seules si ce monde du travail ne montre pas une détermination au moins aussi grande que la leur d’en découdre avec nos ennemis communs. Et tant que ceux qui passent pour ses dirigeants seront aussi lâches ; tant que la gauche proposera... d’attendre les élections ; tant que les dirigeants syndicaux feront tout pour éteindre nos luttes ou isoler les plus radicales, comme ils viennent de le faire avec les marins et les traminots Marseille.
Seuls nous, travailleurs, pouvons donner une perspective à la révolte des jeunes. En entamant une lutte aussi déterminée que la leur, mais avec d’autres moyens, pour imposer les objectifs qui changeraient immédiatement leur vie... et la nôtre : augmentation de tous les salaires, interdiction des licenciements et des contrats de précarité, augmentation de tous les salaires de 300 euros par mois, remboursement des milliards de subventions reçus par les patrons pour créer des centaines de milliers de nouveaux emplois dans les services publics, réquisition des logements vacants des riches.
Alors nous n’aurions plus à craindre pour nos écoles, nos bus ou nos voitures.
Éditorial des bulletinsd’entreprises « l’Étincelle » de la minorité du 7 novembre 2005
Quand il ne faut pas trop critiquer la bureaucratie syndicale de la CGT qui vient de casser une grève :
SNCM - Marseille : Une bataille se termine
Le choix de la CGT de la SNCM de cesser la grève a été assez soudain pour surprendre de nombreux grévistes, qui étaient décidés à tenir malgré le chantage au dépôt de bilan et aux licenciements, fait par le gouvernement sous le couvert de lois présentées comme inexorables.
Tenir tête au gouvernement ?
Le lundi 10 octobre, la CGT semblait décidée à ne pas céder à l’ultimatum posé par les ministres Perben et Breton. Ceux-ci avaient présenté leurs propositions de privatisation partielle avec 400 suppressions d’emplois. Ou bien les grévistes reprenaient le travail, ou bien, le vendredi suivant, la direction déposait le bilan auprès du tribunal de commerce.
D’autres événements inquiétaient les grévistes. Le week-end précédent en effet, on avait appris l’arrêt de la grève des agents du Port Autonome de Marseille, le PAM. Surtout, on apprenait que FO, la CGC, et les syndicats d’officiers trouvaient des « avancées » dans les propositions du gouvernement et envisageaient de quitter le mouvement. En dehors de l’encadrement, ces syndicats réunis ne représentaient qu’une poignée de grévistes, mais c’était quand même une défection.
Par contre, la grève des métros et bus de la ville de Marseille (RTM) se poursuivait sans faillir. Malgré le langage de plus en plus hostile de la presse, la sympathie des travailleurs à Marseille et en Corse était chaleureuse. Enfin, une manifestation commune de la SNCM, la RTM, Nestlé, STMicroélectronics était prévue pour le samedi 15 octobre par les syndicats CGT, CFDT, CFTC, UNSA et Solidaires 13 avec le secrétaire général de la CGT Bernard Thibault.
C’est ce que relevaient les dirigeants de la CGT pour renforcer les grévistes. Ils ne croyaient pas à la menace de dépôt de bilan qui, d’ailleurs, n’est jamais qu’une procédure comptable. Et finalement l’assemblée générale du lundi 10 octobre avait pris la décision de continuer la grève dans l’enthousiasme et s’était terminée par l’Internationale. Cette décision était reconduite avec la même détermination par la quasi-totalité des employés sédentaires et des marins de l’assemblée du mardi 11 octobre.
... Ou préparerla reprise ?
Mais mercredi 12 octobre une succession d’assemblées préparait la reprise du travail.
L’une se déroulait mercredi matin où les dirigeants de la CGT changeaient visiblement de langage. À 14 h, le secrétaire CGT des sédentaires expliquait dans une réunion de ceux-ci : « On est arrivé au bout, mieux vaut accepter cela sinon ce sera la lettre de licenciement pour tous et non un plan social ». La CFDT disait qu’il ne s’agissait pas d’arrêter la grève mais de la « mettre en pointillé, de la suspendre ». Il y eut plusieurs interventions contre l’arrêt de la grève, certains étant même en colère et pensant qu’il fallait en appeler aux autres services publics menacés de privatisation.
Mais d’autres pensaient que depuis 23 jours qu’on était en grève, on n’avait rien vu venir ; ni EDF ni les cheminots n’avaient bougé : il valait mieux ne pas en arriver au dépôt de bilan et aux plus de 2000 licenciements que la presse envisageait dans ce cas.
Au soir de ce même mercredi 12 octobre, l’assemblée très nombreuse remplissait à craquer la salle de cinéma du ferry Méditerranée. Sur l’estrade, outre les élus et dirigeants CGT, l’avocat de la CGT ouvrit l’assemblée en expliquant qu’effectivement le dépôt de bilan était en cours, que dans ce cas il n’y aurait ni plan social ni même de congés. Tout le monde serait licencié. Le premier salaire ne pourrait être versé avant quatre mois. Ayant atterré l’assistance, il s’en fut. Les dirigeants syndicaux dirent qu’ils ne pouvaient pas mener les travailleurs au dépôt de bilan, que c’était à ceux-ci de se prononcer. On sera, disaient-ils, en meilleure position pour continuer la lutte si l’on a repris le travail. En cas de dépôt de bilan, le syndicat n’aura plus aucun droit de regard, on entrerait dans une lutte hors-la-loi.
Il y eut de nombreuses questions d’ordre juridique sur les conséquences et les modalités d’un dépôt de bilan. Un marin du STC (Syndicat des travailleurs corses) voulait continuer la lutte, renforcé par un appel à la grève dans toute la Corse pour le samedi. Des grévistes s’étonnèrent du changement de cap de la CGT, alors qu’il n’y avait rien de changé depuis le lundi. Trois ou quatre autres intervinrent pour dire qu’il fallait continuer. Une militante de Lutte Ouvrière dit qu’on pouvait être fiers de notre grève, qui avait fait reculer le gouvernement dans un premier temps, et qui avait été suivie par les travailleurs au niveau national ; il ne fallait pas céder au chantage mais continuer la grève.
Le vote de la fin de la grève
C’est jeudi matin que la décision fut prise par presque 600 marins et sédentaires. Un premier vote donna une nette majorité pour que le vote s’effectue à main levée. Mais finalement le vote à bulletins secrets fut choisi afin de vérifier qu’il n’y avait pas de votant non-gréviste.
Deux piles de bulletins furent posés sur l’estrade où se tenaient les dirigeants syndicaux. Ils avaient été préparés de façon très particulière puisque l’un des bulletins portait « Oui à la reprise de l’activité. Pour éviter le dépôt de bilan » et l’autre « Non à la reprise de l’activité = dépôt de bilan » !. Ainsi celui qui votait « non » avait le sentiment qu’il votait pour le dépôt de bilan.
Chacun venait prendre le bulletin de son choix pour le mettre dans l’urne. Malgré l’avis du syndicat et le chantage du gouvernement, 73 votants se prononcèrent pour continuer la lutte, conscients qu’il fallait mettre à profit la mobilisation en cours et l’intérêt des travailleurs de tout le pays. Il y eut cependant 519 votes « oui » à la reprise du travail, même si beaucoup la votèrent en se disant prêts à reprendre la lutte.
Le gouvernement menaçait d’un dépôt de bilan. Peut-être n’était-ce là qu’un coup de bluff, mais peut-être y était-il réellement décidé et était-ce une menace réelle.
Pour le faire reculer il restait possible de continuer la grève, mais il aurait aussi fallu y rallier des travailleurs d’autres entreprises, visées elles aussi par les projets de privatisation, aller vers une extension du conflit. Beaucoup de grévistes ressentaient, plus ou moins clairement, cette nécessité de l’extension. Ils l’attendaient d’ailleurs de la direction de la CGT, et étaient de plus en plus déçus de constater que celle-ci, visiblement, n’en voulait pas.
Alors, pour continuer cette grève de déjà 23 jours, il aurait fallu aller contre l’avis de la CGT qui l’avait conduite jusque-là et la grande majorité des grévistes ne s’y sont pas sentis prêts.
Le protocole de reprise fut établi le vendredi 14 et les marins refusèrent de prendre la mer tant qu’ils n’en connaissaient pas le contenu. Finalement, les jours de grève seront tous retenus, moitié sur les salaires, moitié sur les congés ou les RTT. Ces retraits sont répartis sur trois mois. Aucune sanction ne sera prise pour les actions durant la grève.
À la manifestation de samedi 15, il n’y eut que quelques dizaines de salariés de la SNCM. Cette manifestation, avec la présence de Bernard Thibault, venait après la bataille. Il reste qu’il va falloir préparer les prochaines échéances. Et si le travail a repris, les anciens grévistes sont fiers de leur mouvement et ont encore beaucoup à discuter.
Correspondant LO 21 octobre 2005
Rapport politique de la minorité au congrès de Lutte Ouvrière suite aux banlieues
Chers camarades, Il y a un temps, en 1968 par exemple, nous nous moquions de ces faux communistes, les staliniens en l’occurrence, qui n’avaient pas su, en fait pas voulu évidement, reconnaître la révolte d’une fraction de la jeunesse ouvrière sous prétexte que cette révolte n’avait pas pris les voies qu’ils attendaient ou qu’ils préconisaient. Et c’est un thème que LO a développé bien souvent par la suite et à d’autres occasions et pas seulement dans l’article de Voix Ouvrière dont nous citons un passage dans la tribune de la dernière LDC. Je crois que nous étions loin d’imaginer, en tout cas j’étais loin d’imaginer que, des décennies plus tard, notre presse et nos différentes déclarations, en particulier certaines signées avec la gauche, montreraient une incompréhension plus ou moins similaire face à l’explosion des banlieues. Parce que c’est quand même bien, pendant deux ou trois semaines, à une révolte d’une fraction de la jeunesse prolétarienne que nous avons assisté. Et ça, il fallait le dire et le dire clairement. Et ça n’a été dans aucun des textes de la majorité. Ce sont les chiffres, publiés maintenant par la police ou la justice, qui nous le disent eux-mêmes, c’est la grande presse qui le corrobore, après coup. Ainsi Le Monde de la semaine dernière, mais il n’était pas le seul, toute la presse du Parisien au Figaro l’a repris, en décortiquant à la fin de cette semaine les données fournies sur les jeunes arrêtés, découvrait avec surprise, une surprise réelle ou feinte, que la plupart d’entre eux, je cite Le Monde "sont inscrits dans des formations professionnelles, souvent en apprentissage". Il s’agissait de ceux qui étaient mineurs. Et que la majorité aussi n’étaient absolument pas connus des services de police. Et, quant aux majeurs, eux, ils appartiennent, nous dit la même presse, à cette jeunesse qui travaille ou essaie de travailler, qui va de petits boulots en chômage, d’intérim en intérim. Eh bien, camarades, si ce n’est pas la jeunesse ouvrière d’aujourd’hui ou une fraction de cette jeunesse, qu’est-ce que c’est ? Eh oui, c’est cette jeunesse-là, que cela nous plaise ou non, qui a brûlé les voitures, les écoles ou les bus, et qui s’est battue parfois avec la police. Et pour cela elle n’avait pas besoin d’être incitée par les voyous ou les petits trafiquants comme le laissait entendre un premier éditorial de LO(1). Les vrais voyous ou les vrais trafiquants, la jeunesse n’a même pas eu à les écarter de sa révolte, ils se sont écartés eux-mêmes. C’est la police elle-même qui le dit : les quartiers qui sont restés tranquilles sont les quartiers qui ont été contrôlés par les bandes de dealers ou de vrais trafiquants et ça n’a rien d’étonnant car il est bien évident que le business n’aime pas la révolte, qu’elle soit de la jeunesse ou d’autres, et préfère le calme. De toute manière les chiffres sont là : 4700 interpellés, plus de 3100 gardes à vue et comme on peut soupçonner que la police n’a pas ramassé plus d’un jeune sur dix, et je suis largement au-dessous de la vérité, ça doit plutôt être un jeune sur 20 ou sur 50, ça veut dire que des dizaines de milliers de jeunes des quartiers pauvres sont descendus dans la rue ces nuits-là, actifs ou passifs mais en tout cas sympathisants de ceux qu’on a appelés les émeutiers. Oui, eh bien cela constitue une bonne fraction de la jeunesse ouvrière actuelle. D’ailleurs ce sont nos ennemis eux-mêmes qui le reconnaissent. Qu’est-ce que ça veut dire quand de Villepin, dans une mesure phare paraît-il, annonce qu’on va les envoyer en apprentissage, est-ce que ce n’est pas une reconnaissance de sa part que ce sont bien des jeunes ouvriers ? Et une autre chose qui nous le montre, c’est la façon dont la justice a frappé. 422condamnations à la prison ferme, 118 mineurs placés en mandat de dépôt, on n’en a pas vu souvent, des mouvements qui ont amené de telles condamnations en aussi grand nombre. En tout cas, camarades, c’est cette analyse de classe qui devrait servir de boussole politique à des communistes, dont le premier but devrait être d’essayer de comprendre le potentiel et aussi les dangers d’une telle révolte qui ne mène nulle part aujourd’hui, mais qu’elle peut contenir dans l’avenir. Sinon, on en sera réduit, on en est réduit, à déplorer, à plaindre, à essayer d’avancer des solutions qui pourraient ramener le calme et faire rentrer cette jeunesse dans le rang, et c’est ce qu’a fait toute la gauche. Et c’est comme cela qu’on peut se laisser dériver et en venir à signer avec cette gauche, la gauche de la gauche plus exactement, des Verts à la LCR (non pardon, la LCR a fait quelques réserves cette fois-là, une fois n’est pas coutume), une déclaration comme celle que LO a signée avec la Ligue des Droits de l’Homme la semaine dernière. Une déclaration qui n’avait même pas l’excuse d’inviter à une action de protestation, qui n’était qu’un manifeste politique inspiré, comme le disait Trotsky, par les vieilles filles de la Ligue des Droits de l’Homme et qui reflète les sentiments d’une gauche qui est à la fois désemparée et extrêmement inquiète devant la révolte de la jeunesse. Une déclaration, je ne résiste pas à vous lire certains passages, qui d’abord reprend les âneries des républicains de gauche du style : "Nous souhaitons ouvrir une autre perspective que celle qui conduit à l’impasse actuelle, cela passe par la mise à l’ordre du jour de quatre exigences fondamentales : la vérité, la justice, l’égalité et le respect", une déclaration qui propose des solutions tellement ridicules qu’on hésite presque à les citer : "Restaurer la situation dans ces quartiers c’est d’abord restituer la parole à leurs habitants" (la parole, je vous signale que les jeunes l’avait prise là) "Des cahiers de doléance doivent être discutés, ville par ville, selon les principes de la démocratie participative entre représentants des habitants, associations, syndicats, élus locaux et représentants de l’État." Voilà la solution qu’ils préconisaient. Et enfin une déclaration qui, de toute évidence, reflétait cette peur devant cette révolte et surtout la volonté à tout prix de ramener le calme, et je cite encore : "Faire cesser les violences qui pèsent sur des populations qui aspirent légitimement au calme est évidemment nécessaire dans ce contexte, l’action des forces de l’ordre qui doit s’inscrire dans un cadre strictement légal, et ne pas conduire à des surenchères, ne saurait être la seule réponse. D’ores et déjà nous devons ouvrir un autre chemin, si nous ne voulons pas que se poursuivent ou se renouvellent les violences qui viennent de se produire." Eh bien camarades, LO n’aurait jamais dû, jamais dû signer une telle chose. C’est tout autre chose que les révolutionnaires avaient à dire, d’abord aux travailleurs en général et ensuite, sur les responsabilités du mouvement ouvrier et de la gauche, y compris de cette gauche qui produit de telles déclarations. D’ailleurs, ce n’était pas difficile de prendre cette position, parce que les réactions des travailleurs ont été loin de celles que nous pouvions craindre. Autour de nous, dans les entreprises, les quartiers populaires et pas seulement dans le milieu immigré, personne n’approuvait bien sûr les voitures brûlées mais beaucoup disaient en même temps comprendre la colère et la rage des jeunes. Et la première semaine, ensuite même si cela a varié ensuite, les télés ou les radios n’arrivaient même pas à trouver dans les cités touchées par les émeutes de braves gens pour condamner les jeunes. Eux au moins avaient bien une conscience, élémentaire peut-être, d’appartenir à la même classe(2). De toute façon même si ça n’avait pas été le cas, si il y avait eu une révolte générale contre la révolte, ça n’aurait pas été une raison pour ne pas prendre une position juste et expliquer celle-ci. Pourtant, les choses à dire, les positions à prendre, dans le passé notre organisation a su les dire et les prendre, et pas seulement dans un passé lointain ou différent comme en mai 68. Elle les disait encore, il y a 15 ans par exemple, à propos d’émeutes semblables mais beaucoup plus restreintes, à Vaulx-en-Velin, et les camarades de la minorité ont en leur possession des photocopies d’articles de LO de l’époque. Tous ceux qui veulent le vérifier pourront aller le leur demander.(3) Alors nous souhaitons que notre organisation revienne à la position de classe plus juste qu’elle a su trouver par le passé et ce n’est pas un souhait en l’air. Parce qu’il est bien évident que toutes les prétendues solutions proposées par le gouvernement ne changeront rien, ni au sort des banlieues ni à celui de leur jeunesse, qu’au contraire elles vont les aggraver et qu’il y a toutes les chances que de nouvelles explosions semblables se produisent, peut-être plus violentes et plus aveugles encore. Et que, dans le futur, il va falloir savoir garder le cap. À propos de souhaits, puisque j’en suis aux souhaits, je voudrais en émettre un : celui que nos écrits servent à soulever les problèmes et les aborder de face, et non à les masquer ou les édulcorer. Et là je voudrais prendre deux exemples récents. Le premier à propos de la Russie et du texte sur la situation internationale présenté à ce congrès, le passage auquel G. Kaldy a fait allusion en ayant mal compris ou mal reçu la critique que la minorité a faite. En Russie, Gasprom, le trust le plus important tenu à 51% par l’État, c’est-à-dire à 49% par le privé, a racheté récemment une autre entreprise, Simeft, une autre grosse société pétrolière, pour la modeste somme de 13 milliards de dollars à un certain Abramovitch, un de ces nouveaux milliardaires russes. Dans ce texte, cette affaire devient, je vous lis la phrase : "Il ne suffit pas que Poutine ramène en grande pompe les restes de Dénikine en Russie pour que l’opinion publique bourgeoise lui pardonne la renationalisation d’entreprises privatisées, quand bien même ces privatisations étaient le vol pur et simple d’entreprises d’État." Vous croyez vraiment qu’Abramovitch ne pardonne pas à Poutine de lui avoir remis 13 milliards de dollars qu’il peut réinvestir où il veut, en Russie, en Angleterre ou ailleurs ? Et comment peut-on parler de renationalisation, même entre guillemets, lorsqu’un trust dont l’État n’est qu’en partie propriétaire en rachète un autre ? Imaginez-vous, et j’imagine que cela vous semble bien entendu impossible et à moi aussi, que demain on parle de renationalisation si EDF, qui n’est même pas encore privatisée à 49%, rachète telle ou telle autre entreprise. C’est cela que nous critiquons, c’est le fait de ne pas poser les problèmes ou de les masquer sous des formules. L’autre exemple que je voudrais prendre, c’est celui fourni par l’article sur la grève SNCF paru dans le numéro de LO d’il y a huit jours, article qui a été depuis, mais depuis seulement, un peu corrigé par l’article de ce jeudi (en réalité daté du vendredi et remis le mercredi). Dès mardi soir, il était évident que les fédérations de cheminots entendaient stopper cette grève qui n’avait rien de reconductible, en fait on le savait même depuis avant la grève à cause des déclarations du secrétaire même de la CGT. Nous écrivons : "Avant même que les grévistes de la SNCF se soient retrouvés le mercredi 23 novembre en assemblées pour décider de la suite à donner ou pas à leur mouvement, la presse, les radios, les télévisions avaient déjà annoncé que c’était fini, que les cheminots avaient obtenu de petites choses et que cela suffisait comme cela d’embêter les usagers." Pas un mot de l’attitude des directions syndicales, pas un mot de l’appel hypocrite, en même temps que les radios, des différentes fédérations à stopper le mouvement(4). C’était pourtant elles les premières responsables de l’annonce que, je re-cite, "c’était fini, que les cheminots avaient obtenu de petites choses et que cela suffisait comme cela d’embêter les usagers". Les radios et les télés n’ont fait que refléter à ce moment-là, bien entendu, les conseils sans doute du gouvernement ou de Gallois, mais en même temps, elles ne faisaient que paraphraser les déclarations de la CGT, SUD, FO ou la FGAAC. Eh bien ce que je souhaite, puisque j’ai commencé par des souhaits, c’est que notre journal pose les problèmes, les pose ouvertement et pas à côté ou en édulcorant les choses. Enfin, je voudrais revenir sur nos propositions d’orientation pour l’année qui vient. À celles-là nous avons eu deux principales objections. D’abord "notre organisation est trop petite, vous rêvez en préconisant de mener une politique vis-à-vis des autres organisations du mouvement ouvrier ou de la gauche". Ensuite, la minorité est accusée de vouloir mettre toute l’organisation en campagne permanente, de lui rajouter un travail militant alors que nous en avons déjà beaucoup. Alors essayons de bien nous comprendre. Vous pouvez vous rassurer, nous ne voulons pas vous faire coller plus d’affiches, distribuer plus de tracts, tenir plus de meetings ou de réunions publiques, parcourir plus de kilomètres que vous allez le faire dans l’année qui vient, ou plus exactement que nous allons le faire, parce que nous sommes partie prenante de tout cela. Mais cette objection n’est qu’une caricature de nos propositions, ou plutôt, exactement à côté de la plaque(5). Ce que nous proposons à l’organisation, c’est une intervention de LO sur la scène politique, c’est à dire des gestes et des propositions publiques faites d’abord pour être connues du public militant. Et je voudrais donner un exemple relatif à ce congrès. À la suite de ce congrès nous nous apprêtons à faire connaître par tous les moyens dont nous pouvons disposer, communiqués, conférences de presse, participation d’Arlette Laguiller à des émissions, sa candidature pour les prochaines élections présidentielles. C’est bien et, pas de fausse discussion, la minorité est prête à voter la motion qui nous sera proposée sur cette candidature. Là donc, et à juste titre, nous ne considérons pas que nous sommes trop petits, que notre organisation ne compte pas sur la scène politique, ni que les médias ne lui prêteront aucune attention. Au contraire, nous comptons bien que la nouvelle sera reprise, commentée comme un fait politique qui peut avoir un impact sur la scène politique. Eh bien ce que nous proposons c’est que la même chose, le même effort soit fait, ni plus ni moins sur le même plan, mais pour tenter de nous adresser aux travailleurs et aux militants sur un sujet qui leur est quand même aujourd’hui plus proche et plus sensible que les élections de 2007 : la nécessité du mouvement d’ensemble pour changer radicalement la situation. Ce que nous souhaitons et proposons c’est que sortent de ce congrès, non seulement la candidature d’Arlette Laguiller, mais aussi une proposition, un appel, une adresse, appelons-le comme nous voudrons, au mouvement ouvrier et à la gauche, proposition de préparer avec eux ce mouvement d’ensemble et que cette proposition soit popularisée de la même manière et par les mêmes voies que nous allons tenter de populariser la candidature d’Arlette. Nous ne nous faisons pas d’illusion sur la réponse que nous pourrions recevoir des directions des plus grandes organisations syndicales ou politiques. Mais si Arlette, dans la conférence de presse qu’elle va tenir demain ou après-demain, ne se contentait pas d’annoncer sa candidature mais l’accompagnait de cette proposition publique, officielle si je peux dire, il y a quand même toutes les chances que cela soit aussi repris par les médias. Et ce qui sortirait publiquement de notre congrès ne serait pas seulement que LO a commencé à préparer les élections qui auront lieu dans un an et demi, mais qu’elle propose maintenant une politique, je dis bien maintenant, au mouvement ouvrier. Une annonce qui pourrait alors être suivie dans les semaines qui viennent de propositions plus précises et plus ciblées à tel ou tel parti, à telle ou telle organisation, et en particulier à la LCR. Une annonce qui permettrait aux militants et sympathisants de LO d’en discuter dans leurs entreprises, leurs quartiers, leurs syndicats, avec les travailleurs et avec d’autres militants qui ne nous connaissent pas mais qui auraient entendu notre proposition.
suite à venir ....