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La direction de Renault ferme le site du CTR de Rueil en juillet 2014

mercredi 16 juillet 2014, par Robert Paris

CTR : fin et… suites

Le CTR ferme ses portes. Ainsi en a décidé la direction de Renault. Même si les arguments financiers ou de rationalisation de l’organisation ne peuvent pas convaincre, ce qui ne convainc surtout pas, et qui est difficilement chiffrable, c’est le coût qu’une telle décision va représenter pour les salariés en termes de fatigues supplémentaires, de coûts supplémentaires, de stress supplémentaire, de difficultés familiales supplémentaires et même de démission forcées supplémentaires. Les « compensations » proposées par Renault, sa manière de traiter les « cas individuels » alors qu’il y a un cas général, tout cela démontre une seule chose : le patron se moque des salariés, même si ceux-ci sont des cadres, même s’il les appelle « ses collaborateurs », même s’il les remercie une fois par an de s’investir pour l’entreprise, en réalité pour le capital de Renault, eh bien, le capital de Renault, lui, ne voit pas d’individus, se moque des individus, même de ses responsables, même de ses ingénieurs, même de ses hauts cadres (l’affaire d’espionnage de Ghosn l’avait déjà bien montré).

Tout aura été dit sur la valeur des engagements du patron et sur sa signature d’un accord prévoyant de ne pas fermer de site, promesse faite à des syndicats complaisants qui ont diffusé cette promesse, ont fait semblant de la croire en échange de véritables sacrifices pour les salariés en termes de salaires, d’horaires, de conditions de travail, de suppressions d’emplois.

L’absence de toute tentative de protestation collective sérieuse contre la fermeture témoigne de ce syndicalisme d’accompagnement, de ce syndicalisme de collaboration, de ce syndicalisme d’accords avec le patron que nous avons connu ces dernières années. Elle n’a rien d’étonnant de la part de syndicats comme la CGC ou la CFDT. De la part de la direction de la CGT, elle correspond à l’attitude d’un syndicat qui a voté en conseil d’administration la confiance à Ghosn et qui a voté le contrat social de crise. De la part des salariés, cette situation témoigne du climat d’attentisme, de pessimisme et de méfiance qui règne depuis la défaite du mouvement des retraites, mené en voie de garage par l’intersyndicale, par refus de la grève générale, quitte à appeler à une journée d’inaction un jour férié (le premier mai) et un dimanche. Tout cela pour ne pas rompre avec la CFDT, un syndicat qui défend le point de vue patronal aussi bien que le MEDEF.

Certes, la direction de Renault peut se féliciter que sa décision de fermeture soit passée quasiment comme une lettre à la poste. Elle peut se féliciter qu’aucun syndicat n’ait même choisi de dénoncer cette fermeture à la presse. Le silence radio total a été respecté. Un grand merci de la direction aux responsables syndicaux qui ne se sont pas désolidarisés ainsi d’elle. La politique de négociations permanentes, de discussions avec le patron et pas avec les salariés a porté ses fruits. La politique syndicale de compromis, de signature, de reculades et de confiance à Ghosn. Le résultat est une dégradation générale du climat parmi les salariés et tout a contribué à casser le moral des salariés.

Il n’empêche, et nous tenons à le rappeler ici, que le CTR de Rueil a été le témoin de bien d’autres expériences, que les salariés de ce site ont même donné du fil à retordre au patron, notamment en 1995, la direction de Renault parlant à cette époque de la grève de Rueil comme « une grève atypique ». Eh oui, atypique par sa durée, par sa détermination, par son dynamisme, par sa ténacité, par son ampleur. Non seulement ceux qui y ont participé s’en rappellent mais ils peuvent en parler à ceux qui n’y étaient pas. On entend presque encore résonner les cris de « on n’est pas des moineaux, on ne veut pas des miettes ! » ou de « qu’est-ce qu’on veut ? ». On voit presque encore les panneaux rappelant la revendication des 300€ d’augmentation pour tous sur la base. Le PDG, estomaqué, était venu lui-même, juste après la grève, mesurer ce qui se passait au CTR. Et on peut dire qu’il avait été servi : mis en cause dans une assemblée improvisée de salariés qui lui avaient affirmé à deux doigts des moustaches que ses affirmations selon lesquelles les salaires avaient suivi la hausse des prix des véhicules Renault n’étaient que des balivernes !

Eh oui, nous tenons à rappeler tout cela, justement à cause de l’ambiance actuelle qui pourrait nous tromper sur la force potentielle de la classe ouvrière. La classe ouvrière en n’a pas été vaincue frontalement et n’est pas battue. Les gouvernements successifs de droite comme de gauche, font mine d’être audacieux dans leurs attaques anti-sociales mais ils sont en fait très prudents : ils craignent de nouveaux 1995 et même de nouveaux 1968 ou 1936 et ils se contentent de donner de plus en plus l’impression d’une impuissance des luttes. Ils bénéficient pour cela des politiques des dirigeants syndicaux, les meilleurs stratèges des défaites. Et justement, il importe de rappeler qu’en 1995, la classe ouvrière a rappelé sa force collective, au CTR pas moins qu’ailleurs, en participant au vaste mouvement de cette année là. Oui, il convient de rappeler que nous n’étions pas sur la défensive alors, nous qui revendiquions une augmentation de 300€ par mois pour tous sur le salaire de base !

A l’heure des jours difficiles où les salariés craignent pour leur emploi, il est d’autant plus important de ne pas oublier ce qui a fait notre force en 1995, nous salariés du privé qui, quelques mois avant la grande grève du public initiée par les cheminots, les hospitaliers et les enseignants, mais suivie aussi par la RATP notamment, au lieu de lutter séparément faisaient grève ensemble pour les mêmes revendications en ayant conscience de faire partie d’un même mouvement au point même que la lutte du public s’était déroulée avec des assemblées générales interprofessionnelles.

Rappelons qu’en 1995, bousculant le calcul syndical qui programmait des grèves successives et non convergentes sur les sites de Renault, nous avions bousculé l’ordre du jour en faisant converger la grève sur les trois sites de Rueil, du Mans et de Lardy. Et nous avions marqué la chose non seulement en manifestant ensemble mais en allant trouver les ouvriers du Mans qui ne connaissaient les « blouses blanches » que comme des chefs et en leur donnant nos blouses blanches !

Aujourd’hui, les tactiques syndicales sont bien loin d’un tel schéma d’unité de la classe ouvrière en lutte. On est passés par les luttes vaincues des petites entreprises qui licencient et se battent seules, dos au mur : les Conti ou les Molex par exemple. On est passés par la lutte isolée des PSA Aulnay, se battant sur un seul site alors que les licenciements concernaient tout le trust et avec aucun appel à la grève des syndicats des autres sites ! On constate actuellement des luttes nombreuses dans les hôpitaux, les crèches et les postes en même temps que la grève des cheminots, sans aucune tentative de jonction. On constate qu’il n’y avait aucune tentative de CGT et SUD, dirigeants de la grève des cheminots, d’entraîner les agents de la RATP, même pas sur le RER où ils travaillent parfois ensemble. Aucune tentative non plus de se lier aux intermittents en lutte. L’unité de certains syndicats ne signifie pas l’unité ouvrière comme on l’a bien vu avec l’intersyndicale des retraites, unie pour mieux diviser le mouvement, laisser seuls par exemple les raffineries en grève, ou seul un hôpital en grève, ou seuls encore les sous-traitants automobiles en lutte contre des fermetures au même moment. Ce sont là les stratégies syndicales qui ne peuvent que nous mener de défaites en démoralisation et déboussolement.

Demain, nous ne serons plus au CTR mais n’aurons pas moins besoin de la solidarité collective et de la lutte collective. Les sacrifices qui nous ont été déjà imposés par la direction de Renault, et acceptés par certains syndicats, ne sont pas la fin des difficultés et gageons que Ghosn ne s’arrêtera pas en si bon chemin ! Si l’expérience de 1995 au CTR doit laisser des traces, c’est qu’à l’heure des défaites sans combat (du type grève des retraites un premier mai et un dimanche ou refus de Bernard Thibaut d’aller vers la grève générale), ce sont des expériences de lutte sociale, d’union des travailleurs derrière des objectifs communs, décidés et discutés en commun.

Il n’y a pas de hasard si c’est également au CTR que les cas de cancers dus à l’amiante ont été relevés, dénoncés et condamnés, par la sécu et par la justice et la direction de Renault ainsi accusée. Pas de hasard non plus si ce n’est aucun des appareils syndicaux qui a pris en charge cette lutte.

Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais aucun avenir à se laisser faire. Les luttes inéluctablement perdues sont celles qu’on n’a pas tentées, pas discutées, pas envisagées. Il n’y a rien de plus dangereux que de donner l’image d’une classe prête à courber l’échine à un moment où le patronat en veut toujours plus et où il n’est pas loin de nous demander de payer pour avoir un boulot !

C’est la collaboration sociale, notamment la manie de la négociation, qui nous a mené dans le fossé actuel et pas la lutte des classes ! C’est la lutte sociale qui nous en sortira ! Et ce sera pour faire réentendre les « on n’est pas de moineaux, on ne veut pas des miettes ! », « Les patrons licencient, licencions les patrons ! » ou les « soyons réalistes, demandons l’impossible ! »

Dédé, dit « Le Moineau »

et La Voix des Travailleurs

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