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Les contes de Noël les plus inattendus

mardi 23 décembre 2014, par Robert Paris

Conte de Noël de Jacques Prévert

Ecole André-Hamon, vers 1908. Où est Jacques Prévert ? Il est bien au troisième rang, juste à la gauche du curé...

L’émasculée conception ou le vrai mystère de Bethléem

Devant le rideau Gnafron fait l’annonce du spectacle :

 Qu’est-ce qu’un mystère ?

 « Un mystère est une vérité révélée de dieu que nous devons croire quoique nous ne puissions pas la comprendre. » (Catéchisme de diocèse de la province de Paris, page 30)

Le rideau se lève sur le prologue.

La scène se passe dans une entreprise de charpentes en bois à Nazareth, petite ville de Galilée, quelques mois avant J.-C.

PERSONNAGES

JOSEPH : patron charpentier

MARIE : femme de Joseph

VARLOPIN : compagnon charpentier

Acte premier

Joseph et Marie sont à table.

Varlopin est debout devant eux.

JOSEPH

Des augmentations… des augmentations. Vous êtes formidables, tous autant que vous êtes… formidables, c’est le mot !

VARLOPIN

Je ne sais pas si c’est le mot… Tout ce que je sais…. C’est qu’on crève doucement de faim ! (hochant la tête). Et puis… on travaille trop… même pas le temps de vivre.

JOSEPH

Vivre… Comme si on n’avait que ça à faire sur la terre.

VARLOPIN

Tout de meme !

JOSEPH

Il n’y a pas de tout de même… Vous êtes des mécontents, des jaloux… (levant les bras au ciel). Quelle époque ! Quand on pense que de mon temps… on travaillait vingt-trois heures par jour… et pourtant… personne ne se plaignait… Heureux comme un poisson dans l’eau…

VARLOPIN

Avec un bocal autour… avec l’hameçon dans la gueule.

MARIE

Je vous en prie, monsieur Varlopin.

VARLOPIN

Excusez-moi, madame Marie, mais il y a trop longtemps que ça dure.

JOSEPH

Quoi ?

VARLOPIN

Tout.

JOSEPH

Enfin, de quoi vous plaignez-vous ?

Vous avez la journée de seize heures… qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? Les vacances payées !

VARLOPIN

Avec ce que nous gagnons, nous ne pouvons pas beaucoup manger.

JOSEPH

Oh ! je vous en prie, ne regardez pas mon assiette.

VARLOPIN

Ce n’est pas l’assiette qui m’intéresse.

JOSEPH

Enfin, j’ai tout de même droit de manger du poulet… Je suis le patron ! Et puis… Dieu a fait les choses ainsi. Il n’appartient pas à l’homme de les changer.

VARLOPIN

Bien sûr… vous êtes le patron… Le Patron des Charpentiers… le grand singe Joseph… comme on vous appelle à l’atelier.

JOSEPH

Comment ?

VARLOPIN

Le patron on l’appelle toujours le Singe… C’est une tradition dans la corporation.

MARIE

Jolie tradition !

JOSEPH

Enfin, nous sommes bons pour vous… nous vous donnons du travail…

VARLOPIN

Si vous appelez ça un cadeau.

MARIE

Monsieur Varlopin, vous êtes un mauvais esprit (l’index levé)… Ce qui est écrit est écrit… le patron donne du travail… et le riche donne au pauvre… le penseur donne à penser…Dieu fait bien ce qu’il fait.

VARLOPIN, (humant le repas)

Surtout chez vous, si c’est lui qui fait la cuisine.

JOSEPH

Enfin… en voilà assez… Marie a raison… il n’y a pas à discuter… ce qui est écrit est écrit….

VARLOPIN

Pas le temps de lire… au revoir Messieurs dames… si on n’est pas demain à l’atelier… faudra pas vous étonner… ! Bon appétit ! Bonne santé ! Attention de ne pas vous étrangler… les os de poulet, c’est mauvais… (il sort).

MARIE

Ces gens-là son absolument impossibles.

JOSEPH

Ouais…

MARIE

Ils ont dû lire de mauvais livres…

JOSEPH

Ouais….

MARIE

Est-ce vrai qu’ils cessent de plus en plus de fréquenter le temple ?

JOSEPH

Ouais…

MARIE, (bouleversée)

Oh ! mon Dieu ! Mais c’est affreux… Comment occupent-ils alors leurs moments perdus ?

JOSEPH,(évasif)

Sais pas. Peut-être à la chasse aux papillons…

MARIE, (très triste)

Pauvres petites bêtes.

JOSEPH

Il y en a qui font de la musique… d’autres qui dansent… d’autres qui font l’amour.

MARIE

Oh ! Je t’en prie Joseph !

JOSEPH

Pardonne-moi Marie.

MARIE

Comme c’est triste, ces gens qui vivent comme des animaux… (elle pleure)

JOSEPH

Ne pleure pas, Marie…

MARIE

Pardonne-moi Joseph. (Long soupir.) Quand j’étais toute jeune, j’étais gaie quelquefois, presque heureuse, j’avais des rêves.. des rêves si beaux avec des nuages, des nuages bleus… et puis Dieu… (en extase). J’étais couchée sur le plus bleu de ces nuages et Dieu me caressait les cheveux !

JOSEPH, (vexé.)

Je t’en prie, Marie.

MARIE

Pardonne-moi, Joseph… mais au temps où j’étais jeune fille…

JOSEPH

Oh ! laisse-moi tranquille à la fin avec tes regrets et tes reproches.

MARIE

Je ne te reproche rien, Joseph… Avant de me marier… j’étais jeune fille… et maintenant… (de plus en plus rêveuse)… Je suis encore jeune fille… et bientôt, hélas… je serai vieille fille !

JOSEPH, (très triste)

Est-ce ma faute ?

MARIE

Je ne crois pas.

JOSEPH

Moi non plus… enfin, c’est un mystère…

MARIE

Oui… une vérité révélée de Dieu et que nous ne devons pas chercher à comprendre.

JOSEPH, (la prenant affectueusement par l’épaule.

Allons, Marie…. ma petite Marie… ma petite vierge Marie ! Souris un peu à ton vierge mari…

Deux anges entrent qui portent des journaux.

LES ANGES

Demandez « L’Echo de Nazareth »… Demandez « L’Echo » !

Joseph achète « L’Echo » !

Les anges se retirent en répétant :

LES ANGES

Demandez « L’Echo de Nazareth »… Demandez « L’Echo » !

JOSEPH, à Marie, lui tendant le journal

Tiens, Marie… lis ton feuilleton… ça te changera les idées.

MARIE

Merci, Joseph.

Marie ouvre le journal, Joseph allume sa pipe. Marie lit silencieusement. Joseph fume de même. Soudain, Marie fond en larmes.

MARIE

Oh ! Antoine… le pauvre Antoine…

JOSEPH

Qu’est-ce qu’il y a encore ?

MARIE

C’est le feuilleton… (elle pleure) tellement triste… (elle lit). « Hélas, Antoine, le beau centurion n’avait plus que quelques instants à vivre, la flèche l’avait atteint dans le dos. » (Hochant la tête.)… C’est terrible… Il était si courageux et si beau !

JOSEPH

Trop sensible, Marie. Tu devrais lire les petites annonces… C’est plus tranquille.

MARIE, (résignée)

Tu as raison, Joseph, tu as toujours raison. (elle tourne la page et lit à haute voix) « Joli berger voudrait connaître jolie bergère, pour faire Folies Bergères… écrire : Narcisse et envoyer dessin si possible. » (elle sursaute.) Oh, c’est dégoûtant.

JOSEPH

Quoi ?

MARIE

Tu n’as pas écouté ?

JOSEPH, l’innocence même.

Si, mais je n’ai rien entendu !

MARIE

Tant mieux (elle poursuit sa lecture).

Soudain elle se dresse, illuminée, transfigurée.

MARIE

… Oh ! c’est extraordinaire !

JOSEPH

Quoi ?

MARIE

Et ils lisent tous deux d’une voix grave, bouleversée, inspirée.

LES DEUX, dans un touchant ensemble.

On demande dame mariée, sans enfant, susceptible d’en adopter un… excellentes références exigées… professionnelles s’abstenir… situation d’avenir pour toute la famille.. entreprise intéressant l’humanité tout entière… écrire Poste restante : « Maison Dieu – créateur du genre humain en tout genre. »

JOSEPH, illuminé.

Marie !

MARIE

Joseph ! (puis : Va chercher de quoi écrire !

Le rideau est tombé. Devant le rideau un ange passe en jouant de la trompette. La scène se passe toujours à Nazareth, petite ville de Judée.

L’ange disparaît, cependant que les gens, en proie à une extrême agitation, vont et viennent dans tous les sens, y compris celui de la gravité, en échangeant leurs impressions.

UN HOMME

Vous connaissez la nouvelle.

UN AUTRE

Quelle nouvelle ?

L’HOMME

Comment, vous n’êtes pas au courant… mais c’est inouï… des anges dans nos campagnes ont entonné l’hymne des cieux.

L’AUTRE

Non ! Gloria in exelcis Deo !

L’HOMME

Comme je vous le dis !

L’AUTRE, émerveillé.

Pas possible !

L’HOMME

Puisque je vous le dis.

L’AUTRE

Ça devait arriver… on me l’avait prédit… Et l’étoile… vous l’avez vue ?

L’HOMME

Quelle étoile ?

L’AUTRE

Mais l’étoile des Bergers. Pour tout vous dire, je ne l’ai pas vue non plus… mais nous la verrons cette nuit… puisque le jour n’est pas encore tombé.

DEUXIEME ACTE

Devant le rideau, la crèche

Quelques jours après Jésus-Christ.

PREMIER CURIEUX

Vous l’avez vu… c’est formidable… des anges dans nos campagnes ont entonné l’hymne des cieux… Gloria in excelcis Deo.

SECOND CURIEUX

Non, pas possible.

PREMIER CURIEUX

Puisque je vous le dis… tenez les voilà.

Chœur des anges

Gloria il excelcis Deo

Ah ! Qu’il est beau, qu’il est charmant !
Ah ! que ses grâces sont parfaites !
Ah ! Qu’il est beau, qu’il est charmant !
Qu’il est doux ce divin enfant !

Partez, grands rois de l’Orient !
Venez vous unir à nos fêtes
Partez, grands rois de l’Orient !
Venez adorer cet enfant !

O Jésus ! O Roi tout-puissant
Tout petit enfant que vous êtes,
O Jésus ! O Roi tout-puissant,
Régnez sur nous entièrement !

Gloria il excelcis Deo

SECOND CURIEUX

Décidément on aura tout vu.

PREMIER CURIEUX

Il va sûrement se passer quelque chose…

SECOND CURIEUX

Tant mieux… tant mieux… s’il ne se passait rien on s’ennuierait trop. Faut bien un peu d’imprévu de temps en temps. .. et comment vont vos enfants ?

UN AUTRE CURIEUX, à toute vitesse.

Eh dites donc… venez vite… c’est là-bas que ça se passe.

LA FOULE

 quoi…

 il se passe quelque chose et c’est chez Joseph que ça se passe.

 chez Joseph, le patron charpentier.

 oui, c’est un de ses ouvriers qui me l’a dit.

 sa femme va avoir un enfant…

 mais ça n’a rien d’extraordinaire.

 et savez-vous qui c’est ?

 qui ?

 le petit ?

 non.

 c’est Dieu…

 Dieu…

 oui monsieur, c’est comme j’ai l’honneur de vous le dire.

 eh ben, ça va attirer du monde dans le pays.

CHŒUR DES HYSTÉRIQUES, vieilles fées et vieux vieillards

Il est né le divin enfant
Jouez hautbois et sonnez musette
Il est né le divin enfant
Chantons tous son avènement…

LES CHARPENTIERS

 Qu’est-ce qu’ils ont ?

 je ne sais pas.

 Compagnons charpentiers… ça ne peut plus durer… chaque jour la vie est plus dure… et chaque jour les impôts augmentent… et chaque jour les salaires diminuent et cela continue. Bientôt, il faudra payer pour travailler. J’estime que ce genre d’existence ne peut absolument pas continuer…

 Gloire à Dieu au plus haut des cieux.

UN VIEILLARD

Mais taisez-vous donc malheureux insensés, vous n’avez pas honte, un jour comme celui-là, de discuter gros sous. Il s’en va en hurlant : Il est né le divin enfant.

PREMIER CHARPENTIER

Qui est-ce ?

DEUXIEME CHARPENTIER

C’est Isaac Croums.

PREMIER CHARPENTIER

Qu’est-ce qu’il fait ?

DEUXIEME CHARPENTIER

Il est banquier…. propriétaire… c’est le patron des patrons…

Les anges reviennent. Ils sont fatigués.

LES ANGES

 Gloria il excelcis Deo

... Ça veut dire…

La pauvre étable. Elle est ouverte.

On voit un grand berceau plat avec de la paille et personne dedans.

Près du berceau, l’âne et le boeuf…

LA FOULE

 Que font-ils ?

 Que s’est-il passé ?

 C’est très pénible.

 Hélas tout est foutu… raté.

 La fête est terminée avant même d’avoir commencé.

 au voleur… au voleur…

 que s’est-il passé ?

 il doit bien se passer quelque chose et il s’est passé quelque chose qui empêche que les choses qui doivent se passer se passent…

 tout était si bien arrangé…

LE PATRON DU BISTRO

Hélas j’ai des tables supplémentaires…

… ah quelle sombre, quelle sombre histoire.

On a pris Jésus.

On a volé… l’enfant Jésus.

SAINT JOSEPH

Hélas tout est foutu.

LA VIERGE

Il n’y a plus d’enfant, il n’y a plus d’enfant Jésus… envolé… volé…enlevé…kidnappé… disparu… l’enfant Jésus.

Arrivée des bergers.

JOSEPH

Oh Marie et les rois mages qui vont arriver…

Les rois mages qui vont arriver… rends-toi compte…

De quoi allons-nous avoir l’air….

Oh ! Jamais je n’ai jamais eu de chance !

Ils engueulent l’âne et le bœuf.

Un grand cri retentit.

Ça y est...

Ça devait arriver...

Kidnappé...

Enlevé...

Volé...

Et la Vierge Marie fait le tour de la crèche en hurlant

MARIE

Il n’y a plus d’enfant

Il n’y a plus d’enfant Jésus

Joseph patron des charpentiers, le singe Joseph comme l’appellent entre eux les ouvriers, fait le tour de la crèche dans l’autre sens

Les deux se cognent

La Vierge et son mari

Horrible horrible ils ont fauché le petit !

Deux ou trois flics de Bethléem assis sur les marches du temple pleurent à chaudes larmes tout en assommant un chômeur…

LA VIERGE

Mais ce n’est pas possible…

SAINT JOSEPH

C’est hélas la triste vérité…

Quelle honte et les rois mages qui vont arriver… rends-toi compte, Marie, les rois-mages… les présents, les chameaux… Les rois-mages, Marie…

Au loin, deux ou trois créatures ailées déploient de grands calicots : « Gloria in exelsis Deo »…

Les séraphins zélés poussent des cris publicitaires :

 Par ici la crèche !

 Vive les rois !

Tous les flics du pays battent la campagne, matraquant par-ci, assommant par là.

Pas d’enfant Jésus, impossible de mettre la main dessus.

Et l’heure avance, les Rois sont arrivés…

Soudain Saint Joseph a une idée…

Il va trouver un de ses ouvriers dont justement la femme vient d’accoucher.

SAINT JOSEPH

Prête-nous ton petit, quand les rois mages seront partis on te le rendra…

L’OUVRIER

Comme vous y allez !

SAINT JOSEPH

… Si. Il faut qu’il y ait un dieu dans la crèche. C’est écrit.

L’OUVRIER

Je ne sais pas lire.

SAINT JOSEPH

Tu n’as pas confiance en moi, ton patron ?

L’OUVRIER

Oh vous savez le patron c’est toujours le patron…

SAINT JOSEPH

Puisque tu le prends comme ça… je te vire de l’atelier… allez…

L’OUVRIER

Faut bien en passer par où vous voulez…

On amène la mère et l’enfant.

LA MERE

Madame Marie ça m’ennuie de vous prêter le petit… J’ai eu tellement de mal à l’avoir.

LA VIERGE, revêche

Et bien du plaisir aussi à ce qu’on m’a dit….

LA MERE

Oh le plaisir… le plaisir… moi…

LA VIERGE

Je vous en prie… gardez vos confidences. Je suis vierge… donnez moi l’enfant.

Elle le place dans le berceau.

L’âne et le bœuf soufflent dessus.

L’ANE

Souffler n’est pas jouer.

LE BŒUF

Jouer à quoi ?

Et la Vierge astique sa belle auréole de cuivre car les rois mages aiment ce qui brille…

L’âne pète. Le bœuf éclate de rire. Saint Joseph et Marie avec les anges dans les campagnes entonnent l’hymne joyeux : « C’est la sainte famille. »

Saint Joseph a le col en celluloïd.

De temps en temps, il regarde sa montre.

SAINT JOSEPH

Qu’est-ce qu’ils peuvent bien foutre ?

C’est des rois mages qu’il parle.

« C’est la famille, la sainte famille, voilà les amis de la famille. »

La mère reprend son petit…

Soudain l’enfant qui arrive…

C’est la famille, la sainte famille. »

Dieu le père entre dans la crèche. »

Ah c’est formidable !

Qu’est-ce que vous avez fait de mon fils ?

Ah, vous m’avez mis dans de beaux draps…

DES TEMOINS

 Mais le bébé est barbu !

 Et lui, qui c’est ?

 Il paraît que c’est le père du petit… ben mince… Il a pas peur pour son âge…

 Oh la mère est vierge !

 Ah !

 Oui.

 Tiens…

 Il y en a qui disent que le père, c’est un oiseau.

 Et Joseph…

 C’est les patrons… Drôle de famille.

 Oh tu sais la famille, c’est toujours la famille.

 Enfin… Dieu…et les rois mages qui vont arriver…

DIEU

Faites quelque chose, faites quelque chose… comme vous y allez…

Et vous croyez que c’est facile ! J’ai dit aux rois mages de partir… Ils sont partis… Dites-leur de rebrousser chemin. On ne peut pas agir à la légère avec des rois.

Les rois aussi sont puissants… Supposez que je les fâche et qu’ils s’en aillent raconter partout que je n’existe pas. C’est invraisemblable

Moi aussi je suis invraisemblable…

Ah vous m’avez mis dans de beaux draps…

C’est de votre faute aussi… Vous m’envoyez…

Vous vous dites : soyez père sans l’être d’un enfant qui doit mourir…

Qu’est-ce qui nous dit qu’il n’a pas eu peur, le petit et qu’il ne s’est pas sauvé.

Et vous trouvez que c’est marrant de mourir sur la croix.

Dans l’atelier de Joseph, le père et le fils travaillent. Joseph, patiemment, explique à Jésus les arcanes du métier et la manipulation des outils. Mais Jésus est bien jeune et souvent ailleurs : maladroit ? étourdi ? Sans doute un peu les deux. Une varlope lui tombe des mains et se casse au milieu des copeaux.

Joseph grogne :

JOSEPH

Jésus, tu peux pas faire attention, tu sais combien ça coûte, un rabot comme ça ? Tu sais qu’on ne roule pas sur l’or, bon sang...

L’ambiance est un peu tendue, quand Marie pointe son nez :

MARIE

Joseph, Jésus, la soupe est prête, à table !

Mais pendant le repas, c’est la soupe à la grimace : Joseph médite sur le moyen de remplacer ou réparer son outil, et Jésus est dans ses pensées...

MARIE

Un ange passe !

Alors Joseph explose :

JOSEPH

Ah ! non, Marie, une fois suffit, hein !

CHŒUR D’ANGES

Être ange
c’est étrange
dit l’ange
Être âne
c’est étrâne
dit l’âne
Cela ne veut rien dire
dit l’ange en haussant les ailes
Pourtant
si étrange veut dire quelque chose
étrâne est plus étrange qu’étrange
dit l’âne
Etrange est
dit l’ange en tapant des pieds
Etranger vous-même
dit l’âne
Et il s’envole

CHŒUR DES CHARPENTIERS

La quéquette à Jésus-Christ
N’est pas plus grosse qu’une allumette.
Il s’en sert pour faire pipi.
Vive la quéquette à Jésus-Christ !

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Ecoutez c’que je m’en vas vous raconter.

C’te année-là, parlant par respect, je m’étions engagé avec Fifi Labranche, le jouor de violon, pour aller faire du bois carré sus le Saint-Maurice, avec une gang de par en-haut ramassée par un foreman des Praîce nommé Bob Nesbitt : un Irlandais qu’était point du bois de calvaire plusse qu’un autre, j’cré ben, mais qui pouvait pas, à ce qu’y disait du moins, sentir un menteur en dedans de quarante arpents. La moindre petite menterie, quand c’était pas lui qui la faisait, y mettait le feu sus le corps. Et vous allez voir que c’était pas pour rire : Jos Violon en sait queuque chose pour en a voir perdu sa fortune faite.

À part moi pi Fifi Labranche qu’étions de la Pointe-Lévis, les autres étaient de Saint-Pierre les Baquets, de Sainte-Anne la Parade, du
Cap-la-Madeleine, de la Pointe du Lac, du diable au Vert. C’était Tigusse Beaudoin, Bram Couture, Pit Jalbert, Ustache Barjeon, le grand Zèbe Roberge, Toine Gervais, Lésime Potvin, exétéra.

Tous des gens comme y faut, assez tranquilles, quoique yen eût pas un seul d’eux autres qu’avait les ouvertures condamnées, quand y s’agissait de s’emplir.
Mais un petit arrosage d’estomac, c’pas, avant de partir pour aller passer six mois de lard salé pi de soupe aux pois, c’est ben pardonnable.

On devait tous se rejoindre aux Trois-Rivières.
Comme de raison, ceux qui furent les premiers rendus trouvirent que c’était pas la peine de perdre leux temps à se faire tourner les pouces, et ça leur prit pas quinze jours pour appareiller une petite partie de gigoteuse.

Quand ils eurent siroté chacun une couple de cerises, Fifi tirit son archet, et v’là le fun commencé, surtout pour les aubergistes, qui se lichaient les badigoinces en voyant sauter les verres sus les comptoirs et les chemises rouges dans le milieu de la place. Ça dansait, les enfants, jusque sus les parapelles !
Moi, je vous dirai ben, je regardais faire. La boisson, vous savez, Jos Violon est pas un homme pour cracher dedans, non ; mais c’est pas à cause que c’est moi : sus le voyage comme sus le chanquier, dans le chanquer comme à la maison, on m’en voit jamais prendre plus souvent qu’à mon tour. Et pi, comme j’sus pas fort non plus sus la danse quand y a pas de créatures, je rôdais ; et en rôdant je watchais.

Je watchais surtout deux véreux de sauvages qu’avaient l’air de manigancer queuque frime avec not’ foreman. Je les avais vus qui y montraient comme manière de petits cailloux jaunes gros comme rien, mais que Bob Nesbitt regârdait, lui, avec des yeux grands comme des montres.

– Cachez ça ! qu’y leux disait ; et parlez-en pas à personne. Y vous mettraient en prison. C’est des choses défendues par le gouvernement.
Ç’avait l’air drôle, c’pas ; mais c’était pas de mes affaires ; je les laissis débrouiller leux micmac ensemble ; et je m’en allais rejoindre les danseux, quand je vis ressoude le foreman par derrière moi.

– Jos Violon, qu’y me dit en cachette, c’est demain samedi ; tout not’
monde seront arrivés ; occupez-vous pas de moi. Je prends les devants pour aller à la chasse avec des sauvages. Comme t’es ben correct, toi, j’te laisse le commandement de la gang. Vous partirez dimanche au matin, et vous me rejoindrez à la tête du portage de la Cuisse. Tu sais où c’est que c’est ?

– Le portage de la Cuisse ? je connais ça comme ma
blague.

– Bon ! mais attention ! les gaillards sont un petit brin mèchés ; faudrait point que personne d’eux autres se laissit dégrader. Si y en a un qui manque, je m’en prendrai à toi, entends-tu ! Vous serez dix-huit, juste.

Pour pas en laisser en chemin, à chaque embarquement et chaque débarquement, compte-les. Ça y est-y ?

– Ça y est ! que je dis.

– Je peux me fier à toi ?

– Comme à Monseigneur.

– Eh ben, c’est correct. À lundi au soir, comme ça ; au portage de la Cuisse !

– À lundi au soir, et bonne chasse !

Je disais bonne chasse, comme de raison, mais je gobais pas c’te rubrique-là, vous comprenez. Comme il se parlait gros de mines d’or, depuis un bout de temps dans les environs du Saint-Maurice, je me doutais ben de quelle espèce de gibier les trois sournois partaient pour aller chasser.

Mais n’importe ! comme je viens de vous le dire, c’était pas de mes affaires, c’pas ; le matin arrivé, je les laissis partir et je m’occupis de mes hommes, qu’étaient pas encore trop soûls, malgré la nuite qu’ils venaient de passer.

Quand je leur-z-eu appris le départ du boss, ça fut un cri de joie à la lime.

– Batêche ! qu’ils dirent, ça c’est coq ! Y en a encore deux à venir
 : sitôt qu’y seront arrivés, on partira : faut aller danser aux Forges à soir !

– C’est faite ! que dit Fifi Labranche ; je connais ça
les Forges ; c’est là qu’y en a de la créature qui se métine !

– Je vous en parle ! que dit Tigusse Beaudoin ; des moules à jupes qui sont pas piquées des vers, c’est moi qui vous le dis.

– Eh ben, allons-y ! que dirent les autres.

Ça fut rien qu’un cri :

– Hourra, les boys ! Allons danser aux Forges !

Les Forges du Saint-Maurice, les enfants, c’est pas le perron de l’église. C’est plutôt le nique du diable avec tous ses petits ; mais comme j’étions pas partis pour faire une retraite, je leur dis :

– C’est ben correct, d’abord que tout le monde y seront.

Comme de faite, aussitôt que les deux derniers de la gang furent arrivés, on perdit pas de temps, et v’là tout not’monde dans les canots, l’aviron au bout du bras.

– Attendez, attendez, que je dis ; on y est-y toutes, d’abord ? Je veux pas laisser personne par derrière moi ; faut se compter.

– C’est pas malaisé, que dit Fifi Labranche, de se compter. C’est dix-huit qu’on est, c’pas ? Et ben, j’avons trois canots : on est six par canot ; trois fois six font dix-huit, manquable !

Je regardis voir : c’était ben correct.

– Pour lorsse, filons ! que je dis.

Et nous v’lons à nager en chantant comme des rossignols :

La zigonnette, ma dondaine ! La zigonnette, ma dondé !

Comme de raison, faulait ben s’arrêter de temps en temps pour se cracher dans les mains, c’pas ; et pi comme j’avions toute la gorge ben trop chesse pour ça, on se passait le gouleron à tour de rôle. Chaque canot avait sa cruche, et je vous persuade, les enfants, que la demoiselle se faisait prendre la taille plus souvent qu’une religieuse ! c’est tout ce que j’ai à vous dire.

Ça les empêchait pas non plus, tout en marchant m’a dire comme on dit, à pas carrés, ça les empêchait pas d’être joliment ronds, tout ce qu’ils en étaient.

Ça les empêchaient pas non plus, tout en marchant croche, de se rendre ben dretchux le père Carillon, un vieux qui tenait auberge pres
que en face de la grand’-Forge.

Faulait ben commencer par se rafraîchir un petit brin, en se rinçant
le dalot, c’pas.

Justement, y avait là un set de jeunesses à qui c’qu’y manquait rien qu’un jouor de violon pour se dégourdir les orteils. Et, comme Fifi Labranche avait pas oublié son ustensile, je vous garantis qu’on fut reçus comme la m’lasse en carême.

Y avait pas cinq minutes qu’on était arrivés, que tout le monde était déjà parti sur les gigues simples, les reels à quatre, les cotillons, les voleuses, pi les harlapattes. Ça frottait, les enfants, que les semelles en faisaient du feu, et que les jupes de droguet pi les câlines en frisaient, je vous mens pas, comme des flammèches.

Faut pas demander si le temps passait vite.

Enfin, v’là que les mênuit arrivent, et le dimanche avec, comme de raison ; c’est la mode partout, le samedi au soir.

– Voyons voir, les jeunesses, que dit la mère Carillon, c’est assez ! On est tous des chréquins, pas de virvâle le dimanche ! Quand on danse le dimanche d’enne maison, le méchant Esprit est sus la couverture.

– Tais-toi donc, la vieille ! que fit le père Carillon, ton vieux Charlot a ben trop d’autre chose à faire que de s’occuper de ça. Laisse porter, va ! Souviens-toi de ton jeune temps. C’est pas toi qui relevais le nez devant un petit rigodon le dimanche. Écoutez-la pas, vous autres ; sautez, allez !

– Eh ben, tant pire ; puisque c’est comme ça, que le bon Dieu soit béni ! Arrive qui plante, je m’en mêle pus ! que fit la vieille en s’en allant.

– C’est ça, va te coucher, que dit le père Carillon. Jos Violon est pas un cheniqueux, ni un bigot, vous me connaissez ; eh ben, sans mentir, j’avais quasiment envie d’en faire autant, parce que j’ai jamais aimé à interboliser la religion, moi.

Mais j’avais à watcher ma gang, c’pas : je m’en fus m’assire sus un banc, d’un coin, et j’me mis à fumer ma pipe tout seul, en jonglant, sans m’apercevoir que je cognais des clous en accordant sus le violon de Fifi Labranche.

Je me disais en moi-même :

– Y vont se fatiguer à la fin, et je ferons un somme.
Mais bougez pas ; le plusse qu’on avançait sus le dimanche, et le plusse que les danseux pi les danseuses se trémoussaient la corporation dans le milieu de la place.

– Vous dansez donc pas, vous ? que dit en s’approchant de moi une petite créature qui m’avait déjà pas mal reluqué depuis le commencement de la
veillée.

– J’aime pas à danser sus le dimanche, mamzelle, que je répondis.

– Quins !en v’là des escrupules, par exemple ! Jamais je crairai ça... Un homme comme vous !... En disant « un homme comme vous », les enfants, Pus de violon, pus de danse, pus d’éclats de rire, pas un chat dans l’appartement !

– V’là une torrieuse d’histoire ! que je dis ; où c’qui sont gagnés ?
J’étais à me demander queu bord prendre, lorsque je vis ressoudre la mère Carillon, le visage tout égarouillé, et la tête comme une botte
de pesat au bout d’une fourche.

– Père Jos, qu’a dit, y a rien que vous de sage dans toute c’te boutique icitte. Pour l’amour des saints, venez à not’secours, ou ben je sommes tous perdus !

– De quoi t’est-ce que y a donc, la petite mère ? que je dis.

– Le méchant Esprit est dans les Forges, père Jos !

– Le méchant Esprit est dans les Forges ?

– Oui, la Louise à Quiennon Michel l’a vu tout à clair comme je vous vois là. V’là ce que c’est que de danser sus le dimanche !

– De quoi t’est-ce qu’elle a vu, la Louise à Quiennon Michel ?

– Le démon des Forges, ni plus ni moins ; vous savez ce que c’est.
Elle était sortie, c’pas, pour rentrer sa capine qu’elle avait oubliée
sur la clôture, quand elle entend brimbaler le gros marteau de la Forge qui cognait, qui cognait comme en plein cœur de semaine.

A regarde : la grand’cheminée flambait tout rouge en lançant des paquets d’étincelles. A s’approche : la porte était toute grande ouverte, éclairée comme en plein jour, tandis que la Forge menait un saccage d’enfer que tout en tremblait. On n’entendait pas tout ça, nous autres, comme de raison : les danseux faisaient ben trop de train. Mais la danse s’est arrêtée vite, je vous le garantis, quand la Louise est entrée presque sans connaissance, en disant : « Chut, chut ! pour l’amour du ciel ; le diable est dans les Forges, sauvons-nous ! »

Comme de raison, v’là toutle monde dehors. Mais,
ouicht !... pus rien de rien !

La porte de la Forge était fermée : pus une graine de flambe dans la cheminée. Tout était tranquille comme les autres samedis au soir.
C’est ben la preuve, c’pas, que ce que la Louise a vu, c’est ben le Méchant qu’était après forger queuque maréfice d’enfer contre nos danseux...

C’était ben ce que je me disais, en sacrant en moi-même contre
c’te vingueuse de Célanire. Mais, Jos Violon a pas l’habitude – vous me connaissez – de canner devant la bouillie qui renverse, je me frottis les yeux, je me fis servir un petit coup, je cassis une torquette en deux, et je sortis de l’auberge en disant : – J’allons aller voir ça !

Je fus pas loin : mes hommes s’en revenaient. Et vous me crairez si vous voulez, les enfants, le plus extrédinaire de toute l’affaire, c’est qu’y avait pas gros comme ça de lumière neune part. Tout était noir comme dans le fond d’un four, noir comme chez le loup !

Oui, les enfants, Jos Violon, est encore plein de vie ; eh ben, je vous le persuade, j’ai vu ça, moi : j’ai vu ça de mes yeux ! C’est-à-dire que j’ai rien vu en toute, vu qui faisait trop noir.

On l’avait paru belle, allez ! À preuve que, quand on fut rentrés dans la maison, on commencit toutes à se regarder avec des visages de trente-six pieds de long ; et que Fifi Labranche mit son violon dans sa boîte en disant :

– Couchons-nous !

Vous savez comment c’qu’on se couche dans le voyage, c’pas ? Faudrait pas vous imaginer qu’on se perlasse le canayen sus des lits de pleume, non ! On met son gilet de corps plié en quatre sur un quarquier de bois : ça fait pour le traversin. Pour la paillasse on choisit un madrier du plancher où c’que y a pas trop de nœuds, et pi on s’élonge le gabareau dessus. Pas pus de cérémonie que ça !

– T’as raison, Fifi, couchons-nous ! que dirent les autres.

– Attendez voir, que je dis à mon tour ; c’est ben correct, mais vous vous coucherez toujours point avant que je vous aie comptés.
Je me souvenais de ce que le foreman m’avait recommandé, c’pas. Pour lorsse que je les fais mettre en rang d’oignons, et pi je compte :

– Un, deux, trois, quatre... dix-sept !

Rien que dix-sept !

– Je me suis trompé, que je dis.

Et je recommence :

– Un, deux, trois, quatre... dix-sept ! Toujours dix-sept !... Batêche, y a du crime là-dedans ! que je dis. Y m’en manque un !... En faut dix-huit ; où c’qu’est l’autre ? Motte !

– Qui c’qui manque, là, parmi vous autres ?

Pas un mot !

– C’est toujours pas toi, Fifi ?

– Ben sûr que non !

– C’est pas toi, Bram ?

– Non.

– Pit’ Jalbert ?

– Me v’là !

– Ustache Barjeon ?

– Ça y est.

– Toine Gervais ?

– Icitte.

– Zèbe étout ?

– Oui.

Y étaient toutes.

Je recommence à compter.

Dix-sept ! comme la première fois.

– Y a du r’sort ! que je dis. Mais il en manque toujours un, sûr. On peut pas se coucher comme ça, faut le sarcher. Y a pas à dire « Catherine », le boss badine pas avec ces affaires-là : me faut mes dix-huit !

– Sarchons ! que dit Fifi Labranche ; si le diable des Forges l’a pas emporté, on le trouvera, ou ben y aura des confitures dans la soupe !

– Si on savait qui c’est que c’est au moins ! que dit Bram Couture, on pourrait l’appeler.

– C’est pourtant vrai, que dit Toine Gervais, qu’il en
manque un, et pi qu’on sait pas qui c’est que c’est.
C’était ben ce qui me chicotait le plusse, vous comprenez ; on pouvait pas avoir de meilleure preuve que le diable s’en mêlait.

N’importe ! on sarchit, mes amis ; on sarchit sour les bancs, sour les tables, sour les lits, dans le grenier, dans la cave, sur les ravallements, derrière les cordes de bois, dans les bâtiments, jusque dans le puits...

Personne ! On sarchit comme ça, jusqu’au petit jour. À la fin, v’là les camarades tannés.

– Il est temps d’embarquer, qu’y disent. Laissons-lé ! Si le flandrin est dégradé, ça sera tant pire pour lui.

Il avait tout embelle de rester avec les autres... Aux canots !

– Aux canots, aux canots !

Et les v’lont qui dégringolent du côté de la rivière.
Je les suivais, bien piteux, comme de raison. De quoi c’que j’allais pouvoir dire au boss ? N’importe, je fais comme les autres, je prends mon aviron, et, à la grâce du bon Dieu, j’embarque.

– Tout le monde est paré ? Eh ben, en avant, nos gens !

– Mais, père Jos, que dit Ustache Barjeon, on y est toutes !

– On y est toutes ?

– Ben sûr !

Comptez : on est six par canot ; trois fois six font dix-huit !

– C’est bon Dieu vrai ! que dit Fifi Labranche, comment c’que ça peut se faire ?

Aussi vrai que vous êtes là, les enfants, je comptis au moins vingt fois de suite ; et y avait pas à berlander, on était ben six par canot, c’qui faisait not’ compte juste.

J’étais ben content d’avoir mon nombre, vous comprenez ; mais c’était un tour du Malin, allez, y avait pas à dire : parce qu’on eut beau se recompter, se nommer, se tâter chacun son tour, pas moyen de découvrir qui c’est qu’avait manqué.

Ça marchit comme ça jusqu’au lendemain dans l’après-midi. Toujours six par canot : trois fois six, dix-huit !

Jusqu’à tant qu’on eut atteint le rapide de la Cuisse, là où c’qu’on devait faire portage pour rejoindre Bob Nesbitt, on fut au complet.
En débarquant à terre, comme de raison, ça nous encouragit à faire une couple de tours à la cruche. Et pi, quand on a nagé en malcenaire toute une sainte journée de temps, ça fait pas de mal de se mettre queuque chose dans le collet, avant de se plier le dos sous les canots, ou de se passer la tête dans les bricoles.

Ça fait que, quand on eut les intérieurs ben arrimés, je dis aux camarades :

– À c’te heure, les amis, avant qu’on rejoigne le boss, y s’agit de se compter pour la dernière fois.

Mettez-vous en rang, et faut pas se tromper, c’te fois citte.
Et pi, je commence ben lentement, en touchant chaque homme du bout
de mon doigt.

– Un !
deux !
trois !
quatre !
cinq !
six !
sept !
huit !... Dix-sept !...

Les bras me timbent.

Encore rien que dix-sept !...

Sus ma place dans le paradis, les enfants, encore au jour d’aujourd’hui, je peux vous faire sarment devant un échafaud que je m’étais pas trompé. C’était ni plus ni moins qu’un mystère, et le diable m’en voulait, sûr et certain, rapport à c’te vlimeuse de Célanire !

– Mais qui c’qui manque donc ? qu’on se demandait en se regardant tout ébarouis.

Ma conscience du bon Dieu, les enfants, j’avais déjà vu ben des choses embrouillées dans les chantiers ; eh ben, c’te affaire-là, ça me surpassait.

Comment me montrer devant le foreman avec un homme de moins, sans tant seurement pouvoir dire lequel est-ce qui manquait ? C’était ben le moyen de me faire inonder de bêtises.

N’importe ! comme dit M. le curé, on povait toujours pas rester là,
c’pas ; fallait avancer.

On se mettit donc en route au travers du bois, et dans des chemins,
sous vot’ respec’, qu’étaient pas faits pour agrémenter la conversation, je vous le persuade !

À chaque détour, j’avais quasiment peur d’en perdre encore queuqu’un.

Toujours que, de maille et de corde, et de peine et de misère, grâce aux cruches qu’on se passait de temps en temps d’une main à l’autre, on finit par arriver.

Bob Nesbitt nous attendait assis sus une souche.

– C’est vous autres ? qu’y dit.

– A pu près ! que je réponds.

– Comment, à pu près ? Vous y êtes pas toutes ?

Vous vous imaginez ben, les enfants, que j’avais la façon courte ; mais c’était pas la peine de mentir, c’pas ; d’autant que Bob Nesbitt, comme je l’ai dit en commençant, entendait pas qu’on jouît du violon sus c’te chanterelle-là. Je pris mon courage à brassée, et je dis :

– Ma grand’conscience, c’est pas de ma faute, monsieur Bob, mais... y nous en manque un.

– Il en manque un ? Où c’que vous l’avez sumé ?

– On... sait pas.

– Qui c’est qui manque ?

– On... le sait pas non plus.

– Vous êtes soûls, que dit le boss ; je t’avais-t’y pas recommandé, à toi, grand flanc de Jos Violon, de toujours les compter en embarquant et en débarquant ?

– Je les ai comptés, peut-être ben vingt fois, monsieur Bob.

– Eh ben ?

– Eh ben, de temps en temps, y en avait dix-huit, et de temps en temps y en
avait rien que dix-sept.

– Quoi c’que tu ramanches là ?

– C’est la pure vérité, monsieur Bob ; demandez-leux !

– La main dans le feu ! que dirent tous les hommes, depuis le plus grand jusqu’au plus petit.

– Vous êtes tous pleins comme des barriques ! que dit le foreman. Rangez-vous de file que je vous compte moi-même. On verra bien ce qu’en est.

Comme de raison, on se fit pas prier ; nous v’lons toutes en ligne, et Bob Nesbitt commence à compter :

– Un ! deux ! trois ! quatre !... Exétéra... Dix-huit !
qu’y dit. Où c’est ça qu’il en manque un ? Vous savez
donc pas compter jusqu’à dix-huit, vous autres ? Je vous le disais ben que vous êtes tous soûls !... Allons, vite ! faites du feu et préparez la cambuse, j’ai faim !

Le sour lendemain au soir, j’étions rendus au chanquier, là où c’qu’on devait passer l’hiver.

Avant de se coucher, le boss me prend par le bras, et m’emmène derrière la campe.

– Jos, qu’y me dit, t’as coutume d’être plus correct que ça.

– Quoi c’que y a, monsieur Bob ?

– Pourquoi t’est-ce que tu m’as fait c’te menterie-là, avant z’hier ?

– Queue menterie ?

– Fais donc pas l’innocent ! À propos de cet homme qui manquait... Tu sais ben que j’aime pas à être blagué comme ça, moi.

– Ma grand’conscience... que je dis.

– Tet ! tet ! tet !.

.. Recommence pas !

– Je vous jure, monsieur Bob.

– Jure pas, ça sera pire
.
J’eus beau me défendre, ostiner, me débattre de mon
mieux, le véreux d’Irlandais voulut pas m’écouter.

– J’avais une bonne affaire pour toi, Jos, qu’y dit, une job un peu rare
 ; mais puisque c’est comme ça, ça sera pour un autre.
Comme de faite, les enfants, aussitôt son engagement fini, Bob Nesbitt nous dit bonsoir et repartit tout de suite pour le Saint-Maurice avec un autre Irlandais.

Quoi c’qu’il allait faire là ? On sut plus tard que le chanceux avait trouvé une mine d’or dans les crans de l’île aux Corneilles.
À l’heure qu’il est, Bob Nesbitt est queuque part dans l’Amérique, à rouler carrosse avec son associé ; et Jos Violon, lui, mourra dans sa chemise de voyageur, avec juste de quoi se faire enterrer, m’a dire comme on dit, suivant les rubriques de not’ sainte Mère.
De vot’vie et de vos jours, les enfants, dansez jamais sus le dimanche ; ça été mon malheur.

Sans c’te grivoise de Célanire Sarrazin, au jour d’aujourd’hui Jos
Violon serait riche foncé.

Et cric, crac, cra !... Sacatabi, sac-à-tabac !
Mon histoire finit d’en par là.

Noël des ramasseurs de neige - Jacques Prévert

Nos cheminées sont vides
nos poches retournées
ohé ohé ohé
nos cheminées sont vides
nos souliers sont percés
ohé ohé ohé
et nos enfants livides
dansent devant nos buffets
ohé ohé ohé
Et pourtant c’est Noël
Noël qu’il faut fêter
Fêtons fêtons Noël
ça se fait chaque année
Ohé la vie est belle
Ohé joyeux Noël

Mais v’là la neige qui tombe
qui tombe de tout en haut
Elle va se faire mal
en tombant de si haut
ohé ohé ého

Pauvre neige nouvelle
courons courons vers elle
courons avec nos pelles
courons la ramasser
puisque c’est notre métier
ohé ohé ohé

jolie neige nouvelle
toi qu’arrives du ciel
dis-nous dis-nous la belle
ohé ohé ohé
Quand est-ce qu’à Noël
tomberont de là-haut
des dindes de Noël
avec leurs dindonneaux
ohé ohé ého !

Portfolio

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