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Conscience et inconscience

vendredi 18 avril 2008, par Robert Paris

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Lire également :

2–I-0 Les neurosciences peuvent-elles répondre à la question : Freud avait-il raison ?

2–I–1 Relire Freud aujourd’hui

2-I-2 Psychanalyse et physiologie

2–I-3 Les neurosciences peuvent-elles nous éclairer sur la validité de la notion de l’inconscient freudien ?

2-I-4 Psychanalyse et dialectique

2-I-5 Psychisme et discontinuité

2-I-6 Psychanalyse et chaos déterministe

2-I-7 Freud, la religion et l’idéologie sociale

2-I-8 Comment fonctionnent la conscience et l’inconscience ?

2-I-9 Psychanalyse et sociologie, d’après Malinovsky

2-1-10 Totem et tabou : psychanalyse et anthropologie


2 – I – 8 Comment fonctionnent la conscience et l’inconscience ?

Dans « L’erreur de Descartes » d’Antonio Damasio, spécialiste en neurologie :

« Dans l’hémisphère droit (…) se trouve la carte du corps la plus complète et la plus synthétique sur l’état du corps à chaque instant, dont puisse disposer le cerveau. Le lecteur peur se demander pourquoi cette carte est restreinte à l’hémisphère droit au lieu d’être distribuée sur les deux hémisphères ; le corps n’est-il pas constitué de deux moitiés symétriques ? La réponse est que chez l’homme, de même que chez les animaux, les fonctions semblent être distribuées de façon asymétriques sur les hémisphères cérébraux, la raison étant probablement qu’il vaut mieux qu’il n’y ait qu’un centre de décision final lorsqu’il faut choisir une pensée ou une action. Si les deux côtés du cerveau devaient intervenir à égalité dans le déclenchement des mouvements, vous pourriez fort bien voir surgir un conflit – votre main droite pourrait interférer avec la gauche, et vous auriez beaucoup moins de chances d’avoir une bonne coordination des mouvements, dès que ceux-ci concerneraient plus d’un membre. Dans le cas de toutes sortes de fonctions, leur localisation restreinte à un hémisphère est certainement plus avantageuse ; les structures cérébrales les desservant sont alors dites dominantes.

L’exemple de la dominance le plus connu se rapporte au langage. Chez plus de 80% des gens, y compris chez de nombreux gauchers, la fonction du langage dépend de structures situées dans l’hémisphère gauche. Un autre exemple de dominance, cette fois-ci se rapportant à l’hémisphère droit, concerne la perception des informations sensorielles en provenance du corps : la représentation de l’état fonctionnel des viscères, d’une part, et celle de l’état fonctionnel des muscles squelettiques des membres, du tronc et du visage, d’autre part, se combinent en une carte dynamique coordonnée. (…) La représentation de l’espace en dehors du corps, de même que les processus émotionnels, font l’objet d’une dominance hémisphérique droite. Cela ne veut pas dire que le corps ou l’espace n’est pas représenté dans les structures équivalentes de l’hémisphère gauche. Simplement, les représentations sont différentes : à gauche, elles sont probablement partielles, et ne font pas l’objet d’une intégration fonctionnelle.(…) Il existe une région dans le cerveau humain, constitué par un ensemble d’aires corticales somato-sensorielles situées dans l’hémisphère droit, dont la lésion perturbe en même temps les processus de raisonnement et de prise de décision, ainsi que ceux relatifs à l’expression et à la perception des émotions et, en outre, interrompt la perception des messages sensoriels en provenance du corps. (…)

Il existe une conception classiquement entretenue, mais à tort, pour la plupart des auteurs qui essaient de se représenter le fonctionnement du cerveau : la façon unitaire dont l’esprit perçoit le monde sous ses divers aspects sensoriels – images et sons, goûts et arômes, textures et formes – signifierait que tout ceci fait l’objet d’un traitement final au sein d’une seule et unique structure cérébrale. (…) Ma raison principale de m’opposer à l’idée d’un site cérébral intégratif unique est qu’il n’existe aucune région dans le cerveau humain qui soit équipée pour traiter simultanément les représentations fournies par toutes les modalités sensorielles, lorsque nous percevons simultanément, par exemple, des sons, des mouvements, des formes et des couleurs en synchronisation temporelle et spatiale parfaite. (…) Il est sans doute préférable d’imaginer que l’intégration mentale globale, dont chacun de nous ressent si fortement l’existence, résulte d’une coopération entre systèmes de haut niveau, assurée par la synchronisation d’activités neuronales prenant place dans des régions cérébrales séparées. Et cette synchronisation est sans doute obtenue grâce à la coïncidence dans le temps des activités en question. En effet, si des activités prenant place dans des régions cérébrales anatomiquement séparées se produisent dans le même intervalle de temps, il est possible de les relier, comme depuis le derrière de la scène, et de donner l’impression qu’elles se déroulent toutes en un même lieu. (…) Le problème fondamental lié à la synchronisation temporelle est qu’elle nécessite de maintenir un certain niveau d’intensité aux activités se déroulant en différents sites, et ceci pendant le temps nécessaire pour que puisse se réaliser leur intégration (…).

Le tronc cérébral, l’hypothalamus, la base du télencéphale et très probablement l’amygdale et le cortex cingulaire (…) régions qui se retrouvent, dans leurs grandes lignes, dans de nombreuses autres espèces, ont pour rôle principal de contrôler les processus vitaux fondamentaux, sans faire appel au fonctionnement mental et à la raison. (…) Sans les circuits génétiquement spécifiés de ces régions cérébrales, nous ne pourrions pas respirer, contrôler nos battements cardiaques, équilibrer notre métabolisme, rechercher de la nourriture et un abri, éviter les prédateurs, et nous reproduire. (…) Les circuits innés n’interviennent pas seulement dans la régulation biologique du corps ; ils interviennent aussi dans le développement et le fonctionnement des structures évolutivement modernes du cerveau. (…) Le néo-cortex ne peut pas engendrer d’images si le vieux cerveau sous-jacent (hypothalamus, tronc cérébral) n’est pas intact et ne coopère pas avec lui. (…) Cela ne veut pas dire non plus que les activités neurales innées ne peuvent pas être modulées – déclenchées plus ou moins souvent – par des commandes neurales en provenance d’autres régions du cerveau, ou par des commandes chimiques, telles que des hormones ou des neuropeptides, apportées par la circulation sanguine ou par des axones. (…) Certains mécanismes régulateurs fondamentaux fonctionnent sans que les individus chez lesquels ils s’effectuent s’en rendent compte. Vous ignorez quel taux d’hormones vous avez dans le sang, de même que la concentration en ions potassium ou la proportion de globules rouges qui y règne, à moins que vous ne décidiez de les mesurer. Mais des mécanismes régulateurs légèrement plus complexes, déterminant des réactions manifestes, vous informent directement de leur existence lorsqu’ils vous poussent à mettre en œuvre un comportement (ou à vous en abstenir) (…) en incitant une représentation potentielle à déterminer certains types de changements dans le corps, lesquels peuvent conduire à un état corporel ayant une certaine signification (faim, nausée), ou à une émotion reconnaissable (peur, colère), ou à quelque combinaison des deux. (…) L’opposition parait si flagrante entre les types de traitement de l’information effectués par ces deux parties du cerveau – les structures « inférieures et anciennes » et celles « supérieures et nouvelles » - que cela a poussé à envisager leurs fonctions respectives selon une dichotomie apparemment sensée : dit de façon la plus simple possible, les anciennes parties du cerveau, en bas s’occupant de la régulation biologique fondamentale, tandis qu’en haut le néo-cortex réfléchit, avec sagesse et subtilité. Dans les étages supérieurs, au sein du néo-cortex, il y a la raison et la volonté, tandis qu’en bas, il y a les émotions et tout ce qui, banalement, concerne le corps. Cette conception, cependant, ne rend pas compte des mécanismes neuraux qui sous-tendent les processus rationnels de prise de décision, tels que je les vois. (…) Les mécanismes neuraux sous-tendant la faculté de raisonnement, que l’on pensait traditionnellement situés au niveau néo-cortical, ne semblent pas fonctionner sans ceux qui sous-tendent la régulation biologique, que l’on pensait traditionnellement situés au niveau subcortical. La nature semble avoir construit les mécanismes sous-tendant la faculté de raisonnement, non pas seulement au-dessus des mécanismes neuraux sous-tendant la régulation biologique, mais aussi à partir d’eux, et avec eux. (…)

Le néo-cortex fonctionne de pair avec les parties anciennes du cerveau, et la faculté de raisonnement résulte de leur activité concertée. On peut se demander ici jusqu’à quel point les processus rationnels et non rationnels correspondent respectivement aux structures corticales et subcorticales du cerveau. Pour essayer de répondre à cette question, je me tourne à présent vers la capacité d’expression et de perception des émotions, une importante fonction liée à la régulation biologique, pour suggérer qu’elle fournit un pont entre les processus rationnels et non rationnels, entre les structures corticales et subcorticales. (…) Je vais, pour commencer, me placer dans la perspective de l’histoire individuelle, et établir une distinction entre les émotions que nous ressentons très tôt dans la vie, dont l’expression ne requiert sans doute pas plus qu’un « mécanisme préprogrammé » jamesien (au sens de William James), et les émotions que nous éprouvons en tant qu’adultes, dont le mécanisme a été élaboré progressivement en prenant pour base les émotions de l’ « âge précoce ». Je propose d’appeler celles-ci « émotions primaires », tandis que les émotions de l’âge adulte seront appelées « émotions secondaires ». (…)

Les émotions primaires (c’est-à-dire innées, préprogrammées, jamesiennes) dépendent de circuits neuronaux appartenant au système limbique, au sein duquel l’amygdale et la cortex cingulaire antérieur jouent le rôle le plus important. (…) Pour aborder la notion d’émotion secondaire, tournons-nous vers un exemple pris dans le vécu d’un adulte. Imaginez que vous rencontriez un ami que vous n’avez pas vu depuis longtemps, ou que l’on vous annonce la mort inopinée d’une personne qui travaillait étroitement avec vous. (…) Que se passe-t-il en vous sur le plan neurobiologique ? (…) Lorsque vous rencontrez un vieil ami, le rythme de votre cœur peut s’accélérer, votre peau peut rougir, les muscles de votre visage vont se modifier autour de votre bouche et vos yeux vont dessiner une expression de joie, et les muscles des autres régions vont se relâcher. Lorsque vous apprenez la mort de quelqu’un de votre connaissance, votre cœur peut se mettre à frapper fort, votre bouche devenir sèche, votre peau pâlir, une partie de vos intestins se contracter ; les muscles de votre dos et de votre cou vont se tendre, tandis que ceux de votre visage vont dessiner le masque de la tristesse. (…) Dans l’expérience imaginaire sur l’émotion que nous avons vue ci-dessus, de nombreux organes de votre corps passent dans un nouvel état, caractérisés par des changements significatifs. Comment ceux-ci sont-ils engendrés ? Tout commence par la représentation consciente que vous vous faites d’une personne ou d’une situation. (…) élaborée sous l’égide d’un grand nombre de cortex d’association de niveau élevé. A un niveau non conscient, des circuits du cortex préfrontal répondent de façon automatique et involontaire aux signaux résultant du traitement des images en question. (…) Les représentations potentielles préfrontales acquises nécessaires à l’expression des émotions secondaires sont distinctes des représentations potentielles innées (…) mais elles ont besoin des secondes pour s’exprimer. Non conscientes, automatiques et involontaires, les réponses émanant des représentations potentielles préfrontales sont signalées à l’amygdale et au cortex cingulaire antérieur (…) envoyant des messages au corps. (…) La nature, avec son génie du bricolage visant à l’économie, n’a pas élaboré de mécanisme indépendant pour l’expression des émotions primaires et secondaires. (…) Examinons la question de la perception des émotions. (…) Vous percevez de façon interne tous les changements affectant votre corps de façon visible par un observateur extérieur que ceux invisibles par ce dernier. (…) Tous ces changements sont constamment signalés au cerveau sous la forme de messages (…) empruntant des voies nerveuses. (…) Outre la « boucle neurale », par laquelle votre état émotionnel est signalé en retour au cerveau, votre organisme recourt également à une « boucle chimique » de retour. Les hormones et les peptides libérées dans votre corps sous l’effet de l’émotion peuvent atteindre le cerveau par la voie de la circulation sanguine (…) Dans de nombreux cas, le cerveau apprend à confectionner l’image affaiblie d’un état émotionnel du corps, sans avoir à reproduire ce dernier dans le corps proprement dit. En outres, certains neurones modulateurs du tronc cérébral et la mise en œuvre de leurs réponses court-circuitent le corps, bien que, de façon très curieuse, ces neurones soient impliqués dans la représentation cérébrale de la régulation biologique du corps. Il existe donc des mécanismes neuraux qui nous procurent des perceptions « comme si » elles provenaient d’états émotionnels, comme si le corps les exprimait véritablement. (…) Pour qu’à partir d’une image donnée s’établisse un « mécanisme de simulation », il a d’abord fallu qu’elle ait été à l’origine de tous les processus se déroulant en boucle au sein du corps. (…) Les régions préfrontales sont, en fait, dans une position privilégiée par rapport aux autres systèmes cérébraux. Leur cortex reçoit des signaux relatifs à la connaissance, constamment mis à jour, des phénomènes se déroulant dans le monde extérieur aux valeurs de consigne du système inné de régulation biologique et aux états du corps présents et passé (…) Le cortex préfrontal lui-même est un lieu où s’opère le classement des situations dans lesquelles l’organisme a été impliqué. (…) La totalité de la région préfrontale semble spécialement avoir pour fonction d’effectuer le classement des données contingentes issues du vécu personnel dans la perspective de la pertinence pour l’individu. (…) Percevoir l’environnement ne se résume pas à ce que le cerveau reçoive directement des signaux d’un stimulus donné, sans parler même de la réception directe d’images. L’organisme se modifie activement de telle sorte que l’interaction puisse prendre place dans les meilleures conditions possibles. Le corps proprement dit n’est pas passif. (…) Ma suggestion revient à dire que les processus mentaux résultent de l’activité de circuits neuraux, bien sûr, mais que nombre de ces derniers ont été façonnés, au cours de l’évolution, par les nécessités fonctionnelles de l’organisme. Elle revient à dire aussi que le fonctionnement mental normal demande que les circuits neuraux susnommés contiennent des représentations fondamentales de l’organisme, et qu’ils ne cessent de prendre en compte les états successifs du corps. (…) Ma suggestion ne revient pas à dire que l’esprit est situé dans le corps. J’affirme simplement que le corps fournit au cerveau d’avantage que ses moyens d’existence et que la modulation de ses activités. Il fournit un contenu faisant intégralement partie du fonctionnement mental normal. (…)

Il est probable que les phénomènes mentaux ne peuvent se concevoir sans une sorte de référence au corps, notion qui figure de façon proéminente dans les positions théoriques avancées par Georges Lakoff, Mark Johnson, Eleanor Rosch, Francisco Varela et Gerald Edelman. (…) Il n’aurait pas été possible de tenir ma partie dans cette conversation sans invoquer Descartes, en tant que référence obligée de tout un ensemble d’idées sur les rapports du corps, du cerveau et de l’esprit, qui, d’une façon ou d’une autre, continue à exercer une grande influence dans les sciences et dans les lettres occidentales. Comme vous l’avez vu, j’ai combattu dans ce livre à la fois la conception dualiste de Descartes selon laquelle l’esprit est distinct du cerveau et du corps et ses variantes modernes : selon l’une de ces dernières, il existe bien un rapport entre l’esprit et le cerveau, mais seulement dans le sens où l’esprit est une espèce de programme informatique pouvant être mis en œuvre dans une espèce d’ordinateur appelé cerveau. (…) « Je pense, donc je suis », cette formule peut-être la plus célèbre de l’histoire de la philosophie, apparaît en français dans la quatrième partie du « Discours de la Méthode » (1637), et en latin (« Cogito, ergo sum ») dans les « Principes de philosophie » (1644). Prise à la lettre, cette formule illustre précisément le contraire de ce que je crois être la vérité concernant l’origine de l’esprit et les rapports entre esprit et corps. Elle suggère que penser, et la conscience de penser, sont les fondements réels de l’être. Et puisque nous savons que Descartes estimait que la pensée était une activité complètement séparée du corps, sa formule consacre la séparation de l’esprit, la « chose pensante » et du corps non pensant qui est caractérisé par une « étendue » et des « organes mécaniques ». (…) Descartes précise sa conception sans ambiguïté : « Je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu ni d’aucune chose matérielle, en sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps. » C’est là qu’est l’erreur de Descartes : il a instauré une séparation catégorique entre le corps, fait de matière, doté de dimensions, mû par des mécanismes, d’un côté, et l’esprit, non matériel, sans dimensions et exempt de tout mécanisme, de l’autre ; il a suggéré que la raison et le jugement moral ainsi qu’un bouleversement émotionnel et une souffrance provoquée par une douleur physique pouvaient exister indépendamment du corps. Et spécifiquement, il a posé que les opérations de l’esprit les plus délicates n’avaient rien à voir avec l’organisation et le fonctionnement d’un organisme biologique. (…)

L’erreur de Descartes continue d’exercer une grande influence. (…) Il est intéressant de noter que, de façon paradoxale, de nombreux spécialistes des sciences cognitives qui estiment que l’on peut étudier les processus mentaux sans recourir à la neurobiologie, ne se considèrent sans doute pas comme des dualistes. On peut aussi voir un certain dualisme cartésien (posant une séparation entre le cerveau et le corps) dans l’attitude des spécialistes des neurosciences qui pensent que les processus mentaux peuvent être expliqués seulement en termes de phénomènes cérébraux, en laissant de côté le reste de l’organisme, ainsi que l’environnement physique et social – et en laissant aussi de côté le fait qu’une certaine partie de l’environnement est lui-même le produit des actions antérieures de l’organisme. (…) L’idée d’un esprit séparé du corps a semble-t-il également orienté la façon dont la médecine occidentale s’est attaquée à l’étude et au traitement des maladies. La coupure cartésienne imprègne aussi bien la recherche que la pratique médicales. Par suite, l’impact psychologique des maladies affectant le corps proprement dit (ce que l’on appelle les maladies réelles) n’est généralement pas pris en compte, ou seulement envisagé dans un second temps. Le processus inverse, la façon dont les problèmes psychologiques retentissent sur le corps, est encore plus négligé. (…) Un assez grand nombre de médecins s’intéressent aux arts, à la littérature et à la philosophie. Un nombre surprenant d’entre eux sont devenus poètes, romanciers et dramaturges de grande valeur, et plusieurs ont réfléchi avec profondeur à la condition humaine et traité de façon perspicace de ses dimensions psychologiques, sociales et politiques. Et pourtant, l’enseignement qu’ils ont reçu dans les facultés de médecine ne prend pratiquement pas en compte ces dimensions humaines lorsqu’il traite de la physiologie et des pathologies du corps proprement dit. (…) Le cerveau (plus précisément les systèmes nerveux central et périphérique), en tant qu’organe, a été pris en compte dans ce cadre. Mais son produit le plus précieux, le phénomène mental, n’a guère préoccupé la médecine classique et, en fait, n’a pas constitué un centre d’intérêt prioritaire pour la spécialité médicale consacrée à l’étude des maladies du cerveau : la neurologie. (…) De nos jours, il n’y a guère de facultés de médecine qui proposent à leurs étudiants un enseignement sur le fonctionnement mental normal, avec un ensemble de cours de psychologie générale, neuropsychologie et neurosciences. (…) Depuis trois siècles, le but des études biologiques et médicales est de comprendre la physiologie et la pathologie du corps proprement dit. L’esprit a été mis de côté, pour être surtout pris en compte par la philosophie et la religion, et même après qu’il est devenu l’objet d’une discipline spécifique, la psychologie, il n’a commencé à être envisagé en en biologie et en médecine que récemment. (…) La conséquence de tout cela a été l’amoindrissement de la notion d’homme telle qu’elle est prise en compte par la médecine dans le cadre de son travail. Il ne faut pas s’étonner que le problème de l’impact des maladies du corps sur la psychologie ne soit considéré que de façon annexe ou pas du tout. La médecine a été très longue à comprendre que la façon dont les gens ressentent leur état de santé est un facteur majeur dans l’issue d’un traitement. (…) On commence enfin à accepter l’idée que les troubles psychologiques, graves ou légers, peuvent déterminer des maladies du corps proprement dit, mais les circonstances dans lesquelles, et la mesure dans laquelle, cela peut se produire, continuent à ne pas être étudiées. (…) La mise à l’écart des phénomènes mentaux par la biologie et la médecine occidentales, par suite d’une vision cartésienne de l’homme, a entraîné deux grandes conséquences négatives. La première concerne le domaine de la science. La tentative de comprendre le fonctionnement mental en termes biologiques généraux a été retardée de plusieurs décennies, et il faut reconnaître honnêtement qu’elle a à peine commencé. (…) La seconde conséquence négative concerne le diagnostic et le traitement efficace des maladies humaines. »

Dans « Le sentiment même de soi » d’Antonio Damasio, spécialiste en neurologie :

« Le cerveau en sait plus que ne le révèle l’esprit conscient

« (…) On peut se retrouver dans un état triste ou heureux, tout en étant absolument incapable de dire pourquoi on se retrouve dans cet état. Une recherche minutieuse peut mettre au jour des causes possibles, et telle cause peut être plus probable que telle autre, mais bien souvent, il est impossible d’être certain. La cause réelle peut avoir été l’image d’un événement, une image qui avait la potentialité d’être consciente, mais qui ne l’a tout bonnement pas été, parce que vous n’y avez pas fait attention alors que vous faisiez attention à une autre. (…) En d’autres termes, les représentations qui induisent des émotions et donnent lieu, par la suite, à des sentiments n’ont pas besoin d’être l’objet de l’attention (…) Les émotions peuvent être induites d’une manière non-consciente et apparaître ainsi au Soi conscient comme étant parfaitement immotivées. (…) Le déclenchement non conscient des émotions explique aussi pourquoi il n’est pas facile de les simuler volontairement. Comme je l’ai expliqué dans « L’erreur de Descartes », un sourire spontané procuré par un réel plaisir, ou les sanglots spontanés provoqués par l’angoisse sont exécutés par des structures cérébrales enfouies dans le tronc cérébral, sous le contrôle de la région cingulaire. Nous n’avons aucun moyen d’exercer un contrôle volontaire direct sur les processus neuraux situés dans ces régions. (…) Nous sommes presque aussi peu efficaces à mettre un terme à une émotion qu’à empêcher un éternuement. (…) Le cerveau induit des émotions à partir d’un nombre relativement limité de sites cérébraux. La plupart d’entre eux sont localisés au-dessous du cortex cérébral et sont appelés sous-corticaux. Les principaux sites sous-corticaux se trouvent dans la région du tronc cérébral, de l’hypothalamus et du télencéphale basal. (…) Un site sous-cortical important est l’amygdale. Les sites d’induction qui se trouvent dans le cortex cérébral , les sites corticaux, comprennent des secteurs de la région cingulaire antérieure et de la région préfrontale ventro-médiane. (…) Par exemple, la tristesse active constamment le cortex préfrontal ventro-médian, l’hypothalamus et le tronc cérébral, tandis que la colère ou la peur n’activent ni le cortex préfrontal ni l’hypothalamus. (…) Certains sites interviennent aussi dans la récognition de stimuli qui signifient certaines émotions. Par exemple, (…) une structure qu’on appelle l’amygdale, enfouie dans les profondeurs de chaque lobe temporal, est indispensable pour reconnaître la peur dans les expressions du visage, pour être conditionné à la peur ou même pour exprimer la peur. Les études de Joseph LeDoux et Michael Davis ont montré que l’amygdale est nécessaire au conditionnement à la peur. Mais l’amygdale n’est pas d’un grand intérêt pour reconnaître ou apprendre le dégoût ou le bonheur. (…) Il n’y a pas un seul et unique centre cérébral de traitement des émotions mais plutôt des systèmes discrets qui sont liés à des configurations émotionnelles distinctes.(…) Dans une émotion-type, certaines régions du cerveau, qui font partie d’un système neuronal largement préétabli et lié aux émotions, envoient des commandes à d’autres régions du cerveau (…) via deux routes. L’une d’elles est la circulation sanguine, où les commandes sont envoyées sous la forme de molécules chimiques qui agissent sur des récepteurs situés dans les cellules qui constituent les tissus du corps. L’autre route est celle des voies neuronales ; les commandes longeant cette route prennent la forme de signaux électrochimiques qui agissent sur d’autres neurones, ou sur des fibres musculaires ou sur des organes (tels que la glande surrénale) qui, à leur tour, peuvent libérer des substances chimiques de leur cru dans la circulation sanguine. Ces commandes chimiques et neuronales coordonnées ont pour effet de provoquer un changement global dans l’état de l’organisme. (…) Le cerveau lui-même est changé de façon tout aussi remarquable. La décharge de substances telles que les monoamines et les peptides, en provenance de régions de noyaux situés dans le tronc cérébral et le télencéphale basal, altère le mode de traitement de nombreux autres circuits cérébraux, déclenche certains comportements spécifiques (…) Il faut ajouter deux étapes avant qu’une émotion ne soit connue. La première est le sentiment, la représentation des changements dont nous venons de discuter. La seconde est l’application de la conscience centrale à tout l’ensemble des phénomènes. (…) Les lésions tissulaires provoquent des configurations neuronales sur la base desquelles votre organisme se trouve avoir mal. Si vous êtes conscient, ces mêmes configurations peuvent aussi vous permettre de savoir que vous avez mal. Mais, que vous soyez ou non conscient, les lésions tissulaires et les configurations sensorielles qui s’ensuivent provoquent la gamme de réponses automatisées qui vont du simple retrait d’un membre à une émotion négative complexe. (…) Ce qui sous-tend la représentation des émotions, c’est un ensemble de dispositions neuronales inhérentes à un certain nombre de régions cérébrales situées pour une bonne part dans les noyaux sous-corticaux du tronc cérébral, de l’hypothalamus, du télencéphale basal et de l’amygdale. Conformément à leur statut dispositionnel, ces représentations sont implicites, en sommeil, et indisponibles à la conscience. (…)« La conscience normale nécessite une brève mémoire, de l’ordre d’une fraction de seconde. (…) Dans la « fugue épileptique », (…) le patient a brutalement l’air étrange et confus, mais il peut fort bien s‘en sortir sans encombre (…) En l’espace de quelques secondes (…), l’épisode d’automatisme se termine (…) La conscience s’en est revenue aussi brusquement qu’elle s’en était allée. (…) Dans l’intervalle, le patient n’a aucune espèce de souvenir. Le patient ne sait pas alors et ne saura jamais ce que son organisme était en train de faire durant l’épisode. (…) Les événements qui se sont produits durant la période de crise n’ont pas eu maille à partit avec la mémoire (…) La suspension de l’émotion est un signe important dans les crises d’absence et dans les automatismes d’absence. (…) L’absence d’émotions est surprenante si l’on songe au fait, comme nous l’avons vu, que les émotions peuvent être déclenchées de façon non consciente, à partir de pensées auxquelles on ne prête pas attention, ou à partir de dispositions inconnues, aussi bien à partir d’aspects de nos états corporels qui sont impossibles à percevoir. (…) La conscience-noyau est engendrée comme sur le mode d’une pulsation pour chacun des contenus dont nous sommes conscients. (…) Le temps est par essence ce qui permet d’établir le lien causal entre l’image d’un objet et sa possession par vous. Le temps écoulé est infime si on le mesure avec un bon chronomètre, mais il est en vérité extrêmement long si vous y pensez en vous plaçant du point de vue des neurones qui rendent tout cela possible, et dont les unité des temps sont bien plus petites que celles de votre esprit conscient – les neurones sont excités et se déclenchent eux-mêmes en quelques millisecondes seulement, alors que les événements dont nous sommes conscients dans notre esprit se produisent en l’espace de nombreuses dizaines, centaines et milliers de millisecondes. (…) L’idée selon laquelle la conscience est en retard relativement à l’entité qui est à l’origine du processus de conscience, se voit renforcée par les expériences pionnières menées par Benjamin Libet sur le temps que met un stimulus à être rendu conscient. Nous sommes probablement en retard pour la conscience de près de cinq cent millisecondes. (….) Dans « L’erreur de Descartes », j’ai avancé l’hypothèse selon laquelle la partie de l’esprit que nous appelons Soi serait, biologiquement parlant, fondée sur un ensemble de configurations neuronales non conscientes ( …) Le monde de l’inconscient psychanalytique s’enracine donc au sein des systèmes neuronaux qui forment le support de la mémoire autobiographique ; on considère d’ailleurs généralement que la psychanalyse est une manière de retrouver un réseau de connexions psychologiques entrelacées au sein de la mémoire autobiographique. Or ces dernières sont inévitablement en rapport avec le réseau de connexions neuronales dont je viens de parler.
L’inconscient, dans le sens étroit du mot que notre culture lui a conféré, n’est qu’une partie d’un vaste ensemble de processus qui demeurent non conscients, c’est-à-dire absents de la conscience-noyau ou étendue. A vrai dire, la liste de ce que nous ne connaissons pas est stupéfiante. Elle inclut ainsi toutes les images complètement formées dont nous ne nous préoccupons pas, toutes les configurations neuronales qui ne deviennent jamais des images, toutes les dispositions que nous avons acquises au fil de l’expérience, qui restent inactives et ne se transformeront peut-être jamais en un schème neuronal explicite, le remodelage discret de ces dispositions et le travail de remise en réseau, qui ne sera jamais explicitement connu, toute la sagesse et le savoir-faire caché que la nature a consigné dans des dispositions homéostatiques innées. (…) Les preuves de l’existence de l’inconscient n’ont cessé de s’accumuler durant ce siècle, y compris à travers des travaux qui ne se réclament ni de Freud ni de Jung. (…) La psychologie cognitive et la linguistique nous en fournissent des preuves indiscutables. (…) Chez des petits anglophones de trois ans (…) le savoir grammatical n’est pas exprimé consciemment dans la plupart des cas où il est mis à contribution de manière tout à fait correcte et pertinente. La neuropsychologie elle aussi nous donne de nombreux exemples révélateurs du fonctionnement de l’inconscient. Les connaissances acquises par conditionnement restent ainsi hors du champ de la conscience et ne sont exprimées qu’indirectement : les patients qui ne sont plus en mesure de reconnaître consciemment les visages repèrent les visages familiers inconsciemment ; les patients légalement aveugles, ayant subi un type particulier de lésions cérébrales, restent capables de pointer du doigt avec une certaine précision vers une source de lumière qu’ils ne peuvent pourtant pas voir consciemment (Damasio 1990 et 1995). (…) Nous pouvons mobiliser nos aptitudes sensi-motrices sans faire appel à la conscience. C’est un atout précieux quand il s’agit de réaliser un certain nombre de tâches, plus ou moins importantes, de la vie quotidienne. Une grande part de nos comportements relèvent ainsi de l’automatisme, ce qui nous permet d’économiser du temps et de l’attention (des biens rares) afin de les allouer à la conception et à l’exécution d’autres tâches, ainsi qu’à la recherche de solutions pour les nouveaux problèmes. L’exécution de tâches motrices complexes, requérant un certain degré d’expertise, est également facilitée par cet automatisme. (…) Les recherches menées au sein de mon laboratoire conjointement avec Antoine Bechara et Hanna Damasio nous fournissent sans doute le meilleur exemple d’un traitement de l’information à un haut niveau bien qu’inconscient. (…) Ces expériences ont également montré que les émotions contribuaient fortement à l’acheminement des signaux inconscients. (…) Les processus en jeu au niveau du tronc cérébral et de l’hypothalamus sont capables de coordonner, de manière inconsciente et parfaitement efficace, le fonctionnement du cœur, des poumons, des reins, du système endocrine et du système immunologique de telle sorte que les paramètres vitaux soient maintenus au sein de la fourchette pertinente ; les processus conscients pour leur part sont chargés de permettre à un organisme individuel de faire face à des évolutions imprévues de son environnement, en sorte que les conditions indispensables de la survie continuent à être remplies. »

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Freud a relevé non seulement deux domaines interactifs mais trois : il parle de un processus de « conflits dynamiques entre Moi, ça et surmoi ». On se souvient que trois domaines interactifs est l’une des signatures du chaos déterministe.

Extrait de Wikipedia : « Les trois instances de l’appareil psychique. Dans la seconde topique[6]proposée par Freud, notre comportement est le résultat d’une subtile équation entre trois instances[7]distinctes : Le Ça : il s’agit de manifestations somatiques[8] (agressives, sexuelles ; aspect instinctif et animal). Si le Ça est inaccessible à la conscience, les symptômes de maladie psychique et les rêves permettent d’en avoir un aperçu. Le Ça obéit au principe de plaisir et recherche la satisfaction immédiate, c’est une sorte de marmite où bouillonnent tous nos désirs refoulés. Le Moi : le Moi est en grande partie conscient, il est le reflet de ce que nous sommes en société, il cherche à éviter les tensions trop fortes du monde extérieur, à éviter les souffrances grâce, notamment, aux mécanismes de défense se trouvant dans la partie inconsciente de cette instance. Le Moi est l’entité qui rend la vie sociale possible. Il suit le principe de réalité. Le Surmoi : depuis la naissance jusqu’à cinq ans, l’enfant hérite de l’instance parentale, groupale et sociale, il emmagasine quantité de règles de savoir-vivre à respecter. Dans les sociétés judéo-chrétiennes, en intériorisant les règles morale ou sociétales de ses parents et du groupe, l’enfant, puis l’adulte pratiquent le refoulement. En effet, le Surmoi punit le Moi pour ses écarts par le truchement du remords et de la culpabilité. En résumé, le Moi est le résultat des pulsions du Ça filtrées par les exigences du Surmoi. »

Extraits de "Le moi et le ça" de Sigmund Freud :

« Être conscient » est avant tout une expression purement descriptive et se rapporte à la perception la plus immédiate et la plus certaine. Mais l’expé­rience nous montre qu’un élément psychique, une représentation par exemple, n’est jamais conscient d’une façon permanente. Ce qui caractérise plutôt les éléments psychiques, c’est la disparition rapide de leur état conscient. Une représentation, consciente à un moment donné, ne l’est plus au moment sui­vant, mais peut le redevenir dans certaines conditions, faciles à réaliser. Dans l’intervalle, nous ignorons ce qu’elle est ; nous pouvons dire qu’elle est latente, entendant par là qu’elle est capable à tout instant de devenir consciente. En disant qu’une représentation est restée, dans l’intervalle, inconsciente, nous formulons encore une définition correcte, cet état inconscient coïncidant avec l’état latent et l’aptitude à revenir à la conscience. Les philosophes nous adres­seraient ici l’objection suivante : le terme inconscient ne se laisse pas appli­quer dans le cas particulier, car aussi longtemps qu’une représentation se trouve à l’état latent, elle ne représente rien de psychique. Nous nous garde­rons bien de répondre quoi que ce soit à cette objection, car cela nous entraî­nerait dans une polémique purement verbale, à laquelle nous n’avons rien à gagner.

Mais nous avons obtenu le terme ou la notion de l’inconscient en suivant une autre voie, et notamment en utilisant des expériences dans lesquelles intervient le dynamisme psychique. Nous avons appris ou, plutôt, nous avons été obligés d’admettre, qu’il existe d’intenses processus psychiques, ou représentations (nous tenons ici compte principalement du facteur quantitatif, c’est-à-dire économique), capables de se manifester par des effets semblables à ceux produits par d’autres représentations, voire par des effets qui, prenant à leur tour la forme de représentations, sont susceptibles de devenir conscients, sans que les processus eux-mêmes qui les ont produits le deviennent. Inutile de répéter ici en détail ce qui a été dit tant de fois. Qu’il nous suffise de rappeler que c’est en ce point qu’intervient la théorie psychanalytique, pour déclarer que si certaines représentations sont incapables de devenir con­scientes, c’est à cause d’une certaine force qui s’y oppose ; que sans cette force elles pourraient bien devenir conscientes, ce qui nous permettrait de constater combien peu elles diffèrent d’autres éléments psychiques, officiellement reconnus comme tels. Ce qui rend cette théorie irréfutable, c’est qu’elle a trou­vé dans la technique psychanalytique un moyen qui permet de vaincre la force d’opposition et d’amener à la conscience ces représentations inconscientes. À l’état dans lequel se trouvent ces représentations, avant qu’elles soient ame­nées à la conscience, nous avons donné le nom de refoulement ; et quant à la force qui produit et maintient le refoulement, nous disons que nous la ressen­tons, pendant le travail analytique, sous la forme d’une résistance.

Notre notion de l’inconscient se trouve ainsi déduite de la théorie du re­foulement. Ce qui est refoulé, est pour nous le prototype de l’inconscient. Nous savons cependant qu’il existe deux variétés d’inconscient : les faits psy­chiques latents, mais susceptibles de devenir conscients, et les faits psychi­ques refoulés qui, comme tels et livrés à eux-mêmes, sont incapables d’arriver à la conscience. Notre manière d’envisager le dynamisme psychique ne peut pas rester sans influence sur la terminologie et la description. Aussi disons-nous que les faits psychiques latents, c’est-à-dire inconscients au sens descrip­tif, mais non dynamique, du mot, sont des faits préconscients, et nous réser­vons le nom d’inconscients aux faits psychiques refoulés, c’est-à-dire dy­na­­miquement inconscients. Nous sommes ainsi en possession de trois termes : conscient, préconscient et inconscient, dont la signification n’est plus pure­ment descriptive. Nous admettons que le préconscient se rapproche davan­tage du conscient que l’inconscient et, comme nous n’avons pas hésité à attribuer à ce dernier un caractère psychique, nous hésiterons d’autant moins à reconnaî­tre ce caractère au préconscient, c’est-à-dire à ce qui est latent. Mais pourquoi ne suivrions-nous pas l’exemple des philosophes qui tracent une ligne de démarcation entre le préconscient et l’inconscient, d’une part, le con­scient, de l’autre, ce qui paraît d’ailleurs très logique ? Si nous le faisions, ces philoso­phes nous inviteraient alors à considérer le préconscient et l’incon­scient com­me deux variétés ou degrés du psychoïde. L’unité, il est vrai, se trouverait ainsi rétablie, mais nous nous heurterions, dans l’exposé des faits, à des diffi­cultés sans fin, et le seul fait important, à savoir que ces psychoïdes coïncident sur presque tous les points avec ce qui est généralement reconnu comme psychique, se trouverait refoulé à l’arrière-plan, au profit d’un préjugé qui date de l’époque où ces psychoïdes étaient encore inconnus, dit moins dans ce qu’il ont d’essentiel.

Or nos trois termes : conscient, préconscient, inconscient, sont faciles à manier et nous donnent une grande liberté de mouvements, à la condition de ne pas oublier que si, au point de vue descriptif, il y a deux variétés d’incon­scient, il n’y en a qu’une seule, au point de vue dynamique. Dans certains cas, nous pouvons faire un exposé en négligeant cette distinction, mais dans d’autres elle est indispensable. Quoi qu’il en soit, nous sommes suffisamment habitués à ce double sens de l’inconscient et nous n’en avons jamais éprouvé une grande gêne. Il me paraît, en tout cas, inévitable. En ce qui concerne, enfin, la distinction entre le conscient et l’inconscient, elle se réduit à une simple question de perception, question qui comporte la réponse oui ou non, l’acte de la perception lui-même ne nous fournissant pas la moindre informa­tion sur les raisons pour lesquelles une chose est perçue ou non. On aurait tort de se plaindre de ce que le dynamisme psychique se manifeste toujours sous un double aspect (conscient et inconscient) 1.

Mais les recherches psychanalytiques ultérieures ont montré que ces dis­tinctions étaient, elles aussi, insuffisantes et insatisfaisantes. Parmi les situa­tions dans lesquelles ce fait apparaît d’une façon particulièrement nette, nous citerons la suivante qui nous semble décisive. Nous nous représentons les pro­ces­sus psychiques d’une personne comme formant une organisation cohérente et nous disons que cette organisation cohérente constitue le Moi de la person­ne. C’est à ce Moi, prétendons-nous, que se rattache la conscience, c’est lui qui contrôle et surveille les accès vers la motilité, c’est-à-dire l’exté­riorisation des excitations. Nous voyons dans le Moi l’instance psychique qui exerce un con­trôle sur tous ses processus partiels, qui s’endort la nuit et qui, tout en dor­mant, exerce un droit de censure sur les rêves. C’est encore de ce Moi que partiraient les refoulements, à la faveur desquels certaines tendances psy­chi­ques sont, non seulement éliminées de la conscience, mais mises dans l’im­pos­sibilité de se manifester ou de s’exprimer d’une façon quelconque. Au cours de l’analyse, ces tendances, éliminées par le refoulement, se dressent contre le Moi, et la tâche de l’analyse consiste à supprimer les résistances que le Moi nous oppose dans nos tentatives d’aborder les tendances refoulées. Or, on constate au cours de l’analyse que le malade se trouve fort embarrassé lors­qu’on lui impose certaines tâches, que ses associations se trouvent en défaut toutes les fois qu’elles se rapprochent de ce qui est refoulé. Nous lui disons alors qu’il subit l’influence d’une résistance, mais il n’en sait rien lui-même ; et alors même que les sentiments pénibles qu’il éprouve l’obligent à reconnaître qu’il est dominé par une résistance, il est incapable de dire en quoi elle con­siste et d’où elle vient. Mais comme cette résistance émane certaine­ment de son Moi et en fait partie, nous nous trouvons devant une situation que nous n’avions pas prévue. Nous avons trouvé dans le Moi lui-même quelque chose qui est aussi inconscient que les tendances refoulées et se comporte comme elles, c’est-à-dire produit des effets très marqués, sans devenir con­scient, et ne peut être rendu tel qu’à la suite d’un travail spécial. De ce fait, nous nous heurtons, dans notre travail analytique, à d’innombrables difficultés et obscu­ri­tés, lorsque nous voulons nous en tenir à nos définitions habituelles, en ra­me­­nant, par exemple, la névrose à un conflit entre le conscient et l’incon­scient. A cette opposition nous devons, étant donné la manière dont nous concevons la structure psychique, en substituer une autre : l’opposition entre le Moi cohérent et les éléments détachés du Moi et refoulés.

Mais le fait que nous venons de signaler est encore plus gros de consé­quences pour notre conception de l’inconscient. Le point de vue dynamique nous en avait fourni une première correction, le point de vue structural nous en fournit une autre. Nous sommes amenés à reconnaître que l’inconscient ne coïncide pas avec les éléments refoulés. Il reste vrai que tout ce qui est refoulé est inconscient, mais il y a des éléments qui sont inconscients sans être refou­lés. Une partie du Moi, et Dieu sait quelle importante partie, peut également être inconsciente, et l’est certainement. Et cette partie inconsciente du Moi n’est pas latente, au même titre que le préconscient, car si elle l’était, elle ne pourrait pas être activée, sans devenir consciente, et on ne se heurterait pas à de si grosses difficultés toutes les fois qu’on voudrait la rendre con­sciente. Nous nous trouvons ainsi dans la nécessité d’admettre l’existence d’un troisiè­me inconscient, non refoulé ; mais nous avouons que, de ce fait même, le carac­tère de l’inconscient perd pour nous toute signification précise. L’in­conscient devient une qualité aux significations multiples qui ne justifie pas que les généralisations et les déductions rigoureuses en vue desquelles nous l’utiliserions volontiers. Mais nous aurions tort de la négliger, car, à tout prendre, la propriété « conscient » ou « inconscient » constitue la seule lueur susceptible de nous guider à travers les ténèbres des profondeurs psychiques.

2

Le moi et le ça (Es)

Les recherches pathologiques ont, d’une façon trop exclusive, orienté notre attention vers ce qui est refoulé. Nous voudrions connaître un peu mieux le Moi, depuis que nous savons qu’il peut, lui aussi, être inconscient, au sens propre du mot. Jusqu’à présent, nous avons eu pour seul point de repère, dans nos recherches, la qualité consciente ou inconsciente des éléments psychiques. Mais nous avons fini par nous rendre compte que c’était là une qualité aux significations multiples.

Or, tout notre savoir est toujours lié à la conscience. Nous ne pouvons connaître l’inconscient lui-même qu’en le rendant conscient. Mais, halte-là : comment cela est-il possible ? Que signifie : « rendre quelque chose cons­cient ? » Comment s’y prend-on pour obtenir ce résultat ?

Nous savons déjà à quel point de départ nous devons nous attacher pour répondre à ces questions. La conscience, avons-nous dit, forme la surface de l’appareil psychique ; autrement dit, nous voyons dans la conscience une fonction que nous attribuons à un système qui, au point de vue spatial, est le plus proche du monde extérieur. Cette proximité spatiale doit être entendue non seulement au sens fonctionnel, mais aussi au sens anatomique 2. Aussi nos recherches doivent-elles, à leur tour, prendre pour point de départ cette surface qui correspond aux perceptions.

Sont conscientes en principe toutes les perceptions qui viennent de l’extérieur (perceptions sensibles) ; et sont également conscients ce que nous appelons sensations et sentiments qui viennent du dedans. Mais que dire de ces processus internes que nous réunissons sous le nom lâche et imprécis de « processus intellectuels » ? Devons-nous les concevoir comme des déplace­ments de l’énergie psychique qui, se produisant à l’intérieur de l’appareil psychique et empruntant les trajets qui mènent à l’action, parviennent à la surface où se forme la conscience ? Ou bien est-ce la conscience qui se dirige vers eux, pour s’y associer et s’y combiner ? Nous ferons remarquer qu’on se trouve ici en présence de l’une des difficultés auxquelles on se heurte lors­qu’on prend trop au sérieux la représentation spatiale, topique des faits psychiques. Les deux éventualités sont également difficiles à concevoir ; il doit y en avoir une troisième.

J’avais déjà formulé ailleurs 3 l’opinion d’après laquelle la différence réelle entre une représentation inconsciente et une représentation précon­sciente (idée) consisterait en ce que celle-là se rapporte à des matériaux qui restent inconnus, tandis que celle-ci (la préconsciente) serait associée à une repré­sentation verbale. Première tentative de caractériser l’inconscient et le pré­conscient autrement que par leurs rapports avec la conscience. A la ques­tion : « Comment quelque chose devient-il conscient ? on peut substituer avec avan­tage celle-ci : « comment quelque chose devient-il préconscient ? » Réponse : grâce à l’association avec les représentations verbales correspon­dantes.

Ces représentations verbales sont des traces mnémiques : elles furent jadis des perceptions et peuvent, comme toutes les traces mnémiques, redevenir conscientes. Avant que nous abordions l’analyse de leur nature, une hypothèse s’impose à notre esprit : ne peut devenir conscient que ce qui a déjà existé à l’état de perception consciente ; et, en dehors des sentiments, tout ce qui, prove­nant du dedans, veut devenir conscient, doit chercher à se transformer en une perception extérieure, transformation qui n’est possible qu’à la faveur des traces mnémiques.

Ces traces mnémiques, nous les imaginons enfermées dans des systèmes, en contact immédiat avec le système perception-conscience, en sorte que leurs charges psychiques peuvent facilement se propager aux éléments de ce dernier. Et, à ce propos, on pense aussitôt aux hallucinations et au fait que le souvenir même le plus vif se laisse encore distinguer aussi bien de l’halluci­nation que de la perception extérieure, et on en a trouvé sans peine l’expli­cation dans le fait que lors de la reviviscence d’un souvenir, la charge psy­chique ne quitte pas le système dont le souvenir fait partie, tandis que dans le cas d’une perception, la charge ne se propage pas seulement de la trace mnémique au système perception-conscience, mais s’y transporte tout entière.

Les traces verbales proviennent principalement des perceptions acousti­ques, lesquelles représentent ainsi comme une réserve spéciale d’éléments sensibles à l’usage du préconscient. Quant aux éléments visuels des représen­tations verbales, on peut les négliger, comme étant de nature secondaire, acquis par la lecture ; et nous en dirons autant des images motrices des mots qui, sauf chez les sourds-muets, jouent un rôle de simples signes auxiliaires. À proprement parler, le mot prononcé n’est que la trace mnémique du mot entendu.

Loin de nous l’idée de rabaisser, par amour de la simplification, l’impor­tance des restes mnémiques d’ordre optique ou de nier que des processus intellectuels ne puissent devenir conscients grâce au retour aux restes visuels. Nous convenons même que chez beaucoup de personnes c’est surtout à la faveur de la visualisation que la pensée devient consciente. Or, l’étude des rêves et des fantaisies préconscientes, d’après les observations de J. Varen­donck, est de nature à nous donner une idée assez exacte de cette pensée visuelle, en nous montrant que ce sont surtout les matériaux concrets des idées qui, dans la pensée visuelle, deviennent conscients, tandis que les relations, qui caractérisent plus particulièrement les idées, ne se prêtent pas à une expression visuelle. Les images constituent donc un moyen très imparfait de rendre la pensée consciente, et l’on peut dire que la pensée visuelle se rappro­che davantage des processus inconscients que la pensée verbale et est plus ancienne que celle-ci, tant au point de vue phylogénique qu’ontogénique.

Si, pour en revenir à notre sujet, telle est la voie qui conduit de l’incon­scient au préconscient, la question : « Comment pouvons-nous amener à la (pré) conscience des éléments refoulés ? » reçoit la réponse suivante : « En rétablissant par le travail analytique ces membres intermédiaires préconscients que sont les souvenirs verbaux ». C’est ainsi que la conscience reste à sa place, de même que l’inconscient n’a pas besoin de quitter la sienne pour aller rejoindre la conscience.

Alors que les rapports existant entre la perception extérieure et le Moi sont patents et évidents, ceux qui rattachent la perception interne au Moi exigent un examen spécial. A leur sujet, on est tenté de se demander si on est vraiment en droit de rattacher toute la conscience au seul système superficiel « percep­tion-conscience ».

La perception interne fournit des sensations en rapport avec des processus se déroulant dans les couches les plus diverses, voire les plus profondes, de l’appareil psychique. Ces sensations sont peu connues, celles de plaisir et de déplaisir pouvant être considérées comme leur meilleur modèle. Elles sont plus primitives, plus élémentaires que celles provenant de l’extérieur et peu­vent se produire même dans des états troubles de la conscience. J’ai insisté ailleurs sur leur grande importance économique et sur les raisons méta­psy­chologiques de celle-ci. Ces sensations sont multiloculaires comme les per­cep­tions extérieures, elles peuvent venir simultanément des points les plus différents et posséder des qualités opposées.

Les sensations agréables n’ont en elles-mêmes aucun caractère de con­trainte ou d’insistance, tandis que les sensations désagréables possèdent ce caractère au plus haut degré. Elles tendent à imposer des modifications, elles cherchent à se décharger par tous les moyens, et c’est pourquoi nous disons que le déplaisir est caractérisé par une augmentation, le plaisir par une dimi­nution de la charge énergétique. Si ce qui est éprouvé comme déplaisir ou plaisir forme, dans la succession des faits psychiques, quelque chose qui, tant au point de vue quantitatif que qualitatif, diffère de ces sensations elles-mêmes, nous voudrions savoir si ce quelque chose peut devenir conscient sur place ou s’il doit, pour devenir conscient, parvenir au système C (conscience).

L’expérience clinique parle en faveur de cette dernière éventualité. Elle montre que ce « quelque chose » se comporte comme une velléité refoulée. Cette velléité peut chercher à se manifester en déployant des forces motrices, sans que le Moi s’aperçoive de la contrainte qu’il subit. Pour devenir con­sciente, sous la forme d’une sensation pénible ou désagréable, cette velléité doit, dans la contrainte qu’elle exerce, se heurter à une résistance, à des obstacles qui s’opposent à sa réaction de décharge. De même que les tensions produites par les besoins, la douleur, ce chaînon intermédiaire entre la per­ception interne et la perception externe, qui se comporte comme une percep­tion interne, alors même qu’elle a sa source dans le monde extérieur, peut également rester inconsciente. Il est donc exact de dire que même des senti­ments et des sensations, pour devenir conscients, doivent parvenir au système C. Si le chemin est barré, ils ne sont pas éprouvés en tant que sentiments et sen­sa­tions, bien que le « quelque chose » qui leur correspond demeure inva­riable dans le déroulement de l’excitation. Par abréviation, et d’une façon qui n’est pas tout à fait correcte, nous parlons alors de sensations incon­scien­tes et nous insistons sur leur analogie avec les représentations inconscientes, ce qui n’est pas tout à fait justifié. La différence entre les unes et les autres consiste notamment en ce que, pour amener à la conscience une représen­tation incon­sciente, il faut créer un certain nombre d’anneaux, d’étapes intermé­diaires, tandis que les sensations se propagent directement. Et d’autres termes : la distinction entre le conscient et le préconscient ne se pose pas pour les sensa­tions : une sensation est ou consciente ou inconsciente, mais jamais précon­sciente. Alors même qu’une sensation est associée à des représentations verba­les, elle devient consciente, non grâce à ces représentations, mais directement.

Nous voilà tout à fait fixés sur le rôle des représentations verbales. Par leur intermédiaire, les processus intellectuels internes deviennent des percep­tions. On dirait qu’elles ne sont là que pour servir de preuve à la proposition : toute connaissance provient de la perception externe. Lorsque la pensée est en état de surcharge, les idées sont réellement perçues comme venant du dehors et, pour cette raison, considérées comme vraies.

Après avoir ainsi élucidé les rapports existant entre la perception externe, la perception interne et le système superficiel « perception-conscience », nous pouvons essayer de donner une forme plus achevée à notre représentation du Moi. Nous le voyons se former à partir du système P (perception), qui en constitue comme le noyau, et comprendre d’abord le préconscient qui s’appuie sur les traces mnémiques. Nous savons cependant que le Moi est également inconscient.

Je crois que nous aurions tout profit à suivre les suggestions d’un auteur qui, pour des motifs personnels, voudrait nous persuader, sans y réussir, qu’il n’a rien à voir avec la science rigoureuse et élevée. Cet auteur n’est autre que C. Groddeck, qui ne se lasse pas de répéter que ce que nous appelons notre Moi se comporte dans la vie d’une façon toute passive, que nous sommes, pour nous servir de son expression, vécus par des forces inconnues, échappant à notre maîtrise 4. Nous avons tous éprouvé des impressions de ce genre, bien que nous n’en ayons pas toujours subi l’influence au point de devenir inac­cessibles à toute autre impression, et nous n’hésitons pas à accorder à la manière de voir de Groddeck la place qui lui revient dans la science. Je pro­pose d’en tenir compte en appelant Moi l’entité qui a son point de départ dans le système P et qui est, en premier lieu, préconscient, et en réservant la dénomination Ça (Es) à tous les autres éléments psychiques dans lesquels le moi se prolonge en se comportant d’une manière inconsciente 5.

Nous ne tarderons pas à voir dans quelle mesure cette conception peut nous être utile pour la description et la compréhension des faits qui nous intéressent. Un individu se compose ainsi pour nous d’un Ça psychique, in­connu et inconscient, auquel se superpose le Moi superficiel, émanant du système P comme d’un noyau. Pour donner de ces rapports une représentation pour ainsi dire graphique, nous dirons que le Moi ne recouvre le Ça que par sa surface formée par le système P, à peu près comme le disque germinal recou­vre l’œuf. Il n’existe pas entre le Moi et le Ça de séparation tranchée, surtout dans la partie inférieure de celui-là, où ils tendent à se confondre.

Mais ce qui est refoulé se confond également avec le Ça, dont il n’est qu’une partie. C’est par l’intermédiaire du Ça que les éléments refoulés peu­vent communiquer avec le Moi dont ils sont nettement séparés par les résis­tances qui s’opposent à leur apparition à la surface. Nous voyons aussitôt que presque toutes les distinctions que nous venons de décrire, en suivant les suggestions de la pathologie, ne se rapportent qu’aux couches superficielles, les seules que nous connaissions de l’appareil psychique.

La naissance du Moi et sa séparation du Ça dépendent encore d’un autre facteur que l’influence du système P. Le propre corps de l’individu et, avant tout, sa surface constituent une source d’où peuvent émaner à la fois des perceptions externes et des perceptions internes. Il est considéré comme un objet étranger, mais fournit au toucher deux variétés de sensations, dont l’une peut être assimilée à une perception interne. La psychophysiologie a d’ailleurs suffisamment montré comment notre propre corps se dégage du monde des perceptions. La douleur semble jouer, elle aussi, un rôle important dans ce processus et la manière dont, dans les maladies douloureuses, nous acquérons une nouvelle connaissance de nos organes est peut-être de nature à nous donner une idée de la manière dont nous nous élevons à la représentation de notre corps en général.

Il est facile de voir que le Moi est une partie du Ça ayant subi des modi­fications sous l’influence directe du monde extérieur, et par l’intermédiaire de la conscience-perception. Il représente, dans une certaine mesure, un prolon­gement de la différenciation superficielle. Il s’efforce aussi d’étendre sur le Ça et sur ses intentions l’influence du monde extérieur, de substituer le principe de la réalité au principe du plaisir qui seul affirme son pouvoir dans le Ça. La perception est au Moi ce que l’instinct ou l’impulsion instinctive sont au Ça. Le Moi représente ce qu’on appelle la raison et la sagesse, le Ça, au contraire, est dominé par les passions. Tout cela s’accorde avec les distinc­tions couran­tes et bien connues, mais ne doit être pris que d’une façon très générale et considéré comme étant d’une exactitude purement virtuelle.

L’importance fonctionnelle du Moi consiste en ce que, d’une façon nor­male, c’est lui qui contrôle les avenues de la motilité. Dans ses rapports avec le Ça, on peut le comparer au cavalier chargé de maîtriser a force supérieure du cheval, à la différence près que le cavalier domine le cheval par ses propres forces, tandis que le Moi le fait avec des forces d’emprunt. Cette comparaison peut être poussée un peu plus loin. De même qu’au cavalier, s’il ne veut pas se séparer du cheval, il ne reste souvent qu’à le conduire là où il veut aller, de même le Moi traduit généralement en action la volonté du Ça comme si elle était sa propre volonté.

Le Moi est avant tout une entité corporelle, non seulement une entité toute en surface, mais une entité correspondant à la projection d’une surface. Pour nous servir d’une analogie anatomique, nous le comparerions volontiers au « mannequin cérébral » des anatomistes, placé dans l’écorce cérébrale, la tète en bas, les pieds en haut, les yeux tournés en arrière et portant la zone du langage à gauche.

Les rapports entre le Moi et la conscience ont été souvent décrits, mais quelques faits importants méritent d’être signalés à nouveau. Habitués à intro­duire partout le point de vue de la valeur sociale ou morale, nous ne sommes pas surpris d’entendre dire que les passions inférieures ont pour arène l’inconscient, et nous sommes persuadés que les fonctions psychiques pénè­trent dans la conscience d’autant plus facilement et sûrement que leur valeur sociale ou morale est plus grande. Mais l’expérience psychanalytique nous montre que cette manière de voir repose sur une erreur ou sur une illusion. Nous savons, en effet, d’une part, que même un travail intellectuel difficile et délicat et qui, dans des conditions ordinaires, exige une grande concentration de la pensée, peut s’accomplir dans le préconscient, sans parve­nir à la con­science. Il s’agit là de cas dont la réalité est au-dessus de toute contestation, de cas qui se produisent, par exemple, dans l’état de sommeil et se manifestent par le fait qu’une personne retrouve au réveil la solution d’un problème difficile, mathématique ou autre, qu’elle avait cherchée en vain à l’état de veille 6.

Mais nous pouvons citer un autre fait, beaucoup plus étrange. Nous cons­tatons au cours de nos analyses qu’il y a des personnes chez lesquelles l’atti­tude critique à l’égard de soi-même et les scrupules de conscience, c’est-à-dire des fonctions psychiques auxquelles s’attache certainement une valeur sociale et morale très grande, se présentent comme des manifestations incon­scientes et, comme telles, se montrent d’une très grande efficacité ; le carac­tère incon­scient de la résistance que les malades opposent au cours de l’analy­se ne constitue donc pas la seule manifestation de ce genre. Mais ce fait nouveau, qui nous oblige, malgré l’affinement de notre sens critique, à parler d’un sentiment de culpabilité inconscient, est de nature à aggraver l’embarras que nous éprouvons déjà du fait de la résistance inconsciente et à nous mettre en présence de nouvelles énigmes, surtout lorsque nous en venons à nous assurer peu à peu que dans un grand nombre de névroses ce sentiment de culpabilité inconscient joue, au point de vue économique, un rôle décisif et oppose à la guérison les plus grands obstacles. Pour en revenir à notre échelle de valeurs, nous pouvons donc dire : ce n’est pas seulement ce qu’il y a de plus profond en nous qui peut être inconscient, mais aussi ce qu’il y a de plus élevé. Nous avons là comme une nouvelle démonstration de ce que nous avons dit plus haut an sujet du Moi conscient, à savoir qu’il ne représente que notre corps.

“ 3

Le moi, le sur-moi et l’idéal du moi.

Si le Moi ne représentait que la partie du Ça ayant subi des modifications déterminées sous l’influence du système des perceptions, autrement dit s’il représentait seulement dans le domaine psychique le monde réel extérieur, nous nous trouverions en présence d’une situation très simple. Mais il y a quelque chose de plus.

Nous avons exposé ailleurs 7 les raisons qui nous avaient décidé à admet­tre une certaine phase du Moi. produit d’une différenciation s’étant accomplie au sein de celui-ci, phase à laquelle nous avons donné le nom d’Idéal du Moi ou de Sur-Moi. Ces raisons gardent aujourd’hui toute leur valeur 8. Or, cette partie du Moi présente avec la conscience des rapports beaucoup moins étroits et fermes que celle dont nous nous sommes occupés dans le chapitre précé­dent, et c’est là un fait nouveau qui exige un éclair­cissement.

Mais ici nous sommes obligés de faire une digression. Nous avons réussi à expliquer la souffrance douloureuse qui existe dans la mélancolie 9, en suppo­sant que le Moi retrouve subitement en lui-même l’objet sexuel, auquel, pour une raison quelconque, le Ça avait été obligé de renoncer ; autrement dit, que l’énergie érotique qui s’était concentrée sur l’objet se résout et se dissipe. Mais à l’époque où nous proposions cette explication, nous ne nous rendions pas encore compte de toute la signification de ce processus et nous ignorions encore combien il était typique et fréquent. Mais nous avons compris, depuis, que ce-te substitution joue un rôle de premier ordre dans la formation du Moi et contribue essentiellement à déterminer ce qu’on appelle son caractère.

A l’origine, dans la phase orale, primitive, de l’individu, la concentration sur un objet et l’identification sont des démarches difficiles à distinguer l’une de l’autre. A des phases ultérieures, on peut seulement supposer que la con­centration sur l’objet a pour point de départ le Ça pour lequel les tendances érotiques constituent des besoins. Le Moi, encore faible au début, n’a géné­ralement aucune connaissance de ces concentrations sur des objets, les subit sans s’en rendre compte ou cherche à se défendre contre elles à l’aide du refoulement 10.

Si, pour une raison ou pour une autre, le Ça est obligé de renoncer à un pareil objet sexuel, le Moi en subit souvent une transformation que nous ne pouvons décrire autrement qu’en disant que le Moi a retrouvé en lui-même l’objet sexuel perdu, sans pouvoir donner plus de détails sur les conditions dans lesquelles s’opère cette substitution. C’est précisément ce qui se pro­duirait dans la mélancolie. Il se peut que par cette introjection, qui repré­sente une sorte de régression vers le mécanisme de la phase orale, le Moi rende plus facile ou possible le renoncement à l’objet. Il se peut également que cette identification soit la condition sans laquelle le Ça ne saurait renoncer à ses objets. Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un processus très fréquent, surtout à des phases de développement peu avancées, et de nature à rendre plausible l’hypo­thèse d’après laquelle le caractère du Moi résulterait de ces abandons succes­sifs d’objets sexuels, résumerait l’histoire de ces choix d’objets. Il va sans dire que tous les individus ne subissent pas avec la même facilité les influences de cette histoire, de cette succession d’objets érotiques ; qu’on constate sous ce rapport des résistances dont la force varie d’un individu à l’autre. C’est ainsi que dans les traits de caractère des femmes dont la vie est riche en expé­riences amoureuses, on croit discerner facilement les traces de ces expériences successives. Dans certains cas, on observe une coexistence de la concentration sur un objet et de l’identification, c’est-à-dire un changement de caractère qui se produit avant le renoncement à l’objet. Dans les cas de ce genre, le changement de caractère survivant aux relations avec l’objet, servirait dans une certaine mesure à les conserver.

Nous plaçant à un autre point de vue, nous pouvons dire que cette substi­tution d’un changement du Moi au choix d’un objet érotique constitue un moyen dont se sert le Moi pour gagner les faveurs du Ça et approfondir ses rapports avec lui, en faisant preuve d’une extraordinaire souplesse, d’une gran­de susceptibilité à tout ce qui se passe dans le Ça. Lorsque le Moi revêt les traits de l’objet, il semble chercher à s’imposer à l’amour du Ça, à le consoler de sa perte ; c’est comme s’il lui disait : « Regarde, tu peux m’aimer : je res­semble tellement à l’objet ».

La transformation, à laquelle nous assistons ici, de l’attitude libidineuse à l’égard de l’objet en une libido narcissique, implique évidemment le renonce­ment aux buts purement sexuels, une désexualisation, donc une sorte de subli­mation. A ce propos, il est même permis de se poser une question qui mérite une discussion détaillée, celle de savoir si nous ne nous trouvons pas ici en présence du moyen de sublimation le plus général, si toute sublimation ne s’ef­fec­tue pas par l’intermédiaire du Moi transformant la libido sexuelle dirigée vers l’objet en une libido narcissique et posant à celle-ci des buts différents 11. Quant à la question de savoir si cette transformation ne peut avoir encore d’autres conséquences pour le sort ultérieur des instincts, et notamment une dissociation de différents instincts fondus ensemble, nous aurons encore à nous en occuper plus tard.

En attendant, nous sommes obligés de faire une diversion, mais une diver­sion inévitable, en nous attardant pendant quelque temps aux identifications du Moi avec des objets sexuels. Lorsque ces identifications deviennent trop nombreuses, trop intenses, incompatibles les unes avec les autres, on se trouve en présence d’une situation pathologique ou du prélude à une pareille situa­tion. Il peut notamment en résulter une dissociation du Moi dont les différen­tes identifications réussissent à s’isoler les unes des autres, en s’opposant de résistances ; et c’est peut-être dans ce fait qu’il faut chercher l’explication des cas mystérieux, dits de multiple personnalité, dans lesquels les différentes identifications cherchent tour à tour à accaparer à leur profit toute la con­science. Mais alors même que les choses ne vont pas aussi loin, on n’en assiste pas moins à des conflits entre les différentes identifications, conflits qui ne sont pas toujours et nécessairement pathologiques.

Quelle que soit la résistance que le caractère sera à même d’opposer plus tard aux influences des objets sexuels abandonnés, les effets des premières identifications, effectuées aux phases les plus précoces de la vie, garderont toujours leur caractère général et durable. Ceci nous ramène à la naissance de l’idéal du Moi, car derrière cet idéal se dissimule la première et la plus importante identification qui ait été effectuée par l’individu : celle avec le père de sa préhistoire personnelle 12. Cette identification ne semble pas être la suite ou l’aboutissement de la concentration sur un objet : elle est directe, immé­diate, antérieure à toute concentration sur un objet quelconque. Mais les con­voitises libidinales qui font partie de la première période sexuelle et se portent sur le père et sur la mère semblent, dans les cas normaux, se résoudre en une identification secondaire et médiate qui viendrait renforcer l’identifica­tion primaire et directe.

Ces rapports présentent cependant une complexité telle qu’il est indis­pensable de les décrire avec plus de détails. La complexité en question est le fait de deux facteurs : de la disposition triangulaire du Complexe d’Oedipe et de la bisexualité constitutionnelle de l’individu.

En ce qui concerne l’enfant de sexe mâle, le cas, réduit à sa plus simple expression, se présente ainsi ; de bonne heure, l’enfant concentre sa libido sur sa mère, et cette concentration a pour point de départ le sein maternel et représente un cas typique de choix d’objet par contact intime ; quant au père, l’enfant s’assure une emprise sur lui à la faveur de l’identification. Ces deux attitudes coexistent pendant quelque temps, jusqu’à ce que les désirs sexuels à l’égard de la mère ayant subi un renforcement et l’enfant s’étant aperçu que le père constitue un obstacle à la réalisation de ces désirs, on voie naître le Complexe d’Oedipe 13. L’identification avec le père devient alors un caractère d’hostilité, engendre le désir d’éliminer le père et de le remplacer auprès de la mère. A partir de ce moment, l’attitude à l’égard du père devient ambivalente ; on dirait que l’ambivalence, qui était dès l’origine impliquée dans l’identifica­tion, devient manifeste. Cet ambivalence à l’égard du père et le penchant tout de tendresse qu’il éprouve pour l’objet libidinal que représente pour lui la mère forment pour le petit garçon les éléments du Complexe d’Oedipe simple et positif.

Lors de la destruction du Complexe d’Oedipe, l’enfant est obligé de renon­cer à prendre la mère pour objet libidinal. Deux éventualités peuvent alors se produire : ou une identification avec la mère, ou un renforcement de l’identi­fication avec le père. C’est cette dernière éventualité que nous considérons généralement comme normale ; elle permet à l’enfant de conserver, jusqu’à un certain degré, l’attitude de tendresse à l’égard de la mère. A la suite de la dis­parition du Complexe d’Oedipe, la partie masculine du caractère du petit garçon se trouverait ainsi consolidée. De même, la petite fille peut être ame­née, à la suite de la destruction du Complexe d’Oedipe, à s’identifier avec la mère (et si cette identification existait déjà, elle subit un renforcement), ce qui a pour effet l’affermissement de la partie féminine de son caractère.

Ces identifications ne répondent pas du tout à notre attente, parce qu’elles ne consistent pas dans l’absorption par le Moi de l’objet auquel on a renoncé ; mais cette variété d’identification s’observe également, plus souvent, il est vrai, chez les petites filles que chez les petits garçons. On apprend souvent, au cours d’une analyse, que la petite fille, après avoir été obligée de renoncer au père, en tant qu’objet de penchant amoureux, érige sa masculinité en idéal et s’identifie, non avec la mère, mais avec le père, c’est-à-dire avec l’objet qui est perdu pour son amour. Cela dépend évidemment du degré de développement de ses propres dispositions masculines, quelle que soit d’ailleurs leur nature.

Il semble donc que l’identification avec le père ou avec la mère, à la suite de la destruction du Complexe d’Oedipe, dépende, dans les deux sexes, de la force relative des dispositions sexuelles chez l’un et chez l’autre. Tel est le premier aspect sous lequel la bisexualité se manifeste et intervient dans les destinées du Complexe d’Oedipe. Mais elle se manifeste encore sous un autre aspect, beaucoup plus significatif. On a notamment l’impression que le Complexe d’Oedipe simple n’est pas celui qui s’observe le plus fréquemment, mais qu’il correspond à une simplification et schématisation voulue qui, dans beaucoup de cas, trouve d’ailleurs sa justification dans des raisons d’ordre pratique. Une recherche plus approfondie permet le plus souvent de découvrir le Complexe d’Oedipe sous une forme plus complète, sous une forme double, à la fois positive et négative, en rapport avec la bisexualité originelle de l’enfant : nous voulons dire par là que le petit garçon n’observe pas seulement une attitude ambivalente à l’égard du père et une attitude de tendresse libidi­nale à l’égard de la mère, mais qu’il se comporte en même temps comme une petite fille, en observant une attitude toute de tendresse féminine à l’égard du père et une attitude correspondante d’hostilité jalouse à l’égard de la mère. Cette intervention de la bisexualité est de nature à rendre difficile la tâche qui consiste à établir avec précision les rapports existant entre les premiers choix d’objets et les premières identifications, et elle rend encore plus difficile la description concrète et claire de ces rapports. Il se peut que l’ambivalence constatée dans les rapports avec les parents s’explique, d’une façon générale, par la bisexualité, au lieu de provenir, ainsi que je l’avais supposé précédem­ment, de l’identification à la suite d’une attitude de rivalité.

Je crois qu’on ferait bien, d’une façon générale et surtout en ce qui con­cerne les névrotiques, d’admettre l’existence du Complexe d’Oedipe complet. L’expérience analytique montre alors que dans un grand nombre de cas l’un ou l’autre des éléments constitutifs de ce complexe disparaît, en ne laissant que des traces à peine perceptibles, de sorte qu’on obtient une série dont l’un des bouts présente le Complexe d’Oedipe normal et positif, l’autre le complexe inverse, négatif, tandis que les chaînons intermédiaires représentent la forme complète, avec participation inégale des deux éléments constitutifs. Lors de la destruction du Complexe d’Oedipe, les quatre tendances qui en forment le contenu s’associeront pour donner naissance à une identification avec le père et à une identification avec la mère : la première sera associée à son tour avec le penchant libidinal du complexe positif, c’est-à-dire avec le penchant ayant pour objet la mère ; et elle servira en même temps à remplacer le penchant libidinal pour le père qui fait partie du complexe inverse. Une situation analo­gue, mutatis mutandis, s’établira à la suite de l’identification avec la mère. Les différences d’intensité que présenteront ces deux identifications reflèteront l’inégalité des deux variétés de dispositions sexuelles.

C’est ainsi que la modification la plus générale que la phase sexuelle, dominée par le Complexe d’Oedipe, imprime au Moi consiste essentiellement en ce qu’elle y laisse subsister ces deux identifications, rattachées l’une à l’autre par des liens dont nous ne savons rien de précis. Cette modification du Moi assume une place à part et un rôle particulier et s’oppose à l’autre contenu du Moi, en tant que Moi idéal ou Sur-Moi.

Ce Sur-Moi n’est cependant pas un simple résidu des premiers choix d’objets par le Ça ; il a également la signification d’une formation destinée à réagir énergiquement contre ces choix. Ses rapports avec le Moi ne se bornent pas à lui adresser le conseil : « sois ainsi » (comme ton père), mais ils impli­quent aussi l’interdiction « ne sois pas ainsi » (comme ton père) ; autrement dit : ne fais pas tout ce qu’il fait ; beaucoup de choses lui sont réservées, à lui seul ». Ce double aspect du Moi idéal découle du fait qu’il a mis tout ses efforts à refouler le Complexe d’Oedipe et qu’il n’est né qu’à la suite de ce refoulement. Il est évident que refouler le Complexe d’Oedipe ne devait pas être une tâche très facile. S’étant rendu compte que les parents, surtout le père, constituaient un obstacle à la réalisation des désirs en rapport avec le Complexe d’Oedipe, le Moi infantile, pour se faciliter cet effort de refoule­ment, pour augmenter ses ressources et son pouvoir d’action en vue de cet effort, dressa en lui-même l’obstacle en question. C’est au père que, dans une certaine mesure, il emprunta la force nécessaire à cet effet, et cet emprunt constitue un acte lourd de conséquences. Le Sur-Moi s’efforcera de reproduire et de conserver le caractère du père, et plus le Complexe d’Oedipe sera fort, plus vite (sous l’influence de l’enseignement religieux, de l’autorité, de l’instruction, des lectures) s’en effectuera le refoulement, plus forte sera aussi la rigueur avec laquelle le Sur-Moi régnera sur le Moi, en tant qu’incarnation des scrupules de conscience, peut-être aussi d’un sentiment de culpabilité inconscient. Nous essaierons de formuler plus loin quelques conjectures concernant la source à laquelle le Sur-Moi puise et la force qui lui permet d’exercer cette domination et le caractère de contrainte qui se manifeste sous la forme d’un impératif catégorique.

En réfléchissant à ce que nous avons dit relativement au mode d’apparition du Sur-Moi, nous constations qu’il constitue la résultante de deux facteurs biologiques excessivement importants : de l’état d’impuissance et de dépen­dance infantile que l’homme subit pendant un temps assez long, et de son Complexe d’Oedipe que nous avons rattaché à l’interruption que le développe­ment de la libido subit du fait de la période de latence, c’est-à-dire aux dou­bles dispositions de sa vie sexuelle. En ce qui concerne cette dernière parti­cularité qui est, paraît-il, spécifiquement humaine, une hypothèse psycha­naly­tique la représente comme un reste héréditaire de l’évolution vers la culture qui s’était déclenchée sous la poussée des conditions de vie inhérentes à la période glaciaire. C’est ainsi que la séparation qui s’opère entre le Sur-Moi et le Moi, loin de représenter un fait accidentel, constitue l’aboutissement naturel du développement de l’individu et de l’espèce, développement dont elle résume pour ainsi dire les caractéristiques les plus importantes ; et même, tout en apparaissant comme une expression durable de l’influence exercée par les parents, elle perpétue l’existence des facteurs auxquels elle doit sa nais­sance.

A d’innombrables reprises, on a reproché à la psychanalyse de ne pas s’intéresser à ce qu’il y a d’élevé, de moral, de supra-personnel dans l’homme. Ce reproche était doublement injustifié : injustifié au point de vue historique, injustifié au point de vue méthodologique. Au point de vue historique, parce que le psychanalyse a attribué dès le début aux tendances morales et esthéti­ques un rôle important dans les efforts de refoulement ; au point de vue métho­dologique, parce que les auteurs de ce reproche ne voulaient pas comprendre que la recherche psychanalytique n’avait rien de commun avec un système philosophique, en possession d’une doctrine complète et achevée, mais qu’elle était obligée de procéder progressivement à la compréhension des compli­cations psychiques, à la faveur d’une décomposition analytique des phéno­mè­nes tant normaux qu’anormaux. Tant que nous avions à nous occuper de l’étude des éléments refoulés de la vie psychique, nous ne pouvions guère partager le souci angoissant de ceux qui voulaient à tout prix assurer l’intégrité de ce qu’il a de sublimé et d’élevé dans l’âme humaine. Mais à présent que nous avons abordé l’analyse du Moi, nous pouvons répondre à tous ceux qui, ébranlés dans leur conscience morale, nous objectaient qu’il devait bien y avoir dans l’homme une essence supérieure : certes, et cette essence supé­rieu­re n’est autre que le Moi idéal, le Sur-Moi, dans lequel se résument nos rap­ports avec les parents. Petits enfants, nous avons connu ces êtres supérieurs qu’étaient pour nous nos parents, nous les avons admirés, craints et, plus tard, assimilés, intégrés à nous-mêmes.

Le Moi idéal représente ainsi l’héritage du Complexe d’Oedipe et, par con­séquent, l’expression des tendances les plus puissantes, des destinées libidi­nales les plus importantes, du Ça. Par son intermédiaire, le Moi s’est rendu maître du Complexe d’Oedipe et s’est soumis en même temps au Ça. Alors que le Moi représente essentiellement le inonde extérieur, la réalité, le Sur-Moi s’oppose à lui, en tant que chargé des pouvoirs du monde intérieur, du Ça. Et nous devons nous attendre à ce que les conflits entre le Moi et l’idéal reflètent, en dernière analyse, l’opposition qui existe entre le monde extérieur et le monde psychique.

Ce que la biologie et les destinées de l’espèce humaine ont déposé dans le Ça, est repris, par l’intermédiaire de la formation idéale, par le Moi et revécu par lui à titre individuel. Étant donné son histoire, son mode de formation, le Moi idéal présente les rapports les plus intimes et les plus étroits avec l’acquisition phylogénique, avec l’héritage archaïque de l’individu. Ce qui fait partie des couches les plus profondes de la vie psychique individuelle devient, grâce à la formation du Moi idéal, ce qu’il y a de plus élevé dans l’âme humai­ne, à l’échelle de nos valeurs courantes. Mais on tenterait en vain de localiser le Moi idéal de la même manière dont on localise le Moi tout court ou de le plier à l’une des comparaisons par lesquelles nous avons essayé d’illustrer les rapports entre le Moi et le Ça.

Il est facile de montrer que le Moi idéal satisfait à toutes les conditions auxquelles doit satisfaire l’essence supérieure de l’homme. En tant que forma­tion substitutive de la passion pour le père, il contient le germe d’où sont nées toutes les religions. En mesurant la distance qui sépare son Moi du Moi idéal, l’homme éprouve ce sentiment d’humilité religieuse qui fait partie intégrante de toute foi ardente et passionnée. Au cours du développement ultérieur, le rôle du père avait été assumé par des maîtres et des autorités dont les com­man­dements et prohibitions ont gardé toute leur force dans le Moi idéal et exercent, sous la forme de scrupules de conscience, la censure morale. La distance qui existe entre les exigences de la conscience morale et les manifes­tations du Moi fait naître le sentiment de culpabilité. Les sentiments sociaux reposent sur des identifications avec d’autres membres de la collectivité ayant le même Moi idéal.

La religion, la morale, le sentiment social, ces trois éléments fondamen­taux de l’essence la plus élevée de l’homme 14, ne formaient au début qu’un tout indivisible. D’après l’hypothèse que nous avons formulée dans Totem et Tabou, ces trois éléments ont été acquis, au cours de l’évolution phylogénique, à la faveur du complexe paternel : la religion et les restrictions morales, à la suite de la victoire remportée sur le Complexe d’Oedipe ; les sentiments so­ciaux, en présence de la nécessité de surmonter les restes de la rivalité qui existait entre les membres de la jeune génération. Dans toutes ces acquisitions morales, ce sont, semble-t-il, les hommes qui ont frayé la voie, et c’est à la suite d’une hérédité croisée qu’elles seraient devenues également le patrimoine des femmes. De nos jours encore, les sentiments sociaux représentent une super-structure qui s’élève au-dessus des penchants de rivalité jalouse à l’égard des frères et sœurs. L’hostilité ne pouvant pas être satisfaite, il se produit à sa place une identification avec celui qui était primitivement un rival. Des observations faites sur des homosexuels atténués confirment la manière de voir d’après laquelle cette identification servirait, elle aussi, de substitution à une attitude de tendresse à l’égard d’un objet, attitude qui a mis fin à des rapports d’hostilité agressive 15.

En abordant le domaine de la phylogénie, on voit surgir de nouveaux problèmes dont on voudrait bien éluder les tentatives de solution. Mais rien n’y fait, il faut oser ces tentatives, alors même qu’on a lieu de craindre qu’elles ne mettent au jour toute la vanité de nos efforts. La première question qui s’impose à notre attention est celle-ci : est-ce le Moi du primitif ou son Ça qui, à la faveur du complexe paternel, a le premier acquis ce que nous appelons religion et moralité ? Si c’est le Moi, pourquoi ne parlons-nous pas tout simplement d’acquisitions héréditaires du Moi ? Si c’est le Ça, comment ces acquisitions s’accordent-elles avec son caractère ? Ou bien, aurions-nous tort de situer à des époques aussi reculées la différenciation entre le Moi, le Sur-Moi et le Ça ? Ou, encore, devons-nous convenir loyalement que toute notre manière de concevoir les processus du Moi ne nous aide en rien à comprendre la phylogénie et ne s’applique pas à celle-ci ?

Répondons d’abord aux questions qui comportent les réponses les plus faciles. En ce qui concerne la différenciation entre le Moi et le Ça, nous devons l’attribuer non seulement à l’homme primitif, mais aussi à des êtres vivants beaucoup plus simples, car elle est l’expression nécessaire de l’influen­ce du monde extérieur. Pour ce qui est du Sur-Moi nous l’avons rattaché aux expériences psychiques qui ont donné naissance au totémisme. Aussi la question de savoir si c’est le Moi ou le Ça qui a fait ces expériences et acquisitions perd-elle toute signification. En y réfléchissant de plus près, nous constatons que tout ce que le Ça éprouve, toutes les expériences qu’il reçoit, il le doit à l’entremise du Moi qui, à ses lieu et place, communique avec le monde extérieur. Et, cependant, pour autant qu’il s’agit des qualités et pro­priétés du Moi, il ne peut guère être question de transmission héréditaire directe. Ici s’ouvre un fossé qui sépare l’individu réel de la notion de l’espèce. D’autre part, il ne faut pas poser entre le Moi et le Ça une différence trop tranchée : on ne doit pas oublier, en effet, que le Moi n’est qu’une partie du Ça ayant subi une différenciation particulière. Les expériences faites par le Moi semblent d’abord perdues au point de vue de la transmission héréditaire, mais lorsqu’elles sont suffisamment intenses et se répètent d’une façon suffisam­ment fréquente chez un grand nombre d’individus appartenant à des généra­tions successives, elles se transforment, pour ainsi dire, en expériences du Ça dont les traces mnémiques sont conservées et maintenues à la faveur de l’hérédité. C’est ainsi que le Ça héréditaire abrite les restes d’innombrables existences individuelles, et lorsque le Moi puise dans le Ça son Sur-Moi, il ne fait peut-être que retrouver et ressusciter des aspects anciens du Moi.

Étant donné le mode de formation du Sur-Moi, on comprend que les an­ciens conflits qui ont eu lieu entre le Moi et les objets de concentration libidinale du Ça se prolongent en conflits se déroulant cette fois entre le Moi et l’héritier du Ça, c’est-à-dire le Sur-Moi. Lorsque le Moi n’a pas réussi à surmonter d’une façon satisfaisante le Complexe d’Oedipe, la concentration énergétique qu’il avait puisée dans le Ça se manifestera de nouveau dans la formation réactionnelle, représentée par le Moi idéal. Le fait que le Moi idéal communique largement avec les impulsions instinctives inconscientes est de nature à nous expliquer ce phénomène en apparence énigmatique que le Moi idéal reste lui-même en grande partie inconscient, inaccessible au Moi. La lutte qui faisait rage dans les couches profondes, sans pouvoir se terminer par une rapide sublimation et identification, se poursuit désormais, comme la bataille contre les Huns dans le tableau de Kaulbach, dans une région supérieure.

Messages

  • les processus conscients pour leur part sont chargés de permettre à un organisme individuel de faire face à des évolutions imprévues de son environnement, en sorte que les conditions indispensables de la survie continuent à être remplies.

  • Sigmund Freud :

    " On nous conteste de tous côtés le droit d’admettre un psychique inconscient et de travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient. Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d’autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience. Ces actes ne sont pas seulement les actes manqués et les rêves, chez l’homme sain, et tout ce qu’on appelle symptômes psychiques et phénomènes compulsionnels chez le malade ; notre expérience quotidienne la plus personnelle nous met en présence d’idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l’origine, et de résultats de pensée dont l’élaboration nous est demeurée cachée. Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. "

  • La conscience humaine est fondée sur une contradiction permanenter entre ce qui attire et ce qui repousse, physiquement comme moralement.

  • La conscience

    Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
    Échevelé, livide au milieu des tempêtes,
    Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
    Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
    Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
    Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
    Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
    Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
    Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
    Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
    Et qui le regardait dans l’ombre fixement.
    « Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
    Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
    Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.
    Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
    Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
    Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
    Sans repos, sans sommeil ; il atteignit la grève
    Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
    « Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
    Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
    Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes
    L’œil à la même place au fond de l’horizon.
    Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
    « Cachez-moi ! » cria-t-il ; et, le doigt sur la bouche,
    Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.
    Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
    Sous des tentes de poil dans le désert profond :
    « Étends de ce côté la toile de la tente. »
    Et l’on développa la muraille flottante ;
    Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb :
    « Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,
    La fille de ses Fils, douce comme l’aurore ;
    Et Caïn répondit : « je vois cet œil encore ! »
    Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
    Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
    Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
    Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
    Et Caïn dit « Cet œil me regarde toujours ! »
    Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
    Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.
    Bâtissons une ville avec sa citadelle,
    Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
    Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
    Construisit une ville énorme et surhumaine.
    Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,
    Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;
    Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
    Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
    Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
    On lia chaque bloc avec des nœuds de fer,
    Et la ville semblait une ville d’enfer ;
    L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
    Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
    Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
    Quand ils eurent fini de clore et de murer,
    On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
    Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
    L’œil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
    Et Caïn répondit : " Non, il est toujours là. »
    Alors il dit : « je veux habiter sous la terre
    Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
    Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
    On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
    Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
    Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
    Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
    L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

  • La conscience humaine est fondée sur une contradiction permanente entre ce qui attire et ce qui repousse, physiquement comme moralement.

  • La conscience humaine est fondée sur une contradiction permanente entre ce qui attire et ce qui repousse, physiquement comme moralement.

  • Une citation peut-elle résumer la thèse principale de Freud ?

  • Freud :

    « Le moi (...) n’est seulement pas maître dans sa propre maison. »

    (Introduction à la psychanalyse)

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