Home > 03 - Livre Trois : HISTOIRE > 3ème chapitre : Révolutions bourgeoises et populaires > Florence : la révolution des Ciompi en 1378 et la révolution permanente au (...)

Florence : la révolution des Ciompi en 1378 et la révolution permanente au Moyen Age

Saturday 2 May 2015, by Robert Paris

La ballata degli impiccati de Fabrizio De André tirée de l’album Tutti morimmo a stento (en français : « Nous agoniserons tous ») paru en 1968 traduit par Solal Abeles :

Tous nous agonisâmes, ravalant l’ultime cri, donnant des coups de pieds au vent, nous vîmes s’estomper la lumière / Le hurlement emporta le soleil, l’air devint suffocant. Cristal de paroles le dernier blasphème dit / Avant que cela ne soit fini nous rappelâmes à qui vit encore que le prix fut la vie pour le mal fait en une heure / Puis nous glissâmes dans la glace d’une mort sans abandon, récitant l’antique crédo de celui qui meurt sans pardon./ Qui moque notre défaite et la honte extrême et la manière étouffée d’une telle conclusion, qu’il apprenne à connaître le nœud ! / Qui la terre nous versa sur les os et reprit tranquille le chemin, qu’il rejoigne lui aussi bouleversé la fosse dans la brume du premier matin ! / La femme qui cela en un sourire le malaise de nous donner mémoire, qu’elle trouve chaque nuit sur son visage une insulte du temps et une scorie ! / Nous cultivons pour tous une rancune qui a l’odeur du sang coagulé. Ce qu’alors nous appelâmes douleur est seulement un discours suspendu.

Un soulèvement prolétarien à Florence au XIVe siècle

Simone Weil, 1934

Introduction

La fin du XIVe siècle fut, d’une manière générale, en Europe, une période de troubles sociaux et de soulèvements populaires. Les pays où le mouvement fut le plus violent furent ceux qui se trouvaient être économiquement les plus avancés, c’est-à-dire la Flandre et l’Italie ; à Florence, ville des gros marchands drapiers et des manufactures de laine, il prit la forme d’une véritable insurrection prolétarienne, qui fut un moment victorieuse. Cette insurrection, connue sous le nom de soulèvement des Ciompi, est sans doute l’aînée des insurrections prolétariennes. Elle mérite d’autant plus d’être étudiée à ce titre qu’elle présente déjà, avec une pureté remarquable, les traits spécifiques que l’on retrouve plus tard dans les grands mouvements de la classe ouvrière, alors à peine constituée, et qui apparaît ainsi comme ayant été un facteur révolutionnaire dès son apparition.

La Florence du XIVe siècle est en apparence un État corporatif. Depuis les ordinamenti di giustizia de 1293, le pouvoir est aux mains des arts, c’est-à-dire des corporations. Un art est soit une corporation, soit, plus fréquemment, une union de corporations qui forme un petit État dans l’État, avec des chefs élus dont les pouvoirs s’étendent à la juridiction civile sur les membres de l’art, une caisse, des statuts ; et Florence est gouvernée par les prieurs des arts, magistrats désignés par les arts, et par un gonfalonier de justice, désigné par les prieurs, et qui a sous ses ordres mille mercenaires armés. Quant aux nobles, les ordinamenti di giustizia les ont exclus de toute fonction publique et soumis à des mesures d’exception très sévères. Si l’on ajoute que tous les magistrats sont élus pour des délais fort courts et doivent rendre compte de leur gestion, il semble que Florence soit une république d’artisans.

Mais en réalité les arts florentins sont tout autre chose que les corporations médiévales. Tout d’abord leur nombre est fixé à vingt et un, et ne peut être modifié ; il est interdit de former un art nouveau. Ceux qui sont en dehors des vingt et un sont donc privés de droits politiques. Puis, si les arts d’artisans et de petits commerçants ressemblent aux corporations ordinaires du moyen âge, ces arts, nommés arts mineurs, sont maintenus au second plan dans la vie politique. Le pouvoir réel appartient aux arts majeurs, qui comprennent seulement, si l’on met à part juges, notaires et médecins, les banquiers, les gros commerçants, les fabricants de drap et les fabricants de soieries. Quant à ceux qui travaillent la laine ou la soie, certains sont « membres mineurs » de l’art correspondant à leur métier, avec des droits très restreints ; mais la plupart sont simplement subordonnés à l’art, c’est-à-dire soumis à sa juridiction sans y posséder aucun droit ; et il leur est la plupart du temps sévèrement interdit non seulement de s’organiser, mais même de se réunir entre eux. L’arte di Por Santa Maria - celui des fabricants de soieries - et surtout L’arte della lana sont donc non des corporations, mais des syndicats patronaux. Loin d’être une démocratie, l’État florentin est directement aux mains du capital bancaire, commercial et industriel.

Au cours du XIVe siècle, L’arte della lana prit peu à peu l’influence prépondérante, à mesure que la fabrication du drap devenait la principale ressource de la cité, et que toutes les grandes familles des autres corporations y engageaient des capitaux. Par sa structure, il constitue un petit État, qui organise ses services publics, touche des impôts, émet des emprunts, construit des locaux, aménage des entrepôts, se charge des arrangements qui dépassent les possibilités de chaque entrepreneur ; c’est aussi un cartel, qui impose à ses membres un maximum de production qu’il leur est interdit de dépasser ; c’est surtout une organisation de classe, qui a pour principal objet de défendre en toute occasion les intérêts des fabricants de drap contre les travailleurs. Ceux-ci, au contraire, privés de toute espèce d’organisation, se trouvent désarmés. Telle est la raison principale de l’insurrection des Ciompi.

Ces travailleurs de la laine se partageaient en catégories très différentes quant à la situation technique, économique et sociale, et qui, en conséquence, ont joué un rôle différent dans l’insurrection. La plus nombreuse était celle des ouvriers salariés des ateliers. Chaque marchand drapier avait, auprès de sa boutique, un grand atelier, ou plutôt, si l’on tient compte de la division et de la coordination des travaux, une manufacture où l’on préparait la laine avant de la confier aux fileurs. Les travaux exécutés dans ces ateliers - lavage, nettoyage, battage, peignage, cordage - étaient en partie des travaux de manœuvres, mais en partie aussi relativement qualifiés. L’organisation de l’atelier était celle d’une fabrique moderne, le machinisme excepté. La division et la spécialisation étaient poussées à l’extrême ; une équipe de contremaître assurait la surveillance ; la discipline était une discipline de caserne. Les ouvriers, salariés, payés à la journée, sans tarifs ni contrats, dépendaient entièrement du patron. Ce prolétariat de la laine était à Florence la partie la plus méprisée de la population. C’était lui aussi qui, de toutes les couches révoltées de la population, faisait preuve de l’esprit le plus radical. On surnommait ces ouvriers les Ciompi et le fait qu’ils ont donné leur nom à l’insurrection montre assez quelle part ils y ont prise.

Les fileurs et les tisserands étaient, eux aussi, réduits en fait à la condition d’ouvriers salariés ; mais c’étaient des ouvriers à domicile. Isolés par leur travail même, privés du droit de s’organiser, ils ne semblent avoir fait preuve à aucun moment d’esprit combatif. Le tissage était à vrai dire un travail hautement qualifié ; mais l’avantage que les tisserands auraient pu retirer de ce fait fut annulé, au XIVe siècle, par l’afflux à Florence de tisserands étrangers, et surtout allemands. Les teinturiers au contraire, ouvriers très hautement qualifiés, impossibles à remplacer par des étrangers, parce qu’il n’y avait de bons teinturiers qu’à Florence, entrèrent les premiers de tous dans la lutte revendicative. À vrai dire, les teinturiers étaient privilégiés par rapport aux autres travailleurs de la laine. La teinturerie demandait l’investissement d’un capital considérable, et cet investissement comportait de gros risques ; aussi les fabricants ne cherchèrent-ils pas à avoir leurs propres teintureries. Ce fut l’arte della lana qui créa, pour la teinture, de grands locaux renfermant une partie de l’outillage, et les mit à la disposition de tous les industriels qui voulaient s’en servir ; ainsi les teinturiers ne dépendirent jamais d’un industriel particulier, comme c’était le cas pour les Ciompi, et aussi pour les tisserands, dont les métiers appartenaient en général aux fabricants. Les fouleurs et tondeurs de drap se trouvaient à cet égard dans la même situation que les teinturiers. Enfin, les teinturiers n’étaient pas entièrement privés de droits politiques. Ils avaient une organisation, purement religieuse, il est vrai, mais qui leur permettait de se réunir. Ils n’étaient pas simplement subordonnés à l’arte della lana, comme les ouvriers des ateliers, les fileurs et les tisserands ; ils en étaient membres, bien que « membres mineurs », et avaient ainsi une certaine part au gouvernement. Aussi leurs intérêts étaient-ils loin de coïncider avec ceux des Ciompi, et leur attitude au cours de l’insurrection le fit voir. Cependant, les raisons de se révolter ne leur manquaient pas. Privés du droit de s’organiser pour défendre leurs conditions de travail, subordonnés à leurs employeurs qui, de par le droit corporatif, devenaient leurs juges dès qu’il y avait un différend, ils auraient été rapidement réduits à la situation des autres ouvriers s’ils n’avaient su profiter des crises économiques et politiques.

Les premières luttes sociales sérieuses eurent lieu en 1342, sous la tyrannie du duc d’Athènes. C’était un aventurier français à qui Florence, épuisée par les querelles qui avaient sans cesse lieu entre les familles les plus puissantes, remit le pouvoir à vie afin qu’il rétablît l’ordre.

Cette élection avait été appuyée surtout par les mécontents, c’est-à-dire d’une part par les nobles, à qui on avait rendu l’accès aux fonctions publiques, mais qui n’en désiraient pas moins voir finir l’État corporatif, et d’autre part par le peuple. Le duc d’Athènes s’appuya principalement, pendant les quelques mois qu’il régna, sur les ouvriers, grâce auxquels il espérait pouvoir résister à l’hostilité de la haute bourgeoisie. Il donna satisfaction aux teinturiers, qui se plaignaient d’être payés avec des années de retard et d’être sans recours légal, et qui demandaient à constituer un vingt-deuxième art ; il organisa les ouvriers des ateliers de laine, non pas en une corporation, mais en une association armée. Peu après, il fut renversé par une émeute à laquelle presque toute la population prit part, et où il n’eut pour défenseurs que des bouchers et quelques ouvriers ; l’art des teinturiers ne fut pas créé, mais les prolétaires de la laine gardèrent leurs armes et s’en servirent dans les années suivantes. À la démagogie du duc d’Athènes qui, au mépris du droit corporatif, donnait satisfaction à toutes les revendications des ouvriers de la laine, succédait la plus brutale dictature capitaliste. Aussi les révoltes éclatèrent-elles bientôt. En 1343, 1 300 ouvriers se soulèvent ; en 1345, nouveau soulèvement, dirigé par un cardeur, et ayant pour objectif l’organisation des ouvriers de la laine. La grande peste de Florence, qui décime la classe ouvrière, raréfie la main-d’oeuvre et provoque ainsi une hausse des salaires telle que l’arte della lana doit établir des taxes, rend la lutte de classes plus aiguë encore. Après une crise provoquée par la guerre contre Pise, et qui arrête momentanément les conflits, le retour de la prospérité, par un phénomène qui s’est fréquemment reproduit depuis lors, amène une grève des teinturiers qui dure deux ans et se termine par une défaite, en 1372 ; mais cette défaite ne met pas fin à la fermentation des couches laborieuses.

Cette fermentation coïncide avec un conflit entre la petite bourgeoisie d’une part, et la grande bourgeoisie, unie dans une certaine mesure à la noblesse, de l’autre. Les nobles, en tant que classe, ont été définitivement battus quand, après la chute du duc d’Athènes, ils ont tenté de s’emparer du pouvoir ; mais la plupart des familles nobles sont alliées à la haute bourgeoisie à l’intérieur du « parti guelfe ». Ce parti guelfe s’est formé dans la lutte, depuis longtemps terminée, des Guelfes et des Gibelins ; la confiscation des biens des Gibelins lui a donné richesse et puissance. Devenu l’organisation politique de la haute bourgeoisie, il domine la cité depuis la chute du duc d’Athènes, fausse les scrutins, profite d’une mesure d’exception prise autrefois contre les Gibelins et demeurée en vigueur pour écarter ses adversaires des fonctions publiques. Quand, malgré les manœuvres du parti guelfe, Salvestro de Medici, un des chefs de la petite bourgeoisie, devient, en juin 1378, gonfalonier de justice, et quand il propose des mesures contre les nobles et contre le parti guelfe, le conflit devient aigu. Les compagnies des arts descendent dans la rue en armes ; les ouvriers les soutiennent et mettent le feu à quelques riches demeures et aux prisons, qui sont pleines de prisonniers pour dettes. Finalement, Salvestro de Medici a satisfaction. Mais, comme dit Machiavel, « qu’on se garde d’exciter la sédition dans une cité en se flattant qu’on l’arrêtera ou qu’on la dirigera à sa guise ».

De la direction de la petite et moyenne bourgeoisie, le mouvement tombe sous celle du prolétariat. Les ouvriers restent dans la rue ; les arts mineurs les appuient ou laissent faire. Et déjà apparaît le trait qui se reproduira spontanément dans les insurrections prolétariennes françaises et russes : la peine de mort est décrétée par les insurgés contre les pillards. Autre trait propre aux soulèvements de la classe ouvrière, le mouvement n’est nullement sanguinaire ; il n’y a aucune effusion de sang, exception faite pour un nommé Nuto, policier particulièrement haï. La liste des revendications des insurgés, liste portée aux prieurs le 20 juillet, a, elle aussi, un caractère de classe. On demande la transformation des impôts, qui pèsent lourdement sur les ouvriers ; la suppression des « officiers étrangers » de l’arte della lana, qui constituent des instruments de répression contre les travailleurs, et jouent un rôle analogue à celui de la police privée que possèdent de nos jours les compagnies minières d’Amérique. Surtout on demande la création de trois nouveaux arts : un vingt-deuxième art pour les teinturiers, fouleurs et tondeurs de drap, c’est-à-dire pour les travailleurs de la laine non encore réduits à la condition de prolétaires ; un vingt-troisième art pour les tailleurs et autres petits artisans non encore organisés ; enfin et surtout un vingt-quatrième art pour le « menu peuple » , c’est-à-dire en fait pour le prolétariat, qui est alors principalement constitué par les ouvriers des ateliers de laine. De même que l’arte della lana n’était en réalité qu’un syndicat patronal, cet art du .menu peuple aurait fonctionné comme un syndicat ouvrier ; et il devait avoir la même part au pouvoir d’État que le syndicat patronal, car les insurgés réclamaient le tiers des fonctions publiques pour les trois arts nouveaux, et le tiers pour les arts mineurs. Ces revendications tardant à être acceptées, les ouvriers envahissent le Palais le 21 juillet, conduits par un cardeur de laine devenu contremaître, Michele de Lando, qui est aussitôt nommé gonfalonier de justice, et qui forme un gouvernement provisoire avec les chefs du mouvement des arts mineurs. Le 8 août, la nouvelle forme de gouvernement, conforme aux revendications des ouvriers, est organisée et pourvue d’une force armée composée non plus de mercenaires, mais de citoyens. La grande bourgeoisie, se sentant momentanément la plus faible, ne fait pas d’opposition ouverte ; mais elle ferme ses ateliers et ses boutiques. Quant au prolétariat, il s’aperçoit rapidement que ce qu’il a obtenu ne lui donne pas la sécurité, et qu’un partage égal du pouvoir entre lui, les artisans et les patrons est une utopie. Il fait dissoudre l’organisation politique que s’étaient donnée les arts mineurs ; il élabore pétitions sur pétitions ; il se retire à Santa Maria Novella, s’organise comme avait fait autrefois le parti guelfe, nomme huit officiers et seize conseillers, et invite les autres arts à venir conférer sur la constitution à donner à la cité. Dès lors la cité possède deux gouvernements, l’un au Palais, conforme à la légalité nouvelle, l’autre non légal, à Santa Maria Novella. Ce gouvernement extra-légal ressemble singulièrement à un soviet ; et nous voyons apparaître pour quelques jours, à ce premier éveil d’un prolétariat à peine formé, le phénomène essentiel des grandes insurrections ouvrières, la dualité du pouvoir. Le prolétariat, en août 1378, oppose déjà, comme il devait faire après février 1917, à la nouvelle légalité démocratique qu’il a lui-même fait instituer, l’organe de sa propre dictature.

Michele de Lando fait ce qu’aurait fait à sa place n’importe quel bon chef d’État social-démocrate : il se retourne contre ses anciens compagnons de travail. Les prolétaires, ayant contre eux le gouvernement, la grande bourgeoisie, les arts mineurs, et sans doute aussi les deux nouveaux arts non prolétariens, sont vaincus après une sanglante bataille et férocement exterminés au début de septembre. On dissout le vingt-quatrième art et la force armée organisée en août ; on désarme les ouvriers ; on fait venir des compagnies de la campagne, comme à Paris après juin 1848. Quelques tentatives de soulèvement sont faites au cours des mois suivants, avec comme mot d’ordre : pour le vingt-quatrième art ! Elles sont férocement réprimées. Les arts mineurs gardent encore quelques mois la majorité dans les fonctions publiques ; puis le pouvoir est partagé également entre eux et les arts majeurs. Les teinturiers, qui ont conservé leur art, peuvent encore l’utiliser pour une action revendicative et imposent un tarif minimum. Mais une fois privés, par leur faute, de l’appui de ce prolétariat dont l’énergie et la résolution les avaient poussés au pouvoir, les artisans, les petits patrons, les petits commerçants sont incapables de maintenir leur domination. La bourgeoisie, comme le remarque Machiavel, ne leur laisse le champ libre que dans la mesure ou elle craint encore le prolétariat ; dès qu’elle le juge définitivement écrasé, elle se débarrasse de ses alliés d’un jour. Au reste, eux-mêmes se désagrègent de l’intérieur sous l’influence de la démoralisation, elle aussi bien caractéristique, qui pénètre leurs rangs. Ils laissèrent exécuter un des chefs principaux des classes moyennes, Scali ; et cette exécution ouvrit la voie à une brutale réaction, qui amena l’exil de Michele de Lando, de Benedetto Alberti lui-même et de bien d’autres, la suppression du vingt-deuxième et du vingt-troisième art, la domination des arts majeurs, le rétablissement des prérogatives du parti guelfe. En janvier 1382, le statu quo d’avant l’insurrection était rétabli. La puissance des entrepreneurs était désormais absolue ; et le prolétariat, privé d’organisation, ne pouvant se réunir, même pour un enterrement, sans permission spéciale, devait attendre longtemps avant de pouvoir la mettre même en question.

Machiavel, écrivant un siècle et demi après l’événement, en une période de calme social complet, trois siècles avant que ne fût élaborée la doctrine du matérialisme historique, a su néanmoins, avec la merveilleuse pénétration qui lui est propre, discerner les causes de l’insurrection et analyser les rapports de classe qui en ont déterminé le cours. Son récit de l’insurrection, que nous donnons ici, est, en dépit d’une hostilité apparente à l’égard des insurgés, qu’il prend à tort pour des pillards, plus remarquable encore par une étonnante précision dans tout ce qui répond à nos préoccupations actuelles que par le caractère captivant de la narration et la beauté du style.

À peine ce premier soulèvement apaisé, il s’en produisit un autre qui fit plus de tort que le premier à la république. La plupart des incendies et des vols qui avaient eu lieu le jour précédent avaient été commis par la plus basse plèbe ; et ceux qui s’étaient montrés les plus audacieux craignaient de recevoir, une fois les différends plus graves apaisés et réglés, le châtiment de leurs fautes, et d’être, comme il arrive toujours, abandonnés par les instigateurs de leurs mauvaises actions. À cela s’ajoutait la haine que le petit peuple portait aux citoyens riches et aux chefs des arts, qui ne lui accordaient pas de salaires suffisants à proportion de ce qu’il croyait mériter. Lorsque la cité, sous Charles 1er, s’était divisée en arts, chacun s’était donné des chefs et une forme de gouvernement ; et l’on statua que les chefs de chaque art jugeraient, en matière civile, tous ceux qui s’y rattachaient. Ces arts, comme j’ai dit furent d’abord douze ; et, avec le temps, ils s’accrurent au point de parvenir au nombre de vingt et un, et devinrent si puissants qu’au bout de peu de temps ils s’emparèrent de tout le gouvernement de la cité. Et comme parmi eux il s’en trouvait qui étaient plus honorés les uns que les autres, on les divisa en majeurs et en mineurs. Il y en eut sept majeurs et quatorze mineurs... Mais lorsqu’on organisa les arts, beaucoup de métiers auxquels s’adonnaient le menu peuple et la basse plèbe restèrent sans art propre ; et ceux qui les exerçaient furent subordonnés aux arts avec lesquels ils se trouvaient en rapports. Il en résulta que, lorsqu’ils étaient mécontents de leurs salaires, ou, d’une manière générale, opprimés par leurs maîtres, ils n’avaient d’autre recours que les magistrats des arts auxquels ils étaient soumis ; et il ne leur semblait jamais que ces magistrats leur rendissent justice comme il convenait. De tous les arts, celui auquel le plus grand nombre d’ouvriers se trouvait subordonné de la sorte était l’art de la laine ; il était le plus puissant de tous et le premier en autorité, et nourrissait de son industrie, comme il fait encore, la plus grande partie de la plèbe et du menu peuple.

Ainsi ces hommes de la plèbe, ceux qui étaient soumis à l’art de la laine comme ceux qui dépendaient des autres arts, étant pleins de ressentiment, et aussi de peur à cause des incendies et des vols qu’ils avaient commis, se réunirent à plusieurs reprises, la nuit, en secret, pour parler des événements passés et examiner les dangers qui les menaçaient. Là l’un d’entre eux, plus ardent et plus expérimenté que les autres, parla de la sorte pour animer ses compagnons : « Si nous devions en ce moment délibérer pour savoir s’il faut prendre les armes, brûler et piller les maisons des citoyens, dépouiller l’Église, je serais de ceux qui jugeraient que cela mérite réflexion ; et peut-être serais-je d’avis de préférer une pauvreté tranquille à un gain périlleux. Mais puisque les armes sont prises et qu’il y a déjà beaucoup de mal de fait, il me semble que nous devons chercher par quel moyen conserver les armes et parer au danger où nous mettent les délits commis par nous... Vous voyez que toute la ville est pleine de rancune et de haine contre nous; les citoyens se réunissent, les prieurs se joignent aux autres magistrats. Croyez que l’on prépare des pièges contre nous et que de nouveaux périls menacent nos têtes. Nous devons donc chercher à obtenir deux choses et assigner à nos délibérations un double but : à savoir d’une part ne pas être châtiés pour ce que nous avons fait les jours précédents, d’autre part pouvoir vivre avec plus de liberté et plus de bien-être que par le passé. Il convient à cet effet, à ce qu’il me semble, si nous voulons nous faire pardonner les fautes anciennes, d’en commettre de nouvelles, de redoubler les excès, de multiplier vols et incendies et de chercher à entraîner un grand nombre de compagnons. Car là où il y a beaucoup de coupables, personne n’est châtié ; les petites fautes sont punies, celles qui sont importantes et graves sont récompensées. Et quand un grand nombre de gens souffrent, la plupart ne cherchent pas à se venger, parce que les injures générales sont supportées plus patiemment que les particulières. Ainsi, en multipliant le mal, nous trouverons plus facilement le pardon et nous verrons s’ouvrir devant nous la voie qui nous mènera vers les buts que nous désirons atteindre pour être libres. Et nous allons, me semble-t-il, à une conquête certaine ; car ceux qui pourraient nous faire obstacle sont désunis et riches ; leur désunion nous donnera la victoire, et leurs richesses, une fois devenues nôtres, nous permettront de la maintenir . Ne vous laissez pas effrayer par cette ancienneté du sang dont ils se targuent ; car tous les hommes, ayant eu une même origine, sont également anciens et la nature nous a tous faits sur un même modèle. Déshabillés et nus, vous seriez tous semblables ; revêtons leurs habits, qu’ils mettent les nôtres, nous paraîtrons sans aucun doute nobles et eux gens du commun ; car seules la pauvreté et la richesse font l’inégalité. J’ai peine à voir que beaucoup d’entre vous regrettent ce qu’ils ont fait et veulent s’abstenir d’actions nouvelles. Et certes, s’il en est ainsi, vous n’êtes pas ceux que j’ai cru ; ni le remords ni la honte ne doivent vous effrayer ; car pour des vainqueurs, de quelque manière qu’ils aient vaincu, il n’y a jamais de honte. Et nous ne devons pas tenir compte des remords de conscience ; car là où se trouve, comme en nous, la crainte de la faim et de la prison, l’enfer ne peut ni ne doit effrayer. Mais si vous remarquez comment se conduisent les hommes, vous verrez que tous ceux qui sont parvenus à une grande richesse et une grande puissance y sont parvenus ou par la ruse ou par la force ; et ce qu’ils ont usurpé par fourberie ou par violence, pour dissimuler le caractère brutal de leur acquisition ils le décorent ensuite de faux titre de gain... Dieu et la nature ont placé tous les biens devant l’homme ; mais ces biens sont plutôt le prix de la rapine que de l’industrie, et des procédés malhonnêtes que des procédés honnêtes. De là vient que les hommes se mangent l’un l’autre et que le plus faible est toujours victime ; nous devons donc employer la force quand l’occasion s’en présente... Je confesse que ce parti est audacieux et périlleux ; mais quand la nécessité commande, l’audace devient prudence et les hommes courageux ne tiennent jamais compte des périls dans les grandes entreprises... Au reste je crois que, quand on voit préparer la prison, la torture et la mort, il est plus téméraire d’attendre que de chercher à se mettre en sûreté ; dans le premier cas le mal est certain, dans le second il est douteux... Vous voyez les préparatifs de vos adversaires ; prévenons leurs projets. La victoire est assurée à celui de nous qui prendra le premier les armes, et en même temps la ruine des ennemis et sa propre élévation ; beaucoup parmi nous tireront honneur de cette victoire, tous y trouveront la sécurité. »

Violemment enflammés par cette éloquence et ayant déjà par eux-mêmes l’esprit échauffé pour le mal, ils résolurent de prendre les armes quand ils auraient associé à leurs projets un plus grand nombre de compagnons. Et ils s’obligèrent par serment à se secourir les uns les autres, s’il arrivait que l’un d’eux fût opprimé par les magistrats.

Pendant qu’ils se préparaient à s’emparer de l’État, leur dessein parvint à la connaissance des prieurs ; et ceux-ci firent arrêter sur la place un certain Simon qui leur dévoila toute la conjuration et que l’on voulait commencer le soulèvement le lendemain. Voyant le danger, ils réunirent les Collèges et les citoyens qui travaillaient avec les syndics des arts à rétablir l’union dans la cité. La nuit était venue avant que tout le monde lut réuni ; l’assemblée conseilla aux prieurs de faire venir les consuls des arts. Tous furent d’avis de faire venir toutes les troupes à Florence et de faire descendre le lendemain matin sur la place les gonfaloniers du peuple avec leurs compagnies armées. Un certain Nicolo de San Friano était en train de réparer l’horloge du palais au moment où on mettait Simon à la torture et où les citoyens se réunissaient ; s’étant aperçu de ce qui se passait, il rentra chez lui et souleva tout son quartier. Un instant plus tard, plus de mille hommes armés se trouvaient rassemblés sur la place du Saint-Esprit. Le bruit en parvint aux autres conjurés, et Saint-Pierre Majeur et Saint-Laurent, lieux désignés par eux, se remplirent d’hommes en armes.

Le lendemain matin, qui était le 21 juillet, il ne se trouvait pas réuni sur la place plus de quatre-vingts hommes armés pour la défense des prieurs. Aucun gonfalonier ne vint, parce qu’ils avaient appris que toute la ville était en armes et avaient peur de quitter leurs maisons. Les premiers parmi les insurgés qui se trouvèrent sur la place furent ceux qui s’étaient réunis à Saint-Pierre Majeur ; à leur arrivée la troupe ne fit pas un mouvement. Le reste de la multitude apparut ensuite, et n’ayant pas rencontré d’obstacles réclama les prisonniers aux prieurs avec des cris terribles ; puis, voulant les obtenir par la force, puisque les menaces n’avaient pas suffi, ils mirent le feu à la maison de Luigi Guicciardini ; aussi les prieurs, crainte de pire, leur rendirent leurs hommes. Dès qu’ils eurent repris les prisonniers, les insurgés arrachèrent l’étendard de la justice à celui qui le portait ; et, marchant sous ce drapeau, ils allèrent brûler les maisons de nombreux citoyens, en s’attaquant à ceux qui leur étaient odieux pour des raisons publiques ou privées. Beaucoup de citoyens, pour venger leurs injures particulières, les menaient aux maisons de leurs ennemis ; il suffisait pour cela qu’une voix criât parmi la multitude : « À la maison d’un tel! » ou que celui qui portait en main le gonfalon se tournât de ce côté. En même temps qu’ils faisaient tant de mal, pour y joindre quelque action louable ils nommèrent chevaliers Salvestro de Medici et jusqu’à soixante-quatre autres citoyens, parmi lesquels Benedetto et Antonio Albenti, Tommaso Strozzi et d’autres de leurs amis; beaucoup reçurent ce titre malgré eux. Ce qui est le plus digne de remarque dans cette affaire, c’est le fait que l’on brûla les maisons de beaucoup de citoyens qui reçurent ensuite dans la même journée, et des mêmes gens ( tant le bienfait chez eux était proche de l’injure), le titre de chevalier ; c’est ce qui arriva notamment à Luigi Guicciardini, gonfalonier de justice. Les prieurs, au milieu d’un tel tumulte, se voyant abandonnés des troupes, des chefs des arts et de leurs gonfaloniers, se décourageaient ; car personne n’était venu à leur secours selon les ordres donnés. Des seize gonfalons apparurent seulement l’étendard du Lion d’or et celui de la Belette, avec Giovenco della Stufa et Giovanni Cambi. Encore ceux-là ne restèrent-ils que peu de temps sur la place ; ne se voyant pas suivis par les autres, ils se retirèrent. D’autre part les citoyens, voyant la fureur de cette foule effrénée et le palais abandonné, allèrent les uns se renfermer dans leurs maisons, les autres suivre la multitude armée, pour mieux pouvoir, en se trouvant au milieu d’elle, défendre leurs maisons et celles de leurs amis. Ainsi la puissance de cette foule allait croissant, celle des prieurs décroissant. Ce désordre dura tout le jour ; et, la nuit venue, les insurgés s’arrêtèrent au palais de Stefano, derrière l’église de Saint-Barnabé. Ils étaient plus de six mille ; et avant la levée du jour, ils contraignirent les arts, par des menaces, à leur envoyer leurs étendards. Lorsque le jour fut venu, ils allèrent avec le gonfalon de la justice et les étendards devant le palais du podestat, et comme celui-ci refusait de leur livrer le palais, ils l’attaquèrent et triomphèrent.

Les prieurs, voulant essayer de composer avec eux puisqu’ils ne voyaient aucun moyen de les arrêter par la force, firent venir quatre membres de leurs collèges et les envoyèrent au palais du podestat pour connaître la volonté des insurgés. Ces envoyés virent en arrivant que les chefs de la plèbe, de concert avec les syndics des arts, avaient déjà préparé les demandes qu’ils voulaient adresser aux prieurs. Ils revinrent donc chez les prieurs, accompagnés de quatre députés de la plèbe chargés de ces demandes. On devait interdire à l’art de la laine de conserver ses juges étrangers ; former trois nouveaux arts, l’un pour les tondeurs de drap et les teinturiers, l’autre pour les barbiers, faiseurs de pourpoints, tailleurs et autres arts mécaniques, et le troisième pour le menu peuple ; l’on devait toujours prendre deux prieurs dans ces trois nouveaux arts, et trois dans les arts mineurs ; les prieurs devaient assigner à ces nouveaux arts un lieu où ils pourraient se réunir ; aucun membre de ces arts ne devait pouvoir être contraint, avant un délai de deux ans, à payer une dette de plus de cinquante ducats; le mont-de-piété devait cesser de réclamer les intérêts et ne plus exiger que le capital; il fallait absoudre les emprisonnés et les condamnés et rendre à tous les admonestés leurs droits civiques. Les insurgés demandaient aussi beaucoup de faveurs pour ceux qui les avaient soutenus ; en revanche, ils voulaient faire admonester et bannir leurs ennemis. Ces demandes, bien que déshonorantes et dangereuses pour la république, furent accordées immédiatement; crainte de pire, par les prieurs, les collèges et le conseil du peuple. Mais pour qu’elles eussent force de loi, il fallait encore l’approbation du conseil de la commune ; et comme on ne pouvait réunir deux conseils le même jour, on dut remettre la chose au lendemain. Néanmoins les arts et la plèbe parurent satisfaits et promirent qu’une fois la loi achevée, il n’y aurait plus aucun désordre.

Le matin venu, pendant que le conseil de la commune délibérait, la multitude impatiente et versatile vint sur la place avec ses étendards accoutumés et avec des cris si perçants et si effroyables que le conseil et les prieurs en furent épouvantés. Aussi Guerriante Marignoli, un des prieurs, sur qui la peur agissait plus violemment qu’aucune autre émotion, sortit sous prétexte de garder la porte d’en bas et s’enfuit chez lui. Il ne put si bien se cacher en sortant qu’il ne fût reconnu par la foule; on ne lui fit aucun mal, mais la multitude, en le voyant, se mit à crier que tous les prieurs devaient abandonner le palais, sans quoi leurs fils seraient égorgés et leurs maisons brûlées. Cependant la loi avait été adoptée et les prieurs s’étaient retirés dans leurs chambres ; les membres du conseil étaient descendus et, sans sortir, restaient dans la galerie et la cour, désespérant du salut de la cité en voyant si peu de sentiments d’honneur dans la multitude et tant de malignité ou tant de frayeur chez ceux qui auraient pu soit la contenir, soit l’écraser. Le trouble régnait aussi parmi les prieurs, incertains du salut de la patrie, abandonnés par un des leurs, et à qui aucun citoyen ne donnait de secours ni même de conseils. Tandis qu’ils se tenaient ainsi, sans savoir ce qu’ils pouvaient et ce qu’ils devaient faire, Tommaso Strozzi et Benedetto Alberti, soit qu’ils fussent poussés par l’ambition personnelle et pour rester les maîtres du palais, soit qu’ils crussent que c’était le meilleur parti à prendre, les engagèrent à céder à la poussée populaire et à rentrer dans leurs maisons comme de simples particuliers. Devant un pareil conseil, donné par ceux qui avaient été les chefs de l’insurrection, Alamanno Acciaioli et Niccolo del Bene, deux prieurs, s’indignèrent, bien que les autres prieurs fussent disposés à s’y conformer ; et, reprenant un peu de vigueur, ils dirent que, si les autres voulaient partir, ils ne pouvaient s’y opposer, mais que, pour eux, ils ne voulaient pas renoncer à leur autorité avant que le moment en fût venu, à moins de perdre en même temps la vie. Ces désaccords redoublèrent la frayeur des prieurs et la colère du peuple ; enfin le gonfalonier, préférant terminer sa magistrature honteusement plutôt qu’avec péril, se mit sous la protection de Tommaso Strozzi qui le fit sortir du palais et le conduisit chez lui. Les autres prieurs s’en allèrent ensuite de la même manière l’un après l’autre ; et Alamanno et Niccolo, pour ne pas être regardés comme étant plutôt courageux que sages, se retirèrent à leur tour quand ils se virent seuls. Le palais restait donc entre les mains de la plèbe et aussi des huit de la guerre , qui n’avaient pas encore déposé leurs pouvoirs.

Au moment où la plèbe entra dans le palais, celui qui tenait en main l’étendard du gonfalonier de justice était un certain Michele di Lando, peigneur de laine. Celui-ci, nu-pieds et à peine vêtu, monta l’escalier avec toute la foule ; et quand il fut à la salle d’audience des prieurs, il s’arrêta, se tourna vers la multitude et dit : « Vous voyez que ce palais est à vous et que la cité est entre vos mains. Que voulez-vous faire à présent ? » À quoi tous répondirent qu’il fût gonfalonier et seigneur, et les gouvernât, eux et la cité, comme bon lui semblerait. Michele accepta la seigneurie ; et comme c’était un homme sage et prudent, qui devait plus à la nature qu’à la fortune, il résolut d’apaiser la cité et de mettre fin aux désordres. Pour occuper le peuple et se donner le temps de prendre ses mesures, il donna ordre de chercher un certain Nuto, qui avait été désigné comme chef de la police par Lapo da Castiglionchio. La plupart de ceux qui l’entouraient allèrent exécuter cet ordre. Et, pour inaugurer par un acte de justice le pouvoir qu’il avait acquis par la faveur, il fit interdire publiquement vols et incendies. Pour épouvanter tout le monde, il fit élever un gibet sur la place. Puis, pour commencer la réforme de l’État, il destitue les syndics des arts, en nomme de nouveaux, prive les prieurs et les collèges de leurs charges... Cependant Nuto était porté sur la place par la multitude ; on le pend au gibet par un pied ; et chacun de ceux qui l’entourent ayant arraché un lambeau de son corps, il n’en reste bientôt plus que le pied. Les huit de la guerre, d’autre part, croyant que le départ des prieurs les faisait maîtres de la cité, avaient déjà nommé de nouveaux prieurs. Michele, se doutant de la chose, leur fit dire de quitter immédiatement le palais, ajoutant qu’il voulait montrer à tout le monde qu’il était capable de gouverner Florence sans leur conseil. Il fit ensuite réunir les syndics des arts et nomma les prieurs, dont il prit quatre dans la basse plèbe, deux dans les arts majeurs et deux dans les arts mineurs. Il organisa en outre un nouveau scrutin et divisa le pouvoir d’État en trois parts, dont l’une devait échoir aux arts nouveaux, la seconde aux arts mineurs, la troisième aux arts majeurs. Il accorda à Salvestro de Medici le revenu des boutiques du Vieux-Pont, prit pour lui le podestat d’Empoli et fit bien d’autres faveurs à bien d’autres citoyens amis de la plèbe, non pas tant pour les récompenser de leurs services que pour s’en faire des défenseurs contre les envieux.

Il parut à la plèbe que Michele, en réformant l’État, avait trop bien partagé la haute bourgeoisie ; elle ne pensa pas avoir une part du pouvoir assez grande pour être en mesure de la conserver et de se défendre ; si bien qu’avec son audace accoutumée elle reprit soudain les armes, descendit en tumulte sur la place derrière ses étendards et demanda que les prieurs se rendissent à la salle des audiences pour délibérer à nouveau sur les mesures à prendre pour la sécurité et le bien de la plèbe. Michele, voyant leur arrogance et ne voulant pas augmenter leur colère, ne fit guère attention à ce qu’ils réclamaient, et, blâmant simplement la manière dont ils présentaient leurs demandes, les engagea à déposer les armes ; ils obtiendraient en ce cas ce que la dignité des prieurs ne permettait point que l’on accordât à la violence. Cette réponse fit que la multitude, indignée contre le palais, se retira à Santa Maria Novella ; et là ils nommèrent huit chefs pris parmi les leurs, ainsi que des ministres, et créèrent encore d’autres dignités qui leur semblaient propres à attirer la considération et le respect. Ainsi l’État avait deux sièges et la cité deux gouvernements distincts. Ces chefs décidèrent que huit délégués, choisis par les arts qui participaient au mouvement, habiteraient au palais avec les prieurs et que toutes les décisions prises par les prieurs devraient être confirmées par eux. Ils enlevèrent à Salvestro de Medici et à Michele di Lando tout ce que la plèbe, par ses décisions précédentes, leur avait accordé. Ils donnèrent à un grand nombre des leurs des fonctions et des pensions, pour leur permettre de soutenir leur rang avec dignité. Une fois ces décisions prises, ils voulurent leur faire donner force de loi, et ils envoyèrent deux d’entre eux aux prieurs pour leur demander de faire confirmer ces décisions par les conseils, avec le dessein d’arracher cette confirmation par la force s’ils ne pouvaient l’obtenir de bon gré. Ces envoyés remplirent leur mandat en présence des prieurs avec une grande audace et une présomption plus grande encore, en reprochant au gonfalonier la dignité que la plèbe lui avait donnée, les honneurs qu’elle lui avait accordés, et l’ingratitude et le manque de respect dont il faisait preuve à son égard. Et comme ils en étaient venus, à la fin de leur discours, à des menaces, Michele ne put supporter plus longtemps tant d’arrogance ; se souvenant plutôt du rang qu’il occupait que de la bassesse de sa condition, il jugea bon de réprimer par des moyens extraordinaires une insolence extraordinaire et, tirant l’épée qu’il portait au côté, il les blessa grièvement ; après quoi il les fit lier et mettre en prison.

Cette action, quand elle fut connue, souleva de fureur la multitude. Celle-ci, croyant qu’elle pourrait conquérir par les armes ce qu’elle n’avait pu obtenir désarmée, prit les armes avec rage et en tumulte et se mit en marche pour arracher l’assentiment des prieurs de vive force. Michele, de son côté, se doutant qu’ils allaient arriver, décida de les prévenir, pensant qu’il y aurait plus de gloire pour lui à attaquer le premier qu’à demeurer chez lui pour attendre l’ennemi, et se voir ensuite forcé, comme ses prédécesseurs, de déshonorer le palais et de se couvrir lui-même de honte en prenant la fuite. Il rassembla donc un grand nombre de citoyens, à savoir ceux qui avaient déjà commencé à se repentir de leur erreur, monta à cheval et, suivi de beaucoup d’hommes armés, marcha sur Santa Maria Novella pour combattre la plèbe. Celle-ci, qui avait, comme nous l’avons dit, pris une décision semblable, était partie elle aussi, presque au même moment que Michele, pour se rendre sur la place. Le hasard fit qu’ils ne prirent pas le même chemin et ne se rencontrèrent pas en route. Alors Michèle, revenant sur ses pas, trouva la place occupée par la plèbe qui était en traite d’attaquer le palais. Il engagea le combat contre eux, les vainquit, en chassa une partie de la ville et contraignit les autres à déposer les armes et à se cacher. Cette victoire fut obtenue, et l’ordre rétabli, par le seul mérite du gonfalonier... S’il avait eu un caractère pervers ou ambitieux, la République aurait entièrement perdu la liberté et serait tombée sous une tyrannie pire que celle du duc d’Athènes. Mais la prudence de Michele, et sa vertu qui ne laissait venir à son esprit aucune pensée qui fût contraire au bien général, firent qu’il conduisit l’affaire de manière à se faire suivre d’un grand nombre des gens de son parti et à pouvoir dompter les autres par les armes. Il inspira ainsi de la frayeur à la plèbe et du repentir aux meilleurs artisans; ceux-ci comprirent quelle honte il y aurait pour eux, qui avaient dompté l’orgueil des grands, à supporter le joug de la plèbe.

(La Critique sociale, n°11 mars 1934.)

Lire ensuite sur la révolte des Ciompi

Lire encore sur la révolte des Ciompi

Toujours à propos des Ciompi

Sur les Ciompi : Transcription de la chronique de Pagolo di Ser Guido, cimatore

Machiavel et les Ciompi

The ‘Ciompi Revolution’ Constructed

La révolution sociale à Florence

D’autres mouvements populaires au Moyen Age :

Thomas Münzer et la guerre des paysans

Révolution des cantons suisses

L’élan révolutionnaire des municipales

Révoltes et révolutions en Europe au XIVe et XVe siècles

Vie et mort des Ciompi de Sienne

International Socialism, July 1978

Norah Carlin

Medieval Workers and the Permanent Revolution

The existence of workers’ struggles in the Middle Ages is rarely recognised by Marxists. [1] This is a pity, because interesting and often heroic struggles which ought to be part of our tradition have been suppressed. Who now has heard of the Matins of Bruges, the Ciompi, or the workers of Provins who lynched the mayor when he ordered an extension of the working day?

In addition, the suppression of this bit of working-class history has meant theoretical and political distortion of the rise of the bourgeoisie and the theory of permanent revolution. The idea that during a bourgeois revolution the working class must not suspend its own struggles against capitalist exploitation, and may even go on to the first stages of a proletarian revolution, was developed by Marx from 1850 on, despite his initial hesitation in the German revolution of 1848. [2] As early as 1843 he had recognised the germs of proletarian revolution in the Sansculotte movement during the French Revolution of 1789–94. [3]

The crucial importance of the theory of permanent revolution was shown in Russia in 1917, when the working class under the leadership of Lenin and Trotsky transformed the half-hearted bourgeois revolution of February into the proletarian revolution of October.

But when a similar situation arose in China in 1925–7, the new Stalinist leadership of the Communist International reversed the theory and insisted that China was ripe only for a bourgeois revolution, pushing the Chinese Communist Party (with their own willing co-operation) into a suicidal alliance with the nationalist Kuomintang. [4] Since then, the situation has arisen again and again, and the same problem posed: in the absence of the material conditions for a socialist society, should the working class support Progressive nationalist’ forces (the nationalist bourgeoisie, new bureaucratic parties, army dictatorships, etc.) or should they struggle against capitalism for a socialist revolution? [5]

An examination of the relationship of workers to the rise of the bourgeoisie in medieval western Europe pushes this problem to its extreme. The bourgeoisie had been only partially successful in revolutionising its own existence, taking over only the cities rather than the whole of society. The material conditions for a socialist society were altogether absent, and there was no revolutionary theory save the millenarian fantasies of some popular heretics. [6] Many of the struggles which took place were confused, involving self-appointed popular leaders from the ruling elite, or guild loyalties which had little or nothing to do with the working class as such.

What is remarkable is that even in this situation there emerges a clear tradition of working class, anti-capitalist struggle which on occasion reached revolutionary dimensions. From the birth of capitalism, the working class opposed its own exploitation, whatever the consequences and however remote the possibility of building an alternative society.

I. Capitalist Manufacture in Feudal Society

The very existence of the working class in feudal society is commonly denied or ignored. It was a society based primarily on agriculture, and most non-agricultural production was carried out by independent craftsmen for a local market only. In small towns and villages everywhere there were artisans who owned their own tools, sold their own products direct to the local and familiar consumer, and came together in guilds for their mutual protection. Each artisan served his time as an apprentice, worked for some years as a journeyman (wage-earner), then set up as a master craftsman himself, employing a few journeymen and apprentices.

But from the late eleventh century onwards, certain towns in Flanders (parts of modern Belgium and France) began to specialise in the mass production of woollen cloth for a wider market, and this led to the growth of a system of manufacture in which the workers were no longer independent craftsmen. Though the skilled workers, such as weavers and dyers, sometimes owned their looms or workshops and employed a few journeymen, they were producing piece-work for large employers who supplied the raw materials and controlled absolutely the sale of the finished product. At the same time there were other, less skilled workers – sorters, washers and carders of wool, stretchers and shearers of the finished cloth – who worked in the large employers’ sheds and workshops . All these workers were producing surplus value at a high rate for capitalists who invested very little in machinery, but because of their monopoly of the market and control of the town corporations were able to pay subsistence wages to a dependent labour force.

In the Flemish textile towns of the thirteenth century, the corporations of rich drapers regulated wages and working conditions. Church bells rang the hours like modern factory hooters, lunchbreaks included; by-laws obliged clothworkers to work by an open door or window, and the drapers’ inspectors patrolled the town in search of idling workers and poor quality work. Workers were supposed to be paid in cash on Saturday evenings, but the truck system and withholding of wages for debt were common. [7]

Where Flanders led, Italy followed, and by the fourteenth century Florence was the major manufacturing town. Weavers there were even more dependent on the merchant clothiers’ guild (the Arte della Lana) than their Flemish counterparts. They were often heavily in debt to the employers, and pledged their looms as security for further loans: the famous painter Giotto was among those who invested their wealth in loans to weavers at 120% interest. The Arte della Lana bought up individual craftsmen’s workshops till it became the owner of most of the stretching and fulling workshops in the city. Craftsmen to whom work was put out were strictly controlled: the penalty for cheating on the quality of a particularly luxurious dye was a £105 fine or the loss of the dyer’s right hand. [8]

Outside Flanders and Italy, the development of capitalist manufacture was less concertrated, though certain English towns in the thirteenth century resembled the Flemish and Italian towns in the intensity of their cloth manufacture and the social conditions in which it was carried out. [9] In many towns throughout Europe, however, the growth of capitalism took a different form: the guilds ceased to be associations of equals, and were divided into a dominant master class and a wage-earning journeyman class. [10]

Independent organisations of the wage-earners were regarded with suspicion by employers everywhere, and often forbidden. The guild organisation allowed for skilled workers in thirteenth-century Flanders was strictly subordinate to the drapers’ guilds, though it soon escaped their control in practice. In Italy even skilled workers were usually not allowed to form guilds. In Florence in 1345 Ciuto Brandini, who tried to organise the wool-carders (Ciompi) and held public meetings, was put to death – the law forbade gatherings of more than six clothworkers, even for religious purposes. [11]

Despite legislation against workers’ associations and strikes, they happened, and when they happened were all the more likely to lead to violence. In Germany in the fourteenth and fifteenth centuries journeymen’s associations spread, and inter-city confederations were formed in some trades to fight blacklisting and scabbing. In 1329 the journeymen curriers (leatherdressers) of Breslau resolved to strike for a year for higher wages, and were locked out by the employers. At Douai a series of strikes and combinations from 1245 on led to street-fighting and a social revolution in 1280. At Ypres in 1280 the workers’ guilds called in their members from outlying villages and armed them. Inflation produced by royal currency manipulation in France in 1306–7 led to strikes for higher wages combined with rent strikes in Paris. When the mayor of Provins in 1281 tried to split the masters’ and workers’ opposition to increased taxation by adding an hour to the working day, the workers hanged him and burned his house down. A rise in the price of food in Siena in 1371 led to an illegal combination of weavers for higher wages: they went on to pillage the houses of rich citizens. [12] The public order problem created by capitalism in medieval cities was immense, and undoubtedly one of the reasons why the bourgeoisie began to turn to the absolute monarchy for protection.

II. Democracy in the Cities

In the twelfth and thirteenth centuries, the urban communities of Flanders and Italy, and to some extent France, were fighting for freedom from control by feudal lords and bishops. This was a popular struggle, in which all classes of towns people were frequently involved. The result, however, was not a popular democracy but control by a narrow elite of the merchant and employing class. The various electoral systems of these cities in the thirteenth century have been described as ‘a very complicated machine for a very simple result’: the maintenance of a few families in permanent power. [13]

In Flanders, it was usually the drapers who came to power as a result of struggles involving all the guilds. In Florence it was the popolo grasso (the fat, the rich) who benefited from the struggle against the urbanised nobility in the thirteenth century, while among the popolo minuto (the ‘little men’) the lesser guilds enjoyed only a small share in power and the unorganised workers were left out in the cold altogether.

There was thus plenty of scope for democratic agitation against the ruling elite of the bourgeoisie. Such agitation involved the traditional artisans’ guilds – since local crafts still existed along side the capitalist manufactures – as well as the dependent workers. Though not sharing the class position or economic interests of the textile workers, the artisans were for the most part anti-capitalist. They resented political control by manufacturers profiting from the international market they did not share, and were alarmed by the increasing gulf between rich and poor. Most of the occasions for democratic revolt had a class content: corruption in city government, inequitable taxation (the rich manufacturers preferring indirect taxation, which hit the poor, to any kind of income tax) and food shortages in which the rich were accused of hoarding and of refusing to use their wealth to save their fellow-citizens from starvation.

In France and England in the fourteenth century, changing economic conditions in agriculture fanned the flames of peasant revolt, and there was a link-up between workers’ struggles, peasant rebellion and criticism of royal government by sections of the bourgeoisie and nobility. In the English Peasants’ Revolt of 1381 there was a strong element of protest by both urban and rural workers against the royal policy of wage regulation which had attempted to keep down wages since the Black Death in mid-century. [14]

But it was in Flanders and Italy that the democratic struggle led most clearly to workers’ revolt, and it is to these that we must turn.

III. Workers’ Revolution in Flanders and Italy
(i) Flanders

The democratic struggle in Flanders from the early thirteenth century was dominated by the clothworkers. At Valenciennes in 1225, the weavers and fullers took the opportunity of the confusion surrounding the appearance of the supposedly resurrected Count Baldwin to depose the town council, seize the wealth of the rich and declare a commune. There were outbreaks of revolt against town elites at Liege in 1253, Dinant in 1255 and Huy in 1299. A conspiracy of weavers and fullers against the sheriffs of Ghent in 1274 led to severe repression and the flight of many workers into neighbouring Brabant. In 1280 democratic revolts broke out in almost all the Flemish towns: at Douai the occasion was the imposition of a new and unpopular tax, at Ypres and Bruges the demands were publication of city accounts and a share in the magistrature for craftsmen and clothworkers. [15]

Some of these democratic revolts had called on the Count of Flanders for help, though in the event this did them no good and they were not saved from further repression following 1280. The response of the Flemish bourgeoisie was to call in on their side the King of France, who invaded Flanders in 1300. Resistance to the French invaders was led by the workers of Bruges under their leader ‘King Peter’, a weaver. Following a massacre of French troops in Bruges by the workers (the ‘Matins of Bruges’).The revolt spread to other towns and at the Battle of Courtrai an army of clothworkers and artisans armed with pikes defeated the cream of the French feudal nobility. [16] The success of the clothworkers against the French gained recognition for their guilds in city government, but they continued to fight against economic domination by the drapers as well. In the course of the fourteenth century the weavers came to power in most Flemish textile towns and increasingly took over the organisation of their own production through the guild mechanism. Their victory was unfortunately dissipated in conflicts with other guilds such as the fullers’, in inter-city rivalry and in involvement with ambitious leaders taking advantage of the political situation resulting from the Hundred Years’ War. But the guilds in this period seem to have been genuine workers’ associations, concerned for their journeymen members’ wage rates and providing social benefits. [17]

By the fifteenth century, however, the master craftsmen in the Flemish guilds had taken over the drapers’ former role – they had themselves become employers, restricting the rights of journeymen members and raising the price of apprenticeship. The struggle for ‘workers’ control’ in the only form medieval workers could conceive it – individual artisan rights and guild power – had resulted in the growth of a new employing class from their own ranks, as had happened in so many other guilds elsewhere. The drapers, meanwhile, had discovered that unorganised rural labour was cheaper in conditions of increased competition with the English cloth trade, and had moved their activities out of the towns. [18]

(ii) Florence

In Florence, the defeat of the workers’ attempts to organise in the 1340s was followed by a period of comparative quiescence, during which the popolo minuto gave their support to a power-sharing regime in which the leaders of the lesser guilds participated. But by 1378 a series of plagues, famines, wars and trading difficulties had undermined the regime, and an outbreak of factional conflict among the magnates threatened all classes.

The revolution which broke out in June 1378 was at first led by the lesser guildsmen, who burned down the palaces of the most objectionable magnates and set up a new government. But the Ciompi (wool-carders and other unskilled workers) eagerly joined in, and their leader, Michele di Lando, played a prominent part in the revolutionary regime. The cloth-workers wanted above all to be freed from their old enemy, the Arte delta Lana. ‘They were,’ one of them confessed under torture, ‘badly treated by the officials of the guild, who punished them for trifles, and by the employers who paid them badly. For a piece of cloth worth twelve soldi they give eight.’ (An indication of the rate of surplus value?)

Three new guilds were created for the unorganised workers and given a place in city government, and reforms were made in the electoral and financial systems. But during July and August the new leaders showed their conservatism: the basic social structure was not changed, the new leaders took on old titles, and Michele di Lando was accused of having sold himself to the rich for a few hundred florins and a suit of noble armour.

The aspirations of the Ciompi grew more radical and egalitarian. ‘We will turn the city upside down; we will kill and despoil the rich men who have despised us; we shall become masters of the city; we shall govern it as we like and we shall be rich,’ are among their recorded remarks.

On 31 August the disappointed Ciompi rose up against the new regime they had helped to establish, and in a terrible day of bloodshed were driven through the streets of Florence by magnates, bourgeois and lesser guildsmen, with the notoriously savage butchers’ guild in the lead.

In the Tumult of the Ciompi, the working class had broken with the democratic revolution, and been bitterly defeated. In the next century, the Italian Renaissance was built up in Florence by an increasingly conservative bourgeoisie who had glimpsed proletarian revolution and preferred oligarchy, the rule of the Medici, and even a flight from trade and manufacture, to that fate. [19]

IV. The Hussites and Historical Necessity

The last great revolution of the Middle Ages in which workers played a leading role was the Hussite rising in Bohemia, which was at one and the same time a religious movement foreshadowing Protestantism, a nationalist revolt of the Czechs against the ruling German minority, and a movement of social protest.

A movement for reform of the Church in Bohemia developed from the 1390s around the figures of Jan Hus and a number of Prague radical preachers. After the execution of Hus by the Catholic Council of Constance in 1415, the university and the burghers of Prague were frightened back into the ‘moderate’ camp and the strongest supporters of reform became the poor of the working-class parishes, where 40% of the population were classified as ‘indigent’.

In 1419–20 the radical preachers led their persecuted followers out of Prague and other towns, together with peasant pilgrims from the surrounding countryside, to found a new society which they called Mount Tabor. Their ideas were chiliastic – they expected the coming of the Kingdom of God on earth, and they expected that kingdom to be a society without private property and exploitation. Private property was abolished among the Taborites and a ‘common chest’ set up.

But the fight of the Taborites against the combined German and Czech supporters of King Sigismund led to the rise of military leaders in their midst, and the triumph of those few craftsmen, burghers and petty nobles who had joined them. Private property was restored, and within a few years tribute was being demanded from the surrounding peasantry who had at first hoped to be relieved of feudal burdens.

The Taborites’ most famous military leader was Jan Zizka, the son of a small Bohemian squire, ex-brigand and former courtier. He crowned his success with the elimination of the most radical groups within Tabor: the followers of Martin Huska, who adhered to the ideal of apostolic poverty; and the Adamites, who set up a revolutionary commune outside Tabor (where their enemies say they renounced clothing and practised free love) and were massacred by Zizka’s troops. [20]

Zizka became, and has remained, a Czech national hero. He has been celebrated as such by Czech historians especially since the ‘revolution’ of 1948, who in trying to combine nationalism with lip-service to Marxism have called upon the concept of ‘historical necessity’. Their use of this concept brings us back to the problem of Marxism and the permanent revolution, for it has been used by ‘Marxists’ of the Stalinist school to justify what others might call historic betrayals, as in China in 1927.

According to these historians, Zizka was right to murder the Taborite radicals because the time was ripe for bourgeois nationalist, and not for proletarian socialist revolution. The historic role of the Taborites was to create the conditions for bourgeois revolution, to ‘shed their blood in the political and class interests of the burghers and lesser nobility’. The radicals ‘had no idea of the social process and they anticipated history by hundreds of years.’ Zizka’s action against the revolutionary poor was ‘unavoidable ... He kept in mind the interests of the whole revolutionary movement.’ [21] Huska and the Adamites failed to appreciate that: ‘The solution to the problem – the political party – could only be realised after the overthrow of feudal society.’ [22]

The contortions of ‘Marxist’ historians on the Hussites are paralleled by their gyrations around the history of the German Peasants’ Revolt a hundred years later. [23] The fact that bourgeois revolutions had yet to occur in Bohemia or Germany for a few hundred years after these events is a minor worry but not a serious obstacle to such analyses. The first thinker to suggest that if the German bourgeoisie could not bring itself to make its own revolution then the working class must go ahead and make an anti-capitalist revolution, was Marx in 1850.

It can hardly be denied that the material conditions for the realisation of a socialist society did not exist in fifteenth-century Bohemia or sixteenth-century Germany. But is it valid to distort and deny the struggles of workers and peasants against their exploiters in the name of historical necessity? The concept appears useful only to those who wish to bludgeon present-day workers into giving up their own struggles.

V. From Manufacture to Modern Capitalism

Medieval manufacture was different in important ways from the capitalist mode of production which emerged during the industrial revolution. Medieval capitalists increased the rate of surplus value they extracted from workers, not by transforming methods of production and introducing new machinery so as to reduce the socially necessary labour time, but simply by using their position of power in the towns to increase the hours and intensity of labour and to drive wages down to the minimum subsistence level.

The expansion of capitalism was also limited in this period by the fact that the towns were as yet only enclaves in feudal society, and depended on feudal agriculture for raw materials, the supply of labour, and markets for their products. There had to be at least the beginning of a breakthrough into capitalist agriculture before capitalism could dominate society as a whole. [24]

But it is clear that the expansion of capitalist manufacture was also limited by the resistance of the workers. The intensity of workers’ struggles in the middle ages drove the bourgeoisie almost to despair. In the sixteenth century many prosperous townsmen sought other outlets for their wealth and energies: landownership in its traditional feudal form, office-holding in the service of absolute monarchies, and the purchase of titles of nobility. [25] The high profits to be made from ‘international trade, plantation slavery in the colonies, and investment in government stocks and bonds in the seventeenth century were other ways of avoiding head-on confrontation with the working class in the struggle for surplus value.

In many places, manufacture moved out of the towns into the countryside, where the employers recruited unemployed and underemployed agricultural labour into the production of textiles, metalwares and other goods. This was easier and cheaper because rural workers often had access to plots of land and common rights which provided them with a partial subsistence, and rural conditions made workers’ organisation more difficult.

But in England, where rural manufacture was most widespread and successful, there was also a strong tradition of resistance to capitalism and wage-slavery. The mass of literary evidence for such attitudes has been taken as proof that the working class, as a class, did not exist in England before the late eighteenth century. [26] But the political evidence, from journeymen Levellers in the revolution of 1649 to the Corresponding Societies of the 1790s, suggests that traditional ‘artisan’ attitudes were a response by workers themselves to encroaching capitalism. [27]

It was in eighteenth-century England that the capitalist class turned to a new method of increasing surplus value, the revolution in technology. Recent inventions were taken up, new ones stimulated, and the workers driven out of domestic production into the factories – where labour discipline could also be intensified at the same time.

The traditional ‘artisan’ resistance to capitalism continued for a time to overlap with the new trade union movement, but the material basis for a new working-class consciousness had been laid. Collective production in the factories made it possible to conceive of collective production under workers’ control and the socialist transformation of society. The old conviction of the medieval heretics that private property – i.e. class society – was only a passing phase in the history of humanity now became more than a dream, it became a material possibility.

Conclusion

In 1946 the French Marxist Daniel Guerin published his interpretation of the popular movement in the French Revolution during the years 1792–1795, in which he argued that the germs of working-class revolution existed within the sans-culotte movement in Paris, in opposition to the pro-capitalist government of the Jacobins. Much of the opposition to his theory has been based on evidence that the working class in Paris fought alongside petty-bourgeois artisans and shopkeepers, and that their social ideas were of a traditional artisan kind – the limitation but not abolition of private property, a society of small producers, and so on. [28]

All the evidence of earlier workers’ struggles cited in this article should suggest that Guerin was right, that the germs of permanent revolution did exist within the French bourgeois revolution, and that this is not a new development but the culmination of a long tradition of anti-capitalist struggle by the pre-industrial working class. Before working-class consciousness in its modern, socialist form was possible, the ‘artisan’ aim of individual worker’s control was the commonest expression of the workers’ opposition to capitalism. From its birth in the middle ages, capitalism has carried within it the seeds of its own destruction, and to deny the permanent revolution is to deny our history as well as our theory.
Notes

1. P. Anderson, Lineages of the Absolutist State (London 1974), p. 155 (one sentence); B. Hindess and P.Q. Hirst, Pre-Capitalist Modes of Production (London 1975), no references. R. Brenner, The Origins of Capitalist Development: a Critique of Neo-Smithian Marxism, New Left Review 104 (1977) pp. 25–92, discusses manufacture but not the working class.

2. Karl Marx, The Revolutions of 1848, Political Writings, vol. 1 (Penguin Books 1973) ed. D. Fernbach, pp. 33–48

3. D. Guerin. La Lutte de Classes sous la Premiere Republique (2nd edn., Paris 1968) pp. 13–22.

4. H. Isaacs, The Tragedy of the Chinese Revolution (2nd revised edn., Stanford 1961).

5. T. Cliff, Permanent Revolution, International Socialism 12 and 61.

6. N. Cohn, The Pursuit of the Millenium (Paladin edn., 1970) pp. 53–88, 187–197. An unsympathetic treatment – Cohn argues Marxism is a form of collective delusion like medieval millenarianism. Many of the connections he makes between weavers and heresy are now disputed, but the thesis is valuable and the treatment could be turned on its head – there was a lot more sense in medieval heresy than Cohn allows.

7. H. Pirenne, Histoire de Belgique (3rd edn., Brussels 1909–22), vol. I, pp. 267–275. E. Carus-Wilson, The Woollen Industry, Cambridge Economic History of Europe, vol. li, pp. 372–387.

8. Ibid., pp. 387–398.

9. E. Carus-Wilson, Medieval Merchant Venturers (2nd edn., London 1967), pp. 211–238.

10. M. Mollat and P. Wolff, The Popular Revolutions of the Late Middle Ages (London 1973), pp. 47–249.

11. G.A. Brucker, Florentine Politics and Society 1343–1378, pp. 110–111.

12. Mollat & Wolff, op. cit., pp. 247–250, 93–94,47, 136–7. Pirenne, op. cit., vol. I, pp. 377, 380.

13. J. Lestocquoy, Les Villes de Flandres et d’ltalie sous le Gouvernement des Patriciens (Paris 1952), p. 70.

14. Mollat & Wolff, op. cit., pp. 165–208.

15. Pirenne, op.cit., vol. I, pp. 368–385. Mollat & Wolff, op. cit., pp. 44–46.

16. Pirenne, op. cit., vol. I, pp. 405–415, Mollatt & Wolff, op. cit., pp. 58–59.

17. Pirenne, op. cit., vol. II, pp. 55–74.

18. Ibid., pp. 416–450.

19. Mollat & Wolff, op. cit., pp. 142–161. G.A. Brucker, op. cit., pp. 363–396 – but this account breaks off before the events of August.

20. H. Kaminsky, A History of the Hussite Revolution (California 1967); J. Macek, The Hussite Movement in Bohemia (2nd edn., Prague 1958); E. Werner, Popular Ideologies in Late Medieval Europe: Taborite Chiliasm and its Antecedents, Comparative Studies in Society and History, II, pp. 344–363; N. Cohn, op. cit., pp. 205–222.

21. Macek, op. cit., pp. 52, 95.

22. Werner, op. cit., p. 363.

23. See A. Friesen, Reformation and Utopia (Wiesbaden 1974), pp. 181–205.

24. R. Brenner, op. cit.

25. F. Braudel, The Mediterranean and the Mediterranean World in the Age of Philip II (London 1973), vol. II, pp. 725–734 – the celebrated ‘defection of the bourgeoisie.’

26. C. Hill, Change and Continuity in Seventeenth-Century England, pp. 219–238.

27. M. James, Social Problems and Policy during the Puritan Revolution (London 1930) pp. 193–240. E. P. Thompson, The Making of the English Working Class (London 1965), p. 262.

28. A. Soboul. The Parisian Sans-Culottes and the French Revolution, 1793–4 (Cambridge 1964), G. Rude, The Crowd in the French Revolution (Oxford 1959).

Any message or comments?

pre-moderation

This forum is moderated before publication: your contribution will only appear after being validated by an administrator.

Who are you?
Your post

To create paragraphs, just leave blank lines.