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« Vous, marxistes révolutionnaires, n’avez donc aucune morale », nous dit un lecteur. A-t-il raison de dire le marxisme révolutionnaire amoral ?

samedi 25 avril 2015, par Robert Paris

« Vous, marxistes révolutionnaires, n’avez donc aucune morale », nous dit un lecteur. A-t-il raison de dire le marxisme révolutionnaire amoral ?

Marx, « Le Manifeste communiste » :

« Les lois, la morale, la religion sont à ses yeux autant de préjugés bourgeois derrière lesquels se cachent autant d’intérêts bourgeois…. Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. Lorsqu’on parle d’idées qui révolutionnent une société tout entière, on énonce seulement ce fait que, dans le sein de la vieille société, les éléments d’une société nouvelle se sont formés et que la dissolution des vieilles idées marche de pair avec la dissolution des anciennes conditions d’existence. (On nous oppose :) "Il y a de plus des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc., qui sont communes à tous les régimes sociaux. Or, le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion et la morale au lieu d’en renouveler la forme, et cela contredit tout le développement historique antérieur." A quoi se réduit cette accusation ? L’histoire de toute la société jusqu’à nos jours était faite d’antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes. Mais, quelle qu’ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l’exploitation d’une partie de la société par l’autre est un fait commun à tous les siècles passés. Donc, rien d’étonnant si la conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu’avec l’entière disparition de l’antagonisme des classes. La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété ; rien d’étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles. »

Marx, « La Sainte Famille » :

« La morale, c’est « l’impuissance mise en action ». Toutes les fois qu’elle s’attaque à un vice, elle a le dessous. »

Karl Marx, Friedrich Engels, « L’Idéologie allemande » :

« La morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie [...] n’ont pas ni histoire ni développement. [...] Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, c’est la vie qui détermine la conscience. »

Engels, « Anti-Dühring » :

« C’est pourquoi nous repoussons toute prétention de nous imposer quelque dogmatisme moral que ce soit comme loi éthique éternelle, définitive, désormais immuable, sous le prétexte que le monde moral a lui aussi ses principes permanents qui sont au-dessus de l’histoire et des différences nationales. Nous affirmons, au contraire, que toute théorie morale du passé est, en dernière analyse, le produit de la situation économique de la société de son temps. Et de même que la société a évolué jusqu’ici dans des oppositions de classes, la morale a été constamment une morale de classe ; ou bien elle justifiait la domination et les intérêts de la classe dominante, ou bien elle représentait, dès que la classe opprimée devenait assez puissante, la révolte contre cette domination et les intérêts d’avenir des opprimés. »

Engels, Préface à « Misère de la philosophie » de Karl Marx :

« D’après les lois de l’économie bourgeoise, la plus grande partie du produit n’appartient pas aux travailleurs qui l’ont créé. Si nous disons alors : c’est injuste, ce ne doit pas être, cela n’a rien à voir avec l’économie. Nous disons seulement que ce fait économique est en contradiction avec notre sentiment moral. C’est pourquoi Marx n’a jamais fondé là-dessus ses revendications communistes, mais bien sur la ruine nécessaire, qui se consomme sous nos yeux, tous les jours et de plus en plus, du mode de production capitaliste. Il se contente de dire que la plus-value se compose de travail non payé : c’est un fait pur et simple. Mais ce qui peut être formellement faux au point de vue économique, peut être encore exact au point de vue de l’histoire universelle. Si le sentiment moral de la masse regarde un fait économique, autrefois l’esclavage ou le servage, comme injuste, cela prouve que ce fait lui-même est une survivance ; que d’autres faits économiques se sont produits grâce auxquels le premier est devenu insupportable, insoutenable. Derrière l’inexactitude économique formelle peut donc se cacher un contenu économique très réel. Il serait déplacé ici de s’étendre davantage sur l’importance et l’histoire de la théorie de la plus-value. »

Marx, « Le Manifeste communiste » :

« Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de toutes les conditions sociales, cette insécurité et cette agitation perpétuelles distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Toutes les institutions traditionnelles et figées, avec leur cortège d’idées admises et de croyances vénérées, se dissolvent ; celles qui les remplacent deviennent caduques avant d’avoir pu s’ossifier. Tous les usages, anciens et nouveaux, se volatilisent, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés, enfin, de regarder d’un œil désabusé leurs positions dans la vie et leurs relations sociales... Les conditions d’existence de la vieille société sont déjà détruites dans les conditions d’existence du prolétariat. Le prolétaire est sans propriété ; ses relations avec sa femme et ses enfants n’ont plus rien de commun avec celles de la famille bourgeoise ; le travail industriel moderne, l’asservissement de l’ouvrier au capital, aussi bien en Angleterre qu’en France, en Amérique qu’en Allemagne, dépouillent le prolétaire de tout caractère national. Les lois, la morale, la religion sont à ses yeux autant de préjugés bourgeois derrière lesquels se cachent autant d’intérêts bourgeois. »

Marx dans « La sainte famille » :

« Voilà comme sont les moralistes, dit Fourier. Il faut être millionnaire pour pouvoir imiter leurs héros. La morale, c’est « l’impuissance mise en action ». Toutes les fois qu’elle s’attaque à un vice, elle a le dessous… Elle ne s’élève même pas au point de vue de la morale autonome, qui repose du moins sur la conscience de la dignité humaine. Sa morale repose, au contraire, sur la conscience de la faiblesse humaine. Il est la morale théologique. Les exploits qu’il accomplit avec ses idées fixes, ses idées chrétiennes, celles qui lui servent à jauger le monde : la « charité », le « dévouement », l’« abnégation », le « repentir », les « bons » et les « méchants », la « récompense » et la « punition », les « châtiments terribles », l’ « isolement », le « salut de l’âme », etc… »

Engels dans « AntiDühring » :

« L’art d’écrire avec des gloses morales,… des coups de bâtons comme moyens de torture et pénalités, appartient encore entièrement à l’époque pré-révolutionnaire. »

Trotsky dans « Leur morale et la nôtre » :

« On voit, dans les époques de réaction triomphante, MM. les démocrates, sociaux-démocrates, anarchistes et autres représentants de la gauche, sécréter de la morale en quantité double, de même que les gens transpirent davantage quand ils ont peur. Répétant à leur façon les dix commandements ou le sermon sur la montagne, ces moralistes s’adressent moins à la réaction triomphante qu’aux révolutionnaires traqués, dont les "excès" et les principes "amoraux" "provoquent" la réaction et lui fournissent une justification morale. Il y aurait cependant un moyen élémentaire, mais sûr, d’éviter la réaction : l’effort intérieur, la renaissance morale. Des échantillons de perfection éthique sont distribués gratuitement dans toutes les rédactions intéressées. Cette prédication aussi ampoulée que fausse a sa base sociale — de classe — dans la petite bourgeoisie intellectuelle. Sa base politique est dans l’impuissance et le désarroi devant la réaction. Base psychologique : le désir de surmonter sa propre inconsistance en se mettant une fausse barbe de prophète. »

« La révolution est elle-même le produit de la société divisée en classes dont elle porte nécessairement les marques. Du point de vue des "vérités éternelles" la révolution est naturellement "immorale". Ce qui nous apprend seulement que la morale idéaliste est contre-révolutionnaire, c’est-à-dire au service des exploiteurs. "Mais la guerre civile, — dira peut-être le philosophe, pris de court — est une pénible exception. En temps de paix, un mouvement socialiste sain doit se passer de mensonge et de violence." Ce n’est que piteuse dérobade. Il n’y a pas de frontières infranchissables entre la pacifique lutte des classes et la révolution. Chaque grève contient en germe tous les éléments de la guerre civile. Les deux partis en présence s’efforcent de se donner mutuellement une idée exagérée de leur degré de résolution et de leurs ressources. Grâce à leur presse, à leurs agents et à leurs mouchards, les capitalistes cherchent à intimider et démoraliser les grévistes. Lorsque la persuasion se révèle inopérante, les piquets de grève sont, de leur côté, réduits à recourir à la force. On voit ainsi que "le mensonge et pire encore" sont inséparables de la lutte des classes dès sa forme embryonnaire. Il reste à ajouter que les notions de vérité et de mensonge sont nées des contradictions sociales. »

« Il ne manque pas, parmi les libéraux et les radicaux, de gens ayant assimilé les méthodes matérialistes de l’interprétation des événements et qui se considèrent comme marxistes, ce qui ne les empêche pas de demeurer des journalistes, des professeurs ou des hommes politiques bourgeois. Le bolchevik ne se conçoit pas, cela va sans dire, sans méthode matérialiste, en morale comme ailleurs. Mais cette méthode ne lui sert pas seulement à interpréter les événements, elle lui sert aussi à former le parti révolutionnaire du prolétariat, tâche qui ne peut être accomplie que dans une indépendance complète à l’égard de la bourgeoisie et de sa morale. »

« La bourgeoisie, dont la conscience de classe est très supérieure, par sa plénitude et son intransigeance, à celle du prolétariat, a un intérêt vital à imposer "sa" morale aux classes exploitées. Les normes concrètes du catéchisme bourgeois sont camouflées à l’aide d’abstractions morales placées elles-mêmes sous l’égide de la religion, de la philosophie ou de cette chose hybride qu’on appelle le "bon sens". L’invocation des normes abstraites n’est pas une erreur désintéressée de la philosophie, mais un élément nécessaire du mécanisme de la lutte des classes. Faire ressortir cette duperie, dont la tradition remonte à des millénaires, est le premier devoir du révolutionnaire prolétarien. »

« Le marxiste révolutionnaire ne saurait aborder sa tâche historique sans avoir rompu moralement avec l’opinion publique de la bourgeoisie et de ses agents au sein du prolétariat. Cette rupture-là exige un courage moral d’un autre calibre que celui des gens qui vont criant dans les réunions publiques : "A bas Hitler, à bas Franco !" Et c’est justement cette rupture décisive, profondément réfléchie, irrévocable, des bolcheviks avec la morale conservatrice de la grande et aussi de la petite-bourgeoisie, qui cause une frayeur mortelle aux phraseurs de la démocratie, aux prophètes de salons, aux héros de couloirs. De là leurs lamentations sur l’"amoralisme" des bolcheviks. Leur façon d’identifier la morale bourgeoise avec la morale "en général" se vérifie sans doute le mieux à l’extrême gauche de la petite-bourgeoisie, plus précisément dans les partis centristes du Bureau Socialiste International dit de Londres. Cette organisation "admettant" le programme de la révolution prolétarienne, nos divergences de vues avec elle paraissent à première vue secondaires. A la vérité, son admission du programme révolutionnaire est sans valeur aucune car elle ne l’oblige à rien. Les centristes "admettent" la révolution prolétarienne comme les kantiens l’impératif catégorique, c’est-à-dire comme un principe sacré inapplicable dans la vie quotidienne. En politique pratique, ils s’unissent aux pires ennemis de la révolution, réformistes et staliniens, contre nous. Leur pensée est pénétrée de duplicité et d’hypocrisie. S’ils ne s’élèvent pas, en règle générale, à des crimes saisissants, c’est parce qu’ils demeurent toujours à l’arrière-plan de la politique : ce sont en quelque sorte les pickpockets de l’histoire, et c’est justement pourquoi ils se croient appelés à doter le mouvement ouvrier d’une nouvelle morale. »

L’un des exemples fameux d’une conception morale abstraite placée au dessus de la société est celle d’Aristote. Mais qu’est-ce que la morale d’un Aristote ? Un choix de classe !

« Il est évident qu’il y a par nature des gens qui sont libres, d’autres qui sont esclaves et que, pour ces derniers, demeurer dans l’esclavage est à la fois bienfaisant et juste. »

Aristote, « Politique »

Même pour Aristote, la morale est inscrite dans les coutumes de la société :

« La vertu morale est le produit de l’habitude. »

Aristote, Éthique à Nicomaque

Ce n’est pas Aristote qui contredira que la morale est politique puisque, pour lui, la politique est la fin de toute chose :

« Et puisque la Politique se sert des autres sciences pratiques et qu’en outre elle légifère sur ce qu’il faut faire et sur ce dont il faut s’abstenir, la fin de cette science englobera les fins des autres sciences ; d’où il résulte que la fin de la Politique sera le bien proprement humain Même si, en effet, il y a identité entre le bien de l’individu et celui de la cité, de toute façon c’est une tâche manifestement plus importante et plus parfaite d’appréhender et de sauvegarder le bien de la cité : carie bien est assurément aimable même pour un individu isolé, mais il est plus beau et plus divin appliqué à une nation ou à des cités.Voilà donc les buts de notre enquête, qui constitue une forme de politique. »

Pour Aristote, « Le juste est ce qui produit et conserve le bonheur et ses parties pour la communauté politique. »

Certains philosophes ne voient la politique que comme une morale :

« La politique, espèce de morale d’un genre particulier et supérieur, à laquelle les principes de la morale ordinaire ne peuvent quelquefois s’accommoder qu’avec beaucoup de finesse. »

Jean le Rond d’Alembert - 1717-1783 - Discours préliminaire à l’"Encyclopédie"

Certains philosophes n’emploient la morale que comme remplacement de la religion :

« Dieu n’est pas une substance extérieure mais une relation morale en nous. »

Emmanuel Kant

La morale n’est pas au dessus des normes correspondant au mode de production :

« En pays cannibale, le cannibalisme est moral. »

Samuel Butler

« Le fétichisme du monde capitaliste apparaît avec un relief singulier dans le domaine de ce qu’on appelle les normes morales ou l’ « éthique », dont les savants professeurs aiment par-dessus tout à disserter. Nous avons déjà expliqué que les Dormes éthiques sont des règles de conduite indispensables à la vie de la société, ou de la classe, ou du groupe professionnel, etc. Elles ont la signification de règles auxiliaires sociales indispensables. Cependant, dans la société fétichiste, cette signification humaine et sociale qu’elles ont n’est pas consciente. Au contraire, ces normes, c’est-à-dire ces règles techniques de conduite apparaissent comme un « devoir » suspendu sur les hommes comme une sorte de force extérieure, quasi divine, de contrainte : cet inévitable fétichisme éthique est très bien exprimé par le génial philosophe bourgeois Emmanuel Kant, dans sa théorie de l’ « impératif catégorique ». C’est d’une tout autre façon que le prolétariat doit voir la chose. Il ne peut pas se faire le héraut du fétichisme capitaliste. Pour lui, les normes de sa conduite sont des règles d’une même valeur technique que celles auxquelles obéit le menuisier pour faire un tabouret. Quand le menuisier veut faire un tabouret, il rabote, il scie, il assemble, etc. Cela découle du processus même de son travail. Il ne va pas s’occuper des règles de préparation du bois, ou de quoi que ce soit d’étranger à lui, pris dans un domaine autre que le sien. De même le prolétariat dans sa lutte sociale. S’il veut conquérir le communisme, il lui faut faire ceci et ceci, exactement comme le menuisier qui veut faire un tabouret. Et tout ce qui est conforme avec ce but doit être fait. L’ « éthique » se transforme peu à peu pour le prolétariat en simples règles techniques de conduite, facilement compréhensibles et nécessaires pour arriver au communisme qui, ainsi, cessent d’être une éthique. Car c’est l’essence même de l’éthique d’être un ensemble de règles dissimulées sous une enveloppe fétichiste. Le fétichisme est l’essence de l’éthique. Là où disparaît ce fétichisme, l’éthique disparaît aussi. Il ne viendra par exemple à l’esprit de personne de qualifier le statut d’une coopérative ou d’un parti d’ « éthique » ou de « moral ». Ceci parce qu’en ce cas, chacun saisit le sens humain de ce statut. L’éthique, elle, suppose un brouillard fétichiste, où plus d’un perd sa route. Ainsi le prolétariat a besoin de normes de conduite et très précises, mais il n’a nul besoin d’ « éthique », c’est-à-dire de sauce fétichiste pour un mets utile. Il va de soi que le prolétariat lui-même ne se libérera pas d’un seul coup du fétichisme de la société mercantile dans laquelle il vit. Mais c’est là une autre question. Le fétichisme de l’idéologie capitaliste-mercantile se combine avec le principe du « rang », et ces deux principes constitutifs fondamentaux constituent le pivot du mode de représentation capitaliste, le cadre dans lequel s’insère son contenu idéologique. Ainsi la société capitaliste est, elle aussi, une espèce de société, avec des traits particuliers, caractéristiques, à tous les « étages » de la vie sociale, jusque et y comprises les plus hautes constructions idéologiques. Ainsi un type de structure économique suppose aussi un type de structure sociale et politique et un type de structure idéologique. La société a un « style » fondamental dans toutes les manifestations dominantes de sa vie. »

La théorie du matérialisme historique de N.I. Boukharine

Marx conçoit-il une morale ? Certes, Marx récuse l’existence de critères ahistoriques concernant un « homme en général », tout simplement parce qu’un tel homme n’existe que dans l’imagination des idéologues. La morale d’une société esclavagiste ne peut pas être la même que celle d’une société qui n’a jamais connu l’exploitation de l’homme par l’homme. Cependant, cela ne signifie pas que tout point de vue moral soit supprimé des thèses de Marx, c’est-à-dire tout critère normatif concernant l’homme et ses besoins de toutes sortes :

« La loi qui toujours équilibre le progrès de l’accumulation du capital et celui de la surpopulation relative ou de l’armée de réserve industrielle, rive le travailleur au capital plus solidement que les coins de Vulcain ne rivaient Prométhée à son rocher. C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. » (Marx, « Le Capital »)

Le point de vue de Marx est même plus moral que celui d’Aristote au sens que Aristote ne trouvait pas choquant de comparer un esclave avec un bœuf ou un « outil animé ». Marx est indigné, révolté contre la barbarie capitaliste ; il commence par là et finira sa vie avec cette révolte :

« L’homme est, pour l’homme, l’être suprême », d’où « l’impératif catégorique de bouleverser tous les rapports où l’homme est un être dégradé, asservi, abandonné, méprisable. »

Mais Marx ne considère pas que l’évolution d’une société soit d’abord soumise à ses conceptions idéologiques et à ses normes morales :
« Voici donc les faits : des individus déterminés qui ont une activité productive selon un mode déterminé entrent dans des rapports sociaux et politiques déterminés. Il faut que dans chaque cas isolé, l’observation empirique montre dans les faits, et sans aucune spéculation ni mystification, le lien entre la structure sociale et politique et la production. La structure sociale et l’État résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire, tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement ; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté. Les représentations que se font ces individus sont des idées soit sur leurs rapports avec la nature, soit sur leurs rapports entre eux, soit sur leur propre nature. Il est évident que, dans tous ces cas, ces représentations sont l’expression consciente réelle ou imaginaire de leurs rapports et de leur activité réels, de leur production, de leur commerce, de leur organisation politique et sociale. Il n’est possible d’émettre l’hypothèse inverse que si l’on suppose en dehors de l’esprit des individus réels, conditionnés matériellement, un autre esprit encore, un esprit particulier. Si l’expression consciente des conditions de vie réelles de ces individus est imaginaire, si, dans leurs représentations, ils mettent la réalité la tête en bas, ce phénomène est encore une conséquence de leur mode d’activité matériel borné et des rapports sociaux étriqués qui en résultent. La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l’émanation directe de leur comportement matériel. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu’elle se présente dans la langue de la politique, celle des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc. de tout un peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes réels, agissants, tels qu’ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et des rapports qui y correspondent, y compris les formes les plus larges que ceux-ci peuvent prendre. La conscience ne peut jamais être autre chose que l’être conscient et l’être des hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute l’idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera obscure, ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique. » (Lettre de Marx sur le matérialisme)

Joseph Dietzgen, lettre à Karl Marx du 24 octobre 1867 :

« Par morale, le monde entend les égards que l’homme a vis à vis de lui même et des autres hommes en vue d’assurer son propre salut. Le nombre et le degré de ces égards sont déterminés différemment selon les hommes et les milieux humains. Ce milieu une fois donné, la pensée ne peut que distinguer le général du droit particulier. Qu’est ce que la fin ? Qu’est ce que le moyen ? Au point de vue du salut abstrait de l’homme, tous les buts sont des moyens et, en ce sens, le principe « La fin justifie les moyens » est absolument valable. »

Commentaire de Karl Marx à Kugelman sur cette lettre :

« Engels a raison de noter que la philosophie autodidacte - pratiquée par des ouvriers a fait de grands progrès. »

« Au moment de la constitution des partis ouvriers en Allemagne et en France, Marx et Engels eurent l’occasion d’opposer leurs vues à celles d’intellectuels qui sous-estimaient les capacités révolutionnaires du prolétariat, et s’efforçaient de transformer le socialisme en une doctrine morale, pour gagner des partisans dans les « classes instruites et possédantes ». C’est ainsi qu’en 1879, dans une lettre circulaire, ils critiquèrent les intellectuels, en rappelant le Manifeste communiste : « ces individus, pour être utiles au mouvement prolétarien, doivent vraiment lui apporter des éléments constitutifs d’une valeur réelle », pratique ou théorique. Rappelant leur activité de presque quarante ans au service de la lutte de classes, levier de la révolution moderne, ils opposèrent la devise de l’auto-émancipation ouvrière à l’attitude de ceux qui, venus des rangs de la bourgeoisie, prétendaient que la « classe ouvrière par elle-même est incapable de s’affranchir » et qu’elle doit donc passer sous la direction de bourgeois instruits et aisés qui seuls ont l’occasion et le temps de se familiariser avec les intérêts des ouvriers. » écrit Maximilien Rubel dans "Remarques sur le concept de parti prolétarien chez Marx".

Comme Léon Trotsky le rappelait dans « Leur morale et la nôtre », la bourgeoisie et ses défenseurs idéologiques aiment bien accréditer l’idée que les révolutionnaires communistes et marxistes n’ont aucune morale ce qui, dans leur bouche, doit être traduit par sont prêts à tout pour gagner leur guerre de classe contre la classe capitaliste. S’il est exact que le matérialisme historique est un adversaire de la conception d’une morale placée au dessus de la société réelle, un adversaire aussi d’une morale prétendument universelle alors que la société est divisée en classes antagonistes dont les intérêts ne peuvent pas converger, un adversaire de l’idéalisme prétendant que la morale puisse déterminer en premier les comportements des hommes, un adversaire du moralisme qui n’est qu’une manière hypocrite de dénoncer les maux de la société capitaliste comme si cela provenait des défauts humains, il n’est pas exact pour autant que le marxisme soit associé à l’absence complète de toute morale. Tout d’abord, du moment que le marxisme affirme que la société humaine doit viser à libérer l’homme de toute exploitation et de toute oppression, cela signifie, en un sens bien particulier, une morale. L’affirmation selon laquelle les hommes doivent se libérer eux-mêmes en fondant leur action sur la conscience de la situation objective et la connaissance des lois de l’Histoire, cela suppose aussi une certaine conception morale, ce qui signifie que ce n’est pas n’importe quel type d’action qui est compatible avec de tels buts. Ainsi, la social-démocratie, le réformisme syndical et le stalinisme ne correspondent pas aux critères de Marx de l’action prolétarienne car le simple fait de prendre les prolétaires pour des moutons guidés par des bergers n’a rien à voir avec le marxisme. En un sens, notre critique des prétendus dirigeants du prolétariat a une signification morale, à condition de ne pas opposer cette morale aux buts politiques, aux buts sociaux, et à la lutte des classes. Dans la conception de l’action collective, non corporatiste, dépassant tous les clivages nationaux, sexuels, ethniques, religieux et autres, il y a également une conception que l’on peut, à juste titre, appeler morale. Si l’expression « tous les moyens sont bons » a été accolée au bolchevisme, cela n’est nullement exact. Même si la guerre civile en Russie a été une horreur comme toutes les guerres civiles, cela ne signifie nullement que les bolcheviks pouvaient y renoncer aux conceptions générales précédemment citées, par exemple à l’internationalisme, à la libération des exploités, des opprimés, des nationalités, des religions, des ethnies, renoncer à combattre les divisions entre les peuples. Ainsi, il n’était nullement possible, comme cela le sera sous le stalinisme, de cultiver le nationalisme russe, agir sans compter sur la conscience des larges masses, de pactiser avec l’adversaire impérialiste, de cesser de se fonder sur les masses elles-mêmes, sur leur conscience, sur leur organisation et sur leur action. Jamais, du vivant de Lénine, il n’a été question de vider les soviets de leur substance, d’ôter le pouvoir aux prolétaires, de combattre l’auto-organisation des travailleurs, de nuire à la conscience du caractère international de la révolution et de propager le mensonge du « socialisme dans un seul pays ». Oui, en un sens, on peut dire que l’amoralisme appartient au stalinisme tout autant qu’à la bourgeoisie car leur règne est celui de l’hypocrisie alors que le prolétariat au pouvoir n’a nul besoin de cacher derrière des prétendues morales universelles abstraites les vrais buts sociaux et politiques de leur classe et même tout intérêt à les dévoiler, à les diffuser et à les expliquer en clair. En se substituant au prolétariat révolutionnaire au pouvoir, la bureaucratie stalinienne a même été amenée à devenir, plus encore que la société bourgeoise, le règne du mensonge et donc le diffuseur d’une morale officielle la plus déconnectée de la réalité politique et sociale. C’est au nom du prolétariat et du communisme que cette bureaucratie a mené la politique la plus hostile aux deux. Elle a d’autant plus tendu à diffuser une idéologie moraliste prétendument révolutionnaire et prolétarienne qui s’opposait complètement aux véritables buts contre-révolutionnaires et anti-prolétariens de son action. Cela ne dédouane pas la bourgeoisie qui s’y entend aussi en matière d’hypocrisie avec ses prétendus idéaux de « liberté, égalité, fraternité », elle qui vise bien entendu à l’inverse de tout cela puisque c’est le règne de moins d’un pourcent de propriétaires de l’essentiel des richesses et fondant cela sur la mainmise sur le pouvoir d’Etat fondé sur les pires violences et les plus affreuses exactions, des guerres mondiales aux fascisme, en passant par les massacres de masse. Les idéologies religieuses ne valent pas plus cher, en matière de morale, que les idéologies politiques ou que celles diffusées par les académismes et les média. Les crimes cautionnés par les dirigeants religieux ne les empêchent nullement de propager des morales du type « tu ne tueras pas ». Le moralisme diffusé tous les jours au bon peuple est plein de mensonges quotidiens, justifiant les pires crimes par des buts affichés les plus purs. On ne cesse de bombarder et de terroriser les peuples en prétendant les libérer des dictatures et des terroristes. Le monde capitaliste moderne ne vaut pas, au plan moral, plus cher que celui des époques coloniales ou esclavagistes. Le monde actuel qui se prétend celui « des droits de l’homme », de l’organisation « de la communauté internationale », de la défense des hommes, des femmes et des enfants par la « justice internationale » n’a jamais autant été celui de la violence de classe à l’état pur, sans autre limite que l’intérêt des classes dirigeantes. Les pays qui affichent le plus le pouvoir du citoyen sont ceux où règne le plus pur pouvoir capitaliste, c’est-à-dire celui d’une infime minorité et même, celui abstrait et non humain, de l’intérêt du Capital. Il est certain que la critique implicite de Marx, notamment dans son ouvrage « Le Capital, consiste à dévoiler le fonctionnement anti-humain du capitalisme transformant les prolétaires en appendices de la machine, en moyens de développer la masse des capitaux par leur surtravail impayé, en obligeant les prolétaires à ne subsister qu’avec le minimum au pays de l’abondance et même de la surproduction, toute cette description fondée sur des bases d’une étude des conditions objectives indispensables au capitalisme, donne aussi une tonalité morale à la critique puisqu’elle démontre à quel point le capitalisme est incompatible avec une société fondée sur les intérêts et les buts de l’immense majorité de la population.

Engels, « AntiDühring »

Marx, « La sainte famille »

Trotsky, « Réponse à des questions de morale et d’Histoire »

Trotsky, « Leur morale et la nôtre »

Trotsky, « Moralistes et sycophantes
contre le Marxisme »

Sur la morale de Kant

Les moralistes religieux catholiques d’aujourd’hui

Et nous aujourd’hui

L’indignation morale ne s’attaque pas aux fondements de la tromperie sociale

Quelques contre-vérités antiscientifiques de l’idéologie morale que l’on nomme écologique

Fin du blabla moralisateur sur le travail

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