Accueil > 03 - Livre Trois : HISTOIRE > 4ème chapitre : Révolutions prolétariennes jusqu’à la deuxième guerre mondiale > Révolution dans l’empire austro-hongrois

Révolution dans l’empire austro-hongrois

samedi 13 février 2016, par Robert Paris

La milice ouvrière hongroise

L’armée rouge hongroise

Volontaires étrangers de l’armée rouge hongroise

L’amiral Horthy, chef de la contre-révolution sanglante, reçu à Budapest en novembre 1919

Compte-rendu écrit des réunions du « Conseil des Quatre », réunissant à Paris les représentants des grandes puissances impérialistes mondiales :

27 mars 1919

 Maréchal Foch : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. En ce qui concerne particulièrement la Roumanie, les mesures nécessaires sont prévues en détail pour envoyer à son armée les effets et équipements qui lui manquent. Cette armée sera placée sous le commandement d’un général français. Vienne sera occupée par des troupes alliées sous un commandement américain. (...) Nous sommes d’accord sur l’aide à donner à l’armée roumaine et sur l’évacuation d’Odessa, qui est liée à notre action en Roumanie. (...) Quant à l’idée d’opérer la jonction entre les forces polonaises et roumaines pour faire face à l’est, c’est le prélude d’une marche vers et cela nous conduit à la question d’une intervention militaire en Russie. Nous avons examiné cette question plus d’une fois et nous sommes chaque fois arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas penser à une intervention militaire. (...) L’évacuation d’Odessa est considérée comme le moyen de reporter des ressources, dont l’emploi à Odessa ne pouvait conduire à aucun résultat satisfaisant, sur la Roumanie pour compléter ses moyens de défense. (...)

Orlando (Italie) : Je demande la permission de lire deux télégrammes que nous recevons de notre commissaire italien à Vienne sur la situation. Le premier nous informe qu’on a reçu à Vienne une dépêche du gouvernement révolutionnaire de Budapest, invitant le prolétariat viennois à suivre l’exemple des Hongrois. Il a été décidé par les révolutionnaires viennois de former un conseil de travailleurs, de manière à les mettre en état de prendre le pouvoir (...) Le second télégramme (...) considère l’infiltration bolcheviste comme probable si la garde populaire n’est pas désarmée. Le gouvernement est faible, mais il suffirait, pour rétablir la situation, d’envoyer à Vienne deux régiments américains qui seraient reçus avec soulagement par la majorité de la population. Une déclaration des Alliés au sujet des approvisionnements produirait un effet utile mais ne servirait à rien si elle venait après le triomphe des bolchevistes.
Général Diaz : Le bolchevisme est un mouvement populaire qui se manifeste partout où les vivres manquent et où l’autorité centrale est faible . (...) Son succès paraît lié aux succès du mouvement bolcheviste russe.. (...) la fermentation qui se produit actuellement n’a pas lieu seulement à Vienne, mais jusque dans les pays slovènes, partout en un mot où la population souffre de l’insuffisance du ravitaillement. En occupant Vienne fortement, on tient les voies de communication et on arrête ce progrès menaçant. Ce qu’il faut c’est donner aux populations l’impression que nous apportons des vivres, l’ordre et la sécurité. Sans cela elles se jetteront instinctivement du côté du désordre.

Général Bliss : Le mot « bolcheviste » revient si souvent dans nos débats qu’évidemment il donne le ton à tout ce qui vient d’être dit. Si nous remplacions par le mot « révolutionnaire », ce serait peut-être plus clair. Le bolchevisme est la forme prise par le mouvement révolutionnaire dans les pays arriérés qui ont particulièrement souffert. D’ailleurs nous entendons dire, tantôt que le bolchevisme russe est un produit allemand, tantôt que c’est un mouvement essentiellement russe et qui, de l’est, vient envahir l’Europe. S’il était certain qu’il vient de Russie, c’est là évidemment qu’il faudrait le tuer. Mais le problème est plus difficile. Un cordon sanitaire pourrait arrêter les bolchevistes, mais non le bolchevisme, et pour en faire une barrière véritable, il faudrait déployer des forces très considérables depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. (...)

 Président Wilson : La question n’est-elle pas de savoir s’il est possible d’organiser une résistance armée contre le bolchevisme, ce qui veut dire : avons-nous, non seulement les troupes qu’il faut, mais les moyens matériels, et le sentiment public qui nous soutiendrait ? A mon avis, essayer d’arrêter un mouvement révolutionnaire par des armées en ligne, c’est employer un balai pour arrêter une grande marée. Les armées, d’ailleurs, peuvent s’imprégner du bolchevisme qu’elles seraient chargées de combattre. Un germe de sympathie existe entre les forces qu’on voudrait opposer. Le seul moyen d’agir contre le bolchevisme, c’est d’en faire disparaître les causes. (...) Une de ces causes est l’incertitude des populations au sujet de leurs frontières de demain, des gouvernements auxquels elles devront obéir, et, en même temps, leur détresse parce qu’elles manquent de vivres, de moyens de transport et de moyens de travail. (...) »

8 avril 1919

Orlando : Nous avons reçu un télégramme de notre légation en Suisse nous annonçant que la proclamation de la république des soviets à Vienne est probable pour le 14 de ce mois, à moins que Vienne ne soit occupée par les Alliés.

Lloyd George : Qui propose-t-on d’envoyer occuper Vienne ? pourquoi, si nous suivions ces suggestions, n’occuperions-nous pas l’Europe entière ? Nos représentants à Berlin nous tiennent le même langage ; il n’y aurait plus de raison de s’arrêter. (...) J’ai reçu un télégramme du War Office me faisant connaître que la situation en Allemagne s’aggrave et que l »on craint une catastrophe. (...) Aujourd’hui, nous apprenons la proclamation de la république des soviets en Bavière. Le danger est que, quand nous demanderons aux délégués allemands : « qui représentez-vous ? », ils ne sachent que répondre. (...) Nous sommes d’accord pour examiner ce que nous aurons à faire non seulement si l’Allemagne tombe en décomposition, mais aussi si la situation s’aggrave en Autriche et dans les pays voisins. (...)

30 avril 1919

Lloyd George : Pour l’emploi du temps, il a été proposé d’étudier la semaine prochaine les questions relatives à la paix en Autriche. (...)
Ce qui me rallie à la proposition de M. Lloyd George, c’est l’effet moral que la convocation aura en Autriche. Les dépêches que nous recevons de Vienne indiquent l’urgence de soutenir le gouvernement actuel. La disette, le sentiment que la paix n’est pas en vue, créent un état d’esprit dangereux (...)

La révolution prolétarienne dans l’empire Austro-hongrois

Le 6 janvier, l’Allemagne annonce à Trotsky que les conventions de paix signées en décembre 1917 sont annulées.

De son côté, la Rada (le parlement ukrainien) déclare que seul un gouvernement fédéral de toutes les régions de Russie sera habilité à signer la paix. C’est alors que les villes ukrainiennes de Karkov et Iekaterinoslav se proclament soviétiques.

Une grève éclate ensuite à Vienne et s’étend à tous les centres industriels autrichiens.

Janvier 1918 : grèves en Autriche –Hongrie

Le 28 janvier 1918, une grève générale éclate dans un grand nombre de villes allemandes : Berlin, Hambourg, Kiel, Breslau, Danzig, Mannheim, Munich, Nuremberg, … La grève est interdite et l’état de siège est renforcé. Cela n’empêche pas une nouvelle grève de masse à Berlin du 15 au 17 avril.

Du 28 au 31 janvier : grève ouvrière à Berlin et dans plusieurs villes ouvrières.

Le 29, la Hongrie bascule à son tour dans la grève : Budapest est paralysée. Les nouvelles forces soviétiques ukrainiennes se joignent à l’Armée rouge, marchent sur Kiev, et attaquent "L’Armée des Volontaires" de Kornilov. En Pologne, les ouvriers de Varsovie décident la grève générale.

25 janvier-15 mai : Guerre civile finlandaise qui se termine par l’écrasement militaire des comités populaires et communistes par les troupes blanches.

Alors que Lenine espère qu’une révolution éclatera en Allemagne, 400000 ouvriers se mettent en grève à Berlin et réclament la paix. Kiel, Cologne, Hambourg, Munich et Leipzig suivent le mouvement...

L’armée roumaine chasse les soviets de Moldavie et occupe le pays. En Allemagne et en Autriche, les grévistes sont brutalement mis au pas. La Rada ukrainienne organise une répression sanglante et, à Kiev, plus de 1500 ouvriers sont fusillés.

Cependant, l’Armée rouge arrive à Kiev et, le 12 février, le gouvernement soviétique d’Ukraine est proclamé. La Rada en fuite demande alors sa protection à l’armée allemande, laquelle s’enfonce déjà en Ukraine et en Russie. Lenine en appelle au peuple : 100000 hommes viennent aussitôt renforcer l’Armée rouge...

Le 30 octobre, à Kiel, alors que la flotte de guerre allemande s’apprête à appareiller, les matelots de plusieurs cuirassés se révoltent et éteignent les chaudières. L’état-major envoie des torpilleurs contre les mutins : 400 mutins sont arrêtés. Mais l’agitation se répand comme une traînée de poudre auprès des autres matelots. Le 4 novembre, il y a 20.000 révoltés à Kiel et les drapeaux rouges flottent partout. Seul le navire Kônig arbore encore les couleurs impériales. Les matelots des autres unités de la flotte demandent que ce pavillon soit amené. La révolution s’étend progressivement dans tout le pays.
Révolution à Vienne et chute de la monarchie austro-hongroise. Le Conseil national hongrois est porté au pouvoir par la « révolution des Asters ». Début du gouvernement de coalition du comte Mihály Károlyi en Hongrie.
31 octobre : Allemagne : Le Conseil des ministres se prononce pour l’abdication de Guillaume II d’Allemagne.

La révolution soviétique éclate en Hongrie et y prend le pouvoir.

Le 6 novembre à Hambourg, 70.000 ouvriers sortent des usines et se rassemblent pour adopter un programme révolutionnaire. Ils décident d’arrêter l’état-major et de s’emparer d’une imprimerie. Le 7 novembre, des conseils ouvriers apparaissent à Wilhelmshaven, Hanovre, Cologne et Munich. Le 8, le mouvement s’étend à toutes les grandes villes du pays.

7 novembre : Allemagne : Kurt Eisner prend la tête d’un conseil d’ouvriers et de soldats à Munich et tente de fonder une Confédération des États du Sud. Fuite du roi de Bavière.

9 novembre : Révolution à Berlin, abdication du Kaiser Guillaume II face à des insurrections qui enflamment le pays. Le social-démocrate Friedrich Ebert forme le nouveau gouvernement qui se prétend « conseil des commissaires du peuple » pour imiter le nom du gouvernement russe et cacher qu’il s’agit d’un gouvernement bourgeois contre-révolutionnaire. Fin de l’Empire allemand, proclamation de la république.

10 novembre : Allemagne - Formation d’un conseil suprême des conseils d’ouvriers et de soldats. L’empereur Guillaume II s’enfuit aux Pays-Bas.

Le 10 novembre, alors que Guillaume II s’enfuit en Hollande, Ebert prend la présidence du conseil des commissaires du peuple et se met en rapport avec l’état-major afin de lutter contre le « bolchevisme ». La décision est prise de signer l’armistice pour désamorcer le mouvement révolutionnaire.

La signature de l’armistice, le 11 novembre, vécue comme une capitulation par la caste militaire, et l’abdication de l’empereur ont bouleversé les cartes politiques pour la bourgeoisie qui compte utiliser le SPD pour éteindre l’incendie de la révolution … on connait la suite !
12 novembre : Charles Ier d’Autriche renonce au pouvoir sans abdiquer. Proclamation de la république allemande d’Autriche. Le droit de vote est accordé aux femmes en Autriche.

12 novembre-14 novembre : Grève générale en Suisse, 250 000 ouvriers se mettent en grève, le Conseil fédéral répond par la force en envoyant l’armée.

14 novembre : En Pologne, Józef Piłsudski obtient les pleins pouvoirs du Conseil de régence et met en place la terreur blanche.

16 novembre : Proclamation de la République démocratique hongroise, indépendante de l’Autriche-Hongrie. Le gouvernement Károlyi prend des mesures radicales pour démocratiser le pays et alléger la condition ouvrière et paysanne. Il devoir rapidement céder le pouvoir aux soviets de travailleurs hongrois.

18 novembre : Les soviets prennent le pouvoir en Lettonie.

L’isolement de la Russie révolutionnaire voulu par les impérialismes va-t-il être rompu par la vague révolutionnaire européenne ?

Les événements révolutionnaires d’Autriche

Face aux différentes pénuries qui touchent l’Empire, le 14 janvier 1918, le gouvernement décide de réduire de moitié la ration de farine pour les ouvriers. Face à cette décision, ce sont les ouvriers de Wiener Neustadt qui entrent les premiers en grève. Le lendemain, cette grève commence à s’étendre de façon « sauvage » (pour reprendre les termes utilisés par Otto Bauer), d’une ville à l’autre et d’une entreprise à l’autre. Le 16 janvier, ce sont autour de l’ensemble des travailleurs de Vienne d’entrer en grève. Enfin, les 17 et 18 janvier voient les régions industrielles de Haute-Autriche et de la Styrie rejoindre le mouvement ainsi que les ouvriers hongrois. Dès le début, des conseils ouvriers sont élus dans les différentes assemblées de grèves, ce qui confère d’emblée au mouvement un caractère révolutionnaire d’autant plus qu’il éveille « parmi les masses l’espoir de pouvoir transformer immédiatement la grève en révolution, de s’emparer du pouvoir et d’imposer la paix » (Otto Bauer). La question de la paix est d’autant plus d’actualité, que la grève générale se déroule durant les négociations de la paix de Brest-Litovsk auquel participe au côté de l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie. L’Empereur Charles, effrayé par ces grèves qui se déclenchent un peu partout, n’hésite pas à écrire à Czernin, le 17 janvier 1918 que :

« tout le sort de la monarchie et de la dynastie dépend d’une conclusion aussi rapide que possible de la paix de Brest-Litovsk… Si la paix ne se réalise pas, nous aurons ici la révolution ».

D’ailleurs, les dirigeants de la social-démocratie autrichienne font le même constat. Alors que le mouvement a pris de cours la social-démocratie, cette dernière tente d’en reprendre le contrôle par la publication d’un manifeste, dès le 17 janvier, s’articulant autour de quatre points censés mettre un coup d’arrêt à la grève :

• Signature de la paix de Brest-Litovsk, droit à l’autodétermination des pays controversés. De plus, le gouvernement doit tenir informés « honnêtement les hommes qui jouissent de la confiance de la classe ouvrière de l’état des négociations de paix »

• Réorganisation profonde du service de ravitaillement

• Démocratisation des autorités communales

• Retour des droits enlevés aux travailleurs dans les entreprises par la militarisation de celles-ci.

Il convient de dire quelques mots de cette plateforme de revendication. Tout d’abord, il faut savoir que depuis le début de la grève, la direction social-démocrate est en contact permanent avec les autorités austro-hongroise et que dans ce cadre, cette plateforme a dans un premier temps été soumise à Czernin, qui l’a accepté sans grande modification, avant publication dans l’Arbeiter Zeitung. De plus, la satisfaction des revendications ne porte pas à conséquence pour l’Empire. Ainsi, concernant le ravitaillement, le gouvernement consent à corriger quelques défauts du système et accepte l’abolition des privilèges de certains particuliers ainsi qu’un relâchement du blocage des salaires. Concernant la démocratisation des autorités communales, le gouvernement ne fait que de vagues promesses qui ne seront tout de même pas tenues. Pour ce qui concerne les droits des travailleurs dans les entreprises, le gouvernement avance là aussi de vagues promesses qui ne seront, elles aussi pas tenues, même s’il y a tout de même un relâchement au sein des entreprises mais qui est plus dû à l’épuisement général du pays et à la baisse dans la discipline du travail qui s’en suit. Enfin, qu’en est-il de la revendication la plus importante, celle de la paix et de la participation de délégués des ouvriers aux négociations ? Alors que la direction social-démocrate crie victoire après l’adresse de Czernin envoyée aux conseils ouvriers promettant qu’il signerait la paix de Brest-Litovsk, cette revendication a, en fait, perdu tout son sens. En effet, alors que les ouvriers demandent à participer eux-mêmes aux négociations et à être informés de l’avancée de ces dernières, les socio-démocrates veulent que ce soit eux et eux seuls qui aient accès aux informations pour ensuite les transmettre (ou pas) aux comités de grève. De plus, dans cette plateforme de revendications, il n’est pas du tout question de la satisfaction des revendications des russes et d’une moindre solidarité internationale avec la révolution russe. En effet, il n’est pas question de l’évacuation des anciens territoires russes occupés par les puissances centrales pour qu’il y ait un référendum libre, la social-démocratie adoptant de ce fait, le point de vue des impérialistes allemands et austro-hongrois.

Lors de ces épisodes, la gauche de la social-démocratie ne se distingue pas non plus par son caractère révolutionnaire et sa détermination. En effet, pour Otto Bauer, la grève doit être l’occasion d’une grande démonstration révolutionnaire mais pas plus et agit dans le sens de sa direction, pour que tout se termine au plus vite. Pour justifier sa ligne politique, Bauer avance plusieurs arguments comme le fait que les troupes acquises au gouvernement sont trop fortes ou encore que l’Allemagne, libérée du front est par la révolution russe, pourraient alors envahir l’Autriche en cas de révolution. Or, au moment décisif de la grève, de l’aveu même du gouvernement, d’une part les troupes étaient insuffisantes pour maintenir l’ordre et d’autre part les ouvriers étaient suffisamment armés pour prendre le pouvoir. Ajouté à cela, une semaine après la grève, avaient lieu des mutineries dans l’armée, montrant ainsi que les conscrits n’auraient pas forcément obéi à leurs généraux si ces derniers leur avaient ordonné de tirer sur les ouvriers en grève.

A partir du 20 janvier, la social-démocratie appelle les ouvriers à reprendre le travail, ce qui provoque une résistance farouche de la classe ouvrière. Les délégués sociaux-démocrates sont insultés ici et là de « délégués impériaux et royaux ». Face à cette direction traître, un groupe de « socialistes révolutionnaires » tente de se mettre en place avec à sa tête Frantz Koritschoner qui jouera un rôle important dans la formation du futur Parti Communiste Autrichien. Mais ce petit groupe n’a alors aucune prise sur les événements face au puissant appareil social-démocrate solidement implanté dans la classe ouvrière.

Quinze jours après la fin de la grève en Autriche, ce sont les travailleurs d’Allemagne qui commencent à se révolter.

L’année 1918 est marquée sur le plan militaire par une série de défaites de l’armée austro-hongroise notamment sur le front italien. A partir de septembre, différents pays signent des armistices comme c’est le cas de la Bulgarie avec la France et la Serbie. En octobre, c’est autour de l’Empire Ottoman d’abandonner le combat face à la France et l’Angleterre. A la fin de la guerre, les soldats austro-hongrois refusent de monter aux fronts car ils ne croient plus à l’Etat et à la dynastie. Après une énième défaite face aux italiens, les austro-hongrois signent l’armistice le 4 novembre et Charles 1er abdique. Mais cet armistice et cette abdication arrive aussi dans un contexte difficile pour la classe dirigeante austro-hongroise puisque dès le mois d’octobre, les ouvriers se sont remis en mouvement. Fort de sa position dominante dans le champ politique, la social-démocratie autrichienne (la 3e d’Europe et le parti le plus conséquent en Autriche), dorénavant dirigée par les austromarxistes et en particulier Otto Bauer qui remplace Victor Adler décédé le 11 novembre 1918, joue un rôle très important dans le déroulement des événements de novembre 1918, que certains qualifient de « révolution autrichienne » même s’ils sont d’une moindre ampleur que ce qui se passe au même moment en Allemagne. Bien qu’en position dominante, la social-démocratie autrichienne doit compter sur le nouveau Parti Communiste Autrichien crée le 4 novembre par des anciens radicaux de gauche du parti social-démocrate : Karl Steinhardt, Paul et Elfriede Friedländer. Ce parti jouit alors d’une certaine influence chez les chômeurs et les soldats démobilisés qui ont été gagnés à la révolution sur le front de l’Est.

Le 12 novembre, les députés de langue allemande au Reichrat proclament la République Démocratique d’Autriche et élisent un Comité Exécutif présidé par le social-démocrate Karl Renner, qui devient de facto chancelier. Les communistes essaient de hisser le drapeau rouge sur le Parlement et de faire de l’Autriche une république des conseils. Mais ils se heurtent à la social-démocratie qui fait tout pour maintenir la continuité du régime bourgeois.

Ainsi, l’Empire austro-hongrois a fait son temps et est éclaté en plusieurs pays : l’Autriche, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Certains territoires sont annexés par l’Italie (Trieste et Fiume), d’autres sont rendus à la Roumanie et à la Pologne. L’Autriche ne représente plus que 6 millions d’habitants sur les 50 millions de l’Empire défunt. Si la population de l’Autriche est majoritairement « allemande », il y reste des croates, des hongrois et des slovènes.

Beaucoup de sociaux-démocrates envisageaient un rattachement futur à l’Allemagne. C’était la continuité du projet de "Grande-Allemagne", que défendaient les libéraux du 19ème siècle et que la social-démocratie reprenait en y ajoutant l’idée qu’un grand pays industriel est nécessaire pour réaliser le socialisme.

Mais les vainqueurs de la guerre (les Etats-Unis, la France, l’Angleterre) en décident autrement. En effet, le traité de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919), qui scellent la paix entre l’Autriche et les vainqueurs, reconnaît l’indépendance de l’Autriche mais désigne aussi l’Autriche comme coupable du déclenchement de la guerre, et lui impose de payer des "réparations" comme à l’Allemagne. Enfin, les frontières du nouvel état ont été soumises à l’arbitraire des vainqueurs.

A la sortie de la guerre, la social-démocratie est donc dans une position dominante. Se prétendant innocente de la guerre, elle se démarque de la bourgeoisie, tout en la défendant en rejettant la faute principale sur la "bourgeoisie internationale", en particulier anglaise et américaine.

Les premières élections dans le cadre de la nouvelle Autriche ont lieu en février 1919. Ces élections donnent certes une majorité à la social-démocratie mais somme toute relative puisqu’elle emporte 72 mandats contre 69 mandats pour les chrétiens-sociaux et une trentaine d’autres mandats pour les autres partis bourgeois, à l’Assemblée Constituante. La social-démocratie est alors obligée de composer avec les chrétiens-sociaux pour former un premier gouvernement, ce dernier étant toujours dirigé par Karl Renner.

Au même moment, la révolution touche la Bavière et la Hongrie, et les communistes encouragent la création de conseils ouvriers. Mais la social-démocratie au pouvoir fait tout pour canaliser la confiance des travailleurs dans l’État :

• Le secrétaire d’Etat aux affaires militaires, Julius Deutsch (social-démocrate) intègre les Gardes Rouges dans l’armée populaire.

• Au printemps 1919, est évoqué la possibilité de nationaliser certaines grandes entreprises comme les mines, l’électrométallurgie, l’industrie du bois, les forêts… Si ces projets n’ont pas lieu, ils ont pour effet, sur le moment, de désarmer une partie des éléments les plus combatifs de la classe ouvrière et de les tourner vers la social-démocratie.

• De 1919 à 1920, la social-démocratie au pouvir met en place toute une série de mesures sociales telles que les allocations chômage, la journée de travail de 8h, la protection du travail des femmes et des enfants, les congés payés, la création des délégués d’entreprise, la création d’une Chambre syndicale pour les ouvriers et employés et l’assurance maladie.

• Les austro-marxistes justifient théoriquement le statu quo : Max Adler prône une représentation des conseils ouvriers au côté du parlement, et explique que la paysannerie est trop forte par rapport au prolétariat et que cette dernière reste encore hostile au socialisme. Dès 1921, Trotsky dira de l’austromarxisme qu’il constitue « une théorie érudite et maniérée de la passivité et de la capitulation ».

• En 1920 les femmes obtiennent, à leur tour, le droit de vote.
Toutes ces mesures sont mises en place dans un contexte où la bourgeoisie craint une « bolchévisation » de l’Autriche et s’en remet à la social-démocratie pour limiter les dégâts. Le ministre de la protection sociale, Ferdinand Hanusch déclare même que :

« seule notre législation sociale… a donné aux travailleurs la confiance dans notre Etat et dans notre gouvernement ; c’est à elle que nous devons la résistance à la tentation de suivre, ici, chez nous, le même chemin que Munich ou Budapest ».
Face à l’action de la social-démocratie, le jeune Parti Communiste enregistre défaite sur défaite, recul sur recul et ne s’en remettra pas. Il ne dépassera plus le record de 10 000 militants atteint en 1919. A l’inverse, la parti-social démocrate parvient à recruter toujours plus, atteignant 600 000 adhérents en 1925.

En 1920 se tiennent les premières élections dans le cadre de la nouvelle constitution. Par peur de "la collectivisation", la paysannerie se jette dans les bras du principal parti de la bourgeoisie, les chrétiens-sociaux. Ces derniers remportent alors les élections et ne quitteront plus le pouvoir jusqu’en 1934. Karl Renner est alors remplacé par Michael Meyr. La social-démocratie continue en revanche à contrôler Vienne, où deux maires sociaux-démocrates se succèdent jusqu’en 1934 : Jakob Reumann jusqu’en 1923 et Karl Seitz de 1923 à 1934.

Sous l’effet du contre-coup de la guerre et notamment du coût des réparations imposées par les vainqueurs, la situation sociale est tendue et le pays connaît un chômage de masse. De plus, les dévaluations ainsi que les mesures sociales mises en place engendrent une inflation galopante. Le 1er décembre 1921, une grande manifestation se termine par le pillage de commerçants soupçonnés de favoriser l’inflation. Il faut attendre 1922, année où les vainqueurs de la guerre décident d’accorder un crédit de 650 millions de couronnes-or pour voir la situation économique de l’Autriche s’améliorer un peu.

Comme nous l’avons vu, si les sociaux-démocrates perdent les élections de 1920, ils gardent tout de même le contrôle de Vienne et sa région. Aux élections municipales, ils réunissent à obtenir 78 sièges de conseillers sur 120. Ils trouvent alors une ville dont la situation, selon le témoignage d’Alfred Rosmer, est terrible.

« La misère se montrait partout, une misère qui faisait mal à voir. Dès l’hôtel, le linge en loques, l’état d’épuisement physique du personnel la révélaient ; dans les vitrines des boutiques traînaient quelques boites vides. Les hostilités étaient à peine terminées que des trafiquants étaient accourus de partout pour piller la capitale du grand empire effondré ; d’abord ceux d’Italie, qui, plus proches, étaient arrivés les premiers ; ils avaient éprouvé une jouissance supplémentaire en pillant “l’ennemi héréditaire“. Tout ce qu’on voyait et entendait était pénible ».

Malgré ces difficultés, la social-démocratie va faire de cette ville, la ville la plus progressiste d’Europe entre les deux guerres. Les multiples réalisations sont financés en grande partie par la mise en place d’impôt sur les « manifestations apparentes du luxe » (automobile, appartement, écurie de course…). La réalisation la plus impressionnante a lieu dans le domaine du logement. Au total, ce sont 60.000 nouveaux logements qui sont construits, répartit au sein d’une douzaine de quartier différents dont le plus emblématique est le Karl Marx-Hof. Dans ce dernier, qui comprend 1382 logements et s’étend sur plus d’un kilomètre de long, nous retrouvons des buanderies, une bibliothèques, des espaces verts, des crèches, des bureaux, des magasins et même un dispensaire. Chaque logement construit comporte une salle de bain et des sanitaires, ce qui est un fait inédit à l’époque. Outre le logement, la politique social-démocrate s’étend à tous les domaines de la vie. Ainsi, des restaurants sont crées pour fournir la nourriture au quotidien, des structures d’hygiènes et de prévoyances sont mises en place pour accompagner les gens de leur naissance à leur mort. Par exemple, à la naissance de chaque enfant, une assistante, employé par la municipalité, rend visite à la famille pour lui fournir si besoin une aide et lui offrir un petit trousseau complet pour palier au besoin du nouveau-né. Au niveau de l’éducation sont crées le tronc commun d’enseignement du 2nd degrés ainsi que des internats fédéraux. Dans ce contexte, des réflexions sont menées par le personnel éducatif de la ville sur la façon de supprimer chez l’enfant le sentiment d’infériorité qu’il peut ressentir vis-à-vis de ses camarades de classe et de son professeur. Enfin, la ville met en place une politique culturelle volontariste, qu’elle diffuse notamment par la création de journaux populaires…

Le point de vue de Radek

Le point de vue de Roman Rosdolsky

La situation révolutionnaire en janvier 1918 à Vienne et la politique des sociaux-démocrates

Pourquoi la vague révolutionnaire de 1917-1920 en Europe a échoué ?

La crise autrichienne et le communisme, Trotsky

Histoire sociale de l’Autriche

La social-démocratie autrichienne

Vienne, la rouge

La révolution hongroise de 1919

La République Soviétique de Hongrie (1919) – 1ère partie

La République Soviétique de Hongrie (1919) – 2ème partie

La République Soviétique de Hongrie (1919) – 3ème partie

Les répercussions de la révolution d’Octobre en 1917-1919 en Pologne et en Hongrie

La révolution russe de 1917 et la vague révolutionnaire en Europe

Les puissances impérialistes pendant la vague révolutionnaire en Europe

La République des Conseils de Hongrie

Lire aussi

Messages

  • Une calomnie répandue affirme que les dirigeants russes auraient abandonné sciemment la révolution hongroise aux forces armées pro-impérialistes, notamment roumaines et tchécoslovaques, ne lui apportant pas le soutien militaire de son armée rouge !

    Absolument pas ! C’est une affirmation absurde et fausse.

    Le comité exécutif de l’Internationale communiste (troisième internationale) déclarait le 18 mars 1919 :

    « En Hongrie, tout le pouvoir a été transféré à la classe ouvrière… Il n’y a pas de calomnies que ces messieurs les bourgeois n’aient inventé contre la République socialiste soviétique de Hongrie, tout comme ils l’ont fait pendant seize mois contre la République soviétique de Russie. Le gouvernement français a l’intention d’envoyer ses soldats en bataille contre les ouvriers hongrois, ainsi que des troupes roumaines et tchécoslovaques. Ce plan infernal réussira-t-il ? Le sort de la Hongrie travailleuse dans l’avenir immédiat et, dans une grande mesure aussi, le sort immédiat de la révolution prolétarienne dans tous les autres pays européens dépend de la réponse à cette question. Au nom de l’Internationale communiste, nous en appelons aux ouvriers de tous les pays pour venir en aide à nos frères, les ouvriers et les paysans de Hongrie. Ouvriers et soldats de France ! Les yeux des ouvriers du monde entier sont tournés vers vous. En ce moment, la bourgeoisie française est la plus réactionnaire de toute l’Europe… Ouvriers et soldats français, on vous force à agir en bourreaux, à étrangler la révolution socialiste hongroise. La bourgeoisie française veut se servir de vos mains pour étrangler la révolution prolétarienne à Budapest et ainsi pour conjurer la révolution prolétarienne qui mûrit à Vienne, Berlin, Paris et Londres… Que la révolution socialiste hongroise devienne un avertissement menaçant pour la bourgeoisie de tous les pays ! Bas les pattes devant la Hongrie rouge ! »

    Un télégramme du 18 avril 1919 en témoigne. Il est signé de Lénine et Trotsky et adressé à Rakovsky, à Kiev et aux dirigeants de l’Armée rouge en Ukraine :

    « Au président du Conseil des commissaires du peuple d’Ukraine, Rakovsky, au Commissaire du peuple aux affaires militaires Podvoisky, au Commandant du front ukrainien Antonov-Oseenko :

    « Nous considérons comme absolument essentiel que les principaux efforts des troupes ukrainiennes soient concentrés sur les lignes de progression du Donetz et en Bubovine en direction de Tchernovitz. Sur la ligne de progression du Donetz, c’est la question de l’élimination d’une menace majeure. Sur la ligne de progression de Tchernovitz, la question est d’alléger la situation de la Hongrie. »

    Un autre point a été déterminant, mis à part l’impossibilité des troupes russes d’intervenir directement…

    C’est l’absence de liaison entre la révolution hongroise et la révolution en Autriche et en Bavière, due à la trahison de la social-démocratie.

    En pleine révolution hongroise, une situation révolutionnaire se développait en Allemagne, et particulièrement en Bavière. Cela faisait suite à l’assassinat par un officier réactionnaire du dirigeant social-démocrate du gouvernement bavarois, Kurt Eisner. Le 7 avril 1919, la république de Bavière était proclamée par les dirigeants social-démocrates sous la pression de la révolution. Les communistes, dirigés par Léviné, n’étaient pas entrés dans ce gouvernement « de gauche ». Ce faux gouvernement des soviets tombait le 9 avril ! Le parti communiste qui, entre temps avait appelé à former des soviets et à armer les travailleurs, appela à constituer un gouvernement des soviets le 13 avril… Il dû abandonner le pouvoir le 29 avril… Le dirigeant communiste Léviné fut arrêté à Munich le 13 mai et condamné à mort.

    Bavière et Hongrie auraient pu joindre leurs révolutions. Ce sont les socialistes autrichiens, dits austromarxistes, qui portent la responsabilité de l’échec de la révolution d’Autriche-Hongrie-Bavière, sans parler de l’énorme responsabilité des sociaux-démocrates allemands, les « chiens sanglants » comme ils se sont appelés eux-mêmes en écrasant dans le sang les conseils ouvriers d’Allemagne !

    La réussite du combat ouvrier contre le putsch de Kapp aurait dû, comme la réussite du combat ouvrier en Russie contre le putsch de Kornilov, permettre la montée au pouvoir des conseils ouvriers et soldats. Mais la social-démocratie s’est mise en travers du mouvement ainsi que son appui immense dans les syndicats !

    Le comité exécutif de l’Internationale communiste lançait fit la déclaration suivant le 5 août 1919, lors de la chute de la Hongrie soviétique :

    « L’Internationale communiste, pleurant la chute de la République soviétique en Hongrie et la perte de son glorieux leader Tibor Samuely, appelle tous les prolétaires du monde à se rallier encore plus étroitement autour de la bannière du communisme pour renforcer encore l’offensive contre la forteresse capitaliste… La sanglante leçon de Hongrie a enseigné aux prolétaires du monde entier qu’il ne peut y avoir de coalition, de compromis avec les sociaux-capitulards ! La couche de misérables dirigeants opportunistes doit être balayée… »

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.