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Stephen Jay Gould : le « gène égoïste » n’est pas une conception darwinienne de l’évolution des espèces…

samedi 6 février 2016, par Robert Paris

Le « gène égoïste » n’est pas une conception darwinienne de l’évolution des espèces…

Marcel Blanc écrit dans « Les héritiers de Darwin » :

« En 1976, un biologiste, Richard Dawkins, vint appuyer la sociobiologie wilsonnienne par son ouvrage percutant « The selfish gene » (le gène égoïste). De manière bien plus explicite que Wilson, le chercheur britannique de l’université d’Oxford énonçait les nouveaux principes de l’ultra-darwinisme : la sélection naturelle n’avait pas pour effet de trier les individus, mais les gènes. Autrement dit, la lutte pour la survie ne se faisait pas entre les individus, même si on pouvait en avoir l’impression en voyant un chat fondre sur une souris, ou deux mâles se battre pour une femelle. En réalité, disait Dawkins, ce sont les gènes qui luttent pour se propager, par le truchement des organismes qui les hébergent. Et, excellent vulgarisateur, il nous offrait des images saisissantes pour « faire passer » son message : « Les gènes fourmillent en grandes colonies, à l’abri au sein de gigantesques et pesants robots (les organismes), isolés du monde extérieur, communiquant avec lui par des voies tortueuses et indirectes, et les manipulant par un dispositif de contrôle à distance. Ils sont en vous et en moi. Ils nous ont créé, corps et esprit, et leur préservation est l’ultime raison de notre existence… Nous sommes leur machine à siurvie… Nous sommes… des véhicules-robots aveuglément programmés pour préserver les molécules égoïstes connues sous le nom de gènes. » Cette conception l’amenait à considérer les comportements sociaux, c’est-à-dire émanant d’un individu (animal ou humain) en direction d’un autre individu, comme des moyens empruntés par les gènes pour augmenter le nombre de leurs copies dans les générations successives…. Ainsi les mâles (et cela est valable pour l’espèce humaine, selon Dawkins) ont intérêt à « copuler » avec un maximum de femelles car ils produisent très facilement des millions de spermatozoïdes, et peuvent donc propager au mieux leurs gènes en faisant des enfants avec le plus grand noombre possible de femelles… Dans le chapitre de « Sociobiology », Wilson déclarait que la sociobiologie devait reformuler la sociologie et l’anthropologie à partir des principes du néo-darwinisme. »

Cyril Langlois écrit dans « La réfutation gouldienne du « gène égoïste » de R. Dawkins »

« (…) C’est aussi dans ce chapitre où il détaille les concepts de sélection hiérarchique et d’équilibres ponctués que Gould présente le plus longuement les débats scientifiques dans lesquels ils s’est impliqué, ses prises de position, les arguments (pas toujours seulement scientifiques...) qui lui furent opposés et ses propres réponses. C’est ainsi qu’il réfute vigoureusement la théorie du « gène égoïste » de Richard Dawkins et Georges Williams, théorie qu’il qualifie de « féconde erreur de logique » (p. 854). Féconde car elle a animé les débats scientifiques récents, mais erreur tout de même.

La théorie du gène égoïste apparaît en effet diamétralement à l’opposée de la sélection hiérarchique défendue par Gould : elle propose que les entités réellement sélectionnées, les véritables « cibles » de la sélection naturelle, soient les gènes et non les organismes, lesquels ne serviraient que de « véhicule » transitoire aux gènes.

Gould résume ainsi la théorie de Dawkins et Williams, p. 859.

« Williams et Dawkins affirment tous deux la même argumentation en trois étapes : (1) les unités de sélection doivent nécessairement être des réplicateurs ; (2) les réplicateurs doivent nécessairement transmettre des copies fidèles (ou très peu modifiées) d’eux-mêmes d’une génération à l’autre ; (3) les traits des organismes sexués se désagrègent d’une génération à l’autre ; par conséquent, ces derniers ne peuvent être des unités de sélection, tandis que les gènes le peuvent, en raison de leur réplication fidèle. »

Les gènes des organismes sexués ne sont pas, pour Gould, des individus darwiniens (définis plus haut) et « l’erreur de logique » consiste à confondre les supports de l’information et de la transmission de cette information (les « réplicateurs », ici les gènes) et les éléments réellement soumis à la sélection, du fait de leur interaction avec l’environnement (au sens large), les « interacteurs », qui, pour Gould, sont d’abord les organismes et non les gènes. Le fait que le nombre de copies de certains gènes augmente au fil des générations ne signifie pas que les gènes soient les acteurs directs du phénomène : « la comptabilité n’est pas la causalité » (p. 881).

Les gènes « n’interagissent généralement pas de façon directe [C’est S. J. Gould qui souligne] avec l’environnement. En réalité, ils opèrent par le biais des organismes, lesquels fonctionnent comme de vrais agents dans la « lutte pour l’existence ». Les organismes vivent, meurent, entrent en concurrence avec d’autres, et se reproduisent ; il en résulte que les gènes sont transmis de façon différentielle à la génération suivante. [...] on peut même dire, métaphoriquement bien sûr, que les gènes agissent à la manière de plan de construction pour l’édification des organismes. Mais [...] on ne peut pas conclure qu’ils possèdent, de ce fait, la propriété, qui est absolument requise, d’interagir directement avec l’environnement lorsque les organismes luttent pour l’existence. » (p. 863-864)

Certes, les gènes se répliquent plus fidèlement que les organismes (dont les rejetons ne sont pas des copies exactes), mais cela n’en fait pas des unités de sélection. Car même s’ils définissent les caractéristiques des organismes, ils n’en contrôlent pas complètement les capacités d’interaction avec l’environnement. En effet, les organismes ne sont pas « le produit des effets additifs de gènes individuellement optimisés » (p. 875) : via le développement, l’organisme est le produit d’interactions « non linéaires ou non additives » entre les gènes, et il a donc des propriétés et des capacités particulières, « émergentes », c’est-à-dire non prédictibles par la seule combinaison additive de l’action de chaque gène individuel.

De même, affirme Gould, les espèces présentent des caractéristiques émergentes, c’est-à-dire non réductibles à la somme des caractéristiques des organismes qui les composent — comme, par exemple, la structure de leurs populations, qui pourraient déterminer leur plus ou moins grande capacité à la spéciation —, caractéristiques émergentes permettant un mécanisme de sélection entre espèces.

Gould insiste sur les faiblesses logiques et les contorsions du raisonnement de Dawkins et de Williams, par d’abondantes citations de leurs écrits, tout en montrant en même temps que ces difficultés disparaissent si l’on cesse de réduire l’action de la sélection naturelle à un seul niveau, que ce soit celui des gènes, comme Dawkins, ou celui des organismes, comme Darwin.

On ne peut reprendre ici l’ensemble du raisonnement et des arguments déployés par Stephen Jay Gould dans ce chapitre 8. On relèvera seulement ce passage, critiquant les faiblesses de la théorie du sélectionnisme génique, sur le plan de la mise en évidence pratique (p. 888) :

« Deux raisons fondamentales interdisent de comprendre les causes d’un changement génétique par la simple lecture des bilans comptables de fréquence des gènes. Premièrement, observer qu’un tri génique a eu lieu n’indique pas à quel niveau le mécanisme responsable a pris place. [...] Deuxièmement, même lorsqu’on peut identifier le niveau auquel s’est réalisé le tri génétique dans un cas donné, on ne peut pas savoir, d’après la seule observation de la fréquence des gènes, si le gène retenu l’a été parce qu’il a déterminé une certaine caractéristique du phénotype, qui a été dès lors sélectionnée, ou s’il a été retenu pour une série de raisons peut-être non adaptatives. »

Dans « La structure de la théorie de l’évolution », chapitre « Les espèces en tant qu’individus dans la théorie hiérarchique », Stephen Jay Gould réfute vigoureusement la théorie du « gène égoïste » de Richard Dawkins et Georges Williams, théorie qu’il qualifie de « féconde erreur de logique » (p. 854). Féconde car elle a animé les débats scientifiques récents, mais erreur tout de même.

La théorie du gène égoïste apparaît en effet diamétralement à l’opposée de la sélection hiérarchique défendue par Gould : elle propose que les entités réellement sélectionnées, les véritables « cibles » de la sélection naturelle, soient les gènes et non les organismes, lesquels ne serviraient que de « véhicule » transitoire aux gènes.

Gould résume ainsi la théorie de Dawkins et Williams, p. 859 :

« Williams et Dawkins affirment tous deux la même argumentation en trois étapes : (1) les unités de sélection doivent nécessairement être des réplicateurs ; (2) les réplicateurs doivent nécessairement transmettre des copies fidèles (ou très peu modifiées) d’eux-mêmes d’une génération à l’autre ; (3) les traits des organismes sexués se désagrègent d’une génération à l’autre ; par conséquent, ces derniers ne peuvent être des unités de sélection, tandis que les gènes le peuvent, en raison de leur réplication fidèle. »

Les gènes des organismes sexués ne sont pas, pour Gould, des individus darwiniens (définis plus haut) et « l’erreur de logique » consiste à confondre les supports de l’information et de la transmission de cette information (les « réplicateurs », ici les gènes) et les éléments réellement soumis à la sélection, du fait de leur interaction avec l’environnement (au sens large), les « interacteurs », qui, pour Gould, sont d’abord les organismes et non les gènes. Le fait que le nombre de copies de certains gènes augmente au fil des générations ne signifie pas que les gènes soient les acteurs directs du phénomène : « la comptabilité n’est pas la causalité » (p. 881).

Les gènes « n’interagissent généralement pas de façon directe [C’est S. J. Gould qui souligne] avec l’environnement. En réalité, ils opèrent par le biais des organismes, lesquels fonctionnent comme de vrais agents dans la « lutte pour l’existence ». Les organismes vivent, meurent, entrent en concurrence avec d’autres, et se reproduisent ; il en résulte que les gènes sont transmis de façon différentielle à la génération suivante. [...] on peut même dire, métaphoriquement bien sûr, que les gènes agissent à la manière de plan de construction pour l’édification des organismes. Mais [...] on ne peut pas conclure qu’ils possèdent, de ce fait, la propriété, qui est absolument requise, d’interagir directement avec l’environnement lorsque les organismes luttent pour l’existence. » (p. 863-864)

Certes, les gènes se répliquent plus fidèlement que les organismes (dont les rejetons ne sont pas des copies exactes), mais cela n’en fait pas des unités de sélection. Car même s’ils définissent les caractéristiques des organismes, ils n’en contrôlent pas complètement les capacités d’interaction avec l’environnement. En effet, les organismes ne sont pas « le produit des effets additifs de gènes individuellement optimisés » (p. 875) : via le développement, l’organisme est le produit d’interactions « non linéaires ou non additives » entre les gènes, et il a donc des propriétés et des capacités particulières, « émergentes », c’est-à-dire non prédictibles par la seule combinaison additive de l’action de chaque gène individuel.

De même, affirme Gould, les espèces présentent des caractéristiques émergentes, c’est-à-dire non réductibles à la somme des caractéristiques des organismes qui les composent — comme, par exemple, la structure de leurs populations, qui pourraient déterminer leur plus ou moins grande capacité à la spéciation —, caractéristiques émergentes permettant un mécanisme de sélection entre espèces.

Gould insiste sur les faiblesses logiques et les contorsions du raisonnement de Dawkins et de Williams, par d’abondantes citations de leurs écrits, tout en montrant en même temps que ces difficultés disparaissent si l’on cesse de réduire l’action de la sélection naturelle à un seul niveau, que ce soit celui des gènes, comme Dawkins, ou celui des organismes, comme Darwin.

On ne peut reprendre ici l’ensemble du raisonnement et des arguments déployés par Stephen Jay Gould dans ce chapitre 8. On relèvera seulement ce passage, critiquant les faiblesses de la théorie du sélectionnisme génique, sur le plan de la mise en évidence pratique (p. 888) :

« Deux raisons fondamentales interdisent de comprendre les causes d’un changement génétique par la simple lecture des bilans comptables de fréquence des gènes. Premièrement, observer qu’un tri génique a eu lieu n’indique pas à quel niveau le mécanisme responsable a pris place. [...] Deuxièmement, même lorsqu’on peut identifier le niveau auquel s’est réalisé le tri génétique dans un cas donné, on ne peut pas savoir, d’après la seule observation de la fréquence des gènes, si le gène retenu l’a été parce qu’il a déterminé une certaine caractéristique du phénotype, qui a été dès lors sélectionnée, ou s’il a été retenu pour une série de raisons peut-être non adaptatives. »

Stephen Jay Gould écrit dans « La structure de la théorie de l’évolution » :

Stephen Jay Gould dans « La structure de la théorie de l’évolution » :

« La science progresse en corrigeant continuellement certaines erreurs. La plupart de ces dernières proviennent d’une insuffisance des connaissances sur le monde observable, ou (lorsqu’elles sont fondées sur des préconceptions théoriques) persistent seulement parce que l’on ne dispose pas des moyens (conceptuels ou techniques) permettant de les réfuter par des observations…

Cependant, il arrive rarement que certaines disciplines se fourvoient en persistant, sur de longues périodes, à promouvoir de vastes programmes de recherche inaugurés à l’origine par une erreur de raisonnement et non par l’insuffisance des données d’observation. Or, je pense que l’interprétation de la séclection naturelle centrée sur le gène (stipulant que les gènes en tant que réplicateurs fidèles et potentiellement immortels sont nécessairement les unités de sélection fondamentales, voire exclusives) représente une erreur de ce genre inhabituel, c’est-à-dire purement conceptuelle. Lancée à l’origine par le livre-manifeste de Williams (1966 – ouvrage fondé sur un mode de pensée inspiré indirectement par la vision du monde brillamment cohérente mais restrictive de R.A. Fisher (1930) et, plus directement, par le remarquable travail de W. D. Hamilton (1964)), elle a été codifiée par Dawkins (1976) et propagée par de nombreux ouvrages de vulgarisation (particulièrement celui de Cronin, 1991) ou plus techniques (Dennett, 1995) ; cette approche – centrée sur le gène – du mode d’opération et de la nature des agents de la sélection a suscité à la fois des mouvements d’adhésion fervente de nature quasi religieuse (voir R. Wright, 1994) et d’opposition déterminée de la part de nombreux évolutionnistes qui tendent à en regarder la version radicale comme la réapparition d’un fondamentalisme darwinien (voir Gould 1997d) qualifié soit d’ultradarwinisme (Eldredge, 1995), soit d’hyperdarwinisme.

Je vais montrer dans la présente section que, si les gènes peuvent être considérés, de façon appropriée, comme les réplicateurs fondamentaux (dans le cadre d’une certaine perspective légitime qui cependant ne doit pas être exclusive), ceux-ci ne sont tout simplement pas des unités de sélection, ni le moins du monde des agents causals, si l’on en juge d’après la façon habituelle d’interpréter les mécanismes en science. C’est en raison d’une erreur de logique que les partisans de la démarche centrée sur le gène interprètent à tort les réplicateurs comme les agents causals de la sélection, et l’on peut parfaitement résumer cette erreur en disant qu’elle confond une analyse de comptabilité avec un mécanisme causal.

On tomberait dans une autre faute grave de raisonnement si l’on acceptait l’idée courante que les erreurs appartiennent elles-mêmes à la catégorie purement négative des malheureuses gaffes. Certaines erreurs ne conduisent effectivement qu’à des impasses et sont sources de perte de temps. Mais d’autres, comme les scientifiques sérieux l’ont toujours reconnu, servent d’aiguillon à la recherche et poussent à progresser par le biais de leur rectification….

Le grand économiste italien Vilfredo Pareto disait : « Donnez-moi une erreur féconde quand vous voulez, pleine de graines, susceptible d’éclater grâce aux corrections qu’on va lui apporter. Vous pouvez garder votre stérile vérité pour vous-mêmes. »

Au cours de ma carrière d’évolutionniste, je n’ai pas connu d’erreur plus féconde, au sens de Pareto, que l’approche de la sélection centrée sur le gène. Sa thèse fondamentale, exprimée clairement, nous a forcés à repenser complètement la question de la causalité évolutive. Le caractère outré de ce réductionnisme extrême nous a obligés à réexaminer le mode d’opération de la sélection, en rejetant explicitement les notions les plus anciennes, les plus traditionnelles et entièrement fondées sur le sens commun, concernant notre corps en tant qu’agent. (Cependant, la forme réductionniste de cette théorie s’accordait si bien avec les idées classiques sur les visées de la science que de nombreux biologistes se sont saisis de son esprit et en ont appliqué les concepts, alors même qu’ils contredisaient fortement l’intuition ordinaire.) Néanmoins, la théorie de la sélection centrée sur le gène était indéfendable. Malgré toutes les tentatives obstinées et héroïques pour la sauver, les explications qu’elle fournissait ne pouvaient tenir, en raison de l’erreur logique fondamentale sur laquelle elle était fondée, notamment dans les cas où la sélection opérait manifestement sur les caractéristiques émergentes d’individus de haut niveau, car, alors, aucun tour de passe-passe verbal ne permettait de réinterpréter le phénomène envisagé en termes de gènes considérés en tant qu’agents causals. Si les « erreurs au sens de Pareto » contiennent les graines qui, en se développant, font éclater leurs limites, alors on peut voir que c’est bien à leur catégorie qu’appartiennent ces erreurs peu courantes issues de raisons fallacieuses (par opposition aux erreurs issues d’un manque de données d’observation)….

La meilleure façon de mettre en lumière le caractère erroné du sélectionnisme génique et, par conséquent, du modèle de sélection alternatif (et opposé), celui de la sélection hiérarchique, est de présenter une série de sept thèses….

La distinction entre réplicateurs et interacteurs

Les deux chefs de file et fondateurs du sélectionnisme génique moderne en tant que conception générale de l’évolution (Williams, 1966 ; Dawkins, 1976) ont établi une distinction entre, d’une part, les unités reproductives de l’hérédité et, d’autre part, les entités qui interagissent avec l’environnement pour infléchir la transmission à la génération suivante des unités reproductives. Williams a considéré que la quasi-totalité de l’évolution procédait des gènes en tant qu’unités reproductives, l’adaptation des organismes (les entités réalisant l’interaction) en étant la conséquence… Dawkins a approuvé totalement cette façon de voir et a établi une distinction plus pittoresque et plus explicite entre, d’une part, les « réplicateurs », considérés comme les unités de sélection et représentant les gènes, et, d’autre part, les « véhicules », considérés comme des conteneurs purement passifs, édifiés pour leurs propres fins par les réplicateurs et représentés par le corps des organismes (…) Hull a souligné que l’explication de la sélection en termes de causes doit nécessairement comprendre les deux concepts (1980, pp. 319-320) : « Un certain type d’évolution pourrait résulter de la réplication seule, mais l’évolution par la sélection naturelle demande de combiner la réplication et l’interaction. Ces deux processus sont nécessaires simultanément. Aucun des deux n’est par lui-même suffisant. Omettre la réplication, c’est ne pas prendre en compte le mécanisme par lequel une structure est transmise d’une génération à une autre. Ne pas prendre en compte les mécanismes causals qui infléchissent la distribution des réplicateurs réduit le processus évolutif à la « gavotte des chromosomes », pour utiliser l’expression appropriée d’Hamilton. »

(…) Je vais soutenir dans cette section que le mécanisme causal de la sélection réside dans l’interaction, non dans la réplication, et que le modèle hiérarchique s’impose presque automatiquement, dès lors que l’on accepte cette analyse de la causalité.

La réplication fidèle comme critère fondamental de la conception de l’évolution centrée sur le gène

Comme noté ci-dessus, Williams et Dawkins ont tous deux choisi de prendre les réplicateurs, et non les interacteurs, comme unités de sélection… Ayant ainsi pris cette option, et compris correctement que la sélection ne pouvait opérer que sur des « individus » tels que définis précédemment, quels individus se répliquant Williams et Dawkins allaient-ils ensuite choisir ?

Nous savons tous qu’ils ont choisi les gènes, dans la mesure où ils ont considéré ceux-ci comme les réplicateurs fondamentaux (et, selon eux, effectivement exclusifs), et ils en ont fait, au nom de leur choix, les seule unités de sélection à prendre en compte dans le cadre de la théorie darwinienne de l’évolution (en contraste maximal avec la théorie hiérarchique, telle qu’elle est défendue dans le présent livre, envisageant de multiples niveaux intervenant simultanément)… Williams et Dawkins sont tous deux partis de l’idée que les unités conventionnelles prises en compte par la théorie darwinienne (le corps des organismes) ne peuvent pas correctement remplir cette fonction, parce que les organismes sont dépourvus d’une caractéristique fondamentale que les gènes, eux possèdent. Les traits du corps des organismes sexués se désintègrent en quelque sorte lors de la reproduction, ne faisant, pour ainsi dire, qu’une demi-apparition dans la constitution génétique de leurs rejetons. Comment une entité aussi éphémère que le corps des organismes pourrait-elle être une unité de sélection ? Mais les gènes transmettent des copies fidèles d’eux-mêmes aux générations suivantes et, par conséquent, présentent l’intégrité durable, requise d’un agent de la sélection naturelle, selon leur conception.

(…) Dawkins commet ensuite l’une des erreurs classiques dans le domaine du raisonnement appliqué à des sujets historiques, en soutenant que, puisque les gènes ont précédé les organismes dans le temps et se sont ensuite agrégés pour former des cellules et des organismes, ils bénéficient nécessairement de la maîtrise sur les organismes : ce faisant, il confond à tort la notion de primordialité dans l’histoire avec celle de primauté actuelle – au sens de la domination… Une unité de niveau plus élevé peut avoir été formée historiquement par l’agrégation d’unités de niveau inférieur. Mais dès lors qu’une unité de niveau plus élevé développe des caractéristiques émergentes en raison d’interactions non additives entre ses composantes (les unités de niveau inférieur), elle devient par définition une unité indépendante de plein droit, et non l’ « esclave » passif de ses composantes, dont on aurait pu penser, à tort, qu’elles auraient eu une complète maîtrise sur elle….

Cribles, purificateurs et nature de la sélection : le rejet de la réplication comme mode d’opération de la sélection

On proclame si souvent que le mode d’opération de la sélection est lié à la réplication fidèle que cet énoncé est pratiquement devenu une formule rituelle aux yeux de nombreux évolutionnistes. Cependant, lorsqu’on considère ce qu’est fondamentalement la sélection naturelle en tant que processus causal, on ne peut que se demander pourquoi tant de gens font cette erreur qui consiste à confondre la mesure des effets produits par la sélection naturelle grâce au calcul de l’accroissement différentiel de certains attributs hénéréditaires (comptabilité) avec le mécanisme qui détermine le succès reproductif relatif (causalité)…

De nombreux évolutionnistes ont estimé que les gènes devaient sûrement être les unités opérationnelles de la sélection en raison de deux caractéristiques qui ont une grande importance au regard de l’évolution, mais qui n’ont en réalité que peu de rapport avec le mode d’opération de la sélection. La persistance à long terme et la réplication figurent effectivement parmi les caractéristiques nécessaires (mais non suffisantes) que doit posséder une entité biologique quelconque pour être qualifiée d’individu évolutionniste. Puisque l’évolution requiert la transmission héréditaire, et puisque les gènes transmettent des copies fidèles d’eux-mêmes, et qu’ils représentent aussi la plus petite unité fonctionnelle de la structure matérielle qui fonde la continuité physique entre les générations d’organismes sexués (le type d’individus évolutionnistes que nous connaissons le mieux pour d’évidentes raisons nombrilistes), de nombreux biologistes ont supposé que les gènes représentaient donc les unités de sélection fondamentales (voire uniques).

Il s’agit là d’une erreur intéressante qui se fonde sur deux fautes de raisonnement très répandues :

1°) La confusion entre conditions nécessaires et conditions suffisantes

(…) Les individus évolutionnistes, pour agir en tant qu’unité de sélection, doivent aussi posséder des propriétés que les gènes n’ont généralement pas. En particulier, une unité de sélection doit interagir « directement entant qu’ensemble cohérent avec son environnement de telle façon que la réplication soit différentielle », pour citer de nouveau la définition de Hull (1980, p. 318).

Mais chez les organismes sexués, et chez les autres individus de plus haut niveau, les gènes n’interagissent généralement pas de façon directe avec l’environnement. En réalité, ils opèrent par le biais des organismes, lesquels fonctionnent comme les vrais agents dans la « lutte pour l’existence ». Les organismes vivent, meurent, entre en concurrence avec d’autres, et se reproduisent ; il en résulte que les gènes sont transmis de façon différentielle à la génération suivante…

2°) Les concepts et les définitions sont liées à des théories

La fidélité de la réplication des gènes est une notion séduisante, surtout quand on la compare avec la nature éphémère des organismes sexués, dont les traits se désintègrent pour passer à la génération suivante…

Bien entendu, les individus évolutionnistes doivent être tous capables de transmettre (différentiellement et d’une façon héritable) leurs caractéristiques favorables aux générations suivantes. Mais cela ne signifie absolument pas que les unités de sélection doivent transmettre des copies d’elles-mêmes, corporellement et dans leur totalité, à la génération suivante. Le critère de l’hérédité demande seulement que les unités de sélection soient capables d’infléchir la constitution génétique de la génération suivante en direction des traits qui ont assuré le succès reproductif différentiel des individus parentaux…

L’interaction, critère adéquat pour caractériser les unités de sélection

(…) La simple observation de la plurification (l’accroissement relatif de la représentation individuelle dans la constitution héréditaire des générations suivantes) ne suffit pas à identifier la mise en œuvre de la sélection naturelle, car, d’une part, la plurification peut résulter de la mise en œuvre de processus non sélectifs et, d’autre part, certains phénotypes peuvent voir leur fréquence s’accroître, mais être ensuite incapables de se plurifier.

L’incohérence interne du sélectionnisme génique

J’estime que la vogue connue par le sélectionnisme génique durant ces dernières années constitue un épisode inhabituel dans l’histoire des sciences, car je suis convaincu que la thèse centrale de cette théorie est logiquement incohérente, même si plusieurs de ses principes sont séduisants (et partiellement valables), et même si est interessant l’exercice mental consistant à reconsidérer l’ensemble des phénomènes naturels du point de vue du gène. L’analyse de texte serrée des documents fondamentaux de cette théorie révèle des problèmes internes persistants, explicitement reconnus par leurs auteurs…

Tentative d’attribuer le rôle d’agent aux gènes en niant les propriétés émergentes des organismes

Une fois que l’on admet, comme tous les partisans du sélectionnisme génique sont obligés de le faire et s’y plient effectivement, que les gènes se propagent par le biais d’une sélection portant sur des interacteurs (lesquels sont des organismes), comment est-il possible d’attribuer le rôle d’agent causal direct aux gènes plutôt qu’aux organismes ? (…) Une vue réductionniste de ce genre ne peut s’appliquer qu’à condition que les gènes édifient le corps des organismes sans interaction non-linéaire ou non additive entre eux, dans le cadre du programme de construction représenté par le développement. Dès lors qu’existe n’importe quel phénomène non linéaire entre les gènes, il est impossible de décomposer les mécanismes causals au niveau d’un organisme donné en termes de gènes considérés individuellement, car les organismes représentent alors, selon une formule classique, « plus que la somme de leurs parties ». En termes techniques, la non-linéarité conduit à des traits et à des valeurs compétitives émergentes au niveau des organismes ; et lorsque la sélection opère sur des propriétés émergentes de ce type, il est logiquement impossible de ramener les mécanismes causals à l’action des gènes individuels et à leur sommation. »

Le gène égoïste de Richard Dawkins

La théorie du gène égoïste

Richard Dawkins

Encore sur Richard Dawkins

Toujours sur Richard Dawkins

Le darwinisme social de la sociobiologie

Read “THE STRUCTURE OF EVOLUTIONARY THEORY”, By Stephen Jay Gould

“The Selfish Gene” By Richard Hawkins

Other texts of Richard Dawkins

Richard Dawkins écrit en 2006 :

« Il est important de ne pas se méprendre sur la portée de la sélection naturelle. Elle ne favorise pas l’évolution d’une perception cognitive de ce qui est bon pour vos gènes. Cette perception a dû attendre le XXe siècle pour arriver au niveau cognitif, et seuls ne la comprennent bien qu’une minorité de spécialistes scientifiques. Ce que favorise la sélection naturelle, ce sont les règles d’or, qui fonctionnent en pratique pour promouvoir les gènes qui les ont construites. Les règles d’or, par nature, font parfois des erreurs. »

Citations de Richard Dawkins dans « Le gène égoïste » :

« La vie intelligente sur une planète ne peut naître qu’une fois qu’elle a appréhendé les raisons de sa propre existence. Pg 18

Chez les espèces à reproduction sexuée, l’individu est une unité génétique trop grande et trop temporaire pour devenir une unité significative de la sélection naturelle. Pg 58

Le gène est défini comme un morceau de chromosome qui est assez court pour pouvoir durer suffisamment longtemps et jouer le rôle d’unité significative de sélection naturelle. Pg 60
Le gène est l’unité de base de l’égoïsme. Pg 61

[…] l’amour universel et le bien-être des espèces en général sont des concepts qui n’ont absolument aucun sens quand on parle d’évolution. Pg 19

Nous sommes des colonies gigantesques de gènes symbiotiques. Pg 247

Certains emploient la métaphore de la colonie, décrivant un corps comme une colonie de cellules. Je préfère considérer le corps comme une colonie de gènes, et la cellule comme une unité de travail commode pour la chimie des gènes. Pg 74

Les gènes ne sont pas détruits après un “crossing-over”, ils ne font que changer de partenaire et continuent leur marche. Pg 59

Nos propres gènes coopèrent non parce qu’ils sont les nôtres, mais parce qu’ils partagent la même sortie — le spermatozoïde ou l’ovocyte — pour aller dans l’avenir. Pg 328

[…] pour comprendre l’évolution de l’homme moderne, il nous faut commencer par rejeter le gène comme seul fondement de nos idées sur l’évolution. […] le darwinisme est une théorie trop vaste pour être réduite au contexte étroit du gène. Pg 260

L’État-providence est peut-être le système altruiste le plus important que le règne animal ait connu. Mais tout système altruiste est naturellement instable parce qu’il est la porte ouverte aux abus d’individus égoïstes prêts à l’exploiter. Pg 164

Ce que nous n’avons pas encore pris en compte, c’est qu’une caractéristique culturelle ait pu évoluer d’une certaine manière parce qu’elle y a trouvé son avantage. Pg 270

Nous sommes construits pour être des machines à gènes et élevés pour être des machines à mèmes, mais nous avons le pouvoir de nous retourner contre nos créateurs. Pg 272

Dawkins cite N. K. Humphrey : « […] les mèmes devraient être considérés techniquement comme des structures vivantes, et non pas simplement comme des métaphores. » Pg 261

Dawkins cite Jacques Monod : « Un autre aspect curieux de la théorie de l’évolution est que chacun pense la comprendre ! » Pg38

Être grand n’est pas nécessairement une bonne chose : la plupart des organismes sont des bactéries et très peu sont des éléphants. Pg 345

[…] résumé de l’idée que l’on peut avoir au travers du gène égoïste/du phénotype étendu. Je maintiens qu’il s’agit d’une idée qui s’applique aux choses vivantes partout dans l’univers. L’unité fondamentale, le premier moteur de toute vie, c’est le réplicateur. Un réplicateur est tout ce dont on fait des copies dans l’univers. Les réplicateurs existent d’abord grâce à la chance, au mélange hasardeux de particules plus petites. Une fois qu’un réplicateur est né, il est capable de générer un éventail indéfini de copies de lui-même. Aucun procédé de copie n’est toutefois parfait, et la population des réplicateurs en vient à comprendre des variétés qui diffèrent. Pg 353 & 354

[…] si l’évolution peut vaguement sembler une “bonne chose”, […] en fait rien ne “demande” à évoluer. L’évolution est un phénomène qui arrive bon gré mal gré, en dépit de tous les efforts des réplicateurs (aujourd’hui des gènes) pour prévenir son arrivée. Pg 38

Dans sa forme la plus générale, la sélection naturelle signifie la survie différentielle d’entités. Certaines entités vivent, d’autres meurent, mais pour que cette mort sélective ait un impact sur le monde, une condition supplémentaire est nécessaire. Chaque entité doit exister sous la forme de lots de copies, et au moins quelques-unes de ces entités doivent potentiellement être capables de survivre, sous forme de copies, pendant une période importante dans le temps évolutionnaire. De petites unités génétiques ont ces propriétés ; les individus, les groupes et les espèces ne les ont pas. Pg 57

Je ne sais pas si on peut mettre l’éthique de “l’espécéisme”, pour reprendre un terme de Richard Ryder, sur le même plan que celle du “racisme”, mais ce que je sais, en revanche, c’est qu’elle n’a pas de base solide en biologie de l’évolution. […] Si la sélection se poursuit entre des groupes à l’intérieur d’une espèce, et entre des espèces, pourquoi ne devrait-elle pas s’opérer entre des groupes plus importants ? […] Le lion et l’antilope sont tous deux membres de la classe des mammifères, comme nous. Ne devrions-nous pas alors nous attendre à ce que les lions s’abstiennent de tuer les antilopes “pour le bien des mammifères” ? Pg 28 & 29

Si nous le souhaitons, nous pouvons définir un gène comme étant une séquence de lettres nucléotidiques se trouvant entre un symbole de DÉBUT et un autre de FIN, qui forment le code d’une chaîne protéique. Le mot cistron a été utilisé pour une unité définie de cette manière […]. Mais le “crossing-over” ne respecte pas les frontières entre les deux cistrons. […] Dans le titre de ce livre, le mot “gène” ne signifie pas : un seul cistron, mais quelque chose de plus subtil. […] La définition que je veux utiliser est celle de G. C. Williams. Un gène peut être défini comme une portion de matériel chromosomique qui dure potentiellement pendant un nombre suffisant de générations pour servir d’unité de sélection naturelle. […] Plus une unité génétique est courte, plus longtemps elle vivra — en termes de générations, en particulier parce qu’elle aura moins de risques d’être cassée par un “crossing-over”. Pg 50 & 51

Un autre aspect remarquable du gène est qu’il ne connaît pas la sénilité ; il n’a pas plus de chances de mourir quand il a un million d’années que lorsqu’il en a cent. Il saute de corps en corps suivant les générations, manipulant corps après corps par ses propres moyens et pour ses propres fins, abandonnant une succession de corps mortels avant qu’ils ne sombrent dans la sénilité et la mort. Pg 57 & 58

Quoi que les gènes libres et indépendants puissent être dans leur voyage dans les générations, ce ne sont pas des agents indépendants et libres dans le contrôle qu’ils exercent sur le développement embryonnaire. Ils collaborent et interagissent de manière complexe, inextricable, à la fois l’un avec l’autre et avec leur environnement extérieur. Des expressions comme “le gène des longues jambes” ou “le gène du comportement altruiste” sont pratiques, mais il est important de comprendre ce qu’elles signifient. Il n’existe aucun gène capable de construire une jambe à lui seul, qu’elle soit longue ou courte. […] Mais il pourrait bien y avoir un seul gène qui, toutes choses étant égales par ailleurs, tende à faire les jambes plus longues qu’elles ne l’eussent été sous l’influence de l’allèle du gène. Pg 61

[…] les gènes qui réussissent auront tendance à retarder la mort de leurs machines à survie, au moins jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus se reproduire. […] il est […] évident qu’un gène létal qui fera effet à retardement sera plus stable dans le pool génique qu’un autre qui fera effet tout de suite. […] Ainsi, selon cette théorie, la sénilité n’est que le sous-produit de l’accumulation dans le pool génique de gènes létaux et de gènes semi-létaux à effet retard, qui ont réussi à passer à travers les mailles du filet de la sélection naturelle simplement parce qu’ils ne font sentir leurs effets que très tard. Pg 66

[…] la difficulté qu’ont les théoriciens à expliquer l’évolution des sexes provient du fait qu’ils pensent habituellement que l’individu essaye de maximiser le nombre de ses gènes survivants. […] Mais le paradoxe semble moins paradoxal si nous […] traitons l’individu comme une machine à survie construite par une confédération éphémère de gènes immortels. […] Un gène en faveur de la sexualité manipule tous les autres gènes pour ses propres desseins égoïstes. […] Qu’elle bénéficie ou non au reste des gènes de l’individu est comparativement inutile. Pg 70

[…] la manifestation immédiate de la sélection naturelle se passe presque toujours au niveau individuel. Mais les conséquences à long terme de la mort individuelle et du succès en matière de reproduction se manifestent sous forme de fréquences de changement de gènes dans le pool génique. Pg 71

Une stratégie évolutionnairement stable ou SES se définit comme une stratégie qui, si elle est adoptée par la plupart de ses membres, ne peut être améliorée par aucune autre stratégie. […] Une SES est stable non parce qu’elle est particulièrement bonne pour les individus qui en font partie, mais simplement parce qu’elle est immunisée contre la trahison interne. Pg 103 & 107

Le pool génique représente l’environnement à long terme du gène. […] Le pool génique deviendra un ensemble évolutionnairement stable de gènes, défini comme pool génique qui ne peut être envahi par aucun gène nouveau. La plupart des nouveaux gènes qui apparaissent par mutation, par réarrangement, ou par migration, sont rapidement pénalisés par la sélection naturelle : l’ensemble évolutionnairement stable est restauré. De temps à autre, un nouveau gène réussit bien à envahir l’ensemble : il réussit à se répandre dans le pool génique. Il y a une période transitoire d’instabilité qui se termine par un nouvel ensemble évolutionnairement stable — on a alors assisté à une tranche d’évolution. Pg 125

Note n°8, en référence au paragraphe cité ci-dessus : Ce paragraphe résume bien une façon d’exprimer la théorie maintenant bien connue de l’équilibre ponctué. Je suis honteux de dire que, lorsque j’ai exposé mon hypothèse, j’étais, comme de nombreux biologistes britanniques de l’époque, complètement ignorant de l’existence de cette théorie, bien qu’elle ait été publiée trois ans plus tôt. Depuis, par exemple dans L’Horloger aveugle, je suis devenu quelque peu irritable — peut-être un peu trop — sur la façon dont on nous a rebattu les oreilles avec cette théorie. Si cela a heurté la sensibilité de quelqu’un, je le regrette. On peut noter toutefois qu’au moins en 1976 mon cœur ne se trompait pas. Pg 381

Les gènes […] contrôlent le comportement de leurs machines à survie, non pas directement […], mais indirectement, comme le programmeur d’ordinateur. Ils ne peuvent qu’établir le programme à l’avance et la machine à survie agit de son propre chef, tandis que les gènes attendent passivement à l’intérieur. Pourquoi sont-ils passifs, pourquoi ne prennent-ils pas les rênes de temps à autre pour changer la direction ? Ils ne peuvent le faire à cause des problèmes de décalage temporel […]. Pg 81

Chaque décision prise par une machine à survie est un pari, et c’est aux gènes de programmer le cerveau à l’avance de manière à ce qu’en moyenne les décisions s’avèrent payantes. Pg 85

Une des manières dont les gènes résolvent le problème des prévisions dans des environnements assez imprévisibles est l’acquisition d’une capacité d’apprentissage. […] Une autre méthode intéressante de prévision du futur est la simulation. Pg 86 & 87

[…] les parents proches — du même sang — ont une chance supérieure à la moyenne de partager des gènes. […] C’est la raison pour laquelle l’altruisme des parents envers leurs enfants est si répandu. […] Si un individu meurt en sauvant une dizaine de parents proches, il se peut qu’une copie du gène de l’altruisme soit perdue, mais un grand nombre de copies du même gène est préservé. Pg 129

[L’] indice de degré de parenté […] exprime les probabilités qu’un gène soit partagé entre deux parents. Pg 130 Génétiquement parlant, un adulte devrait se consacrer autant à son frère en bas âge qu’à ses propres enfants. Sa parenté par rapport aux deux est exactement la même, à savoir ½. Pg 134

[…] la véritable parenté peut être moins importante dans l’évolution de l’altruisme que la meilleure estimation de parenté à laquelle les animaux peuvent arriver. Pg 149

Dans un monde où les autres individus sont constamment à l’affût d’occasions pour exploiter l’altruisme sélectionné par parenté et l’utiliser à ses propres fins, une machine à survie doit savoir à qui elle peut faire confiance, de qui elle peut être sûre. Pg 149

En fonction des situations écologiques de l’espèce, différents mélanges de stratégies éducation/reproduction peuvent être évolutionnairement stables. La seule chose qui ne puisse l’être est une stratégie d’éducation pure. Pg 154

Les individus qui ont trop d’enfants sont pénalisés non parce que toute la population va s’éteindre, mais simplement parce qu’ils auront moins d’enfants survivants. Pg 163

Ce qui s’est passé pour l’homme civilisé, c’est que la taille des familles n’est plus limitée par une quantité finie de ressources que les parents peuvent fournir. Si un mari et une femme ont plus d’enfants qu’ils ne peuvent en nourrir, l’État, c’est-à-dire le reste de la population, entre en scène et prend soin de ces enfants en surnombre en les gardant vivants et en bonne santé. Rien en fait ne peut empêcher un couple sans ressources d’avoir et d’élever autant d’enfants que la femme est physiquement capable de porter. Mais l’État-providence n’est pas quelque chose de très naturel. Pg 163
La contraception est parfois attaquée comme étant un moyen “non naturel”. C’est exact, mais le problème est que l’État-providence l’est aussi. Je pense que la plupart d’entre nous croient que l’État-providence est quelque chose de très souhaitable. Mais vous ne pouvez pas avoir un État-providence contraire à la nature, à moins d’avoir un contrôle des naissances tout aussi peu naturel. Pg 164

La transmission culturelle n’est pas uniquement spécifique à l’homme. [Mais] Seule notre propre espèce montre réellement ce que peut faire l’évolution culturelle. Pg 257 & 258

Je pense qu’un nouveau type de réplicateur est apparu récemment sur notre planète ; il nous regarde bien en face. C’est encore un enfant, il se déplace maladroitement dans la soupe originelle, mais subit déjà un changement évolutionnaire à une cadence qui laisse les vieux gènes pantelants et loin derrière. […] Tout comme les gènes se propagent dans le pool génique en sautant de corps en corps par le biais des spermatozoïdes et des ovocytes, les mèmes se propagent dans le pool des mèmes, en sautant de cerveau en cerveau par un processus qui, au sens large, pourrait être qualifié d’imitation. Pg 261

L’ancienne évolution due à la sélection par les gènes, et grâce à la fabrication de cerveaux, fournit une “soupe” dans laquelle les premiers mèmes ont fait leur apparition. Une fois répliqués, les mèmes se sont répandus, et leur propre type d’évolution, plus rapide, a pris son essor. Pg 263

[…] en général les mèmes ressemblent aux premières molécules réplicatrices, flottant librement et au hasard dans la soupe originelle, plutôt qu’aux gènes modernes nettement appariés dans leurs troupes chromosomiques. […] Devrions-nous alors les qualifier d’“égoïstes” ou d’“impitoyables”, s’ils n’ont pas d’allèles ? La réponse est oui, parce que, dans un sens, ils doivent sacrifier entre eux à une sorte de concurrence. Pg 267

Les effets phénotypiques d’un gène sont normalement considérés comme étant les effets que ce gène produit sur le corps dans lequel il se trouve. Il s’agit de la définition conventionnelle. Mais […] il nous faut penser aux effets phénotypiques d’un gène comme à l’ensemble des effets qu’il produit sur le monde. [Théorie du phénotype étendu - Extended phenotype] Pg 318

Au cœur de la théorie du gène égoïste règne un certain paradoxe. […] Un corps ne ressemble pas au produit d’un assemblage temporaire et flou d’agents génétiques hostiles qui n’ont guère le temps de se connaître avant d’embarquer à bord du spermatozoïde ou de l’ovocyte pour former la branche suivante de la grande diaspora génétique. […] En pratique, la plupart des gènes ont plus d’un aspect phénotypique. […] La sélection naturelle favorise certains gènes non pas à cause de la nature des gènes eux-mêmes, mais à cause de leurs conséquences — leurs effets phénotypiques. […] le paradoxe disparaît facilement, car ce qui est bon pour un gène l’est pour tous les autres. Pg 213 à 215

[…] lorsque les gènes d’un parasite travaillent ensemble, mais en opposition aux gènes de l’hôte (qui travaillent tous ensemble les uns avec les autres), c’est parce que ces deux ensembles de gènes utilisent des méthodes différentes pour quitter ce véhicule commun qu’est le corps de l’hôte. Pg 341

Une chose importante à savoir en ce qui concerne le cycle de vie en “goulot d’étranglement”, c’est qu’il donne la possibilité de “revenir à la table à dessin”. Pg 349

L’une des caractéristiques les plus frappantes de la machine à survie est qu’elle semble avoir un but. […] la “machine qui a un but”, la machine ou la chose qui se comporte comme si elle avait un but conscient, est équipée d’une sorte de régulateur qui mesure la différence entre les conditions du moment et les conditions désirées. Avec ce régulateur, plus la différence est grande, plus la machine travaille dur. Pg 78 & 79

Même cette idée qui nous pousse à croire que les signaux de la communication animale ont évolué à l’origine pour inciter au bien mutuel, et qu’ils ont ensuite été exploités par des partis mal intentionnés, est trop simpliste. Il se peut que tous les systèmes de communication animale contiennent un élément de tromperie dès le début, parce que toutes les interactions animales impliquent au moins plusieurs conflits d’intérêt. Pg 97

J’ai dit d’un ordinateur séquentiel ordinaire qu’il pouvait donner l’illusion d’être un ordinateur parallèle en se concentrant suffisamment vite sur un certain nombre de tâches. Nous pourrions dire qu’il existe un processeur parallèle virtuel au sommet de la machinerie séquentielle. L’idée de Dennett est que le cerveau humain a fait exactement l’inverse. La constitution du cerveau est fondamentalement parallèle […]. Et elle fait tourner des logiciels conçus pour créer une illusion de traitement séquentiel : une machine virtuelle traitant les données séquentiellement fonctionne au sommet de l’architecture parallèle. Pg 372 & 373

Le malheur des humains vient de ce que trop d’entre eux n’ont jamais compris que les mots ne sont que des outils à leur disposition, et que la seule présence d’un mot dans le dictionnaire (le mot “vivant” par exemple) ne signifie pas que ce mot se rapporte forcément à quelque chose de défini dans le monde réel. Pg 39

[…] l’effet Bruce : les souris mâles sécrètent une substance chimique qui, lorsqu’elle est flairée par une femelle en gestation, peut provoquer chez elle un avortement. Elle n’avorte que si l’effluve est différent de celui de son ancien partenaire. De cette manière, une souris mâle détruit les petits qui ne seraient pas d’elle et rend sa nouvelle femelle réceptive à ses avances sexuelles. Pg 202

La proie est paralysée au lieu d’être tuée, car ainsi elle ne pourrit pas. Elle est donc mangée vivante et fraîche. C’est cette habitude macabre des guêpes ichneumonidées qui poussa Darwin à écrire : “Je ne peux me persuader que Dieu d’Amour et Tout-Puissant ait créé de sang-froid les Ichneumonidées afin qu’elles se nourrissent des corps vivants des chenilles”. Pg 378

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