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Qu’est-ce que le fonctionnement dialectique du système immunitaire ?

mercredi 12 avril 2017, par Robert Paris

Qu’est-ce que le fonctionnement dialectique du système immunitaire ?

« Le soi immunitaire n’est pas un sujet immuable défini par un ensemble fixé d’anti-gènes. Le soi immunitaire ressemble plutôt à une série de phrases immunitaires évolutives, constituées d’antigènes en relation spécifique avec des signaux spécifiques. Le soi immunitaire n’est pas le sujet d’une l’histoire. Le soi immunitaire est l’histoire. Une histoire qui s’écrit elle-même et qui prend son sens de page en page. Il s’agit donc ici de l’auto-organisation d’un soi. »

Henri Atlan (ouvrage collectif …)

On ne peut pas nous greffer aisément l’organe d’un autre être humain parce que nos protections se ressent alors contre la greffe, ayant reconnu un non-soi qui est assimilée par nos protections à une agression, comme s’il s’agissait d’un microbe potentiellement porteur de maladies.

D’où vient que l’individu est capable de reconnaître des molécules à détruire c’est-à-dire la capacité à distinguer le soi et le non-soi. On connaît ainsi le phénomène de rejet des greffes par lequel le système immunitaire rejette le non-soi. Comment sont produits dès la naissance des lymphocytes capables de réagir aux agressions et de les détruire sans se tromper et sans détruire des structures internes indispensables. Comment, très tôt dans le développement de l’individu, ces molécules sont capables de reconnaître tout le capital de molécules du corps qui seront celles de l’adulte ?

Comment notre système immunitaire produit à notre naissance a-t-il permis de fabriquer ces lymphocytes et leurs récepteurs capables de détecter autant de corps étrangers ? Le mystère est d’autant plus grand que quand notre système immunitaire s’est formé, nous étions enfouis dans le ventre notre mère, à l’abri des attaques extérieures.

L’autre mystère est le nombre extraordinaire et les formes multiples de récepteurs de corps étrangers qu’il faut produire pour détecter tous les types d’attaques. Encore une fois, la méthode choisie par la nature va être d’explorer toutes les configurations possibles au hasard et de ne conserver que celles qui sont adéquates, en supprimant celles qui sont inutiles par apoptose. Chaque récepteur est formé de quatre protéines provenant de quatre gênes différents. Au départ, la méthode va consister à les fabriquer de toutes les manières possibles. Cela signifie qu’une partie des récepteurs va être sensible aux protéines fabriquées par notre corps. De tels lymphocytes pourraient avoir un effet destructeur puisqu’ils enclencheraient des attaques contre des parties de notre corps lui-même. C’est ce qu’il se produit dans ce que l’on appelle les maladies auto-immunes. C’est l’apoptose qui va permettre, lors de la formation de l’embryon, d’éliminer les lymphocytes ayant de tels récepteurs.

Les protéines que l’on trouve dans notre corps sont en effet uniques. Aucun autre être humain n’a exactement les mêmes, pas même notre mère. C’est cela qui va permettre à notre système immunitaire de distinguer tout corps étranger et c’est aussi pour cela que se produit le phénomène de rejet de greffes. C’est en trois jours, au cours de la formation de l’embryon, que vont être sélectionnés dans une petite glande appelée le thymus les lymphocytes T se fixant sur des protéines étrangères, celles du non-soi.

Au sein du thymus les lymphocytes T vont circuler lentement, rencontrant tous les fragments de protéines du soi, préalablement découpés par les cellules sentinelles, et leur présentant ses récepteurs. Tout lymphocyte qui se fixe sur une protéine du soi de façon trop liée va devenir une nouvelle molécule qui ne reçoit plus de signaux de survie et se suicide. En trois jours, c’est 99% des lymphocytes produits au hasard qui vont mourir au sein du thymus et ceux qui survivent ne sont pas assez sensibles à des liaisons avec le soi pour risquer des réactions auto-immunes.

Le lymphocyte qui rencontre un microbe ne reconnaît pas ce corps étranger grâce à une mémoire préalable de tous les microbes possibles, contrairement à ce que l’on a longtemps cru. Il a au contraire une espèce de mémoire de non-reconnaissance du soi. Il est sélectionné pour ne pas se fixer sur nos protéines. Dès qu’il se fixe, on peut être sûr que c’est sur une protéine étrangère.

Nous reconnaissons là encore une fois une procédure classique au sein du vivant bien qu’inattendue pour nous. Lorsque nous créons des objets, nous êtres humains nous travaillons à l’économie. Nous cherchons à concevoir d’avance comment devra être l’objet en fonction du but recherché. Nous faisons des plans et nous nous guidons sur un objectif. Nous ne faisons certainement pas tous les objets possibles avec un matériau donné avant de rejeter 99% des résultats comme inadéquats. C’est pourtant ce que semble faire la nature.

Notre système immunitaire combat les virus actifs considérés par notre corps comme invasifs. Les cellules sentinelles déclenchent la production de lymphocytes T, eux-mêmes produisant des lymphocytes B qui produisent des anticorps.

C’est le processus classique en cas d’agression extérieure par des virus étrangers. Mais les virus peuvent aussi être acceptés et assimilés par l’hôte… Ces virus, s’ils ne sont pas mortels, peuvent modifier le matériel génétique.
Un être vivant est un système en mesure de régénérer ses propres composantes internes en utilisant les matériaux de son environnement. C’est un système dont les interactions des sous-systèmes qui le composent ont pour effet de le maintenir en tant que système.

Le système immunitaire est celui qui reconnaît les molécules biochimiques du soi et nous protège des molécules du non-soi. Il est, par excellence, un système apoïetique, capable de reproduire le soi et de le distinguer du milieu. Le processus de production du système immunitaire a donc une importance fondamentale pour la compréhension du vivant.

La système immunitaire est caractéristique de la dialectique du vivant : celle de la vie et de la mort - de la vie par la mort et de la mort par la vie -, de la dialectique du général et du particulier, celle des lymphocytes T notamment - qui agissent contre les attaques en général en les reconnaissant par chaque lymphocyte particulier -, de la dialectique de la conservation et de la transformation, ce qui nous conserve est ce qui se transforme, de la dialectique de l’identique et du non-identique, du soi et du non-soi, de l’identité de soi et de l’identité des autres - c’est en introduisant le non-soi qu’on préserve le soi -, de la dialectique du lent et du rapide – l’action en deux temps des lymphocytes qui est la dialectique de l’immunité innée et de l’immunité acquise, de l’immunité spécifique et non spécifique -, de la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur à tous les niveaux du vivant, dialectique de l’individu et du groupe, dialectique de la réplication et de la modification, dialectique de l’activation et de l’inhibition des gènes, dialectique du vivant et de l’inerte, etc…

Le comble de la dialectique de l’immunité, c’est la maladie auto-immune, c’est qu’elle peut nous détruire pour nous protéger et croire reconnaître le non-soi dans le soi !!! Contradiction dialectique, elle peut devenir négation de la négation, négation de la vie (la vie qui est non une affirmation mais la négation de l’apoptose et de la mort par suicide cellulaire).

Jean-Claude Ameisen dans « La sculpture du vivant » :

« La notion d’identité présuppose la capacité de distinguer entre des informations qui sont émises par notre corps – le « soi » - et des informations dont l’origine nous est étrangère – le « non-soi ». La notion de mémoire présuppose la capacité de distinguer entre des informations nouvelles, auxquelles nous n’avons jamais été confrontés auparavant, et des informations que nous avons déjà rencontrées. Se souvenir, c’est reconnaître ; et reconnaître, c’est répondre différemment la deuxième fois que la première. Mais ces deux notions d’identité et de mémoire se surimposent et se recouvrent. Nous nous modifions perpétuellement, comme se modifie en permanence l’environnement dans lequel nous sommes plongés… Notre système immunitaire est une armée en alerte. Il nous défend et nous protège en permanence contre un univers invisible et perpétuellement changeant, les innombrables microbes – bactéries, virus et parasites – qui nous entourent, habitent les eaux et les sols, les animaux et les plantes, et dont certains habitent nos corps en permanence. Nous hébergeons en nous plus de microbes que notre corps ne contient de cellules. Certains, comme la plupart des bactéries de notre tube digestif, nous sont utiles, nous aidant à digérer nos aliments. Mais que ces bactéries franchissent les frontières de leur territoire et elles portent la destruction en nous. En l’absence de système immunitaire, nous sommes à court terme condamnés à une mort certaine. Tout microbe qui pénètre alors en nous – y compris le moins dangereux – puise dans les ressources de notre corps, s’y nourrit et s’y reproduit, se multipliant sans frein et nous faisant disparaître. La puissance de notre système immunitaire – qui nous protège – représente aussi une source de danger permanent pour notre intégrité. Les combats violents qu’il engage tout au long de notre existence contre les microbes se déroulent au sein même de notre corps. Et comme toute une armée qui livre bataille dans une ville qu’elle défend, le système immunitaire a le pouvoir de transformer en champ de ruines les territoires qu’il protège. Notre survie dépend d’un équilibre complexe, d’un compromis, entre deux contraintes contradictoires : répondre à toute agression de la manière la plus efficace possible, tout en focalisant et en maîtrisant au mieux cette réponse. Et ce compromis résulte d’une décomposition de l’engagement au combat du système immunitaire en plusieurs étapes successives. La première correspond à une réponse rapide mais de puissance modérée ; la deuxième à une phase d’identification précise de l’agent infectieux repoussé, une mémoire de la rencontre est conservée, qui permettra en cas de confrontation ultérieure, le déclenchement encore plus rapide de la phase d’attaque massive. Cette décomposition en plusieurs étapes successives résulte de l’intervention séquentielle de deux grandes familles cellulaires distinctes : les cellules « sentinelles » et les lymphocytes. Les cellules « sentinelles » (les macrophages, les cellules dendritiques), qui résident de manière permanente dans l’ensemble des tissus et des organes de notre corps, représentent notre première ligne de défense. Elles engagent le combat, capturent et détruisent une partie des microbes, contiennent leur progression, gagnent les ganglions les plus proches et émettent des signaux qui appellent, attirent et guident vers elles les lymphocytes. Les lymphocytes qui parcourent en permanence notre corps rencontrent ces cellules « sentinelles » dans les ganglions, leur répondent, puis gagnent les lieux de l’invasion, se dédoublent et se transforment en combattants, recrutant eux-mêmes à leur tour d’autres combattants, recrutant eux-mêmes à leur tour d’autres combattants. Une fois l’ennemi vaincu, quelques uns de ces lymphocytes se différencieront en cellules « mémoire » qui continueront, pendant plusieurs années ou dizaines d’années, à parcourir et surveiller notre corps. Les cellules « mémoire » sont devenues capables de déclencher beaucoup plus rapidement l’attaque si elles sont confrontées dans l’avenir au même microbe. La première rencontre, la première reconnaissance, le premier combat, a entraîné le déverrouillage de gènes – et la fabrication de protéines – dont l’effet est de diminuer le délai de mise en route de la réponse. La « mémoire » immunitaire, c’est le raccourcissement de la durée qui sépare la rencontre de l’agent infectieux du déclenchement de l’attaque. Il existe deux grandes familles de lymphocytes. L’une d’elles se différencie au cours du développement de l’embryon dans une petite glande située près du cœur, le thymus. C’est la famille des lymphocytes T (pour thymus) qui joue un rôle essentiel dans la reconnaissance du non-soi et le déclenchement et la coordination des combats contre les microbes. Nous possédons en nous plusieurs centaines de millions de lymphocytes T, tous différents les uns des autres, dont chacun porte à sa surface plusieurs milliers d’exemplaires d’une structure particulière, unique, qui lui permet d’explorer son environnement – un récepteur – différent de tous les autres récepteurs portés par les autres lymphocytes T. Ce sont ces récepteurs qui lui permettent de percevoir, d’identifier les microbes qui nous envahissent, et d’y répondre. L’extraordinaire efficacité de notre système immunitaire est due à l’extraordinaire de ses mécanismes de reconnaissance. Elle ne résulte pas d’une capacité globale, « magique » de chaque lymphocyte à explorer, à lui seul, l’immense univers des virus, des bactéries et des parasites, mais de la coexistence de plusieurs centaines de millions de lymphocytes, portant chacun un récepteur différent de tous les autres et dont chacun possède la capacité de distinguer et d’identifier une seule et infime parcelle de cet univers. La puissance des mécanismes de reconnaissance et de mémoire du système immunitaire résulte de son morcellement, de sa fragmentation, en un peuple d’une foisonnante diversité. (…) Aucun lymphocyte T n’est capable d’attaquer, à lui seul, un virus, une bactérie, un parasite. Il faut tout d’abord que ces micro-organismes aient été capturés par les cellules sentinelles. Les cellules sentinelles capturent, fragmentent, découpent sans cesse une petite partie de toutes les protéines qu’elles contiennent. Les petits fragments se fixent sur des présentoirs que les cellules sentinelles fabriquent en permanence et exposent à leur surface. Chacune de nos cellules sentinelles possède les mêmes présentoirs, capables de fixer et d’exposer une très grande variété de fragments de protéines différentes. En l’absence d’infection, les seules protéines que contiennent les cellules sentinelles et dont elles exposent les fragments à la surface de leurs présentoirs sont les protéines fabriquées par notre corps à partir des informations contenues dans nos gènes. Et c’est la somme de ces assemblages entre nos présentoirs et un fragment de chacune de nos protéines, qui, pour notre système immunitaire, constitue le soi, notre identité. Mais dès qu’un microbe envahit un des territoires de notre corps, les cellules sentinelles qu’il pénètre ou qui le capturent commencent à découper une partie des protéines qui le composent et à exposer, à leur surface, sur leurs présentoirs, des fragments de ces protéines étrangères à notre corps. L’information que peut distinguer le récepteur d’un lymphocyte T et qui lui permettra de déclencher sa réponse est de nature hétérogène, composite : c’est un mélange, un assemblage, constitué pour partie du présentoir de la cellule sentinelle et pour partie du fragment de protéine de microbe qu’il contient. Cet assemblage est fait d’une portion de non-soi (un fragment de protéine provenant d’un virus, d’une bactérie, d’un parasite) enchâssée dans une portion de soi (le présentoir). Ainsi, l’intrusion, la présence de l’agresseur, est révélée, déchiffrée, identifiée, dans le contexte du soi. Et c’est la capture, par le récepteur d’un lymphocyte T, de cette combinaison de non-soi et de soi qui est indispensable à sa transformation en combattant. La vision que nous envoie notre système immunitaire au combat – l’extraordinaire sélectivité avec laquelle un lymphocyte particulier, et non pas un autre, attaquera, dès leur première rencontre, un représentant particulier de l’univers des microbes et non pas un autre – suggère implicitement l’existence d’une forme de « re-connaissance », de « mémoire », de cet univers extérieur auquel il est soudain pour la première fois confronté, par l’intermédiaire des cellules sentinelles. Pourtant, quelle que soit la région du monde où nous naissons, quelle que soit la nature des microbes qui y résident, l’existence d’un lymphocyte capable d’attaquer la plupart des innombrables incarnations possibles, changeantes et nouvelles de l’univers des virus, des bactéries et des parasites, préexiste dans notre corps à toute rencontre préalable avec cet univers. En d’autres termes, les combats du système immunitaire ne semblent pas résulter véritablement d’un phénomène de « re-connaissance », mais plutôt d’une forme de « préconnaissance », de « pré-science ». Mais comment pourrait-il y avoir, en nous, une mémoire de ce qui n’a jamais existé ? A quoi pourrait bien correspondre une capacité de « pré-connaissance », de « pré-science », d’un assemblage particulier de non-soi et de soi à venir, encore virtuel et qui ne se matérialisera peut-être jamais ? Quelle pourrait être la nature des informations génétiques à partir desquelles notre corps fabriquerait un à un les innombrables récepteurs des lymphocytes capables d’interagir avec un univers que nous n’avons encore jamais rencontré ? Ce phénomène mystérieux, cette apparente « préscience », paradoxale, du système immunitaire, correspond de fait à une illusion. Les propriétés remarquables de notre système immunitaire résultent bien d’un phénomène d’apprentissage, de re-connaissance et de mémoire. Mais il ne s’agit pas d’un apprentissage du non-soi – de l’univers infini des protéines étrangères à notre corps, fait de protéines existantes et d’autres encore à venir, et qui échappe à toute tentative de déclinaison et d’énumération exhaustive. (…) Au moment où notre système immunitaire commence à se construire, nous sommes enfouis dans le sanctuaire du corps de notre mère, à l’abri des agressions extérieures et de l’univers des microbes. Nos futurs lymphocytes T, à mesure qu’ils naissent, gagnent la petite glande située près du cœur – le thymus – dans laquelle ils vont séjourner trois jours. C’est durant ces trois jours que chaque lymphocyte T va élaborer un récepteur, unique, différent de tous les autres. La construction du récepteur est un phénomène complexe. Il est formé de deux protéines distinctes, constituées chacune de deux sous-unités différentes. (…) L’univers des récepteurs qui permettront à nos lymphocytes T, après notre naissance, de nous défendre, n’est pas prédéterminé, il ne « préexiste » pas tel quel dans la bibliothèque de nos gènes. Il naît d’une forme de loterie qui permet à notre système immunitaire, à partir d’un petit nombre d’informations génétiques, d’arpenter le champ des possibles. Ce mécanisme étrange, s’il présente un formidable outil de création de la diversité, confronte l’embryon à un problème grave. Après la naissance, la survie de l’enfant, puis de l’adulte, dépendra de la capacité de chaque lymphocyte T à faire la différence entre les protéines fabriquées par le corps – le soi – et qui ne doivent pas transformer les cellules du système immunitaire en attaquants, et les protéines qui appartiennent à des microbes – le non-soi – et qui doivent, au contraire, déclencher le combat. Notre survie en tant qu’individu dépend, durant toute notre existence, de la capacité de notre système immunitaire à accepter, à tolérer, à ne pas attaquer le soi, l’exposition permanente de notre identité. Mais comment se fait-il qu’un lymphocyte T, qui a bricolé son récepteur à l’aveuglette, n’attaque pas le corps qui lui a donné naissance ? (…) C’est la somme des assemblages que réalisent nos présentoirs et les millions de fragments de nos protéines qui constitue, pour notre système immunitaire, notre identité, à nulle autre pareille. Et c’est cette irréductible altérité des êtres humains qui constitue l’obstacle aux greffes d’organes : notre système immunitaire attaquera et rejettera, comme non-soi, le soi d’un autre que la médecine tente de lui imposer de force pour le soigner, sous la forme d’un cœur, d’un rein, d’un poumon ou d’un foie. (…)A l’intérieur de l’embryon, dans un environnement où n’est présent que le soi, à l’abri de l’extérieur et en l’absence de tout microbe, va se dérouler une opération étrange où la mort joue un rôle essentiel. Pendant trois jours, chacun des lymphocytes T qui vient de construire, au hasard, son récepteur, parcourt lentement la petite glande où il a pénétré, le thymus, entrant en contact avec chacune des cellules qui l’entourent. Parmi elles sont des cellules sentinelles, qui exposent en permanence sur les présentoirs qu’elles portent à leur surface des fragments de protéines du soi qu’elles ont fabriquées ou capturées. Tout lymphocyte dont le récepteur interagit trop bien avec l’un de ces assemblages qui constituent le soi risquera, un jour, d’attaquer le corps auquel il appartient, détruisant un tissu ou un organe : c’est un lymphocyte qui fait la preuve de sa nature potentiellement dangereuse et serait capable de provoquer une maladie qui s’appelle « auto-immune ». Tout lymphocyte dont le récepteur est, au contraire, totalement incapable d’interagir avec aucun des assemblages que constituent le soi (et donc avec aucun des présentoirs des cellules sentinelles) sera sans doute incapable à jamais d’interagir, après la naissance de l’enfant, avec aucun des présentoirs des cellules sentinelles, sur lesquels seront exposés des fragments de microbes. C’est un lymphocyte qui fait la preuve de son incapacité probable à protéger le corps, et la présence d’un grand nombre de tels lymphocytes inutiles aurait pour effet de diluer l’efficacité de nos combats contre l’univers des microbes. Dans le corps de l’embryon en train de se construire, le destin individuel de chaque lymphocyte T – sa survie ou sa mort – dépendra de la nature des interactions de son récepteur avec son environnement. Toute fixation trop intense du récepteur avec le soi présenté par les cellules sentinelles déclenche un signal fort, qui provoque le suicide immédiat du lymphocyte qui le reçoit. Et le lymphocyte disparaît au moment même où il fait la preuve de son caractère dangereux. Inversement, un récepteur totalement incapable d’interagir avec le soi ne pourra transmettre durant trois jours aucun signal au lymphocyte qui le porte. Et l’absence de tout signal, à elle seule, déclenchera le suicide du lymphocyte qui a fait la preuve de son incapacité à interagir avec les cellules sentinelles – la preuve de sa probable inutilité future. Ainsi meurent durant leur voyage de trois jours dans le thymus environ quatre-vingt-dix-neuf pour cent des dizaines de milliards de lymphocytes dont les récepteurs ont fait la preuve qu’ils répondent trop bien au soi, ou, au contraire, qu’ils sont totalement incapables d’y répondre. Le thymus est un cimetière où disparaît à jamais la quasi-totalité de l’immense diversité des lymphocytes qu’a fait naître l’exploration aléatoire du champ des possibles. Seuls vont survivre environ un pour cent de lymphocytes dont le récepteur est capable d’interagir modérément avec le soi. Cette capture – cette fixation – modérée du soi va transmettre au lymphocyte un signal modéré – faible – qui, seul, est capable d’empêcher le déclenchement de la mort. (…) Ainsi, avant même d’avoir engagé le combat contre l’univers des microbes, l’armée du système immunitaire est déjà, tout entière, constituée de survivants. Le premier combat auquel elle a survécu – au moment de sa naissance première – est de nature étrange : un combat que lui livre tout le corps qu’elle sera plus tard chargée de défendre. C’est la mort cellulaire qui sculpte notre système immunitaire, le forçant à s’adapter à notre identité. (…) Les deux armées sont maintenant face à face… Le système immunitaire va tenter de semer la mort dans les rangs des microbes et des cellules et tissus qu’ils ont envahis. Et les microbes vont répondre en semant la mort dans le système immunitaire. »

Introduction au système immunitaire

La diversité immunologique

La construction du système immunologique

La dialectique de la Vie et de la Mort

La vie ou la destruction constructrice

Bactérie, plasmide et toxine : un exemple de la dialectique du vivant

Activation et inhibition dans le ballet dialectique du vivant

Les pathologies de l’auto-immunité

Le vivant post-génomique, ou l’auto-organisation

La vie, un processus d’auto-organisation de la matière

L’immunité et l’interactionnisme biologique

Critique des notions de soi et de non-soi en immunologie

La dialectique de la Vie et de la Mort dans les modèles biologiques contemporains

De l’analyse au système : le développement de l’Immunologie

La rétroaction de la mort et de la vie

Conférence de Jean-Claude Ameisen : ressentir le monde

Ameisen : l’oubli de nos métamorphoses

Ameisen : héritage et transformation

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