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Il court, il court, le Furet de la contre-révolution

dimanche 6 août 2017, par Robert Paris

Il court, il court, le Furet de la contre-révolution

Venu de la gauche, du parti stalinien dont il a été un fervent militant, l’historien François Furet a été vers la droite et même vers l’extrême droite.

En 1989, conjointement à la chute du mur de Berlin et des régimes staliniens des pays de l’Est, un historien français virait sa cuti, rompant avec le stalinisme pour rejoindre l’anticommunisme, en rejetant la révolution… française !!

Et en 1995, il redonnait un coup dans le même sens, anticommuniste, avec « Le Passé d’une illusion » : l’ « illusion communiste » !

Ce qui est remarquable, c’est que cet historien a surtout fait l’histoire des idéologies de la révolution en défendant la contre-révolution et l’anticommunisme et en critiquant les historiens pro-communistes mais sans jamais se citer lui-même comme historien stalinien qu’il avait pourtant été de manière très tranchée à l’époque… Il avait détenu la carte de membre du PCF jusqu’en 1956… Jusqu’à la révolution hongroise dont il parle fort peu pourtant !!!

Le choix de décrire les parcours idéologiques et non l’histoire des événements est déjà un choix très marqué, vers l’idéalisme.

Il décrit la révolution comme « l’histoire d’une illusion », l’illusion selon laquelle on pourrait révolutionner la société, illusion qui irait de la révolution française à la révolution russe, illusion qui va de l’égalitarisme au communisme…

Sa thèse : la société bourgeoise peut très bien se passer des révolutions, que ce soit pour se mettre en place (la Révolution française était « inutile ») ou dans les luttes internes qu’elle subit (la révolution prolétarienne est inutile, c’est « une illusion »).

Furet compare la Révolution française de 1789 et la Révolution russe de 1917 – omettant sciemment les intermédiaires de 1871 et 1905 -, mais parfois, il en conclut qu’ils sont comparables et parfois qu’ils ne le sont pas…

Il disserte par exemple en tous sens sur le commencement et la fin des deux révolutions…

Ainsi, dans « Penser la Révolution française » :

« Pour les mêmes raison qui font que l’Ancien Régime a une fin, mais de naissance, la Révolution a une fin, mais pas de naissance. L’un souffre d’une définition chronologique négative, donc mortuaire, l’autre est une promesse si vaste qu’elle présente une élasticité indéfinie. Même dans le court terme, elle n’est pas facile à « dater » : selon le sens que l’historien attribue aux principaux événements, il peut l’enfermer dans l’année 1789, année où l’essentiel du bilan terminal est acquis, la page de l’Ancien Régime tournée – ou l’étendre jusqu’à 1794, jusqu’à l’exécution de Robespierre, en mettant l’accent sur la dictature des comités et des sections, l’épopée jacobine, la croisade égalitaire de l’an II. Ou aller jusqu’au 18 Brumaire 1799, s’il veut respecter ce que les thermidoriens conservent de jacobin, le gouvernement des régicides et la guerre avec l’Europe des rois. Ou encore intégrer à la Révolution l’aventure napoléonienne… »

Par contre, dans « Le Passé d’une illusion », le même Furet dit exactement le contraire :

« Car la Révolution française, lorsqu’elle étendait au XIXe siècle ses effets à l’Europe et au monde, constituait un événement du passé, avec un commencement et une fin. La particularité de la révolution russe au XXe siècle, c’est qu’elle n’a qu’un commencement et qu’elle ne cesse d’avoir lieu. Je serais certes le dernier à prétendre que de la Révolution française le mot « fin » est facile à tracer, puisque le concept même de révolution, né avec elle, ne permet pas d’y donner un sens clair : ambiguïté qui domine la politique intérieure française jusqu’à la Troisième République au moins. Mais enfin, vus d’Europe, ou de plus loin encore, les événements qui ont commencé en 1789 se terminent en tout cas avec la chute de Napoléon, quand les rois vainqueurs et les princes revenus refont un ordre politique et social post- et anti révolutionnaire. Dès lors, la Révolution française est terminée comme événement. »

L’essentiel là-dedans n’est pas dans la capacité de Furet à attribuer le mot fin mais au fait qu’il estime que ces événements français ou russe ont créé « la révolution » !! Drôle de point de vue pour un historien censé connaître les révolutions sociales de l’Histoire, notamment les révolutions bourgeoises anglaises et françaises par exemple qui sont des dizaines bien avant la Révolution française !!!

Dire que le concept de révolution est né avec la Révolution de 1789 en France, quelle déclaration d’ignorance crasse !!!

Dire que ce qui importe, ce serait le concept, l’idéologie en somme, plutôt que la réalité des affrontements de classe, quelle affirmation idéaliste, opposée à toute étude des réalités historiques d’une société et d’un monde !!!

Pas étonnant non plus que Furet en profite pour idéaliser la bourgeoisie, par exemple ici dans « Le Passé d’une illusion » (chapitre « La passion révolutionnaire » :

« La bourgeoisie est l’autre nom de la société moderne. Elle désigne cette classe d’hommes qui a progressivement détruit, par son activité libre, l’ancienne société aristocratique fondée sur les hiérarchies de la naissance… La bourgeoisie tient tout entière dans l’économique, catégorie que d’ailleurs elle invente en venant au monde : dans le rapport avec la nature, dans le travail, dans l’enrichissement. Classe sans statut, sans tradition fixe, sans contours établis, elle n’a qu’un titre fragile à la domination : la richesse… La bourgeoisie, catégorie sociale définie par l’économique, affiche sur ses drapeaux des valeurs universelles… Il suppose la liberté fondamentale de chacun des individus et égale chez tous de se faire une existence meilleure en agrandissant ses propriétés et ses richesses… »

On remarquera que, s’il étudie la bourgeoisie en tant que classe, il se garde d’en faire de même du prolétariat !!!

Quant à la question objective de la situation révolutionnaire, bourgeoise ou prolétarienne, elle n’est pas étudiée pour la simple raison… que son existence est fondamentalement niée et que c’est même la thèse principale de l’auteur !!!

Furet fut, très tôt, un militant politique, membre du Parti communiste. En 1947, il publia dans La Nouvelle critique, avec Annie Kriegel et d’autres, un article dénonçant Ernest Labrousse comme le complice de Léon Blum, « plat valet des Américains », sous le pseudonyme de Jacques Blot.

Sous son impulsion très énergique, Quatrefages devint le centre d’une cellule des étudiants communistes recrutant tout ce que le Quartier latin produisit de plus brillant dans le genre, depuis les normaliens tels Emmanuel Le Roy Ladurie jusqu’aux étudiants étrangers, tel le docteur Vinh, futur ministre des plantations de la République socialiste du Viêt Nam.

En 1959, il quitta le PC, puis participa à la fondation du PSU en 1960. Il fut aussi en parallèle journaliste à France-Observateur, le futur Nouvel Observateur.

Après mai 1968, il devient conseiller du ministre de l’Éducation nationale, de droite, Edgar Faure.

Fondateur, avec d’autres, de la très droitière fondation Saint-Simon, Furet a aussi présidé l’Institut Raymond Aron, autant d’activités qui lui ont permis de se marquer nettement à droite…

N’a-t-il pas publié avec Denis Richet, treize ans plus tôt, un premier brûlot, une grande histoire de La Révolution (La Révolution française, Hachette) où les deux jeunes historiens affirment, à la barbe des caciques, que l’an II n’est pas un dépassement de la Révolution de 1789, annonciateur de la révolution soviétique, et que les sans-culottes ont un idéal réactionnaire ? N’a-t-il pas "collaboré" au pouvoir gaulliste comme membre du cabinet du ministre de l’Education nationale Edgar Faure ? N’a-t-il pas bénéficié du soutien du Premier ministre Raymond Barre pour sa nomination à la direction l’Ecole des hautes études ? On peut lire ainsi ses échanges de lettres avec l’écrivain d’extrême droite E. Nolte, publiés en France sous le titre « Fascisme et Communisme ». Lire ici

Dans les années 1980, ses adversaires lui reprochent sa proximité avec la revue de Pierre Nora et Marcel Gauchet, Le Débat, où l’on exhume le XIXe siècle libéral, celui de Benjamin Constant et d’Alexis de Tocqueville, puis le lancement, avec l’industriel et ministre du gouvernement socialiste Roger Fauroux, de la Fondation Saint-Simon, afin de jeter des ponts - ô scandale - entre milieux économiques et intellectuels.

Il s’inspire du réactionnaire Augustin Cochin

Récompensé par le Prix du Livre politique, remis par l’Assemblée nationale en 1995, « Le passé d’une illusion », consiste à détruire « l’illusion communiste »… On comprend que les hommes politiques de la bourgeoisie souhaitent le récompenser…

Et c’est dans ce but qu’il détruit d’abord les illusions sur la Révolution française initiée en 1789…

« La Révolution, écrit-il, est un imaginaire collectif du pouvoir, qui ne casse la continuité et ne dérive vers la démocratie pure que pour mieux assumer, à un autre niveau, la tradition absolutiste. »

C’est, pour lui, « un épisode révolu du roman national ».

« Avec la fondation de la République sur le suffrage populaire, et non plus sur l’insurrection parisienne, la Révolution française est enfin terminée, écrit-il ; elle est devenue une institution nationale, sanctionnée par le consentement légal et démocratique des citoyens. »

« Cette Révolution française victorieuse acceptée enfin comme une histoire fermée, comme un patrimoine et une institution nationale est contradictoire avec l’image de changement qu’elle implique et qui comporte une promesse bien plus radicale que l’école laïque ou la séparation de l’Eglise et de l’Etat. »

dans « Penser la Révolution française »

François Furet estimait pour sa part que la Terreur n’était pas une réaction à une incitation venue de l’extérieur mais appartenait à l’essence même du phénomène révolutionnaire.

« Le vrai est que la Terreur fait partie de l’idéologie révolutionnaire, et que celle-ci, constitutive de l’action et de la politique de cette époque, surinvestit le sens des « circonstances » qu‘elle contribue largement à faire naître. Il n’y a pas de circonstances révolutionnaires, il y a une Révolution qui se nourrit des circonstances. Le mécanisme d’interprétation, d’action et de pouvoir que j’ai tenté de décrire dans les pages qui précèdent est en place dès 1789 : il n’y a aucune différence de nature entre le Marat de 89 et celui de 93. Il n’y en a pas non plus entre le meurtre de Foulon et Berthier et les massacres de Septembre 1792 ; ou encore entre le procès avorté de Mirabeau après les journées d’Octobre 1789, et le jugement des dantonistes du printemps 93. »
dans « Penser la Révolution française »

Il ridiculise cette révolution qui a glorifié Mirabeau :

« Du rejeton le plus méprisé de l’ancienne noblesse, la Révolution a fait le personnage le plus brillant de l’Assemblée constituante. »

Furet Combat la révolution bourgeoise de France pour mieux combattre la révolution prolétarienne de Russie !

« L’arrogance révolutionnaire moderne naquit de nouveau en 1917, dans le plus improbable des lieux : la Russie, la nation la plus arriérée d’Europe » écrit-il dans « La Révolution française »…

« Car, à partir de 1917, la Révolution française n’est plus cette matrice de probabilités à partir de laquelle peut et doit s’élaborer une autre révolution définitivement libératrice ; elle n’est plus ce champ des possibles découvert et décrit par Jaurès dans toute la richesse de ses virtualités. Elle est devenue la mère d’un événement réel, et son fils a un nom : Octobre1917, et plus généralement la Révolution russe. Dès 1920, dans une petite brochure, Mathiez souligne la parenté entre le gouvernement des Montagnards, de juin 93 à juillet 94, et la dictature bolchevique des années de guerre civile : « Jacobinisme et bolchevisme sont au même titre deux dictatures, nées de la guerre civile et de la guerre étrangère, deux dictatures de classe, opérant par les mêmes moyens, la terreur, la réquisition et les taxes, et se proposant, en dernier ressort, un but semblable, la transformation de la société, et non pas seulement de la société russe ou de la société…

dans « Penser la Révolution française »

« Prenons comme exemple les épurations à l’intérieur du groupe dirigeant de la Révolution, qui constituent une caractéristique commune aux deux histoires : Staline, comme Robespierre, a liquidé ses anciens compagnons au nom de la lutte contre la contre-révolution. Dès lors, les deux interprétations « spontanées » de l’épuration, l’exemple français venant au secours de l’autre, se sont renforcées et coagulées autour de l’idée que la contre-révolution est dans la révolution, d’où il s’agit de la débusquer. « 

dans « Penser la Révolution française »

Amusant de la part d’un historien qui a reproché à tous les historiens de projeter des problèmes actuels dans leur lecture du passé historique :

« Il est clair, en effet, et il en existe bien des exemples, de Tocqueville à Max Weber, que l’interrogation sur le présent peut aider à l’interprétation du passé. À condition, évidemment, que cette interrogation demeure une interrogation, une série d’hypothèses nouvelles et non pas une projection mécanique du présent sur le passé. »

dans « Penser la Révolution française »

Ou encore :

« Il y a deux moyens sûrs pour ne rien comprendre à la Révolution française, c’est de la maudire ou de la célébrer. »

dans « La révolution française »

Il tombe complètement dans le travers qu’il dénonce :

« Pourtant, il n’y a pas avant le XXème siècle, de gouvernement ou de régime idéologique. On peut dire, peut-être, que Robespierre en a esquissé le dessein au printemps 1794, avec la fête de l’Etre suprême et la grande Terreur. Encore cela n’a-t-il duré que quelques semaines ; encore la référence à l’Etre suprême est-elle de type religieux, alors que j’entends ici par "idéologies" des systèmes d’explication du monde à travers lesquels l’action politique des hommes a un caractère providentiel, à l’exclusion de toute divinité. En ce sens, Hitler d’une part, Lénine de l’autre ont fondé des régimes inconnus avant eux. »

dans « Passé d’une l’illusion »

« Si l’idée de complot est taillée dans la même étoffe que la conscience révolutionnaire, c’est qu’elle est une partie essentielle de ce qui est le fond même de cette conscience : un discours imaginaire sur le pouvoir. Ce discours naît, comme on l’a vu, au moment ou l’espace du pouvoir devenu libre est investi par l’idéologie de la démocratie pure, c’est-à-dire le peuple devenu pouvoir ou le pouvoir devenu peuple. »

« Penser la Révolution française »

« Les hommes de 1789 avaient cru que la reconstruction de l’Etat sur la volonté du peuple donnait la clé du bonheur social ; le jacobinisme de 1793 avait figuré l’apogée de ce volontarisme politique, puisque la dictature révolutionnaire avait cru être en mesure de transformer par son action toute la société civile et de recréer des citoyens vertueux à partir d’individus mus par l’égoïsme. Or ce surinvestissement politique, caractéristique de toute la vie publique française depuis 1789, fleurit de plus belle en février 1848. (...) Au mythe robespierriste de la dictature de la vertu s’est substituée la croyance à la fraternité républicaine où Marx ne cesse de dénoncer sarcastiquement l’illusion française selon laquelle l’Etat produit la société, alors que c’est l’inverse qui est vrai. »

La Révolution tome II

Concluons que Furet considère que la révolution française était inutile : « ni le capitalisme, ni la bourgeoisie n’ont eu besoin de révolutions pour paraître et dominer dans l’histoire des principaux pays du XIXème siècle. »

Il cherche surtout à casser la révolution russe :

« Elle révèle ainsi un de ses traits distinctifs : d’avoir été inséparable d’une illusion fondamentale, dont son cours a longtemps paru valider la teneur avant de la dissoudre

La révolution russe, selon Furet, le produit d’une illusion

« Le sujet central de mon existence intellectuelle, c’est la révolution », confiait Furet à Bernard Pivot lors d’un numéro d’"Apostrophes", en 1988.

Oui, c’est être pour la contre-révolution c’est effectivement être préoccupé par la révolution !!!

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