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Le faux socialisme algérien ou l’Etat bourgeois dictatorial sans bourgeoisie

mardi 8 décembre 2009, par Robert Paris

LES MILITANTS DE L’ETOILE NORD-AFRICAINE

A L’ÉPOQUE OU LES INDÉPENDANTISTES ETAIENT COMMUNISTES

COMME L’ETAIT MESSALI HADJ

Le courant communiste révolutionnaire de Lénine et Trotsky a été le premier, bien avant les petits-bourgeois nationalistes, à revendiquer l’indépendance du Maghreb.

Les prolétaires algériens qui se tournaient vers le communisme de 1923 à 1945 s’en détournaient ensuite puisque le parti communiste allié à l’impérialisme sous l’égide de Staline défendait en France l’empire colonial :

En 1956 encore - c’est-à-dire deux ans après le déclenchement de l’insurrection nationale en Algérie - le PC continuait à demander le maintien de l’Algérie dans l’Union française et se prononçait contre l’union de l’Algérie avec la Tunisie et le Maroc indépendants au sein d’un Maghreb arabe [1]. Le PC prenait ainsi, dans les faits, position contre le mot d’ordre au nom duquel le mouvement national algérien avait engagé la lutte armée contre le système colonial français : l’indépendance.

Quelles pouvaient être les raisons d’une attitude si ouvertement contraire aux principes léninistes dont se réclamait le Parti communiste ? Selon la formule du secrétaire général du parti, les communistes n’acceptaient pas de voir la France « réduite au rang de puissance secondaire » ; il cherchait à réaliser un large front anti-américain englobant tous les Français, des divers partis, « toutes les couches patriotes de la nation qui veulent reconquérir l’indépendance et la souveraineté nationales ». Dans cette perspective, la révolte des peuples coloniaux opprimés par la France et leur tentative de libération devaient être considérées par la direction du PC avec une certaine réserve, pour ne pas dire avec une certaine méfiance. En effet, elles ouvraient un nouveau champ d’action aux entreprises de l’impérialisme américain ; elles ruinaient d’autre part toute la stratégie du PC en faisant éclater cette alliance systématiquement recherchée avec les éléments nationalistes de la bourgeoisie française pour qui la lutte aux côtés des communistes pour une politique plus indépendante à l’égard des États-Unis signifiait d’abord et avant tout, comme il est apparu dans la bataille contre la CED (Communauté européenne de défense) [4], la défense de l’empire colonial français contre une éventuelle mainmise américaine. Ainsi, au moment même où s’amorçait la crise dans tout l’Empire français, dernier empire colonial de type traditionnel, alors que la France s’engageait dans une chaîne ininterrompue d’actions répressives et de guerres coloniales, le parti le plus représentatif de la classe ouvrière française aurait choisi pour axe central de sa lutte, non le combat contre son propre impérialisme, mais la bataille contre un impérialisme étranger menaçant les « intérêts nationaux » du pays. La logique de cette stratégie, accordant toujours à ce qui pouvait renforcer l’indépendance française à l’égard des États-Unis la priorité absolue sur la lutte des colonies pour l’indépendance à l’égard de la France, aurait conduit le PC, dans l’affaire algérienne, sur des positions finalement plus proches de celles de la bourgeoisie française que de celles du peuple algérien en guerre pour la reconnaissance de son droit à l’existence nationale. « Le caractère premier de l’attitude du PCF quant à la question coloniale, affirmait le document de la Fédération de France du FLN, est de clamer que l’intérêt des peuples opprimés est de rester unis à la métropole. » « Le droit au divorce n’entraîne pas l’obligation de divorcer », écrit M. Thorez qui conclut à la nécessité de l’union. Cette manière de voir traduit la sous-estimation, sinon le mépris des mouvements de libération dans les colonies, et l’intention de faire d’eux une force d’appoint des mouvements français. Avant-guerre l’union était nécessaire en Afrique du Nord à cause des « prétentions franquistes ou italiennes ». Aujourd’hui elle l’est à cause des « prétentions de l’impérialisme américain ». En 1945, en Syrie et au Liban, c’était l’impérialisme anglo-saxon qui justifiait les critiques contre le mouvement de libération. Si les contradictions entre l’impérialisme français et ses prétendus concurrents se résolvent toujours par la supériorité pour les peuples coloniaux de l’impérialisme français, alors le droit au divorce disparaît car ces contradictions ne disparaîtront qu’avec l’impérialisme colonisateur. Cela revient en fait à refuser aux colonies le droit à la séparation, donc à l’autodétermination. » Le texte ajoutait : « Cette orientation dont l’aspect chauvin et cocardier n’échappe à personne fait appel à des notions équivoques et confuses telles que "grandeur française, intérêts légitimes de la France". » Et la Fédération de France du FLN concluait que « le décalage entre les principes théoriques dont prétend s’inspirer le PC et son comportement réel dans l’affaire algérienne, vient de ce que le PCF assume purement et simplement la politique des blocs. Le PCF n’hésite pas et n’a jamais hésité à se transformer en force d’appoint des milieux colonialistes ou néocolonialistes quand ils sont d’accord avec lui pour un regroupement parlementaire sur certains objectifs de politique extérieure ».

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La nature du « socialisme » algérien

« Le peuple avait l’impression qu’on se désintéressait de sa misère, et assistait impuissant à cette course aux meilleures places qui est la conséquence normale d’une révolution essentiellement dirigée par des nationalistes petits-bourgeois, contraints de recourir à une terminologie socialiste dans la seule mesure où le peuple éprouve un besoin intense de justice et d’égalité sociales. Cette bourgeoisie, qui s’est constituée et s’est renforcée à une vitesse surprenante,, utilisait l’autogestion au début, comme un alibi qui devait donner au peuple l’impression de « socialisme », bien décidée par ailleurs à saboter la formule, au cas où les travailleurs auraient pris trop au sérieux les promesses qu’elle comportait. C’est pourquoi le principal slogan consistait à dire qu’il n’y avait pas de classes sociales différenciées, mais des couches dont les intérêts étaient communs. »
Juliette Minces
dans Les Temps Modernes de juin 1965

Avant hier, l’Algérie, ayant obtenu son indépendance de haute lutte, se proclamait exemple de développement et modèle de la marche au socialisme pour les pays du Tiers Monde ... Hier encore, elle fêtait ce qu’elle croyait être son entrée dans la démocratie ... Aujourd’hui, elle est prise en tenaille entre la dictature militaire et les intégristes, victime à la fois de la misère, de la dictature et des massacres, sans voir aucune issue, aucune perspective.
Comment et surtout pourquoi en est-on arrivé là ? Pour tous ceux qui ne baissent pas les bras, il est urgent de tirer les leçons.

1-Et d’abord quelle est la cause de cet échec sanglant ?
Certains l’attribuent à la mort de Boumedienne et à son impossible remplacement. A l’inverse, d’autres incriminent le régime de parti unique ou même parlent d’échec du socialisme, en le mettant en parallèle avec l’évolution des pays de l’est. D’autres encore en font un phénomène religieux dû à l’Islam. Ou encore ils soulignent l’absence de “ traditions démocratiques ”, la responsabilité des chefs militaires qui ont confisqué le pouvoir de l’indépendance ou l’effondrement politique des démocrates.
Mais dans toute cette liste, il manque un point auquel il n’est presque jamais fait référence et qui est pourtant le point essentiel : le caractère pris par la lutte des classes dans l’Algérie indépendante, c’est-à-dire la formation particulière de la bourgeoisie et du prolétariat. Ainsi rien n’éclaire autant les choix du pouvoir que les nécessités de la lutte des classes : son “ socialisme ” initial, son libéralisme qui a suivi, son flirt avec l’islamisme suivi de la guerre civile entre militaire et islamistes.
Bien sûr tout s’imbrique : l’économique, le social et le politique. La montée d’un intégrisme violent, radical, fondé sur une démagogie soi disant opposée au pouvoir aurait été impossible sans la crise économique et sociale, sans la chute des prix du pétrole, sans l’effondrement de tout l’édifice social que les mesures gouvernementales de sacrifices pour les plus pauvres, sans les milliers de jeunes chômeurs qui “ tiennent les murs ”, sans le désespoir lié à cet accroissement massif de la misère, de la corruption, du pourrissement social de tout le pays.
Et ce n’est pas séparable de l’environnement économique mondial de ces années 80 : ce que l’on a appelé “ la crise ”, c’est-à-dire des relations économiques de plus en plus dures avec une nouvelle phase de concentration des capitaux, de recherche de la productivité maximum, de lutte pour l’augmentation du taux de profit accentuée par la grande fluidité des capitaux financiers récompensant ou punissant les secteurs en fonction d’augmentations rapides du taux de profit, l’importance grandissante de la finance au détriment de la production et d’abord bien sûr des producteurs, la dévalorisation systématique du travail humain avec notamment la baisse des prix des matières premières entraînant la “ crise de la dette ”. Et permettant aux grandes puissances et au FMI d’imposer leurs “ solutions ” : privatisations, libéralisme, accroissement brutal de la rentabilité requise pour une activité économique sous peine de fermeture, suppression des services publics de l’Etat.
Dans ces conditions, Etat national, marché national et développement national sont des notions qui n’ont plus cours en termes économiques, balayées par la nécessité de l’ouverture aux capitaux financiers, par essence libres c’est-à-dire sans frontières et volatils. L’espoir de revenir à “ la Nation ” ne peut qu’être une rêverie inutile ou une démagogie politique, qu’elle soit utilisée par des réactionnaires exploitant les souffrances du peuple ou par des prétendus démocrates cherchant à rester dans le cadre du nationalisme d’antan. Faire appel à la grandeur passée du nationalisme ou à celle de l’empire arabe est aussi illusoire devant les problèmes réels de la fin du 20e siècle !
L’échec catastrophique de l’ “ économie indépendante ” de l’Algérie est celui des bourgeoisies nationales de tout le tiers monde et marque la limite du développement économique mondial dans le cadre du capitalisme. Le meilleur symbole en est l’industrie “ industrialisante ” de Boumediene qui a réussi à constituer, grâce aux revenus du pétrole, d’immenses complexes industriels modernes, sans quasiment aucune relation avec les besoins en biens de la population et donc visant uniquement le marché mondial. Il est extraordinaire qu’une telle politique économique, menée dans un pays encore majoritairement paysan sans que la population paysanne pauvre bénéficie en rien de la manne pétrolière, ait pu être intitulée “ socialisme algérien ” et non capitalisme d’état !
En tout cas, toute cette opération de grande ampleur qui a permis au régime d’annoncer aux Algériens que leurs enfants vivraient aisément même si eux se sacrifiaient, se termine dans un plan global de fermetures d’usines et de licenciements massifs. Un gâchis monstrueux de biens, d’énergie humaine et surtout d’espoirs. L’intégration d’une partie minime de cette industrie algérienne dans le marché mondial suppose la fermeture de l’essentiel des usines et ne peut se faire qu’au prix d’une attaque massive de la classe ouvrière et de sacrifices considérables pour toute la population. C’est cette opération commencée par Chadli qui a provoquée la crise des années 80 et du coup la révolte de 88 puis la guerre civile. La classe ouvrière a résisté autant qu’elle a pu mais elle ne dispose du soutien d’aucune organisation ni syndicale ni politique dans sa lutte contre les licenciements. Partis du pouvoir ou de l’opposition comme syndicat UGTA font mine de “ comprendre les difficultés des travailleurs ” mais se gardent bien d’appeler à une réelle riposte. Tous comprennent encore mieux les “ nécessités de l’économie ” (comprenez les intérêts des riches) qui président à ces privatisations et à ces licenciements. Les diktats du capital mondial, relayés par les plus hauts responsables de l’Etat et de l’économie algériens, ne sont combattus ni par les “ démocrates ”, ni par les dirigeants syndicalistes. Les seuls qui le dénoncent le font au nom de l’“ intérêt national ” mais pas de l’intérêt des travailleurs et de la population pauvre. Quant aux intégristes, s’ils vont exploiter la situation, ce ne sera pas en combattant les privatisations (ils sont au contraire favorables à une bourgeoisie privée), ni en défendant les travailleurs (ils sont contre les grèves), mais en accusant le socialisme et le marxisme comme responsables de la crise. Par contre, ils ne semblent pas représenter des adversaires pour la bourgeoisie mondiale puisque les USA reçoivent officiellement le FIS pendant plusieurs années et que ce parti est financé par l’Arabie saoudite, un pays complètement lié à la finance mondiale.
Contrairement aux dires des intégristes et des “ démocrates ”, l’échec de l’Algérie indépendante, la faillite économique, sociale et politique n’est pas due au socialisme, ni au stalinisme (qui serait représenté en l’occurrence par la participation des pagsistes au pouvoir sous Boumediene). Non l’échec n’est pas le fait des travailleurs ni des classes populaires. Il n’est pas lié à un système qui les représenterait même de manière déformée. Il est le fait des riches, des profiteurs et des exploiteurs et des militaires au pouvoir qui les ont fait prospérer. Chacun peut aisément constater que la misère a cru en Algérie dans le même temps et dans la même proportion que l’on voyait des fortunes privées s’édifier. Ce n’est pas les paysans pauvres qui ont conçu les projets du FLN mais la petite bourgeoisie nationaliste (des gens comme Krim Belkacem, Ben Khedda ou Ben Tobbal sans parler de Boumediene ne sont pas des socialistes !). L’échec est celui des bourgeois et petits bourgeois, eux qui prétendaient que le développement national autocentré mènerait au décollage économique malgré l’environnement impérialiste. Mais le développement national, comme une locomotive lancée à toute vitesse, s’est heurtée à un mur : le marché mondial. Quant au marché national, la consommation populaire en particulier, ces profiteurs n’ont fait que le pomper en appauvrissant la population. La bourgeoisie algérienne a constitué son accumulation primitive sur le dos du peuple mais une fois qu’elle a accumulé, elle n’a plus voulu investir dans le pays exsangue qu’elle avait produit. La bourgeoisie nationale s’est ainsi contentée de prendre la succession du colonialisme en se chargeant d’exploiter la population et d’envoyer les résultats de cette exploitation hors des frontières. La population, elle, est restée piégée dans le cercle vicieux : sous-développement, endettement, dépendance, surexploitation, misère, chômage, dictature, corruption, bandes armées, etc... En guise d’indépendance nationale, faute d’indépendance économique avec le maintien de la vente à bas prix du gaz et du pétrole, l’achat d’industries “ clefs en main ” et celui de biens de consommation à la France essentiellement comme auparavant, la classe dirigeante algérienne n’a pu se gargariser de nationalisme qu’en changeant de mots, par l’arabisation de la langue. Ce nationalisme de l’illusoire, c’est justement celui dont les islamistes représentent l’exacerbation violente, l’utilisation politique de la religion par les intégristes concentrant en elle toutes les illusions déçues et tous les faux espoirs en reconstituant une indépendance abstraite, une grandeur théorique, celle d’empire déchu. En produisant le terrorisme islamiste comme aboutissement des rêves de grandeur et des méthodes dictatoriales du nationalisme exacerbé et comme produit de l’effondrement économique et social, le projet national a fini de se transformer en .... catastrophe nationale !

2- Mais peut-on réellement parler d’une bourgeoisie algérienne ?
Même en termes de bourgeoisie nationale, l’Algérie indépendante est un échec retentissant. C’est la caste des généraux qui a représenté, faute de mieux, cette couche visant à devenir une bourgeoisie. C’est elle qui a détourné les richesses du pays, sans pour autant oser dans un premier temps afficher sa volonté de s’en dire ouvertement la propriétaire. C’est elle qui a organisé l’exploitation de la population algérienne à un bout et son maintien par un encadrement dictatorial et les liens avec l’impérialisme à l’autre bout. Elle s’est ainsi imposée à tout un peuple et fait admettre par l’impérialisme comme bourgeoisie comprador, entièrement dépendante. Et, sous couvert du drapeau du socialisme au début comme sous l’idéologie capitaliste ensuite, elle a commencé à accumuler, à investir ses biens privés à l’étranger. Et, au fur et à mesure, ce sont les seuls intérêts de classe de ce qu’il faut bien appeler la bourgeoisie algérienne, car il n’y en a pas et il n’y en aura pas d’autre, qui ont déterminé de plus en plus les choix économiques, sociaux et politiques de l’Etat algérien. Masquée derrière les expressions volontairement confuses “ les décideurs ”, “ les généraux ” ou “ le pouvoir ”, cette toute petite fraction détient les leviers économiques et politiques et se donne les moyens de le faire fructifier et de le conserver. Ce sont les intérêts de cette classe exploiteuse face aux exploités qui reste déterminante dans les choix de l’Etat et des partis politiques bourgeois. La lutte de classe est déterminante en Algérie comme ailleurs même si tout le discours politique, du pouvoir comme de l’opposition, fait semblant de s’en abstraire en ne parlant que des institutions politiques pour éviter de montrer les intérêts de classe. Ils ne font ainsi qu’effacer la responsabilité de la bourgeoisie dans la catastrophe actuelle et semer des illusions sur un avenir possible pour le peuple algérien en restant dans le cadre du capitalisme. La population pauvre, elle, voit très bien les fortunes s’édifier sous ses yeux et elle en voit au moins les résultats en termes de villas de luxe, de yachts ou de grosses voitures, même si elle ne voit pas les investissements, essentiellement étrangers, ou le remplissage des coffres suisses. Cependant, politiquement, on continue à nous resservir la thèse selon laquelle en Algérie il n’y aurait ni bourgeoisie ni prolétariat, mais un seul peuple et pas de lutte de classe ! Cela au nom de la spécificité algérienne. Et effectivement, il y a bien une histoire originale qui a modelé une bourgeoisie particulière. La bourgeoisie algérienne est née de l’Etat. Elle est sortie du processus historique faible, divisée, dépendante, prévaricatrice, maffieuse. C’est une bourgeoisie d’Etat, une bureaucratie bourgeoise et souvent simplement des clans militaires qui en tient lieu et qui intervient dans l’économie en leu et place des grands commerçants, des grands financiers ou négociants. Bien que bénéficiant des rênes de l’économie et du pouvoir, cette bourgeoisie n’a pu prospérer que dans les limites définies par l’impérialisme, l’essentiel des revenus du gaz et du pétrole continuant d’enrichir d’abord la métropole avant de garnir les portefeuilles de quelques nantis algérien galonnés ou non. C’est à cette condition qu’une minorité dirigeante a pu être admise à la table des grands. Quant à la population pauvre, elle n’a pas eu son mot à dire, même au temps de l’ “ autogestion ”. Il en est résulté une bourgeoisie qui se cache, qui n’ose pas dire son nom, qui pratique le partage des revenus en catimini et qui n’a toujours pas, près de quarante ans après l’indépendance et vingt ans après la fin du “ socialisme ”, osé affirmer qu’elle détenait en propriété privée les revenus du gaz et du pétrole. Or qu’est la bourgeoisie sans la propriété privée ? Que serait Bouygues sans la propriété de la société Bouygues ?
Ce sont les conditions particulières de l’indépendance et non les velléités socialistes de ses dirigeants qui ont causé cette particularité : un état bourgeois sans bourgeoisie nationale. Contrairement à la plupart des pays nouvellement indépendants, l’Algérie n’avait pas à sa naissance de bourgeoisie algérienne même embryonnaire, constituée à l’époque coloniale. La France n’avait formé de petite bourgeoisie locale aisée que parmi la population pied noir. Les sacrifices énormes d’une lutte de libération nationale longue et meurtrière ont été exclusivement le fait des couches pauvres de la population. Il était du coup difficile à l’indépendance d’annoncer, en plus de la confiscation du pouvoir par une bande armée extérieure à la lutte, la confiscation des richesses du pays par une minorité qui se serait autoproclamé nouvelle bourgeoisie, possédant en privé les ressources et particulièrement le gaz et le pétrole. C’est de là qu’est venu la nécessité du “ socialisme algérien ”.

3- Qu’en est-il du socialisme algérien ?
C’est au nom du socialisme que l’on a muselé les aspirations sociales du peuple algérien, tous ceux qui revendiquaient étant accusés de vouloir défendre un intérêt particulier au moment où il fallait tout sacrifier à l’intérêt général appelé intérêt national. Une génération allait, paraît-il se sacrifier pour assurer l’avenir de ses enfants. Les adversaires de ce nationalisme ne pouvaient qu’être dénoncés comme agents du colonialisme et pourchassés par les organisations de masse constituées d’en haut par le pouvoir et qui encadraient toute la population : organisations de jeunes, de femmes, organisation syndicale unique UGTA et bien sûr parti unique FLN.
L’étatisme, le parti unique, l’encadrement des masses, l’industrialisation lourde au dépens des biens de consommation et la perspective fallacieuse du développement autocentré n’ont pu apparaître comme du socialisme qu’à cause de la mythique stalinienne du “ socialisme dans un seul pays ” reprise ensuite par la Chine de Mao dans sa version tiers-mondiste. Ces illusions nationales petites bourgeoises n’ont rien à voir avec les thèses qui étaient celles du mouvement ouvrier communiste révolutionnaire, celui de Lénine et de Trotsky ou celui de Marx : bâtir une société libérée de l’exploitation en renversant l’impérialisme et le capitalisme et non en coexistant avec lui sur une petite bande de terre. Même si le nationalisme des pays sous-développé a dû s’imposer aux anciennes puissances coloniales, il n’est pas l’ennemi mortel du capitalisme et se développe même sous son égide comme la petite bourgeoisie sous la protection et sous la coupe de la grande. C’est la classe ouvrière internationale qui représente le véritable ennemi de la domination capitaliste du monde mais ces nationalistes ont bien pris garde de ne pas organiser cette classe sociale opprimée car si elle triomphait, leurs aspirations à exploiter elles-mêmes “ leur peuple ” ne seraient plus seulement limitées par l’impérialisme mais détruites définitivement par la fin de l’exploitation. C’est ainsi que le nationalisme est bien plus un ennemi mortel du prolétariat communiste que de l’impérialisme.
L’Algérie de l’indépendance ou celle du lancement de l’“ autogestion ” n’avaient rien de socialistes. Elles ne concevaient nullement de donner le pouvoir aux travailleurs organisés en comité. Le pouvoir avait été mis en place bien avant l’indépendance, en dehors de toute décision populaire. La seule mobilisation des masses que concevait le nouveau régime était celle en vue de la production. La mobilisation des énergies des ouvriers et des paysans pauvres officiellement au nom de la construction nationale et réellement en vue de vendre cette force de travail sur le marché mondial. L’idéologie socialiste du nouveau régime, s’abreuvant jusqu’à la nausée des mots de “ masses populaires ”ou de “ peuple ”, visait seulement à imposer aux classes populaires la solidarité avec la politique suivie, l’acceptation des sacrifices et des efforts. Les travailleurs étaient politiquement désarmés, aucune organisation n’ayant choisi de remettre en cause l’objectif officiel de la classe dirigeante algérienne et dire en clair que tous ces efforts visaient à l’accumulation primitive d’une bourgeoisie exploiteuse.
Le nationalisme visait d’abord et avant tout à gommer officiellement l’existence même d’intérêts de classe, en prétendant qu’ils étaient dépassés par l’intérêt national. Dans ces conditions, le simple fait de revendiquer des améliorations des conditions de travail était considéré comme irresponsable pour ne pas dire anti-national et les ouvriers et les paysans n’avaient aucun droit de s’organiser de manière indépendante du pouvoir, même pas au plan syndical. Ce qui était intitulé syndicat d’ouvriers ou syndicat de paysans n’était rien d’autre qu’une création d’en haut du pouvoir. La grève ou l’action politique des travailleurs était présentée comme un crime contre l’intérêt collectif et contre l’Etat. Officiellement, les masses populaires étaient au pouvoir et tous les sacrifices demandés à la population et celui de leur liberté en particulier était fait officiellement au nom des masses. Avec l’industrialisation, c’est directement la classe ouvrière qui a été présentée par la régime comme la principale bénéficiaire alors qu’elle qui payait elle aussi le prix de cette construction. C’est ce que l’on a fait croire aux paysans paupérisés, obligés d’immigrer ou de peupler des bidonvilles. Avec l’aide du “ syndicat ouvrier ” UGTA courroie de transmission du régime, on a propagé ce mythe qui dure encore selon lequel les travailleurs sont, en Algérie, des privilégiés, des profiteurs de la rente et, comme tels, contribuent avec la bureaucratie d ‘Etat à détourner les richesses du pays.
Le produit d’efforts de millions d’hommes et de femmes pour lutter contre l’impérialisme puis d’efforts pour bâtir un avenir un peu plus heureux pour leurs enfants a donné un terrible bilan : quelques îlots de fortune dans un océan de misère. Ce résultat n’est ni un accident, ni un détournement du projet nationaliste : il en est le direct produit. Les nationalistes ne combattaient l’impérialisme et son exploitation du peuple algérien que dans la mesure où ils revendiquaient une part du gâteau : le droit d’exploiter eux-mêmes leurs nationaux. Ils ont obtenu ce qu’ils revendiquaient à condition de se charger eux-mêmes de faire la police pour maintenir les opprimés dans le rang, le colonialisme s’étant difficilement convaincu qu’il n’en était plus capable.
Le but de l’ ”industrie industrialisante ” ne pouvait pas être de construire une société d’un autre type que le capitalisme. Les dirigeants algériens pas plus que les autres nationalistes ne voulaient contester la domination impérialiste sur le monde et d’ailleurs ils n’ont jamais placé leur combat sur le plan international autrement que pour y être reconnus par les puissants. Au contraire, ils prétendaient construire une économie nationale commerçant “ librement ” avec le capital mondial. En système capitaliste, c’est le plus librement du monde que l’on est assujetti aux possesseurs de capitaux qui fixent eux-mêmes les prix des marchandises. Et ils ont ainsi fixé celui du gaz et du pétrole. Avec les devises ainsi retirées, il ne suffisait pas de bâtir des usines pour vendre à l’extérieur. La production en vue de la satisfaction des besoins des masses populaires n’était lui qu’un slogan. L’objectif des dirigeants était la production massive en vue de la vente Encore faut-il trouver acheteur. Le marché mondial est déjà attribué et devant un marché national misérable, le projet des nationalistes ne pouvait que déboucher sur une impasse. Il n’y a pas aujourd’hui de place pour le lancement d’une nouvelle bourgeoisie comme au 18e et 19e siècle.
Le socialisme du discours n’a servi qu’à cacher toutes ces contradictions d’une bourgeoisie venue trop tard dans un monde où la classe qui peut faire avancer les choses n’est pas la petite bourgeoisie et n’est plus la bourgeoisie et où le développement capitaliste n’est plus un espoir mais un cauchemar !

4- L’Etat ou “ cette bande d’homme en armes
pour défendre les intérêts de la classe dirigeante ”
Cette expression du révolutionnaire Engels, l’ami de Karl Marx, semble avoir été écrite pour désigner l’Etat algérien de l’indépendance à nos jours. De 1962 à nos jours, le régime algérien a toujours été une dictature militaire, des civils comme Ben Bella ou Boudiaf n’étant au pouvoir momentanément que comme couverture des militaires. Cela ne veut pas dire que le régime algérien a été entre les mains des maquis. Au contraire, les maquisards ont été désarmés et parfois tués (plus de mille morts rien que le 3 septembre 1962 à Boghari) par l’armée des frontières de Boumediene qui, comme chacun sait, n’avait mené aucun combat contre l’armée française. C’est un appareil étatique mis en place avant l’indépendance qui a pris tous les pouvoirs, la population n’ayant pas son mot à dire. C’était dans la continuité des conceptions politiques des dirigeants nationalistes. Ceux-ci n’avaient aucune confiance dans les capacités du peuple algérien de s’autoadministrer. Pour eux, le peuple était majoritairement formé de moutons qui avaient besoin de bergers. Et ils ne supportaient aucune concurrence dans ce rôle. Toute organisation algérienne amie, adversaire ou ennemie était traitée avec la même rigueur : l’élimination physique si les autres méthodes ne suffisaient pas. Les villages réfractaires au FLN en ont subi la violence. Les militants communistes ou MNA aussi. Les militants critiques ou soupçonnés de l’être n’ont pas eu un meilleur sort. La dictature était aussi bien à l’intérieur que vers l’extérieur. Les actions de masse n’étaient nullement l’occasion pour la population de s’organiser car le F.L.N. se contentait de transmettre des ordres et ne consultait pas les principaux concernés, la population pauvre, sur les choix tactiques ou stratégiques. Cette conception, tous les dirigeants la partageaient, les Ben Bella comme les Boudiaf, les Aït Ahmed comme les Abane Ramdane. C’est bien avant la prise du pouvoir qu’ils ont montré comment il la concevaient et s’ils ont les uns et les autres perdu le pouvoir au profit des chefs militaires, c’est que l’organisation de la population civile pour décider des destinées du pays n’était pas leur projet. Ceux qui mettaient en avant la primauté du civil sur le militaire parlaient seulement de la primauté de l’appareil politique civil et pas de la population pauvre organisée en vue d’exercer elle-même la direction de la société. Quant à l’ANP, glorifiée pendant tant d’années par le régime, elle a bel et bien dévoilé sa nature antipopulaire en octobre 88 en tirant avec des armes de guerre sur des jeunes manifestants désarmés puis en les torturant comme l’armée française avait su le faire. L’Etat qui s’est dit celui du peuple algérien n’a été que son massacreur. Et ce avant même que commence la guerre civile et que les actes des intégristes servent de prétexte à une répression tous azimuts contre la population pauvre. Si en 1988, l’armée n’a pas eu à se confronter directement avec la classe ouvrière, c’est parce qu’il a pu compter sur l’UGTA et sur le PAGS pour dissuader la classe ouvrière de se lancer dans la bataille. Après 88, tous les partis ont dénoncé le parti unique FLN mais tous ont aussi courtisé l’armée alors que c’était elle qui avait pratiqué les massacres. Le FLN a été écarté mais l’armée est restée en place. C’était elle qui détenait le pouvoir et elle l’a gardé. Certains partis comme le PAGS ont même appelé les travailleurs à “la réconciliation armée/peuple ” mais la population pauvre a acquis à cette époque une haine profonde du pouvoir, haine qui ne l’a plus quitté durant des années !

5- le « socialisme » et son origine
Le FLN qui débute en 1954 le combat contre le colonialisme français n’a jamais affirmé, durant toutes les années de son combat, qu’il voulait bâtir le socialisme. Il était issu d’un courant, le PPA-MTLD, implanté dans les milieux populaires en Algérie et dans la classe ouvrière dans l’immigration. Le PPA avait une origine ancienne dans le courant communiste (l’Etoile Nord-Africaine construite sous l’égide de l’Internationale communiste de l’époque de Lénine). Mais les nationalistes s’étaient beaucoup éloignés de ces origines. Le FLN était certainement l’une des fractions les plus droitières du courant nationaliste. Au sein du PPA, les militants de l’Organisation paramilitaire, l’OS, qui vont créer le FLN s’opposaient à une implantation trop importante dans la classe ouvrière. Ils ne voulaient pas d’un programme radical socialement. Ils prétendaient se tourner vers les paysans mais uniquement pour y recruter des militaires en vue de la guérilla. Ils ne proposaient pas de mener des mouvements sociaux. Ils n’avançaient aucune revendication, fut-ce celles de la paysannerie pauvre pourtant très durement frappée économiquement. A la revendication sociale et révolutionnaire de « la terre aux paysans », ils opposaient le slogan nationaliste et de guérilla : « la terre aux combattants ». Jusqu’à la veille de l’indépendance, ils ne vont jamais changer sur ce point d’orientation. Le caractère national et nullement social de la mobilisation est beaucoup plus caractéristique que dans la plupart des luttes nationalistes.
C’est lorsqu’il devient évident que le colonialisme va céder la place que le FLN prend le tournant de manière brutale, au congrès de Tripoli. Alors que ce congrès est plein de dirigeants très droitiers, y compris s’affichant d’extrême droite, et que très peu d’entre eux affichent des idées plus à gauche, c’est à l’unanimité que le congrès du FLN décide le passage au socialisme. Entre temps, l’ensemble des dirigeants avait compris que c’était la seule possibilité face à l’ébullition sociale grandissante, comme le montre le document historique suivant :

Document illustrant que le FLN ne visait aucun « socialisme », mais commençait à avoir peur de la classe ouvrière et préparait une dictature anti-populaire :

« Questions-réponses sur le FLN éditées à l’Indépendance
(rédigées par Ben-Tobbal)
« (…) Question : Il est dit, dans les statuts, que le FLN poursuivra après l’indépendance du pays « sa mission historique de guide et d’organisateur de la nation algérienne ». Quel caractère va-t-on donner à son action dans le cadre d’une « République démocratique et sociale » ? Fera-t-il figure de parti unique ?
Réponse : La réunion du CNRA de Tripoli n’a pas précisé que le FLN sera, demain, le parti unique. Elle a simplement confirmé que le FLN poursuivra sa mission après la libération du pays. Cependant le caractère démocratique qui sera donné à la République algérienne ne peut être conçu avec le même sens que celui des pays occidentaux, des pays organisés depuis très longtemps et ayant une longue expérience de la démocratie. Pour nous, la démocratie n’a de sens qu’au sein d’organismes. (…) Les impératifs de l’édification de la république algérienne après la libération du pays ne permettront pas d’ouvrir librement les portes à la constitution de partis ; ce serait alors l’éparpillement des énergies du peuple qui ne pourraient plus être mobilisées pour la reconstruction. Aujourd’hui, après plus de cinq années de lutte, nous constatons que l’Algérien est encore d’avantage porté vers l’anarchie que vers la discipline et ce phénomène risque de se manifester plus gravement demain lorsqu’il n’y aura plus d’ennemi en face de nous pour nous unir, si une forte discipline ne s’installe pas dans le peuple, discipline capable de mobiliser toutes les énergies pour l’édification de notre pays.
(…) Question : Peut-on savoir si le CNRA a opté pour une orientation politique ?
Réponse : Notre action politique n’a pas changé. C’est le neutralisme (bloc afro-asiatique) avec cette seule différence que, lors de sa première réunion le CNRA a décidé d’ouvrir des bureaux dans un certain nombre de pays socialistes tels que la Russie ou la Yougoslavie. Ceci ne constitue pas une nouvelle orientation politique. Mais un nouveau pas dans notre stratégie politique. (…) Nous n’avons pas un politique orientée, soit vers l’Est soit vers l’Ouest.
Question : Quelles pourraient être les conséquences d’une alliance avec les pays de l’Est ?
Réponse : C’est un sujet important qui a déjà été étudié par le congrès de la Soummam en août 1956. Il faut dire tout d’abord que la conclusion d’une alliance avec un pays quelconque ne dépend pas que de nous ; faut-il encore que le partenaire accepte, et pour qu’il puisse le faire, il faudrait qu’il y trouve avantage. En deuxième lieu, nous ne pouvons envisager d’alliance avec l’Est que si notre politique neutraliste a épuisé tous ses moyens. En troisième lieu, il faudrait que notre intérêt et le leur aille dans le même sens.
Question : Quelle est la position de la Russie vis-à-vis de notre révolution ?
Réponse : (…) Il ne faut pas oublier que la stratégie politique russe est à l’échelle du monde. (…) L’URSS a certainement plus besoin de ménager la France que de nous aider officiellement. (…) L’optique de la Russie peut être la même que la notre. Pour elle l’Algérie ne représente que quelques kilomètres carrés sur le globe terrestre.
Question : Est-ce que le fait que l’Etat algérien sera socialiste et démocratique préjuge des futures structures de l’Algérie indépendante sur le plan politique, économique et de son orientation vis-à-vis des blocs ?
Réponse : Nous ne disons pas que l’Algérie sera socialiste, mais qu’elle sera sociale.
Question : Comment pouvons-nous ici au Maroc réprimer tout dénigrement systématique contre l’organisation ? Les moyens de contrainte sont-ils compatibles avec la souveraineté nationale ?
Réponse : Ce problème n’est pas particulier au Maroc. Il existe aussi en Tunisie où réside également une forte communauté algérienne qui vit sur un territoire souverain. Sur le plan juridique, les moyens de contrainte que nous pourrions être amenés à utiliser ne sont pas compatibles avec la souveraineté de ce pays. Les autorités légitimes qu’elles soient tunisiennes ou marocaines ne peuvent nous permettre de punir librement tout Algérien que nous voulons. (…)
Question : L’application des dispositions de caractère social a créé au sein de la population un esprit revendicatif préjudiciable. Des mesures ont-elles été prévues à ce sujet ?
Réponse : L’aide matérielle (en nature et en espèces) servie aux djounouds ou à leur famille, aux réfugiés et aux nécessiteux, ainsi qu’aux permanents, n’a jamais été un droit et ne l’est pas. Cette aide peut être supprimée ou suspendue à n’importe quel moment, si les possibilités le commandent… Il s’est créé un esprit revendicatif, état d’esprit nuisible à la révolution. (Ou bien le FLN me nourrit, m’habille, me loge, et il est bon ; ou bien, il ne le fait pas ou ne m’aide pas comme je désire, et alors il est mauvais).
Question : Les présents statuts et institutions doivent-ils ou vont-ils être diffusés sous peu aux militants de base ?
Réponse : Vous avez justement été convoqués pour cela. Ces textes ne sont pas secrets. Ils doivent être communiqués et commentés très largement aux militants de base. (…) »

Notes de Mohamed Harbi sur les conditions de rédaction de ce question-réponse : « Après la formation du deuxième gouvernement Abbas, Bentobbal se rend au Maroc en compagnie de Mohamedi Saïd pour régler les problèmes posés par la révolte du capitaine Zoubir. Ce texte correspond aux questions qui lui ont été posées lors de sa tournée et donne une idée des préoccupations des cadres du FLN à l’époque. (…) On remarquera le silence sur les questions qui engagent l’avenir. »

Pour comprendre comment le « socialisme » de Boumedienne et Ben Bella était une opération démagogique et populiste visant à enlever aux ouvriers organisés et autogérés en comités de gestion des entreprises « vacantes », c’est-à-dire abandonnées ou fermées par les anciens propriétaires français. Ils ont joué toutes les opositions au sein des travailleurs et fait croire que les comités spontanément mis en place avaient détourné des biens. Ils ont mis en place des assemblées générales pour virer ces anciennes directions et imposer d’autres proches du pouvoir, quitte à recommencer plusieurs fois la même opération. Ils enlevaient ainsi aux travailleurs tout pouvoir sur leur entreprise afin de la remettre à l’Etat prétendûment « socialiste » et autogestionnaire, on peut lire ces extraits de « L’Algérie de la Révolution » de Juliette Minces, tirée des numéros de « Révolution Africaine », organe du FLN, de 1963-64 :

« Les nouveaux patrons
(RA 20 avril 1963)
L’Usine textile de Fort-de-l’Eau. L’activité ordonnée, le mouvement des métiers, la présence des ouvriers absorbés devant leur machine, le bruit qui nous avait attirés à notre arrivée, montrent que cette usine fonctionne. En Algérie, chaque usine qui travaille est un succès. (…) Au paravant, le patron avait quitté l’Algérie, laissant les clefs à une ouvrière européenne en qui il avait pleine confiance. Son départ avait entraîné celui de tous les ouvriers européens. Il laissait cependant un stock qui, bien qu’inférieur à celui des années précédentes, pouvait permettre de redémarrer. Au mois d’octobre, il prétendit vouloir redonner à son usine une certaine activité, mais motivait le freinage par la difficulté qu’il éprouvait à trouver un directeur. Puis, il décida de licencier les 35 ouvriers de l’usine qui y travaillaient encore un peu. Mais les ouvriers ne se sont pas laissés faire et un Comité de gestion a été mis en place. Il restait 65.000 francs dans la caisse, et un stock assez faible. Les commandes furent très nombreuses au début de l’hiver et on put employer 74 ouvriers à Fort-de l’Eau. (…)
Après nous avoir fait part de tous ces chiffres et des difficultés inhérentes à la gestion d’une entreprise qui pendant longtemps n’avait fonctionné qu’au ralenti, le président du Comité de gestion en arrive au problème fondamental ici : l’existence même du Comité de gestion et ses rapports avec les ouvriers.

 L’usine, ça va. Les ouvriers sont contents du travail. Mais ils se plaignent du Comité et même la production a un peu diminué.

 Pourtant, ce sont les ouvriers qui vous ont nommés ? Comment s’est constitué ce comité ?

 Eh bien, nous nous sommes présentés. Certains parmi nous travaillaient ici depuis plus de vingt ans. Et les ouvriers nous ont nommés. Nous sommes sept dans ce comité.

 Mais de quoi se plaignent les ouvriers ?

 Ils trouvent que nos salaires sont trop élevés et les leurs pas assez. Ils ont déjà voulu faire grève plusieurs fois, mais les délégués syndicaux les ont convaincus que ça n’était pas opportun. Pourtant, le chiffre d’affaires de l’usine a augmenté. Alors, ça prouve que nous sommes capables.

 Mais combien gagnent les ouvriers, en moyenne ; et vous, combien gagnez-vous ?

 Les ouvriers gagnent entre 30.000 et 35.000 francs.
Il s’arrête. Il ne semble pas tenir à nous dire le salaire des membres du comité. Nous insistons.

 Eh bien, ils gagnent 90.000 francs par mois.
Le délégué du syndicat intervient et précise :

 Le président, lui, gagne 110.000 francs. (…)
Leur problème, ce sont les salaires et le Comité de gestion. Chacun veut participer à la discussion. Ils parlent des décrets, des discours de Ben Bella, et les commentent pour nous prouver à quel point ils ont raison. (…)

 Regardez ma fiche de paie. Qu’on me coupe la tête si quelqu’un peut faire vivre une famille de neuf personnes avec 24.000 francs. (…)

 Ce Comité n’est pas digne de nous représenter. Il n’a rien de révolutionnaire ; il a même pris les habitudes des anciens patrons.
Les contrôleurs du Bureau national du secteur socialiste ont pris la chose en main. Avant la fin de la semaine, une réunion rassemblera tous les ouvriers, devant lesquels le Comité de gestion devra présenter son bilan.

Deux coopératives : Zéralda et Douaouda
(RA 27 avril 1963)
Un représentant du Centre national d’animation du secteur socialiste nous propose de le suivre dans sa tournée d’inspection. Nous l’accompagnerons donc à Zéralda, puis à Douaouda. Là, les coopératves de conditionnement posent des problèmes (…) Les coopérateurs se plaignent. (…) C’est surtout le directeur qui parle. Les aqutres se contenteront d’approuver. (…) Sur les biens laissés vacants, on avait installé des comités de gestion. Le ministère de l’Agriculture obtint que les comités de gestion entreraient dans les coopératives de conditionnement en tant que sociétaires. (…) Ils devaient, en échange, payer une surtaxe de conditionnement et n’avaient aucun droit de regard sur le fonctionnement des coopératives. (…)
Maintenant, les travailleurs n’ont plus confiance dans de futures éléections. Notre guide nous explique que le gouvernement a décidé qu’on devait procéder très bientôt à l’élection démocratique des comités de gestion. Ils ne sont pas au courant. En outre, ils se sentent paralysés par leur ignorance dans le domaine de la commercialisation. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont accepté de voir leurs pouvoirs supprimés. (…) Il leur plait d’avoir un organisme d’Etat qui tienne tout en main et qui ait ainsi une position de force sur le marché français et même européen. Ici aussi les ouvriers sont prêts à accepter de nouvelles difficultés. Pourvu que la gestion soit saine : « On a déjà tant perdu : nos frères, nos maisons ; on peut encore accepter quelques difficultés supplémentaires et même perdre de l’argent pouvrvu qu’à l’avenir cela profite aux travailleurs. »

Une leçon de démocratie à Fort-de-l’Eau
(Révolution Afriaine du 18 mai 1963)
Le comité de gestion de la filature de Fort-de-l’Eau vient enfin d’être changé. L’élection du nouveau comité précédait d’une semaine la campagne nationale pour la réorganisation des Comités de gestion qui s’est ouverte ce mercredi 15 mai. (…) Cette prise de conscience réelle, qui va au-delà des critiques ou des récriminations – puisqu’elle demande l’engagement de chacun – nous l’avons vécue vendredi dernier lorsque tous les travailleurs de la Filature se sont réunis, en présence d’une délégation formée de deux membres de la kasma de Fort-de-l’Eau, de deux représentants de la Délégation spéciale de deux membres de l’UGTA régionale, de trois représentants de la présidence du Conseil (secteur socialiste) et deux membres de l’Association des anciens moukafhine. (…) Benattig, un des représentants du secteur socialiste parle (…) L’attention des travailleurs est très soutenue. Ils écoutent la tête un peu avant, le visage grave. Tout ce que vient de dire l’inspecteur du secteur socialiste. Ils le savaient déjà, mais, de l’entendre formuler par lui, confère à ces vérités un poids plus grand. (…) Cette réunion qu’ils réclamaient avec insistance parce qu’elle était devenue indispensable, a pris une ampleur qu’ils n’attendaient pas. Ils sont au pied du mur : il faudra remplacer ce Comité de gestion, mais c’est à eux d’élire le nouveau, et c’est une chose très importante : ils seront dorénavant responsables de leur choix. Zitoun, délégué de l’UGTA, prend ensuite la parole. Il explique lui aussi la nécessité de parler sans contrainte : « Il faut exposer vos doléances. (…) » Un seul membre de l’ancien comité a été réélu. (…) Cette leçon de démocratie faite avec calme et courage n’est pas prête d’être oubliée. Elle a touché chacun des ouvriers de l’usine de même que la campagne nationale de restructuration touchera tous les Comités de gestion. »

Derrière la décor d’Hassi-Messaoud
(Révolution Africaine du 20 juillet 1963)
« Ville moderne construite e préfabriqué, Maison-Verte (Hassi Messaoud) est un des gtrands centres sahariens du pétrole. Elle a été construite en 1958. (…) Le champ d’Hassi Messaoud est partagé essentiellement entre deux compagnies : la CFPA (Compagnie Française des Pétroles d’Aquitaine) et la SN REPAL, société française dans laquelle le gouvernement algérien a 40% des parts. (…) Quant aux Algériens qui travaillent et qui constituent la moitié des effectifs, plus de 50% y sont employés depuis le début. (…) Notre interlocuteur est satisfait de tout, d’ailleurs la preuve que tout marche bien est qu’il n’y a pas eu une seule grève. Non seulement, Hassi Messaoud est un paradis de verdure, mais encore c’est un paradis pour les travailleurs. (…) Les travailleurs algériens n’acceptent plus de vivre dans ces conditions. C’est ici la seule région d’Algérie qui soit encore colonisée. (…) Les ouvriers sont si mécontents qu’il a fallu, nous dit le délégué de l’UGTA, des interventions supérieures pour leur faire prendre patience : leurs revendications sont, la plupart du temps, rejetées. Cependant, ils renoncent à faire grève : « Le parti et l’UGTA nous ont demandé de ne pas faire grève parce que ça nuirait à l’économie du pays. Ils nous ont expliqué que nous avions fait des sacrifices pendant tant d’années que nous pouvions encore en faire pendant quelques temps, jusqu’à ce que notre économie ait bien démarré. Mais nous n’avons aucun moyen de pression contre les patrons sans la grève. (…)
Avant l’indépendance, les travailleurs avaient droit à une boîte d’eau d’Evian par jour. Depuis, on leur a supprimée et lorsque les ouvriers viennent réclamer, on leur répond par la formule désormais fameuse : « Allez voir Ben Bella qu’il vous la donne, si vous n’êtes pas contents. »
Ils n’ont, en effet, pas lieu d’être contents ! (…) Les tentes des travailleurs algériens abritent chacune six persones. Leur lit consiste en une planche de bois. Leur Cuisine, ils la font sur le seuil. (…) Tous ces problèmes, toutes ces revendications d’ordre social, il ne faut pas croire qe ce n’est qu’à Hassi Messaoud qu’on les rencontre.

Fallait-il le dire : Acilor
(RA du 16 novembre 1963)
« Moi, j’ai été élu par 156 voix sur 160 ouvriers. Je suis magasinier général. Alors, s’il (l’attaché commercial représentant l’Administration) me traite de voleur, s’il traite tout le Comité de gestion de voleur, c’est tous les ouvriers qu’il insulte ! » (…) Comme nous leur demandons si nous pouvons rencontrer le président du Comité, ils nous répondent, un peu gênés, qu’il n’y a plus de président. Pourquoi ? (…) Le directeur a des preuves contre lui. (…) Les salaires ont été fixés par le comité de gestion (…) Le responsable du personnel explique le problème des salaires : « Les salaires ont été fixés verbalement par le président du Comité. Mais ils ont été exagérés : ils sont beaucoup trop élevés pour les possibilités de l’usine. Alors, on a dû faire un réajustement, après avoir convoqué une délégation avec des représentants de l’UGTA, du Parti et de la Préfecture. On a fait une grande réunion où le directeur a expliqué que les ouvriers d’Acilor étaient surpayés. Alors, avec l’accord de tous les ouvriers, on a décidé de baisser les salaires. »

Déficitaires, nous ? Et pourquoi ?
(RA du 29 février 1964)
« Sur les 152 domaines de la plaine de la Mitidja, seuls 5 ou 6 n’ont pas couvert leurs frais. (…) Pour tout l’arrondissement de Blida, plus de 90% des domaines autogérés sont bénéficiaires (…) Nous avons bien travaillé cette année et moi je ne comprend pas pourquoi on ne nous a donné que 11.000 francs de prime. (…) Quand on nous a dit de nous constituer en comité de gestion, nous avons cru que la ferme était à nous, que les bénéfices nous reviendraient intégralement, et qu’on pourrait en faire ce qu’on voudrait. Maintenant on s’aperçoit que ce n’est pas vrai. Les décrets, bien sûr, on va encore nous parler des décrets ! Mais personne ne nous a vraiment expliqué ce que c’était. (…) Pourquoi ne nous ont-ils donné que 11.000 francs ? Je ne sais pas. Quand j’ai vu la somme, je n’ai pas voulu écouter leurs explications. »

Autogestion et lutte de classe en Algérie
Les temps modernes, juin 1965
« Où en sont les applications des décision du Congrès du secteur industriel socialiste ? Où en est la création de la Banque socialiste ? Où en sont les conseils communaux d’animation du secteur socialiste ? (…) Un délégué de Sidi-Bel-Abbès parle de sa région : « La situation est grave. Il ya une désorganisation complète, voire un sabotage délibéré. La masse laborieuse des campagnes a été abandonnée à elle-même, elle perd courage… » (…)
La résolution de politique générale (…) définissant le rôle du syndicat (…) : « Le syndicat doit lutter avec persévérance en vue de débarrasser les ouvriers autogestionnaires de toutes les séquelles de la mentalité des salariés qui se traduit dans le gaspillage, le manque d’application dans le travail, les négligences et les doter d’une conscience socialiste pénétrée de la conviction que l’intérêt individuel se confond avec l’intérêt général. » (…) On peut cependant s’étonner de la suppression du droit de grève, dans le secteur autogéré. (…)
Comment se peut-il qu’après un an et malgré toutes les promesses solennellement faites au cours des différents congrès antérieurs (Congrès de l’autogestion agricole d’octobre 1963, du FLN d’avril 1964) la situation soit restée sans changements réels ? Pour répondre à cette question, il faut étudier le contexte dans lequel s’est développée l’autogestion. Elle est née avant les décrets de mars 1963, au cours de la crise de l’été 1962. La plupart de colons ayant fui, les terres demeurées vacantes risquaient de rester en friche. Les ouvriers agricoles se mirent donc au travail de leur propre initiative, constituant ainsi l’embryon de ce qui allait devenir par la suite le secteur autogéré. (…) Compte tenu des accords d’Evian, on attendait le retour des propriétaires des biens « vacants », afin qu’on put les remettre en bon état à leurs anciens propriétaires, lorsqu’ils reviendraient. C’est du moins ce qu’une grande partie de l’administration naissante prétendait. Quant aux travailleurs qui venaient de vérifier qu’ils n’avaient pas besoin d’un patron pour accomplir leurs tâches, ils n’étaient plus aussi prêts à restituer les terres et s’installaient très rapidement dans leurs responsabilités nouvelles.
En janvier 1963, Khider, alors secrétaire général du FLN (parti qu’il avait reconstitué et « enflé » démesurément – secondé par Bitat – depuis l’indépendance, et dont les nouveaux responsables étaient le plus souvent parachutés du sommet, Khider destitue par un coup de force, en plein congrès de l’UGTA, la direction de cette centrale syndicale et la remplace par une nouvelle direction, parachutée elle aussi et à sa convenance. (…) En mars 1963, la promulgation des fameux décrets sur l’autogestion fera alors de Ben Bella, aux yeux du peuple et surtout des travailleurs des biens vacants, le dirigeant incontesté de l’Algérie indépendante.
Cette période des « décrets de mars »vit naître une flambée d’entousiasme chez les autogestionnaires. Elle fut de courte durée (…) Plusieurs mois après leur promulgation, les membres des comité de gestion – et encore moins l’assemblée des travailleurs –ne savaient exactement de quoi il s’agissait. L’administration locale avait nommé les responsables de l’autogestion, dont beaucoup se prenaient par conséquent pour de nouveaux patrons. (…)
Dès mars 1963, on pouvait prévoir l’agitation sociale et politique qui suivit en Grande Kabylie. Le gouvernement avait fait toutes sortes de promesses qu’il ne s’efforça pas de tenir. Dans l’attente des semences, des briques, des tracteurs et des mulets promis, les travailleurs refusaient de prendre la moindre initiative. (…) les responsables politiques ou syndicaux qui auraient dû être élus étaient nommés. (…) Et puis, avec l’attente, le mécontentement était venu : ils commençaient à s’inquiéter pour l’avenir. Du travail, il n’y en avait toujours pas ; alors que le chômage continuait et continue à sévir en Algérie, on promettait qu’il serait résorbé en six mois. (…) Ainsi, le peuple avait l’impression qu’on se désintéressait de sa misère, et assistait impuissant à cette course aux meilleures places qui est la conséquence normale d’une révolution essentiellement dirigée par des nationalistes petits-bourgeois, contraints de recourir à une terminologie socialiste dans la seule mesure où peuple éprouve un besoin intense de justice et d’égalité sociales. Cette bourgeoisie, qui s’est constituée et s’est renforcée à une vitesse surprenante,, utilisait l’autogestion au début, comme un alibi qui devait donner au peuple l’impression de « socialisme », bien décidée par ailleurs à saboter la formule, au cas où les travailleurs auraient pris trop au sérieux les promesses qu’elle comportait. C’est pourquoi le principal slogan consistait à dire qu’il n’y avait pas de classes sociales différenciées, mais des couches dont les intérêts étaient communs. (…) Dans la plupart des localités, la masse avait perdu confiance dans les permanents locaux du FLN. Surpayés, ayant perdu tout contact réel avec elle, ou n’en ayant jamais eu (la plupart n’ayant pas été élus, mais nommés par les instances supérieures), ils formèrent une espèce de bureaucratie rapidement embourgeoisée, que cette masse craignait parfois, à cause du pouvoir qui lui était conféré ; qu’elle méprisait car elle la considérait comme « sans honneur » ; et qu’elle désavoua par la suite, publiquement, au cours de différents congrès qui eurent lieu. (…) Secteur « socialiste » dans une économie de type capitaliste, (…) les travailleurs y étaient rapidement venus à considérer les entreprises ou les domaines dans lesquels ils travaillaient comme leur appartenant à titre collectif. (…) Il fallait donc soit « couler » économiquement l’autogestion, en dégoûter les travailleurs, et prouver ensuite que ce système n’était pas rentable, soit la reprendre en main, d’une façon détournée, en confisquant aux travailleurs toutes les responsabilités de gestion, de financement, de commercialisation (qui pourtant leur étaient reconnues par les décrets), au profit des organismes de tutelle dépendant du ministère de l’Agriculture (…). »

Document : Extraits de « La question coloniale et la politique du Parti communiste français (1944-47) » de Grégoire Madjarian :

« Le 8 mai 1945, dans toute l’Algérie, devait être célébré l’armistice. Des cérémonies officielles avaient été prévues. Un mot d’ordre clandestin du PPA avait circulé : « Le jour de la victoire, manifestons pour exiger, après le sacrifice et la conduite héroïque des Algériens dans l’armée française, un peu de démocratie et de justice ! » Une fraction légaliste des Amis du Manifeste, croyant éviter ainsi l’intervention policière, envoya une délégation demander au gouverneur général l’autorisation de s’exprimer. Les délégués ne sortirent pas de la résidence générale : ils avaient été arrêtés et les autorités prévenues. Le jour de l’armistice, eurent lieu dans plusieurs villes des manifestations d’ampleur et de forme diverses. A Bône et Didjelli, les manifestations se joignirent au cortège officiel et déployèrent leurs propres banderoles. Des défilés analogues furent organisés à Batna, Biskra, Kenchela, Blida, Berrouaghia et Bel-Abbès. A Saïda, la mairie fut incendiée. A Alger, les fidèles n’assistèrent pas à la cérémonie officielle de la Grande Mosquée. Les incidents les plus graves eurent lieu à Sétif et Guelma. A Guelma, peu de musulmans avaient assisté aux cérémonies officielles : les comité des AML organisait sa propre manifestation avec des mots d’ordre tels que « Vive la démocratie ! », « A bas l’impérialisme ! », « Vive l’Algérie indépendante ! ». la police tira sur la foule. A Sétif, un cortège de quinze mille personnes se dirigeait vers le monument aux morts afin d’y déposer une gerbe, arborant pour la première fois le drapeau algérien vert et blanc. Les manifestants brandissaient des pancartes et des banderoles : « Démocratie pour tous ! », « Libérez Messali ! », « Libérez nos leaders emprisonnés ! », « Vive la victoire alliée ! », « Vive l’Algérie indépendante ! », « A bas le colonialisme ! », « Pour une Constituante algérienne souveraine ! ». La police ouvrit le feu à la suite d’un ordre du sous-préfet de retirer pancartes et banderoles. Ces manifestations furent le point de départ d’un soulèvement qui s’étendit à la Kabylie des Babords, se propagea dans une grande partie de la région du Constantinois. Des messagers allaient dans les campagnes, les villages les plus reculés, pour faire le récit des manifestations de Sétif et Guelma et de leur répression. Les responsables locaux des AML organisaient leurs militants et dirigeaient des attaques contre les bâtiments de l’autorité française : la mairie, la poste, la recette des contributions, la gendarmerie. Les centres de Aïn-Abessa, Sillègue, le bordj Taktount Bouga (La Fayette), ainsi que Kerrata furent encerclés. Les centres de Béni Aziz (Chevreuil) assiégé aux cris de « Djihad ! Dkihad ! » fut entièrement incendié. Des groupes armés venus des douars voisins assaillirent Guelma, le 9 mai, pour venger leurs morts, et le car de Bougie à Sétif fut attaqué. Le 10 mai, le village d’Aokas (commune morte d’oued Marsa), la gendarmerie de Tesara, le bordj et la poste de Fedj M’zala furent encerclés. Dans la région d’oued Marsa, les communications téléphoniques furent coupées, des gardes forestiers tués. Dans la région des Babors, au nord de Sétif, l’émeute prit « l’allure d’une véritable dissidence » d’après le rapport du général de gendarmerie. Les troupes étaient « accueillies dans certains douars à coups de fusils et même d’armes automatiques ». Des rassemblements d’hommes armés étaient signalés à El Arrouche, Azzaba, oued Amizour, Smendou, Chelghoun-Laïd, El Milia, ouest-Zénati. Entre Tizi-Ouzou et Thénia, les fils téléphoniques furent coupés. Des dépôts d’armes clandestins furent signalés à Tébessa. Des bruits circulaient à propos d’un soulèvement général, bruits qui n’étaient, nous le verrons plus loin, pas sans fondement. Plusieurs groupes armés de paysans s’attaquèrent aux villages et aux centres de colonisation. Fermes, colons, représetants de l’ordre colonial furent les cibles de la révolte. A propos des événements de mai 1945 et afin de dégager leur signification, il est nécessaire de poser plusieurs questions distinctes : de quel ordre sont les facteurs qui ont déterminé le soulèvement du Constantinois, quelles sont les causes immédiates du déclenchement de l’insurrection, y a-t-il eu préparation d’une insurrection, y a-t-il eu volonté insurrectionnelle ? A l’époque, à côté de la thèse d’un complot fasciste qui fut, nous le verrons plus loin, la principale thèse officielle et qui ne repose sur aucun fondement, vint s’adjoindre celle d’une révolte de la faim. Bien que la situation des musulmans, et en particulier celle des fellahs, fût dramatique, de nombreux éléments contredisent cette dernière thèse. Pendant les événements, « Le Monde » remarquait : « Au cours de ces journées sanglantes, ni les silos remplis de blé ni les entrepôts de denrées ne furent pillés. « En 1948, Bénazet écrivait : « Non seulement les manifestants des cortèges n’ont jamais poussé des clameurs ou arboré des pancartes contre le ravitaillement » mais les silos de la région « remplis de grains et laissés sans protection, ne souffrirent nulle atteinte. » (…) Sur le déclenchement des événements, l’analyse de Mohamed Boudiaf et le témoignage qu’il a recueilli, attribuant un rôle déterminant aux provocations policières, semblent faire le point sur cette question : « L’effervescence populaire était à son comble, les autorités coloniales, décidées à reprendre la situation en mains, cherchaient l’occasion de frapper un grand coup (..) J’ai eu plus tard l’occasion d’en parler avec le responsable du parti (le PPA) de Sétif, Maïza, il n’avait aucune directive et ne savait quoi répondre aux militants qui vinrent lui en demander après le début des incidents dans la région. Ce sont les provocations qui ont mis le feu aux poudres. Le scénario fut le même un peu partout. Dès que les drapeaux étaient sortis, la police tirait sur le porteur. La foule réagissait. » (El Jarida – novembre-décembre 1974) (…) Par contre, après le 8 mai, des responsables du Constantinois demandèrent aux dirigeants du PPA d’appeler à l’insurrection générale pour soulager les populations de la région qui supportaient, seules, le poids de la répression, mais celle-ci n’eut pas lieu, à cause notamment des tergiversations de la direction du PPA. (…) Il apparaît, comme l’écrit Mahfoud Kaddache dans « Il y a trente ans », que « les événements de Sétif et Guelma furent considérés comme le signal de la révolution, de la guerre libératrice. » Ainsi, les heurts et les fusillades qui se produisirent dans les deux villes en question – et ce dernier élément seul permet de comprendre l’embrasement du Constantinois – ne trouvèrent un écho que parce qu’il existait une volonté insurrectionnelle dans les masses. Dirigée par le général Duval, la répression du soulèvement du Constantinois fut d’une sauvagerie indescriptible. (…) dans un message à l’ONU, Messali Hadj dira des événements du Constantinois qu’ils « ont coûté plus de quarante mille victimes au peuple algérien. » (…) Comment ces massacres furent-ils justifiés par les autorités et acceptés par l’opinion de la métropole ? (…) la version officielle du gouvernement de l’Algérie, version qui fut également celle des trois partis politiques au pouvoir sous la tête gaulliste (MRP, SFIO et PCF) était la suivante : le soulèvement du Constantinois était un « complot fasciste » accompli par des « agents hitlériens ». L’armée n’était dépêchée que pour « poursuivre l’action patriotique de nettoyage ». (…) Le 11 mai, « L’Humanité » relatait les événements du 8 en rapportant la déclaration du gouvernement général : « Des éléments troubles d’inspiration hitlérienne se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne. La police, aidée de l’armée, maintient l’ordre. » En publiant sans réserves ces propos sous le titre : « A Sétif, attentat fasciste le jour de la victoire », le quotidien du PCF accréditait la version de l’administration coloniale. (…) (Le 12 mai,) le Comité central du PCF, prenant une position sans nuances, recommandait explicitement une répression rapide et impitoyable. Il publiait immédiatement la révolution suivante : « Il faut tout de suite châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute. » (…) Sur une distance de 150 kilomètres, de Sétif à la mer, la loi martiale fut proclamée. La troupe reçut l’ordre de tirer sans sommation. « sur le burnous ». Tout arabe ne portant pas le brassard réglementaire était abattu (témoignage de Charles-André Julien dans « L’Afrique du Nord »). Les légionnaires furent autorisés à massacrer toute la population arabe de Sétif et même ailleurs, où aucune manifestation n’avait eu lieu. A Villard, pendant deux jours, une batterie de 75 bombarda les douars environnants. A Saint-Armand, les soldats eurent pour mission de raser tous les villages se trouvant à 15 kilomètres des centres de colonisation. Périgotville et Chevreuil furent entièrement détruits. L’aviation bombardait et mitraillait à l’intérieur, tandis que les navires de guerre canonnaient des villages côtiers. D’après ce que reconnut le général Weiss, il y eut, en quinze jours, vingt actions aériennes contre la population. Les avions détruisirent 44 mechtas (groupe de maisons pouvant aller de 50 à 1000 habitants). La marine intervint devant Bougie et à Djijeli. Le croiseur Dugay-Trouin, venu de Bône, fut employé au bombardement des environs de Kerrata. Le douar Tararest fut rasé. Des douars entiers disparurent. (…) A Guelma, la réaction viscérale de la population européenne, sous l’initiative du sous-préfet, mena à l’organisation d’une milice. Le comité de vigilance, qui recrutait et contrôlait la milice, comportait une forte majorité de combattants de la « France combattante », y compris deux responsables du Parti communiste algérien, ainsi que le secrétaire de l’Union locale de la CGT. Dans ce qui fut l’une des opérations de représailles les plus meurtrières de mai 1945, les miliciens massacrèrent entre 500 et 700 « musulmans ». (…) Le mouvement syndical de la métropole, par l’intermédiaire de son principal représentant, la CGT, adopte des positions voisines du PCF (…) afin de « souligner l’action courageuse et magnifique des organisations syndicales d’Algérie pour empêcher que le mouvement ne s’étende à d’autres régions. »

Si la situation était révolutionnaire en Algérie à la fin de la deuxième guerre mondiale, en Algérie comme sur une bonne partie de la planète, l’inexistence de partis révolutionnaires était aussi très générale et détruisait l’essentiel des possibilités de la situation. La révolte a éclaté en 1945 en Algérie, alors que les travailleurs et les masses populaires ne disposent d’aucune organisation favorable à une révolution sociale renversant le colonialisme. Le plus important parti dans les masses populaires, algériennes comme pied-noires, est le Parti Communiste Algérien. Alors que le Parti Communiste Français, qui participe au gouvernement, soutient le colonialisme [25] et participe [26] à la répression de la révolte, le PCA déclare : « Frères musulmans, le peuple de France lutte contre tes ennemis : le fascisme et les trusts qui oppriment l’Algérie en même temps qu’ils trahissent la France (…) dans cette lutte, une France nouvelle se crée, qui n’aura rien de commun avec celle d’hier. (…) Ton intérêt propre est donc d’aider cette France nouvelle à se créer, à se forger, car c’est le chemin de salut pour toi. » (extrait de « Le PCA au service de la population d’Algérie », rapport de Amar Ouzegane à la conférence centrale du PCA à Alger le 23 septembre 1944). Il va dénoncer la lutte d’indépendance comme « fasciste ». Le PPA, parti nationaliste de Messali Hadj, qui avait des origines communistes (L’Etoile Nord-africaine), choisit tactiquement de jouer le jeu des élections dans le cadre colonial, comme l’avait fait l’Association du Manifeste et de la Liberté de Ferhat Abbas. Même sa frange paramilitaire, l’Organisation Spéciale, dirigée par Ben Bella et Aït Ahmed, plus portée sur l’action directe comme le montrera son évolution en FLN, affirme qu’il ne fallait pas faire la révolution sociale, pas de soulèvement en masse, en 1945. Le rapport de l’OS en 1947 sur l’analyse des événements de 1945 dans le Constantinois et dans toute l’Algérie, dont voici quelques extraits, est édifiant sur le caractère contre-révolutionnaire de la petite bourgeoisie nationaliste radicale :


Rapport de l’Organisation Spéciale (formation paramilitaire clandestine du PPA) pour le Comité Central élargi de décembre 1948 du Parti du peuple algérien PPA-MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) de Messali Hadj et adopté par celui-ci :

« Nous nous proclamons un parti révolutionnaire. Le mot révolutionnaire est dans les propos de nos militants et de nos responsables. Notre vocabulaire est dominé par des formules à l’emporte-pièce, extrémistes, magiques telles que « le problème algérien est un problème de force », « nous sommes pour l’action, contre les discours » ; en attendant, nous ne cessons de discourir. (…) Aujourd’hui que l’électoralisme a fait faillite, le regard doit se porter résolument vers les véritables objectifs. Notre but est de mobiliser toutes les couches de la population algérienne, d’entraîner même les « mécontents », les « hésitants », même ceux qui sont contre les « inégalités choquantes ». « Des idées fumeuses, voire saugrenues, bouchent notre conscience. En parlant de soulèvement, certains y voient une forme d’insurrection « généralisée », à l’exemple de celle de 1871, étendue à l’ensemble du territoire national. (…) Le but de ce rapport est de préciser la donnée principale de la révolution : la ou les formes de lutte que doit revêtir la lutte de libération. » « Quelle forme prendra la lutte de libération ? La lutte de libération ne sera pas un soulèvement en masse. L’idée de soulèvement en masse est en effet courante. L’homme de la rue pense que le peuple algérien peut facilement détruire le colonialisme grâce à une supériorité numérique : dix contre un. Il suffira de généraliser à l’Algérie entière un soulèvement populaire. (…) En réalité, l’idée de « soulèvement en masse » se fonde sur des souvenirs historiques, au niveau de l’opinion populaire. Les paysans n’oublient pas la grande insurrection de 1871. De père en fils ils ont hérité le regret viscéral que cette insurrection fut circonscrite à la Kabylie, à quelques régions de l’Algérois et du Constantinois. Ils peuvent croire que cette insurrection aurait réussi si elle avait éclaté partout. Il faut préciser tout de suite que cette conception n’est pas partagée par les populations de Kherrata qui ont connu le massacre de mai 1945, ni par celles de Kabylie qui depuis cette date connaissent les répressions les plus dures. Les événements qui ont suivi « l’Ordre du 23 mai 1945 » indiquent à quelles aventures tragiques peuvent conduire des idées archaïques. (…) L’insurrection de 1871 a échoué, moins parce qu’elle était géographiquement limitée qu’en raison de son caractère spontané, improvisé et des conceptions militaires erronées de ses dirigeants. (…) Le soulèvement en masse est une forme de lutte anachronique. La notion de supériorité de la multitude, nous en avons fait l’expérience, a déjà bouché la conscience que devait avoir nos dirigeants des bouleversements engendrés par l’armement moderne dans l’art de se battre pour se libérer. Aux yeux des militants qui ont éprouvé directement les conséquences de « l’Ordre et du Contre-Ordre d’insurrection », l’histoire du « cheval blanc » et du drapeau vert » est plus qu’une anecdote humoristique. (Note : le PPA a donné un ordre d’insurrection, puis l’a décommandé, mais le contrordre serait arrivé trop tard en Kabylie et à Saïda). (…) L’expérience du soulèvement avorté du 23 mai 1945 est plus proche de nous que l’échec de la révolution de 1905, ou la débâcle des patriotes irlandais lors de l’insurrection de Pâques 1916 et du terrorisme qui l’a suivit. De plus, c’est notre propre expérience ; elle a profondément marqué les militants qui l’ont vécue et qui en ont tiré les leçons pour eux-mêmes et pour le parti. En été 1945, le district de la Grande Kabylie reçoit l’ordre d’abattre les candidats aux élections cantonales. Les responsables du district refusent d’exécuter cet ordre. (…) Nous pouvons tuer et prendre le maquis, si le parti a prévu la djihad comme étape suivante. (…) La forme de lutte individuelle conduit à nous mettre en position de moindre efficacité et de moindre résistance. (…) par contre, le terrorisme sous sa forme défensive ou d’appoint, c’est-à-dire le contre-terrorisme, peut jouer un rôle dans le cadre de la guerre populaire, comme en Indochine. (…) La guerre est un instrument de la politique. Les formes du combat libérateur doivent se mesurer à l’aune de la politique. (…) La lutte de libération sera une véritable guerre révolutionnaire. (…) La lutte de libération de l’humanité algérienne sera donc une guerre. Elle assumera les proportions d’un conflit avec la puissance coloniale avec tout son potentiel militaire, économique et diplomatique, donc politique. (…) Aussi la guerre révolutionnaire est la seule forme de lutte adéquate aux conditions qui prévalent dans notre pays. C’est la guerre populaire. Il importe de préciser que nous n’entendons pas par là les levées en masse. Par guerre populaire, nous entendons guerre des partisans menée par les avant-gardes militairement organisées et solidement encadrées. (…) Et d’abord posons-nous la question : quels sont les principes directeurs qu’il faut réunir pour assurer la victoire de cette guerre de libération ? Sur quels éléments doit se baser notre stratégie pour être victorieuse ? (…) Les principes directeurs de notre stratégie sont l’avantage du terrain, la guérilla comme forme de guerre principale, la défense stratégique et non l’offensive, la formation de bases stratégiques (…). Le principe directeur se rapportant à l’unité d’action avec le Maroc et la Tunisie se situe à la charnière des problèmes de stratégie intérieure et de stratégie extérieure. Nous préférons les situer à cette frontière. (…) Cependant, l’Algérie se condamnerait à perdre d’avantage, c’est-à-dire tous les autres atouts, si elle faisait une condition sine qua non d’un dispositif maghrébin préalable. (…) « Les thèses assimilationnistes sont bel et bien enterrées. Même le Parti communiste algérien semble se soumettre devant le puissant courant qui porte nos masses vers la libération. Il court derrière le peuple dont il prétend être l’avant-garde. Il va jusqu’à sacrifier comme bouc émissaire, Amar Ouzegane, son secrétaire général (note : il est présenté comme responsable du soutien du PCA au massacre colonialiste français de Sétif et du Constantinois, décision du PCA et du PCF, qui résulte de la participation du PCF au gouvernement français et de l’alliance contre-révolutionnaire du stalinisme et de l’impérialisme à la fin de la guerre). (…) Cependant, depuis le truquage éhonté des élections d’avril dernier, au vu de la répression qui a précédé et suivi ces truquages, le peuple algérien dans son ensemble a découvert le caractère dérisoire et vain du réformisme, basé sur la légalité coloniale. (…) le patriotisme rural a triomphé dans l’opinion avec la dureté qui caractérise l’oppression subie par les masses rurales : « Ne nous appelez plus aux urnes, donnez nous des armes ». (…) Ici apparaissent les dangereuses faiblesses de l’Organisation Spéciale OS. Nous manquons d’armes et d’argent. (…) Le problème de l’armement doit être le souci majeur du parti. (…) Un appareil émetteur-récepteur nous a coûté 100.000 francs, l’équivalent du budget de fonctionnement mensuel alloué à l’organisation. Aucun sou n’a été consacré par le parti à l’achat d’armements. (…) Nous disposons aujourd’hui de trois organisations toutes structurées à l’échelle nationale. Il y a le MTLD, appareil légal et public. Il y a l’OS, organisation paramilitaire, ultra clandestine. Il y a le PPA, appareil semi clandestin ou prétendu tel. Ces trois structures correspondent au schéma décidé par le Congrès de 1947. (…) Dans des localités, les responsables de l’OS sont à la fois dirigeants des sections locales du MTLD, du PPA et conseillers municipaux. N’ayant pu être remplacés à leurs « fonctions » légales ou semi légales, ces responsables n’ont pas pu se conformer aux directives de l’état-major de l’OS qui leur « fait obligation de se faire oublier » des autorités … des polices et des masses. » « Puisqu’on nous parle souvent de « plan de sécurité », il n’en existe pas d’autre que le maquis. Les militants sont aujourd’hui connus de toute façon. Ils ne peuvent pas échapper aux coups de filet par « la simple vigilance ». Ils doivent pouvoir continuer leurs activités au sein des masses en s’intégrant clandestinement à elles. « « Perspectives « Cette guerre de libération mettra aux prises, nous n’aurons de cesse de le rappeler, une puissance mondiale à une nation désarmée qui de surcroît a été soumise à une politique de dépersonnalisation et d’asservissement pendant plus d’un siècle. (…) La guerre populaire de libération nous donne des atouts. D’abord la force morale d’une cause juste (…) Les vertus guerrières de notre peuple, le mépris du danger, la force de caractère et d’esprit, la persévérance trouveront dans l’Islam bien exploité un élément de mobilisation et de soutien dans les vicissitudes, les revers, le deuil et les « hasards » de la guerre. Ensuite, l’Algérie c’est notre pays. Le peuple algérien connaît ses moindres recoins. Il fait corps avec le relief. La guerre de partisans, avec ses fonctions de commandos dans les villes, ses actions de sabotage généralisées, nous permettra de tirer le maximum de ces atouts, c’est-à-dire de durer et d’atteindre les objectifs de la défense stratégique. (….) Il s’agit de combler nos lacunes et de travailler en profondeur nos masses rurales. Le patriotisme révolutionnaire est dans les campagnes ; la paysannerie pauvre, la paysannerie des khammes, les petits paysans constitueront l’élément moteur de la guerre de libération. Leur tempérament, l’amour patriotique qui s’aiguise dans le nif (note : sentiment de l’honneur) et la « convoitise de la gloire « , leur dévouement fanatique, gage de fermeté et d’obstination, toutes qualités et force d’âme qui les ont rendu jadis et les rendront encore maîtres dans l’art de la guérilla. (…) la nature même chez nous de l’oppression coloniale de même que la répression sous toutes ses formes, économique, policière, terroriste, administrative, ont atteint des paliers exaspérants. D’où la véhémence du mécontentement général. Aujourd’hui, la conscience révolutionnaire consiste à exploiter l’impasse légaliste et les fiascos réformistes afin de familiariser les masses avec l’idée d’une véritable guerre et faire ainsi du recours à la violence non pas un geste de désespoir, de colère et de révolte, mais un geste révolutionnaire qui doit mener à la victoire. (…) « Le mot d’ordre « La terre à ceux qui la libèrent » qui correspond aux aspirations de nos masses rurales aura un effet multiplicateur, c’est-à-dire durablement mobilisateur. Le slogan quémandeur « La terre à ceux qui la travaillent » est sans effet (…) Il importe de bétonner notre implantation rurale. Il faudra tirer avantage de l’influence des notabilités acquises au mouvement pour structurer les paysans. « Nous voulons trois choses : des armes ! encore des armes ! toujours des armes ! La stratégie du harcèlement qui suppose des séries de petites attaques ne peut remplir son objet sans armes individuelles, pistolets mitrailleurs, fusils mitrailleurs, mitrailleuses légères, grenades offensives, grenades anti-chars. La stratégie de désorganisation de l’infrastructure coloniale, de dislocation économique et de destruction des voies de communication, suppose également les techniques d’explosifs les plus appropriées. Il est indispensable d’avoir dans chaque région des stocks de guerre. (…) Malgré les sacrifices des masses et la générosité des militants, le parti ne pourra au mieux que se procurer les ressources de subsistance à l’intérieur du pays. C’est à l’extérieur que nous devons nous approvisionner. (…) Une équipe doit être chargée de trouver les armes et les finances qu’exige la conjoncture. (…) Certains nous consentiraient un emprunt par solidarité sentimentale, anti-coloniale ou par communion de lutte contre l’impérialisme ; l’intérêt, le calcul n’y est peut-être pas totalement absent. Ils pourraient escompter des avantages politiques à plus ou moins long terme. » « La proclamation de l’indépendance du Viet Minh, la guerre de libération qui se déroule au Tonkin, la résistance de l’Indonésie, les événements de Madagascar, le revirement anglo-saxon en faveur de l’indépendance libanaise et syrienne, autant de faits qui illustrent la puissance du phénomène anti-colonial. (…) Cette force « émancipatrice » est vitale du point de vue strictement militaire, par la dispersion de la puissance et des efforts du colonialisme et l’affaiblissement de son potentiel économique. (…) « Nul doute que la résistance du Maghreb sensibilisera les musulmans au plus haut point. L’Islam est un facteur mobilisateur sur le plan moral et affectif. Il peut et doit apporter une contribution décisive dans la lutte de libération des peuples coloniaux. Aucun élément constitutif de cette force vitale ne doit être négligé, pour user et détruire la force vitale du colonialisme. » « Depuis quelques mois, la guerre froide sévit. L’Algérie, le Maghreb, est dans la zone d’influence occidentale. Jamais les USA ne permettront qu’il passe du côté de l’Est. Gardons-nous d’apriorismes idéologiques et de slogans sentimentaux créés en dehors de l’espace et du temps. L’efficience révolutionnaire commande le séreux et la prudence dans le verbe. » Rapport, rédigé en 1948 par Aït Ahmed et Ben Bella, dirigeants de l’OS, et adopté par Messali Hadj et le PPA, avant d’être appliqué comme stratégie par le FLN, issu de l’OS.

Messages

  • bonsoir à tous les militants de la révolution,dabord je dit merci a toute personnes ayant founie d’effort pour me donner des éclairecissements sur mes messages précédents,qui m’a une fois de plus motivé à m’intérèsser aux différents évènements.je viens de lire le texte "Le faux socialisme algérien ou l’Etat bourgeois dictatorial sans bourgeoisie" nous voyons par les temoignages de ce texte une population aligérienne prise entre les ténailles de la corromption, du chômage et surtout du régime dictatorial qui se caractérisait par la missère populaire.qui à fait subir aux pauvres la peine et le dexpoir et encouragé la montée du péril mais j’aimérais que vous me donniez encore une explication plus claire sur le ce texte............

  • Le PC français pro-colonial en 1937 (dans Cahiers du [de l’anti, note d’Alex] Bolchevisme, 20 mai 1937 )

    Ceux qui n’ayant rien compris ou rien voulu comprendre à la situation politique en France et dans le monde, voudraient voire se dresser, aujourd’hui même, les peuples coloniaux contre la démocratie française sous le prétexte d’indépendance , travaillent, en réalité, à la victoire du fascisme et au renforcement de l’esclavage des peuples coloniaux.

    On comprend pourquoi le PC comme le PS (Mitterand en 1954 à l’Assemblée : l’Algérie c’est la France, la seule négociation c’est la guerre) ont peur du débat sur l’identité nationale : ils étaient partisans de la France coloniale, ils ne veulent pas que ça se sache !

  • Récit d’un pronunciamento appelé "redressement révolutionnaire" : 19 juin 1965 : le pouvoir militaire se dévoile

    La matinée du 19 juin 1965 aurait pu être annonciatrice d’un jour parmi tant d’autres sous le ciel bleu et clair d’Alger. Mais l’histoire a voulu marquer cette journée comme celle ayant vu déchoir un pouvoir personnel à l’arrière-fond militaire au profit d’un pouvoir franchement militaire. Houari Boumediene vient d’accéder à la plus haute fonction de l’Etat en opérant un coup d’Etat nocturne contre ce même Ahmed Ben Bella qu’il aida à s’emparer du pouvoir trois ans auparavant.

    Boumediène et son groupe de putschistes ont baptisé ce jour “Le redressement révolutionnaire”. Le pronunciamiento de Boumediène avait pour objectif affiché de mettre un terme “aux intrigues et à l’affrontement des tendances et des clans”, et de dénoncer “le narcissisme politique”, “le socialisme publicitaire” de Ben Bella, comme souligné dans son communiqué-programme annoncé par la radio le 19 juin. Mais l’ouvrage cachait bien plus qu’un geste de sursaut patriotique émanant du ministre de la Défense. La raison du clan l’avait emporté sur la raison d’Etat déjà en ce fameux été 1962, et le coup de force de 1965 n’a fait que confirmer la volonté de l’armée d’avoir la manivelle du pouvoir en main.

    Ben Bella : Hissé par les blindés, déchu par les blindés

    A peine sortie du joug colonial, l’Algérie est passée d’un Césarisme à un autre, fardée de slogans aussi ambigus que dénués d’assise populaire. Le jeu se passait en haut lieu et le peuple exhiba un silence indifférent face à ce changement qui n’en n’était pas réellement un. La raison qui a lié Ben Bella à l’état-major général de l’ALN et le groupe d’Oujda en 1962, est la même raison qui a justifié le coup d’Etat de 1965, c’est-à-dire le pouvoir. Après s’être assuré mainmise sur l’appareil de l’Etat, et comptant sur son aura et ses amitiés trop affichées avec Gamel Abdelnasser, Ben Bella se complaisait dans son rôle de chef et il comptait le rester encore longtemps. Le clan d’Oujda sur lequel il s’est appuyé pour accéder au pouvoir commençait à devenir une source de gêne pour son ambition de tout contrôler dans les affaires de l’Etat.

    Il s’en prit alors à ses ministres du groupe d’Oujda, en les destituant de leurs postes. Il pousse Medeghri à quitter son poste de ministre de l’Intérieur, ainsi que Kaïd Ahmed à renoncer au ministère du Tourisme. Prochaine cible de Ben Bella, Cherif Belkacem, qu’il limogera de son rang de ministre de l’Orientation regroupant sous son aile l’Information, l’Education nationale et la Jeunesse. Ben Bella qui était président de la République, chef de gouvernement, et secrétaire général du FLN, élargit ses prérogatives en décembre 1964 en s’appropriant les portefeuilles de l’Intérieur, de l’Information et des Finances. Le 28 mai 1965, Ahmed Ben Bella s’attaque à l’autre membre du clan d’Oujda, Abdelaziz Bouteflika, à qui il ôta le portefeuille des Affaires étrangères à la veille de la Conférence Afro-asiatique qui devait se tenir à Alger fin juin de la même année. Bouteflika alerta Boumediène.

    Ce dernier qui était ministre de la Défense et vice-président de la République accuse, à son tour, la nomination à son insu de Tahar Zbiri comme chef de l’état-major. Sentant la menace de Ben Bella s’agrandir et se confirmer, Boumediène décide de passer à l’action. Il convoque ses compagnons du groupe d’Oujda ainsi que ceux du groupe de Constantine qui étaient Tahar Zbiri, Saïd Abid, Ahmed Draïa, Salah Soufi et Abdelaziz Zerdani. Le consensus pour le renversement de Ben Bella est atteint. Au-delà de la menace sur le groupe d’Oujda, ce que ce dernier craignait, c’était le rapprochement opéré entre Ben Bella et le Front des forces socialistes (FFS) à travers l’accord signé le 16 juin 1965. Hocine Aït Ahmed est arrêté le 17 octobre 1964 suite au mouvement insurrectionnel initié en 1963 en Kabylie contre le pouvoir de Ben Bella.

    Le procès d’Aït Ahmed se déroule du 7 au 10 avril 1965, il est condamné à mort, puis gracié le 12, mais demeure en prison. Boumediène voit dans la signature du communiqué commun Ben Bella-Aït Ahmed, une possible alliance de Ben Bella avec les Kabyles au détriment de son clan. Ceci précipita le passage à l’acte.

    « Ne perdons pas de temps, tu es arrêté par le Conseil de la Révolution »

    C’est le chef d’état-major fraîchement désigné par Ben Bella, Tahar Zbiri, qui mit à exécution l’ordre de destitution du premier président de la République, accompagné d’Ahmed Draïa, directeur de la Sûreté et choisi aussi par Ben Bella pour commander sa garde prétorienne des compagnies nationales de sécurité, et de Saïd Abid, commandant la 1re Région Militaire du Grand-Alger. “Ecoute, ne perdons pas de temps, habille-toi. Tu es arrêté par le Conseil de la Révolution.” C’est cette petite phrase sortie de la bouche de Zbiri qui signa la fin du règne de Ben Bella. Le même Zbiri qui tenta un coup d’Etat en 1967 contre Boumediène l’accusant d’avoir adopté les mêmes travers de gouvernance de Ben Bella.

    C’était le 19 juin à 1h30 du matin, la nuit se préparait à céder à un lendemain incertain. Ben Bella est sorti du lit par le cri de sa servante. Il s’attendait à tout sauf à un coup d’Etat, il avait tout prévu pour s’en prémunir. Lorsque Zbiri lui intime l’ordre de s’habiller, Ben Bella tente de faire appel à leur amitié passée : “Je t’ai toujours fait confiance”, lui dit-il. Tahar Zbiri réplique sèchement : “Dépêche-toi, la comédie est terminée.” Ben Bella regarde tour à tour son chef d’état-major et son chef de la sécurité, en se demandant où il a bien pu faillir.

    Des tirs se font entendre à quelques encablures de la villa Joly. L’installation de la police judicaire à Hydra est attaquée, une compagnie de la Garde nationale faisait de la résistance. Zbiri se presse d’embarquer son prisonnier qui lui dit : “je suis prêt”. En quelques minutes, Ben Bella n’est plus Président. Le convoi prend sa direction vers une caserne à El Harrach, Tahar Zbiri, lui, se dirige vers le ministère de la Défense pour informer Boumediène que “la mission est accomplie”. Boumediène est entouré de ses fidèles, Medeghri, Bouteflika et Chérif Belkacem. A 3h du matin, Boumediène décide de prévenir tout le monde : Bachir Boumaza et Ali Mahsas, Omar Oussedik, le Commandant Azzedine, Mohand Ouelhadj, Ferhat Abbas, Khider, Boussouf et Boudiaf. Le nouveau Conseil de la Révolution en appelle aux ralliements, à commencer par les ambassadeurs en exercice.

    Outre Ben Bella, la “mission” comportait aussi l’arrestation de ses proches. Ainsi, le ministre de la Santé, M. Nekkache, est arrêté après avoir reçu trois balles dans la poitrine. L’autre fidèle de Ben Bella, Hadj Ben Allah, est mis aux arrêts, ainsi que le directeur de la police judiciaire Hamadache et enfin le ministre des Affaires arabes et ancien chef de cabinet de Ben Bella, Abdelahram Chérif. Les mêmes blindés qui ont porté Ben Bella à la tête du pouvoir, viennent de l’emporter en prison. Ces mêmes blindés ont envahi la capitale.

    Les Algérois pensaient qu’il s’agissait du tournage du film La Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo. A 12h05, la radio fait l’annonce du “redressement révolutionnaire” et la création du Conseil de la Révolution. Boumediène apparaît à la télévision pour jeter l’invective sur Ben Bella et promettre d’en finir avec le pouvoir personnel et la privatisation de l’Etat. Treize années durant, Boumediène se confondra à son tour avec l’Etat.

    Par N. B.

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