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Qui était le révolutionnaire Jacques Roux ? Le premier communiste de la Révolution française !

samedi 26 mai 2018, par Robert Paris

"La Sainte famille", Marx et Engels :

« Le mouvement révolutionnaire, qui commença en 1789 au Cercle social, qui, au milieu de sa carrière, eut pour représentants principaux Leclerc et Roux et finit par succomber provisoirement avec la conspiration de Babeuf, avait fait germer l’idée communiste que l’ami de Babeuf, Buonarroti, réintroduisit en France après la révolution de 1830. Cette idée, développée avec conséquence, c’est l’idée du nouvel état du monde. »

Daniel Guérin :

« Deux mondes chevauchaient l’un sur l’autre : dans la voiture même qui conduisait Louis, roi par la grâce de Dieu, à l’échafaud, avait pris place, en tant que représentant de la Commune parisienne, l’enragé Jacques Roux, pionnier (encore balbutiant) de la révolution prolétarienne. »

Qui était le révolutionnaire Jacques Roux ?

On en parle de la Révolution française dans les livres d’Histoire, dans les média, partout, mais jamais de Jacques Roux !!!

La plupart des textes et discours révolutionnaires de Jacques Roux sont sur internet en anglais et pas en français !!! Voir à la fin de ce texte : Jacques Roux in english…

Jacques Roux :

« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par son monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. »

« L’aristocratie marchande, plus terrible que l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale, s’est fait un jeu cruel d’envahir les fortunes individuelles et les trésors de la république ; encore ignorons-nous quel sera le terme de leurs exactions, car le prix des marchandises augmente d’une manière effrayante, du matin au soir. Citoyens représentants, il est temps que le combat à mort que l’égoïste livre à la classe la plus laborieuse de la société finisse. »

« Députés de la Montagne, que n’êtes-vous montés depuis le premier jusqu’au quatrième étage des maisons de cette ville révolutionnaire, vous auriez été attendris par les larmes et les gémissements d’un peuple immense sans pain et sans vêtements, réduit à cet état de détresse et de malheur par l’agiotage et les accaparements, parce que les lois ont été cruelles à l’égard du pauvre, parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches… Ô rage, ô honte ! Qui pourra croire que les représentants du peuple français qui ont déclaré la guerre aux tyrans du dehors ont été assez lâches pour ne pas écraser ceux du dedans ? » A quoi sert à un analphabète la proclamation de la liberté de la presse ? Un affamé n’a que faire du droit de vote. Celui qui voit mourir de maladie, de misère, sa famille ne se préoccupe guère des libertés de penser et de se réunir. Sans justice sociale, la république ne vaut rien. »

L’ombre de Marat au peuple français dans Le Publiciste de la République française par Jacques Roux, 16 juillet 1793 :

« RÉPUBLICAINS, sans-culottes, jacobins, montagnards ; ô vous tous qui aimez la liberté et l’égalité, cessez de verser des larmes sur la tombe de voter ami ; et n’affligez pas ses mânes par le spectacle de votre douleur ; MARAT N’EST POINT MORT, son âme, dégagée de sa dépouille terrestre, et planant sur toutes les parties de la république, n’en sera que plus souple pour s’introduire dans les conciliabules des fédéralistes et des tyrans ; elle n’en sera que plus habile à pénétrer les secrets de ceux de vos représentants qui osent trahir à la face du ciel, et la patrie et leurs serments : elle n’en sera que plus active, enfin, à dévoiler les opérations perfides des fonctionnaires de la république et de leurs agents, à arracher le masque du patriotisme aux traîtres, à vous dénoncer tous les scélérats, tous les attentats qui seront portés à la république et à la liberté.

Républicains français, n’abandonnez pas la montagne sacrée, c’est le palladium de la liberté. MARAT N’EST PAS MORT et vous y soutiendra contre tous les crapauds du Marais. Le feu sacré qui anime un cœur républicain peut-il jamais s’éteindre ? Non, MARAT N’EST PAS MORT ; son ombre courroucée va s’attacher au sanctuaire de vos lois, et ne pas le quitter qu’il ne soit totalement purgé des intrigants et des royalistes qui l’infestent, des hommes nuls (toujours modérés et plus dangereux qu’on ne pense, car ils sont de tous les partis), des hommes d’état et des fripons. MARAT N’EST PAS MORT : toutes les autorités, tous les agents n’en seront pas moins surveillés par son ombre ; toutes les prévarications n’en seront pas moins dénoncées au peuple, qui a plus besoin que jamais de se prononcer sur les faux patriotes et sur les figures insignifiantes ou plâtrées comme sur les traîtres.

Tu t’es trompé, scélérat de Gordet [sic pour Corday Charlotte, la meurtrière de Marat, dont le nom est beaucoup répétée, sans que son orthographe soit encore connue] ; tu t’es trompé, lâche assassin, si tu as cru qu’en me poignardant tu enlèverais au peuple un de ses défenseurs ; de mon sang tu en fais naître des milliers pour venger ma cause, et te précipiter toi et tes complices dans le ténare où vous attend l’assassin de le Pelletier.

C’est trahir sa patrie que de ménager les ennemis qui la menacent : retarder un quart d’heure de marcher contr’eux, c’est s’avouer complice de leurs crimes.

Le général Kellermann, requis de faire marcher des forces sur Lyon, où le royaume lève une tête altière, où les patriotes sont incarcérés, condamnés à mort et exécutés, reste là, malgré les réquisitions des commissaires près l’armée des Alpes, malgré la loi qui les autorise à faire cette réquisition, et a l’impudeur de demander à la Convention un décret qui autorise à marcher. Lacroix élève en vain sa voix pour demander l’ordre du jour, motivé sur l’existence de la loi qui autorise les commissaires. De vains débats étouffent sa réclamation ; la Montagne est muette, et ne voit pas que le traître Kellermann ne cherche qu’à atermoyer pour ne porter de l’eau sur l’incendie que quand il ne sera peut-être plus temps d’en arrêter les ravages, et le projet du comité de Salut public, qui n’a pas vu le piège est adopté, et un décret nouveau autorise Kellermann à courir au secours des patriotes de Lyon, quand il aurait dû obéir à une réquisition que les commissaires lui faisaient en vertu de la loi.

N’est-ce pas de la part de Kellermann, se jouer indignement et de la Convention et de ses devoirs et des lois, que d’en agir ainsi ? Ô France, ô ma patrie ! quand les généraux de tes armées cesseront-ils donc de te trahir ! Eh ! pourquoi les va-t-on choisir aussi, dans l’ancienne caste des nobles ou parmi les étrangers ? Que mon ombre est irritée de voir l’insouciance de la Convention sur le choix que fait le pouvoir exécutif, des généraux des armées de la république ! quand j’en ouvre la liste odieuse, je n’y trouve que des Allemands, ou des espagnols, et des ci-devant nobles.

Est-ce donc chez un ennemi qu’il faut aller chercher les chefs de nos troupes ? Et la république est-elle donc dénuée de défenseurs courageux t instruits, qu’elle ne puisse trouver des généraux dans son sein ? Pour mieux singer le patriotisme et nous mieux tromper, je les vois tous supprimer le de, qui précédait jadis leurs noms orgueilleux ; despotes sans cesse entourés de leur état-major, quand ils ne le sont pas de leurs maîtresses, à peine daignent-ils jeter un regard sur le soldat qui vient se plaindre, heureux encore quand il ne le fait point incarcérer pour avoir osé élever la voix contre le despotisme, les prévarications ou l’incivisme des protégés du général. J’ai toujours prédit les trahisons de nos généraux ; et je ne pouvais pas me tromper, car il était physiquement et moralement impossible que les satrapes des despotes étrangers, non plus que ces vils courtisans de l’ancienne cour de Versailles, et les pensionnaires de la liste civile du dernier tyran, eussent le courage de servir la république, et de ne pas céder aux piastres de l’Espagne, aux guinées de l’Angleterre, jointes aux menaces de Cobourg, aux insinuations de Brunswik et aux insinuations plus dangereuses encore de leurs maîtresses… N’ai-je pas toujours dit que Lafayette etc. étaient des traîtres. On me traitait alors de mauvaise tête, e désorganisateur, de boute-feu etc. J’étais le tison de l’état, et l’expérience a cependant prouvé que j’avais raison.

Peuple, veux-tu être libre ? Exclus tout étranger des premiers emplois militaires : on ne peut bien défendre que son pays, et l’esclave n’a point de patrie. Que tes généraux ne soient choisis que parmi les citoyens français ; pour prix de leur service, leur propose d’un côté, les honneurs du triomphe et de la fortune, de l’autre la hache du bourreau et l’infamie , et tu auras d’excellents généraux… – Mais que ma voix ne soit plus celle qui crie dans le désert.

Nos frères de la section des Sans-culottes et ceux du Contrat-Social ont demandé à la Convention que mon assassin fût punie par un supplice nouveau. Je dois sire à mes concitoyens, que mes mânes ne demandent point, pour leur satisfaction, des souffrances, mais le bonheur du peuple et de bonnes lois. – Que la scélérate qui m’a privé de la vie, en soit privée à son tour, et aille retrouver dans l’enfer ses bons amis les royalistes et louis capet leur chef, qui doivent y être joliment rôtis s’il y a une justice divine, et qui s’y attendent.

Mais cependant je dirai à mes anciens collègues que le supplice de la guillotine est trop doux pour punir les crimes d’incendie, d’assassinat et de poison. Le scélérat qui ne croit pas aux peines de l’autre monde, doit être retenu par celles qu’il s’expose à souffrir dans celui-ci. C’est s’endormir dans son lit que de passer sous le couteau de la guillotine ; et s’il est vrai que les peines doivent être proportionnées aux délits, je dis que la peine de la simple privation de la vie est trop douce pour l’assassin, l’incendiaire ou l’empoisonneur. Je ne demande point contr’eux l’exécution des lois cruelles du Pérou ; je demande une loi naturelle, qui, en effrayant les coupables, soit assez puissante pour les détourner du crime ; je demande la loi du talion ; que celui qui cassera un bras soit condamné à avoir le même bras cassé par l’exécuteur des jugements criminels ; que celui qui aura assassiné, d’un ou de plusieurs coups de poignards, soit légalement assassiné du même nombre de coups de poignards ; que celui qui aura incendié ma propriété ou qui m’aura fait rôtir, soit rôti ; et que celui qui aura empoisonné, soit empoisonné lui-même. Législateurs, anciens collègues, quoique ce ne soit que mon ombre qui vous porte cette pétition, faites-y droit si vous voulez arracher la main du scélérat, et proportionner les peines aux délits, par des moyens qui ne réprouve [sic que ne réprouvent] ni la nature ni les lois d’un peuple libre. »

Roux, dirigeant des « Enragés »

Manifeste des Enragés, de Jacques Roux

Jacques Roux à Marat

Discours sur le jugement de Louis-le-dernier, sur la poursuite des agioteurs, des accapareurs et des traîtres

Discours dans l’église des Cordeliers

Sur Jacques Roux

La vie chère et le mouvement social sous la Terreur (tome 1)

La vie chère et le mouvement social sous la Terreur (tome 2)

Le Publiciste de la République par l’Ombre de Marat

Lire encore

« La révolution française et nous » de Daniel Guérin :

« Ceux que leurs adversaires affublèrent du nom d’ « enragés » : Jacques Roux, Théophile Leclerc, Jean Varlet, furent en 1793 les interprètes directs et authentiques du mouvement des masses ; ils furent, comme n’hésita pas à l’écrire Karl Marx, « les représentants principaux du mouvement révolutionnaire ». »

« La révolution française et nous » de Daniel Guérin :

« Le 25 juin 1793, Jacques Roux vint lire une pétition à la barre de la Convention : « (…) La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. (…) La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. » (…) Jacques Roux dénonçait prophétiquement « les hommes mielleux en apparence, mais sanguinaires en réalité ». »

Jean Ziegler, dans « L’empire de la honte » :

« A Paris, l’été 1792 est de misère extrême. Dans les faubourgs, la faim rôde. Les Tuileries, le palais du roi, hante l’imagination des affamés. Des bruits courent. Des montagnes de pain, des victuailles en abondance seraient entassées dans les appartements royaux… Durant la nuit du 9 au 10 août, l’Hôtel de Ville est illuminé. L’animation y est intense. De tous les quartiers, de tous les faubourgs, les députés des sections affluent. Ils se consultent, négocient, puis à l’aube proclament la Commune insurrectionnelle de Paris. L’ancienne municipalité est dissoute. La garde nationale est décapitée, son commandant en chef, Mandat, tué. Santerre prend sa place. Les insurgés décident d’attaquer les Tuileries. Deux colonnes de femmes et d’hommes armés de fusils, de pics, de fourches, de poignards, encadrés par des « sans culottes », convergent vers le palais. L’une vient du faubourg Saint-Antoine, sur la rive droite de la Seine, l’autre de la rive gauche. 171 mercenaires suisses défendent le palais. Celui-ci est quasiment vide. Louis XVI, sa famille et ses courtisans étaient, à cette heure, réfugiés au manège. Les Suisses seront tués jusqu’au dernier. Des pillards se saisissent des trésors – meubles, lingerie, vaisselle, etc. – qu’ils découvrent au palais et les emportent. Lorsque les premiers d’entre eux, leur butin sur le dos, débouchent sur les quais de la Seine, les miliciens sectionnaires, pour la plupart jacobins, les arrêtent et les pendent aux lampadaires. Le pillage, l’atteinte à la propriété privée, fût-elle celle du roi tant détesté, sont sanctionnés par la mort. A travers cet épisode de maintien de l’ordre se donne à voir une valeur centrale – le respect absolu de la propriété privée -, véhiculée par la conscience de la nouvelle classe montante, la bourgeoisie marchande et proto-industrielle. Elle allait bientôt confisquer la révolution. Et c’est précisément contre ces bourgeois démocrates que se dresseront bientôt les « Enragés », conduits par le prêtre Jacques Roux. Ecoutons Jacques Roux : « La liberté n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par son monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. » Et plus loin : « L’aristocratie marchande, plus terrible que l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale, s’est fait un jeu cruel d’envahir les fortunes individuelles et les trésors de la république ; encore ignorons-nous quel sera le terme de leurs exactions, car le prix des marchandises augmente d’une manière effrayante, du matin au soir. Citoyens représentants, il est temps que le combat à mort que l’égoïste livre à la classe la plus laborieuse de la société finisse. » Roux encore : « Députés de la Montagne, que n’êtes-vous montés depuis le premier jusqu’au quatrième étage des maisons de cette ville révolutionnaire, vous auriez été attendris par les larmes et les gémissements d’un peuple immense sans pain et sans vêtements, réduit à cet état de détresse et de malheur par l’agiotage et les accaparements, parce que les lois ont été cruelles à l’égard du pauvre, parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches… Ô rage, ô honte ! Qui pourra croire que les représentants du peuple français qui ont déclaré la guerre aux tyrans du dehors ont été assez lâches pour ne pas écraser ceux du dedans ? » A quoi sert à un analphabète la proclamation de la liberté de la presse ? Un affamé n’a que faire du droit de vote. Celui qui voit mourir de maladie, de misère, sa famille ne se préoccupe guère des libertés de penser et de se réunir. Sans justice sociale, la république ne vaut rien. »

Article de Claudine Cavalier :

« Le plus célèbre des « curés rouges » naquit dans un petit village tranquille près d’Angoulême dans une famille aisée : son père était un ancien lieutenant d’infanterie. Il fit des études au séminaire d’Angoulême, chez les lazaristes, et fut ordonné prêtre en 1767. Il mena dès lors une carrière d’enseignant, en philosophie puis en physique. En 1779, alors qu’il était professeur au séminaire d’Angoulême, il fut compromis dans une affaire de meurtre : le cuisinier de l’établissement tira une nuit sur des jeunes gens qui s’amusaient à casser les vitres du bâtiment, et tua l’un d’eux. Il prétendit ensuite que l’abbé Roux lui avait donné des ordres en ce sens. Roux, qui s’était enfui, fut rapidement arrêté, ainsi que le supérieur du séminaire et trois autres prêtres. L’affaire ne fut jamais entièrement tirée au clair, mais il fut libéré au bout d’un mois et demi par arrêt du Parlement.

Il devint ensuite desservant à Saintes, puis aumônier et vicaire à Montlosier, avant d’être nommé curé de Cozes : ses supérieurs lui attribuent de la « régularité » et des « mœurs irréprochables ». Deux ans avant la Révolution, il fut muté à Saint-Thomas-de-Conac : ses fidèles, dit-on, l’ « idolâtraient » pour sa générosité.

La prise de la Bastille l’enthousiasma, et il prononça, dans sa petite église, son premier « prêche civique » : il célébrait le « triomphe des braves parisiens sur les ennemis du bien public ». Il fut fort applaudi par ses paroissiens et par la garde nationale, mais ses supérieurs commencèrent à s’inquiéter. Il y avait de quoi, car il n’était qu’à ses débuts de révolutionnaire, et il montra bientôt des dispositions remarquables à cet égard. Après la nuit du 4 août, il ne craignit pas de prêcher au prône « la doctrine dangereuse que les terres appartenaient à tous également », et il participa probablement, en avril 1790, à la mise à sac des châteaux de Boisroches et Saint-Georges des Agoûts. Il fut révoqué, frappé d’interdit par son évêque, et sa tête fut mise à prix : il dut s’enfuir, et on perd sa trace jusqu’à la fin de l’année. Il réapparut à Paris, aux club des Cordeliers, puis à l’église de Saint-Sulpice, où, bien que toujours soumis à interdit, il prêta serment à la Constitution en ces termes : « Je jure donc, messieurs, en présence du ciel et de la terre, que je serai fidèle à la Nation, à la loi et au Roi, qui sont indivisibles. J’ajouterai même que je suis prêt à verser jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour le soutien d’une révolution qui a déjà changé, sur la surface du globe, le sort de l’espèce humaine en rendant les hommes égaux entre eux, comme ils le sont de toute éternité devant Dieu. »

Il fut finalement nommé vicaire à Saint-Nicolas des Champs, dans la section des Gravilliers. Ses prêches enflammés, qui défendaient systématiquement les droits des petites gens, le rendirent fort populaire. En mai 1792, suite aux premières défaites de la campagne militaire, il fit imprimer un discours, qu’il avait prononcé à Notre-Dame, et qui fut vendu au profit des pauvres : on y trouve, seize mois avant la Terreur, des idées et des principes qui présideront à la mise en place du régime ultra-répressif de l’automne 93 . « Désarmez les citoyens tièdes et suspects, mettez à prix la tête des émigrés conspirateurs et des tyrans couronnés qui sont armés contre notre liberté. Prenez en otage les femmes, les enfants des traîtres à la patrie, qu’ils répondent des événements de la guerre, qu’enchaînés ils soient exposés les premiers au feu de l’ennemi ou plutôt au premier fer des assassins qu’ils auront recrutés, que les maisons de ces lâches habitants qui ont livré nos places fortes soient rasées et démolies. » La guerre y est déclarée aux riches en faveur des pauvres : « Une nation qui a secoué le joug de la tyrannie doit se roidir contre les coups redoutables de l’aristocratie de la fortune. Elle ne doit pas souffrir que des hommes profondément corrompus dévorent les propriétés, les manufactures, le commerce, la liberté. Qu’ils sucent, goutte à goutte, le sang du citoyen, et qu’ainsi par d’indignes trafics ils préparent le retour à la servitude. » Il faut décréter la peine de mort contre les accapareurs, les faux-monnayeurs, interdire l’exportation de denrées alimentaires… Jacques Roux était en avance sur son temps, et fort écouté dans les milieux populaires. Aussi après le 10 août, où il combattit sans doute dans les rangs des insurgés, fut-il élu par sa section au tribunal extraordinaire du 17 août, destiné à juger les royalistes. Toutefois son élection fut cassée du fait de sa prêtrise, et il semble en avoir conçu beaucoup d’amertume. Il essaya de se rattraper au moment des élections à la Convention, mais il s’y prit si mal (il fit circuler de fausses lettres de recommandation en sa faveur et des bulletins à son nom) qu’il fut dénoncé comme intrigant et ne recueillit que trois voix… Il échoua de même lors des élections départementales, mais sa section l’envoya finalement siéger au Conseil Général de la Commune. Chargé, en tant que membre de la municipalité, d’assister à l’exécution de Louis XVI, il fit preuve face au roi déchu et condamné d’une grande dureté, qui lui fut reprochée par la suite : il n’est pas prouvé qu’il refusa de recevoir le testament que Louis XVI avait écrit dans la nuit précédant son exécution, ni qu’il prononça la fameuse phrase : « Je ne suis chargé que de vous conduire à l’échafaud » (bien qu’il s’en soit vanté plus tard, c’est probablement un détail inventé), mais il est bien attesté qu’il se montra d’une brutalité telle que plusieurs témoins, même très hostiles à Louis XVI, en furent choqués. C’est probablement pour cette raison que la Commune tenta de le chasser par un vote épuratoire défavorable dès le 14 février. La section des Gravilliers dut faire pression sur le Conseil pour que son député soit maintenu en fonction.

La crise économique qui s’amplifiait poussait Roux à accumuler les réclamations proprement politiques : il demandait donc inlassablement, dans les journaux et dans des pétitions auprès des autorités, la taxation des produits de première nécessité, la réglementation des prix par le gouvernement, la peine de mort pour les accapareurs. Il préconisait même des greniers publics et une nationalisation de la vente des subsistances. Fut-il le meneur des journées de février où éclatèrent les troubles du sucre ? Il n’est pas prouvé qu’il ait organisé le pillage des épiceries, mais il est certain qu’il y était favorable : il affirma après coup que « les épiciers n’ont fait que restituer au peuple ce qu’ils lui faisaient payer beaucoup trop cher depuis longtemps. » Il ne regrettait qu’une chose, qu’il n’y ait pas eu de têtes coupées… Les Conventionnels n’apprécièrent pas cette déclaration, la Commune non plus : on avait frôlé la guerre civile en février, les gouvernants le savaient et ils commençaient à comprendre que Roux était dangereux.

Il joua malgré tout un rôle important le 31 mai et le 2 juin, non seulement en entraînant les Gravilliers dans l’insurrection, mais aussi en « relevant l’esprit public » de la section du Finistère, qui avait failli manquer à l’appel au dernier moment. Du coup, la Commune lui demanda de rédiger l’adresse qui réclamait à la Convention l’arrestation des vingt-deux Girondins.

Mais il se méfiait des Montagnards qu’il jugeait trop timides sur le plan économique. Entouré d’un petit groupe de militants qu’on commençait à appeler les « Enragés », il multiplia, dans des affiches, aux Cordeliers, parfois aussi au Club des Républicaines Révolutionnaires, les attaques contre le gouvernement : il fut si violent qu’il effraya Marat lui-même et gagna la haine féroce de Robespierre. Le 23 juin, jour de l’acceptation de la Constitution, il tenta de forcer la Convention à insérer dans le nouveau texte un article spécial précisant que « la liberté ne consiste pas à affamer ses semblables. » Mais lorsqu’à la tête d’une délégation des Cordeliers et de la Société Révolutionnaire des Gravilliers, il présenta une pétition dans ce sens à l’Assemblée, Robespierre l’interrompit et le fit chasser. Le 25 juin, il revint à la charge, bravant l’Incorruptible : il avait même, la veille, tenté sans grand succès de rallier les Jacobins… Le texte qu’il présentait aux députés est passé à l’histoire sous le nom de « Manifeste des Enragés [1] ». Y sont résumées les idées qu’il avait toujours défendues : la première lutte est celle des pauvres contre les riches, les mots de Liberté, d’Egalité, de Fraternité sont des fantômes pour qui a faim, le droit naturel autorise les malheureux à reprendre par la force le nécessaire dont les riches les privent. Roux réclamait donc à nouveau la peine de mort contre les accapareurs et les agioteurs (il voulait l’inscription dans la Constitution de cette peine), la taxation des denrées, l’interdiction de la vente du numéraire, le cours forcé de l’assignat, l’impôt progressif. Il soulignait aussi la nécessité du maintien de la démocratie directe au niveau des sections et de la surveillance du gouvernement par les électeurs. La répression violente, qu’on n’appelait pas encore la Terreur, devait être appliquée strictement au niveau économique : l’instrument devait en être une force spécifique, une armée révolutionnaire… Ces idées allaient être progressivement adoptées par le gouvernement révolutionnaire, mais à l’été 93, revendiquées en bloc au lendemain de l’acceptation de la Constitution, elles effrayèrent tout le monde, y compris les plus progressistes des Conventionnels. Par ailleurs, Jacques Roux allait très loin, une fois encore, dans la critique du régime : il dénonçait la faiblesse de la Constitution, préconisait son rejet et parlait de « crime de lèse-nation » de la part de ses rédacteurs… La Montagne, en entendant ces mots, se mit à « mugir » [2] : le côté gauche de l’Assemblée fit obstruction, Legendre désavoua Roux au nom des Cordeliers, Thuriot l’accusa de servir des intérêts royalistes. Collot d’Herbois, qui présidait la séance, eut de la peine à rétablir le calme et fit au malheureux pétitionnaire une réponse sanglante. Robespierre intervint pour déclarer que les sectionnaires avaient été trompés par leur meneur, dont il dénonça « l’intention perfide » : du coup, certains membres de la délégation des Gravilliers qui accompagnaient Roux prirent peur et se rétractèrent, déclarant courageusement : « notre religion a été surprise : ce n’est pas là la pétition qu’on nous avoit lue et à laquelle nous avions donné notre adhésion. » Roux se retrouvait seul contre tous. Il parvint pourtant à retourner partiellement la situation en sa faveur : le soir même il relut sa pétition à l’assemblée générale des Gravilliers, où il se fit applaudir. Les Cordeliers se rallièrent de nouveau à lui et décidèrent l’envoi de la pétition à la Convention. La Commune refusa de le blâmer, malgré les attaques de Chaumette et d’Hébert…

Robespierre décida dès lors de se charger lui-même de l’élimination du perturbateur. Sa guerre personnelle contre Roux est sans doute l’un des épisodes où l’on voit le mieux à l’œuvre celui que ses ennemis ont appelé, pas toujours sans raison, le « tigre Robespierre » : la perte de l’adversaire décidée, il n’épargna aucun moyen pour le détruire. Des troubles sociaux se multipliaient : à la Convention, des députés robespierristes réclamèrent à chaque séance l’identification et la punition des meneurs, en prenant bien soin de les dissocier des malheureux qu’ils entraînaient. Ils ne citèrent pas de noms. Ce fut le 28 juin, aux Jacobins, que Robespierre dénonça lui-même celui qu’il visait : il prononça contre cet « homme ignare », « intrigant qui veut s’élever sur les débris des puissances que nous avons abattues », un réquisitoire complet, d’une grande force mais aussi d’une totale perfidie : Roux y apparaissait comme un agent de l’étranger, un homme qui agissait « de concert avec les Autrichiens » et faisait aussi le jeu des Girondins. Le surlendemain, une députation du club, que l’Incorruptible conduisait lui-même avec Hébert et Collot d’Herbois, se rendit aux Cordeliers pour réclamer l’exclusion du « traître ». L’affaire ne traîna pas. Enfin, la Commune dûment chapitrée blâma puis chassa le chef des Enragés.

Soudain, Marat lui-même passa à l’offensive : l’Ami du peuple, gravement malade, usa ses dernières forces à écrire contre Roux et ses idées un pamphlet d’une extrême virulence, publié le 4 juillet. Il attaquait le curé rouge sur sa vie privée (d’après des notes fournies par Collot d’Herbois…) et reprochait à ses idées de « jeter les bons citoyens dans des démarches violentes, hasardées, téméraires, et désastreuses. » Roux tenta de se justifier : il publia une brochure en réponse, où il relevait les calomnies du texte de Marat et rappelait la proximité de leurs idées. Ce fut en vain. Dix jours plus tard, Marat était assassiné.

Malgré le désaveu de l’Ami du peuple et la chasse que lui menait Robespierre, Roux ne se découragea pas. Il tenta aussitôt, comme tous les ultra-révolutionnaires, de récupérer le souvenir du « martyr de la république » et fit paraître dès le seize juillet un journal, le Publiciste de la République Française, signé de l’ « Ombre de Marat » : il y poursuivait sa campagne contre les administrations, précisait ses idées en faveur de la démocratie directe. Robespierre eut alors recours à un dernier trait empoisonné : Simone Evrard, la « Veuve Marat », vint en personne se plaindre à la barre de l’Assemblée du triste usage fait par le curé rouge de la mémoire de son compagnon. Elle prononça un très beau discours, pathétique, du plus pur style classique : personne ne s’en étonna, bien qu’elle fut une simple ouvrière, de surcroît analphabète. Personne sans doute non plus ne fut dupe. Son texte est une des belles réussites littéraires de Robespierre… Le frère de l’Incorruptible, ou peut-être David, qui étaient des amis personnels de Marat, avaient convaincu la jeune femme de participer à la guerre contre Jacques Roux. Son intervention fut décisive : le 22 août, Roux fut arrêté par la Commune sous l’accusation, absurde, de détournement de fonds. Remis en liberté faute de preuves, il fut victime d’une telle campagne de dénonciations, savamment orchestrée, qu’on le remit en prison en septembre. Passible en principe du Tribunal de police correctionnel, il réclama tout l’hiver d’être jugé, pendant que la Comité de Salut Public achevait d’écraser les Enragés. Finalement, le Tribunal se déclara incompétent et le renvoya devant le Tribunal Révolutionnaire. Roux comprit que son sort était scellé : Le 4 février, jour où lui fut notifiée la décision du tribunal, il se poignarda devant ses juges. Il ne mourut pas immédiatement et fut transporté à Bicêtre. Le 10 février, il réitéra sa tentative et cette fois-ci réussit son suicide, après avoir recommandé aux autorités son fils adoptif, un orphelin nommé Masselin.

Robespierre et les Montagnards avaient obtenu ce qu’ils voulaient. On peut juger féroce jusqu’à la cruauté, voire ignoble, la mise à mort programmée du « curé rouge » et la destruction du mouvement qu’il avait dirigé, mais on peut sans doute comprendre les raisons qui guidèrent l’Incorruptible et ses alliés : si la générosité de Roux et la sincérité de sa défense des pauvres ne font, rétrospectivement, aucun doute, il n’en reste pas moins vrai que son attitude était dangereuse jusqu’à l’inconscience en contexte de guerre civile et d’instabilité gouvernementale. Il avait réellement cherché à faire rejeter la Constitution Montagnarde, et à soulever la population parisienne contre le gouvernement. C’était un crime impardonnable aux yeux des Montagnards, conscients de la fragilité de leur œuvre et de la nécessité d’assurer à la Révolution des appuis suffisants pour lui permettre de perdurer. »

[1] La formule est d’Albert Mathiez. [2] Selon le terme de Jacques Roux lui-même.

Maurice Dommanget, dans « Les Enragés » :

Jacques Roux est né le 21 août 1752 à Pransac, village appartenant au canton de La Rochefoucauld, arrondissement d’Angoulême (Charentes).

Son père, Gratien Roux, ancien lieutenant d’infanterie, était juge assesseur au marquisat de Pransac. Il eut douze enfants. Le cadet, Jacques, fit de bonnes études chez les Lazaristes du séminaire d’Angoulême. Tonsuré à quinze ans, il fut pourvu aussitôt d’un canonicat dans son pays natal…

Roux occupe quatre ans la chaire de physique expérimentale au même séminaire. Il devient ensuite vicaire et desservant, puis quitte le diocèse d’Angoulême pour le diocèse de Saintes ; après quoi, sur recommandation de l’évêque d’Angoulême qui vante ses talents, il devient aumônier du château de Montlosier, paroisse de Sainte-Radegonde, dont il est également vicaire… On le nomme curé de Cozes, sur le plateau entre la Gironde et la Seudre… De Cozes, l’abbé Roux passe à Saint-Thomas-de-Conzac, toujours dans le diocèse de Saintes…

Il y était depuis deux années quand survint la Révolution. Rien n’indiquait, jusque-là, de la part de Jacques Roux, une propension à l’activité politique et même une participation au mouvement maçonnique, comme il advint à tant d’autres ecclésiastiques…

La prise de la Bastille ne l’étonna pas :

« Le gouvernement était parvenu, dira-t-il plus tard, au degré d’avilissement et de putréfaction, le génie des auteurs célèbres avait préparé la chute du despotisme colossal qui pesait sur la surface du globe au point que le peuple ne devait pas tarder à briser ses fers. Je ne sais même pas comment il a payé de son sang pendant dix-sept siècles les vices, les prostitutions d’une cour corruptrice et corrompue. »

(dans « Le Publiciste de la République Française par l’Ombre de Marat, 23 juillet 1793)

Aussi, en présence des autorités et des gardes nationaux, il prononça avec chaleur dans l’église de Saint-Thomas-de-Conac un panégyrique de la journée du 14 juillet 1789 : « triomphe des braves Parisiens sur les ennemis du bien public »…

« Paris, réduit à la triste alternative de mourir par la famine ou par le glaive des brigands, portant son courage à la hauteur des circonstances, a déconcerté les artisans du mensonge et de l’audace et a bravé les furies déchaînées de l’enfer. Paris, le siège des talents, des sciences et des arts, est devenu tout à coup l’asile du courage et des vertus les plus mâles… le centre de cette bravoure, de cette bouillante et utile ardeur que nous ne connaissons que par l’histoire des plus grands généraux. »

Et c’est ainsi que fut prise la Bastille, « cette citadelle où la mort aiguisait impitoyablement le glaive de la douleur, punissant la plus légère offense par le carnage, égorgeait aujourd’hui une victime et en marquait une autre pour le lendemain. »

Le 14 juillet doit donc être béni. Il marque la chute du « despotisme le plus flétrissant ». En ce jour « à jamais mémorable », ce qui frappe surtout Jacques Roux, c’est la large participation des femmes. Elles s’élancent « comme des lions rugissants » sur le « fort si redoutable à l’innocence ».

« Un sexe naturellement timide au dehors et dans ses propres foyers, incapable presque par sa nature d’entreprise guerrière, se comporte néanmoins comme s’il eût été élevé dans les champs de batailles, échange dans l’ivresse du patriotisme la quenouille et le fuseau pour la gloire et les dangers des combats, les myrtes de l’amour pour les lauriers de mars. »

(…)

Un dossier sur les troubles de Saint-Thomas-de-Conac nous indique les premiers pas de Jacques Roux dans la voie socialiste.

Le 29 avril 1790, les paysans de ce village et des paroisses voisines, ayant à se plaindre du seigneur Dupaty de Bellegarde, attaquèrent les châteaux de Boisroches et de Saint-Georges-des-Coteaux qu’ils pillèrent, puis brûlèrent. De plus, ne pouvant atteindre le seigneur – responsable d’un coup de feu tiré sur le maire de Saint-Georges – ils se vengèrent en pillant le régisseur Martin. Or, il est prouvé que Jacques Roux eut une « grande part dans cet événement ». (…)

Dénoncé, Jacques Roux fut révoqué et même frappé d’interdit par les vicaires-généraux de Saintes : Taillet, Luchet et Delord. Des bruits infâmes circulaient sur son compte. Sa tête fut mise à prix ; la population lui devint hostile. Dès lors, il dut quitter la Saintonge. (…)

Jacques Roux reparaît sous son vrai nom à Paris, fin 1790, et tout de suite, il devient clubiste aux Cordeliers, le plus accentué et le plus combatif de tous les clubs de la capitale...

On était à l’époque des prestations de serment à la Constitution civile du clergé…

Jacques Roux, « venu à Paris pour prêter le serment », fit un coup d’éclat. Devant le peuple et la municipalité, il prononça un discours dans lequel, après avoir retracé à grands traits les tourments de sa vie sacerdotale et de sa vie civique, il exprimait sa joie de satisfaire aux exigences de la loi, énonçant en outre que cette consolation inappréciable lui faisait oublier que depuis seize ans il n’avait vécu que de ses infortunes et de ses larmes…

Ayant pris place dans le clergé constitutionnel, Jacques Roux devint vicaire à Saint-Nicolas-des-Champs, église attenante à l’ancien monastère de Saint-Martin, aujourd’hui le conservatoire des Arts et Métiers…

Paris est devenu pour lui « cette ville hospitalière, cette vertueuse et énergique cité qui est le miroir de l’opinion, le dépôt des connaissances humaines… le berceau et l’école de la liberté et de l’égalité. »

La section des Gravilliers, au cœur même de la capitale, deviendra sa plate-forme de combat.

C’était la plus populeuse des quarante-huit sections parisiennes après les Quatre Nations. Elle groupait trois mille trois cents citoyens actifs dans les rues étroites, lépreuses, sombres, qui deviendront le berceau des insurrections de la monarchie de Juillet, et dont l’une servira de siège, trois quarts de siècle plus tard, à la branche française de l’Internationale des Travailleurs. Cette section s’intéressait beaucoup aux problèmes du ravitaillement et de la hausse des prix…

Il faut croire qu’au club des Cordeliers Jacques Roux acquit une certaine notoriété, puisqu’on lui donna très vite le surnom élogieux dans une telle assemblée de « petit Marat », surnom que Gorsas reprit dans sa feuille et que le suivra à l’Hôtel de Ville, où il deviendra officier municipal et électeur du département. Lui-même, beaucoup plus tard à la Commune le 25 février 1793, se qualifiera de « Marat du Conseil Général », titre symbolisant à ses yeux la fidélité aux vrais principes…

Jacques Roux, en prêtre qu’il était, se prodiguait en aumônes pour les nécessiteux, groupait les femmes autour de lui et multipliait les prêches révolutionnaires.

C’est ainsi qu’à partir du 24 mai 1792, il discourut non seulement à Saint-Nicolas-des-Champs, l’église où il officiait, mais à Saint-Eustache, à Sainte-Marguerite, à Saint-Sulpice, à Saint-Antoine, et même à Notre-Dame. En outre, en bon propagandiste, il fit imprimer son discours et le fit vendre au profit des pauvres.

Comme le note Albert Mathiez :

« Cette pièce contient déjà l’esquisse des idées et des revendications sociales qu’il développera et précisera plus tard et qui lui vaudront de devenir le chef incontesté des Enragés. »

Roux déclame :

« Ecartez des magistratures plébéiennes et de toutes sortes d’emplois… ces agioteurs patriotiques qui ont accaparé les billets nationaux, les comestibles et les denrées de toute espèce, avec le papier factice et la fausse monnaie qu’ils ont mis en circulation ; ces vampires, en un mot, qui associés à l’administration des subsistances ont empoisonné, ruiné, affamé le peuple au milieu des plaines fertiles et qui insultent à la misère publique par un faste et un luxe qui annonce la soif de royauté… Une nation qui a secoué le joug de la tyrannie doit se raidir contre les coups redoutables de l’aristocratie de la fortune. Elle ne doit pas souffrir que des hommes profondément corrompus dévorent les propriétés, les manufactures, le commerce, la liberté ; qu’ils suçent, goutte à goutte, le sang du citoyen, et qu’ainsi, par d’indignes trafics, ils préparent le retour à la servitude… Demandez que la peine de mort soit prononcée contre les accapareurs de comestibles, contre ceux qui, par le commerce de l’argent, par la fabrication des pièces de monnaie au-dessus de leur valeur naturelle, discréditent nos assignats, portent les denrées à un prix excessif et nous font arriver à grands pas au port de la contre-révolution. »

(…)

Le programme de Jacques Roux date de la mi-mai 1792. Or, en janvier, des troubles graves tournant à l’émeute avaient eu lieu à Paris, dans les quartiers populeux, à propos des comestibles et spécialement du sucre. Les Gravilliers avaient participé en masse à l’agitation. Dans le quartier même de Jacques Roux, des portes de magasins avaient été défoncées, des vitres brisées. Il y eut des incendies, des pillages. Des commerçants durent livrer des produits alimentaires au prix fixé par la foule. La section des Gobelins et la section du faubourg Saint-Antoine avaient réclamé des mesures sévères contre les « vils accapareurs et les infâmes capitalistes »…

A la suite de ses discours et de la diffusion de sa brochure, Jacques Roux accrut son influence sur sa propre section et sur les sections voisines du Temple et de l’Observatoire. La section des Gravilliers était l’une de celles qui réclamaient alors avec insistance l’abolition de la royauté et la déchéance du souverain...

Il est sûr qu’au 10 août, Jacques Roux combattit dans les rangs des insurgés, car autrement, on ne s’expliquerait pas qu’il ait été nommé par sa section membre du Tribunal extraordinaire qui devait juger les royalistes…

Dans « Le Publiciste », voici le conseil qu’il donne au sans-culotte :

« Sous le règne de la liberté, tu dois avoir sans cesse les yeux fixés sur tes magistrats ; combien n’a-tu pas été trahi par des municipaux sans pudeur, par des commandants sans vertu ? Combien ne le seras-tu pas encore su tu ne jette un regard vraiment républicain sur tes mandataires… si tu ne fais éclater la foudre de la loi sur les hypocrites et les fripons qui t’entourent. »

(…)

Ecoutons Jacques Roux à la section de l’Observatoire :

« Le despotisme qui se propage sous le gouvernement de plusieurs, le despotisme sénatorial est aussi terrible que le sceptre des rois, puisqu’il tend à enchaîner le peuple, sans qu’il s’en doute, puisqu’il se trouve avili et subjugué par les lois qu’il est censé dicter lui-même. Mais, citoyens, vous n’aurez pas secoué le joug de la race des Bourbons, vous ne vous serez pas soustraits à l’humiliante domination des rois pour plier sous le joug des agents prévaricateurs. »

(…)

Le discours de Jacques Roux prononcé dans l’assemblée générale de l’Observatoire, le 1er décembre, « le jour de sa translation dans la ci-devant église des ursulines », eut un grand retentissement.

La section décida qu’il serait imprimé en brochure et que lecture en serait faite deux fois par semaine pendant un mois. Elle arrêta, en outre, qu’il serait envoyé à toutes les autres sections parisiennes, à la Commune, à l’assemblée nationale et à différents clubs…

« Il y a de la lâcheté à tolérer ceux qui s’approprient les produits de la terre et de l’industrie, qui entassent dans les greniers de l’avarice les denrées de première nécessité et qui soumettent à des calculs usuraires les larmes et l’appauvrissement du peuple. »

(…)

Le discours de Jacques Roux fixe encore notre attention à un autre titre, du fait qu’il était prononcé en une période où les révolutionnaires, par de nombreuses pétitions, aiguillonnaient la timidité paresseuse de leurs représentants dans le procès du roi. Jacques Roux s’en prenait aux députés girondins qui voulaient sauver Louis XVI, et aussi aux élus montagnards qui tergiversaient sur cette grave question politique comme sur le problème de la taxation. Avec énergie, il réclame le « jugement de Louis le Dernier »… Enfin, c’est Jacques roux qui, avec Jacques Claude-Bernard, fut délégué, le 21 janvier 1793, par la Commune de Paris pour assister à l’exécution de Louis XVI. »

(…)

Jacques Roux, dans sa propagande, passait du roi aux accapareurs…

« A quoi vous servira-t-il d’avoir coupé la tête au tyran et renversé la tyrannie, si vous êtes tous les jours dévorés lentement par les agioteurs, par les monopoleurs ? Ils accumulent dans leurs vastes magasins les denrées et les matières premières qu’ils revendent ensuite à des prix usuraires au peuple qui a faim, aux artisans qui ont besoin pour leur industrie, de laine, de cuir, de savon, de fer. Contre eux aussi il faut se soulever. Et qu’importe qu’ils se disent patriotes ? Qu’importe qu’ils se soient prononcés pour la Révolution et qu’ils aient acquis des biens nationaux si, dans les vastes immeubles des couvents d’hier, ils entassent la marchandise accaparée ? »

Le Manifeste des Egaux, rédigé par Jacques Roux, dirigeant des Enragés et présenté à la Convention le 25 juin 1793

Adresse présentée à la Convention nationale au nom de la section des Gravilliers, de Bonne nouvelle et du Club des Cordeliers, par Jacques Roux, officier municipal, électeur du département et membre du Club des Cordeliers, rédacteur de l’adresse et orateur de la députation Peuple, je brave la mort pour soutenir tes droits, prouve-moi ta reconnaissance en respectant les personnes et les propriétés.

« Délégués du peuple français !

« Cent fois cette enceinte sacrée a retenti des crimes des égoïstes et des fripons ; toujours vous nous avez promis de frapper les sangsues du peuple. L’acte constitutionnel va être présenté à la sanction du souverain ; y avez-vous proscrit l’agiotage ? Non. Avez-vous prononcé la peine de mort contre les accapareurs ? Non. Avez-vous déterminé en quoi consiste la liberté du commerce ? Non. Avez-vous défendu la vente de l’argent monnayé ? Non. Eh bien ! Nous vous déclarons que vous n’avez pas tout fait pour le bonheur du peuple.

La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche par le monopole exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre, sans verser des larmes.

Cependant, ce n’est qu’en arrêtant le brigandage du négoce, qu’il faut bien distinguer du commerce ; ce n’est qu’en mettant les comestibles à la portée des sans-culottes, que vous les attacherez à la Révolution et que vous les rallierez autour des lois constitutionnelles.

Eh quoi ! Parce que des mandataires infidèles, les hommes d’Etat, ont appelé sur notre malheureuse patrie les fléaux de la guerre étrangère, faut-il que le riche nous en déclare une plus terrible encore au-dedans ? Parce que trois cent mille Français, traîtreusement sacrifiés, ont péri par le fer homicide des esclaves des rois, faut-il que ceux qui gardaient leurs foyers soient réduits à dévorer des cailloux ? Faut-il que les veuves de ceux qui sont morts pour la cause de la liberté paient au prix de l’or, jusques au coton dont elles ont besoin pour essuyer leurs larmes ? Faut-il qu’elles paient au prix de l’or, le lait et le miel qui servent de nourriture à leurs enfants ?

Mandataires du peuple, lorsque vous aviez dans votre sein les complices de Dumouriez, les représentants de la Vendée, les royalistes qui ont voulu sauver le tyran ; ces hommes exécrables qui ont organisé la guerre civile, ces sénateurs inquisitoriaux qui décrétaient d’accusation le patriotisme et la vertu, la section des Gravilliers suspendit son jugement... Elle s’aperçut qu’il n’était pas du pouvoir de la Montagne de faire le bien qui était dans son coeur, elle se leva...

Mais aujourd’hui que le sanctuaire des lois n’est plus souillé par la présence des Gorsas, des Brissot, des Pétion, des Barbaroux et des autres chefs des appelants, aujourd’hui que ces traîtres, pour échapper à l’échafaud, sont allés cacher, dans les départements qu’ils ont fanatisés, leur nullité et leur infamie ; aujourd’hui que la Convention nationale est rendue à sa dignité et à sa vigueur, et n’a besoin pour opérer le bien que de le vouloir, nous vous conjurons, au nom du salut de la République, de frapper d’un anathème constitutionnel l’agiotage et les accaparements, et de décréter ce principe général que le commerce ne consiste pas à ruiner, à désespérer, à affamer les citoyens.

Les riches seuls, depuis quatre ans, ont profité des avantages de la Révolution. L’aristocratie marchande, plus terrible que l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale, s’est fait un jeu cruel d’envahir les fortunes individuelles et les trésors de la république ; encore ignorons-nous quel sera le terme de leurs exactions, car le prix des marchandises augmente d’une manière effrayante, du matin au soir. Citoyens représentants, il est temps que le combat à mort que l’égoïste livre à la classe la plus laborieuse de la société finisse. Prononcez contre les agioteurs et les accapareurs : Ou ils obéiront à vos décrets ou ils n’y obéiront pas. Dans la première hypothèse, vous aurez sauvé la patrie ; dans le second cas, vous aurez encore sauvé la patrie, car nous serons à portée de connaître et de frapper les sangsues du peuple.

Eh quoi ! Les propriétés des fripons seraient-elles quelque chose de plus sacré que la vie de l’homme ? La force armée est à la disposition des corps administratifs, comment les subsistances ne seraient-elles pas à leur réquisition ? Le législateur a le droit de déclarer la guerre, c’est-à-dire de faire massacrer les hommes, comment n’aurait-il pas le droit d’empêcher qu’on pressure et qu’on affame ceux qui gardent leurs foyers ?

La liberté du commerce est le droit d’user et de faire user, et non le droit de tyranniser et d’empêcher d’user. Les denrées nécessaires à tous doivent être livrées au prix auquel tous puissent atteindre, prononcez donc, encore une fois... les sans culottes avec leurs piques feront exécuter vos décrets...

Vous n’avez pas hésité à frapper de mort ceux qui oseraient proposer un roi, et vous avez bien fait ; vous venez de mettre hors la loi les contre-révolutionnaires qui ont rougi, à Marseille, les échafauds du sang des patriotes, et vous avez bien fait ; vous auriez encore bien mérité de la patrie, si vous eussiez mis à prix la tête des Capets fugitifs et des députés qui ont déserté leur poste ; si vous eussiez expulsé de nos armées les nobles et ceux qui tenaient leurs places de la cour ; si vous eussiez pris en otage les femmes, les enfants des émigrés et des conspirateurs, si vous eussiez retenu pour les frais de la guerre les pensions des ci-devant privilégiés, si vous eussiez confisqué au profit des volontaires et des veuves les trésors acquis depuis la Révolution par les banquiers et les accapareurs ; si vous eussiez chassé de la Convention les députés qui ont voté l’appel au peuple, si vous eussiez livré aux tribunaux révolutionnaires les administrateurs qui ont provoqué le fédéralisme, si vous eussiez frappé du glaive de la loi les ministres et les membres du conseil exécutif qui ont laissé former un noyau de contre-révolution à la Vendée ; si enfin vous eussiez mis en état d’arrestation ceux qui ont signé les pétitions anti-civiques, etc., etc... Or les accapareurs et les agioteurs ne sont-ils pas autant et plus coupables encore ? Ne sont-ils pas, comme eux, de véritables assassins nationaux ?

Ne craignez donc pas de faire éclater sur ces vampires la foudre de votre justice : ne craignez pas de rendre le peuple trop heureux. Certes, il n’a jamais calculé lorsqu’il a été question de tout faire pour vous. Il vous a prouvé, notamment dans les journées du 31 mai et du 2 juin, qu’il voulait la liberté toute entière. Donnez-lui en échange du pain, et un décret ; empêchez qu’on ne mette le bon peuple à la question ordinaire et extraordinaire par le prix excessif des comestibles.

Jusques à présent, les gros marchands qui sont par principe les fauteurs du crime, et par habitude les complices des rois, ont abusé de la liberté du commerce pour opprimer le peuple ; ils ont faussement interprété cet article de la déclaration des droits de l’homme qui établit qu’il est permis de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi. Eh bien ! décrétez constitutionnellement que l’agiotage, la vente de l’argent-monnaie, et les accaparements sont nuisibles à la société. Le peuple qui connaît ses véritables amis, le peuple qui souffre depuis si longtemps verra que vous vous apitoyez sur son sort et que vous voulez sérieusement guérir ses maux ; quand il aura une loi claire et précise dans l’acte constitutionnel, contre l’agiotage et les accaparements, il verra que la cause du pauvre vous tient plus à cœur que celle du riche, il verra qu’il ne siège point parmi vous des banquiers, des armateurs, et des monopoleurs ; il verra enfin que vous ne voulez pas la contre-révolution.

Vous avez, il est vrai, décrété un emprunt forcé d’un milliard sur le riche ; mais si vous n’arrachez pas l’arbre de l’agiotage, si vous ne mettez un frein national à l’avidité des accapareurs, le capitaliste, le marchand, dès le lendemain, lèveront cette somme sur les sans-culottes, par le monopole et les concussions ; ce n’est donc plus l’égoïste, mais le sans-culotte que vous avez frappé. Avant votre décret, l’épicier et le banquier n’ont cessé de pressurer les citoyens ; quelle vengeance n’exerceront-ils pas aujourd’hui que vous les mettrez à contribution, quel nouveau tribut ne vont-ils pas lever sur le sang et les larmes du malheureux ?

En vain, objecterait-on que l’ouvrier reçoit un salaire en raison de l’augmentation du prix des denrées. À la vérité il en est quelques-uns dont l’industrie est payée plus cher ; mais il en est aussi beaucoup dont la main d’œuvre est moins salariée depuis la Révolution. D’ailleurs tous les citoyens ne sont pas ouvriers ; tous les ouvriers ne sont pas occupés, et parmi ceux qui le sont, il en est qui ont huit à dix enfants incapables de gagner leur vie, et les femmes en général ne gagnent pas au-delà de vingt sous par jour.

Députés de la Montagne, que n’êtes vous montés depuis le troisième jusqu’au neuvième étage des maisons de cette ville révolutionnaire, vous auriez été attendris par les larmes et les gémissements d’un peuple immense sans pain et sans vêtements, réduit à cet état de détresse et de malheur par l’agiotage et les accaparements, parce que les lois ont été cruelles à l’égard du pauvre, parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches.

O rage, ô honte du XVIII ème siècle. ! Qui pourra croire que les représentants du peuple français, qui ont déclaré la guerre aux tyrans du dehors, ont été assez lâches pour ne pas écraser ceux du dedans ? Sous le règne des Sartine et des Flesselles, le gouvernement n’aurait pas toléré qu’on fît payer les denrées de première nécessité trois fois au-dessus de leur valeur ; que dis-je, ils fixaient le prix des armes et de la viande pour le solda. Et la Convention nationale, investie de la force de vingt-cinq millions d’hommes, souffrira que le marchand et le riche égoïste leur portent habituellement le coup de la mort, en taxant arbitrairement les choses les plus utiles à la vie. Louis Capet n’avait pas besoin, pour opérer la contre-révolution, de provoquer la foudre des puissances étrangères. Les ennemis de la patrie n’avaient pas besoin d’incendier d’une pluie de feu les départements de l’Ouest ; l’agiotage et les accaparements suffisent pour renverser l’édifice des lois républicaines.

Mais c’est la guerre, dira-t-on, qui est la cause de la cherté des vivres. Pourquoi donc, représentants du peuple, l’avez-vous provoquée en dernier lieu ? Pourquoi, sous le cruel Louis XIV, le Français eut-il à repousser la ligue des tyrans, et l’agiotage n’étendit pas sur cet empire l’étendard de la révolte, de la famine et de la dévastation ? Et, sous ce prétexte il serait donc permis au marchand de vendre la chandelle six francs la livre, le savon six francs la livre, l’huile six francs la livre. Sous le prétexte de la guerre, le sans-culotte paierait donc les souliers 50 liv. la paire, une chemise 50 liv., un mauvais chapeau 50 liv.... C’est pour le coup qu’on pourrait dire que les prédictions de Cazalès et de Maury sont accomplies : dans ce cas, vous auriez conspiré, avec eux, contre la liberté de la patrie ; que dis-je, vous les auriez surpassés en trahison. C’est pour le coup que les Prussiens et les Espagnols pourraient dire : nous sommes les maîtres d’enchaîner les Français car ils n’ont pas le courage d’enchaîner les monstres qui les dévorent ; c’est pour le coup qu’on pourrait dire : qu’en répandant à propos des millions, qu’en associant les banquiers et les gros marchands au parti des contre-révolutionnaires, la République se détruirait par elle-même.

Mais c’est le papier, dit-on encore, qui est la cause de la cherté des vivres : Ah ! le sans-culotte ne s’aperçoit guère qu’il y en a beaucoup en circulation... au reste sa prodigieuse émission est une preuve du cours qu’il a, et du prix qu’on y attache. Si l’assignat a une hypothèque réelle, s’il repose sur la loyauté de la nation française, la quantité des effets nationaux ne leur ôte donc rien de leur valeur. Parce qu’il y a beaucoup de monnaie en circulation, est-ce une raison pour oublier qu’on est homme, pour commettre dans les tavernes du commerce des brigandages, pour se rendre maître de la fortune et de la vie des citoyens, pour employer tous les moyens d’oppression que suggèrent l’avarice et l’esprit de parti, pour exciter le peuple à la révolte et le forcer, par la disette et le supplice des besoins, à dévorer ses propres entrailles ?

Mais les assignats perdent beaucoup dans le commerce... Pourquoi donc les banquiers, les négociants et les contre-révolutionnaires du dedans et du dehors en remplissent-ils leurs coffres ? Pourquoi ont-ils la cruauté de diminuer le salaire à certains ouvriers, et n’accordent-ils pas une indemnité aux autres ! Pourquoi n’offrent-ils pas l’escompte, lorsqu’ils acquièrent les domaines nationaux ? L’Angleterre, dont la dette excède peut-être vingt fois la valeur de son territoire et qui n’est florissante que par le papier de sa banque, paie-t-elle à proportion les denrées aussi cher que nous les payons ? Ah ! le ministre Pitt est trop adroit pour laisser accabler ainsi les sujets de George ! Et vous, citoyens représentants, vous, les députés de la Montagne, vous qui vous faites gloire d’être du nombre des sans-culottes, du haut de votre immortel rocher, vous n’anéantirez l’hydre sans cesse renaissante de l’agiotage !

Mais, ajoute-t-on, on tire de l’étranger bien des articles, et il ne veut en paiement que de l’argent. Cela est faux ; le commerce s’est presque toujours fait par échange de marchandise contre marchandise, et du papier contre papier ; souvent même on a préféré des effets au numéraire. Les espèces métalliques qui circulent en Europe ne suffiraient pas, pour acquitter la cent-millième partie des billets qui sont en émission. Ainsi, il est clair comme le jour, que les agioteurs et les banquiers ne discréditent les assignats que pour vendre plus cher leur argent, pour trouver occasion de faire impunément le monopole et de trafiquer dan le comptoir du sang des patriotes, qu’ils brûlent de verser.

Mais l’on ne sait pas comment les choses tourneront... Il est très certain que les amis de l’égalité ne souffriront pas toujours qu’on les fasse égorger au dehors, et qu’au-dedans on les assiège par la famine. Il est très certain que toujours, ils ne seront pas les dupes de cette peste publique, des charlatans qui nous rongent comme des vers, des accapareurs dont les magasins ne sont plus qu’un repaire de filous.

Mais, lorsque la peine de mort est prononcée contre quiconque tenterait de rétablir la royauté, lorsque des légions innombrables de citoyens soldats forment avec leurs armes une voûte d’acier, lorsqu’elles vomissent de toutes parts le salpêtre et le feu sur une horde de barbares, le banquier et l’accapareur peuvent-ils dire qu’ils ne savent pas comment les choses tourneront ? Au reste, s’ils l’ignorent, nous venons le leur apprendre. Le peuple veut la liberté et l’égalité, la république ou la mort ; et voilà précisément ce qui vous désespère, agioteurs, vils suppôts de la tyrannie !

N’ayant pu réussir à corrompre le cœur du peuple, à le subjuguer par la terreur et la calomnie, vous employez les dernières ressources des esclaves pour étouffer l’amour de la liberté. Vous vous emparez des manufactures, des ports de mer, de toutes les branches du commerce, de toutes les productions de la terre pour faire mourir de faim, de soif et de nudité, les amis de la patrie, et les déterminer à se jeter entre les bras du despotisme.

Mais les fripons ne réduiront pas à l’esclavage un peuple qui ne vit que de fer et de liberté, de privations et de sacrifices. Il est réservé aux partisans [de] la monarchie de préférer des chaînes antiques et des trésors à la République et à l’immortalité.

Ainsi, mandataires du peuple, l’insouciance que vous montreriez plus longtemps serait un acte de lâcheté, un crime de lèse-nation. Il ne faut pas craindre d’encourir la haine des riches, c’est-à-dire des méchants. Il ne faut pas craindre de sacrifier les principes politiques au salut du peuple, qui est la suprême loi.

Convenez donc avec nous que, par pusillanimité, vous autorisez le discrédit du papier, vous préparez la banqueroute, en tolérant des abus, des forfaits dont le despotisme eût rougi, dans les derniers jours de sa barbare puissance.

Nous savons sans doute qu’il est des maux inséparables d’une grande révolution, qu’il n’est pas de sacrifices qu’on ne doive faire, pour le triomphe de la liberté, et qu’on ne saurait payer trop cher le plaisir d’être républicain ; mais aussi nous savons que le peuple a été trahi par deux législatures ; que les vices de la Constitution de 1791 ont été la source des calamités publiques, et qu’il est temps que le sans-culotte qui a brisé le sceptre des rois, voie le terme des insurrections et de toute espèce de tyrannie.

Si vous n’y portez un prompt remède, comment ceux qui n’ont aucun état, ceux qui n’ont que 2, 3, 4, 5 ou 6 cents livres de rentes, encore mal payées, soit en pension viagère, soit sur des caisses particulières, subsisteront-ils, si vous n’arrêtez le cours de l’agiotage et des accaparements, et cela par un décret constitutionnel qui n’est pas sujet aux variations des législatures. Il est possible que nous n’ayons la paix que dans vingt ans ; les frais de la guerre occasionneront une émission nouvelle de papier ; voudriez-vous donc perpétuer nos maux pendant tout ce temps-là, déjà trop long, par l’autorisation tacite de l’agiotage et des accaparements ? Ce serait là le moyen d’expulser tous les étrangers patriotes, et d’empêcher les peuples esclaves de venir respirer en France l’air pur de la liberté.

N’est-ce donc pas assez que vos prédécesseurs, pour la plupart d’infâme mémoire, nous aient légué la monarchie, l’agiotage et la guerre, sans que vous nous léguiez la nudité, la famine et le désespoir ? Faut-il que les royalistes et les modérés, sous prétexte de la liberté du commerce, dévorent encore les manufactures, les propriétés, qu’ils s’emparent du blé des champs, des forêts et des vignes, de la peau même des animaux, et qu’ils boivent encore dans des coupes dorées le sans et les larmes de citoyens, sous la protection de la loi ?

Députés de la Montagne, non, non, vous ne laisserez pas votre ouvrage imparfait ; vous fonderez les bases de la prospérité publique ; vous consacrerez les principes généraux et répressifs de l’agiotage et des accaparements ; vous ne donnerez pas à vos successeurs l’exemple terrible de la barbarie des hommes puissants sur le faible, du riche sur le pauvre ; vous ne terminerez pas enfin votre carrière avec ignominie.

Dans cette pleine confiance, recevez ici le nouveau serment que nous faisons de défendre jusques au tombeau la liberté, l’égalité, l’unité et l’indivisibilité de la République, et les sans-culottes opprimés des départements.

Qu’ils viennent, qu’ils viennent bien vite à Paris, cimenter les liens de la fraternité ! C’est alors que nous leur montrerons ces piques immortelles qui ont renversé la Bastille ; ces piques qui fait tomber en putréfaction la commission des douze et la faction des hommes d’Etat ; ces piques qui feront justice des intrigants et des traîtres, de quelque masque qu’ils se couvrent, et quelque pays qu’ils habitent. C’est alors que nous les conduirons au pied de ce jeune chêne où les Marseillais et les sans-culottes des départements abjurèrent leur erreur, et firent serment de renverser le trône. C’est alors enfin que nous les accompagnerons dans le sanctuaire des lois, où d’une main républicaine nous leur montrerons le côté qui voulut sauver le tyran et la Montagne qui prononça sa mort.

Vive la vérité, vive la Convention nationale, vive la république française !

Après l’exposition de ces pièces justificatives, je demanderai à la Convention nationale que je respecte ; à mes plus cruels ennemis, que je crains pas ; à tous les sans-culottes, que je défendrai jusqu’au tombeau ; je leur demanderai si j’ai mérité les outrages et les calomnies dont les journalistes m’ont abreuvé. Il est cependant un reproche qu’ils ont droit de me faire impunément : c’est d’être prêtre... Oui, malheureusement, mon père ne me donna pas d’autre état.

Mais si tous les prêtres, comme moi, eussent prêté le serment civique sans y être contraint ; si comme moi, ils eussent employé leur temps à foudroyer l’orgueil et le fanatisme ; si comme moi, ils eussent dévoilé les crimes de la cour, au moment où la contre-révolution était sur le point d’éclater ; si tous, comme moi, ils eussent conduit Louis Capet à l’échafaud ; si tous, comme moi, ils eussent contracté l’engagement d’épouser bientôt une femme vertueuse ; si tous, comme moi, ils se fussent déchaînés contre les traîtres des trois législatures ; si tous, comme moi, ils eussent signé la pétition du Champ-de-Mars, et celle contre la faction des hommes d’État ; si tous, comme moi, ils eussent déclaré qu’ils ne tenaient pas au pape, qui, dans ce moment est un contre-révolutionnaire et un assassin ; si tous, comme moi, ils votaient pour la république universelle, si tous enfin, comme moi, ils faisaient consister la religion dans le bonheur de ses semblables ; s’ils ne connaissaient d’autre culte que celui de la patrie, d’autre flambeau que celui de la liberté, on pourrait tomber sur les prêtres, avec moins d’acharnement. Au reste, Cazalès et Barnave n’étaient prêtres, et ils ont trahi la cause du peuple ; Brissot et Barbaroux n’étaient pas prêtres, ils ont voulu sauver le tyran ; Manuel n’était pas prêtre, il reçut les assignats de la cour ; et tant d’autres qui font les patriotes, ne sot pas prêtres, et ils affament la République... mais ils ne la mettront pas dans les fers.

Les journalistes m’ont trop accablé d’injures pour ne pas résister, patriotiquement, à l’oppression.

J’opposerai donc à tous ceux qui m’appellent fanatique, sanguinaire, contre-révolutionnaire, une arme formidable ; c’est l’adresse que j’ai présentée le 31 mai dernier [en fait, le 27 mai], à la Convention nationale, sous la bannière de la section des Gravilliers, et qui a [mérité] l’honneur d’être inséré au bulletin.

Jacques Roux et la Révolution sociale

Ceux que leurs adversaires affublèrent du nom d’enragés : Jacques Roux, Théophile Leclerc, Jean Varlet furent en 1793 les interprètes directs et authentiques du mouvement des masses ; ils furent, comme n’hésita pas à l’écrire Karl Marx, les représentants principaux du mouvement révolutionnaire.

A ces trois noms doit être rattaché celui de Gracchus Babeuf. Il ne s’associe certes que partiellement au mouvement des enragés. Il devait être davantage leur continuateur qu’il ne fut leur compagnon de lutte. Mais il appartient à la même espèce d’hommes que Jacques Roux, Leclerc, Varlet, et tous quatre présentent un certain nombre de traits communs.

Ils avaient fait de bonnes études. Jacques Roux appartenait à une famille aisée. Il était fils d’un officier devenu magistrat. S’étant fait prêtre, il avait enseigné la philosophie et la physique expérimentale dans divers séminaires, pour exercer ensuite la fonction d’aumônier dans un château. Leclerc, fils d’un ingénieur des Ponts et Chaussées, avait reçu une certaine instruction. Varlet, commis des postes, appartenait également à une bonne famille. Il avait été un brillant élève du collège d’Harcourt. Babeuf, fils d’un officier et lui-même arpenteur-géomètre et spécialiste du droit féodal, était fort instruit.

Mais tous quatre avaient souffert de la vie et des hommes. Tous quatre étaient des révoltés, des déclassés. Jacques Roux avait été opprimé, calomnié, persécuté. Son amour pour la justice lui avait suscité des ennemis irréconciliables. Leclerc, embarqué tout jeune pour la Guadeloupe, y avait été la victime de l’aristocratie. Varlet, qui depuis le début de la révolution haranguait la foule, en plein air, du haut d’une tribune roulante, avait subi de la part de ses adversaires toutes sortes d’avanies. Babeuf, chargé de famille, avait connu la plus noire misère et s’était attiré une meute d’ennemis.

Tous quatre avaient partagé la grande misère des masses. Jacques Roux, qui vivait parmi les artisans pauvres du quartier des Gravilliers, pouvait se permettre de lancer cette apostrophe aux bourgeois jacobins : Députés de la Montagne, que n’êtes-vous montés depuis le troisième jusqu’au neuvième étage des maisons de cette ville révolutionnaire ; vous auriez été attendris par les larmes et les gémissements d’un peuple immense, sans pain et sans vêtements, réduit à cet état de détresse et de malheur par l’agiotage et les accaparements. Leclerc invitait les législateurs à se lever à trois heures du matin et à aller prendre rang parmi les citoyens qui assiégeaient la porte des boulangers : Trois heures de temps passé à la porte d’un boulanger formeraient plus un législateur que quatre années de résidence sur les bancs de la Convention. Varlet rédigea sur lui-même cette courte notice biographique : Depuis quatre ans, toujours sur la place publique dans les groupes du peuple, dans la sans-culotterie, dans la guenille que j’aime, j’appris que naïvement et sans contrainte, les pauvres diables des greniers raisonnaient plus sûr, plus hardiment que les beaux messieurs, les grands parleurs, les savants tâtonneux ; s’ils veulent apprendre de la bonne science, qu’ils aillent comme moi courir le peuple.

Et Babeuf apostrophait ainsi les parlementaires : Délégués ! vous ne comptez pas parmi vous de vrais sans-culottes. Presque aucun de vous, on le voit, n’a jamais ressenti les angoisses déchirantes des besoins.

Au nom de ce peuple qu’ils côtoyaient chaque jour, les enragés élevèrent une protestation qui va beaucoup plus loin que les doléances des modestes délégations populaires. Ils osèrent attaquer la bourgeoisie de front. Ils entrevirent que la guerre -la guerre bourgeoise, la guerre pour la suprématie commerciale-aggravait la condition des bras-nus ; ils aperçurent l’escroquerie de l’inflation, source de profits pour le riche, ruineuse pour le pauvre. Le 25 juin 1793, Jacques Roux vint lire une pétition à la barre de la Convention :

Eh quoi ! parce que les mandataires infidèles [les girondins] ont appelé sur notre malheureuse patrie le fléau de la guerre étrangère, faut-il que le riche nous en déclare une plus terrible encore au-dedans ? Il est possible que nous n’ayons la paix que dans vingt ans, les dépenses énormes de la guerre (Violents murmures de la partie gauche de l’Assemblée.) Vous avez à craindre qu’on ne vous accuse d’avoir discrédité le papier-monnaie et d’avoir ainsi préparé la banqueroute Et la pétition prenait l’allure d’un réquisitoire : La liberté n’est qu’un vain fantôme, quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un fantôme, quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort de son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme, quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes.

Quelques semaines plus tard, dans son journal, il se faisait encore plus précis, mettait le doigt sur la source des profits colossaux opérés aux dépens du peuple, stigmatisant les fournisseurs de guerre et les acheteurs de biens nationaux :

Vous ne faisiez qu’un très petit commerce, encore au milieu de la rue, et vous tenez des magasins immenses ; vous n’étiez qu’un petit commis dans les bureaux, vous armez des vaisseaux en guerre ; votre famille tendait la main au premier venu, maintenant elle affiche un luxe insolent, elle est chargée de l’approvisionnement des troupes sur terre et sur mer. Certes, je ne suis plus étonné qu’il y ait tant de personnes qui aiment la révolution ; elle leur a fourni un prétexte spécieux pour entasser patriotiquement, et dans peu de temps, trésors sur trésors. Ou encore : Les biens du clergé et les domaines nationaux ont presque tous passé dans les mains de personnes enrichies du sang de la veuve et de l’orphelin.

Mais la pensée des enragés n’allait pas plus loin que ce réquisitoire -ils ne furent pas, ils ne pouvaient pas être- conséquents dans leur opposition au système économique et financier de la bourgeoisie révolutionnaire. S’ils entrevirent et dénoncèrent l’exploitation capitaliste, ils n’en comprirent pas tout le mécanisme interne et ne cherchèrent pas à la supprimer. Ils voulurent seulement en limiter les effets. Ils crurent, comme le peuple lui-même, que si les marchands avaient voulu vendre meilleur marché, on n’aurait pas vu l’or et l’argent monter si haut. Ils attribuèrent la baisse du papier-monnaie et la vie chère aux manoeuvres des agioteurs et des accapareurs. Ils ne se saisirent pas que l’agiotage et l’accaparement étaient la conséquence de l’inflation. Ils voulurent remédier au désordre par des mesures de contrainte, susceptibles de contenir provisoirement le mal, non de le guérir. Ces remèdes, les orateurs populaires les avaient déjà entrevus. Ils ne firent que les mieux formuler.

Qu’advint-il des enragés qui, un moment, avaient été à la tête de l’avant-garde populaire ? La Montagne, en mettant à execution une partie de leur programme, leur avait enlevé l’audience des sans-culottes. (...) Depuis quelques temps déjà, les chefs jacobins s’appliquaient à saper l’audience des enragés. Mais ils ne se risquèrent à leur fermer tout à fait la bouche qu’en septembre. (...)

Les enragés avaient mené campagne contre la vie chère et l’agiotage, avec un réel succès. ils avaient réussi à entraîner dans leur sillage non seulement un certain nombre de sections mais aussi le club des Cordeliers, et bien qu’avec réticences, la Commune, et jusqu’aux jacobins eux-mêmes.

Ce fut à la tête d’une importante députation que Jacques Roux se présenta, le 25 juin, à la barre de la Convention, et il donna lecture de sa pétition avec l’autorité d’un homme qui se sent soutenu et qui a conscience de traduire les sentiments du grand nombre. (...) Les enragés n’avaient pas seulement attiré les plus révolutionnaires des sans-culottes parisiens. Ils avaient entraîné dans leur sillage les plus révolutionnaires des femmes. Responsables de l’approvisionnement du foyer, elles ressentaient plus directement encore que les hommes les souffrances consécutives à la vie chère, à la disette. Les émeutes contre la vie chère, en février, en juin 1793, avaient été surtout l’œuvre des femmes. La Société des Républicaines révolutionnaires fut en quelque sorte la section féminine du mouvement des enragés. Elle avait été créée le 10 mai, dans le feu de la lutte contre la Gironde, par un jeune artiste, Claire Lacombe. Dès le début, la société avait conjugué étroitement l’action économique avec l’action politique, celle contre la hausse des prix et celle pour la liberté.

(...) Avant d’éliminer Jacques Roux par des moyens policiers, il fallait lui enlever ses points d’appui dans les masses, le perdre aux yeux des sans-culottes, le déloger des diverses assemblées qu’il avait réussi, plus ou moins, à entraîner dans sa campagne. A commencer par la Société des jacobins. Le 26, Robespierre y déclara la guerre au chef des enragés. Pour le perdre, il n’hésita pas à présenter Jacques Roux comme un "agent de l’étranger".

(...) Le 1er juillet, le Conseil général de la Commune, "considérant que le citoyen Jacques Roux a été chassé des sociétés populaires pour ses opinions anticiviques", désapprouva à l’unanimité sa conduite. (...) Dans "L’ami du peuple", Marat le traita d’"intriguant cupide (...)"

Cependant la section des Gravilliers n’abandonnait pas Jacques Roux. Elle fit, les 22 et 25 août, deux démarches en sa faveur à la commune. (...) La société des jacobins décida finalement de le déférer au comité révolutionnaire de sa section. Entré libre dans la salle des jacobins, Jacques Roux en sortit prisonnier. (...) Le 28 novembre, le comité révolutionnaire de la section des Gravilliers d’incarcérer neuf partisans de Jacques Roux. (...) Le 10 février, le chef des enragés, décidé d’échapper au tribunal révolutionnaire ; se suicida. (...)

Ce fut au début de septembre 1793 que les hébertistes après avoir contribué à la liquidation des enragés, prirent leur succession à la tête des masses. Ils se servirent de l’effervescence des faubourgs pour arracher un certain nombre d’avantages politiques auxquels ils étaient directement intéressés. Mais, en même temps, ils s’appliquèrent à canaliser, à dériver le mouvement populaire, à détourner des revendications d’ordre purement économique qui avaient prévalu en juillet-août et qui risquaient de conduire à un conflit social.

Le 4 septembre, une foule composée presque exclusivement d’ouvriers avait envahi l’Hotel de ville et son porte-parole, Tiger, avait réclamé du pain. Lorsque Chaumette revint de la Convention, ne rapportant qu’une promesse, la colère des bras-nus éclata.

La pression populaire persistait, malgré tous les calmants que lui administraient les plébéiens hébertistes et la bourgeoisie révolutionnaire dut finalement tenir l’engagement qu’elle avait dû prendre, celui d’entrer dans la voie de la taxation. Et ce fut, le 29 septembre, le vote de la loi du maximum suivi de toute une série de mesures de contrainte visant à faire réapparaître les marchandises sur les marchés et dans les boutiques.

Ces moyens radicaux rendirent pour un temps la question des subsistances moins aiguë. C’est alors que les hébertistes estimèrent le moment favorable pour dériver le mouvement des masses vers un terrain moins brûlant que le terrain économique, vers des formes de lutte n’opposant pas directement les bras-nus aux bourgeois. Ils ouvrirent la campagne dite de déchristianisation.

Manifeste des Enragés

Jacques Roux à Marat

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