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La révolution prolétarienne hongroise de 1918-1919

jeudi 18 janvier 2018, par Robert Paris

La révolution prolétarienne hongroise de 1918-1919

La révolution hongroise de 1918-1919, rapportée par un adversaire de Béla Kun, du prolétariat, de la révolution sociale et du communisme :

« Sous le fond nom d’Emile Sebestén, Béla Kun arriva à Budapest le 17 novembre 1918. Il trouva un pays en décomposition et un gouvernement faible dont la bonne volonté ne pouvait contrebalancer l’inexpérience. C’était le début du régime Karolyi, le début d’une tentative pour liquider le féodalisme et instaurer une Hongrie démocratique. C’était la fin de la guerre, une guerre où la Hongrie était entrée en chantant et dont elle sortait ruinée. C’était la fin de la Monarchie, la fin d’un mariage forcé et malheureux avec l’Autriche et avec la Maison de Habsbourg. C’était surtout la fin d’un régime oligarchique personnifié par le comte Etienne Tisza, homme d’Etat de grande envergure, hautain et solitaire, rigide et intransigeant, mais droit et profondément croyant. Sa conception politique reflétait sa foi : l’histoire est un grand courant qui dans ses limites prédéterminées unit le passé avec le présent ; son mouvement continuel conserve et renouvelle l’idée nationale ; l’homme politique doit veiller à ce que ce déroulement ne soit ni troublé ni dévié par les têtes chaudes. Il se méfiait de ceux qui, manants ou aristocrates, parlaient de nouveaux courants surgis de la vie spirituelle et sociale de l’Europe. Il se méfiait de tous ceux qui étaient désireux d’élargir les cadres millénaires de la constitution hongroise.

 Nous sommes une poignée de Hongrois –dit-il dans un de ses discours – notre nation ne peut tenir sa partie qu’à la condition d’inspirer du respect, de la confiance et de l’estime. Pour cela, elle a besoin d’une certaines autorité spirituelle et morale. Celle-ci ne s’acquiert que si tous ceux auxquels la constitution hongroise a confié le destin de la nation se recrutent dans l’élite de la société, parmi la fleur de la nation.

Cette élite, selon Tisza, était encore à former. Il ne considérait naissance, fortune, ni diplôme comme critère de cette vocation. Il connaissait mieux que n’importe qui les défauts des magnats, il aimait à sa manière les paysans.

 Je vois – affirmait-il – une grande réserve morale dans cette force primitive et indestructible de la nation hongroise qui somnole dans l’âme, dans la raison et le cœur du peuple de la plaine, de ce peuple sain de corps et d’esprit, capable de comprendre le beau et le bien, et créé pour accomplir toute action noble.

Mais il craignait que « cette force primitive » ne se réveille brutalement sous l’action de ceux qu’il considérait comme des faux prophètes et qu’elle ne soit exploitée au détriment de l’avenir de la nation pour l’intérêt éphémère d’une classe, d’un parti ou d’ambitions individuelles…

Le rêve du paysan hongrois était d’avoir un lopin de terre à lui. Mais une réforme agraire était inimaginable dans le pays de Tisza. Celui qui osait en parler se voyait rapidement entre les mains des gendarmes. Le paysan hongrois savait se taire. Il attendait. C’était une attente passive, résignée, fataliste. « Si Dieu le veut, même le manche de la houe se changera en fusil », dit un de ses proverbes, et il attendait un aristocrate qui le libérerait. Car, dans ce pays, même pour faire la révolution, il fallait un aristocrate…

Ainsi, en 1514, la révolte des paysans hongrois avait eu à sa tête Georges Dosza, un noble, secondé par un moine. Les seigneurs s’étaient vengés cruellement sur celui qui avait « trahi son sang ». Il l’avaient mis sur un trône en fer chauffé à blanc, ceint d’une couronne de fer brûlant et avaient obligé les paysans à manger « leur roi » rôti. La peur et l’aversion mutuelles des seigneurs et des paysans hongrois datent de ce temps, et ce repas, après quatre cents ans, nourrissait encore la haine du peuple.

De même en 1703, l’insurrection du peuple magyar avait trouvé un chef dans la personne du seigneur le plus riche de son pays, le prince François Rakoczi, dont le drapeau portait l’image de la Vierge et l’inscription : « Pro libertate ». Son programme rédigé par lui-même avait promis : liberté pour les opprimés, bien-être pour les déshérités. Après sa défaite et son exil, une grande partie de son immense propriété (23.000 hectares) fut donnée comme récompense à son général félon, Alexandre Karolyi.

Et la révolution de 1848 avec ses revendications anti-féodales avait aussi des dirigeants aristocrates. Le président du gouvernement révolutionnaire avait été un comte Batthyany, fusillé sur l’ordre du jeune François-Joseph, empereur d’Autriche.

Depuis 1914, depuis que le paysan hongrois avait non seulement le manche de la houe mais aussi le fusil « Manlicher » entre les mains, un règlement de comptes était inévitable.

Mais comment s’y prendre ?

Où trouver un chef ?

Parmi les magnats hongrois, la famille Karolyi avec un fidéi-commis de quarante mille arpents de terre (les 23.000 hectares d’héritage de la félonie) et plusieurs dizaines de milliers d’autres arpents libres, jouait un rôle prépondérant. Elle était à la tête d’un groupe d’aristocrates catholiques, tous possesseurs de grandes propriétés, tous ennemis du comte Etienne Tisza, ce colosse calviniste, l’homme de confiance de François-Joseph, empereur très catholique de l’Autriche et roi apostolique de la Hongrie. Cette lutte de famille se déroulait dans les salons du « Cercle National », club des magnats où, entre deux parties de tarots, toutes les questions politiques étaient débattues.

Il existait aussi une Chambre des Députés. En 1918 encore, elle était composée de 413 membres (dont 280 gros propriétaires et 82 avocats) élus en 1910 selon la loi électorale datant de 1874, loi qui elle-même n’était que la réplique d’une loi de 1848. Une infime partie de la population, 6,7% seulement, avait le droit de voter ; le comte Tisza avait refusé d’en faire bénéficier de plus larges couches de la société :

 Le peuple n’est pas mûr. (…)

Sur ce point, presque tous les magnats, même les adversaires de Tisza étaient d’accord… Leur avis commun était que des urnes des élections générales sortirait une révolution. Celle-ci ne sortit pas des urnes : elle arrivait…

Il y avait dans la capitale hongroise un autre monde que le monde brillant. Il était invisible ; en parler eût été malséant : c’était le monde ouvrier qui travaillait dans les usines des faubourgs et de la banlieue, et ne venait se promener en ville qu’en de rares occasions et pour laisser sur le pavé des traces rouges…

La guerre perdue rompit toutes les barrières soigneusement établies pour protéger de ces « intouchables » la vie seigneuriale du beau monde de Budapest. Elle lâcha sur la capitale le flot des soldats revenus des fronts disloqués. Ces soldats haïssaient « l’arrière » qui faisait la bombe pendant qu’ils crevaient au front ; ils ne pensaient qu’à se venger et à prendre du bon temps.

Le blocus, les difficultés de communication et le désordre général privèrent les grandes usines groupées dans la banlieue de la capitale des matières premières les plus indispensables. Le chômage devint catastrophique…. Dans la rue comme au café, tout le monde discutait en critiquant le gouvernement. Tout le monde vivait dans l’attente d’un changement révolutionnaire. Le comte Karolyi formait le « Conseil National ». La jeunesse manifestait contre « les généraux allemands » et chantait dans les rues :

Ça ira, ça ira

Les aristocrates à la lanterne…

Le texte était changé pour la circonstance :

Ça ira, ça ira

A la lanterne le comte Tisza

On acclamait le bolchevisme russe sans trop savoir ce qu’il était – sinon qu’il était une révolution…

Le jeune empereur-roi Charles, plein de bonne volonté… nomma Karolyi président du Conseil…

Le 25 octobre, la foule, après avoir acclamé le Conseil National, s’apprêta à marcher sur le Palais Royal afin d’obtenir par force la nomination du comte Karolyi à la tête d’un gouvernement. Chargée à la baïonnette par la garde royale, elle fut refoulée.

Le 28 octobre, des dizaines de milliers de bonnes gens de Budapest se rassemblèrent pour attendre le comte à son retour de Vienne. Le roi mal conseillé manqua sa dernière chance : un pays tout entier espérait qu’il chargerait enfin l’idole du peuple de former son gouvernement ; Karolyi n’ayant pas été nommé président du conseil, revint comme chef d’une révolution. La foule le reçut en chantant La Marseillaise, tête nue.

Le 31 octobre, les soldats refusèrent d’aller au front. A l’annonce de ces événements, le général Lukasich , téléphona au Grand Quartier à Baden, près de Vienne, demanda que l’on réveille le roi, lui expliqua la situation et son projet de venir à bout de l’émeute.

 Non ! Non, je ne veux pas qu’on tire sur le peuple.

Les soldats en révolte mirent des esters blancs dans le canon de leurs fusils. Les vitrines furent décorées des couleurs nationales, des inconnus s’embrassèrent dans les rues, des fenêtres, les femmes jetèrent des fleurs sur les passants…

L’éditorialiste du journal conservateur « Az Ujsag » (Le Journal), Thomas Kobor, écrit dans ses souvenirs : « On n’eut pas besoin de renvoyer le parlement, il n’existait plus. La 31 octobre 1918 n’a pas détruit l’ancien monde, il a seulement constaté sa destruction… »

Tard dans la soirée, la nouvelle se répandit dans la ville : « Le comte Tisza a été assassiné. » (…)

Ce sont les soldats revenant du front qui assassinèrent Tisza. Ils étaient maîtres de la rue à Budapest. Ils étaient partout, ils manifestaient en criant leurs revendications : des places dans le gouvernement et dans l’administration, et, par-dessus tout, une allocation en argent. Deux jours avant la révolution, à l’instar des Russes, ils avaient inauguré le « Conseil des Soldats » qui devint un Etat dans l’Etat et fit passer de mauvais moments au gouvernement révolutionnaire.

Parallèlement au « Conseil des Soldats », un « Conseil des Ouvriers », émanation des syndicats fut organisé, de même un « Conseil des Paysans » et un « Conseil des Etudiants »…

Tout le monde avait des idées nouvelles, rien ne semblait impossible. Dans un cercle littéraire, cercle de jeunes écrivains, on tomba d’accord que la seule condition digne d’un homme libre était la révolution permanente et que la révolution hongroise changerait la face du monde : aucune guerre ne serait plus possible, les hommes vivraient désormais dans une fraternité complète, et après avoir révolutionné la Terre, on transformerait l’Univers puisque la révolution ne connaît ni pause ni frontières.

Dans une réunion d’ouvriers, un débat s’éleva sur l’existence de Dieu. Le président la soumit à un vote secret, et annonça le résultat : « L’inexistence de Dieu est décidée par une majorité de cinq voix : trente-neuf votes pour Dieu, quarante-quatre contre. »

Mais le signe le plus marquant des temps nouveaux fut une manifestation de cuisinières, de femmes de ménage et de bonnes à tout faire, appelées généralement « servantes » qui, réunies pour la première fois dans un grand meeting, exigèrent qu’on remplaçât leur appellation dégradante par « employées ménagères ».

Le 31 octobre, le comte Karolyi forma son gouvernement avec le consentement du roi : il lui prêta serment par téléphone : on était au temps du progrès. Peu après, sous la pression de l’opinion publique, il lui demanda, aussi par téléphone, de délier son gouvernement de ce serment. On criait partout : « Vive la République ! » (…)

Le 16 novembre, la République populaire hongroise fut proclamée. Karolyi en sera le président.

L’archiduc Joseph, l’homo regius, qui deux semaine avant encore était le représentant de la personne royale en Hongrie, vint le premier jurer fidélité devant le Conseil National. Il renonça à tous ses titres pour devenir le citoyen Habsbourg.

Il n’y avait plus d’armée digne de ce nom ; néanmoins jamais on n’avait vu tant de soldats dans les rues de Budapest. Tout le monde se promenait en uniforme, même ceux qui n’avaient jamais vu le front, ni même l’intérieur d’une caserne. Tout le monde avait une arme, au moins un fusil ou un revolver.

Mais lorsque la délégation gouvernementale, conduite par le comte Karolyi, partant pour Belgrade pour connaître les conditions de l’armistice, eut besoin d’une escorte de vingt-quatre soldats aptes à ce service, il fallut un jour entier pour les trouver, bien qu’un des chefs du « Conseil des Soldats » fût parmi les membres de la délégation.

Sa présence, preuve de l’existence et de la puissance de cette formation révolutionnaire, fit un effet fâcheux sur le chef de l’armée d’Orient (général français représentant les forces alliées France, Angleterre, USA…) chargé de communiquer à la délégation hongroise la ligne de démarcation provisoire. Ce chef était le général Franchet d’Esperey.

Lorsque le comte Karolyi lui présenta le délégué du « Conseil des Soldats », le général, dont les idées politiques étaient inconnues en Hongrie, eut un sursaut :

 Je ne vous croyais pas descendus aussi bas.

Cette entrevue historique du 8 novembre, le premier contact entre la République Hongroise représentée par un comte républicain et la République représentée par un général royaliste se déroula dans une atmosphère glaciale…

Le gouvernement de la jeune République hongroise avait préparé un mémorandum dans lequel il exposait ses sentiments fraternels envers les pays occidentaux et insistait sur le fait que la Hongrie n’était pas responsable de la politique de la monarchie autrichienne : elle en était la victime. Ce mémorandum destiné au représentant de la France, le pays « de la liberté, de l’égalité et de la fraternité », eut une résonance inattendue dans ce salon obscur. (…)

Le général éclata :

 Vous n’êtes pas du tout des neutres. Vous êtes des ennemis. (…)

Le comte Karolyi expliqua que le manque de charbon, conséquence du blocus, privait la population de travail et de pain. Les moulins ne tournaient plus.

 N’avez-vous pas de moulins à vent ? demanda Franchet d’Esperey… Depuis 1867, la Hongrie s’est laissée duper par les Allemands. Elle est devenue la complice de leur rapacité. Cette Hongrie-là, elle subira le sort de l’Allemagne. Vous avez marché avec elle, vous devez être châtiés comme elle. Votre pays expiera et paiera. Et malheureusement ce sont les humbles qui auront le plus à souffrir des misères de l’invasion, car il restera aux riches la ressource de s’enfuir…

Le comte Karolyi insista sur la question du charbon :

 Sans charbon nous aurons le bolchevisme.

Franchey d’Esperey, très sûr de lui :

 Dites chez vous que je vais m’en aller maintenant en Russie. Je vais balayer cela. Il n’y aura plus de bolchevisme.

Ce furent ses derniers mots.

La délégation le quitta, anéantie…

Les prisonniers de guerre revenus de Russie comptaient parmi eux un grand nombre d’anciens membres de l’armée rouge… Les tracts de Béla Kun proclamaient que « Grève générale, soulèvement armé, dictature du prolétariat, telles sont les étapes vers la libération de la classe ouvrière »…

Un beau dimanche, la « garde rouge » de Béla Kun manifesta pour la première fois dans les principales artères de la capitale :

 Vive la révolution prolétarienne !

Le jeudi suivant, le 12 décembre, la population de Budapest était témoin d’une démonstration massive de la garnison. Officiers en tête, six mille soldats accompagnés d’artillerie, défilèrent militairement. A la place du drapeau, deux grandes pancartes : « Vive Michel Karolyi ! » et « A bas le ministre de la guerre ! » (…)

Cinq jours plus tard, à Szeged (deuxième ville de Hongrie), la garnison entière avec ses mitrailleuses et ses canons, suivie des membres du Conseil des Ouvriers se rendit devant l’Hôtel de Ville pour exiger la démission… d’un adjoint au maire chargé des questions de ravitaillement. (…)

Quatre mille sous-officiers démobilisés se rendirent devant le ministère de la guerre, porteurs d’armes. Ils réclamaient les cinq mille quatre cents couronnes, des vêtements civils et des souliers. Ils présentèrent leurs revendications sous forme d’un ultimatum de trois jours et crièrent :

 Vive la dictature du prolétariat !

Béla Kun n’était plus un inconnu. Son mouvement prenait de l’envergure. Le monde occidental, lui aussi, commençait à apprendre son nom. Un article paru dans « Le Temps » le 25 décembre 1918 avertissait le monde :

« Le bruit court avec persistance que le chef du parti communiste hongrois, un certain Béla Kun, ancien prisonnier de guerre en Russie, et quelques autres personnages, auraient organisé plusieurs compagnies de gardes rouges avec des soldats démobilisés et des ouvriers sans travail. On leur attribue le dessein de renverser tous les ministres, même les deux membres socialistes, trop tièdes à leur gré, du cabinet Karolyi, et de les remplacer par un gouvernement purement communiste. » (…)

A la campagne, les paysans, les va-nu-pieds, les soldats démobilisés rentrés dans leur village attendaient impatiemment le changement promis : le partage des terres voire le partage de la fortune des riches. Les châteaux des seigneurs excitaient l’imagination, inspiraient la crainte et suscitaient l’envie. Les maisons des bourgeois, celles de hauts fonctionnaires et des gros commerçants étaient encore plus jalousées. Elles étaient habitées par ceux dont la puissance et la fortune croissaient à vue d’œil.

Vers la fin de la guerre, des paysannes pauvres avaient manifesté devant une sous-préfecture et réclamé du pain pour leurs enfants. La réponse fut féroce :

 Des enfants ? Pourquoi en avez-vous autant ? Vous n’avez maintenant qu’à les manger.

Cette histoire et d’autres semblables avaient fait leur chemin dans les villages, dans toute la région et étaient arrivées jusqu’aux tranchées. (…)

Lorsqu’ils apprirent la chute de la monarchie et l’avènement du comte Karolyi, les paysans pauvres attaquèrent un peu partout des maisons de hauts fonctionnaires, des magasins d’israélites, des celliers d’archevêchés, des biens seigneuriaux ; ils saccagèrent, ils pillèrent et mirent le feu. L’ordre fut rapidement rétabli…

 Qu’est-ce donc, la liberté ? demandèrent les paysans.

Ils écoutaient avidement ce que leurs fils rentrés de la Russie racontaient. Une petite brochure rapportée du front leur parlait un langage hardi :

« Prenez possession sans retard de toutes les terres, de toutes les usines et de toutes les banques… »

Signé : « Le Parti Communiste Hongrois »

L’effervescence gagna les grands centres industriels et miniers. Ils étaient travaillés par des hommes de Béla Kun, mais plus encore par le mirage d’un monde où les riches ne règneraient plus et où les pauvres jouiraient des biens terrestres. Séduits par le grand rêve du socialisme, les ouvriers croyaient à l’imminence de la justice sociale. Persuadés que la réalisation de cette ère heureuse n’était retardée que par l’embourgeoisement et la mollesse de leurs chefs, ils se décidèrent à agir par eux-mêmes.

Les premiers jours de l’année 1919 furent marqués par des troubles en divers points du pays. A Budapest, les ouvriers des usines à gaz exigèrent des étrennes de cinq cent couronnes, et, n’ayant pas obtenu satisfaction, saccagèrent les bureaux et les ateliers. Ils furent imités le lendemain par les ouvriers de la manufacture d’armes qui, mécontents de n’avoir pas reçu certaines allocations, cessèrent le travail, se rassemblèrent dans les cours et obligèrent les directeurs à s’en aller. Ensuite, les responsables des ouvriers occupèrent les bureaux et élirent d’autres directeurs.

Un article paru dans Le Temps annonça : « Dans la nuit de jeudi à vendredi, (3 janvier 1919), de graves désordres ont éclaté à Salgotarjan, ville de quatorze mille habitants et centre industriel important, en raison de ses charbonnages et de ses hauts fourneaux. Un grand nombre d’ouvriers et la populace de la ville, excités depuis plusieurs jours par des agitateurs communistes, attaquèrent les boutiques et les demeures des commerçants, et commencèrent à les piller consciencieusement. Les autorités, impuissantes à rétablir l’ordre, donnèrent leur démission. Les syndicats ouvriers formèrent immédiatement un Conseil qui prit le pouvoir et organisa une garde nationale…

Au cours des mois de janvier et février, les ouvriers de plusieurs grandes usines de la capitale chassèrent leurs chefs et élirent des « directeurs » dans leurs rangs…

Le 30 février, les paysans pauvres de Gödöllö et de Kerepes (villes voisines de Budapest) chassèrent les propriétaires et se partagèrent leurs terres.

La veille du nouvel an, Béla Kun se rendit dans plusieurs casernes de la capitale pour ameuter les soldats et les gagner à sa cause. Dans la cour de la caserne, il improvisa un meeting : il incita les soldats à choisir dans leurs rangs de nouveaux commandants et à adhérer au parti communiste. Soudain un coup de feu partit d’une fenêtre. Les communistes ripostèrent. Béla Kun continua sans broncher. Il y eut plusieurs blessés. Après cet incident, le leader bolchevik se rendit à la caserne du 32e régiment d’infanterie. Mais là, les soldats lui furent hostiles. Ils conspuèrent deux orateurs et lorsque Béla Kun lui-même essaya de les haranguer, ils le saisirent et l’enfermèrent dan un dortoir. Les communistes alertés accoururent pour le libérer. Entre temps, le président du Conseil des Soldats, Joseph Pogany arriva sur les lieux et ordonna l’élargissement du prisonnier…

Vers la fin de janvier 1919, le préfet de police proposa de nouveau l’arrestation de Béla Kun et de son état-major…

La tactique de Béla Kun portait ses fruits non seulement parmi les soldats et dans la populace, mais aussi dans les forteresses même des social-démocrates. Le nombre d’adhérents aux syndicats augmentait chaque jour et dans la même proportion leur ancienne cohésion cessait… En fait, les nouveaux membres ressemblaient plutôt aux partisans de Béla Kun qu’aux ouvriers syndiqués formés par les social-démocrates, les meilleurs éléments des travailleurs hongrois, les plus habiles et les plus sérieux.

Le comte Karolyi comptait sur cette force si bien organisée pour sauver sa patrie de l’anarchie et assurer l’intégrité territoriale du pays. Lorsque ses amis politiques, bourgeois, conservateurs et radicaux, l’avertirent de l’ambition immodérée de certains chefs social-démocrates, il fut d’avis qu’il serait plus facile de sauver le pays grâce au parti ouvrier et à ses relations internationales que par le moyen de la bourgeoisie plus ou moins compromise aux yeux des puissances démocratiques.

Même dans l’âme de la plupart des social-démocrates éprouvés régnait une confusion dangereuse. Le programme de leur parti était bien la réalisation de la société communiste, la société sans classe telle que Marx l’avait décrite. Sur le chemin qui y mène, celui-ci avait bien désigné comme inévitable la dictature du prolétariat que Béla Kun et ses amis réclamaient aussi. Les dirigeants social-démocrates affirmaient en vain que le temps n’était pas encore venu de la réaliser, qu’il fallait préparer le chemin qui y conduirait et obtenir les conditions préalables que Marx lui-même avait préconisées.

Mais leur troupeau était ébloui par les succès de Lénine qui réalisait la dictature du prolétariat dans des conditions bien différentes des prévisions de Marx et dans une situation très semblable à celle de la Hongrie…

Pour satisfaire aux revendications de quelques dirigeants impatients et pour montrer à la masse des social-démocrates que leur parti avançait vers son but, le parti social-démocrate exigea et obtint deux nouvelles positions-clés dans le gouvernement où il en possédait déjà deux. En contrepartie, le comte Karolyi et les ministres de tendance modérée demandèrent une politique plus ferme contre les communistes et une distinction plus nette entre les deux partis ouvriers. Les dirigeants social-démocrates eux-mêmes, surtout ceux des syndicats, trouvèrent indispensable le renforcement de la discipline de leurs troupes.

Le 28 janvier, le jour même où Béla Kun, dans un grand meeting, lançait le mot d’ordre de ne plus payer de loyer, le parti social-démocrate annonça l’exclusion des communistes de ses rangs et la convocation d’un Congrès extraordinaire pour entériner cette grave décision…

Le 20 février, chômeurs et soldats démobilisés se réunirent de nouveau en meeting, puis, selon leur habitude, ils se rendirent devant la rédaction de « Voros Ujsag » où Béla Kun les harangua :

 Notre ennemi numéro un est la social-démocratie. Il faut l’abattre pour dégager le chemin qui nous mène au communisme…

Les manifestants se mirent en marche vers l’immeuble de l’organe sacro-saint des social-démocrates. Arrivés à proximité de leur but, ils se trouvèrent en face d’un cordon de police…

La nuit suivante, Béla Kun fut arrêté avec son état-major, au total quarante-six personnes. Le lendemain, une manifestation de masse fut organisée par les social-démocrates... aux cris de « A bas les communistes ! », « A bas Béla Kun ! »

Pendant ce temps, des scènes violentes se déroulaient dans la prison située à côté de la caserne de police. Le matin, vers neuf heures, environ soixante agents de police escaladèrent le mur qui séparait leur caserne de la prison… Béla Kun fut sorti de sa cellule… frappé à coups de poing, à coups de crosse, à coups de pieds, dégoulinant de sang… Les assaillants envahirent le cabinet :

 Tuons le !

 La mort et pas le médecin ! (…)

Béla Kun perdit connaissance…

Le lendemain, les journaux publièrent des reportages sensationnels. L’émotion s’empara de la capitale. Béla Kun conspué devint un martyr. L’opinion publique exigea la punition des assaillants…

Le conseil des ministres hongrois décida de donner aux détenus bolcheviks tous les droits des prisonniers politiques : leur cellule cessa d’être fermée, ils purent se rendre visite et recevoir des visiteurs, lire les journaux et se nourrir à leurs frais…

Une partie importante du pays était envahie. Les Roumains, les Tchèques et les Serbes, avides de dépecer le corps vivant de la Hongrie n’attendaient pas le traité de paix pour cette besogne.

Franchet d’Esperey l’avait dit à Belgrade : « Vous avez marché avec les Allemands, vous serez châtiés comme eux. » (…)

La réforme agraire du comte Karolyi visait à faire reprendre par l’Etat toute propriété supérieure à quatre-vingt-dix hectares et d’indemniser ses propriétaires avec des titres de rente à intérêt de 4 à 5%, puis de répartir les terres entre les paysans, en premier lieu entre les mutilés de guerre et les démobilisés ; elle prévoyait que les nouveaux propriétaires seraient tenus à rembourser à l’Etat la valeur de la terre dans un délai de cinquante ans…

Les agitateurs communistes expliquaient aux paysans que le morcellement des grandes propriétés ne valait absolument rien ; ils recommandaient de former des exploitations collectives qui unifieraient les domaines confisqués sans formalités.

Dans un région transdanubienne, des paysans acceptèrent cette manière expéditive de résoudre la question agraire ; ils prirent possession par la force des propriétés des comtes Zichy, Somsich et Széchenyi, soit cent vingt-cinq mille hectares, avec toutes leurs installations et les exploitations qui en dépendaient.

Les social-démocrates approuvèrent ce mode de « réforme agraire ». Le morcellement des grands domaines les inquiétait… En Hongrie, où la féodalité était encore vivante, la majorité des hommes politiques ne pouvait imaginer la production agricole autrement que par grandes exploitations…

Le 5 mars, le commandant Vischer, secrétaire militaire de Lloyd George, arriva à Budapest. Il était en voyage d’études en Europe centrale et orientale, travaillées par le bolchevisme russe. Le comte Karolyi lui expliqua la situation tragique du pays, la mutilation du pays et les difficultés économiques conduisant inévitablement au bolchevisme… Il quitta la capitale, persuadé que le gouvernement du comte Karolyi se servait de la menace bolchevique comme moyen de chantage.

Le commandant Vischer séjournait encore à Budapest lorsque le ministre social-démocrate Kunfi se rendit incognito à la prison pour un entretien confidentiel avec Béla Kun. Cette entrevue surprenante fut suivie d’une démarche du syndicat des typographes, jusqu’alors pilier de la social-démocratie. Les délégués de cette puissante organisation demandèrent à Béla Kun d’élaborer un projet de collaboration des deux partis ouvriers. Le 11 mars, dans une longue lettre pleine de citations de Marx, le chef communiste fixa ses conditions…

Dans la clandestinité, Tibor Szamuely préparait « un grand coup » : la libération de Béla Kun et de ses compagnons…

Les ouvriers des importantes usines métallurgiques Manfred-Weiss se rallièrent à son projet. Le 19 mars 1919, une manifestation massive des chômeurs ouvrit la grande offensive. Devant le ministère des affaires sociales, ils revendiquèrent une allocation extraordinaire, des cartes de ravitaillement qui leur assureraient des achats à moitié prix, la suppression des loyers, la socialisation immédiate des usines et des terres. Le lendemain, 20 mars, les journaux ne parurent pas. Les typographes chassèrent leurs responsables social-démocrates et élirent des communistes à leur place. Ceux-ci décidèrent de n’imprimer que le journal des bolcheviks.

A onze heures dans la matinée, le colonel Vix, chef de la mission militaire française se présenta avec cinq autre officiers chez le comte Karolyi pour lui transmettre une note de l’Entente, rédigée par le général de Lobit et datée de Belgrade, 12 mars. Après s’être référée à la décision de la Conférence de la Paix, d’établir une zone neutre entre les Hongrois et les Roumains , invoquant des incidents survenus entre les deux populations, la note délimitait cette zone, exigeait le retrait des troupes hongroises à la limite de la zone neutre dans le délai de dix jours et autorisait les Roumains à avancer à la limite orientale de la même zone dès que les Hongrois se seraient retirés.

C’était, en fait, une nouvelle perte de territoire presque purement hongrois et la fixation d’une nouvelle ligne de démarcation qui réduisait la souveraineté hongroise à un lambeau du pays, insuffisant pour subvenir aux besoins de la population déjà privée de la plupart des matières premières.

Karolyi devint tout pâle en lisant la note :

 Mais c’est impossible. Mais c’est impossible, répéta-t-il, et il demanda un délai pour pouvoir expliquer à Paris les conséquences catastrophiques de cette décision…

Le colonel Vix, impassible, répondit qu’il ne s’agissait pas de discuter le contenu de la note ; c’était un ordre à exécuter…

La nouvelle de la note fut répandue dans la capitale… La réaction fut immédiate. Trente mille ouvriers métallurgistes, l’ensemble du syndicat se rallia aux bolcheviks…

Les chefs les plus conservateurs du parti social-démocrate furent complètement déroutés…

Le comte dit au conseil des ministres qui décidait de rejeter la note de l’Entente :

 La patrie est en danger. L’heure la plus grave de notre histoire a sonné. Nous sommes obligés de reconnaître que notre politique fondée sur les promesses de Wilson a complètement échoué. Nous avons besoin d’une nouvelle orientation qui puisse nous assurer la sympathie de l’Internationale du monde ouvrier… Je vous propose donc un gouvernement social-démocrate homogène qui fera face aux impérialistes… A cette fin, les social-démocrates doivent trouver un terrain d’entente avec les communistes…

Le 21 mars 1919, au matin, le comité directeur du parti social-démocrate se réunit pour délibérer sur la formation d’un gouvernement et sur le compromis avec les communistes…

 Refuser de prendre nos responsabilités dans la situation actuelle, serait une trahison et envers le pays et envers la classe ouvrière. Les abandonner tous deux aux bolcheviks serait une faute impardonnable. La Hongrie est sacrifiée par les impérialistes occidentaux, il n’y a plus rien à attendre de ce côté… Une dictature est indispensable dans l’anarchie actuelle du pays ; que ce soit la dictature du prolétariat plutôt que celle des anciens seigneurs. Et quant à une dictature du prolétariat, il est de l’intérêt de tout le monde qu’elle soit entre nos mains…

Béla Kun et les social-démocrates signèrent donc la résolution suivante :

1. Les comités directeurs du parti social-démocrate et du parti communiste aujourd’hui réunis ont décidé l’unification complète des deux partis.

2. le nom des deux partis unifiés est provisoirement « Parti Socialiste Hongrois ». La décision définitive concernant le nom du parti est réservée à l’Internationale révolutionnaire.

3. L’unification implique la participation des deux partis au comité directeur du nouveau parti et au gouvernement.

4. Le « Parti Socialiste Hongrois », au nom du prolétariat, prend immédiatement le pouvoir. La dictature du prolétariat sera exercée par les Conseils des ouvriers, des paysans et des soldats…

5. Il est indispensable d’organiser immédiatement une nouvelle armée issue du prolétariat pour enlever les armes des mains de la bourgeoisie.

6. Pour assurer le règne du prolétariat et pour se défendre contre l’impérialisme de l’Entente, il faut conclure l’alliance militaire et politique la plus étroite et la plus complète avec la Russie soviétique.

(…)

Chez les communistes, le premier enthousiasme céda la place aux doutes.

 Nous sommes roulés, pensèrent les pessimistes, parmi les communistes.

- Le camarade Kun s’est laissé duper par ces vieux renards de social-démocrates, murmurèrent ceux qui n’étant présents à la signature de l’accord, lui en gardaient rancune.

Béla Kun devenait de plus en plus inquiet. Il se retira avec les sept communistes signataires pour discuter de la situation. Mais personne n’était plus maître de soi, l’impatience et l’incertitude s’emparait d’eux.

 C’était une faute capitale de signer ici, dans la prison.

 Sans doute, ils utilisent nos signatures pour nous compromettre devant les masses.

Dans la ville, la nouvelle de l’accord se répandit comme une traînée de poudre. Szamuely, furieux, éclata :

 Et tout cela derrière mon dos !

Après un court conseil de guerre avec ses fidèles, il alerta ses troupes de choc et leur ordonna de libérer sur-le-champ les communistes emprisonnés…

Le ministre de la justice fit dépêcher personnellement le procureur général pour libérer Béla Kun et ses compagnons…

La ville était en effervescence.

Le Conseil des Soldats se déclara unanimement pour la dictature du prolétariat ; les communistes occupèrent les points stratégiques et placèrent des batteries au sommet de la colline qui domine la capitale. Les marins rouges arrêtèrent des automobiles et les réquisitionnèrent sans formalité. De petits groupes marchèrent dans les rues avec des drapeaux rouges et tricolores en criant :

 Vive la Hongrie soviétique ! (…)

Béla Kun, après une entrevue orageuse avec Tibor Szamuely, qui lui reprocha d’avoir agi à l’improviste, sans l’avoir consulté, se rendit avec ses amis au secrétariat du parti social-démocrate. Il avait l’air d’un forçat libéré, ne portait plus la moustache et sur sa tête rasée, il gardait encore ses pansements…

Le comte Karolyi signa sa démission :

« La Conférence de Paris a décidé en secret l’occupation militaire de la presque totalité de notre pays… En ma qualité de président provisoire de la République hongroise, je m’adresse, devant cette décision de la Conférence de Paris, au prolétariat du monde entier, à son sentiment de justice, pour solliciter son appui. Je démissionne et je remets le pouvoir au prolétariat des peuples de Hongrie. Michel Karolyi. »

(…)

Tibor Samuley ordonna l’occupation par la force du palais de la Bourse, un des plus importants bâtiments de la capitale, pour s’y installer avec son secrétariat. En même temps, il donna l’ordre d’occuper les banques :

 La police, les casernes, les dépôts d’armes, les centres téléphoniques, tout est déjà entre nos mains, mais personne ne pense aux banques. Voulez-vous attendre que la bourgeoisie les dévalise et enlève la fortune de l’Etat des prolétaires ? (…) Dans les casernes, personne n’avait non plus pensé à résister. Le général Joseph Breit écrit dans ses mémoires : « Il est triste de constater que, lorsque la dictature fut proclamée, il n’y eut pas un seul officier supérieur pour se mettre à la tête des troupes et essayer de se dresser contre les Pogany et Béla Kun. »

Les banques furent aussi occupées sans coup férir par quelques jeunes hommes, ainsi que les gares…

Tard dans la nuit, vers trois heures, un des signataires, devenu commissaire du peuple adjoint de l’intérieur, arriva pour les informer :

 Le conseil du gouvernement est constitué. Président : Alexandre Garbai.

Un lourd silence accueillit cette nouvelle. Les militants se regardèrent. L’un d’eux se révolta :

 Comment ? Celui qui, il y a quelques jours, nous traitait de canailles ?

Le leader se hâta d’annoncer :

 Le camarade Béla Kun est nommé commissaire du peuple aux affaires étrangères.

Applaudissements. Puis, de nouveau, le mécontentement prit le dessus lorsque les noms des autres commissaires furent énumérés :

 Tous des social-démocrates !

 Hier, ils nous promettaient la potence !

Mais le coup le plus dur fut d’apprendre que le secrétariat du parti unifié fonctionnerait dans les locaux du parti social-démocrate.

 Personne d’entre nous ne franchira leur seuil maudit ! (…)

Le préfet de police, celui qui avait plusieurs fois proposé la liquidation du mouvement de Béla Kun, affirme dans ses « Mémoires » :

« Les gens acceptèrent le changement comme un modus vivendi inévitable pour sauver le pays, pour sauver l’intégrité territoriale… On peut dire que le bolchevisme apparut sur la scène sous les couleurs nationales. »

Les fonctionnaires restèrent à leur place et se déclarèrent prêts à servir la dictature. Leur organisation professionnelle comptant cent vingt mille membres, salua unanimement le régime nouveau. Le syndicat des officiers de carrière assura le Conseil des commissaires du peuple de sa fidélité...

Béla Kun restait pensif…

 J’ai réfléchi toute la nuit. J’ai cherché les fautes commises… J’ai peur que nous ne les découvrions trop tard.

Le premier conseil des commissaires du peuple prononça :

1. L’abolition des titres et des privilèges.

2. La séparation des Eglises et de l’Etat.

3. L’installation de tribunaux révolutionnaires avec des juges choisis dans le peuple.

4. La préparation des élections aux Conseils des ouvriers, des soldats et des paysans.

5. La socialisation des terres, des usines et des immeubles dans un bref délai.

6. La réquisition de toutes les œuvres d’art appartenant à des particuliers.

7. L’expropriation des théâtres pour les mettre au service de la culture prolétarienne.

A l’issue de ce premier conseil des commissaires du peuple, appelé désormais Conseil du Gouvernement Révolutionnaire, Béla Kun lança par voie radiotélégraphique l’appel suivant, en langues française, anglaise, allemande, roumaine et tchèque :

« A tous !

« Nous annonçons aux travailleurs du monde qu’en Hongrie, le parti social-démocrate et le parti communiste se sont réunis en parti socialiste, et au nom de tous les travailleurs, paysans et soldats, ont créé une dictature du prolétariat, qui a pris le pouvoir politique sans verser une seule goutte de sang.

« Le pouvoir politique est exercé provisoirement par le Conseil des commissaires du peuples jusqu’à ce que le congrès des Conseils des paysans ouvriers et soldats ait fixé définitivement la constitution de la République hongroise des Conseils. Le prolétariat hongrois tout entier fait unanimement bloc pour la dictature sous le drapeau de la révolution socialiste, et veut poursuivre jusqu’au bout la lutte contre l’impérialisme, en union avec la République russe des Soviets…

« Les bourgeois et les annexionnistes tchèques, slovaques et roumains veulent abattre par les armes la révolution des travailleurs de la Hongrie. Nous en appelons aux soldats tchèques, slovaques et roumains. Refusez l’obéissance, soulevez-vous, tournez vos armes contre vos propres oppresseurs, et ne soyez pas les bourreaux de vos frères ! Travailleurs et paysans tchèques et roumains, secouez le joug de ceux qui, pour remplir leurs poches, vous ont poussés à la guerre contre vos frères !

« Nous sommes décidés d’ailleurs à nous défendre jusqu’à la dernière goutte de sang contre toute attaque. Nous sommes décidés à défendre contre quiconque la République hongroise des Conseils, c’est en même temps notre volonté de conclure aussitôt que possible une paix qui assure des conditions d’existence aux classes laborieuses hongroises et leur rende la possibilité de vivre en paix avec tous les peuples du monde. »

(…)

La Russie soviétique vivait alors les moments les plus critiques de son existence. La guerre civile battait son plein. Le 6 mars 1919, Koltchak lançait sa grande offensive sur le front de l’Est. De l’ouest, les troupes polonaises avançaient vers le centre du pays. Les Blancs continuaient leur guérilla, ils occupaient et rançonnaient des villages, parfois des régions entières, faisant sauter des voies ferrées et rendaient impossible pour les Rouges le contrôle de leur territoire. Lénine craignait l’imminence d’une offensive générale de la force de l’Entente…

A 21 heures, la station de télégraphie sans fil de Moscou annonça à Csepel qu’elle avait parfaitement reçu et le message « A tous ! » et celui adressé à Lénine…

Lénine demanda des explications. Il voulait surtout savoir dans quelles conditions avait été accomplie l’unification des deux partis et quelles étaient les garanties de la prédominance des communistes. Béla Kun le tranquillisa : les positions-clés étaient dans les mains des communistes, lui-même dominait incontestablement le conseil du gouvernement…

Lénine conseillait à son disciple prudence et modération, vigilance envers ses coéquipiers social-démocrates et compréhension envers les bourgeois prêts à le servir…

Dans son discours de clôture du huitième congrès du parti bolchevik, Lénine affirma :

 Nous sommes sûrs qu’il n’y aura que six mois vraiment durs. Cette conviction est surtout fondée sur la nouvelle de la victoire de la révolution prolétarienne en Hongrie. Jusqu’à présent, le pouvoir soviétique n’avait vaincu que parmi les peuples de l’ancien empire de Russie. Jusqu’à présent les gens à courte vue qui abandonnent difficilement la routine, leurs vieilles habitudes, pouvaient penser que la démocratie prolétarienne soviétique se rattachait par des traits spécifiques à la Russie, que les particularités de cette démocratie reflétaient, comme un miroir magique, les vieux traits de la Russie tzariste. Maintenant, cette conception est brisée dans ses fondements. Camarades, les télégrammes que nous avons reçus aujourd’hui nous donnent le tableau de la révolution en Hongrie. Nous apprenons que les puissances alliées ont envoyé à la Hongrie un ultimatum brutal au sujet du transit des troupes par son territoire… Le gouvernement bourgeois a de lui-même donné sa démission, est entré de lui-même en pourparlers avec les communistes, avec nos camarades hongrois qui se trouvaient en prison, et a reconnu de lui-même qu’il n’y avait d’autre issue que la remise du pouvoir au peuple travailleur…

A Budapest, sur l’immense place devant le Parlement, là où le peuple avait crié sa haine contre Tisza vers la fin de la guerre, là où la République avait été proclamée, devant deux cent mille personnes, Béla Kun prononça un discours d’homme d’Etat :

 Les prolétaires hongrois se sont alliés dans une union sacrée… Nous avons accepté le rôle de troupe de choc de la révolution mondiale… des luttes très difficiles nous attendent… La dictature du prolétariat ne crée pas un pays de cocagne. Nous n’avons pas promis de donner du pain, nous voulons organiser un monde où le pain ne reviendra qu’à ceux qui travaillent…

Le mariage de raison entre nationalisme et internationalisme, entre bourgeois et prolétaires, entre socialistes et communistes commençait idylliquement. Mais l’atmosphère de la lune de miel devint rapidement orageuse…

Au premier conseil du gouvernement révolutionnaire, les communistes proposèrent la séparation des Eglises et de l’Etat, et l’expropriation des églises pour les transformer en « maisons du peuple ». Les social-démocrates ne voulaient pas aller si vite…

L’unification des deux partis avait bel et bien été proclamée, cependant communistes et social-démocrates se méfiaient et se méprisaient mutuellement.

Au début, seuls les membres du parti communiste dissous faisaient des difficultés.

Des jeunes gens visitaient les permanences des syndicats et exigeaient une orientation à gauche :

 Béla Kun est prisonnier des « bonzes » social-démocrates qui sabotent la dictature. Voyez les usines, elle son dirigées par les valets des capitalistes ! Voyez les terres, elle sont toujours dans les mains des féodaux ! Exigez l’arrestation des responsables de la guerre, des généraux et des gros capitalistes ! Que la dictature du prolétariat soit enfin mise en marche !

Béla Kun lança un avertissement « Contre le zèle des éléments irresponsables » mais il resta sans effet…

L’influence de ces extrémistes grandissait : ils obtinrent l’arrestation de quelques personnalités de l’industrie lourde, des finances et d’un évêque qui affichait ses sentiments monarchistes…

Une semaine après la proclamation de la dictature, le « Voros Usjag » réapparut comme journal du soir. Sa rédaction devint l’un des centres de ces « francs-tireurs communistes » qui bataillaient contre les temporisateurs et surtout contre les social-démocrates considérés comme l’ennemi numéro un. La « Népszava » se défendit et contre-attaqua.

Deux semaines à peine étaient écoulées et les frères ennemis dressaient déjà leurs camps réaorganisés l’un face à l’autre.

Le premier orage éclata au conseil du gouvernement où l’atmosphère était déjà lourde à cause des plaintes continuelles des social-démocrates.

Le commissaire à la guerre, Joseph Pogany, accusa ses deux adjoints communistes de favoriser certains éléments indisciplinés. Son premier adjoint, Szamuely, de son côté, donna libre cours à ses griefs contre Pogany et ses amis qui, selon lui, favorisaient les éléments bourgeois. Le deuxième adjoint, Béla Szanto, n’était d’accord ni avec l’un ni avec l’autre et exprima ses craintes concernant la démoralisation de la nouvelle armée rouge…

Le lendemain, 3 avril 1919, vers midi, à la plus grande surprise de la population, la garnison de Budapest, musique en tête, se rendit devant le commissariat du peuple à la guerre… La foule criait :

 Pogany à la lanterne !

 A bas les social-démocrates !

 Vive Szamuely !

Les soldats envahirent le commissariat du peuple ; Pogany fut fait prisonnier…

Béla Kun, furieux de l’indiscipline de ses amis et désireux de se débarrasser de Szamuely, donna raison aux social-démocrates ; il déclara que le commissaire du peuple à la guerre devait être à un des leurs et que Szamuely ne pouvait plus rester membre du gouvernement…

Pour apaiser les passions, Béla Kun proposa de garder Pogany et Szamuely, le premier comme troisième adjoint aux affaires étrangères, le second comme troisième adjoint à l’instruction publique. Lui-même prit le titre de commissaire du peuple à la guerre et choisit Guillaume Böhm, un social-démocrate particulièrement contesté par les communistes, déjà ministre de la guerre dans le gouvernement de Karolyi, pour diriger ce commissariat…

La Conférence de Paris prêtait l’oreille à la révolution hongroise et « Le Temps » daté du 4 avril 1919 annonça :

« A l’issue du conseil tenu hier (2 avril) après-midi par les quatre chefs de gouvernement, MM. Wilson, Lloyd George, Orlando et Clemenceau, le communiqué suivant – le premier depuis que siège le Conseil des Quatre – a été publié :

« Le général Smuts part pour la Hongrie dans le but de faire une enquête sur certains problèmes soulevés par l’armistice et sur lesquels le Conseil Suprême désire plus amples informations… Il est à remarquer que la mission du général Smuts sera à la fois politique, militaire, économique… »

Le général Smuts arriva à Budapest le 4 avril 1919… Smuts déclara qu’il ne venait pas négocier, qu’il était porteur d’une proposition à accepter ou à refuser telle quelle. Sa mission avait été décidée par les puissances qui étaient disposées à ne pas intervenir militairement si le gouvernement hongrois acceptait sans modification les propositions suivantes :

« 1. Les troupes hongroises seront retirées sur une ligne déterminée.

« 2. Les troupes roumaines n’avanceront pas au-delà de leur position actuelle.

« 3. Le territoire qui se trouve entre les lignes occupées par les soldats hongrois et par les troupes roumaines sera déclaré zone neutre, et occupé par les alliés.

« 4. Le gouvernement hongrois observera les engagements d’armistice stipulés dans les conventions des 3 et 13 novembre 1918.

« 5. Les lignes de démarcation actuelles ne seront pas considérées comme frontières politiques. Ces dernières seront établies par la Conférence de la Paix.

« Si le gouvernement hongrois accepte ces conditions, le général Smuts proposera la suppression du blocus et l’envoi immédiat de charbon et de matières grasses. Le général Smuts proposera aussi que le gouvernement hongrois fût invité à la conférence des Etats intéressés. » (…)

Béla Kun expliqua aux commissaires du peuple que « les répercussions d’une telle paix transformeraient la force nationaliste qui nous a aidés à prendre le pouvoir en une force contre-révolutionnaire qui nous balayerait. » (…)

Le Conseil des commissaires du peuple rejeta la proposition Smuts…

La Conférence des Quatre décida d’en finir avec la dictature de Béla Kun et donna toute liberté aux Etats voisins pour une intervention armée…

Les opérations militaires de la Roumanie commencèrent le 16 avril 1919 ; elles furent suivies bientôt par celles des Tchèques…

Le 4 avril, le gouvernement révolutionnaire rendit public son décret concernant la « socialisation » des terres :

« 1. Toutes les propriétés terriennes grandes ou moyennes avec toutes leurs installations et avec toutes leurs usines passent aux mains des prolétaires, sans aucun dédommagement.

« 2. Les petites propriétés terriennes restent propriétés privées.

« 3. Les propriétés terriennes devenues propriétés communes seront exploitées par des coopératives agricoles.

« 4. Toutes les personnes, hommes et femmes, qui ont dépassé l’âge de seize ans et qui s’engagent à fournir cent vingt journées de travail par an, peuvent faire partie de la coopérative. »

Une ordonnance émise plus tard fixa à cent acres, c’est-à-dire à cinquante-six hectares la limite de la propriété privée… Ainsi les gros propriétaires pouvaient éviter de voir le démembrement de leurs domaines. Dans la plupart des cas, ils pouvaient même rester sur place comme commissaires de l’exploitation, mais dans certaines régions les paysans n’acceptaient pas le maintien de leur ancien seigneur…

La grande masse des ouvriers agricoles et des paysans pauvres qui désirait le partage des terres fut déçue par la politique du gouvernement et se désintéressa complètement des « camarades de Budapest »…

Le 1er mai 1919 trouva la dictature du prolétariat dans une situation désespérée. L’armée roumaine n’était plus qu’à cent kilomètres de la capitale, devant la dernière ligne de défense…

Les responsables des usines métallurgiques furent convoqués d’urgence, et devant un millier d’hommes de l’élite ouvrière, l’ancien chef de leur syndicat, Guillaume Böhm, prit la parole :

 Nous n’avons ni fusils, ni canons, ni nourriture, ni vêtements. Nos troupes sont indisciplinées, sans désir de combattre, pareilles à des hordes en débandade. Si nous voulons encore sauver la révolution, il faut que les ouvriers syndiqués se rendent au front pour se battre. Si nous en sommes incapables, avouons-le honnêtement, ne nous trompons pas davantage et attendons les yeux ouverts les événements qui doivent nous arriver…

Malgré ce discours démoralisé et démoralisant, dès le lendemain, les ouvriers s’organisèrent pour partir au front. Des travailleurs qui avaient déjà passé quatre années dans les tranchées, des pères de famille, même ceux dont la santé était ébranlée, se présentèrent et s’enrôlèrent, sous la conduite de leurs responsables, dans les bataillons d’ouvriers… En six jours, quarante mille volontaires prirent les armes… En quelques jours, la situation militaire fut renversée. L’armée rouge hongroise repoussa l’armée roumaine et l’armée tchèque, trois fois plus nombreuse qu’elle ; le 10 mai, elle déclencha une contre-offensive sur le front tchèque et vola de victoire en victoire…

Le correspondant du Times à Vienne télégraphia le 8 juin à son journal :

« Une note des puissances alliées mettant les Hongrois à demeure d’interrompre leurs opérations contre les Tchèques et invitant virtuellement les bolcheviks à Paris, a été remise cet après-midi à l’ambassade bolchevique d’ici, par la mission militaire française… »

Le Voros Ujsag rendit public le texte du télégramme de Clemenceau :

« Au gouvernement hongrois, Budapest.

« Les gouvernements alliés et associés ont l’intention d’inviter les représentants du gouvernement hongrois à la Conférence de la Paix pour prendre connaissance de la communication de leurs points de vue concernant les justes frontières de la Hongrie. Les Hongrois viennent d’intensifier leurs attaques injustes et violentes contre les Tchécoslovaques. Les alliés ont déjà exprimé leur ferme volonté de mettre fin aux hostilités superflues et ils ont arrêté deux fois l’avance de l’armée roumaine qui a voulu franchir la ligne de l’armistice, puis la frontière de la zone neutre pour marcher sur Budapest ; elles ont arrêté aussi les armées serbe et française sur le front sud de la Hongrie. Dans ces circonstances, le gouvernement hongrois est formellement appelé à cesser immédiatement les attaques contre les Tchécoslovaques, faute de quoi les gouvernements associés seraient décidés à user sur-le-champ des moyens extrêmes pour contraindre la Hongrie à cesser les hostilités et à se soumettre à leur volonté inébranlable de faire respecter leurs ordres. Une réponse à ce télégramme est attendue dans les quarante-huit heures.

Clemenceau, Président de la Conférence. »

(…)

Le télégramme de Clemenceau avait trouvé la République des Conseils dans une situation délicate… Les bataillons ouvriers continuaient leurs assauts contre les Tchèques et libéraient encore quelques villes, mais à côté du drapeau rouge, les autorités hissaient déjà le drapeau national.

Le 16 juin, sur le territoire repris aux Tchèques, Béla Kun fit fonder la « République slovaque des Conseils » qui s’associa immédiatement à la Hongrie et offrit son alliance à la Russie…

Le 19 juin, Béla Kun envoya à Clemenceau le télégramme suivant :

« Le gouvernement de la République hongroise des Conseils s’est conformé strictement à la sommation des puissances alliées et associées de suspendre les hostilités sur le front tchécoslovaque. Malgré les difficultés, les instructions ont été exécutées par le commandement supérieur de l’armée. Mais l’armée tchécoslovaque, sans tenir compte de l’ordre des gouvernements alliés et associés, a néanmoins déclenché une nouvelle offensive contre notre armée qui était en train de satisfaire aux vœux des puissances alliées et associées dans la République tchécoslovaque… »

Quelques jours après, une nouvelle et menaçante sommation de l’Entente amena Béla Kun à donner l’ordre définitif d’évacuation des territoires reconquis par l’élan et par le sang des ouvriers hongrois révolutionnaires et patriotes…

A Budapest, des signes inquiétants d’une propagande subversive se multipliaient…

C’était surtout l’antisémitisme que l’on utilisait contre le gouvernement révolutionnaire.

Un jour, les murs de la capitale furent couverts d’affiches :

« Camarades ! Il y a cinq cent mille juifs à Budapest. Aucun d’entre eux ne veut aller au front. Exterminez-les s’ils ne veulent pas donner leur vie à la cause sacrée de la dictature du prolétariat ! A bas les juifs ! »

(…)

Le 24 juin, trois unités contre-révolutionnaires de la flottille danubienne descendirent le fleuve, se rangèrent en ligne de combat à la hauteur de la Maison des Soviets, hissèrent le drapeau national et déchargèrent des salves dirigées très précisément sur le deuxième étage, l’appartement de Béla Kun…

Au même moment, les cadets, élèves de l’Ecole Militaire de Budapest, sortirent en formation de combat et occupèrent, sans difficulté, le centre téléphonique de leur quartier…

Les jeunes contre-révolutionnaires ne furent même pas traduits devant le tribunal…

A l’intérieur du pays, les mouvements contre-révolutionnaires se multipliaient et parallèlement l’influence et le pouvoir de Szamuely augmentaient. Les révoltes des paysans prirent de l’envergure…

Le 10 juillet, Béla Kun reçut de l’Entente l’ordre de ramener le nombre des soldats hongrois au niveau prescrit par la convention d’armistice et fut averti que l’armée hongroise ne pouvait être utilisée qu’au maintien de l’ordre…

Guillaume Böhm, après avoir exécuté l’ordre de retrait de l’armée rouge sur le front tchèque, démissionna. Son chef d’état-major, le colonel Stromfeld, lui aussi quitta son poste…

Les Roumains n’étaient plus qu’à cinquante kilomètres de la capitale. Les social-démocrates, persuadés par l’Entente que le départ de Béla Kun du pouvoir sauverait la Hongrie, se préparèrent un coup décisif… Dans une résolution, ils mirent Béla Kun en demeure de se retirer immédiatement… La démission de Béla Kun fut décidée… Le comité directeur du parti unifié fut informé de la démission du gouvernement et approuva la formation d’un gouvernement social-démocrate et syndical.

Loin d’arrêter les troupes roumaine à la nouvelle de la chute du gouvernement révolutionnaire, le 2 août, Clemenceau télégraphia à Romanelli que « le Conseil des alliés ne désirait pas s’immiscer dans les affaires intérieures de la Hongrie »…

Le 3 août, les Roumains arrivèrent dans les faubourgs de Budapest…

Le 6 août, le gouvernement social-démocrate et syndical fut renversé…

Le lendemain du coup d’Etat, l’archiduc Joseph de Habsbourg réapparut à Budapest, prit le pouvoir suprême et nomma un certain Etienne Friedrich à la tête du gouvernement… Les journaux roumains annoncent que l’archiduc Joseph a adressé au roi de Roumanie un long télégramme de remerciement pour avoir sauvé la Hongrie en écrasant les bolcheviks…

Dès l’entrée des troupes à Budapest et la prise du pouvoir par l’archiduc Joseph et Etienne Friedrich, des pogroms se déroulèrent dans les rues de la capitale. Des bandes composées de vingt à vingt-cinq énergumènes munis de gourdins, de triques, de cravaches, circulaient dans les rues et attaquaient toutes les personnes qu’ils supposaient être israélites. A ce moment de vengeance, juif et bolchevik avaient la même signification.

Les prisons de Budapest n’étaient pas assez grandes pour accueillir les détenus d’abord passés à tabac à la préfecture de police où ils subissaient des tortures raffinées. Des tribunaux spéciaux furent créés qui rendaient des jugements sans appel. Plus de vingt-mille procès furent intentés contre trente mille personnes…

Le 2 septembre 1919, l’Arbeiter Zeitung de Vienne écrit :

« A Budapest, sous prétexte de poursuivre les communistes, on arrête des social-démocrates et des ouvriers. La terreur blanche a déjà fait autant de victimes, autant de cruautés que la terreur rouge pendant tout son règne. »

« Des troupes d’officiers sans solde et sans métier, qui s’étaient donné pour mission de purger la Hongrie du bolchevisme, parcouraient la contrée, pratiquant des exécutions sommaires, pour se venger… »

L’amiral Horthy, lui-même, admet dans ses Mémoires :

« Je n’ai aucune raison d’embellir ce qui à ce moment-là se passa comme injustice et cruauté lorsque seule une main de fer pouvait nettoyer le pays… »

Béla Kun écrivit et fit publier par le soin des communistes autrichiens une plaquette en langue allemande sous le pseudonyme Blaise Kolozsvary accusant les social-démocrates de son gouvernement d’avoir trahi la cause du prolétariat. »

Fin de l’extrait du témoignage intitulé « Les cent Jours de Béla Kun »

Un autre récit de la révolution et de la guerre de Hongrie :

Depuis octobre 1918, le royaume magyar est également la proie de l’agitation révolutionnaire. Si libéraux et sociaux-démocrates se réunissent dans un Conseil national qui réclame la démocratisation et l’indépendance du pays, des conseils de soldats sont simultanément créés à l’initiative de soldats de retour du front russe. Le 30 octobre, tandis que le conseil des ouvriers de Budapest voit le jour, la révolution éclate dans les rues de la capitale envahie par une foule de soldats et de civils en armes qui s’emparent des bâtiments officiels, des casernes, des gares et du central téléphonique. Des milices ouvrières se constituent dans les usines. Le 31, le Conseil national hongrois forme un gouvernement dirigé par le comte Mihaly Karolyi qui adopte un programme libéral, fédéraliste et pacifiste. Le 16 novembre, Karolyi proclame la république tandis que le pays se couvre de conseils jusque dans les villages.

L’année 1918 est également marquée par le retour au pays des 700 000 soldats hongrois prisonniers de guerre en Russie. Quand la Révolution russe a éclaté certains prisonniers, membre du parti social-démocrate, ont participé aux travaux des soviets locaux. C’est le cas en particulier de Bela Kun, ancien fonctionnaire d’une coopérative ouvrière, qui adhère alors au parti bolchevik de Tomsk en Sibérie. Des organisations révolutionnaires de prisonniers voient également le jour. Après la révolution d’Octobre, les bolcheviks organisent dans plus de 400 villes des unités de garde rouge formés par des prisonniers hongrois. Ainsi à Tomsk, Ferenc Münnich devient commandant des gardes rouges de la ville. Mais la majorité des prisonniers aspire avant tout à rentrer au pays reprendre une vie normale et seulement quelques milliers adhérent en 1918 aux organisations communistes.

Kun, qui a rencontré Karl Radek et Lénine en décembre 1917, est affecté au service de propagande internationale du commissariat du peuple aux affaires étrangères. Si en janvier 1918 est créé auprès du comité militaire du Comité exécutif du conseil des soviets, un bureau des prisonniers qui organise le recrutement massif de volontaires au sein de l’armée rouge, l’action des communistes hongrois est vite entravée par le traité de Brest-Litovsk qui interdit la propagande contre le gouvernement austro-hongrois. Pourtant les communistes hongrois préparent eux aussi leur retour aux pays et c’est le lieutenant Tibor Szamuely qui est chargé d’organiser le rapatriement des soldats qui doivent devenir la garde prétorienne de la révolution.

En octobre 1918, l’heure de ce retour approche. Le rapatriement commence tandis que les unités internationales de l’armée rouge, qui comprennent de nombreux volontaires hongrois, sont dirigées vers l’Ukraine. L’arrivée des anciens prisonniers venant de Russie n’est pas du goût des dirigeants social-démocrates hongrois qui voient d’un mauvais œil croitre le poids de tous ces extrémistes. Ils n’ont pas entièrement tort puisqu’à la suite du retour de Kun, le parti communiste hongrois est créé le 24 novembre 1918.

La sortie de guerre de la Hongrie est également un formidable accélérateur pour les communistes, d’autant que contrairement aux bolcheviks russes, ils apparaissent à l’opinion comme les champions de l’idée nationale hongroise. Les ennemis de la Russie soviétique ne sont elles pas ses forces de l’Entente qui autorisent le dépeçage de la Hongrie millénaire ?

Le sentiment national hongrois, humilié, pousse donc une partie des patriotes à se tourner vers les conseils d’ouvriers et de soldats, à la fois pour faire pression sur l’Entente mais également convaincu que les révolutionnaires ne pourront supporter sans réagir l’invasion du pays par les troupes impérialistes des rois de Serbie et de Roumanie. Les communistes, de leur coté, assurent que les conquêtes de la révolution ne peuvent être préservées dans le cadre territorial de la Hongrie sans une alliance militaire avec la Russie soviétique.

L’agitation révolutionnaire se poursuit notamment à Budapest. En février les communistes appellent à l’armement du prolétariat tandis que le conseil des soldats fait distribuer des armes et que la formation de milices ouvrières est en plein essor. Le 20 février, une manifestation ouvrière dégénère à Budapest faisant 7 morts et donne le prétexte au gouvernement, soutenu par la direction du parti social-démocrate, pour s’attaquer aux communistes dont la direction est emprisonnée.
C’est la situation internationale qui va mettre à nouveau les communistes sur le devant de la scène. Chez les patriotes hongrois se développe l’idée que seul le prolétariat en armes peut encore sauvegarder l’intégrité du territoire hongrois tandis que certains officiers supérieurs pressent Karolyi de chercher à négocier une alliance militaire avec les Soviétiques contre l’Entente. Face à cette pression qui se fait chaque jour plus forte, le 2 mars, Karolyi menace de reprendre les hostilités si la conférence de paix n’applique pas les principes wilsoniens à la Hongrie. Il s’agit d’abord de mettre un terme aux prétentions et provocations des Roumains.

Les troupes roumaines ont atteint en novembre la rivière Mures, c’est à dire la ligne de démarcation convenue par les représentants de l’Entente et de la Hongrie à Belgrade le 13 novembre. Mais en violation de cet accord, le commandement allié en Orient, sous la direction du général Franchet d’Esperey, permet à l’armée roumaine d’avancer jusqu’à la ligne des Carpates occidentales. La 7e division roumaine dite Vanatori avance alors en direction de Cluj, et le 1er décembre en direction d’Alba-Iulia. Le 24, les unités roumaines entrent dans Cluj. Elles s’assurent ainsi la possession des territoires promis par les Alliés en 1916 : la Transylvanie, la Bukovine et le Banat.

Concernant le nord de la Hongrie, le 23 décembre 1918 une note française fixe la ligne de démarcation avec la Slovaquie, ligne qui se trouve à seulement 40 km au nord de Budapest. Les troupes hongroises doivent évidemment évacuer le territoire slovaque ainsi tracé. Au sud, les forces françaises et serbes tiennent une zone qui part de Baja sur le Danube et passe par Szeged et Arad pour entrer en contact avec les Roumains à Deva. Dans ce secteur les Serbes menacent de s’emparer de Pecs.

Pour freiner les initiatives roumaines, le Conseil des Alliés décident d’établir une zone neutre, occupée par des troupes françaises, britanniques et italiennes, qui fasse tampon entre Hongrois et Roumains. Le 28 février, le Conseil notifie à la Hongrie l’établissement d’une nouvelle ligne de démarcation qui doit permettre une ultime avancée de l’armée roumaine en territoire hongrois. Cette ligne coïncide avec les chemins de fer reliant les villes de Satu Mare, Oradea et Arad. Cependant, l’armée roumaine n’est pas autorisée à entrer dans ces villes. La zone démilitarisée qui doit être créée, s’étend à partir de cette ligne de démarcation jusqu’à 5 km à l’intérieur de la Hongrie. Les Alliés demandent que le retrait de l’armée hongroise derrière la zone neutre commence le 22 mars 1919 et qu’elle abandonne des villes magyares.

Il revient au colonel Fernand Vyx de transmettre le 20 mars au gouvernement hongrois l’ultimatum lui donnant deux jours pour évacuer la zone neutre. Le 21, devant l’ultimatum qu’il juge inacceptable, Karolyi répond qu’il ne peut y donner suite et son gouvernement démissionne. Il souhaite néanmoins former un nouveau gouvernement avec les social-démocrates mais le 21 c’est un Conseil révolutionnaire de gouvernement qui voit le jour comprenant une trentaine de commissaires du peuple issu du parti social-démocrate et du parti communiste. Les deux partis, naguère ennemis, fusionnent dans un Parti socialiste hongrois unifié. Si le chef du gouvernement est un social-démocrate, les postes clefs reviennent aux communistes. Bela Kun est ainsi commissaire aux Affaires étrangères et Tibor Szamuely secrétaire d’État aux affaires militaires afin de seconder le commissaire du peuple à la Défense Joszef Pogany.

Le 27 mars, le maréchal Foch présente au Conseil des Alliés un plan d’intervention militaire immédiate contre la Hongrie dans le but d’accélérer les pourparlers avec les autorités hongroises. C’est pour lui la première étape d’une entreprise plus grande puisqu’il propose également d’organiser une offensive avec des troupes finlandaises, polonaises, tchèques, roumaines, grecques et russes blanches, sous commandement français, contre la Russie soviétique. Si Churchill est favorable au plan Foch, Wilson, Loyd Georges et Clemenceau refusent sachant que les armées alliées ne sont plus totalement sûr comme l’ont montré les mutineries de la mer Noire. Les Américains refusent fermement la proposition et les Alliés décident seulement de soutenir l’armée roumaine qui doit empêcher la contagion bolchevique dans l’Europe danubienne. La Hongrie, pays vaincu, est alors enserrée par l’Entente dans un étau militaire. Sa position est d’autant plus difficile que pour les Alliés l’accession des communistes au pouvoir en Hongrie est une menace sérieuse. Elle peut servir de modèle pour l’Allemagne et ainsi remettre en cause la victoire de 1918.

Malgré cette hostilité, Kun envoie le 29 mars un message secret aux Alliés où il leur propose d’ouvrir des négociations sur la base des droits à l’autodétermination des peuples. Il promet en outre ne pas avoir d’intentions belliqueuses. Pourtant dans le même temps les Hongrois mettent sur pied une armée rouge.
Dans le gouvernement des commissaires du peuple, le social-démocrate Joszef Pogany est commissaire à la Guerre assisté par un comité militaire de 5 membres qui comptent en son sein Bela Kun, Vilmos Böhm, Béla Szanto, Reszo Fiedler et Joszef Haubrich. Un décret du 15 avril ordonne à ce comité de mettre sur pied une armée rouge hongroise de 7 divisions dont une doit être composée de Ruthènes. Il faut ajouter à ces divisions la division Szekely composée de Hongrois originaires de Transylvanie. C’est la seule division encore opérationnelle et qui se bat depuis l’automne contre les Roumains.

L’armée rouge hongroise voit officiellement le jour le 24 mars 1919. Ses effectifs progressent rapidement car si le 29 mars elle compte 11 000 volontaires, ils sont 35 000 le 4 avril et 53 000 le 15 avril. A la fin avril ce sont 16 000 soldats rouges qui défilent dans les rues de Budapest.

Le 18 avril, face à de nouvelles offensives roumaines et tchèques, le gouvernement hongrois lance un appel aux armes. Vilmos Böhm devient alors commandant en chef de l’armée rouge avec pour adjoint le colonel Aurél Stromfeld. Le recrutement est réorganisé pour l’élargir au-delà des seuls volontaires tandis que les conseils de soldats renaissent pour former l’ossature de la nouvelle armée. Pour éviter les conflits de compétence entre ces conseils et la hiérarchie militaire, Stromfeld obtient rapidement que l’activité des conseils n’interfère pas avec l’activité de l’état-major. Des mesures énergiques sont prises pour établir une véritable armée et non pas des milices. Ainsi concernant la discipline, le 25 avril, Böhm prévient que la non-obéissance aux ordres est passible de la cour martiale. Mais contrairement aux bolcheviks, les communistes hongrois sont encore trop peu nombreux pour occuper des postes de commandements et de contrôle dans l’armée et ils restent donc dominés au sein de l’état-major.

Les Hongrois peuvent également compter sur l’aide d’unités internationales institués le 4 avril et qui comptent prés de 2000 hommes en juillet 1919 sous le contrôle du communiste Mozes Gabor. Ces unités rassemblent des volontaires venus d’horizons différents. Il y a des anciens prisonniers de guerre russes, serbes mais aussi 300 Italiens, des ouvriers bulgares et polonais émigrés en Hongrie, un millier de volontaires autrichiens issus du 41° bataillon de la Volkswehr et commandé par le communiste Leo Rothziegel, quelques déserteurs serbes, roumains, français et slovaques. Ils forment d’abord trois puis quatre régiments. Le second est commandé par Rothziegel tandis que le troisième, le Bataillon rouge des Balkans, jouera un certain rôle dans la propagande communiste en Yougoslavie.

Un décret du 29 mars précise l’organisation de l’armée. C’est avant tout une armée de classe composé d’ouvriers ayant reçu la recommandation du Parti, des syndicats ou des conseils. Les grades et distinctions sont interdits même si un décret ultérieur rétablit l’ancienne terminologie des grades pour distinguer les échelons du commandement mais sans que cela ne corresponde à des différences de statut ou de solde. Si les officiers d’état-major, les commandants de divisions et de régiments sont désignés par le commissaire à la défense, les autres officiers sont directement élus par les conseils de soldats. Ces officiers doivent néanmoins au préalable faire l’objet d’une évaluation technique par un comité chargé de déterminer leur compétence. Des commissaires politiques sont également institués afin d’assurer l’agitation et la propagande dans l’armée mais cette fonction échappe aux communistes au profit des chefs syndicalistes.

Fin mars les Alliés restent divisés sur la question hongroise. La Roumanie, qui voit avant tout dans la Hongrie et la Russie deux menaces communistes, demande aux Alliés l’autorisation de chasser les communistes hongrois du pouvoir. Les Américains quant à eux craignent que l’option militaire contre la Hongrie n’encourage les militaires français qui aspirent à une nouvelle guerre contre l’Allemagne et la Russie. Alors que les responsables français sont partisans d’une intervention militaire, les Américains prêchent toujours la négociation. Les Alliés tombent malgré tout d’accord sur l’envoi d’une mission confiée au général sud-africain Smuts qui a pour but de freiner l’avance roumaine et de discuter avec les Hongrois de la question de la zone neutre.

Les propositions faites alors à Kun sont celles déjà présentées à Karoliy : l’acceptation des conditions de la note Vyx par les Hongrois entraînerait la fin du blocus et l’examen de manière bienveillante des questions territoriales avec les Roumains, les Tchèques et les Serbes. Kun, qui sait que l’armée rouge est encore embryonnaire, accepte de discuter et veut profiter de cette venue pour ouvrir des négociations. Smuts arrive à Budapest le 4 avril. Il défend la création de la zone neutre qui serait sous le contrôle de troupes françaises, britanniques et italiennes tandis que Kun demande l’application stricte de l’armistice de novembre. Devant l’impossibilité de concilier des positions antagonistes, Kun rejette les propositions de Smuts qui quittent alors la Hongrie.

Si les Yougoslaves refusent de s’en prendre à la Hongrie pour montrer leur mécontentement concernant le sort que leur réserve la Conférence de la paix, notamment sur les différents qui les opposent aux Italiens, les Tchèques et les Roumains sont quand à eux volontaires pour mettre à exécution la décision des Alliés de mettre la Hongrie au pas. La principale menace pour les Hongrois vient toujours de l’Est, de la Roumanie.

Sur le front roumain, l’armée hongroise passe bientôt de 20 000 à 60 000 hommes et s’essaye à l’amalgame des anciens officiers et troupes d’élite de l’armée austro-hongroise avec les volontaires inexpérimentés. Cette armée possède 5 trains blindés et 137 canons. Face à eux se trouvent 64 divisions d’infanterie roumaines, 28 escadrons de cavalerie, 160 canons, 32 obusiers, un train blindé, 3 escadrilles aériennes et deux bataillons de pionniers. Cette armée roumaine de Transylvanie, commandée par le général Georges Mardarescu est divisée en deux groupes, un au nord et l’autre au sud. Le plan roumain prévoit en effet de frapper avec le plus de force au nord pour s’emparer de Carei et Oradea afin d’isoler la division Szekely, unité d’élite hongroise. Le groupe du sud doit pendant ce temps s’emparer de Radna et Beius et servir de pivot pour la manœuvre de flanc du groupe nord. Le but de l’offensive est d’atteindre la rivière Tisza.

Conscient des préparatifs roumains, les Hongrois se retranchent et dans la nuit du 15 au 16 avril, après une préparation d’artillerie, ils attaquent les 6° et 7° divisions d’infanterie roumaines dans la vallée de Koros. Cette action offensive, qui donne peu de résultats, offre aux Roumains l’occasion de lancer une attaque sur l’ensemble du front. Ils repoussent les Hongrois, s’emparent, après de violents combats, des cols de montagnes, et avancent vers l’ouest. Le 18, le front hongrois est rompu. Les 1° et 2° division d’infanterie légère roumaines s’emparent durant la journée des vallées de la Mures et de Crisu. Carei est prise le 19, Prontea et Salonta tombent le 20. Pendant ce temps les troupes françaises coupent les lignes téléphoniques et télégraphiques entre Budapest et le monde extérieur.

Fin avril, quand les troupes roumaines atteignent la Tisza, une crise éclate au sein du gouvernement hongrois entre ceux qui veulent capituler et ceux qui au contraire souhaitent résister. Kun pose le débat devant le Grand conseil révolutionnaire des ouvriers et des soldats de Budapest, sorte de parlement révolutionnaire. Le Grand conseil vote pour la défense armée de la révolution. En 10 jours il parvient à mobiliser et armer les 50 000 hommes qui lancent l’offensive sur la Slovaquie.

Au nord, avec l’accord des Alliés, les troupes tchèques passent à l’attaque le 27 avril. Elles s’emparent de Chop puis de Moukatcheve où s’établit une liaison avec les troupes roumaines. Le 2 mai la mobilisation générale commence en Hongrie. Mais ce même jour les Roumains sont seulement à 100 km de Budapest. Kun est alors obligé de demander la fin des hostilités. Il propose de reconnaître les demandes territoriales roumaines en échange d’un renoncement à toute intervention dans les affaires intérieures hongroises. Sous la pression des Alliés les Roumains acceptent seulement de cesser les hostilités.

Fin mars 1919, quand les communistes prennent le pouvoir en Hongrie, des unités de l’armée rouge soviétique se trouvent en Galicie prés de Brodov, soulevant chez les Hongrois l’espoir d’une prochaine jonction militaire avec l’Ukraine rouge par le biais de la Galicie et de la Bukovine. Lénine et Trotsky pensent d’ailleurs être en mesure à ce moment là de réaliser cette encontre. Ils demandent à Khristian Rakovski, secrétaire du conseil des commissaires du peuple d’Ukraine, et à Vladimir Antonov-Ovseenko, commandant du front ukrainien, que l’armée rouge porte son effort en direction de Czernowitz afin d’établir le contact avec les Hongrois.

Pour les Alliés, la perspective d’une possible jonction entre l’armée rouge soviétique et l’armée rouge hongroise est le pire des scénarios possibles. Pour l’éviter il est nécessaire d’empêcher que les Hongrois ne prennent le contrôle de la Galicie. La géographie semble en effet favorable aux communistes puisque la Ruthénie subcarpatique, la partie orientale du royaume de Hongrie (actuellement en Ukraine) et l’Ukraine soviétique ne sont séparés que par 200 km. Les Hongrois cherchent alors à contrôler la ligne ferroviaire qui partant de l’est de la Hongrie à Szatmar-Nemeti (actuellement Satu Mare en Roumanie) rejoint Cernowitz en Ukraine par Kolomyia. Mais cette région est déjà revendiquée par au moins cinq États : alors que les nationalistes ukrainiens revendiquent la Bukovine et la Galicie occidentale, la Pologne a des prétentions sur la Galicie, la Tchécoslovaquie veut s’emparer de la région de Moukatcheve et la Roumanie de la Bukovine. (…)

Tout au long du mois d’avril 1919, malgré les déconvenues, les communistes hongrois peuvent croire que le vent de l’Histoire souffle dans leur sens. L’élan révolutionnaire en Europe n’est pas stoppé. L’établissement de la République des Conseils en Bavière le 7 avril, la tentative insurrectionnelle qui touche Vienne le 17 avril et la progression soviétique en Ukraine renforcent l’espoir d’obtenir une aide extérieure. Mais la situation de la République des Conseils est précaire après la défaite contre les Roumains. Ces faiblesses encouragent les menées des contre-révolutionnaires hongrois qui se trouvent à Vienne. Le 6 mai, ces derniers forment un gouvernement à Arad, sous la direction de Julius Karolyi, soutenu par l’armée française. Ce gouvernement se transporte rapidement à Szeged et donne pour mission à l’amiral Horthy de former une armée nationale avec l’aide des Français et des Yougoslaves.

Pour renforcer sa position affaiblie par la défaite face aux Roumains, Kun décide alors de passer à l’attaque au nord contre les Tchèques qu’il juge être le maillon faible des forces encerclant la Hongrie. Il est vrai que les Roumains ont déjà prouvé leurs forces tandis qu’au sud les Serbes sont intouchables du fait de la présence de troupes françaises en Serbie. L’attaque au nord doit surtout faciliter l’établissement d’un contact avec les Soviétiques. Il est en effet vital d’empêcher que la jonction des troupes tchèques et roumaines qui se profile ne ferme la trouée de Moukatcheve par où peut s’opérer la rencontre avec les Soviétiques.

La Hongrie rouge mobilise toutes les ressources nécessaires pour son offensive dans le nord. L’ensemble des hommes de 19 à 25 ans sont enrôlé ainsi que les anciens officiers de l’armée austro-hongroise. Cet effort permet aux Hongrois de concentrer rapidement deux divisions, les 1° et 5°, regroupant prés de 40 bataillons, dans le nord.

Ce n’est pas la première fois que les Hongrois se confrontent aux Tchèques. En décembre 1918 des combats ont opposé prés de Bratislava des troupes hongroises et tchèques. A cette occasion un détachement hongrois, commandé par les communistes Jeno Laszlo et Gabor Kohn, a occupé la ville le 30 décembre et proclamèrent un république des conseils qui fut balayée seulement 23h plus tard par l’avancée de l’armée tchèque. Par la suite les communistes hongrois font de la propagande en Slovaquie obligeant les autorités tchèques à déclarer la loi martiale. Pour empêcher les immixtions hongroises, les autorités tchèques autorisent les généraux Piccione et Hennocque à organiser l’occupation militaire des territoires hongrois attribués par les Alliés aux Tchèques soit la Ruthénie et la Slovaquie du sud. (…)

L’acceptation de l’ultimatum de Clemenceau et le retrait des troupes de Slovaquie sont des coups rudes pour la République des conseils. Alors que le moral de l’armée fléchit, Vilmos Böhm et Aurel Stromfeld, en désaccord avec les décisions de Kun, démissionnent et sont remplacés par Jeno Landler et le général Julier qui ne parviennent pas à redonner une cohésion à l’armée malgré l’arrivée de nombreux communistes dans les rangs. La confiance dans le gouvernement des conseils semble rompue et les soldats ne croient plus en la victoire.

Si la menace d’une invasion alliée a joué son effet, la décision de Kun s’explique également par un contexte international moins favorable aux Hongrois. Alors qu’en mars et avril à Munich les conseils proclamaient leur soutien à la Hongrie et que des cheminots bloquaient les voies ferrées pour empêcher le transport du matériel des Alliés, le 2 mai la république des conseils de Bavière s’effondre. A l’est, le renforcement des armées russes blanches par les Alliés maintient l’encerclement militaire de la Russie soviétique et provoque un regain de la guerre civile qui tempère toutes velléités d’action en direction du Danube, même si en juin arrivent à Budapest deux officiers soviétiques, des proche de Rakovski, chargés d’organiser les prisonniers russes devant servir dans l’armée rouge hongroise.

Afin de soutenir les républiques soviétiques en péril, le Komintern n’a comme moyen d’action qu’un appel à une grève générale mondiale le 21 juillet. Sans effet en France ni en Angleterre, des manifestations ont lieu ce jour là en Autriche et en Italie. La journée rencontre également un grand écho en Roumanie, notamment à Bucarest paralysé par la grève. Dans l’armée des régiments exigent la démobilisation, et en juillet des soldats du 107° régiment d’infanterie d’Alba Julia rejoignent l’armée rouge. Le gouvernement roumain réagi par des arrestations mais la contestation ne parvient pas à disloquer l’armée.

Source

Le « Conseil des quatre » (les quatre principaux impérialismes opposés à l’Allemagne, réuni à Paris en 1919, fait ses commentaires de la révolution russe, hongroise et européenne :

24 mars 1919

Clemenceau : Le péril bolcheviste s’étend en ce moment vers le sud et vers la Hongrie ; il continuera à s’étendre tant qu’il ne sera pas arrêté ; il faut l’arrêter à Odessa et à Lemberg. (...)

26 mars 1919

Lloyd George : Si les dirigeants allemands arrivent à la conclusion que ce qu’ils ont de mieux à faire est d’imiter la Hongrie et de faire alliance avec les Bolcheviks, s’ils préfèrent le risque d’une anarchie de quelques années à une servitude de trente-cinq ans que ferons-nous ? (...) Si nous avions à occuper un pays très peuplé, comme la Westphalie, tandis que l’Allemagne autour de nous se relèverait ou serait agitée par un bolchevisme contagieux, quels ne seraient pas nos dépenses et nos risques ? (...) Ma conviction est que les Allemands ne signeront pas les propositions qu’on envisage (...) L’Allemagne passera au Bolchevisme. (...)

27 mars 1919

Maréchal Foch : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. En ce qui concerne particulièrement la Roumanie, les mesures nécessaires sont prévues en détail pour envoyer à son armée les effets et équipements qui lui manquent. Cette armée sera placée sous le commandement d’un général français. Vienne sera occupée par des troupes alliées sous un commandement américain. (...) Nous sommes d’accord sur l’aide à donner à l’armée roumaine et sur l’évacuation d’Odessa, qui est liée à notre action en Roumanie. (...) Quant à l’idée d’opérer la jonction entre les forces polonaises et roumaines pour faire face à l’est, c’est le prélude d’une marche vers et cela nous conduit à la question d’une intervention militaire en Russie. Nous avons examiné cette question plus d’une fois et nous sommes chaque fois arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas penser à une intervention militaire. (...) L’évacuation d’Odessa est considérée comme le moyen de reporter des ressources, dont l’emploi à Odessa ne pouvait conduire à aucun résultat satisfaisant, sur la Roumanie pour compléter ses moyens de défense. (...)Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. (...) Contre une maladie épidémique, on fait un cordon sanitaire : on place un douanier tous les deux cent mètres et on empêche les gens de passer.

29 mars 1919

Lloyd George : Il n’est pas de l’intérêt du gouvernement allemand de nous empêcher de former une barrière contre le bolchevisme. (...) Sachons prendre une décision ; ne faisons pas avec la Hongrie comme avec la Russie ; une Russie nous suffit.

31 mars 1919

Pichon : Que s’est-il passé (en Hongrie) ? (...) Le départ du comte Karoliyi et (. .) la chute du gouvernement (...). Une république des soviets a été proclamée. Nos missions ont été chassées et le premier acte du nouveau gouvernement a été de s’adresser à Lénine et de lui dire qu’on était prêts à marcher avec lui. (...)
Président Wilson : Il faut avant tout éclaircir la situation. Le gouvernement de Budapest (...) est un gouvernement de soviets parce que c’est la forme de gouvernement à la mode et il peut y avoir bien des espèces de soviets.
Pichon : La Hongrie nous répond par la révolution, par l’expulsion de nos missions. Nous sommes liés à la Roumanie, à qui nous avons promis de libérer les populations transylvaines.
Président Wilson : Il faut éviter, par une attitude trop dure, de pousser un pays après l’autre dans le bolchevisme. Le même danger existe à Vienne. Si nous avions à jeter là une ligne de démarcation, Vienne pourrait se jeter le lendemain dans le bolchevisme. Si de pareils événements se répètent, nous n’aurons pas de paix, parce que nous ne trouverons plus personne pour le conclure. En ce qui concerne la Hongrie (...) il ne servirait à rien de lui dire « Nous ne voulons rien avoir à faire avec vous (...) nous n’avons jamais rien eu à faire, ni les uns ni les autres, avec des gouvernements révolutionnaires. » Quant à moi, je suis prêt à entrer en conversation avec n’importe quel coquin (...)
Lloyd George : Le comte Karolyi est un homme fatigué, qui a jeté le manche après la cognée, et le bolchevisme n’a eu qu’à prendre une place vide.

8 avril 1919
Orlando : Nous avons reçu un télégramme de notre légation en Suisse nous annonçant que la proclamation de la république des soviets à Vienne est probable pour le 14 de ce mois, à moins que Vienne ne soit occupée par les Alliés.
Lloyd George : Qui propose-t-on d’envoyer occuper Vienne ? pourquoi, si nous suivions ces suggestions, n’occuperions-nous pas l’Europe entière ? Nos représentants à Berlin nous tiennent le même langage ; il n’y aurait plus de raison de s’arrêter. (...) J’ai reçu un télégramme du War Office me faisant connaître que la situation en Allemagne s’aggrave et que l »on craint une catastrophe. (...) Aujourd’hui, nous apprenons la proclamation de la république des soviets en Bavière. Le danger est que, quand nous demanderons aux délégués allemands : « qui représentez-vous ? », ils ne sachent que répondre. (...) Nous sommes d’accord pour examiner ce que nous aurons à faire non seulement si l’Allemagne tombe en décomposition, mais aussi si la situation s’aggrave en Autriche et dans les pays voisins. (...) »

19 mai 1919

Président Wilson : La situation à Varsovie est certainement dangereuse. L’opinion est très montée et aux excitations nationalistes se mêlent des menaces de grève générale des postes et des chemins de fer. (...) Paderewski nous avertit qu’une intransigeance complète de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...) Le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. Il n’y aurait pas de résistance. (...) On nous conseille d’envoyer à Budapest une mission politique ayant à sa tête un homme comme le général Smuts pour assurer l’établissement d’un gouvernement stable. (...)
Lloyd George : Nous sommes au milieu des sables mouvants. (...) Avez-vous vu le télégramme de Lénine qui accuse les troupes de Denikine d’atrocités. J’ai bien peur qu’en fait les atrocités n’aient lieu des deux côtés. Que penser des victoires de Koltchak ? (...)
Président Wilson : Même incertitude au sujet de la Hongrie. Nous recevons des rapports sur l’impopularité de la dictature du prolétariat. (...) La conclusion de mon représentant est que le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. (...)
Clemenceau : Il me paraît bien difficile d’occuper Budapest. Que nous demandera-t-on d’occuper ensuite ? Ce n’est pas la première fois qu’on nous invite à occuper telle ou telle partie de l’Europe. (...)
Président Wilson : J’ai donné au Département d’Etat l’instruction d’entrer directement en communication avec l’amiral Koltchak et de lui poser un certain nombre de questions, notamment sur ses intentions en ce qui concerne l’Assemblée Constituante et le régime agraire.

9 juin1919
Président Wilson : Je prie les membres du Conseil militaire interallié de nous faire connaître la situation militaire en Hongrie. (...)
Lloyd George : J’ai des informations récentes d’un Anglais, venu de Budapest, et d’ailleurs très hostile à Bela Kun. Il rejette toute la faute de ce qui est arrivé sur les Roumains. (...) Bela Kun, à ce moment, était perdu. Il était isolé dans Budapest. Sa situation pouvait se comparer à celle de la Commune de Paris immédiatement avant sa chute. L’avance des Roumains a soulevé le sentiment national hongrois et donné à Bela Kun une armée (...) J’ai reçu deux télégrammes de notre représentant militaire à Prague. Le premier dit que la situation est très grave, que les Tchèques manquent de munitions, que Presbourg est menacé et que le bolchevisme se développe en Slovaquie. Le second annonce qu’à la requête du Président Masaryk, le général Pellé a été placé à la tête de l’armée tchécoslovaque et la loi martiale proclamée à Presbourg. (...) Le général Franchet d’Esperey, qui nous représente tous, a donné une première fois aux Roumains ordre de s’arrêter. Cet ordre n’a pas été obéi. (...) Je propose d’arrêter tout envoi de matériel à la Roumanie jusqu’à ce qu’elle ait obéi à notre ordre. (...) La plus grande partie de nos difficultés vient de ce que les Etats qui sont nos amis refusent de suivre nos instructions. (...)
Président Wilson : Je n’aime pas jouer les dépôts de munitions. Cela peut produire des explosions. (...)
Lloyd George : Les Allemands ne savent plus où ils en sont. Ils ressemblent à un homme pris dans un cyclone, à qui l’on demanderait tout à coup : « à quel prix vendez-vous votre cheval ? » D’ailleurs nous sommes un peu dans la même situation. (...) Il faut aboutir. Nous ne pourrons tenir aucune des autres nations tant que nous n’aurons pas fait la paix avec l’Allemagne. »
10 juin 1919
Président Wilson : Nous vous avons convoqués, Messieurs, parce que nous sommes très préoccupés de la situation militaire en Hongrie et autour de la Hongrie. (...) Cette seconde offensive (roumaine) a eu comme conséquence la chute de Karolyi, dont l’attitude envers l’Entente était plus amicale que celle d’aucun autre homme d’Etat hongrois .C’est alors que Bela Kun s’empara du pouvoir. Son gouvernement n’était pas de nature à être accepté par les classes les plus établies de la population. Mais quand les Tchèques, à leur tour, attaquèrent le territoire hongrois. On nous rapporte que les officiers de l’ancienne armée hongroise eux-mêmes vinrent se ranger autour du gouvernement de Bela Kun. Celui-ci donc arrivé au pouvoir en conséquence de l’offensive roumaine y a été consolidé par l’offensive tchèque. Rien ne peut être plus fatal à notre politique. (...) Nous devons éviter de créer nous-mêmes le bolchevisme en donnant aux populations des pays ennemis de justes raisons de mécontentement. »

17 juin 1919
Lloyd George : Le Conseil économique nous demande s’il n’y a pas lieu de lever le blocus de la Russie bolcheviste et de la Hongrie dès la signature du traité avec l’Allemagne. La question, en réalité, se borne à savoir si les allemands seront les seuls à avoir le droit de commercer avec la Russie. (...) Si je croyais que nous puissions écraser les Bolcheviks cette année, je serai d’avis de faire un grand effort auquel participeraient les flottes anglaise et française. Mais l’amiral Koltchak vient d’être repoussé à trois cent kilomètres en arrière. Une des ses armées est détruite. (...) Pour moi, l’amiral Koltchak ne battra pas Lénine. Il arrivera plutôt un moment où les adversaires se rapprocheront pour mettre fin à l’anarchie. Il semble que les affaires militaires des Bolcheviks soient bien conduites. Mais les observateurs qui nous renseignent disent que la pure doctrine bolcheviste est de plus en plus abandonnée et que ce qui se constitue là-bas, c’est un Etat qui ne diffère pas sensiblement d’un Etat bourgeois.

Léon Trotsky - Pour un bilan de la révolution hongroise

Lire encore sur la révolution hongroise de 1919

Le royaume de Hongrie avant 1914

La Hongrie du début de la guerre en 1914 à la vague de grève de 1917

La Hongrie soviétique de 1919

Chronologie de la révolution et de la contre-révolution en Hongrie

Encore sur la révolution hongroise de 1919

Les guerres de la Hongrie rouge

Bulletin périodique de la presse hongroise

Le Populaire commente la révolution hongroise

La Révolution d’Octobre et la République des conseils en Hongrie, Par Balazs Nagy

La révolution hongroise de 1919

In english :

Bela Kun - The Revolution in Hungary

Bela Kun - Materials for the History of the Birth of the Hungarian Revolution

Bela Kun - A School of Social Revolution

Vladimir Lenin - Speech At A Rally - In Honour Of The Austro-Hungarian Revolution

V. I. Lenin - Record Of Wireless Message To Béla Kun

Writings of Bela Kun

Bela Kun - Materials for the History of the Birth of the Hungarian Revolution

La fin... de l’histoire en 1928...

« Visitons la galerie de l’Internationale stalinienne en commençant par quelqu’un, je citerai tout d’abord Bela Kun, sans vouloir par là exagérer son importance, ni dans le bon ni dans le mauvais sens. En toute justice, il faut reconnaître que Bela Kun n’est pas le pire élément des milieux dirigeants de l’Internationale ; deux autres communistes hongrois le complètent : Varga et Pepper. Tous les trois, intervenant presque continuellement comme professeurs et directeurs de conscience des sections nationales, jouent un rôle international. Deux d’entre eux, Kun et Pepper, sont des spécialistes hautement qualifiés de la lutte contre le " trotskysme ". L’éphémère République soviétique hongroise leur confère encore un certain lustre d’autorité. Cependant, il ne faut pas oublier que ces politiques n’ont pas eu à prendre le pouvoir : il leur fut mis sous le nez par une bourgeoisie acculée à l’impasse. Ayant pris le pouvoir sans combat, les dirigeants hongrois montrèrent qu’ils n’étaient pas de taille à le garder. Leur politique fut une chaîne d’erreurs. Bornons-nous à en mentionner deux chaînons : premièrement, ils oublièrent l’existence de la paysannerie et ne lui donnèrent pas la terre ; deuxièmement, dans leur joie, ils firent fusionner le jeune Parti communiste avec la social-démocratie de gauche dès que celle-ci s’accrocha au pouvoir. Ils montrèrent ainsi – et Bela Kun en tête – que l’expérience russe ne leur avait appris à comprendre ni la question paysanne ni le rôle du parti dans la révolution. Naturellement, ces fautes qui coûtèrent la vie à la révolution hongroise s’expliquent par la jeunesse du parti hongrois et par l’extrême manque de préparation politique de ses chefs. Mais n’est-il pas stupéfiant que Bela Kun, comme son ombre social-démocrate Pepper, puisse se croire désigné pour dénoncer en nous, oppositionnels, une sous-estimation des paysans et une incompréhension du rôle du Parti ? Où est-il dit qu’un homme qui, par légèreté, a cassé bras et jambes à ses familiers est promu, de ce fait, au titre de professeur de chirurgie ?

Lors du IIIe Congrès, Bela Kun, flanqué de son indispensable complément, adopta une attitude ultra-gauchiste. Ils défendirent la stratégie qui fut appliquée en Allemagne, en mars 1921, et dont Bela Kun était l’un des principaux inspirateurs. Ils partaient du point de vue que, si l’on ne provoquait pas tout de suite la révolution en Occident, la République soviétique était vouée à la mort. Bela Kun chercha maintes fois à me convaincre de " tenter la chance " dans cette voie. J’ai toujours repoussé son " aventurisme " et, avec Lénine, je lui ai expliqué, au IIe Congrès, que la tâche des communistes européens est de " sauver " l’U.R.S.S. non pas en procédant à des mises en scène révolutionnaires, mais en préparant sérieusement les partis européens à la prise du pouvoir. Aujourd’hui, Bela Kun, avec les Pepper de tout poil, croit pouvoir m’accuser de " scepticisme " envers les forces vives de la République soviétique ; d’après lui, je spéculerais uniquement sur la révolution mondiale. Ce qu’on appelle l’ironie de l’histoire revêt ici l’aspect d’une véritable bouffonnerie. A vrai dire, ce n’est pas fortuitement que le IIIe Congrès entendit retentir comme un leitmotiv la formule de Lénine : " Tout cela, par la bêtise de Bela Kun. " Et lorsque, dans mes conversations privées avec Lénine, j’essayais de prendre la défense de Bela Kun contre des attaques trop cruelles, Lénine répondait : " Je ne conteste pas que ce soit un homme combatif, mais en politique il n’est propre à rien ; il faut faire en sorte que personne ne le prenne au sérieux. "

Quant à Pepper, c’est le prototype de l’adapté, du client politique. De tels individus se sont toujours posés et se poseront toujours sur toute révolution victorieuse aussi infailliblement que les mouches sur le sucre.

Après la catastrophe de la République soviétique hongroise, Pepper chercha à entrer en contact avec le comte Karolyi. Lors du IIIe Congrès, il était ultra-gauchiste. En Amérique, il se fit le héraut du parti La Follette et entraîna le jeune Parti communiste dans le marais jusqu’à la ceinture. Inutile de dire qu’il s’est fait le prophète du socialisme dans un seul pays et qu’il est devenu l’un des plus farouches antitrotskystes. C’est aujourd’hui sa profession, comme d’autres tiennent une agence matrimoniale ou vendent des billets de loterie.

Il faut répéter de Varga ce que j’en ai déjà dit : qu’il est le type achevé du Polonius théoricien, au service de toutes les directions de l’Internationale communiste. Il est vrai que ses connaissances et ses qualités d’analyse font de lui un militant utile et qualifié. Mais il n’y a pas trace en lui de force de pensée ou de volonté révolutionnaire. Il était brandlérien sous Brandler, maslovien sous Maslov, thaelmannien sous ce néant qui a nom Thaelmann. Consciencieusement et scrupuleusement, il sert toujours les arguments économiques de la ligne politique adverse. Quant à la valeur objective de ses travaux, elle se limite entièrement à la qualité politique de la commande, sur laquelle il n’a lui-même aucune influence. Il défend la théorie du socialisme dans un seul pays, comme je l’ai dit, en excipant du manque de culture politique de l’ouvrier russe, qui a besoin de perspectives " consolantes ". »

Léon Trotsky

source

Extrait de « Les cent jours de Béla Kun » :

« En 1936, le premier grand procès fit disparaître avec Kamenev et Smirnov, Zinoviev, président du Komintern.

Béla Kun, considéré comme « zinoviéviste », fut rappelé en Russie. Il arriva à Moscou au début de 1937. Peu après, un jour de printemps, le comité exécutif fut convoqué. Dimitrov présida la séance. A la stupeur générale, il annonça l’importance de l’ordre du jour : l’affaire Béla Kun.

Le rapporteur, Manouilsky, homme de confiance de Staline, accusa son collègue hongrois de déviation…

Manouilsky accusa Béla Kun d’avoir toujours été déviationniste, même à l’époque où il avait été le chef de la dictature du prolétariat hongrois. Il alla jusqu’à l’accuser d’avoir été en même temps au service de la police secrète roumaine….

Sa plaidoirie tomba dans un silence lâche…

L’affaire fut transmise à une commission spéciale et l’accusé fut suspendu de toutes ses fonctions. A la sortie de la salle, deux agents du G.P.U. l’attendaient.

Il devait disparaître quelques mois plus tard, à l’époque où des amis de Lénine avouèrent, sur l’ordre de Staline, qu’ils étaient des traîtres.

Béla Kun ne s’y conforma pas. Il refusa de témoigner contre Radek. Il invectiva les enquêteurs du G.P.U. :

 Je veux prouver devant le monde entier que vous avez trahi la cause du prolétariat international !

Il fut fusillé sans procès… »

Messages

  • Léon Trotsky

    Pour un bilan de la révolution hongroise

    1° août 1930

    Chers camarades,

    Votre idée d’unifier les éléments prolétariens dirigeants dans l’émigration hongroise en relation étroite avec les éléments révolutionnaires à l’intérieur de la Hongrie pour opposer le léninisme au stalinisme et au Bela-Kunisme - cette idée découle de toute la situation et ne peut être que bienvenue.

    La révolution hongroise, comme toute révolution qui a échoué, a signifié une importante émigration. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’il arrive que la tâche des émigrés soit d’aider la préparation d’une nouvelle révolution.

    Que faut-il pour cela ? Examiner l’expérience de la première révolution hongroise. Cela veut dire examiner par une impitoyable critique la direction de Bela Kun et compagnie. La force du bolchevisme, qui lui a permis de réaliser la révolution d’Octobre, réside en deux choses : une compréhension juste du rôle du parti comme une sélection systématique des éléments de la classe les plus solides et les plus trempés, et une politique juste dans les rapports avec la paysannerie, en premier lieu sur la question de la terre. En dépit du fait que Bela Kun a assisté de près à la révolution d’Octobre, il n’en a pas compris la force originelle ni la force (sic) ; et quand les circonstances l’eurent élevé au pouvoir, il procéda à la légère à la fusion des communistes avec les social-démocrates de gauche et, dans l’esprit des mencheviks russes, tourna complètement le dos à la paysannerie sur la question de la terre. Ces deux erreurs fatales prédéterminèrent l’effondrement rapide de la révolution hongroise dans les difficiles conditions où elle se produisit.

    Il est possible d’apprendre de ces erreurs. Il faut apprendre des défaites. Mais Bela Kun, Pogany (Pepper), Varga et les autres n’en ont rien fait. Ils ont soutenu toutes les erreurs, toutes les vacillations opportunistes, toutes les explosions aventuristes dans tous les pays. En Union Soviétique, ils ont participé activement à la lutte contre les bolcheviks-léninistes, à cette persécution qui était reflétée dans l’attaque de la nouvelle petite bourgeoisie et de la bureaucratie contre les ouvriers. Ils ont soutenu la politique de Staline et de Martynov en Chine qui a conduit si inéluctablement à la ruine de la révolution chinoise, la même politique au moyen de laquelle Bela Kun avait un peu plus tôt anéanti la révolution hongroise. Eux, les Bela Kun, Pogany, Varga et autres, ont soutenu la politique du comité syndical anglo-russe, cette honteuse capitulation du communisme devant les briseurs de grève qui ont pour des années brisé l’épine dorsale du parti communiste britannique. Particulièrement fatal peut-être a été le rôle de Bela Kun en Allemagne. A l’époque des journées de mars, en 1921, il soutint le soulèvement révolutionnaire quand il n’existait pour cela aucune précondition objective. En 1923, avec Staline, il laissa passer la situation révolutionnaire. En 1924 et 1925, alors qu’il était clair que la situation révolutionnaire relevait déjà du passé, Bela Kun soutint la politique des soulèvements armés. En 1926 et 1927, avec Varga, ils apparurent comme des protagonistes de la politique opportuniste de Staline et Boukharine qui signifiait la capitulation devant la social-démocratie. En février 1928, Kun, avec Staline et Thaelmann découvrit soudain en Allemagne une situation révolutionnaire immédiate. Pendant les deux dernières années, la fâcheuse politique de la "troisième période" affaiblit tous les partis de l’I.C. et le parti hongrois aussi. Si aujourd’hui, alors que la crise mondiale donne au communisme des tâches grandioses, les sections de l’I.C. se montrent incommensurablement plus faibles que ce qu’elles auraient pu être, une partie importante du blâme pour cela retombe lourdement sur la direction officielle du parti hongrois qui, jusqu’à maintenant, s’est couverte de l’autorité empruntée à la révolution hongroise, en dépit du fait que, précisément, il l’a conduite à la ruine.

    Une lutte contre le Bela-Kunisme en Hongrie signifie en même temps une lutte contre ce régime de fonctionnaires absents et impudents qui plus ils continuent, font du mal à l’I.C. Sans se libérer du Bela-Kunisme, l’avant-garde prolétarienne hongroise ne peut s’unir en un parti communiste efficace.

    Il est tout à fait naturel que les communistes en émigration prennent l’initiative d’offrir leur aide théorique et leur solidarité politique aux révolutionnaires qui luttent à l’intérieur de la Hongrie. Depuis 1924, c’est-à-dire depuis le début de la réaction en U.R.S.S., Staline et Molotov ont mis à la mode une attitude de mépris à l’égard des "émigrés" révolutionnaires. Ce seul fait suffit à mesurer la profondeur de la dégénérescence des dirigeants de l’appareil ! Marx et Engels dans l’ancien temps disaient que le prolétariat n’avait pas de patrie. A l’époque de l’impérialisme, c’est encore plus vrai. Et s’il en est ainsi, il est alors possible de dire honnêtement que, pour le révolutionnaire prolétarien, il n’y a pas d’émigration : en d’autres termes, l’émigration a un sens policier, pas politique. Dans tous les pays où il y a des ouvriers et une bourgeoisie, le prolétaire trouve sa place dans la lutte.

    Ce n’est que pour le nationaliste petit-bourgeois que l’"émigration" peut constituer une rupture avec la lutte politique : est-il juste d’interférer avec les affaires d’autres peuples ? Pour les internationalistes, la cause du prolétariat dans tous les pays n’est pas une autre, mais sa propre cause. Les ouvriers hongrois dirigeants sont d’autant plus capables d’aider la lutte révolutionnaire en Hongrie, aujourd’hui et à l’avenir, qu’ils ont été plus étroitement liés au mouvement révolutionnaire dans le pays où le sort les a jetés. Ce sont précisément les "émigrés" ouvriers, éduqués par l’Opposition de gauche, c’est-à-dire les bolcheviks-léninistes, qui peuvent constituer les meilleurs cadres d’un parti communiste hongrois renaissant.

    L’organe que vous devez créer a pour tâche de lier les ouvriers hongrois avancés, dispersés dans différents pays, non seulement en Europe mais aussi en Amérique. les lier non pour les séparer de la lutte de classe dans les pays où ils sont allés ; au contraire, de les appeler à participer à la lutte ; de leur apprendre à utiliser leur situation d’émigrés pour élargir leur horizon, s’affranchir des limitations nationalistes, de s’éduquer et de se tremper dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien.

    De tout mon cœur, je vous souhaite le succès !

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