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Léon Zwingelstein - La montagne : art, passion et dépassement de soi...

samedi 28 décembre 2019, par Robert Paris

Il était une fois… une montagne avec des montagnards et des amoureux de la montagne et sans le commerce et la spéculation financière sur la montagne…

Des stations de ski, des téléphériques, des télécabines, des « activités » d’été et d’hiver, de l’hôtellerie-restauration-activités sportives-animations, des villes et villages entièrement dédiés au tourisme : la « montagne » a disparu, les montagnards aussi… Le « cadre » est bétonné, instrumentalisé, déformé… Même ceux qui s’y promènent ne sont plus des « montagnards » mais des touristes ou des sportifs, sinon des professionnels pour les accueillir. Et surtout, ce qui guide leurs activités, leurs choix, leurs goûts, leurs plaisirs, c’est ce qui est déterminé par les décideurs, c’est-à-dire par le capital qui s’investit dans ces « stations de montagne », ces « investissements de montagne », ces spéculations sur l’ « or blanc »… La montagne peut être entièrement bétonnée, défigurée, détournée, mais l’argent coule à flot, achète les municipalités, les mairies, les paysans, les bergers s’il le faut… Il ne s’agit pas de reprocher aux gens d’accepter un travail, d’abandonner une vie d’efforts et de misère, pour une vie un petit peu plus confortable. Il ne s’agit pas de refuser « le progrès » et d’idéaliser le passé. Non, seulement, il s’agit de rappeler que… il était une fois une montagne… Et que le capital, avec la course au profit sans limite, sans respect de l’homme et de la nature, a détruit irrémédiablement cette ancienne montagne que rien, plus rien, ne permet de rappeler, pas même de vieilles photos et des discours qui ne peuvent qu’apparaitre vieux et passéistes, même s’ils ne le sont nullement… L’un des rares domaines où l’homme se trouvait confronté à ce qu’on pourrait appeler « la nature » n’existe plus, même dans les mémoires…

Est-ce que la montagne est un sport ou une passion ?

Ceux qui prennent les remontées mécaniques, puis descendent à ski à toute vitesse, pour remonter, disent : un sport !

Ceux qui se paient des téléphériques pour se faire photographier devant le sommet et dire « j’ai fait le… », comme ils ont « fait la Tunisie », « fait le Vietnam », « fait l’Inde » ou « fait la Tour Eiffel !!! », etc… disent : c’est du tourisme !

Ceux qui marchent sur les chemins à pied, doucement ou qui grimpent sur les rochers et glaciers, disent plutôt : une passion.

Pas besoin d’être un « grand » alpiniste ou un « grand » skieur pour être « un montagnard ». Pas besoin d’habiter la montagne ou d’y être né. C’est plus une question d’état d’esprit. Il suffit d’en entendre la poésie, y compris sur un chemin de montagne « à vaches »… Il ne faut pas rechercher spécialement l’exploit ou la notoriété ou l’excitation mais plutôt écouter sa poésie personnelle au contact de la nature un peu préservée, si on la trouve encore…

Si vous étiez de l’époque des débuts de l’alpinisme, vous aviez une chance sur deux : ou « sportsman » à l’anglaise ou amateur et professionnels passionnés… Aujourd’hui, à l’époque de la montagne vendue en tranches, de l’or noir, il y a une chance sur cent que vous connaissiez la montagne-passion… Dommage ! C’est comme les idées, c’est comme la philosophie, c’est comme la poésie, c’est comme la pensée désintéressée, c’est comme la révolution, ce passé de mode, pour le moment…

Pour faire ressurgir ce passé, donnons la parole à un grand silencieux de son vivant déjà : Léon Zwingelstein. Vous ne connaissez pas ! Normal ! Il ne voulait pas spécialement être connu. C’est le grand inventeur des raids alpins à ski au travers des Alpes, ainsi que de nombreuses techniques d’alpinisme et de ski, ainsi que d’itinéraires audacieux en haute montagne. Mais, plus encore, c’est le découvreur de la vie en montagne sans filet, sans garantie, sans assurance, sans compagnon, sans retour… Pas besoin de développer une mystique de la solitude comme lui, pas nécessaire d’être aussi capable non plus en montagne, pas besoin de flirter avec la mort, pas besoin de toucher à l’impossible, pas besoin d’un destin tragique, pas besoin de vivre « en sauvage », pas besoin d’y effectuer un pèlerinage. Non, il suffit de s’oublier un peu, d’oublier le monde fabriqué du béton et de voir quelque chose de grand et beau dans les montagnes, les rochers, les forêts, les rivières…

L’argent a « mangé » la montagne d’hiver comme la montagne d’été, comme il a mangé la mer, la campagne et le reste…

Léon Zwingelstein :

« Le véritable alpinisme est intérieur. J’ai peut-être plus joui de l’ascension morale que de l’ascension physique… A mesure que l’on monte, l’âme s’élève aussi, se détachant de tout ce qui est bas et de tout ce qui est laid… »

Jacques Dieterlen dans « Le chemineau de la montagne » :

« Il ne cherchait pas en montagne la difficulté pour elle-même, comme tant d’acrobates qui n’ont en vue que de réaliser des prouesses dont on parlera. L’alpinisme, pour lui, c’était le meilleur moyen de réaliser cette harmonie, cet équilibre parfait, cette maîtrise de soi à laquelle il aspirait passionnément. L’alpinisme des autres l’intéressait peu ; non pas qu’il demeurât insensible à de belles tentatives, ou qu’il ne sût pas les apprécier ; mais, pour lui, la montagne représentait quelque chose d’infiniment plus grand que pour la majorité des autres alpinistes ; elle prenait un caractère d’une expérience personnelle ; elle était un champ d’action intime de son être… C’est pour cela que les courses faciles ou banales lui apportaient autant de joie que les difficiles… Un jour, il apprit une affreuse nouvelle : Loustalot et sa femme venaient de se tuer en montagne… Tués tous les deux à l’Aiguille Verte… Ils durent perdre pied dans la partie supérieure du couloir, à la hauteur du Col de la Grande Rocheuse… C’était le 9 juillet 1928… 1928, 1929… Il ne va plus faire beaucoup de montagne. La tragédie de la Verte lui a donné un coup… »

Zwingelstein, préparant le « Grand Raid » à skis à travers les Alpes :

« Avoir un but, concevoir une grande chose, même disproportionnée à ses forces, surtout disproportionnée à ses forces ; se donner un but impossible, extraordinaire, en dehors de toute raison humaine, et s’y lancer un jour, à corps perdu. Les quatre-vingt quinze pour cent des hommes vivent sans un but… Mais se créer tout à coup un objectif, n’importe lequel, le plus fou possible, et partir pour l’atteindre, en n’ayant plus que cela dans la tête, en détournant ses yeux de tout le reste… J’ai fait dernièrement une ascension entière dans un brouillard épais, à travers des rafales de neige. Certes, je crois, parce que cette victoire remportée sur la montagne, et aussi sur le ciel faisant jaillir à chaque instant en moi-même une série d’impressions particulières, agréables ou désagréables, formant un ensemble harmonieux que mon souvenir aurait plus tard du plaisir à retrouver. La beauté de cette course était tout en moi-même ; elle était vraiment le fruit de mes efforts… La beauté d’une ascension est surtout œuvre de l’alpiniste… L’alpiniste me paraît surtout semblable à l’artiste, parce qu’il crée la beauté de ses propres impressions. L’ensemble et le souvenir d’une ascension est parfaitement comparable à un objet d’art intime… Toute ascension garde encore à certains égards le caractère d’une première. N’oublions pas qu’une ascension est avant tout ce que nous la faisons. Qu’importe que des centaines d’alpinistes aient déjà suivi cette voie ? L’ascension que j’ai faite n’est pas celle qu’ils ont faite. La nature elle-même ne reste jamais identique : au printemps ou à l’automne, dans le brouillard ou sous un clair soleil, peut-on dire que ce soit la même course, bien que ce soit la même montagne ?... Conscient du danger, l’alpiniste ne se laisse pas impressionner par lui. Le risque est une sorte de difficulté spéciale, d’ordre moral, dont il doit triompher. Par le risque, plus que par tout autre difficulté, nous sommes profondément engagés et comme compromis dans la lutte que nous livrons ; et c’est pourquoi, au retour d’une course très exposée, nos impressions sont plus vives, plus intenses, plus personnelles que jamais… Bien des jeunes ne voient dans la montagne que le sport, avec le cadre qu’il comporte : fatigue physique, records à tout prix. Pour ma part, j’estime que celui qui aime la montagne a d’autres sentiments. A mesure que l’on s’élève, l’âme s’élève aussi… Ces impressions, pour ma part, sont particulièrement grandes dans les montagnes faciles. La montagne facile n’absorbe pas l’attention, et l’esprit étant libre, s’élève sans peine vers les sphères supérieures. Ceux qui posent aux grands as, qui tournent en dérision l’alpiniste qui ascensionne les montagnes à vaches, ont-ils jamais aimé la montagne ? Il leur faut quelque chose de plus compliqué, la difficulté augmentée du danger, ce sel de la vie. Mais alors, dans une course de ce genre, l’esprit est occupé, absorbé par les difficultés et toujours ramené à la terre. Au sommet seulement, l’âme pourrait respirer, mais il faut alors songer à la descente ; et au retour on éprouve seulement la satisfaction personnelle d’avoir réussi une belle course… Combien d’entre nous savent cultiver l’amour de la montagne ? »

Zwingelstein rajoutait :

« La solitude des neiges ! quelle volupté lorsqu’elle est complète, que rien ne vous rappelle la présence de l’homme, pas même une trace. Elle représente alors la pleine liberté dégagée de toute contrainte sociale. Là-haut, où la moindre goutte d’eau a son prix, la solitude vous fait mieux comprendre la vanité de ces hochets : honneurs, richesses vers lesquelles tant d’hommes rampent… Cependant la solitude n’est pas synonyme d’égoïsme, car bien souvent, on éprouverait le besoin de faire partager ses sentiments, ses joies et surtout, à la descente, lorsque l’on plonge dans une lumière éblouissante et que la neige crisse sous les skis. La solitude des neiges, c’est la plus belle école de courage, d’énergie, de confiance en soi qui puisse exister, la plus grande épreuve de « self contrôle » qui puisse se réaliser. Cependant, il faut la pratiquer pour l’apprécier et pour comprendre qu’en montagne, n’est réellement seul que celui qui le veut bien. Toutefois, si cette solitude ne peut et ne doit être pratiquée que par une minorité, le ski de raid et plus modestement le ski de tourisme est à la portée de tous ; point n’est besoin d’être un champion ou un virtuose : il suffit simplement de savoir skier passablement, de sortir avec des camarades expérimentés ayant fait leurs preuves par mauvais temps, d’être convenablement équipé, de rester toujours maître de sa vitesse pour pouvoir s’arrêter à volonté. Pratiqué sous cette forme, le ski est passionnant. Cependant, dès que l’on parle de ski, le grand public, dont le jugement est faussé par les concours et les films cinématographiques, évoque aussitôt des bolides volant en l’air ou descendant des pentes formidables ; aussi, pour lui, la notion du ski implique-t-elle des records à battre, de la foule, des applaudissements, c’est-à-dire un sport au même titre que la boxe ou le foot-ball. Or, la montagne, quelle que soit la forme sous laquelle on la pratique, ski ou alpinisme, n’est pas un sport, mais une passion. Ces deux points de vue s’opposent. La montagne, en tant que sport, n’a qu’un temps, celui de la jeunesse ; en tant que passion, elle dure toute la vie. Plaignons donc ces sportifs, ces jockeys du ski. Soyons les chevaliers des neiges qui combattent avec désintéressement pour la dame de nos pensées, si captivante dans sa blanche parure hivernale, et ayant pour devise, aussi bien dans le domaine physique que dans le domaine moral : « Toujours plus haut ! »

Cependant, Léon Zwingelstein a réalisé un grand nombre des « premières », notamment celles de l’Oisans, et réalisé deux grands raids à ski au travers des Alpes, là encore une « première », et « inventé » plusieurs types de matériels spécialisés de l’alpinisme et de techniques du ski…

Un exemple : la montagne de Samoens, hier et aujourd’hui...

C’est l’oeuvre de destruction du grand capital s’emparant du profit du "capital-neige"...

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