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L’ABC de la dialectique, Léon Trotsky

lundi 4 janvier 2010, par Robert Paris

Sommaire du site


MOTS CLEFS :

dialectique
discontinuité
physique quantiquerelativité
chaos déterministeatome
système dynamique
non-linéarité
émergence
inhibition
boucle de rétroactionrupture de symétrie
le temps -
contradictions
crise
transition de phasecriticalité - attracteur étrange
auto-organisationvide - révolution permanente - Zénon d’Elée -
Blanqui -
Lénine -
TrotskyRosa Luxemburg
Prigogine -
Barta -
Gould - marxisme - Marx - la révolution

LA NEGATION DIALECTIQUE

« La seule chose nécessaire pour obtenir la progression scientifique, et vers la compréhension de laquelle il faut essentiellement s’efforcer, c’est la connaissance de cette proposition logique : le négatif est également positif, autrement dit, ce qui se contredit ne se résout pas en zéro, en néant abstrait, mais essentiellement en la négation de son contenu particulier ; autrement dit encore, une telle négation n’est pas complète négation, mais négation de la chose déterminée. (…) Le résultant, la négation, étant négation déterminée, a un contenu. Elle est un concept nouveau, mais plus haut, plus riche que le précédent, car elle s’est enrichie de sa négation, autrement dit de son opposé (…) elle est l’unité d’elle-même et de son opposé. »

Introduction à la « Science de la logique » de Hegel

A lire sur le site :

Dialectique naturelle et sociale

Introduction à la dialectique de la nature

Dialectique et métaphysique

Contradictions dynamiques

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Léon Trotsky

"L’ABC de la dialectique" :

"La dialectique n’est ni une fiction, ni une mystique, mais la science des formes de notre pensée, quand cette pensée ne se limite pas aux soucis de la vie quotidienne mais tente d’appréhender des processus plus durables et plus complexes. La dialectique est à la logique formelle ce que, disons, les mathématiques supérieures sont aux mathématiques élémentaires.

Je vais tenter ici de cerner, sous la formé la plus dense possible, l’essentiel de la question. Dans la logique aristotélicienne, le syllogisme simple part de A = A. Cette vérité est acceptée comme un axiome pour quantité d’actions pratiques humaines et pour des généralisations élémentaires. Mais en réalité, A n’est pas égal à A. C’est facile à démontrer, ne fut-ce qu’en regardant ces deux lettres à la loupe : elles diffèrent sensiblement. Mais, dira-t-on, il ne s’agit pas de la grandeur et de la forme des lettres, c’est seulement le symbole de deux grandeurs égales, par exemple une livre de sucre. L’objection ne vaut rien : en réalité une livre de sucre n’est jamais égale à une livre de sucre ; des balances plus précises décèlent toujours une différence. On objectera : pourtant une livre de sucre est égale à elle-même. C’est faux : tous les corps changent constamment de dimension, de poids, de couleurs, etc., et ne sont jamais égaux a eux-mêmes. Le sophiste répliquera alors qu’une livre de sucre est égale a elle-même « à un instant donné ». Sans même parler de la valeur pratique très douteuse d’un tel « axiome », il ne résiste pas non plus à la critique théorique. Comment en effet comprendre le mot « instant » ? S’il s’agit d’une infinitésimale fraction de temps, la livre de sucré subira inévitablement des changements pendant cet « instant ». Ou bien l’instant n’est il qu’une pure abstraction mathématique, c’est-à-dire représente un temps nul ? Mais tout ce qui vit existe dans le temps ; l’existence n’est qu’un processus d’évolution ininterrompue ; le temps est donc l’élément fondamental de l’existence. L’axiome A = A signifie donc que tout corps est égal a lui même quand il ne change pas, c’est-à-dire quand il n’existe pas.

Au premier abord il peut sembler que ces « subtilités » ne sont d’aucune utilité. Mais en réalité, elles ont une importance décisive. L’axiome A = A est, d’une part, la source de tout notre savoir, et d’autre part la source de toutes nos erreurs. On ne peut impunément manier l’axiome A = A que dans des limites déterminées. Quand la transformation qualitative de A est négligeable pour la tâche qui nous intéresse, alors nous pouvons admettre que A = A. C’est le cas par exemple du vendeur et de l’acheteur d’une livre de sucre. Ainsi considérons-nous la température du soleil. Ainsi considérions-nous récemment le pouvoir d’achat du dollar. Mais les changements quantitatifs, au-delà d’une certaine limite, deviennent qualitatifs. La livre de sucre arrosée d’eau ou d’essence cesse d’être une livre de sucre. Le dollar, sous l’action d’un président, cesse d’être un dollar. Dans tous les domaines de la connaissance, y compris la sociologie, une des tâches les plus importantes consiste à saisir à temps l’instant critique où la quantité se change en qualité.

Tout ouvrier sait qu’il est impossible de faire des objets absolument identiques. Pour l’usinage des cônes de roulement à bille, on admet un certain écart inévitable, mais qui doit rester dans certaines limites (c’est ce qu’on appelle la tolérance). Tant que l’on se tient dans les limites de la tolérance, les cônes sont considérés comme égaux (A = A). Si on franchit ces limites, la quantité se transforme en qualité ; autrement dit le cône ne vaut rien ou est inutilisable.

Notre pensée scientifique n’est qu’une partie de notre activité pratique générale, y compris technique. Pour les concepts aussi il y a des « tolérances », établies non par la logique formelle, pour qui A = A, mais par la logique issue de l’axiome selon lequel tout change. Le « bon sens » se caractérise par le fait qu’il franchit systématiquement les normes de tolérance établies par la dialectique.

La pensée vulgaire opère avec des concepts tels que capitalisme, morale, liberté, Etat ouvrier, etc., qu’elle considère comme des abstractions immuables, jugeant que le capitalisme est le capitalisme, la morale la morale, etc. La pensée dialectique examine les choses et les phénomènes dans leur perpétuel changement. De plus, suivant les conditions matérielles de ces changements, elle détermine le point critique au-delà duquel A cesse d’être A, et l’Etat ouvrier cesse d’être un Etat ouvrier.

Le vice fondamental de la pensée vulgaire consiste à se satisfaire de l’empreinte figée d’une réalité qui, elle, est en perpétuel mouvement. La pensée dialectique précise, corrige, concrétise constamment les concepts et leur confère une richesse et une souplesse, j’allais presque dire une saveur, qui les rapprochent jusqu’à un certain point des phénomènes vivants. Non pas le capitalisme en général, mais un capitalisme donné, à un stade déterminé de son développement. Non pas l’Etat ouvrier en général, mais tel Etat ouvrier, dans un pays arriéré, encerclé par l’impérialisme.

La pensée dialectique est à la pensée vulgaire ce que le cinéma est à la photographie. Le cinéma ne rejette pas la photo, mais en combine une série selon les lois du mouvement. La dialectique ne rejette pas le syllogisme, mais enseigne à combiner les syllogismes de façon à rapprocher notre connaissance de la réalité toujours changeante. Dans sa Logique, Hegel établit une série de lois : le changement de la quantité en qualité, le développement à travers les contradictions, le conflit de la forme et du contenu, l’interruption de la continuité, le passage du possible au nécessaire, etc., qui sont aussi importantes pour la pensée théorique que le simple syllogisme pour des tâches plus élémentaires.

Hegel a écrit avant Darwin et Marx. Grâce à l’impulsion puissante donnée à la pensée par la révolution française, Hegel a anticipé en philosophie le mouvement général de la science. Mais précisément parce qu’il s’agissait d’une géniale anticipation, elle a pris chez Hegel un caractère idéaliste. Hegel opérait avec des ombres idéologiques, comme si elles étaient la réalité suprême. Marx a montré que le mouvement des ombres idéologiques ne fait que refléter le mouvement des corps matériels.

Nous appelons notre dialectique matérialiste, parce que ses racines ne sont ni dans les cieux (ni dans les profondeurs de notre « libre esprit »), mais dans la réalité objective, dans la nature. La conscience est née de l’inconscient, la psychologie de la physiologie, le monde organique de l’inorganique, le système solaire de la nébuleuse. A tous les degrés de cette échelle du développement, les changements quantitatifs sont devenus qualitatifs. Notre pensée, y compris dialectique, n’est qu’une des manifestations de la matière changeante. Il n’y a place, dans cette mécanique, ni pour Dieu, ni pour le diable, ni pour l’âme immortelle, ni pour les normes éternelles du droit et de la morale. La dialectique de la pensée, procédant de la dialectique de la nature, a par conséquence un caractère entièrement matérialiste.

Le darwinisme, qui expliquait l’origine des espèces par la transformation de changements quantitatifs en changements qualitatifs, a signifié le triomphe de la dialectique à l’échelle de toute la nature organique. Un autre grand triomphe fut la découverte de la table de poids atomiques des éléments chimiques, puis celle de la transformation des éléments les uns dans les autres.

A ces transformations (des espèces, des éléments, etc.) est étroitement liée la question de la classification, également importante dans les sciences naturelles et dans les sciences sociales. Le système de Linné (XVIIe siècle), reposant sur l’immutabilité des espèces, se limitait à l’art de décrire et de classer les plantes selon leur aspect extérieur. La période infantile de la botanique est analogue à celle de la logique, car les formes de notre pensée se développent, comme tout ce qui est vivant. Ce n’est qu’en rejetant délibérément l’idée de l’immutabilité des espèces, et par l’étude de l’histoire de l’évolution des plantes et de leur conformation, qu’on a pu jeter les bases d’une classification réellement scientifique.

Marx, qui à la différence de Darwin était un dialecticien conscient, a trouvé les bases d’une classification scientifique des sociétés humaines dans le développement des forces productives et la structure des rapports de propriété, qui constituent l’anatomie de la société. Le marxisme a substitué la classification matérialiste dialectique à la classification vulgaire, descriptive des sociétés et des Etats, qui, aujourd’hui encore, fleurit dans les chaires universitaires. Ce n’est qu’en utilisant la méthode de Marx qu’on peut définir correctement le concept d’Etat ouvrier et le moment de sa ruine.

Dans tout cela, nous le voyons, il n’y a rien de "métaphysique" ou de "scolastique", comme l’affirment les ignorants satisfaits d’eux-mêmes. La logique dialectique exprime les lois du mouvement de la pensée scientifique contemporaine. Au contraire, la lutte contre la dialectique matérialiste reflète un lointain passé, le conservatisme de la petite bourgeoisie, l’arrogance des mandarins universitaires et… un soupçon d’espoir en l’au-delà.

Décembre 1939

Messages

  • En lisant cet ABC, je me disais que finalement cette méthode d’interprétation de la nature, nous forçait à regarder tout ce qui nous entoure et nous même, de la manière la plus simple et en même temps la compliquée.
    LA plus simple car il nous faut revenir à une vision qui ne classifie plus les choses, ou en tout cas ne les met pour toujours dans des boites, comme on nous l’apprend très tôt à l’école.

    La plus compliquée, car les lois naturelles qu’on connait, sont vrais et fausses, tout dépend de ce que l’on englobe, des situations que l’on veut confronter.

    LA dialectique est donc la science du changement et donc une remise en question permanente de ce que l’on croit savoir. Les causes et les effets d’un phénomène était déjà un coup de hache important dans les religions et les certitudes sur le passé et l’avenir des hommes. LA dialectique est le coup fatal et définitif contre la religion et tous les professeurs qui anesthésient les connaissances du monde en y mettant des frontières et barbelés de l’administration pédagogique, censée rendre intelligent l’enfant.

    En réalité, ces méthodes d’enseignement tue la curiosité spontanée des enfants.

    • cher Max

      Je ne crois pas que la dialectique soit d’abord une méthode pour comprendre le monde mais le mode de fonctionnement du monde.

      Le fonctionnement du monde englobe aussi le fonctionnement de notre cerveau et donc aussi notre pensée. Ce qui ne veut pas dire qu’on pense spontanément de manière dialectique. Tout d’abord parce que nous ne pensons pas individuellement ni spontanément mais en étant marqués par la pensée sociale du monde où on naît.

      Cette pensée peut tout à fait être antidialecticienne pour des raisons sociales, d’autant plus que le monde social, lui, est dialectique. le monde change sans cesse mais la classe dirigeante ne veut pas forcément de ce changement ....

      La dialectique n’est effectivement ni simple ni compliquée. Le terme complexité souvent employé n’est pas très bon.

      Comprendre la dialectique du monde, c’est d’abord combattre ses propres préjugés antiscientifiques, imposés par la classe dirigeante et la tradition, selon lesquels :

      le monde est ce que je vois être

      le monde est fait d’objets fixes

      le monde change lentement et de manière continue

      le monde obéit à des lois figées

      les contraires ne font que s’opposer

      ce qui est s’oppose à ce qui n’est pas

      etc, etc...

      Robert Paris

    • Cher Robert,

      ta remarque par rapport au fonctionnement ou à l’interprétation, est bienvenue, car pour moi la dialectique est classée par avance (encore un préjugé)dans le rayon, philosophie et donc sciences humaines.

      Hors ce découpage est aussi un produit historique et voudrait s’opposer aux sciences "dures" : mécaniques, chimie, biologie etc..
      Il ne viendrait pas à l’idée d’un mécano de parler "d’interprétation" du fonctionnement d’un moteur de voiture. Il fonctionne comme ci, comme ça, et selon des lois mécaniques et physiques.

  • "La dialectique n’est ni une fiction, ni une mystique, mais la science des formes de notre pensée, quand cette pensée ne se limite pas aux soucis de la vie quotidienne mais tente d’appréhender des processus plus durables et plus complexes. La dialectique est à la logique formelle ce que, disons, les mathématiques supérieures sont aux mathématiques élémentaires.
    si cela est évident moi je paense que la dialectique est une et restéra une notion infinie et ilimitée., ???

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