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Allemagne, 1918 : Une révolution trahie

mardi 10 avril 2018, par Robert Paris

Allemagne, 1918 : Une révolution trahie - de Sébastian Haffner

Un ouvrage aux Editions Agone

Sébastian Haffner dresse un portrait sobre et exact, bien que féroce, de la trahison de la social-démocratie allemande, dès le démarrage de la première guerre mondiale, qui est passée d’une positions officielle de « mobilisation internationale du prolétariat contre le risque de conflagration mondiale » à une position de « Nous n’abandonnerons pas la patrie à l’heure du danger » et au vote des crédits de guerre par les socialistes majoritaires tout au long de la guerre, y compris quand l’Allemagne s’est transformée, au cours de la première guerre mondiale, en une dictature militaire des généraux Hindenburg et Ludendorff.

L’ouvrage rapporte même qu’ « Il se noua même une sorte de camaraderie entre certains dirigeants du SPD et des hommes nouveaux de la hiérarchie militaire, par exemple entre Friedrich Ebert et le général Wilhelm Groener… »

C’est finalement Ludendorff qui « allait, du jour au lendemain, changer le gouvernement, et la Constitution par-dessus le marché. Il allait prendre la décision que les élus n’avaient pas su prendre. Il décréta la démocratie parlementaire, fit entrer le SPD au gouvernement, bref exauça tous les vœux de la social-démocratie. Mais en même temps il lui mettait dans la main un cadeau empoisonné, la défaite, et exigeait d’elle non plus négociation d’une paix honorable, mais la capitulation. »

L’ouvrage note l’importance de cette date du 29 septembre 1918, celle de la capitulation de l’Allemagne.

« Dès lors qu’il s’agissait d’ « organiser la défaite », Ludendorff n’eut plus qu’un objectif, sauver l’armée et son honneur. Pour cela, il fallait conclure l’armistice sans délai, demain si possible : le désastre (une défaite militaire évidente – NDLR) pouvait survenir d’un moment à l’autre. Mais, pour que une fois sauvée, l’armée gardât son honneur intact, il fallait que la demande d’armistice vint du gouvernement et non du Commandement suprême ; qu’elle fut motivée politiquement et non militairement. »

Et c’est là encore que la direction de la social-démocratie était exactement sur la même longueur d’onde que le haut Etat-Major et toute la bourgeoisie allemande.

On voit ainsi que les trahisons de la social-démocratie ont eu des développements multiples, bien avant que commence la révolution allemande.

Il y a eu, bien sûr, la trahison du vote des crédits de guerre, celle du soutien au militarisme allemand, de toute la politique belliciste tout au long de la guerre ; il a eu toutes les interventions de la direction social-démocrates contre les multiples révoltes au cours de la guerre ; il y a eu l’effort immense pour empêcher toute expression autonome du prolétariat dans ces circonstances. Il y a eu toute la pression sur la fraction social-démocrate minoritaire et anti-guerre, y compris une fois que cette fraction s’est rendue indépendante sous forme de l’USPD, effort aussi pour que le prolétariat ne comprenne pas qu’il y avait là une fracture de classe. Mais le geste de trahison de fond a été l’acceptation d’hériter de la défaite au nom d’un parti qui restait, pour tout le monde, le parti du prolétariat, alors que c’est la bourgeoisie, dont son Etat bourgeois, son Etat-Major et tout son appareil militaire, qui devait être considérée comme entièrement responsable du crime d’Etat et de la catastrophe nationale qui en résultait.

Ce crime de la social-démocratie ne peut pas être trop souligné. Il faut savoir que ce sera le fondement du nationalisme exacerbé en Allemagne, des troupes fascistes, de leur idéologie, de leur assurance, de leur confiance en eux, du principal de leurs mensonges.

L’ouvrage rapporte que « Friedrich Ebert, le leader du parti social-démocrate, expliqua au groupe parlementaire que, si tout s’écroulait, le parti ne devait pas s’exposer au reproche d’avoir refusé de coopérer alors qu’on l’en pressait de toutes parts… Ebert l’emporta et mandata le réticent Scheidemann dans le gouvernement du prince Max. »

Et il rajoute :

« Ludendorff n’avait aucune sympathie pour la démocratie. S’il avait lui-même, le 29 septembre, décrété le régime parlementaire, c’était dans le seul but de rejeter sur ce dernier le déshonneur de la défaite et de la capitulation, pour pouvoir d’autant plus facilement le balayer par la suite… Le nouveau gouvernement parlementaire avait entièrement pris sur lui la demande d’armistice et couvert l’armée… Mais, ce faisant, il se livrait pieds et poings liés aux chefs militaires : ceux-ci pourraient ensuite s’élever contre sa lâcheté et préparer l’accusation de « coup de poignard dans le dos » avec d’autant moins de risques qu’aucun retour en arrière n’était plus possible. A partir de la mi-octobre, Ludendorff se trouva de nouveau en mesure de jouer le rôle héroïque du soldat invaincu et toujours pugnace, qui se dresse courageusement contre un gouvernement de démocrates capitulards. »

C’est vraiment le premier acte de la collaboration entre Haut Etat-Major militaire allemand et haute direction de la social-démocratie, collaboration dont les principaux actes seront : l’organisation et l’armement des bandes de corps francs contre la révolution allemande, contre les révolutions en Europe de l’Est, et jusqu’au dernier acte qui sera le vote pour le maréchal Hindenburg, présenté par la social-démocratie allemande comme le sauveur de l’Allemagne face au fasciste Hitler, et qui sera la président de l’Allemagne qui nommera Hitler comme chancelier en janvier 1933, faisant basculer le pays dans le nazisme.

La social-démocratie a été, à toutes les étapes, l’élément essentiel dont la bourgeoisie n’aurait pas pu se passer pour encadrer le prolétariat, pour le tromper, pour le livrer à ses bouchers, guerriers comme fascistes, à ses démagogues trompeurs, bellicistes comme racistes.

Quand on pense que jusqu’à aujourd’hui, la social-démocratie essaie encore de se présenter comme un moyen de lutter contre le fascisme et pour la paix, on en frissonne. L’ignorance du passé dans la classe ouvrière est telle que ces mensonges là ne choquent même pas !

Mais c’est une autre trahison essentielle qui est le centre de l’ouvrage : celle de la révolution prolétarienne allemande de 1918. Et, là encore, le rôle de la direction de la social-démocratie a été crucial pour la bourgeoisie, qu’il sauve, et pour le prolétariat, qu’il trompe, détourne de son chemin puis assassine.

Quand la révolution des ouvriers et des soldats part de Kiel et déferle dans toute l’Allemagne, aucun pouvoir bourgeois, aucune force de répression, ni policière, ni militaire, ni milicienne, ne serait capable de la retenir, de l’empêcher et encore moins de la réprimer. C’est la social-démocratie qui va donner la seule solution pour… la grande bourgeoisie, pour lui conserver le pouvoir et pour détourner, casser, assassiner la révolution.

Et tout d’abord, en faisant mine de se placer à sa tête, de mettre en place un gouvernement social-démocrate, prétendument issu de la révolution et qui organise avec le Haut Etat-Major l’écrasement de la révolution prolétarienne.

Et pourtant, c’était une véritable révolution soviétique, du même type que la révolution russe, en termes de classe qui avait lieu…

« Cette semaine-là, l’Allemagne occidentale passa de la dictature militaire à la république des conseils. Les masses insurgées ne créèrent pas de chaos. Elles mirent en place les éléments encore mal dégrossies mais parfaitement reconnaissables d’un ordre nouveau. On écarta les commandements et la haute administration militaire qui, depuis le début de la guerre, gouvernaient villes et districts par l’état de siège. On leur substitua le pouvoir révolutionnaire des conseils d’ouvriers et de soldats… Au sein de l’armée, le pouvoir des officiers fut remplacé par celui des conseils de soldats. »

Mais la direction politique des masses restait aux mains des dirigeants social-démocrates :

« Les masses qui s’étaient donné ces nouveaux organes d’Etat n’étaient ni spartakistes, ni bolcheviques, mais social-démocrates. Le groupe Spartakus, précurseur du parti communiste, n’a donné à cette révolution aucun dirigeant, ni « meneur »…

Et c’est là que les dirigeants social-démocrates Ebert et Noske vont parvenir à jouer leur rôle de tueur de révolution prolétarienne, aux côtés du Haut Etat-Major, aux côtés des corps francs, aux côtés de la grande bourgeoisie et à la tête de son gouvernement !!!

Et cela n’a été possible que par le basculement opportuniste de la fraction minoritaire de la social-démocratie, l’USP, qui a accepté de participer au gouvernement bourgeois, faussement révolutionaire et contre-révolutionnaire en réalité. L’opportunisme d’extrême gauche a été la base même de l’échec de la révolution car l’essentiel de la direction révolutionnaire des comités ouvriers et soldats appartenant à l’USPD, la tromperie consistant à faire croire que le gouvernement de la contre-révolution était le gouvernement de la révolution, a pu passer aisément…

Que de leçons politiques et sociales, essentielles, qui sont souvent oubliées ou sciemment effacées aujourd’hui…

Et notamment combien l’opportunisme d’extrême gauche est le plus grand danger en période de crise sociale et politique…

Et l’ouvrage cite le général Groener qui rapporte comment le gouvernement social-démocrate, allié à l’Etat-Major, a battu la révolution :

« Il s’est tout d’abord s’agi d’arracher leur pouvoir aux conseils d’ouvriers et de soldats à Berlin. A cet effet fut préparée une opération : l’entrée dans la ville de dix divisions en ordre de marche. Le commissaire du peuple Ebert était pleinement d’accord… Ebert a lui-même, bien sûr, donné son accord pour que les troupes aient des munitions… Nous avons élaboré ensemble un programme militaire sur plusieurs jours. Ce programme portait, jour par jour, ce qui devait être réalisé : Berlin devait être désarmé, nettoyé de ses spartakistes, etc… Ce programme a été décidé dans la plus complète intelligence et le plus complet accord avec M. Ebert. »

Le 10 novembre 1918, Noske, qui venait d’être nommé commandant en chef de la contre-révolution, déclarait :

« Comme vous le voudrez, il faut bien que quelqu’un fasse le boucher. »

C’était le prélude à l’assassinat de Karl Lieknecht et Rosa Luxemburg, avant que ceux-ci puissent véritablement représenter un danger politique et social dans la situation… et aussi à l’assassinat à Berlin et dans toute l’Allemagne de tous les membres des conseils d’ouvriers et de soldats.

Rien qu’à Berlin, Noske affirma avoir fait assassiner 1200 révolutionnaires. C’est dire le massacre dans toute l’Allemagne…

Gustav Landauer déclarait en janvier 1919 :

« Dans tout le règne de la nature, je ne connais pas une seule créature plus répugnante que le parti social-démocrate. »

Et l’ouvrage rappelle que les dirigeants social-démocrates Ebert et Noske n’étaient que d’infimes bureaucrates, sans courage, sans saveur, sans grande personnalité, sans fort caractère personnel, portés seulement par les événements à jouer un rôle historique par l’effondrement de tous les organes politiques et organisationnels classiques de la grande bourgeoisie dans un pays au top du capitalisme, pas du tout dans la situation de la Russie de 1917 au plan économique mais exactement dans la même situation au plan du développement de la révolution…

Le plus remarquable est que l’auteur de l’ouvrage se dit opposé au parti communiste ! Il pourfend la thèse selon laquelle la révolution de 1918 était une révolution communiste, affirmant qu’elle était une révolution social-démocrate, assassinée par les dirigeants sociaux-démocrates. Mais, de ce point de vue, c’est exactement ce qui s’est produit dans la révolution communiste de Russie : en février, c’était une révolution des partis réformistes et pourtant elle portait une révolution potentiellement communiste en son sein… C’est conscients de cela que les dirigeants sociaux-démocrates ont assassiné les dirigeants et militants communistes, avant même qu’ils puissent jouer le rôle de direction qu’avait joué les bolcheviks, avant qu’on puisse mesurer même s’ils allaient être capables ou pas de le jouer…

C’est là que l’auteur est beaucoup moins éclairé que les ennemis du prolétariat et de la révolution qui, des dirigeants sociaux-démocrates à ceux de l’Etat-Major, de la grande bourgeoisie aux fascistes, avaient parfaitement conscience que les comités d’ouvriers et de soldats étaient porteurs de la révolution communiste et pas seulement des aspirations pacifiques sociales et démocratiques. Il serait même nécessaire là de comprendre que la révolution prolétarienne, comme autrefois la révolution bourgeoise, a un caractère permanent, c’est-à-dire qu’elle est portée jusqu’au bout par des objectifs de classe fondamentaux, la nécessité de mener à une nouvelle domination de classe, de déraciner de fond en comble les anciens rapports économiques et sociaux, de renverser tous les obstacles politiques et militaires qui se trouveraient faire entrave à cette marche en avant. Et, dans le cas du prolétariat, cela signifie qu’une lutte démocratique du prolétariat, même visant seulement la paix, le bien-être, la démocratie, mènerait celui-ci organisé à se mettre à imposer sa loi, à s’organiser en comités pour finir par transformer ces comités en organes de pouvoir, par détruire l’ancien pouvoir d’Etat pour mettre en place le leur, et finiraient par se donner des objectifs bien plus profonds, allant vers la suppression de la propriété privée des moyens de production et le caractère bourgeois de l’Etat. Ce caractère historiquement nécessaire du communisme dans l’action du prolétariat ne suppose aucun automatisme selon lequel la spontanéité des masses prolétariennes suffirait, en se passant d’une direction politique, en se passant que les comités deviennent majoritairement conscients de la nécessité de la révolution communiste. La révolution peut parfaitement être mure, comme elle l’était en Allemagne, et manquer d’une direction politique. En particulier, l’avant-garde ouvrière peut parfaitement ignorer la loi de la révolution permanente, selon laquelle la nécessité du rôle historique du prolétariat pousse inévitablement celui-ci à remettre en question jusqu’au bout la domination de la classe possédante, et elle peut tout à fait confondre les premières luttes, leurs revendications et leurs aspirations limitées, avec les vrais buts finaux du prolétariat, se croyant encore dans l’ère des luttes réformistes alors qu’on est passé dans celle des guerres, des révolutions et des contre-révolutions. C’est Karl Marx, se référant aux révolutions françaises de 1789-1795 et de 1848 qui a lancé l’idée de la « révolution permanente » qui explique notamment comment une insurrection prolétarienne passe de buts limités à un combat communiste.

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