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L’arbre qui cache la forêt

mercredi 13 juin 2018, par Robert Paris

édito

L’arbre qui cache la forêt

Macron par ci, Macron par là, le président français sert d’explication à toutes les attaques antisociales comme antidémocratiques. La CGT lance des journées anti-Macron, les Insoumis font des manifs anti-Macron. Pour toutes les organisations d’opposants politiques et syndicaux à ces politiques contre les salariés, contre les jeunes, contre les services publics semble devenu : « faire dérailler Macron », comme si cela devait suffire à remettre le mouvement ouvrier sur les rails !!! Comme si Macron était l’explication nécessaire et suffisante de toutes les défaites actuelles… et passées !!! Des groupes et associations proches de l’extrême gauche organisent une convergence et une manifestation sous le slogan « Même Macron, même combat » !!!

Non seulement, c’est trop d’honneur pour ce petit valet du capital, trop d’importance accordée à celui qui n’est rien d’autre que le successeur de Sarkozy et Hollande et prend clairement leur suite, mais l’essentiel de sa force est la faiblesse que nous avons manifestée face aux deux précédents. Et surtout que nous avons manifestée par rapport à ceux qui prétendent diriger nos luttes, aux appareils syndicaux qui nous ont conduit à une succession ininterrompue de défaites depuis 2008 sans même s’en expliquer autrement que par des : « c’est la faute à Sarko », « c’est la faute à Hollande », « c’est la faute à Macron », comme si cela pouvait suffire à expliquer toutes ces prétendues luttes syndicales battues à plates coutures !!! Aussi bien les gauches de toutes sortes, y compris les grands groupes d’extrême gauche, aussi bien les syndicats de toutes sortes nous ont habitué à ces explications selon lesquelles tout est de la faute d’un seul homme, le président, qui à lui seul a pu s’opposer au torrent social !!! Comme si les journées d’action de ces centrales syndicales et les grèves isolées pouvaient mener au moindre ruisselet de lutte des classes alors que les centrales syndicales sont plus réformistes, négociatrices que jamais, sans aucune exception.

C’est bien la peine de les voir regretter l’ambiance de mai 68, comme si ce climat de lutte avait été enclenché à l’époque par ces centrales syndicales et ces oppositions de gauche, alors qu’au contraire elles avaient toutes pris le mouvement de grève générale et de lutte de la jeunesse comme une menace et n’avaient eu d’empressement que pour l’arrêter en négociant à Grenelle cet arrêt en échange de miettes. Là encore, elles avaient prétendu que le grand changement ne viendrait pas de la lutte sociale mais du « bon vote » aux élections bourgeoises, du « bon gouvernement » et cela avait mené à la défaite un mouvement pourtant prometteur. C’est exactement ce qu’elles ont répété lors du mouvement des retraites, affirmant qu’ « avec Sarkozy, on ne peut pas gagner » et appelant à voter Hollande, comme sauveur des retraites. Par la suite, ces centrales syndicales et ces partis de gauche ont dit avoir été trompés par Hollande. Trompés ou trompeurs, c’est tout ce qu’on peut attendre d’eux !

Bien des travailleurs estiment cependant que c’est dans l’ordre des choses que les centrales syndicales fonctionnent ainsi, « jouent leur rôle », que ce soit un rôle d’avocats, de négociateurs, de défenseurs, de sécurité sociale, de tampons sociaux, y compris de dirigeants de grèves et manifestations mais sans intention de remettre vraiment en cause l’ordre social. Du coup, quand patronat et gouvernement exercent de véritables chantages, sont décidés à ne pas reculer, ces syndicats et ces partis « de gauche » eux s’inclinent finalement, quand ils ont bien épuisé les participants, grévistes et manifestants, sans avoir jamais menacé en rien nos adversaires, sans s’être attaqué à ce qui fait mal pour les classes possédantes.

C’est oublier qu’avant la grande grève de 1936, les travailleurs choisissaient des délégués d’atelier qui n’étaient pas dépendants des appareils syndicaux et que c’est en remerciement à la grève cassée par les dirigeants syndicaux en 1936 que les centrales officielles ont obtenu le monopole des candidatures aux élections syndicales, transformant le syndicalisme en instrument de ces appareils bureaucratiques. Bien entendu, les délégués et militants syndicalistes ne cherchent nullement à défendre les intérêts patronaux et c’est même le contraire mais ils sont piégés par la situation : l’Etat bourgeois est tenu aux intérêts du grand capital, les appareils syndicaux sont tenus aux institutions bourgeoises et les militants syndicaux sont tenus aux intérêts des appareils syndicaux. Résultat : les militants sont les instruments d’une logique qui va à l’encontre de la lutte des classes !

Il n’y a cependant aucune fatalité à laisser les appareils syndicaux diriger les luttes ouvrières. Les militants syndicalistes peuvent tout à fait proposer leurs fameuses « stratégies de lutte », comme leurs journées d’action ou leurs grèves perlées, leurs grèves isolées, entreprise par entreprise, corporation par corporation, site par site, etc., sans que les travailleurs, du moment qu’ils sont organisés par eux-mêmes, n’aient à obéir à ces appareils syndicaux comme à leurs chefs. Les dirigeants syndicaux n’ont jamais été élus par les travailleurs et ne sont pas leurs représentants. Ils représentent les intérêts d’espèces d’entreprises privées appelées CGT, SUD, FO ou CFDT, UNSA et autres. Ces entreprises sont gérées par l’appareil, dirigées par l’appareil, et mènent la politique d’un appareil bureaucratique sans aucun contrôle des travailleurs.

Quant aux grèves et aux luttes sociales ou politiques, les travailleurs ne sont nullement contraints d’obéir à ces appareils qui ne sont pas issus de la lutte, qui ne se radicalisent nullement en même temps que celles-ci, même s’ils font toujours semblant de le faire, de suivre l’opinion ouvrière, de la précéder même !

L’un des éléments clés de la politique syndicale est de ne jamais remettre en cause les institutions bourgeoises, dont fait partie le mode d’élection des délégués de salariés ou encore le mode de prétendue démocratie qui favorise toujours la bourgeoisie, le système présidentiel, parlementaire, qui cache le vrai pouvoir, celui de l’Etat, des forces de répression, qui cache le pouvoir du grand capital.

Mettre en avant le gouvernement est toujours un moyen de cacher les trusts, les banques, la finance et tous les éléments du grand capital que ce gouvernement, quelle qu’en soit la couleur, défend. Ce sont les gouvernants eux-mêmes qui se mettent en avant dans toutes les situations de crise et de lutte, qui prennent sur eux le discrédit, la colère sociale, le mécontentement et qui, finalement, chutent éventuellement aux élections (ou même avant comme en Espagne), sans que les intérêts des classes possédantes soient en quoique ce soit mises en cause.

Et pourtant, même une lutte pour des réformes, même une lutte pour bloquer des attaques, pour empêcher des régressions d’ampleur, devrait, pour s’imposer, remettre en question l’ordre social. Si les travailleurs en lutte en 1936 ont fait reculer patronat et gouvernement, c’est grâce au fait que leur mobilisation s’est faite spontanément et pas derrière les appareils syndicaux, que les travailleurs avaient fondé des comités de grève, qu’ils occupaient les usines et menaçaient ainsi le sacro saint droit de propriété du capital sur l’entreprise. En somme, les travailleurs français avaient menacé la classe capitaliste d’une révolution sociale capable de leur ôter le pouvoir sur « leur » entreprise et même le pouvoir d’Etat. Ce n’est pas le gouvernement de front populaire qui les en menaçait, en même tout le contraire puisque c’est ce gouvernement « de gauche » qui a sauvé la classe possédante de la révolution sociale.

Nous avons payé cette trahison, ainsi que celle des centrales syndicales qui ont fait reprendre le travail, de l’arrivée au pouvoir du fascisme de Pétain et de la guerre mondiale que seule la révolution prolétarienne pouvait combattre.

Et c’est cette trahison permanente que représentent tous ces appareils réformistes et c’est elle qu’ils vendent sans cesse au patronat et au gouvernement. C’est grâce à elle qu’ils disposent du monopole de représentation des travailleurs dans les élections professionnelles, du monopole du droit de réunion dans l’entreprise, et du monopole du droit d’expression, notamment de diffusion des tracts, du monopole des négociations, du monopole des postes dans les institutions paritaires, dans les organismes de cogestion, dans les institutions étatiques à participation syndicale. C’est grâce à elle qu’ils touchent de l’argent de l’Etat, des banques et des trusts. Et on se doute que ces derniers ne paient pas pour rien, en échange de rien, d’autant qu’il s’agit de bien plus d’argent que le total des cotisations des syndiqués !

Si les syndicats et autres organisations réformistes ne font que dénoncer le gouvernement, cela ne signifie pas qu’ils combattent l’Etat bourgeois. Ce n’est pas en changeant les membres d’un Etat qu’on en change le caractère profond. les seuls, en France, à avoir changé le caractère de l’Etat sont les travailleurs révolutionnaires de la Commune de Paris de 1871 qui avait détruit, à Paris, l’ancien pouvoir d’Etat de la bourgeoisie et donné le pouvoir aux travailleurs, aux femmes, aux jeunes, aux milieux populaires en l’ôtant à la classe possédante, à ses généraux, à ses policiers, à ses juges, à ses bureaucrates, etc.

Tout ce que savent faire les réformistes, c’est pleurnicher que Macron est méchant, comme ils ont pleurniché sur le méchant Sarkozy, le méchant Hollande, ou pleurnichaient autrefois, notamment en 1968, sur le méchant De Gaulle !

Jamais, ces réformistes n’ont donné aux travailleurs des moyens de comprendre ce qui peut faire la force des classes possédantes comme ce qui fait leur faiblesse, quels sont les points forts de travailleurs et de quels moyens ils disposent réellement de se faire craindre, de se battre et de gagner, en fonction des forces et faiblesses du grand capital.

Dire « la faute à Macron », ce n’est pas la même chose que de dire que c’est la faute du grand capital et de la situation critique dans laquelle il se trouve depuis sa dernière crise de 2007-2008. Dire qu’ils veulent faire dérailler Macron n’est pas du tout identique à dire qu’ils sont conscients que c’est le capitalisme qui est en voie de dérailler et qu’ils préparent un autre avenir pour l’humanité que le système mondial d’exploitation et d’oppression !

Faire reculer (ou même chuter) Macron, ce n’est pas du tout la même perspective que combattre le capitalisme ! Macron peut partir et que le programme qui débute avec Sarkozy et dure jusqu’à Macron continue et même s’accélère si les travailleurs s’en tiennent à voter lors des élections bourgeoises et ne se décident pas à intervenir eux-mêmes, par leurs propres méthodes de classe, sur la situation sociale et politique.

La révolution sociale se gardera bien de conserver l’organisation étatique telle qu’elle est pour servir les intérêts de possédants. Elle la détruira au contraire de fond en comble. Il ne sert à rien de pleurnicher sur les liens entre les gouvernants et les capitalistes. Il ne sert à rien de les dénoncer même virulemment, si ce n’est pas pour ôter tout le pouvoir d’Etat au grand capital, à ses généraux, à ses hauts fonctionnaires, à ses juges, et à toute l’institution bourgeoise, ses lois, ses administrations et autres. La corruption est inévitable sous le capitalisme car c’est le moyen matériel de lier durablement les politiciens et bureaucrates au grand capital. Tant que l’Etat bourgeois reste en place, peu importe celui qui se trouve à sa tête, c’est le grand capital qui est en tête ! Inutile de conspuer le premier serviteur de la bourgeoisie capitaliste si ont ne s’attaque pas aux fondements du pouvoir de celle-ci : au pouvoir d’Etat bourgeois, au système bourgeois même prétendument démocratique et au fondement social lui-même de la dictature de classe, la propriété privée des moyens de production, des banques, des trusts, et du grand capital.

Tant que la lutte sociale n’est pas dirigée par les travailleurs eux-mêmes, organisés en assemblées générales dirigées par des travailleurs élus par ces assemblées se réunissant en comités de grève, se liant aux autres assemblées par des délégués élus et révocables, cette lutte ne peut être crainte de la classe possédante.

Par contre, du jour même où les travailleurs, renouant avec le fil historique rompu qui reliait la Commune de Paris de 1871, la révolution d’Octobre des soviets, la révolution hongroise des soviets, la révolution allemande des soviets, la révolution italienne des conseils et toute la vague révolutionnaire de 1917-1923, fil cassé par les sociaux-démocrates, les staliniens et les dirigeants syndicaux, le jour où ces travailleurs, dans n’importe quelle entreprise, dans n’importe quel pays, dans n’importe quelle région du monde, commenceront à s’organiser en masse, sur des bases politiques et sociales révolutionnaires, la locomotive de l’Histoire, le prolétariat aura repris sa marche et il est certain que la classe possédante mondiale cessera de se croire « en marche » !

Alors n’hésitons pas : faisons refleurir la Commune des travailleurs !

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