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Révolutions de l’Antiquité

mardi 8 décembre 2009, par Robert Paris

La plupart des civilisations ont chuté dans des révolutions ou dans des guerres mais affaiblées à cause de révolutions...


Les plus anciennes civilisations :

• Uruk (Mésopotamie) : 4000 ans av JC ;
• Minoenne (Crête) : 3000 ans av JC ;
• Phéniciens (Méditerranée) : 3000 av JC ;
• Akkad (Mésopotamie) : 2900 av JC ;
• Hittites (Asie Mineure) : 2000 av JC ;
• Mycénienne (Grèce) : 1500 av JC ;
• Utique (Phéniciens) : 1100 av JC ;
• Celtes (Est de l’Europe) : 500 av JC ;

• Caral (Pérou) 3000 ans av JC ;
• Real Alto (Equateur) : 3000 av JC ;
• Chomera (Equateur) : 1200 av JC ;
• Chavin (Pérou) : 900 av JC ;
• Olmèques (Amérique centrale) : 1200 ans av JC ;

• Vallée de l’Indus (Inde) : 5000 av JC,
• Vallée du Huang He (Chine) : 4000 av JC ;
• Môns (Birmanie) : 3000 av JC ;
• Ban Chiang (Khmer) : 2100 av JC ;
• Gojoseon (Corée) : 2000 av JC ;
• Indo-européens (Asie centrale) : 1600 av JC ;

• Nagada (Haute Egypte) : 3800 ans av JC ;
• Mari (Canaan) : 3000 av JC ;
• Kerma (Nubie-Soudan) : 2500 av JC ;
• Badarienne (Basse Egypte) : 1900 av JC ;

• Pays de Pount (Ethiopie) : 3000 av JC ;
• Nok (Nigeria) : 1000 av JC ;
• Grand Zimbabwe (Empire Monomotapa) : 400 av JC ;

SITE : Matière et Révolution

www.matierevolution.fr

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Qui se souvient des révolutions victorieuses de l’Antiquité : la révolution sociale (contre les riches et les religieux) qui renversa à Sumer la dynastie d’Ur-Nanshé vers – 2400 (avant J.-C), celle des régimes du Levant en -2300 avant JC, comme la révolution sociale contre les pharaons d’Egypte en -2260 avant JC qui supprima le règne des pharaons durablement produisant le premier "interrègne", le renversement des royaumes de Grèce vers -2000 avant JC, la révolution qui, en -1750 avant JC, renverse le régime de Mésopotamie du jeune roi Samsoullouna, celle contre l’Etat et la classe dirigeante de l’île de Crête (qui détruisit tous les bâtiments officiels et tous les édifices religieux du régime de Cnossos en 1425 avant J.-C), la révolution contre les corvées au royaume de Juda et qui engendra le royaume d’Israêl en -933 avant JC, la révolution contre la maison royale d’Israêl en -842 avant JC, le succès de la révolte contre le roi chinois Li-Wang en -841 avant JC, le soulèvement d’abord victorieux des peuples opprimés par le régime assyrien en -701 réprimé en -689, le renversement de l’empire maya vers -600, la révolte contre la noblesse et les dettes qui contraint les classes dirigeantes à faire appel à Solon, la révolte contre la dictature à Athènes en -510 qui amena la libération d’un grand nombre d’esclaves, la chute de la tyrannie à Agrigente en -470, la chute de la tyrannie à Syracuse en -466, la révolte victorieuse du peuple contre la noblesse de Corfou en -427 ou encore l’insurrection générale de forçats et de paysans sous la direction d’un paysan pauvre Tcheng Cheng qui mit fin à la dynastie impériale chinoise des Ts’in ? Qui se souvient que ces révolutions, même parfois défaites, ont marqué toute l’histoire ?

Pourquoi l’Histoire n’a pas retenu ces événements pourtant cruciaux ? Pour répondre à cette question, lire la premier chapitre du Livre Trois intitulé « La marque sociale des révolutions ».

L’histoire de la civilisation, dès l’Antiquité la plus ancienne, est inséparable de celle de la lutte de classes [1], et cette dernière englobe aussi bien les révoltes que les révolutions, les épisodes accomplis jusqu’au bout comme les tentatives avortées ou étouffées dans l’oeuf. Au cours de cette histoire et dès ses origines, la lutte entre oppresseurs et opprimés n’a jamais été la seule. Nombre de luttes internes aux classes dirigeantes ont eu lieu, mais cela ne diminue pas l’importance fondamentale des luttes sociales, pour interpréter l’objectif des rivalités et luttes internes. Les ethnologues ont été amenés à retrouver ces luttes sociales dans les anciennes civilisations, de l’Amérique latine à l’Asie en passant par le Moyen Orient.

Révolution dans l’Egypte des pharaons

« Les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie et chaque ville dit : « laissez nous chasser les puissants de chez nous. »
Le scribe Ipouer
A l’époque de la révolution sociale égyptienne de -2260 avant J.-C

Préface de Pierre Grimal de l’ouvrage « Textes sacrés et profanes de l’ancienne Egypte » de Claire Lalouette  : « Nous découvrons que le visage apparemment serein et immuable de l’Egypte s’est parfois attristé. (...) des révolutions sociales chassent les antiques familles, dépositaires des traditions les plus respectables (...) » Pierre Grimal rappelle que des textes marquants sont marqués de ces événements : « Aux chants de triomphe et de joie célébrant la paix et la victoire des rois, succèdent des plaintes pathétiques. Quoi de plus touchant que la prophétie de Neferty, rédigée sans doute vers l’an 2000 avant J.-C, placée idéalement sept siècles plus tôt, et décrivant l’état du royaume pendant ce que nous appelons la première période intermédiaire ? Il passe dans ces lamentations comme un accent biblique, le langage est lourd d’images qui mettent en question les forces les plus secrètes de la Nature (...) Ce que les hommes avaient pu accomplir, la place qu’ils avaient su se donner, contre les puissances mauvaises, tout cela est détruit (...) La prophétie de Neferty était écoutée par le roi. Vers le même temps, les mêmes malheurs, ou d’autres analogues suscitaient les lamentations d’Ipou-our (...) Le ton est différent, ce sont les paroles d’un homme simple ; les comparaisons qu’il emploie viennent de la vie quotidienne : le tour de potier, les ibis qui souillent la terre, et cet homme regrette que l’état ancien de la société ait été bouleversé, que la servante tienne la place de la maîtresse, que le riche soit dans une condition misérable (...) »

« Textes sacrés et profanes de l’ancienne Egypte » de Claire Lalouette :
« Les écrits intitulés Enseignement d’un père à son fils constituent un ensemble important dans la littérature de l’Egypte ancienne (...) Deux de ces enseignements, toutefois tout particuliers : il s’agit de véritables testaments politiques aux termes desquels le roi encore régnant donne au prince héritier d’utiles conseils et des précisions sur la situation administrative du pays. Relativement anciens, ils se situent en des périodes proches dans le temps : l’un à la fin de la première période intermédiaire (période de troubles et d’anarchie qui fait suite à une révolution sociale), vers 2100 avant J.-C – l’autre au début de la 10ème dynastie, vers 1980 avant J.-C. A la monarchie puissante et quai despotique de l’Ancien Empire succède alors une monarchie nouvelle, qui a dû tirer la leçon d’événements révolutionnaires survenu à l’intérieur du pays, et qui cherche à affirmer un pouvoir royal, prudent, plus préoccupé des besoins du peuple – rois et dieux oeuvrant pour le maintien de la justice et de la cohésion sociale. »

« Enseignement du roi Kheti II à son fils Mérikaré
« Si tu rencontres un homme dont les partisans sont nombreux une fois assemblés, et qui soit agréable aux yeux de ses gens, un homme qui soit un orateur prolixe, chassez-le, supprimez-le, efface son nom, chasse son souvenir ainsi que celui de ses partisans. C’est aussi une cause de troubles pour les citoyens qu’un homme au cœur violent, il provoque des factions parmi les jeunes. Si tu t’aperçois que les citoyens subissent son ascendant, humilie le en présence des courtisans, chasse le ; c’est un ennemi aussi. Un bavard est un fauteur de troubles pour la ville. Soumet la multitude ; repousse l’excitation loin d’elle. (...) »
« Seul un homme malade est dépourvu d’ennemis, et, à l’intérieur même de l’Egypte, l’ennemi ne s’apaise pas. (...) Je me suis approché de la ville de This [2] et de celle de Mâqi, à la limite sud de Taout, je les ai saisis comme un nuage qui crève. (...) Vois, le pays qu’ils avaient saccagé est maintenant organisé en nomes et toutes sortes de grandes villes. (...) Tous travaillent pour toi comme une seule troupe. Parmi eux, aucun rebelle n’apparaîtra, le Nil ne te nuira pas en ne revenant pas, et les produits de la Bass Egypte sont dans ta main. »
« Vois, une action vile est arrivée en mon temps. Les districts de la ville de This ont été saccagés, et cela arriva de mon fait ; je n’en eu connaissance qu’après son accomplissement. Vois la faute capitale que j’ai commise, elle est certes pénible (...). Agis pour Dieu – il agira de même pour toi – au moyen d’offrandes qui renouvelleront son autel. (...) il tue les ennemis et détruit ceux de ses enfants qui songeaient à accomplir une révolte. (...) Il a fait pour eux des chefs, dès l’oeuf, des conducteurs pour soutenir l’échine de l’homme faible. (...) il a tué les hommes vils qui étaient parmi eux. (...) »

« La prophétie de Neferty
(...) Courage mon cœur, pleure sur ce pays où tu as commencé (ton existence) (...) Vois donc, le Grand personnage est maintenant abattu, dans ce pays où tu as commencé ton existence (...) Vois donc les Grands ne constituent plus le « gouvernement » du pays. (...) Ré doit recommencer la création. Le pays tout entier a péri, il ne subsiste rien ; il ne restera même pas le noir de l’ongle de son destin. Ce pays est si gravement atteint que personne ne se lamente plus sur lui, que personne ne parle, que personne ne pleure. Comment donc ce pays pourra-t-il subsister ? (...) Assurément ces belles et bonnes choses (d’autrefois) ont été détruites. (...) Je te décris le pays à la manière d’un malade, car ce qui n’aurait jamais dû arriver est arrivé. On saisira les armes de combat et le pays vivra dans le tumulte. On fabriquera des flèches de cuivre et l’on demandera du pain avec du sang. (...) Je te décris le Pays à la manière d’un malade. Celui dont le bras était faible sera un homme puissant ; on saluera celui qui (autrefois) saluait. Je te décris l’homme inférieur devenu supérieur, ce qui était tourné sur le dos est maintenant tourné sur le ventre. On vivra dans la nécropole. Le pauvre empilera de grandes richesses. C’est l’homme misérable qui mangera les pains d’offrandes, tandis que les serviteurs seront dans la liesse. Le nome d’Heliopolis, lieu de naissance de tous les dieux, n’existera plus. (...) Alors un roi viendra du sud (...) Il prendra la couronne blanche et il portera la couronne rouge, ainsi il unira les deux puissances (...) Le peuple d’Egypte se réjouira (...) Ceux qui inclinaient au mal et ceux qui complotaient une rébellion ont mis fin à leurs paroles à cause de la crainte qu’il inspire. (...) Les rebelles éprouveront sa colère et les hommes au cœur pervers la terreur qu’il répand. »

« Les lamentations d’Ipou-Our
« Le texte (...) décrit l’Etat chaotique de l’Egypte après les bouleversements de la révolution sociale que celle-ci connut à la fin de l’Ancien Empire et durant la première période intermédiaire, (vers 2190-2070 avant J.-C) »
Extraits du texte :
« (...) Voyez donc, les hommes démunis sont devenus propriétaires de richesses et celui qui ne pouvait faire pour lui-même une paire de sandales possède des monceaux.
Voyez donc, les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie, et chaque ville dit : « laissez-nous chasser les puissants de chez nous. » (...)
Voyez donc, l’or et la lapis-lazuli, l’argent et le turquoise, la cornaline et le bronze, la pierre de Nubie entourent le cou des servantes, tandis que les nobles dames errent à travers le pays et que les maîtresses de maison d’autrefois disent : « Ah ! Puissions-nous avoir quelque chose à manger ! » (...)
Voyez donc, Elephantine, Thinis, etc… de Haute Egypte ne paient plus d’impôts, à cause de la révolte. On manque de fruits, de charbon de bois. (...)
Autrefois, le cœur du roi était heureux quand les porteurs d’offrandes s’avançaient vers lui, et quand venaient les pays étrangers : c’était notre empire, c’était notre prospérité. Qu’allons nous faire à ce propos ? Tout est tombé en ruine. (...)
Voyez donc, celui qui ne possédait rien est maintenant celui qui possède (...)
Voyez donc, les Grands ont faim et souffrent, mais les serviteurs sont servis. (...)
Voyez donc, les bureaux administratifs sont ouverts, les rôles ont été enlevés, de sorte que celui qui était un serf peut devenir le maître des serfs. (...)
Voyez en vérité une chose a été faite qui n’était pas arrivée auparavant : on est tombés assez bas pour que des misérables enlèvent le roi. (...)
Voyez en vérité, on est tombés assez bas pour que le pays ait été dépouillé de la royauté par un petit nombre de gens sans raison. (...)
Voyez, les juges d’Egypte sont chassés à travers le pays, chassés des Maisons de la royauté. (...)
Voyez, aucune fonction n’est désormais à sa place, tel un troupeau qui s’égare sans berger. (...)
Cela est bon assurément quand les mains des hommes construisent des pyramides et creusent des étangs et font pour les dieux des vergers. (...)

« Les chants du désespéré
« Ce document est encore un écho de la révolution sociale qui sévit en Egypte durant la première période intermédiaire.
« (...) Ceux qui ont construit des monuments en granit et édifié des pyramides parfaites, œuvres achevées, ces bâtisseurs sont devenus des dieux ; mais maintenant leurs tables d’offrandes sont nues, comme celle des abandonnés qui sont morts sur la rive sans descendance (...)
L’homme qui rendait furieux à cause de ses mauvaises actions, maintenant fait rire tout le monde lorsque son crime est odieux. (...)
A qui parlerai-je aujourd’hui ? Il n’y a plus d’homme pacifique. (...)
Le mal a frappé le pays. Il n’a plus de fin. (...) »

« Chant pour le roi Antef (2100 avant J.-C)
« Ceux qui autrefois furent des dieux, les morts glorifiés de même. Mais ceux qui construisent des tombeaux, leurs résidences n’existent plus. Qu’en est-il donc advenu ? (...) Leurs murs sont détruits. Leur emplacement même n’est plus comme s’il n’avait jamais existé. »

« Chant pour Neferhotep
« (...) J’ai entendu ce qui était arrivé. Leurs constructions se sont effondrées. Leurs tombes ont disparu. »

Guy Rachet dans « Civilisation égyptienne » :
« C’est dans les « Admonitions d’un sage Egyptien » qu’on trouve le tableau le plus complet de la révolution : ’’Le pays est pleine ébullition et le laboureur porte un bouclier. Les lois de la Salle de justice sont dispersées (...) les portes et les murailles sont incendiées (...) les pauvres sont riches et les riches sont dépouillés (...) les fils de nobles sont jetés à la rue (...) le roi est enlevé par les pauvres (...) des hommes de rien ont renversé la royauté, ils ont osé se révolter contre l’uraeus défenseur de Rê. (...)’’ Cette haine fantastique contre le pharaon s’est reportée contre toute la lignée des rois de l’Ancien Empire et c’est ce qui explique les sarcophages des pyramides brisés et vidés de leurs restes humains, et surtout les statues des rois jetées au fond de puits ou cassées jusqu’à être réduites en minuscules morceaux. Si cette révolution ouvre l’époque d’anarchie de la première période intermédiaire, si elle brise toutes les structures sociales de l’Ancien Empire, ses conséquences pour la vie morale du peuple égyptien sont sans doute incommensurables : le privilège de l’immortalité solaire, qui n’appartenait qu’au pharaon et à ceux que sa volonté royale avait élus, est donné désormais à tout Egyptien à quelque classe qu’il appartienne. »

Viviane Koenig dans « L’Egypte au temps des pharaons » : « Vers 2260, à la fin du long règne du pharaon Pépi II, (...), l’autorité royale s’effrite, surtout en Haute Egypte, région si éloignée de la capitale. L’Etat se disloque. Au nord, le peuple s’agite. Une révolution violente, sanglante, implacable éclate. Dépossédés de leurs biens, les riches émigrent ou découvrent la misère. La peur règne partout. Les brigands parcourent la campagne. Les paysans ne cultivent plus. La famine fait des ravages. Les fonctionnaires, débordés, voient leurs bureaux mis à sac. Les artisans abandonnent leurs ateliers. Le palais royal brûle. (...) Même les dieux sont délaissés. (...) Les pauvres possèdent les richesses. (...) Les nobles dames meurent de faim. (...) L’ordre social est bouleversé. L’Ancien Empire devient un souvenir. (...) Le temps est fini où, dans l’ordre et le calme, les paysans obéissaient au scribe surveillant l’engrangement du blé. (...) Pendant plus de deux siècles, Pharaon n’existe plus (...). Les troubles violents qui ont mis fin au vieil empire sont terminés. Ils ont été d’une violence inouïe : une véritable révolution. (...) Vers 2050, Mentouhotep devient le pharaon Mentouhotep 1er. » Elle présente un témoignage écrit : « Je te présente le pays sens dessus dessous. Ce qui se passe ne s’était jamais passé. (...) Quelques hommes sans foi ni loi sont allés jusqu’à déposséder le pays de la royauté, la résidence royale a été ravagée en une heure, celui qui ne pouvait se construire un réduit est propriétaire des murs, celui qui ne pouvait se faire construire une barque est propriétaire des bateaux… » C’est bien une révolution sociale qui a renversé l’ordre. Un changement va apparaître dans le nouvel empire : les grands nobles sont surveillés par le pharaon, les stocks de blé ne peuvent plus être détournés par corruption, les gouverneurs deviennent des fonctionnaires qui répondent de leur vie au cas où les greniers de réserve sont vides, les pauvres accèdent à la vie éternelle et ont droit de traduire leur noble en justice. La classe pauvre est reconnue, la classe riche a perdu de son pouvoir en faveur de l’Etat et la classe moyenne voit son nombre considérablement accru. La réforme de l’Etat sert fondamentalement la classe noble même si elle est dépossédée du pouvoir direct. Et Pharaon doit désormais justifier de sa nécessité, se faire de la propagande politique : des écrits exposent les problèmes de la société et combien Pharaon est indispensable pour les résoudre. L’idéologie dominante est elle aussi modifiée. Pharaon a modifié la religion qui fait mine de se tourner désormais vers le peuple. En achetant quelques formules magiques, n’importe qui peut aller dans l’au-delà. »

Révoltes populaires et bouleversements sociaux
de l’ancien empire en Egypte
À la faveur des troubles qui marquent la fin de l’Ancien Empire, les interdits religieux ne sont plus respectés, et la richesse change de mains.
« La Sublime Salle de Justice, ses écritures sont enlevées, les places secrètes sont divulguées. Les formules magiques sont divulguées et deviennent inefficaces, parce que les hommes les ont dans leur mémoire. Les offices publics sont ouverts ; leurs déclarations (titres de propriété) sont enlevés ; malheur à moi, pour la tristesse de ce temps !...
Voyez donc : des choses arrivent qui n’étaient jamais advenues dans le passé : le roi est enlevé par les pauvres… Ce que cachait la Pyramide est maintenant vide. Quelques hommes sans foi ni loi ont dépouillé le pays de la Royauté. Ils en sont venus à se révolter contre l’Uræus qui défend Râ et pacifie les Deux Terres …
Les pauvres du pays sont devenus riches, tandis que les propriétaires n’ont plus rien. Celui qui n’avait rien devient maître de trésors et les grands le flattent. Voyez ce qui arrive parmi les hommes : celui qui ne pouvait se bâtir une chambre, possède maintenant des (domaines ceints de) murs. Les Grands sont (employés) dans les magasins. Celui qui n’avait pas un mur pour (abriter) son sommeil est propriétaire d’un lit. Celui qui ne pouvait se mettre à l’ombre possède maintenant l’ombre ; ceux qui avaient l’ombre sont exposés aux vents de tempête. Celui qui ne s’était jamais fabriqué une barque a maintenant des navires ; leur (ancien) propriétaire les regarde, mais ils ne sont plus à lui. Celui qui n’avait pas une paire de bœufs possède des troupeaux ; celui qui n’avait pas un pain à lui devient propriétaire d’une grange ; mais son grenier est approvisionné avec le bien d’un autre…
Les pauvres possèdent les richesses ; celui qui ne s’était jamais fait de souliers a maintenant des choses précieuses. Ceux qui possédaient des habits sont en guenilles ; mais celui qui n’avait jamais tissé pour lui-même a maintenant de fines toiles. Celui qui ne savait rien de la lyre possède maintenant une harpe ; celui devant qui on n’avait jamais chanté, il invoque la déesse des chansons… La femme qui n’avait même pas une boîte a maintenant une armoire. Celle qui mirait son visage dans l’eau possède un miroir de bronze…
Les (dames) qui étaient dans les lits de leurs maris, couchent sur des peaux (par terre)… Elles souffrent comme des servantes… Les esclaves (femmes) parlent tout à leur aise, et, quand leurs maîtresses parlent, les serviteurs ont du mal à le supporter. L’or, le lapis, l’argent, la malachite, les cornalines, le bronze, le marbre… parent maintenant le cou des esclaves. Le luxe court le pays ; mais les maîtresses de maison disent : « Ah ! si nous avions quelque chose à manger. « Les dames… leurs corps souffrent à cause de leurs vieilles robes… leurs cœurs sont en déroute quand on les salue.
Les nobles dames en arrivent à avoir faim, tandis que les bouchers se rassasient de ce qu’ils préparaient pour elles ; celui qui couchait sans femme, par pauvreté, trouve maintenant de nobles dames.
Le fils d’un homme de qualité ne se reconnaît plus parmi d’autres : le fils de la maîtresse devient fils de servante… « 

La révolte populaire contre la construction des pyramides

« Nous constatons que beaucoup d’écrits concernant l’origine de la réforme religieuse d’Imhotep ont complètement disparu, mais ce n’est pas parce qu’on a retrouvé les premiers textes dans les pyramides de la cinquième dynastie que le clergé d’Héliopolis dirigé par un si extraordinaire grand prêtre (que fut Imhotep), aurait attendu deux siècles pour mettre en place l’image de la résurrection symbolisée par Osiris !
« Pour les Egyptiens peu importait LE NOM du Grand Dieu souverain qui peut revêtir de multiples aspects puisqu’il EST la « source créatrice » de toutes choses, on constate dès lors que cette recherche du surnaturel s’intègre dans les actes et pensées les plus intimes de l’individu. C’est précisément cet esprit qui traversera les siècles et se transmettra de génération en génération malgré les soulèvements du peuple ou les changements de dynasties.
Si l’on en croit les explications d’Hérodote il y aurait eu une sorte de révolte populaire sous la 7ème dynastie qui a marqué la fin de la période : Ancien Empire et la séparation des royaumes qui prendra le nom de « première période intermédiaire ».
« Cette fronde expliquerait en partie notre manque de renseignements sur les noms des divers architectes royaux de la quatrième dynastie qui ont également construit des pyramides et le martelage des figures de Chéops (après sa mort)…
La seule image que l’on possède de Chéops provient d’une petite statuette brisée, reconstituée et actuellement exposée au Musée du Caire.
Plusieurs gouverneurs de provinces en profitèrent pour s’allier contre le pouvoir royal. Le pays étant affaiblit par cette guerre civile, les tribus nomades de Bédouins aux frontières organisèrent des incursions dans les villes et villages du delta du Nil où ils tuèrent et pillèrent de nombreux habitants avant de repartir en toute impunité…
« Comme le révèle le chant mélancolique du harpiste, même les trésors des pyramides ne furent pas épargnés :
« Les dieux (les rois) qui furent jadis ensevelis dans leurs pyramides qu’est-il advenu d’eux ? Leurs murs sont tombés en ruines, leurs places ne sont plus ; c’est comme s’ils n’avaient jamais existé ! « 
Et jaillit de ses lèvres comme une philosophie qui explique aux générations futures la vanité des choses et la nécessité de mourir :
« Les corps passent et disparaissent, tandis que d’autres demeurent depuis le temps des ancêtres. Les plaintes ne sauvent personne du tombeau, car il n’est accordé à personne d’emporter avec soi son bien, et aucun de ceux qui sont partis n’est revenu ! »
« S’il est une chose que tu peux acquérir et que jamais tu ne perdras : « donne du pain à celui qui (a faim et) n’a pas de champ et assure-toi à tout jamais un bon nom auprès de ta postérité. »

La première période intermédiaire
« Période très trouble durant la 7e et 8e dynastie où deux capitales vont se disputer le titre : Memphis et Abydos. Héracléopolis en tant que fief personnel du roi restera fidèle à son autorité dirigée de Memphis, tandis qu’Idi, prince de Coptos et Shemaï prince d’Abydos gouvernèrent la Haute Egypte redevenue indépendante.
Aux incursions de bédouins qui violent les frontières on peut ajouter les Libyens à l’Ouest, tandis qu’à l’Est les Syriens s’allient aux Cananéens (asiatiques) pour déferler en bandes sur l’Egypte.
Sous la 9e et 10e dynastie de nombreux princes revendiquèrent en vain la royauté dans la nouvelle capitale de Moyenne Egypte : Héracléopolis où Néferkaré (-2130 -2120) a essayé d’imposer sa loi sans faire l’unanimité autour de sa personne.

Sous la dixième dynastie, à l’aube du Moyen Empire
Enseignements du roi Ouakha-Rê Khety III (-2 110 à – 2075) à son fils le futur roi Mérikaré de la 10e dynastie (-2 075 à -2 060) Papyrus du musée de l’Ermitage – N°1115 à Copenhague :
« La vie sur terre passe rapidement, heureux celui qui est sans péché, car un million d’hommes ne serviront à rien au roi des deux-terres lorsqu’il paraîtra en pécheur dans l’au-delà. La mémoire de l’homme bon vivra toujours. L’essence de la vie est dans la parole des ancêtres, elle est contenue dans les livres… Ouvre-les et lis-les. Pratique la justice aussi longtemps que tu seras sur terre, Réconforte ceux qui pleurent, n’opprime pas la veuve et l’orphelin… Dieu connaît le perfide et rétribue ses péchés dans le sang…Monte vers les chemins inaccessibles, car l’âme de l’homme va vers la place qu’elle connaît, elle ne s’écarte pas du chemin de la vérité et personne ne peut la repousser ! Sache que les juges du tribunal de l’au-delà examineront une vie comme une heure. Heureux celui qui atteindra cette vie : il sera là comme un dieu, il se déplacera librement comme les maîtres de l’éternité, car il n’y a personne qui puisse s’opposer au créateur qui est omniprésent et omniscient. Honore ton Dieu invisible sur ton chemin, pratique la vérité et la justice, Agis pour Dieu afin qu’il puisse faire de même pour toi. Après avoir puni les hommes (déluge ?) il fait à nouveau briller sa lumière (Rê) qui navigue dans le ciel pour que les hommes la voient. »
Ces paroles ont été écrites vers -2080 …

Les avertissements d’Ipouer
Dans un ensemble de papyrus découvert à Memphis, se trouve un texte que l’on a attribué à un scribe du Moyen Empire nommé Iouper. Ce scribe essaie d’expliquer les causes et les graves événements de la première période intermédiaire. Ce document est actuellement conservé au musée de Leyde (Pays-Bas) sous le N° 1344.
« … Les tribus ennemies se sont établies partout dans le pays et l’homme doux et humble soupire en disant que les hommes sont différents ! Alors que l’on enseignait avant que « le prédestiné » sera toujours dans la rectitude des temps d’Horus (fils d’Osiris) et dans l’âge (éternel) de l’Ennéade (le collège des dieux d’Héliopolis) … Ecoutez le fleuve (Nil) charrie du sang et pourtant les hommes s’y désaltèrent tant ils ont soif ! Les villes de Haute et Basse Egypte sont détruites et se consument. Le palais des rois est dépouillé, même les morts sont devenus des étrangers. Contemplez ce qu’il advient lorsque les hommes se hasardent à se rebeller contre l’uraeus divin, grâce auquel le dieu Rê pacifie les deux terres. Le serpent de la science est saisi et les pillards sont partout.
Souviens-toi de l’odeur des offrandes qui flottait dans l’air, les dates sacrées étaient respectées, le parfum brûlait et les prêtres étaient purs car la corruption du coeur n’existait pas. Souviens-toi que le Dieu qui produit le chaud et le froid est le pâtre de l’humanité et son coeur ignore le mal. Si son troupeau s’est égaré, il passe le jour à le rassembler.
Oui ! en vérité, il rassemble le coeur des hommes par le fruit de son amour pour eux et il perçoit leur nature dès la première génération. Aussi va-t-il jusqu’à penser détruire les hommes mauvais de son propre bras. Sache qu’il est bien que les hommes construisent des pyramides, creusent des étangs et plantent des arbres pour le plaisir des dieux et le bonheur du peuple.
Que chaque homme se fasse aimer de son prochain, que la rectitude soit respectée dans tous les discours. Générations futures, je vous parle avec mon cœur et j’attends que vous répondiez de même. Un cœur solitaire ne doit pas garder le silence, car il sait que multiples sont les poids de la balance de l’au-delà… »

Révolutions en Mésopotamie

Annie Caubet et Patrick Pouysegur dans « L’Orient ancien, aux origines de la civilisation » :
Sur la naissance du pouvoir à Uruk, que dit la mythologie :
« Mille deux cent ans ne s’étaient pas écoulés
Que le pays s’était étendu, que les gens s’étaient multipliés.
Le pays rugissait comme des taureaux.
Enlil entendit leurs cris
Et dit aux grands dieux :
Les cris de l’humanité m’ont importuné,
Je suis privé de sommeil par leur brouhaha. »
(Atra-Asîs)

« Sur l’Euphrate, la fondation de Mari, qui remonte probablement au 29ème siècle avant J.-C, répond elle aussi au développement du commerce (…) Après une phase d’abandon de un siècle environ, Mari est occupé par une nouvelle population et la ville, reconstruite sur le modèle mésopotamien, ne cessera de se développer au cours des siècles suivants. »
« -2400 (...) Le déclin de Lagash est déjà entamé. Afin de l’endiguer, un usurpateur du nom d’Uruinimgina va s’efforcer de promouvoir une politique de réformes administratives et sociales, faisant consigner ses édits sur des cônes d’argile. Ils portent le texte d’une ordonnance royale proclamant la réduction des taxes et la fin des « abus des jours anciens ». Mais cet élan de rénovation viendra trop tard. »
« Après -2300, l’ensemble du Levant est gagné par un déclin dont les causes, mal connues, combinent vraisemblablement facteur écologique et facteur économique, avec notamment un ralentissement considérable de l’activité commerciale, qui est en partie lié à l’affaiblissement puis à la disparition de l’Ancien Empire égyptien. En tout état de cause, la région va subir jusqu’à la fin du millénaire un recul important de la civilisation urbaine. Les cités sont pour la plupart abandonnées et certaines détruites. Ces destructions, que l’on retrouve depuis la Palestine jusqu’à la Syrie, sont généralement associées à des mouvements de populations amorrites. Pourtant rien n’est moins assuré. (...) Un temps ininterrompu pendant la période de crise qui prévaut à la fin du 3e millénaire. (...) Vers la fin du 19ème siècle avant J.-C, de violents conflits secouent à nouveau la région, et les comptoirs assyriens vont être brutalement détruits. (...) Le monde proche oriental, dont la plupart des régions ont été touchées à des degrés divers par la crise générale de la fin du 3e millénaire, n’a pourtant pas tardé à retrouver une réelle prospérité (…) »
« Le souverain sumérien est, à son tour, vaincu par l’Akkadien Sargon. (...) L’ère des cités-Etats vient de s’achever. (...) Afin d’asseoir son pouvoir, il fait raser les remparts des grandes cités sumériennes et y installe comme gouverneurs des « fils d’Akkad », accompagnés de fonctionnaires et de troupes. (...) L’espace mésopotamien se trouve pour la première fois tout entier unifié ; mais cette unité est fragile. Les vieilles cités sumériennes acceptent mal la nouvelle autorité qui s’établit sur la remise en cause de leurs traditions. Des révoltes éclatent dès la fin du règne de Sargon ; elles vont se multiplier pendant ceux de ses deux fils qui lui succèdent tour à tour. Rimush qui monte sur le trône d’Akkad à la mort de son père en -2278 doit ainsi réprimer le soulèvement de plusieurs cités de Sumer, en particulier celles d’Ur et de Lagash. (...) Avec l’accession au pouvoir en -2254 du fils de Manishtushu, Narân-Sîn, l’Etat akkadien va se muer en un véritable empire. (...) Il va devoir cependant, à l’instar de ses prédécesseurs, faire face au soulèvement récurrent des grandes cités. Un soulèvement général le contraint même à mener neuf batailles successives avant qu’il parvienne à rétablir son pouvoir. L’irrédentisme des cités sumériennes n’est d’ailleurs plus la seule menace qui pèse sur la stabilité de l’Etat akkadien. La pression toujours plus forte qu’exercent les populations semi-nomades vivant en périphérie de l’empire va rapidement devenir un problème majeur. »
« En -2150, après l’effondrement de l’empire d’Akkad, (...) la domination qu’instaurent les souverains montagnards sur la plaine de Mésopotamie va rapidement se révéler de pure forme. Les grandes cités du sud (...) échappent bientôt à leur contrôle, et l’Etat sumérien de Lagash est l’un des premiers à retrouver son indépendance. (...) En -2116, le roi d’Uruk Uru-Hegal prend la tête d’une révolte générale et va triompher et va triompher (...) restituant la royauté à Sumer. (...) Dès -2112, il est renversé par Ur-Nammu (...) Le code d’Ur-Nammu (...) est instauré dans tout l’empire. Le pauvre, l’orphelin, la veuve sont protégés du pouvoir des puissants : « Je ne livre pas celui qui n’a qu’un mouton à celui qui possède un bœuf « affirme le souverain dans le prologue du code. (...) Avec l’avènement d’Ibbi-Sîn, (...) en -2028, l’empire va s’effondrer. Le pouvoir du roi d’Ur se réduit d’année en année, tandis que les grandes cités reprennent l’une après l’autre leur indépendance. »
« En -1755, Hammurabi est le maître incontesté d’un nouvel empire mésopotamien, dans la lignée de ceux d’Akkad et de la 3e dynastie d’Ur. (...) le cœur de l’empire bat désormais à Babylone, promue au rang de capitale politique, mais également de métropole religieuse et culturelle. Le pouvoir royal, qui continue d’ancrer sa légitimité dans la volonté divine, étend son autorité sur l’ensemble de la société au moyen d’une administration hiérarchisée qui ne dépend que de lui. Le palais est la première puissance économique, suscitant autour de lui le développement d’un secteur privé, implanté aussi bien dans le domaine agricole que dans l’artisanat et le commerce. Afin de réguler le fonctionnement d’une société de plus en plus complexe, Hammurabi fait rédiger un nouveau code de justice. Construit sur le modèle de ceux d’Ur-Nammu et de Lipt-Ishtar mais écrit en langue babylonienne (...) il vient « proclamer le droit dans le pays, éliminer le mauvais et le pervers, empêcher le fort d’opprimer le faible. » (...) Le grand royaume d’Hammurabi ne survivra pas à son fondateur. (...) Dès le règne de son fils Samsu-Iluna, qui monte sur le trône en -1749, une forte crise économique accompagne la révolte des cités. Le sud de la Mésopotamie échappe au contrôle de Babylone et les villes s’y vident de leur population. L’effondrement de la région correspond à l’arrêt des échanges commerciaux dans le Golfe qui est consécutif à la disparition de la civilisation de l’Indus. (...) L’effondrement de la Babylonie (en -158) ne fait, en réalité, que suivre, à quelques décennies d’intervalle, celui d’autres Etats prestigieux, au premier rang desquels l’empire hittite. Miné par une crise économique et politique, celui-ci disparaît aux environs de -1200 (...). L’accession au pouvoir d’Assurbanipal (-668 à -629), préparée par un serment prêté à sa personne dès -672 par la population assyrienne, s’accomplit sans difficulté notable. En -667, l’Egypte est reconquise (...) L’impérialisme assyrien est désormais parvenu aux limites de ses capacités militaires et administratives. Non seulement, l’Egypte ne sera jamais reconquise, mais la révolte de la Babylonie, l’année suivante, annonce l’effondrement prochain d’un pouvoir à bout de souffle. La puissance assyrienne s’y épuise dans une guerre civile prolongée, et Babylone ne sera reprise qu’après un siège de deux ans. (...) Après l’anéantissement de l’Assyrie, le souverain chaldéen de Babylone va se poser en héritier du vaste empire qu’il a contribué à abattre. (...) Nabuchodonosor II exerce son autorité sur un territoire considérablement plus grand que ceux contrôlés par les pouvoirs babyloniens antérieurs. Mais cette hégémonie demeure fragile, en particulier au Levant où les révoltes sont fréquentes, attisées par les pharaons saïtes. C’est le refus par la ville de s’acquitter du tribut annuel qui conduit à la prise de Jérusalem en -597, puis à nouveau en -587, accompagnée chaque fois de la déportation de milliers de juifs et de leur roi à Babylone. Dans le cité dévastée, on « brûla la maison de Yahve, la maison du roi et toutes les maisons de quelque importance. »  »

Viviane Koenig
dans « L’Egypte au temps des pharaons » : « Le roi Hammourabi ne peut empêcher le développement d’une crise sociale grave : le petit peuple ne peut rembourser les grains ou l’argent empruntés. D’année en année, il s’endette toujours d’avantage. Vers 1750, à la mort de son père, Samsoullouna essaie de résoudre ce problème en remettant les vieilles dettes. Malgré cette mesure clémente, la situation s’aggrave : de Kish à Our, le pays se soulève. En cinq ans, le jeune roi mate la rébellion mais perd le sud de son royaume. (...) Vers 1550, le dernier roi de la dynastie ne règne plus que sur les environs de Babylone. »

Révolutions en Chine

Dans un reportage sur la Chine impériale par la télévision ZDF, Dap Huong Ho, ethnologue du mausolée du roi Hin Zong, l’inventeur de l’Etat centralisé de Chine, l’empire, rapporte comment, en 221 avant J.-C, Qin Sihuang devint le premier empereur de Chine. Ce souverain du royaume de Qin, royaume du fleuve jaune, Hin Zong, (259 avant J.-C) entouré de milliers de soldats d’une véritable armée en terre cuite. Celui qui a fondé l’empire est un massacreur de grande première. Son mausolée est fondé sur des ossements. Il a encouragé l’artisanat et le commerce. A battu les royaumes combattants en seulement six ans, en partant à la tête d’un million de soldats en 230 avant J.-C, guerre qui coûtera la vie à deux millions de personnes. La féodalité est matée. Il a le cœur d’un tigre, disent ses contemporains. Il terrorise son peuple. Unification des poids et mesure sur tout l’empire, unification monétaire, standardisation de l’écriture. « Le souverain assigne sa place à chaque être » Service du travail obligatoire de trois mois, impôt massif et travail forcé servent à la construction du mur de protection de l’empire. Si l’on règne par le châtiment, le peuple aura peur et il ne commettra pas d’infraction » dit le conseiller de l’empereur. Les lois du système, dit légaliste, remplacent la tradition et le rituel. L’empereur de Chine a fait brûler tous les anciens écrits et il fait exécuter des centaines de lettrés. Son empire despotique provoqué la colère de la population, qui se révolta contre ses excès. Avant sa mort, c’est pour se protéger contre la révolution qu’il fit placer dans son mausolée sept mille soldats de terre cuite. Le peuple est en effervescence. La population se soulève dans toutes les provinces. Le roi se réfugie dans son propre palais. Ses sentinelles symboliques en terre ont été détruites. Elles seront retrouvées en mille morceaux et ont été depuis reconstituées morceau par morceau.

Etienne Balazs dans « La bureaucratie céleste » :
« La crise sociale et la philosophie politique à la fin des Han
« (...) Nous sommes au milieu du 2ème siècle. L’immense empire des Han jouit depuis de longues années d’une paix relative, la population a presque doublé depuis la restauration, aux environs de l’ère chrétienne et les richesses s’accumulent. Mais l’accumulation même de la richesse et la différenciation des professions qui marquent le passage d’une économie naturelle vers une économie d’échange ont comme rançon une plus grande inégalité dans la distribution des revenus et le renversement des rapports sociaux traditionnels. Le signe le plus évident de ce déséquilibre est l’affaiblissement du pouvoir impérial. (...) La pointe de la pyramide hiérarchique commence à s’ébrécher, et une lutte serrée s’engage pour l’exercice du pouvoir réel. (...) Tandis que l’avant-scène retentit des querelles des diverses fractions de la classe dirigeante, toute occupée à se tailler la plus grande part des revenus et sourde aux avertissements des philosophes, le peuple des campagnes se prépare à se soulever contre l’exploitation intolérable des grands propriétaires et les exactions vexatoires des mandarins. La population agricole, c’est-à-dire la presque totalité de la nation, vivait dans une misère indicible. Le paysan libre était en train de disparaître. Constamment menacé sur son lopin par la famine, les impôts, les corvées et pressuré par de multiples demandes des fonctionnaires mal payés, ou encore menacé d’expropriation par quelque grand seigneur désireux d’agrandir son domaine, il était condamné tôt ou tard à aller rejoindre les rangs du prolétariat agricole. (...) Cette énorme masse des meurt la faim et des cul-terreux vit dans une sourde fermentation, travaillée depuis une dizaine d’années par les émissaires d’une nouvelle foi : la « Voie de la Grande Paix » taiping dao. (...) Ils ne se contentent plus d’annoncer à leurs adeptes la venue d’une nouvelle ère, celle de la prospérité, de l’âge d’or de l’égalité, car c’est le véritable sens de l’expression Taiping (...) ils les organisent en de véritables phalanstères, des communautés rustiques (...). Et ils mettent sur pied une étonnante organisation militaire en trente-six divisions qui, mises en branle le jour de l’an 184, occuperont le pays en une marche foudroyante. (...) Les turbans jaunes – c’est le nom le plus connu de la secte à cause du jaune qu’ils portent en tant que couleur symbolique de la terre - vont mettre à feu et à sang toute la Chine du Nord. De deux foyers, les régions les plus peuplées du bas Fleuve Jaune et du Sichuan, la révolte se propage comme une traînée de poudre et gagne toute la Chine (...). Les premiers actes, et combien significatifs, de cette énorme jacquerie mi-sociale mi religieuse seront de prendre d’assaut les préfectures et sous-préfectures, de tuer ou de chasser les fonctionnaires, d’en nommer d’autres, de lever des impôts et de réparer les chemins. (...) La répression est féroce, elle fait, au cours de la seule année 184, un demi million de victimes. (...) Le pays est bouleversé de fond en comble par le combat entre troupes impériales et Turbans Jaunes, battus sur un point pour se retrouver plus nombreux sur un autre. C’est l’exode des riches et des lettrés vers un coin tranquille, la fuite éperdue des vagabonds et des réfugiés : des masses humaines se déplacent dans toutes les directions. (...) Les dirigeants se ressaisissent et organisent des expéditions punitives. (...) C’est l’heure des militaires, la lutte de tous contre chacun (...) jeu sanglant de l’élimination des concurrents dans la course effrénée au pouvoir. Cette lutte durera encore pendant une génération et transformera la Chine d’un puissant empire en un vaste cimetière. »
Puis Etienne Balazs rapporte comment la philosophie chinoise s’est développée pour répondre à cette crise sociale et aux problèmes politiques qui les accompagnaient :
« Plus la crise sociale s’accentue, plus pressantes deviennent les démarches de l’esprit en vue de découvrir le chemin du salut. (...) Une inquiétude saisit les commentateurs les plus butés, le Confucianisme se cherche une doctrine cohérente. Et les thèses longtemps oubliées des écoles taoïstes et légistes, voire des sophistes et des logiciens, semblent subitement reprendre un sens d’actualité brûlante, à la lueur des inextricables problèmes de l’heure. (…) Vérité première reconnue de tous, c’est la crise. Mais que faire, comment expliquer la crise et quel remède y apporter ? (...) Le Confucianisme est l’idéologie de la bureaucratie en général, particulièrement des hauts fonctionnaires en place. La clientèle du Taoïsme se recrute souvent dans le milieu des petits fonctionnaires retirés ou définitivement écartés des postes importants. »
« Dans la Chine du 2ème siècle, (...) tout est en ruine : les villes détruites, la campagne dévastée, la population pillée, brûlée, massacrée. (...) L’administration impériale n’existe plus. L’empire dépecé en trois tronçons est la pomme de discordes des gouverneurs militaires indépendants et les trois capitales sont le théâtre d’incessantes intrigues. (...) Que reste-t-il à l’intellectuel s’il veut s’évader d’une situation sans issue et oublier sa condition monstrueuse, sinon le rêve, l’alcool et les plaisirs de la chair ? (...) Pour échapper à la fatalité inexorable de leur sort, ils recherchent dans le narcotique du songe, de la poésie, de la musique (...) et trouvent dans l’extase taoïste des « excursions lointaines » (...) Leurs idées pénètrent dans tous les milieux et préparent ainsi les âmes à la délivrance de la foi bouddhique. (...) Oscillant entre l’extrême affirmation de l’individualité et l’extrême négation de l’homme comme entité sociale, ils ne tarderont pas à s’opposer à la catégorie confucéenne essentielle de la famille. (...) L’énorme vague de nihilisme, qui déferle sur la Chine par suite de la guerre civile, envahit toute la société en plusieurs étapes (...) »

Exposé de Ngo Van sur la révolte des Turbans Jaunes (écrit en juin 1966)
La grande guerre des paysans dans la Chine du 2ème siècle avant J.-C
« Pour comprendre l’histoire contemporaine des pays de civilisation chinoise, il est indispensable de connaître, au moins sommairement, l’histoire de la Chine ancienne et le caractère spécifique des insurrections paysannes qui, à plusieurs reprises, menacèrent de ruiner de fond en comble le système de domination administratif et militaire de la dynastie des Han. La grande guerre des paysans chinois des temps modernes qui à permis la victoire de Mao Tsé-toung n’est pas foncièrement différente des guerres des paysans du passé ; et l’État bureaucratique actuel, en dépit de l’idéologie marxiste des nouvelles couches possédantes, présente plus d’un trait de l’État bureaucratique de la Chine impériale. À l’arrière-plan du conflit vietnamien, on retrouve le poids d’une tradition multiséculaire qui oriente toujours les réactions affectives et psychologiques d’une paysannerie misérable. C’est ainsi que l’influence du parti communiste peut être, en bien des points, assimilée à l’influence occulte que les sociétés secrètes ont depuis toujours exercée sur les paysans. Le drapeau rouge ne représente souvent aux yeux de ces derniers qu’un symbole magique parmi d’autres et la démagogie marxiste fait appel aux mêmes sentiments qui, jadis, soulevèrent le peuple contre ses oppresseurs ; aussi bien ne peut-on assimiler les PC de ces pays aux grands partis organisés des pays européens.
Certains phénomènes courants dans les autres parties du monde ont pris en Chine un caractère catastrophique en raison d’une exceptionnelle densité démographique ; ils ont ainsi influé d’une manière continuelle sur l’évolution générale de la société. Mais la nécessité de grands travaux d’irrigation ne justifie pas pour autant les systématisations et les généralisations abusives sur le « mode de production asiatique » et le « despotisme oriental » ; interprétations qui tendent, en dernière analyse, à expliquer toute l’évolution de la société chinoise à l’aide de certaines de ses particularités.
Le système de production fondé sur l’esclavage n’a jamais atteint une extension analogue à celle de l’empire romain et le système féodal lui-même, pour autant qu’il soit comparable à celui qui a régné en Europe sous l’égide du catholicisme romain, ne s’est jamais développé et désagrégé d’une manière linéaire et continue mais ne s’est effondré qu’après diverses résurgences ; il n’a pas donné naissance à un mode de production dominé par la bourgeoisie mais à un système de gentilhommerie qui s’est maintenu sans grande transformation jusqu’en 1911. Plusieurs types d’exploitation semblent avoir coexisté, interdépendant les uns des autres et réagissant les uns sur les autres sans aboutir avant longtemps à la création d’un type stable. Les embryons de connaissance scientifique, pour le moins aussi importants que ceux de la Grèce antique, n’atteignirent jamais le degré de développement nécessaire à l’apparition d’une pensée scientifique comparable à celle de la Renaissance ; et ce fait s’explique également en partie par un caractère spécifique de la Chine : l’énorme influence d’une caste de lettrés imprégnés de l’esprit confucéen. La fidélité à cette morale aristocratique a permis à toute l’administration impériale et à l’organisation de l’État de conserver une homogénéité culturelle et d’éviter la dissolution qui accompagne tous les bouleversements politiques et toutes les conquêtes.
En Europe, le christianisme a servi à justifier un régime féodal rigide aussi bien que les révoltes contre ce dernier ; en Chine, deux philosophies sociales se sont opposées ouvertement et d’une manière permanente. À l’éthique confucéenne qui ne s’appliquait qu’aux classes dirigeantes s’oppose la philosophie sociale de Lao Tseu. Tandis que les enseignements de Confucius idéalisent l’ordre féodal et donneront par la suite une base morale solide aux classes possédantes, à la Cour impériale et à l’aristocratie des villes, ceux de Lao Tseu renferment une critique de la société et de l’État fondée sur le refus de toute contrainte administrative et sociale. L’identification de l’homme avec la nature, principe de base du taoïsme, ne peut avoir lieu qu’en l’absence de toute intervention de l’État ou d’une contrainte sociale. On comprend à quel point cette doctrine a pu servir de fondement à la morale de la paysannerie révolutionnaire qui s’est opposée d’une manière permanente à l’administration impériale concentrée dans les villes. C’est dans l’enseignement de Lao Tseu que les révoltés trouveront à chaque fois la base intellectuelle et morale qui légitimera leur révolte. La pensée de Lao Tseu traduit d’ailleurs les conceptions fondamentales de la paysannerie chinoise : un sentiment profond et instinctif de l’ordre de la nature et l’hostilité face à toute forme de pensée scientifique propre à troubler cet ordre. Ainsi, tandis que le confucianisme, malgré une brève période de persécution sous l’empire de Ts’in1, restera toujours le système de morale et de philosophie politique des classes possédantes, le taoïsme, par son opposition à toute intervention autoritaire dans la vie des hommes et son hostilité à toute société coercitive et hiérarchisée, sera toujours la base du comportement élémentaire de la paysannerie révolutionnaire, une « façon de sentir ».
Jamais le travail des esclaves n’atteignit en Chine le degré de développement qu’on lui connût dans l’empire romain et dans la Grèce antique. C’est sur le travail de la paysannerie que reposera toujours l’édifice de la société chinoise. Ce n’est pas sans raison que dans la hiérarchie officielle des classes sociales le paysan occupe la seconde place derrière le lettré, l’artisan et le marchand venant à la suite.
Le « despotisme oriental » de l’empire des Tchéou (1122-247 avant notre ère) devait donner naissance à des guerres sans nombre pour aboutir finalement à la période dite des Royaumes Combattants. Sept seigneuries se disputent continuellement l’hégémonie. Celle de Ts’in [3]1, après avoir vaincu et annexé à son territoire les autres, finit par unifier pour la première fois toute la Chine et à fonder la première monarchie centralisée (221 av. notre ère). Pour donner une échelle de grandeur des travaux effectués à l’époque et du système de contrainte et de coercition qu’ils impliquent, on peut signaler que la construction de la Grande Muraille de Chine nécessita le travail de plusieurs millions d’hommes corvéables, prisonniers politiques et de droit commun, esclaves sous la direction d’une véritable armée. Une insurrection générale de forçats et de paysans sous la direction d’un paysan pauvre Tcheng Cheng mit fin à la dynastie des Ts’in. La monarchie despotique s’effondra mais l’insurrection populaire fut écrasée grâce à l’intervention de l’ancienne noblesse féodale évincée du pouvoir par la dynastie Ts’in. La lutte pour le pouvoir entre les différentes bandes armées rivales se termina par la fondation de l’empire de Han par un plébéien, ancien gendarme sous l’empire Ts’in (206 av. notre ère). L’État des Han antérieur hérite de toutes les institutions de l’empire Ts’in, mais une nouvelle aristocratie de type semi-féodal se créée autour de l’État bureaucratique centralisé et de sa hiérarchie minutieusement établie. L’empereur est Fils du Ciel et des signes célestes divinisent toujours son pouvoir. De cette époque date la création de la route de commerce connue sous le nom de la Grande Route de la Soie qui reliait la Chine à l’empire romain, au royaume des Parthes et à l’Inde. On verra que l’image idéalisée de l’empire romain donnera naissance à des descriptions d’un État utopique dont le caractère calqué sur celui de la Chine sera exempt de ses « tares ».
Vers le début de l’ère chrétienne, la concentration des terres, l’accroissement des impôts, le luxe et la corruption de la Cour impériale provoquèrent une série de révoltes populaires qui, après les réformes sociales d’un usurpateur, Wang-Mang, aboutit à un soulèvement armé général. C’est la révolte des Sourcils Rouges (18 après notre ère). L’état de nomadisme dans lequel étaient jetés les paysans expropriés, le paupérisme croissant de la paysannerie, maintenaient le pays dans un état d’anarchie permanent. Bandit devient synonyme de rebelle et dans cet état de décomposition du système impérial, chaque aventurier pouvait être sûr de recruter une armée et se poser en prétendant à l’empire. Après la prise de la capitale de l’empire Tchang-ngang (23 de notre ère) et la mort de Wang-Mang qui, fidèle en son origine surnaturelle, s’obstinait à implorer le Ciel pour éloigner les armées rivales, les candidats à la succession noyèrent l’insurrection dans le sang. L’empire des Han postérieur (25-220 de notre ère), après une courte période d’essor économique et culturel, connut le même processus de décomposition. La concentration et le regroupement des terres entre les mains des propriétaires fonciers prirent des proportions inouïes. Les paysans asservis cultivaient la terre pour des « maisons puissantes » qui possédaient des centaines de milliers de « mou ». La ruine de la paysannerie était telle qu’une partie des lettrés eux-mêmes demandaient la limitation de la propriété foncière. C’est dans cette atmosphère de décomposition du pouvoir impérial qu’éclata la grande insurrection populaire des Turbans Jaunes qui, par son inspiration taoïste, devait donner aux revendications paysannes un caractère de radicalisme révolutionnaire inconnu jusqu’alors. Elle dura près d’un quart de siècle et ne fut réprimée qu’au prix d’efforts incessants de la part du gouvernement central. Parallèlement éclata, dans l’ouest de la Chine, l’insurrection des Cinq Boisseaux de Riz ; elle devait donner naissance à un État d’un type nouveau fondé sur des principes moraux communautaires. »
Ngo Van dans « Les Turbans Jaunes »

« Utopie libertaire antique, et guerre des paysans en Chine »

de Ngo Van
Tiré de Oiseau-tempête n°8 (été 2001)

« Ni roi, ni sujet
« Yu (le roi légendaire des Hia) alors qu’il aménageait la terre et les eaux, s’était égaré en chemin. Il atteignit un pays au nord de la Mer septentrionale, éloigné des districts de Ts’i, on ne sait de combien de dizaines de millions de ly. Ce pays s’appelle Tchongpei (Extrême-Nord). Nul n’en connaît les limites. Dans ce pays, il ne vente ni ne pleut. Nul givre et nulle rosée. Et non plus d’oiseaux, ni de quadrupèdes, ni d’insectes, ni de poissons, ni de végétation. Un plateau escarpé l’entoure. Au centre de ce territoire, se dresse une montagne en forme de jarre, appelée Houling. À son sommet, d’un orifice en forme d’anneau rond du nom de Tsehiue (Fosse savoureuse) jaillit un liquide appelé Chenfen (Source divine) au parfum plus pénétrant que celui de l’orchidée et du poivre, au goût surpassant celui des liqueurs lao et li. La source se déverse en quatre ruisseaux vers le bas de la montagne traversant et arrosant partout le pays. Le souffle de la terre est bénéfique. Les hommes d’un naturel conciliant, ignorent rivalité et dispute. Leur âme est bonne, leur corps est souple, orgueil et envie leur sont étrangers. Vieux et jeunes demeurent ensemble, il n’y a ni roi ni sujet. Hommes et femmes s’unissent à leur guise sans entremetteurs ni demandes de mariage. Ils vivent au bord de l’eau, ils ne labourent ni ne moissonnent. Le souffle de la terre est tiède, ils ne tissent, ni ne se vêtent. On meurt à cent ans. Il n’est ni mort prématurée, ni maladie. La population se multiplie, innombrable. Tous vivent dans la joie, ils ne connaissent ni la dégénérescence de la vieillesse ni l’affliction du deuil. Ils aiment la musique. Se tenant par la main, ils chantent des chants alternés jusqu’à la fin du jour. Quand la fatigue les prend, ils s’abreuvent à la Source divine et retrouvent l’équilibre de leur force et de leur esprit. S’ils ont trop bu, ivres, ils ne se réveillent que dix jours plus tard. Quand ils se baignent dans cette Source divine, leur peau devient onctueuse et le parfum ne s’en évanouit qu’après dix jours. »

Ce texte du Lietseu, décrit une communauté imaginaire réminiscence de la communauté paysanne archaïque, précédant le début légendaire de l’aménagement de la Chine primitive. Il exprime le rêve commun aux paysans-serfs écrasés, de l’absence absolue de tout pouvoir au-dessus de leurs têtes, de la délivrance du travail, de l’aspiration à une longue vie joyeuse, du désir de l’union libre entre hommes et femmes, et enfin de l’échappée au carnage perpétuel de la mort sous la poigne des maîtres féodaux de l’époque.
L’auteur, Lietseu, - un des maîtres de l’école du Tao ou Dao (taoïsme) - naquit vers 450 av. J.-C. (période des Royaumes combattants), il menait une vie obscure au rang des hommes du commun et subsistait grâce à l’aide de ses disciples.
Enracinée dans le sol paysan, la pensée taoïste s’incarnera, au 2e siècle ap. J.-C., dans la formidable guerre des paysans qui contribua à la chute de l’empire des Seconds Han (25-220).

* * *

Au premier millénaire av. J.-C., la société féodale archaïque se divise grosso modo en deux classes principales : en haut, l’aristocratie, en bas, la plèbe paysanne. Nobles et patriciens, détenteurs du pouvoir et maîtres de la terre, dominent et exploitent les paysans. Les rites régissent les rapports au sein de la noblesse, les coutumes rythment la vie plébéienne.

Les paysans besognent comme serfs, fermiers, ouvriers agricoles et les fruits de leur travail remplissent les greniers des nobles. D’autres sans-terre et esclaves pour dettes triment dans les mines, les fonderies de fer, les salines, les ateliers artisanaux appartenant aux féodaux ou à de riches marchands.

Ainsi en temps de paix, pour entretenir les « hommes supérieurs » (kiuntseu - fils de prince), les « gens de peu » (siaojen) labourent et crèvent de faim, tissent sans avoir de quoi se vêtir. « Le prince mange ses impôts, les grands-officiers mangent leurs fiefs, les patriciens mangent leurs domaines, les plébéiens mangent leurs forces de travail, les artisans et les commerçants mangent les prix fixés par l’État, les fonctionnaires mangent leurs fonctions, les administrateurs mangent leurs apanages ; le gouvernement est en ordre, le peuple est en paix… » dit le Discours sur les Royaumes (Kouo Yu, 1ers.)

Et durant les guerres acharnées entre féodaux pour la conquête des territoires et pour l’hégémonie, les plébéiens constituent la piétaille et crèvent en masse.

Au milieu de tous ces bouleversements et des troubles sociaux apparurent les « Cent écoles » de pensée chez les lettrés. Détenteurs du savoir de l’époque, ils servent pour la plupart le pouvoir féodal comme fonctionnaires et maîtres enseignants. Mais la dislocation des cours royales, la chute des maisons princières et seigneuriales finissent par les disperser dans le peuple. Parmi ces lettrés devenus très pauvres, les uns subsistent en dispensant leur enseignement en privé, les autres cherchent à s’employer chez les féodaux encore puissants, comme conseillers politiques. Confucius lui-même pour subsister se fit conseiller, tandis que Laotseu avait été archiviste à la Cour des Tcheou.

* * *

Au premier millénaire avant notre ère, de ce monde de lettrés est issue une pléiade de penseurs, de poètes, de chroniqueurs. Dans ce foisonnement d’écoles, on peut distinguer trois courants de pensée principaux :
Les joujia, lettrés de l’école traditionaliste confucéenne, professent le retour à un ordre féodal idéal, régi par les rites ou règles de convenance dans les rapports entre roi et sujet, père et fils, mari et femme, frère et sœur suivant les principes moraux d’altruisme, d’équité, de raison et de loyauté. Le culte des ancêtres corrobore la vénération du roi, Fils du Ciel, qui règne en vertu du mandat céleste. La tradition féodale impose la stricte séparation des sexes. Supérieurs et inférieurs doivent aussi rester chacun respectivement à sa place et la paix régnera sous le ciel.

En opposition absolue avec l’école de Confucius, les taojia, de l’école de Laotseu, mal à l’aise dans un monde en perdition, mènent une existence cachée d’ermites ou de reclus. Leur idéal : le retour à la nature, la simplicité primitive, la vie naturelle, spontanée, libre et joyeuse, dénuée de toute convention, sans lois ni morale. Ils sont à l’origine du taoïsme dont la philosophie dérive des anciennes pratiques magico-religieuses héritées des chamanes, de la haute antiquité et enracinées dans le sol paysan. Le mot Tao ou Dao signifie couramment religion : Dao Lao, la religion de Laotseu ; Da.o làm ngûòi, la Voie d’être homme. Le Tao comme principe immanent de la nature, du mouvement cosmique, suggère l’idée d’une puissance en marche, de l’incessant devenir universel. Ses disciples prêchent le wouwei, le non-agir, la non-intervention de l’homme dans l’univers naturel et humain, le retour à la spontanéité et la simplicité primitive, à la vie en petites communautés autonomes, où « S’il y existait des bateaux et des chars, le peuple n’y monterait pas ; s’il y existait des cuirasses et des lances, il ne les porterait pas. Il se nourrit avec saveur, s’habille avec élégance, se plaît dans sa demeure, jouit de ses simples usages. Les communautés voisines se regardent de loin ; on en entend chanter le coq, aboyer le chien, mais sans y mettre les pieds et ce, jusqu’à la mort. » (Taoteking)

De ce courant antiféodal, antitraditionaliste, il nous reste trois recueils de sentences, le Taoteking, attribué à Laotseu (v.570-490), le Lietseu, (v.450) cité au début de cette étude, et le Tchoangtseu, œuvre de Tchoangtcheou (v.370-300), un esprit poétique qui méprisa toute fonction publique et qui vécut dans l’obscurité et la pauvreté. En se soustrayant au conditionnement social et matériel, ces reclus cherchent à échapper à l’emprise de la maladie, au vieillissement et à la mort. Ils cultivent l’art de longue vie, pour « nourrir le principe vital », en suivant les disciplines respiratoires, diététiques, alchimiques, en pratiquant l’« art de la chambre à coucher », en imitant les animaux dans leurs jeux et leurs danses. Ils tendent aussi à s’abstraire du monde pour s’épanouir librement dans les voyages extatiques.

Enfin, les taoïstes s’opposent également au troisième courant, celui des légistes, fajia, école des Lois, qui condamne les traditions féodales pour proclamer la nécessité de la loi draconienne égale pour tous, sous l’autorité d’un souverain éclairé, maître absolu de l’État.

C’est sous l’influence des légistes que le seigneur de Ts’in (Qin) après avoir détruit les six royaumes et toutes autres seigneuries, fonda le Premier empire et se proclama Premier empereur, Ts’in Chehoangti en 221 av. J.-C. L’empire centralisé fonctionne avec une bureaucratie complexe, comporte 36 provinces gérées chacune par un administrateur civil et un gouverneur militaire. Des institutions totalitaires - responsabilité collective et dénonciation obligatoire des délits à l’intérieur des groupes de familles - remplacent les rites et la morale d’autrefois. Les lettrés jou qui propagent le confucianisme sont mis à mort. Les livres classiques, les ouvrages des « Cent écoles », exceptés les livres de médecine, d’agriculture et divination, sont livrés au feu et ceux qui les détiennent sont punis de travaux forcés.

La plèbe paysanne anciennement rattachée aux fiefs féodaux détruits, se voit allouer les terres qu’elle cultive en payant une redevance avec une partie de la récolte, les impôts sur la paille et le foin et la capitation. Les corvées liées aux gigantesques travaux (construction de palais, de routes et canaux à travers l’Empire, de la Grande muraille et du mausolée de l’empereur…), l’enrôlement pour les opérations militaires de conquête lointaine, aggravent la condition paysanne et rendent le despotisme du Premier empereur insupportable. Après la mort du tyran, le soulèvement des anciens féodaux, conjugué avec les insurrections paysannes généralisées en 209-207 mirent fin au Premier Empire.

Un ancien gendarme des Ts’in, Lieou Bang, sortit victorieux de cet imbroglio de massacres, se proclama empereur et fonda la dynastie des Premiers Han (206 av. J.-C. - 8 ap. J.-C.). Les membres de la famille impériale reçurent des apanages héréditaires, devenus royaumes et marquisats. Le nouvel Empire conserva dans ses grandes lignes la structure politique et administrative de l’Empire déchu. Comme toujours, le travail paysan constituait la source d’existence des féodaux, de l’aristocratie terrienne et des marchands. Le labeur des cul-terreux entretenait aussi les lettrés-fonctionnaires et les troupes. À la fin des Premiers Han, les paysans écrasés par l’intolérable exploitation des propriétaires, affamés, se nomadisent et se livrent au pillage pour subsister. En l’an 18, le soulèvement des Sourcils Rouges impulsa l’insurrection généralisée des paysans. Ils affrontèrent les troupes des partisans des Han, ainsi que celles levées par des aventuriers en mal de pouvoir.

Un gros propriétaire terrien, Lieou Sieou, se proclama empereur des Seconds Han (25 - 220 ap. J.-C.). La dynastie s’écroulera sous la poussée de la guerre des paysans provoquée par une nouvelle grave crise agraire.

La guerre des paysans est conduite par deux sectes messianiques d’inspiration taoïste, le Taipingtao, Religion de la Grande Paix, et le Wouteoumitao, Religion des Cinq Boisseaux de Riz, qui ont contribué à la désagrégation de l’Empire.

Dans les années 170, à la suite des inondations du fleuve Jaune, les paysans plongés dans l’extrême misère se rassemblent en bandes errantes, volent et pillent. A la même époque dans les six provinces aux confins du Shandong et du Henan, se développe le mouvement de la Religion de la Grande Paix, dont le maître, Tchang Kio, s’est consacré au culte de Houang Lao, synthèse du souverain mythique Houangti et de Laotseu divinisé. Son enseignement s’appuie sur les textes sacrés du Taoteking, le Canon de la Voie et de la Vertu, et le Taipingking, le Canon de la Grande Paix, texte révélé au maître taoïste Yu Ki, dans le début du IIe siècle.

Ce dernier ouvrage - dans le même esprit que le Taoteking - est basé sur les théories cosmogoniques du Yinyang et des Cinq Éléments, accompagnées de sévères critiques contre les inégalités sociales, le parasitisme des possédants, la discrimination envers les femmes.

Il est naturel que l’ensemble des richesses et produits de la nature appartiennent au Ciel, à la Terre et au monde et nourrissent l’homme… L’homme a le devoir de se vêtir, de se nourrir soi-même par sa propre force… L’homme riche qui écarte les pauvres qui en meurent de faim et de froid, agit contre le principe du Tao et en grand ennemi de l’homme. Son crime est sans absolution.

Ces pensées nouvelles nourrissent le rêve millénaire des paysans de l’instauration sous le ciel d’une communauté sans riches ni pauvres, sans nobles ni vilains. En une décennie, la secte compte quelque cent mille adeptes.

Ces communautés se rassemblent souvent plusieurs jours durant pour des cérémonies, des fêtes ou des jeûnes purificatoires. Au cours de ces assemblées, les adeptes se livrent à des transes collectives rythmées par la musique, à des scènes de liesse où des hommes et des femmes « mêlent leur souffle », réalisant ainsi l’union du Yin et du Yang, le renforcement des esprits vitaux. Les maladies étant considérées comme des conséquences des péchés, les malades devaient se confesser, être isolés dans des chambres de méditations. Ils guérissaient en absorbant des charmes incinérés.
On distribue aux affiliés des amulettes guerrières aux équinoxes de printemps et d’automne. Partout, sur les portes des bâtiments administratifs dans les grandes villes à murailles, dans les provinces et les commanderies, apparurent tracés à la craie, comme appel à la subversion, les caractères kiatseu, commencement d’un cycle d’une ère nouvelle, l’an 184, annonçant la mort de l’ancien Ciel azur et l’avènement du Ciel jaune, du triomphe de la grande félicité.

Les cultes taoïstes étant considérés par le pouvoir comme « religion démoniaque » (Koueitao), opposée aux cultes orthodoxes officiels, les affiliés sont passibles de la peine de mort. L’écartèlement d’un chef religieux taipingtao et l’exécution de plus de mille adeptes à Luoyang, la capitale, précipitèrent l’insurrection au cours de la deuxième lune de l’an 184. En signe de ralliement, les insurgés portaient un turban jaune, couleur du Ciel jaune d’où leur appellation Turbans jaunes ou Rebelles-fourmis en raison de leur grand nombre. Ils se sont emparés de plusieurs villes, de centres de province du Shandong et du Henan malgré la résistance des troupes impériales de Luo yang. Les fonctionnaires s’enfuirent ou périrent. Les bâtiments administratifs brûlèrent. Tchang Kio et ses frères furent tués au début du combat, la répression impériale fit rage, des milliers et des milliers d’insurgés furent mis à mort. Cela n’a pas empêché les Turbans jaunes de relever la tête par centaines de milliers dans plusieurs provinces. Mais ils furent défaits.

À la même époque, se développe dans la vallée de la Han, le Wouteoumitao - Religion des Cinq boisseaux de riz, fondée par Tchang Taoling qui étudia le Tao dans les monts Kouming. Ceux qui le suivaient pour recevoir son enseignement devaient verser cinq boisseaux de riz. On les appela Rebelles-riz mitsei. Tchang Lou, le petit-fils de Tchang Taoling continua l’œuvre du grand-père.
Le pouvoir secoué par les Turbans jaunes, cherchait à rallier Tchang Lou. Mais celui-ci tua l’officier des forces impériales et s’attacha ses troupes. Devenu maître de la région, il y organisa une communauté théocratique dans le Seuchuan, et dans le Sud du Shenxi, sans fonctionnaires, sans prison et sans propriété individuelle.

Les Chroniques des Trois Royaumes rapportent :

« Les novices sont appelés soldats-démons, koueitsou. Ceux qui sont initiés au Tao et qui ont la foi sont nommés Préposés aux libations tsitseou. Chacun dirigeait un groupe organisé. Tous enseignaient qu’il faut être de bonne foi, confiant, non trompeur. Les Préposés tenaient les « auberges d’équité » dans lesquelles ils disposaient le riz et suspendaient la viande dite d’équité. Les voyageurs pouvaient se restaurer selon leur faim. S’ils abusaient, les Esprits du Tao les frappaient aussitôt de maladie. Il n’y avait pas de prisons : ceux qui avaient commis une faute mineure s’employaient à la réfection de cent pas de route et par là la faute était absoute. Ceux qui avaient commis des fautes graves, s’ils récidivaient trois fois, étaient exécutés. Il n’y avaient plus de fonctionnaires : toute « l’administration » était l’affaire des Préposés aux libations. Le peuple (chinois) et les aborigènes étaient très satisfaits du régime.

Un autre ouvrage, le Tienlo, précise que les Préposés aux libations ne s’occupaient pas seulement des auberges d’équité et du bien-être matériel du peuple, mais aidaient aussi les adeptes à la connaissance du livre canonique de cinq mille mots, le Laotseu (Taoteking).

La communauté des Cinq boisseaux de riz a duré trente ans. Elle disparaîtra dans les guerres marquant la fin de la dynastie des Seconds Han en 220 et la formation des Trois Royaumes (220-280).

Vers la fin du Xe jusqu’au début du XIIe, les mots d’ordre de l’anarchie utopiste taoïste inspireront encore maints soulèvements de la plèbe paysanne.

En 1120, dans le Zhejiang, les réquisitions pour la construction du Palais impérial ont provoqué une brève insurrection, dirigée par une société secrète bouddhique dans la lignée de l’esprit subversif taoïste. Les insurgés, mal armés, strictement végétariens et qui rendaient un culte aux démons, massacrent riches, fonctionnaires et notables. Quand leur chef fut capturé après un an de combat, ils échappèrent à la répression par des suicides collectifs. Dix ans plus tard, en 1130 - dans la tradition taoïste des Cinq boisseaux de riz du IIe siècle -, se déclencha le soulèvement paysan, dans la région du lac Dongting, au Sud du Hounan. Les exactions des fonctionnaires, les pillages d’une armée mi-officielle mi-privée, avaient poussé à bout les paysans, dont la plupart étaient gagnés à la secte taoïste animée par Tchong Xiang. Le patriarche, magicien et chef de guerre, déclara « scélérates les lois des Song (dynastie régnante) » et proclama le fameux « niveler nobles et vilains ; égaliser riches et pauvres ». Les insurgés firent table rase des signes de l’ordre ancien, ils « incendièrent les bâtiments administratifs, les citadelles et les marchés, les pagodes et les temples, les maisons des puissants brigands, ils massacrèrent les fonctionnaires, sans épargner les lettrés jou, moines, guérisseurs, devins… », c’est-à-dire tous ceux qui leur paraissent vivre sans travailler, sans peiner pour avoir leur riz. Tchong Xiang tomba au trente-cinquième jour de l’insurrection. Ses disciples continuèrent la lutte avec plus de 400 000 fidèles, qui ébranlèrent dix-neuf districts jusqu’en 1134 avant d’être tous massacrés.

À la même époque, les soulèvements de paysans déclenchés par les sociétés secrètes bouddhiques, Lotus blanc (Bailian), Nuage blanc (Baiyun), et d’autres mouvements contre l’impôt et les corvées, dans l’attente de l’arrivée d’un Bouddha-messie. Du 14ème au 18ème siècle, d’innombrables rébellions paysannes n’ont cessé d’ébranler le pouvoir et les classes possédantes. Les Turbans rouges (Hongjin) dans les années 1340, par leur alliance avec une autre formation d’insurgés sous la conduite d’un moine … ont contribué à l’avènement de ce dernier comme empereur fondateur de la dynastie des Ming en 1368. Signalons un événement remarquable en 1448-1449 : les insurgés paysans s’allient aux ouvriers des mines d’argent en révolte dans la région frontière du Zhejiang et du Fukien durant la grande rébellion menée par Dong Maotsi. La répression impériale a fait un million et demi de morts. Vers 1636, un ancien gardien de moutons, Li Zicheng s’appuyant sur les petits propriétaires ruinés et des lettrés pauvres parvint à occuper toute la Chine du Nord et se proclama empereur à Xian. Il finit par être tué par des paysans. Un ancien soldat, Zhang Xianzhong, à la tête de la plèbe, fait massacrer les riches propriétaires, les notables et les fonctionnaires impériaux, libère tous les esclaves pour dettes et s’octroie le titre de roi à Chengdu. Il tombe au combat en 1646, après s’être rendu maître de la vallée du Fleuve Bleu et du Seuchuan deux ans durant. Sous le dernier règne des Mandchous, les grandes insurrections des miséreux regroupés dans la société secrète du Lotus blanc éclatèrent dans les années 1780 et ne s’éteindront qu’en 1803.

Une grande insurrection explose aux environs de 1851, préparée par l’implantation de ces sociétés secrètes de tendance révolutionnaire. La tendance égalitariste et communautaire qui avait, - dans un contexte historique différent - inspiré le grand soulèvement des Turbans jaunes et des Cinq boisseaux de riz au IIe siècle reprend vie dans la rébellion des Taiping (Grande Paix), adeptes de l’Association des adorateurs de Dieu (Baishangtihui). Les Taiping se signalent par leur chevelure et l’abandon de la natte, imposée par le pouvoir mandchoue - on les appelle aussi « les bandits aux longs cheveux ». Ils procèdent à la confiscation et au partage des terres. Ils instituent un régime communautaire, où personne ne possède de bien en propre et où les besoins de chacun sont assurés par la collectivité. Le mouvement vise à l’égalité absolue des hommes et des femmes au travail et à la guerre. Il condamne la pratique du bandage des pieds des fillettes. Mais les réformes ne parvinrent pas à dépasser le stade de réalisation de détail, le mouvement dégénéra en régime de pure terreur et dura jusqu’en 1864. Vaincus, nombre d’entre eux s’exileront au Vietnam, où sous le nom de Pavillons noirs, ils participeront activement à la résistance contre l’invasion française.

Qu’en est-il maintenant des rêves de ceux qui voulaient s’élancer à l’assaut du ciel ? Ce passage de relais invisible d’espoirs et de défaites qui semblait relier tant de luttes sous le signe de la communauté idéale est-il définitivement interrompu avec la marchandisation de plus en plus effrénée des relations humaines ? Au moins peut-on se familiariser avec ces visions du passé pour enrichir l’imagination d’un autre avenir.

Bibliographie
Léon Wieger, Les Pères du système taoïste. Paris 1950.
Marcel Granet, La féodalité chinoise. Oslo 1952.
Henri Maspéro, La Chine antique, Paris, 1965.
Se-ma Ts’ien, Mémoires historiques. Trad. Édouard Chavannes, Paris 1967.
Jacques Gernet, Le Monde chinois, Paris 1972.
Étienne Balazs, La Bureaucratie céleste, Paris 1968.
Tchong kouo nong min tchan tcheng che wen tsi (en chinois), Shanghai 1955.

Révolutions en Grèce

Lutte de classe en Grèce
Jean-Pierre Vernant
et Pierre Vidal-Naquet dans « Travail et esclavage en Grèce antique » : « Une étude précise du statut foncier, de ses formes diverses, de ses modifications historiques, s’avère d’autant plus indispensable que, pour cette période ancienne où l’économie reste pour l’essentiel agricole, les conflits de classe s’enracinent dans le problèmes liés à la tenure du sol. Au départ, la ville s’oppose à la campagne comme lieu d’habitat d’un certain type de propriétaires fonciers (à Athènes, les Eupatrides), monopolisant l’Etat, concentrant entre leurs mains les charges politiques et la fonction militaire. C’est seulement plus tard (à Athènes au 6e siècle) que l’agglomération urbaine servira de cadre à des activités industrielles et commerciales autonomes, complètement séparées de l’agriculture. En ce sens, Marx pourra écrire : « L’histoire ancienne classique est l’histoire des cités, mais des cités fondées sur la propriété foncière et l’agriculture. » (...) La crise permanente du vieux mode rural de dépendance est un des traits majeurs de l’histoire grecque, et cela dès l’époque archaïque. Au 5e siècle, quand les hilotes de Messénie se révoltent, ce n’est pas un fait nouveau. A la fin du siècle au plus tard, ce sont les pénestes de Thessalie qui entrent en mouvement. Au 4e siècle, c’est tout l’équilibre politique et social de la principale cité archaïque, Sparte, qui est détruit. (...) Même la Crête n’apparaît plus comme le sanctuaire qu’elle a longtemps été. Aristote la dépeint devant sans doute son salut à sa position insulaire – « la clase des pérèques se tient tranquille en Crête, alors que les hilotes se révoltent fréquemment. » -, mais il ajoute aussitôt que « l’arrivée récente d’une armée venant de l’extérieur a fait sauter aux yeux de tous la faiblesse des institutions crétoises. (...) Un fragment de Diodore de Sicile, publié en 1827, donne un récit composite de la révolte survenue à Sparte après la première guerre de Messénie. »

Les hilotes (Ielotae)

« Le servage de la glèbe a joué un rôle important dans un grand nombre de cités helléniques où il a contribué à assurer et à maintenir la supériorité militaire et politique de l’aristocratie. C’est dans les pays doriens qu’il a été le plus solidement établi après la soumission des populations indigènes et qu’il a eu la plus longue durée. Dans la Crète il y avait deux catégories de serfs de la glèbe sur les domaines de l’État, qu’on peut identifier avec les oizé de la loi de Gortyne, sur les terres des particuliers. La condition de ces serfs a été exposée. Ajoutons seulement que le servage de la glèbe existait encore en Crète à l’époque d’Aristote, mais qu’il ne survécut sans doute pas à la domination romaine. Dans la Laconie nous trouvons, depuis l’époque la plus ancienne, la classe des hilotes (...). Le sens primitif du mot n’est donc pas absolument certain. Ottfried Müller a émis l’opinion que les Doriens avaient trouvé dans la Laconie une classe de paysans lélèges, déjà réduits en servitude par les Achéens. C’est une pure hypothèse, en contradiction avec les témoignages anciens qui ne font remonter ce genre d’esclavage qu’aux conquêtes thessalienne et dorienne. Il n’y en a aucune mention ni dans Homère ni dans Hésiode. On a soutenu aussi que les conditions économiques et sociales ont pu spontanément donner naissance en Grèce à des tenures serviles : par exemple, dans l’Odyssée, l’esclave Eumée dit que si Ulysse était revenu de Troie, il lui aurait donné une maison, une terre et une femme, récompenses qu’un bon maître donne à son serviteur ; Eumée eût donc été un affranchi attaché à la terre ; sa situation n’aurait guère différé de celle d’un serf de la glèbe. La concession des terres à des pauvres, à des bannis aurait pu créer aussi une condition analogue. Nous n’avons malheureusement pas de textes positifs à l’appui de ces hypothèses. On a vu aussi une cause de la formation du servage dans l’obligation imposée aux débiteurs de rester sur les terres des créanciers ; cette opinion est peu vraisemblable ; à Athènes le thète insolvable devient, encore à l’époque historique, l’esclave du créancier et peut être vendu au dehors ; sa condition diffère essentiellement de celle de l’hilote ; si les dettes avaient amené le servage de la glèbe, Athènes aurait eu aussi ses hilotes. En tout cas, s’il a pu y avoir à l’époque primitive quelques serfs de la glèbe isolés, c’est la conquête dorienne qui a créé dans la Laconie la classe des hilotes. Nous n’avons guère sur l’établissement des Doriens que des récits légendaires et nous ne voyons pas nettement quelle fut la raison du partage de la population primitive, sans doute achéenne, en deux groupes très différemment traités, les périèques et les hilotes. Grote voit dans les périèques l’élément urbain, dans les hilotes l’élément campagnard. Cette distinction n’est pas fondée, au moins pour les origines. Les historiens anciens attribuaient avec plus de raison cette différence de traitement il la résistance plus ou moins longue qu’offrirent les villes de la Laconie et à une aggravation graduelle des rigueurs de la conquête. D’après Éphore, les Achéens s’étaient d’abord résignés à la condition de périèques et au payement du tribut que leur avait imposé Agis, fils d’Eurysthène, mais les habitants d’Ilélos se révoltèrent ensuite et après leur défaite furent réduits en servitude ; d’après Pausanias, ce fut à Hélos que les Achéens livrèrent leur dernier combat contre le roi spartiate Alcamène et cette ville fournit les premiers serfs de l’État ; ce nom d’hilotes devint plus tard le nom commun de tous ceux qui furent soumis à la même servitude, même des Doriens de Messénie. Plutarque met le même événement sous le roi légendaire Soos, fils de Proclès. Ces récits indiquent un fait certain : la transformation d’une partie des anciens habitants en hilotes à la suite de la conquête. La classe des hilotes fait partie intégrante du système social dans la constitution dite de Lycurgue qui représente les plus anciennes institutions de Sparte. Ils exploitent, aux conditions qu’on va voir, les lots distribués aux Spartiates dans la région qui comprend essentiellement la vallée de l’Eurotas. Les guerres de Messénie amenèrent la formation d’un second groupe d’hilotes. La première guerre (environ 73-728) enleva aux Messéniens leur indépendance politique ; ils devinrent la plupart périèques, durent jurer de ne jamais se révolter, de prendre part, en costume de deuil, avec leurs femmes et leurs enfants, aux funérailles des rois de Sparte et des principaux magistrats spartiates ; ils gardèrent la possession de leurs terres, moyennant le payement d’un tribut égal à la moitié des récoltes ; peut-être réserva-t-on aux Spartiates une partie de la Messénie, en particulier les terres dont les possesseurs s’étaient enfuis de différents côtés, à Argos, à Sicyone, à Éleusis, en Arcadie. Une tradition attribue en effet la création de trois mille lots nouveaux à Polydore, fils d’Alcamène 3 ; mais aucun texte ne dit comment ils ont pu être exploités. Cette situation paraît avoir duré environ un siècle". La révolte des Messéniens amena la seconde guerre, qui se termina cette fois par l’assujetissement complet des vaincus ; les Messéniens perdirent leurs terres et furent assimilés aux hilotes lacenions ; quelques villes côtières gardèrent seules leur condition de villes de périèques. Ce sont les Messéniens qui vont constituer désormais la grande masse des hilotes. Nous ne savons pas si on établit des hilotes sur les terres enlevées à Tégée. Le nombre des hilotes paraît avoir été considérable. Vers 2i1, les Étoliens emmenèrent hors de la Laconie 50 000 hommes parmi lesquels les l’ilotes devaient être en majorité ; vers la même époque Cléomène trouva 6000 hilotes possesseurs d’une fortune de cinq mines ; mais il est impossible d’arriver à une éva.lution précise ; les chiffres qu’on a obtenus de différentes manières sont absolument hypothétiques. L’hilote a une situation intermédiaire entre l’homme libre et l’esclave : il ne fait pas partie du corps des citoyens, il n’a aucun droit politique. Sa condition est issue de la conquête et il relève à la fois d’un maître particulier et de l’État. C’est avec raison que plusieurs textes les appellent esclaves de la communauté". L’État peut seul les affranchir’ ; et tous les affranchissements que nous connaissons ont eu lieu de cette manière, en masse, comme récompense de services militaires. C’est l’État qui surveille les hilotes, qui a fixé leurs devoirs, leurs obligations et aussi leurs droits à l’égard des propriétaires. On a même soutenu que, pour cette raison, chaque citoyen pouvait se servir, en cas de nécessité, des hilotes d’autrui comme des siens, mais les textes de Xénophon et d’Aristote ne s’appliquent probablement qu’aux esclaves véritables. Nous ne savons pas si l’État avait des hilotes sur ses domaines. Il ne semble pas que les hilotes fussent occupés aux services domestiques. Ils devaient uniquement exploiter les terres des Spartiates, soit dans la Laconie, soit dans la Messénie ; ils ne cultivaient sans doute pas les terres des périèques. D’après les sources que suit Plutarque, ils devaient pour chaque lot une redevance invariable dont la loi religieuse garantissait la fixité par une imprécation solennelle contre le propriétaire qui l’augmenterait. Cette redevance était de 70 médimnes d’orge pour le propriétaire, de 12 pour sa femme et d’une quantité correspondante de vin et d’huile. Ces médimnes étant ceux du système éginétique et valant 78 litres 80 centilitres, c’était un total d’environ 64 hectolitres de blé et d’une quantité de vin et d’huile qu’on ne peut apprécier. Nous ignorons quel était le rapport de cette redevance avec le produit total et l’étendue de chaque lot ; mais le profit des hilotes était assez considérable puisqu’au me siècle, pendant la révolution tentée par le roi Cléomène, on trouva 6000 hilotes qui purent acheter leur liberté moyennant cinq mines par tête. Qu’arrivait-il quand il y avait plusieurs enfants dans une famille d’hilotes ? Se partageaient-ils l’exploitation du même lot ou l’État les transportait-il sur les lots vacants ? Nous manquons de renseignements sur ce point. Nous ne savons pas davantage de combien de familles d’hilotes disposait chaque Spartiate ; le nombre des serfs devait sans doute être en rapport avec l’étendue des propriétés de chaque citoyen ; on voit dans Hérodote qu’à la bataille de Platées chaque hoplite avait sept hilotes à son service : c’était donc peut-être là le chiffre moyen des serfs attachés alors à chaque domaine. L’hilote, lié à la terre, ne pouvait être vendu par le propriétaire ; il avait le droit, comme on l’a vu, de posséder des biens mobiliers. C’est tout ce que nous savons de sa condition juridique. On peut admettre cependant, d’après la ressemblance générale du droit de Sparte et du droit crétois, que sa famille avait la même organisation que celle du serf de Gortyne. Comme autre devoir de l’hilote à l’égard du propriétaire, signalons l’obligation d’assister à ses funérailles La condition des hilotes, à Sparte, était très mauvaise. Toute l’antiquité a été unanime à blâmer la cruauté des Spartiates à leur égard. On ne saurait la révoquer en doute, quelque part qu’on fasse à l’exagération des historiens et au caractère légendaire de certains récits ; Plutarque essaye en vain de l’atténuer en ne la faisant dater que de la troisième guerre de Messénie. D’après Myron de Priène, on infligeait chaque année un certain nombre de coups de fouet aux hilotes, uniquement pour leur rappeler qu’ils étaient esclaves ; on tuait ceux d’entre eux qui étaient trop vigoureux et on infligeait une amende aux maîtres qui les avaient trop bien traités ; ils portaient un costume spécial, bonnet et vêtement de peau ; l’usage des armes leur était interdit ; d’après Plutarque, on obligeait des hilotes à s’enivrer et à se livrer ainsi, dans les syssities, à des chants et à des danses déshonnêtes pour dégoûter les jeunes gens de l’ivresse ; on leur interdisait les chants et les danses des hommes libres. Enfin on avait institué contre eux la xunçreia ; les témoignages anciens sont en désaccord sur l’origine et le caractère de cette institution. D’après le récit de Plutarque n, emprunté à Aristote, les éphores déclaraient tous les ans la guerre aux hilotes, à leur entrée en charge, pour qu’on eût le droit de les tuer, sans s’exposer aux peines légales ; à certaines époques de l’année, les jeunes Spartiates, les plus vigoureux, armés de poignards et pourvus de quelques vivres, étaient répartis dans la campagne, se cachaient pendant le jour et tuaient la nuit tous les l’ilotes surpris sur les chemins ; souvent même ils allaient jusque dans les exploitations rurales tuer les plus robustes. Iléraclite attribue, comme Aristote, cette institution à Lycurgue et lui donne le même caractère. Platon se borne à dire que cet exercice habitue les jeunes gens à la fatigue. Sans prendre ces témoignages au pied de la lettre, on doit en admettre le sens général : les jeunes Spartiates étaient sans doute chargés, comme les éphèbes d’Athènes, de faire des rondes de jour et surtout de nuit dans la campagne et principalement dans la région montagneuse. C’était à la fois pour eux un exercice de gymnastique et une préparation à, la guerre Ils avaient en même temps à surveiller les hilotes, à leur interdire les réunions nocturnes et pouvaient, le cas échéant, surtout aux époques troublées, les mettre à mort. Nous savons d’ailleurs que les jeunes gens formaient un corps qui pouvait être réuni à l’armée ; sous Cléomène III nous trouvons à la bataille de Sellasie un commandant de la xaui titct. Cette cruauté des Spartiates à l’égard des hilotes s’explique par les inquiétudes perpétuelles que ceux-ci leur causaient. Les Spartiates et les hilotes se considéraient réciproquement comme des ennemis naturels. Les hilotes, beaucoup plus nombreux que leurs maîtres, Doriens en grande partie, ne pouvaient oublier leur ancienne liberté ni se résigner à leur condition et constituaient un danger permanent Aristote nous les représente, guettant toutes les occasions et surtout les malheurs de Sparte pour s’insurger ; et, de fait, l’histoire de ce pays est remplie de leurs révoltes et de leurs conspirations ; ils ont pris part à la tentative du roi Pausanias qui leur promettait pour prix de leur concours la liberté et le droit de cité, à celle de Cinadon sous Agésilas. Une tradition les montre associés à la révolte des Parthéniens après la première guerre de Messénie. La troisième guerre de Messénie fut provoquée par le soulèvement des hilotes de la Laconie après le tremblement de terre de 464 ; les Messéniens, réfugiés sur le mont Ithome, résistèrent pendant dix ans et obtinrent par une capitulation le droit de se retirer librement avec leurs femmes et leurs enfants, en jurant de ne plus rentrer dans le Péloponnèse ; mais, d’après Diodore, les hilotes, chefs de la sédition, furent exécutés, les autres transformés en véritables esclaves. Dans le traité conclu avec les Spartiates en 421, les Athéniens s’engageaient à les secourir de toutes leurs forces, en cas d’une révolte des hilotes. Pendant la guerre du Péloponnèse il yeut de fréquentes défections d’hilotes, surtout lors de l’occupation de Pylos par les Athéniens : c’est pour les prévenir que les Spartiates se débarrassèrent traîtreusement de deux mille hilotes qu’ils avaient fait semblant d’affranchir pour récompenser leur vaillance à la guerre. Le gouvernement de Sparte n’en était cependant pas moins obligé, en raison du petit nombre des citoyens, d’utiliser de plus en plus les aptitudes militaires des hilotes. Tyrtée conseillait déjà aux Spartiates dans un combat de remplacer leurs morts par des hilotes. On les employa d’abord comme valets, servants d’armes, puis comme infanterie légère : à Platées les 5000 hoplites Spartiates avaient avec eux 35 000 hilotes ; plus tard, pendant la guerre du Péloponnèse, ils fournirent des rameurs et des soldats de marine, et même fréquemment des hoplites. On leur promettait souvent la liberté pour les enrôler ou on la leur donnait comme récompense de leurs services. Deux textes parlent d’hilotes nommés harmostes. Il est encore question des hilotes à l’époque du roi Cléomène III comme on l’a vu, de Philopoemen qui en vendit 3000, du tyran Nabis qui en affranchit un grand nombre ; d’après Strabon ils subsistèrent jusqu’à la domination romaine. En somme, le servage de la glèbe a procuré à Sparte de grands avantages, mais il lui a causé aussi beaucoup d’embarras et de maux. Les hilotes ont débarrassé les Spartiates de presque tous les soucis matériels, leur ont permis de se consacrer entièrement à leurs devoirs politiques et militaires ; ils ont facilité le maintien de l’aristocratie de Sparte ; mais en revanche les Spartiates se sont déshabitués du travail, ils sont restés campés au milieu d’une population ennemie qu’ils ne contenaient que par la terreur ; rien n’a plus contribué que ce régime à la décadence politique et économique de Sparte. Les hilotes affranchis par l’État forment la classe des psinecq ; ils apparaissent durant la guerre du Péloponnèse et on connaît surtout leur rôle militaire. Ils servaient comme hoplites en nombre considérable puisque Thirnbron en emmena 1000, Agésilas 2000 en Asie Ils avaient sans doute les droits civils, mais ne possédaient certainement pas les droits politiques, malgré leur titre de nouveaux citoyens et il faut rejeter le texte de Télés d’après lequel tout individu étranger ou issu d’hilote qui aurait rempli les conditions nécessaires de fortune et d’éducation, aurait pu devenir citoyen. Ils pouvaient avoir des propriétés foncières, puisqu’on en voit, dans Thucydide, qui ont été établis à Lépréon, pays récemment pris aux Éléens Il est probable qu’on leur assignait leur résidence, car on distingue des simples néodamodes les Etot, c’est-à-dire les hilotes qui, après avoir servi sous Brasidas dans la Chalcidique, avaient reçu avec la liberté le droit de s’établir où ils voulaient’. Les néodamodes réclamaient une condition meilleure puisqu’on les voit participer à la conspiration de Cinadon avec les hilotes, les périèques et les citoyens de rang inférieur. Ils ne sont plus d’ailleurs mentionnés dans les textes postérieurs à Xénophon. Il y avait encore à Sparte une classe particulière d’affranchis, les Mdoars. On appelait ainsi des enfants de condition servile, élevés avec les jeunes Spartiates selon les règles de l’éducation nationale ; chaque Spartiate avait ainsi, selon sa fortune, un ou deux ou même plusieurs compagnons. Cette éducation équivalait-elle à l’affranchissement ? Ou bien y avait-il ensuite, à un certain âge, un affranchissement régulier, ou, comme l’a cru Schoemann, une adoption faite par un citoyen ? Les textes sont muets sur ce point ; nous savons seulement qu’ils étaient libres, mais pas citoyens ; cependant quelques-uns obtenaient le droit de cité, puisque cette classe fournit des personnages tels que Callicratidas et, d’après une tradition, lippe et Lysandre ; peut-être ce privilège était-il réservé à ceux d’entre eux qui étaient des bâtards, issus d’un père citoyen et d’une femme de condition servile. Aucun texte ne dit précisément que les 0axis fussent des enfants d’hilotes ; mais on doit l’admettre ; les esclaves proprement dits n’étaient pas assez nombreux à Sparte pour fournir tous ces enfants. (...) Les serfs de la glèbe dans les autres cités helléniques sont beaucoup moins connus ; mais partout cette forme de servage paraît avoir eu la même origine, la conquête. II y avait dans la Thessalie la classe des Evirtzt. D’après l’historien Archémachos, après l’invasion des Thessaliens, une partie des Béotiens vaincus consentit à rester dans le pays, aux conditions suivantes : leurs maîtres ne pourraient ni les tuer, ni les chasser, ni les vendre hors des frontières de la Thessalie ; en revanche les Béotiens devraient cultiver les terres des nouveaux propriétaires et leur payer une redevance. (...) Ils avaient donc à peu près la mème situation que les hilotes, auxquels tous les textes les comparent. Cependant ils paraissent avoir été mieux traités et pouvaient devenir plus riches que leurs maîtres. C’est peut-être pour cette raison qu’ils se révoltèrent souvent, profitant surtout des guerres des Thessaliens avec leurs périèques, Achéens, Perrhaebes, Magnètes. Ils fournissaient à l’État de l’infanterie légère, des cavaliers et surtout des matelots. Démosthène cite deux Pharsaliens qui envoyèrent au secours d ’Amphipolis l’un deux cents, l’autre trois cents serfs. D’après un fragment d’Euripide et des vers de Théocrite, il y aurait eu aussi des pénestes comme esclaves domestiques. Il est encore question de pénestes à l’époque macédonienne ; Agathocle, officier de Philippe, appartenait à cette classe et Théocrite la connaît encore. Après la fondation de la colonie grecque d’Iléraclée sur le Pont-Euxin, les indigènes, les Mariandyniens, consentirent par traité à servir à perpétuité sur Ies domaines des conquérants en leur payant une redevance, à la condition qu’ils ne pourraient être vendus en dehors du pays. Ils sont toujours assimilés aux hilotes et aux pénestes. D’après Aristote, ils fournissaient beaucoup de matelots à l’État ; le tyran Cléarque les affranchit en masse au milieu du 4e siècle av. J.-C. Strabon décrit leur condition d’après les historiens anciens ; nous ne savons s’il y en avait encore à son époque. Les auteurs assimilent encore aux l’ilotes les Bithvniens indigènes asservis par les colons grecs de Byzance, les serfs de l’Argolide qui fournissaient de l’infanterie légère, armés d’une massue, probablement identiques aux serfs portant un costume bordé d’une peau de mouton et que Théopompe compare aux Épeunactes de Sparte. Dans la loi de la colonie de Naupacte qui est sans doute antérieure à 455, il est question de serfs qu’on ne peut séparer, même en cas de confiscation par l’État, des lots de terres, propriétés héréditaires des conquérants ; ces serfs de la glèbe étaient peut-être Lélèges d’origine. Les Kallicyriens de Syracuse étaient sans doute aussi des indigènes transformés en serfs de la glèbe sous la domination de la nouvelle aristocratie, des Géomores ; ils étaient plus nombreux que leurs maîtres et réussirent à les expulser à une date inconnue, avant 485. Gélon, tyran de Géla, ramena les propriétaires à Syracuse ; nous ne savons ce que devinrent les serfs ; peut-être eurent-ils alors le droit de cité. Polémon dit qu’à Iléraclée de Trachinie les Cylicranes ne faisaient pas partie du corps des citoyens et qu’ils avaient l’empreinte d’une coupe sur l’épaule. Ce traitement paraît désigner des serfs. D’après Aristote à Apollonie et à Théra, une aristocratie, issue des premiers colons, régnait sur une foule d’hommes non libres ; Aristote n’aurait pas signalé cette particularité s’il s’était agi d’esclaves ; il est probable que dans ces villes les indigènes étaient devenus serfs de la glèbe. En dehors de la Grèce propre, les Ardiaeens, peuplade illyrienne, possédaient, d’après Théopompe, 300 000 esclaves, qui leur servaient d’hilotes. Voilà la liste des pays oit l’existence des serfs de la glèbe paraît prouvée. Nous ne savons pas quelle était la condition de ces Lélèges qui, d’après l’historien Philippe, étaient encore les esclaves des Carions à l’époque macédonienne. C’est à tort qu’on a voulu trouver des serfs de la glèbe dans d’autres pays ; par exemple, à Chios et à Fepidamne, nous n’avons que de véritables esclaves. Les « gens aux pieds poudreux » d’Épidaure n’étaient évidemment que des campagnards ordinaires. Nous savons seulement des Iiuvdectaot de Corinthe que c’était le none d’une tribu Les Cyrrhaeens et les Kragalides de Delphes étaient devenus de véritables esclaves après la consécration de leur pays à la divinité. Les Thébagènes, dont parle Éphore, étaient une partie de la population libre de la Béotie. Les Grecs appelaient ainsi des coureurs exercés à franchir un espace énorme en un temps très court’. Ils servaient de courriers aux chefs d’armée. D’après Philostrate, le concours du dolique aurait dû son origine à l’institution des hénlévodromes. Les auteurs anciens rapportent des exemples étonnants de la rapidité de ces messagers. Phidippidès, qui fut chargé de porter à Sparte la nouvelle de la victoire de Marathon, franchit en deux jours un espace de 1160 stades (environ 214 kilomètres et demi). Il fut de beaucoup surpassé par Anystis, de Lacédémone, et par Philonidès, hémérodrome d’Alexandre ; ces deux messagers parcoururent, le premier en un jour, le second en neuf heures, la distance d’Élis à Sicyone, c’est-à-dire douze ou seize cents stades (220 à 240 kilomètres). Après la bataille de Platées, Euchidas courut de cette ville à Delphes, chercher de quoi rallumer le feu sacré qui s’était éteint par suite de la guerre, et il revint le même jour, quoique la distance fût de mille stades (185 kilomètres). A son retour, il tomba mort de fatigue ; la même chose arriva à Phidippidès. Pline, comparant ces coureurs à ceux de son temps, atteste la supériorité de ces derniers ; selon lui quelques-uns firent dans le cirque une course de 160000 pas (237 kilomètres) ; et en 59 avant notre ère, un enfant de huit ans aurait parcouru en un jour et une nuit 75 000 pas (environ 111 kilomètres). L’usage des coureurs se maintint, à côté de toutes celles qui constituaient le cnnsus Publicus, sous les empereurs ; seulement les courriers se relayaient fréquemment.

À Athènes, un soulèvement victorieux avec l´aide de soldats spartiates a lieu en -510. Ce soulèvement marque la fin de la tyrannie à Athènes. La Démocratie est instaurée. L´année suivante (-509). Nombre d´esclaves recouvreront la liberté et gagneront des droits civiques.

Genèse de la démocratie grecque
La « démocratie grecque », quand elle n’est pas présentée comme « naturelle », est souvent comprise comme un produit particulier de la culture régionale, alors qu’elle n’est autre qu’un produit de la lutte des classes particulièrement exacerbée d’une époque, une réponse politique. Voici ce qu’en dit l’encyclopédie internet Wikipedia : « Au [6e siècle av. J.-C, les cités du [monde grec antique furent confrontées à une grave crise politique, résultant de deux phénomènes concomitants : d’une part l’esclavage pour dette, touchant principalement les paysans non propriétaires terriens, fit croître entre les citoyens l’inégalité politique, la liant à l’inégalité sociale ; et d’autre part le développement de la monnaie et des échanges commerciaux fit émergé les artisans et armateurs qui formèrent une nouvelle classe sociale aisée, revendiquant la fin du monopole des nobles sur la sphère politique. Pour répondre à cette double crise, de nombreuses cités modifièrent radicalement leur organisation politique. À Athènes antique un ensemble de réformes furent prises, ce qui amorça un processus débouchant au 5e siècle av.J.-C. sur l’apparition d’un régime politique inédit : la démocratie. À partir du 7e siècle av. J.-C., la plupart des cités grecques sont confrontées à une crise politique. De plus en plus de paysans sont condamnés à être esclaves pour causes de dettes, les cités se combattent entre elles, et au sein d’une même cité les grandes familles se disputent le pouvoir. A cela s’ajoute une autre évolution : la révolution hoplitique. Au 6e siècle av. J.-C. apparaît la monnaie, en provenance du roi barbare de Lydie, Crésus, qui fut étroitement en contact avec les cités grecques avant sa défaite en 546 face au roi perse Cyrus II. Chaque cité grecque s’est emparée de cette notion pour frapper sa propre monnaie, qui devient un composant de l’identité national. Cette fabuleuse révolution se produit en concordance avec le développement extraordinaire du commerce méditerranéen. Ainsi une nouvelle classe de citoyens aisés, faite de commerçants et d’artisans (potiers), naît. Ces citoyens sont dorénavant suffisamment riches pour s’acheter des équipements d’hoplites : la guerre n’est plus l’apanage de l’aristocratie. Le système aristocratique basé sur la propriété agraire est battu en brèche face aux revendications égalitaires de ces nouveaux citoyens-soldats. On parle de révolution hoplitique. Cette nouvelle configuration des rapports de forces sociales fît émerger notamment deux modèles distincts, et destinés à s’opposer dans le siècle à venir : l’oligarchie militaire spartiate et la démocratie athénienne. Deux modèles résolvant ce problème émergèrent en Grèce au 6e siècle :
soit l’arbitrage d’un législateur, chargé, dans une sorte de consensus, de mettre fin à des troubles qui risquent de dégénérer en guerre civile ;
soit la tyrannie, qui, dans l’évolution de la Grèce archaïque, apparaît bien souvent comme une solution transitoire aux problèmes de la cité. Avec Solon, le législateur, puis avec les Pisistratides, Athènes fera successivement l’expérience de l’une et de l’autre. »
La crise sociale, les classes dirigeantes vont tenter d’y répondre par quatre grandes tentatives de « réforme politique et sociale » menées par les classes dirigeantes pour résoudre la crise en évitant qu’elle n’emporte tout l’édifice : Dracon en 621 avant J.-C, Solon en 594, Clisthène en 508 avant J.-C et Périclès au milieu du 5e siècle. « Au 4e siècle av. J.-C., la cité, puissance déchue, est considérablement appauvrie. Le succès populaire de la démocratie (qui est, rappelons-le, à l’origine une invention de politiciens aristocrates pour faire face aux revendications d’une petite bourgeoisie naissante) est critiqué. Les pauvres, de plus en plus impliqués dans l’exercice du pouvoir, sont plus sensibles aux arguments des démagogues. Ainsi la foule des citoyens, sous l’influence de la vindicte populaire, prend des décisions irréfléchies comme la condamnation à mort de l’exemplaire Socrate, le populisme est né. Il n’est donc pas étonnant que la critique intellectuelle de la démocratie apparaissent d’abord, sous une forme particulièrement sévère, chez le principal disciple de Socrate : Platon . Celui-ci hiérarchise dans la République les régimes politiques en plaçant la démocratie juste devant la tyrannie et derrière l’aristocratie, la timocratie, et l’oligarchie. »
La forme politique de domination est bel et bien inséparable des luttes de classes, comme le relève Engels dans « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat » : « Athènes présente la forme la plus pure, la plus classique. Ici, l’Etat prenant la prépondérance, naît directement des antagonismes de classes qui se développent à l’intérieur même de la société gentilice. (…) L’antagonisme de classes sur lequel reposaient les institutions sociales et politiques n’était plus l’antagonisme entre nobles et gens du commun, mais entre esclaves et hommes libres, entre métèques et citoyens. » » Dans l’« Anti-Dühring », il exposait : « L’Etat n’existe pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d’affaire sans lui, qui n’avaient aucune idée de l’Etat et du pouvoir d’Etat. A un certain stade du développement économique, qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de l’Etat un nécessité. »

Les réformes de Solon
Au 6ème siècle av. J.-C., la cité athénienne traverse une crise politique et sociale très grave, due à l’accaparement des terres et des fonctions dirigeantes par les nobles (Eupatrides).
« Après cela, il arriva que les nobles et la foule furent en conflit pendant un long temps. En effet, le régime politique était oligarchique en tout ; et, en particulier, les pauvres, leurs femmes et leurs enfants étaient les esclaves des riches. On les appelait « clients » et « sizeniers » (hectémores) : car c’est à condition de ne garder que le sixième de la récolte qu’ils travaillaient sur les domaines des riches. Toute la terre était dans un petit nombre de mains ; et, si les paysans ne payaient pas leur fermage, on pouvait les emmener, eux, leurs femmes et leurs enfants ; car les prêts avaient toutes les personnes pour gages jusqu’à Solon, qui fut le premier chef du parti populaire. Donc, pour la foule, le plus pénible et le plus amer des maux politiques était cet esclavage ; pourtant, elle avait tous autres sujets de mécontentement ; car, pour ainsi dire, elle ne possédait aucun droit. »
Aristote, dans « Constitution d’Athènes », II. (Traduction G. Mathieu et B. Haussoulier)

« Comme la Constitution était ainsi organisée, et que la foule était l’esclave de la minorité, le peuple se révolta contre les nobles. Alors que la lutte était violente et que les deux partis étaient depuis longtemps face à face, ils s’accordèrent pour élire Solon comme arbitre et archonte ; et on lui confia le soin d’établir la constitution, quand il eut fait l’élégie qui commence ainsi :
« Je le sais et, dans ma poitrine, mon cœur est affligé quand je vois assassinée la plus antique terre d’Ionie. »
Aristote, Idem, V, 1 et 2.

« Devenu maître des affaires, Solon affranchit le peuple pour le présent et pour l’avenir par l’interdiction de prêter en prenant les personnes pour gages ; il fit des lois et abolit les dettes tant privées que publiques, par la mesure qu’on appela sisachthie (rejet du fardeau), parce qu’on rejeta alors le fardeau. »
Aristote, Idem, VI, 1.

« Il semble que, dans l’activité politique de Solon, ce soient là les trois mesures les plus démocratiques : tout d’abord, ce qui est le plus important, l’interdiction de prendre les personnes pour gages des prêts ; puis le droit donné à chacun d’intervenir en justice en faveur d’une personne lésée ; enfin, mesure qui, dit-on, donna le plus de force au peuple, le droit d’appel aux tribunaux ; en effet, quand le peuple est maître du vote, il est maître du gouvernement. »
Aristote, Idem, IX, 1.

Extraits de « Politique » d’Aristote

« Il est nécessaire tout d’abord que s’unissent des êtres qui ne peuvent pas exister l’un sans l’autre, par exemple la femme et l’homme, (…) celui qui commande et celui qui est commandé, et ce par nature en vue de leur mutuelle sauvegarde. En effet, être capable de prévoir par la pensée, c’est être par nature apte à commander, c’est-à-dire être maître par nature, alors qu’être capable d’exécuter physiquement ces tâches c’est être destiné à être commandé c’est-à-dire être esclave par nature. C’est pourquoi la même chose est avantageuse à un maître et à un esclave. (…) Une famille achevée se compose d’esclaves et de gens libres. (…) C’est dès leur naissance qu’une distinction a été opérée chez certains, les uns devant être commandés, les autres commander. L’œuvre accomplie est meilleure là où l’un commande et l’autre est commandé (…) comme l’âme commande au corps et comme le roi commande au pouvoir politique. (…) A la suite de cela il faut examiner, à propos de la propriété, de quelle manière elle doit être établie par ceux qui se proposent de gouverner la cité : la propriété sera-t-elle commune ou ne sera-t-elle pas commune ? (…) Il est manifeste que la meilleure solution c’est que la propriété des biens soit privée et qu’ils soient rendus communs par leur usage. Quant à ce qu’il faut faire pour que les gens deviennent tels, c’est la tâche propre du législateur. (…) C’est, certes, un fait que l’égalité des fortunes entre les citoyens est l’une des dispositions avantageuses pour empêcher les dissensions internes mais, à vrai dire, son utilité n’a rien de remarquable. En effet, les gens distingués s’en indigneront parce qu’ils s’estiment dignes de ne pas être comptés au nombre des égaux. (…) Faut-il que les ouvriers, les paysans et les militaires prennent part ensemble au pouvoir politique ? Les paysans n’ont pas d’armes et les ouvriers n’ont ni terre ni arme, ce qui les rend dépendant de ceux qui possèdent les armes. Il est donc impossible qu’ils aient part à toutes les dignités, car c’est nécessairement parmi ceux qui détiennent les armes que seront pris les stratèges, les gardes civiles, et, à vrai dire, les détenteurs des fonctions gouvernementales les plus importantes. Or comment des gens qui ne participent pas au pouvoir politique seraient-ils susceptibles de sympathie pour la constitution en place ? Certes il faut bien que ceux qui détiennent les armes soient plus forts que les deux autres parties prises ensemble. Mais ce n’est pas facile s’ils ne sont pas nombreux. Et s’ils le sont, pourquoi faudrait-il faire participer les autres groupes au pouvoir politique et les rendre maîtres de la désignation des hauts dignitaires ? (…) Qu’il faille, dans une cité qui entend être bien gouvernée, que (ceux qui gouvernent) soient libérés des tâches indispensables, c’est chose admise. Mais de quelle manière (le faire accepter de la classe qui travaille) n’est pas facile à saisir. Ainsi, en Thessalie, la classe des pénestes s’est souvent révoltée contre les Thessaliens, de même, chez les Laconiens, avec les hilotes qui passent leur vie à guetter les revers de leurs maîtres pour saisir l’occasion de se révolter. (…) Les cités voisines, même quand elles sont en guerre les unes contre les autres, ne s’allient aucunement aux révoltés parce qu’elles n’y ont pas intérêt, elles qui possèdent aussi des pérèques (serfs). (…) A l’origine, les Thessaliens connurent des révoltes parce qu’ils étaient encore en guerre avec les peuples limitrophes, Achéens, Perrhèbes, Magnésiens. Il semble que, même s’il n’y en a pas d’autre, le problème du genre de relations qu’il faut avoir avec ce genre de gens (hilotes ou pérèques) est pénible : si on relâche la discipline, ils deviennent insolents et prétendent être égaux à leurs maîtres, si on leur mène la vie dure, ils complotent et haïssent. Il est donc manifeste que ceux à qui il arrive de telles mésaventures (une révolte) n’avaient pas trouvé de solution à ce problème. De plus, le relâchement pour tout ce qui concerne les femmes est dommageable à la fois pour l’ordre et pour le bonheur de la cité. (…) S’il y a de mauvaises dispositions concernant les femmes (si elles sont trop libres), cela signifie que la moitié de la population vit hors la loi. C’est ce qui est arrivé en Lacédémone. Le législateur y a durcit la loi pour les hommes mais a négligé les femmes et elles vivent dans un dérèglement total. (...) Chez les Laconiens, les femmes leur ont été cause des plus grands dommages. C’est ce que l’on a vu lors de l’invasion des Thébains. Non seulement, elles n’étaient d’aucune utilité contrairement aux femmes des autres cités mais elles causèrent plus de trouble que les ennemis. (…) Lyciurgue entreprit de les soumettre aux lois, mais, devant leur résistance il y renonça finalement. (…) L’organisation crétoise a une certaine analogie avec celle de Laconie. Pour les Spartiates en effet, ce sont les hilotes qui cultivent la terre, pour les Crétois, ce sont les pérèques. (…) A la tête, l’organisation politique est quasi analogue les éphores ont le même pouvoir que ceux qu’en Crête on appelle les cosmes, à ceci près que les éphores sont au nombre de cinq alors que les cosmes sont dix. Tous les citoyens participent à l’assemblée mais elle n’a aucun pouvoir souverain sinon celui de ratifier les propositions des anciens et des cosmes. (…) Les éphores sont élus parmi tous les citoyens mais pas les cosmes ne sont issus que de certains lignages et les gérontes seulement parmi ceux qui ont été cosmes. (…) Ils ne rendent pas de compte et sont nommés à vie, ce qui est périlleux. Le fait que le peuple se tienne tranquille alors qu’il n’a pas part au pouvoir n’est en rien un signe de bonne organisation. (…) En Crête, souvent les citoyens se coalisent pour chasser les cosmes et en nommer d’autres. (…) Mais le pire c’est que parfois ils se coalisent pour supprimer complètement la magistrature des cosmes. (…) Pour un certain temps, la cité n’est plus telle qu’elle était et la communauté politique est dissoute. (…) Les Carthaginois sont réputés avoir une bonne organisation politique, mais elle est semblable par certains aspects à celle des Laconiens. Les institutions crétoise, laconienne et carthaginoise sont proches les unes des autres. (…) Pour les carthaginois, leur système est oligarchique et il leur semble impossible d’exercer des responsabilités si l’on ne fait pas partie de la classe riche. (…) Les hautes fonctions sont achetées et le sont pour en tirer profit. (…) Le cumul des fonctions n’est pas combattu. (…) Pour éviter les révoltes qu’entraîne l’enrichissement d’un tout petit nombre, les Carthaginois sont envoyés vivre dans les cités clientes de Carthage. Mais cela est fait au petit bonheur la chance, sans ordre, alors qu’il faudrait que ce soient les institutions qui prennent des mesures pour éviter les révolutions. Mais, en fait, s’il arrive quelque revers de fortune et que la masse des gouvernés se révolte, rien n’est prévu dans les lois pour ramener la tranquillité. (…) Quant à Solon, certains sont d’avis qu’il fut un législateur excellent. En effet, il en finit avec une oligarchie par trop excessive, mit fin à la servitude du peuple (…) Il n’a pas mis fin aux institutions qui existaient auparavant (…) Il a donné au peuple cette faculté absolument indispensable de choisir les magistrats et d’en recevoir des comptes mais il réserva toutes les magistratures aux notables et aux gens aisés. (…)
Quel doit être le pouvoir souverain de la cité ? C’est certainement soit la masse, soit les riches, soit les honnêtes gens, soit un seul, soit le meilleur soit un tyran. Toutes ces hypothèses semblent comporter un inconvénient. (…) Si les pauvres, du fait qu’ils sont majoritaires, se partagent les biens des riches, n’est-ce pas une injustice ? (…) Si la majorité se partage les biens de la minorité, il est manifeste qu’ils détruisent la cité. (…) Il faut que la partie de la cité qui veut maintenir les institutions soit plus forte que celle qui ne le veut pas. Or toute cité est composée d’une qualité et d’une quantité. Par qualité, j’entends liberté, richesse, éducation, naissance illustre, et par quantité le plus grand nombre de gens. (…) Mais il faut toujours que le législateur ajoute des gens de la classe moyenne. (…) Il n’y a aucun danger que jamais les riches s’accordent avec les pauvres contre ces gens-là (la classe moyenne). (…) Plus le mélange est bien fait, plus la société est stable. (…) »
« Cause commune des révolutions
(…) Un régime populaire naît du fait que des gens qui sont égaux dans un domaine estiment l’être absolument (…) Par suite, les premiers, au nom de leur égalité, s’estiment en droit de participer également à tout, alors que les seconds (riches et minoritaires), au nom de leur inégalité, cherchent à en avoir toujours plus. (…) tels sont les sortes de discordes d’où naissent les révolutions. C’est pourquoi les renversements de l’ordre adviennent de deux manières. Tantôt ils renversent les institutions, une démocratie est remplacée par une oligarchie et inversement. (…) Tantôt ils conservent les institutions mais les mettent sous leur contrôle. (…) Partout la révolution provient de l’inégalité (…) c’est en général en visant l’égalité qu’on devient séditieux. (…) La démocratie est plus stable et moins exposée aux révolutions que l’oligarchie. (…) La constitution qui s’appuie sur les classes moyennes (...) est la plus stable des constitutions. (…) il faut saisir l’état d’esprit des séditieux et en vue de quoi ils agissent, et aussi, troisièmement, quels sont les principes et les dissensions entre citoyens. Il faut poser comme cause universelle du fait qu’ils ont cet état d’esprit la cause dont nous venons de parler. Provoquent les séditions, d’un côté ceux qui revendiquent l’égalité parce qu’ils estiment avoir moins et de l’autre ceux qui revendiquent l’inégalité, c’est-à-dire la supériorité. (…) Le mépris provoque aussi des séditions et des hostilités, par exemple dans une oligarchie où ceux qui ne participent pas à la vie politique sont la majorité car alors ceux qui sont tenus à l’écart s’estiment plus forts que ceux qui détiennent le pouvoir. (...) Des renversements des institutions adviennent du fait de l’accroissement hors de proportion d’un des groupes sociaux. (…) Si on accroissait hors de proportion certaines parties du corps d’un animal (…) il y aurait passage à une autre sorte d’animal, non seulement différent quantitativement mais qualitativement. De même, une cité est composée de plusieurs parties dont souvent l’une des parties s’est subrepticement accrue, par exemple la masse des gens modestes (…) Cela arrive aussi parfois à la suite d’événements fortuits, comme à Tarente : du fait qu’à la suite d’une défaite beaucoup plus de notables aient péri de la main des Iapyges (autochtones chez lesquels la cité fut fondée – Iapygie est le nom grec de Apullie), peu après les guerres médiques, une démocratie prit la place du gouvernement constitutionnel ; de même à Argos, à la suite de la mort de citoyens tués par le Laconien Cléomène, on fut contraints d’attribuer la citoyenneté à certains pérèques, et aussi à Athènes, après des défaites sur terre, les notables devinrent moins nombreux, parce que du temps de guerre contre les Laconiens (guerre du Péloponnèse 431-404 av J.-C) étaient seulement soldats les gens inscrits sur les listes de citoyens. (…) A Athènes, les citoyens ne sont pas tous identiques : les habitants du Pirée sont plus partisans d’un régime populaire que ceux de la ville. (…) Toute différence dans une cité provoque un désaccord. Le plus grand désaccord est sans doute (…) celui entre richesse et pauvreté. (…) Les séditions, donc, ne naissent pas au sujet de petites choses mais à partir de petites choses, mais c’est au sujet des choses importantes qu’on recourt à la sédition. Même les petits différends peuvent prendre une force extrême (…) D’une manière générale, les disputes parmi les notables font que la cité tout entière en partage aussi le dommage. (…) A Epidamne, quelqu’un ayant promis sa fille, fut frappé d’une amende par le père du promis devenu magistrat. Prenant prétexte de cette offense, il souleva tous ceux qui étaient exclus de la vie politique. (…) A Syracuse, le peuple, qui avait été l’artisan de la victoire dans la guerre contre les Athéniens, changea le gouvernement constitutionnel en démocratie. A Chalcis, le peuple qui, avec les notables, renversa le tyran Phoxos, se trouva aussitôt maître du pouvoir. Et il en fut de même à Ambracie : le peuple chassa le tyran Périandre en s’alliant aux ennemis de celui-ci en changea le régime à son profit. (…) les régimes changent aussi quand les parties de la cité dont on pense qu’elles sont opposées sont à égalité entre elles, les riches et le peuple par exemple et qu’il n’y a aucune classe moyenne ou qu’elle est tout à fait réduite. (…) Quant aux oligarchies, elles sont bouleversées principalement de deux façons tout à fait claires. L’une c’est quand elles traitent injustement la masse populaire. (…) Parfois, c’est des gens aisés eux-mêmes mais qui n’appartiennent pas à la classe au pouvoir que vient le renversement du régime, cela quand très peu de gens ont accès aux honneurs publics, comme cela est arrivé à Marseille, à Istros, à Héraclée et dans d’autres cités. (…) A Istros le pouvoir changea en régime populaire. A Héraclée, il passa de quelques membres à six cents. A Caide aussi l’oligarchie fut bouleversée par les dissensions internes des notables parce qu’un petit nombre d’entre eux se partageaient le pouvoir (…) S’attaquant aux notables empêtrés dans leurs querelles et ayant pris un chef issu de leurs rangs, le peuple engagea le combat et les vainquit. A Erythrée, sous l’oligarchie des Basilides, dans les temps anciens, bien que les membres du gouvernement accomplissent bien leur tâche, le peuple, pourtant, irrité d’être gouverné par un petit nombre de gens, changea le régime. (…) C’est aussi le cas (la sédition) quand certains tentent de concentrer le pouvoir oligarchique entre un plus petit nombre de mains, car alors ceux qui cherchent l’égalité sont contraints de recourir à l’aide du peuple. (…) Un bouleversement peut advenir dans les oligarchies en temps de guerre comme en temps de paix. En temps de guerre parce que le peu de confiance qu’ils ont dans le peuple contraint les oligarques à recourir à des mercenaires (…) Et quand les oligarques, craignant une telle issue (que les mercenaires prennent le pouvoir) ils sont contraints d’accepter la participation du peuple à la vie politique. (…) Les séditions ont lieu quand certains sont trop démunis et d’autres trop aisés. Cette situation se rencontre surtout pendant les guerres : cela arriva à Lacédémone du temps de la guerre de Messénie comme le montre le poème de Tyrtée intitulé Eunomie, car certains, accablés par la guerre, estimaient juste que l’on procédât à une redistribution des terres. (…) Ceux qui vivent dans l’aisance, si la constitution leur donne la prédominance, cherchent à outrepasser toute limite pour avoir plus. Et, d’une manière générale, de quelque côté que penche la constitution, c’est dans cette direction que le changement a lieu (…) Or les changements se font vers les contraires. Par exemple, l’aristocratie se change en régime populaire, car, sous prétexte qu’ils sont injustement traités, les plus démunis font pencher le régime vers une forme contraire (…) C’est ce qui arriva à Thourioi. D’une part, en effet, du fait que l’élection aux magistratures était fonction d’un cens trop élevé, (…) d’autre part du fait que les notables s’étaient approprié, contrairement à la loi, la totalité des terres, il y eut un affrontement. Mais le peuple, exercé par la guerre, prit le dessus sur la garnison en place, jusqu’à ce que ceux qui possédaient plus de territoires qu’ils n’auraient dû soient contraints d’y renoncer. (…) il est évident que si nous saisissons ce par quoi les constitutions sont détruites, nous saisissons aussi ce par quoi elles assurent leur sauvegarde. (…) De sorte que ceux qui se soucient de préserver le régime doivent entretenir des sujets de crainte pour que, comme une sentinelle de nuit, leurs concitoyens prennent garde à ce régime, c’est-à-dire ne relâchent pas leur vigilance et ils doivent présenter comme proches des menaces lointaines. (…) reconnaître l’émergence d’un mal dès ses origines, voilà qui n’est pas le fait du premier venu mais d’un véritable homme politique. (…) Il reste à discuter de la monarchie, d’où vient sa destruction et par quoi elle est naturellement sauvegardée. (…) La royauté fut établie pour servir aux honnêtes gens à se défendre contre le peuple. (…) ce sont bien les mêmes principes qui provoquent les révolutions dans les gouvernements constitutionnels comme dans les monarchies. Injustice, crainte, mépris font que beaucoup de sujets se révoltent contre les monarchies, l’injustice venant principalement de l’excès, et parfois de la spoliation des biens privés. Les buts des révoltés dans les tyrannies et les royautés sont les mêmes que dans les gouvernements constitutionnels, car les monarques disposent d’une masse de richesses et d’honneurs que tous convoitent. Parmi les révoltes, les unes sont dirigées contre la personne même des gouvernants, les autres contre leur pouvoir. (…) Quant aux tyrannies, le salut leur vient de deux manières totalement contraires : (…) tout faire pour que les citoyens se connaissent le moins possible car la connaissance mutuelle accroît la confiance réciproque, faire en sorte que les habitants soient toujours sous l’œil du tyran et passent leur temps à sa porte, (…) s’efforcer de dresser les gens les uns contre les autres. (…) Puisque les cités sont composées de deux parties, les gens modestes et les gens aisés, il faut avant tout que les deux en viennent à penser que le pouvoir en place assure leur sauvegarde, c’est-à-dire préserve les membres de chacune de ces parties des injustices des membres de l’autre.
(…) Le peuple le meilleur est celui des paysans. (…) Du fait de la modicité de son avoir, cette masse populaire n’a pas de loisir ce qui fait qu’elle ne peut pas souvent se réunir en assemblée. D’autre part, comme ils manquent du nécessaire, ces gens passent leur temps au travail et ne convoitent pas le bien d’autrui, et il leur est plus agréable de travailler que de s’occuper de politique. (…) Après la masse des paysans, le meilleur peuple se trouve là où il y a des pâtres, c’est-à-dire des gens qui vivent avec leurs troupeaux. Ce peuple a en effet beaucoup de points communs avec celui des paysans, et, en ce qui concerne les activités guerrières, ces gens y sont entraînés au plus haut point par leurs habitudes de vie (…). Par contre, toutes les autres sortes de masses populaires (…) sont beaucoup plus mauvaises que ces deux premières. C’est que leur mode de vie est mauvais du fait que l’activité à laquelle se livre la masse des artisans, des marchands et des hommes de peine ne va de pair avec aucune vertu. De plus, de par ses allées et venues sur l’agora et par la ville, toute cette race de gens a, si l’on peut dire, l’assemblée facile. Les paysans au contraire, à cause de leur dispersion dans la campagne, ne se réunissent pas aussi facilement et n’ont pas le besoin de ce genre de rencontres. (…) Une cité doit avoir de quoi se nourrir, ensuite des métiers, en troisième lieu des armes (pour soutenir le pouvoir contre les rebelles et contre ceux de l’extérieur qui se livrent à d’injustes attaques), et ensuite une certaine abondance de ressources, en cinquième (mais de première importance) la fonction concernant le divin que l’on appelle un culte, la sixième fonction, la plus nécessaire, c’est celle qui tranche les questions d’intérêt général et les affaires judiciaires entre citoyens. (…) Il semble que ce n’est ni d’aujourd’hui ni récemment que ceux qui philosophent ont reconnu la nécessité de diviser la cité en groupes sociaux distincts, que celui qui combat soit autre que celui qui cultive la terre. (…) Mais, par ailleurs, qu’il faille que les gouvernés diffèrent des gouvernants, c’est incontestable. » (dans « Politique » d’Aristote)

Révolutions à Rome

Révolte de la plèbe
(5e S. av. J.-C.)
Dans la Rome primitive, l’exploitation massive des esclaves n’est pas encore le fait dominant. L’opposition fondamentale est celle des patriciens et des plébéiens. Au 5ème siècle av. J.-C., les premiers nous apparaissent comme de grands propriétaires fonciers, les seconds comme de petits paysans, des artisans ou des commerçants. Les patriciens, organisés en grandes familles, avaient le monopole des fonctions politiques et de la justice. Cependant, pour soutenir les guerres perpétuelles qu’ils livraient à leurs voisins, ils durent faire appel aux plébéiens. Ces derniers ne tardèrent pas à leur poser des conditions.
« Tandis que la guerre avec les Volsques [ancien peuple de l’Italie, établi au sud du Latium] était imminente, la cité était en guerre avec elle-même et en proie à une haine intestine entre sénateurs et plébéiens, dont la principale cause était l’esclavage pour dettes.
On s’indignait « de défendre au dehors la liberté et l’empire et d’avoir au dedans ses propres concitoyens pour tyrans et pour oppresseurs. La guerre était plus sûre que la paix, les ennemis moins menaçants que les compatriotes pour la liberté de la plèbe.
« Le mécontentement se propageait déjà de lui-même quand une infortune scandaleuse fit éclater l’incendie. Un vieillard, portant les marques de toutes ses souffrances, s’élança sur le forum ; la crasse couvrait ses vêtements ; plus hideux encore était l’aspect pâle et maigre de son corps épuisé ; en outre, la longueur de sa barbe et de ses cheveux lui donnait un air sauvage. On le reconnaissait pourtant, tout affreux qu’il était ; il avait, disait-on, commandé une centurie, et on énumérait ses brillants états de service, tout en le plaignant…
… Il dit que, pendant qu’il faisait campagne contre les Sabins [peuple samnite établi au voisinage immédiat de Rome], les pillards avaient brûlé sa ferme… qu’au milieu de ses revers, on lui avait réclamé ses impôts, et qu’il avait emprunté. Cette dette, grossie des intérêts, lui avait fait perdre d’abord la terre de son père… et son créancier l’avait jeté, non dans l’esclavage, mais dans un cachot et dans la chambre de torture. Et il montrait sur son dos d’horribles marques de coups toutes fraîches. À cette vue et à ces mots, des cris violents s’élèvent. L’agitation ne se cantonne plus au forum, mais s’étend partout dans la ville. Les insolvables, portant ou non leurs chaînes, se répandent dans toutes les rues… pas un coin où des volontaires ne se joignent à l’émeute ; partout, dans toutes les rues, des bandes hurlantes courent vers le forum… On réclame, sur le ton de la menace, plutôt que de la prière, la convocation du Sénat [Assemblée des chefs des familles patriciennes]. On entoure la curie [Salle du Sénat] pour contrôler et régler soi-même les délibérations officielles. »
Tite-Live, dans « Histoire romaine », liv. 11, XXIII. (Traduction G. Baillet)

Réaction des patriciens
Lors du soulèvement de la plèbe, les patriciens hésitent sur la conduite à tenir. Le consul Appius voulait employer la manière forte : « Après une ou deux arrestations, tout rentrerait dans le calme. »
Servilius, au contraire, voulait fléchir la rébellion au lieu de la briser : « c’était plus sûr et surtout plus facile. » Là-dessus des cavaliers latins accourent, en annonçant que les Volsques sont entrés en compagne.
« À cette nouvelle, tant la nation était coupée en deux par la discorde, l’impression fut bien différente chez les patriciens et dans la plèbe. Les plébéiens étaient transportés de joie : « Ce sont, disaient-ils, les dieux qui viennent punir l’orgueil des patriciens. « Ils s’exhortaient l’un l’autre à ne pas s’enrôler : « Périsse tout le monde plutôt qu’eux seuls ; que les sénateurs prennent du service ! Que les sénateurs prennent les armes ! Que les dangers de la guerre soient pour ceux à qui elle profite ! « Cependant, le Sénat, accablé… supplie le consul Servilius, dont les idées étaient plus démocratiques, de tirer l’État des menaçants périls qui l’assiègent. Alors le consul lève la séance et se présente devant le peuple assemblé. Il lui montre que le Sénat est préoccupé des intérêts de la plèbe ; « mais ce débat sur une classe – d’ailleurs la plus considérable – mais enfin sur une classe seulement de citoyens, a été interrompu par un danger que court tout l’État ; il est impossible quand l’ennemi est presque aux portes, de rien faire passer avant la guerre ; en eût-on même le loisir, ce ne serait ni honorable pour la plèbe de se faire payer d’abord avant de prendre les armes pour la patrie, ni très seyant au Sénat de remédier à la détresse des citoyens par crainte plutôt que par bienveillance, un peu plus tard. » …
… Après la défaite des Aurunces [peuple d’origine osque, établi au sud-est du Latium, autour de Minturnes], les Romains comptaient sur la parole du consul et sur la bonne foi du Sénat quand Appius… se mit à prononcer des sentences aussi dures que possible en matière de dettes, rendant par séries les anciens insolvables aux chaînes de leurs créanciers et en mettant même sans cesse de nouveaux aux fers. Quand c’étaient d’anciens combattants, ils en appelaient à son collègue. Un rassemblement se faisait devant Servilius ; ils lui rappelaient ses promesses ; ils lui représentaient leurs états de service, leurs blessures…
Malgré son émotion, le consul, dans la circonstance, était obligé de se tenir sur la réserve, tant son collègue et tout le parti de la noblesse s’étaient jetés dans l’opposition. En gardant ainsi la neutralité, il n’évita pas la rancune du peuple, sans gagner pour cela la faveur du Sénat : au Sénat, il passait pour un consul sans énergie et pour un intrigant ; dans la plèbe, pour un fourbe, et on ne tarda pas à avoir la preuve qu’il était aussi impopulaire qu’Appius. »
Tite-Live, dans « Histoire romaine », liv. II, XXIV et XXVII. (Traduction G. Baillet)

Victoire de la plèbe
« Alors la plèbe, ne sachant ce qu’elle devait attendre des nouveaux consuls, tint des réunions la nuit, partie aux Esquilies [quartier populaire construit sur l’Esquilin, l’une des sept collines de Rome], partie sur l’Aventin [l’une des sept collines, située au sud-ouest de la ville, et entièrement peuplée de plébéiens] pour éviter de prendre au forum des décisions improvisées et confuses et de toujours marcher sans but et au hasard.
« Les consuls, voyant là un danger, d’ailleurs réel, font un rapport au Sénat… et le Sénat leur enjoint de faire les enrôlements avec Ici dernière énergie : « c’est l’inaction qui cause les désordres populaires. » Les consuls lèvent la séance et montent sur leur tribunal ; ils font l’appel des jeunes gens. Pas un ne répond à l’appel de son nom ; et la foule, les enveloppant, prend l’allure d’une assemblée pour déclarer « qu’on ne se moquera pas plus longtemps de la plèbe ; on ne trouvera plus un seul soldat si l’État ne tient pas ses engagements ; il faut rendre la liberté à chaque individu avant de lui donner des armes ; ils veulent combattre pour leur patrie, pour leurs concitoyens, et non pour leurs maîtres. »
Tite-Live, dans « Histoire romaine », liv. II, XXVIII. (Traduction G. Baillet)

« Les consuls, à bout d’expédients demandent aux sénateurs les plus exaltés de se joindre à eux, et essaient d’employer la manière forte. Nouvel échec. Alors, le Sénat, après une délibération confuse, décide de confier le pouvoir à un dictateur, dont les décisions sont sans appel. Cependant, il choisit ce dictateur parmi les modérés, et la plèbe, sur de nouvelles promesses, se laisse encore mobiliser. Après la victoire, le Sénat refuse de tenir ses engagements, et le dictateur démissionne.
« Alors le Sénat se prit à craindre que la libération des soldats ne fît renaître les assemblées secrètes et les complots. Aussi, bien qu’ils eussent été enrôlés par le dictateur, comme c’étaient les consuls qui leur avaient fait prêter serment, on estima que ce serment les liait encore, et, sous prétexte que les Éques reprenaient les hostilités, on donna l’ordre aux légions d’entrer en campagne. Cela ne fit que hâter la révolte… l’armée cessa d’obéir aux consuls et se retira sur le mont Sacré, sur la rive droite de l’Anio, à trois milles de Rome… Là, sans général, ils firent un camp entouré d’un fossé et d’une palissade, et, paisibles, se bornant à prendre les vivres nécessaires, ils demeurèrent quelques jours sans attaquer ni être attaqués. »
« Le Sénat envoie alors à la plèbe Ménénius Agrippa qui, lui racontant l’apologue des membres et de l’estomac, l’aurait amenée à changer de sentiments. En fait, la plèbe ne consent à rentrer à Rome qu’après avoir reçu des garanties concrètes :
« On se mit alors à traiter de la réconciliation et l’on consentit à accorder à la plèbe des magistrats spéciaux et inviolables, chargés de prendre sa défense contre les consuls, et à exclure tout patricien de cette fonction. »
Tite-Live, dans « Histoire romaine », liv. II, XXXII et XXXIII.

« Les révoltes d’esclaves peuvent prendre de plus grandes proportions. Les historiens romains semblent encore tremblants lorsqu’ils évoquent les sursauts de milliers d’esclaves terrorisant les villes et les campagnes. (...) Marmite prête à exploser au moindre incident, la Sicile sombrait dans l’anarchie ; Il suffisait désormais qu’un esclave résolu prît la tête de ses frères excédés pour qu’une révolte éclatât. Les milliers de bêtes humaines de Sicile trouvèrent un chef en la personne d’Eunous, esclave syrien, originaire d’Apanée et appartenant à Antigène, domicilié à Enna. (...) C’est alors que Damophile, ayant une fois de plus brimé ses esclaves, voit éclater une révolte sur ses terres. Eunous, cette fois, se décide à entrer ouvertement dans la lutte. Sous sa conduite, quatre cents esclaves s’attroupent, s’arment en hâte et pénètrent dans la ville d’Enna. (...) Une véritable armée de six mille hommes est ainsi constituée. Elle est pauvrement armée de serpes, de haches, de frondes, de faux, de bâtons, de broches de cuisine, mais elle est prête à en découdre avec les forces légales que Rome ne manquera pas de lui opposer. Le nombre de rebelles ne fait que grossir au cours des semaines. D’abord émeute, puis révolte, le mouvement insurrectionnel des esclaves devient révolution.
Dans le même temps, Cléon, Sicilien d’origine, des environs du mont Taurus, se place à la tête d’une autre révolte d’esclaves qui vient d’éclater. Il ravage Agrigente et ses environs. Les propriétaires de l’ensemble de l’île, tremblant de peur, espèrent qu’un conflit de personne et d’autorité opposera Cléon et Eunous, que les deux bandes armées se feront la guerre et se massacreront l’une l’autre. C’est méconnaître la maturité politique des deux chefs qui font alliance et rassemblent leurs troupes en un seul corps. Cléon pousse même l’abnégation jusqu’à reconnaître l’autorité suprême d’Eunous et il se place sous ses ordres en qualité de lieutenant : 15000 rebelles attendent la réaction de Rome. Trente jours ont suffi pour que la Sicile soit presque entièrement à la discrétion des esclaves.

Rome mord la poussière
« Rome, toujours lente à réagir, avait espéré dans un premier temps que l’insurrection serait mâtée par les Siciliens eux-mêmes. Mais elle doit bientôt constater qu’elle s’était trompée. (...) Un général romain, obscur et sans ordre de mission défini, débarque dans l’île et y recrute quelque 8000 soldats. Il compte vaincre facilement les 15.000 esclaves mal armés que lui opposent Eunous et Cléon : optimisme irraisonné qui ignore la détermination des rebelles. La défaite surprend le général trop confiant. C’est une première victoire suivie de beaucoup d’autres. Pendant quatre années Rome va dépêcher ses meilleurs gouverneurs, Manilius, Lentulus, Pison, qui avec leur troupe mordront la poussière devant l’immense horde des esclaves, aidée par la complicité de la majeure partie des Siciliens pauvres. (...) Comme les nouvelles se répandent vite dans l’Antiquité où tout le monde voyage et où la Méditerranéen sert de moyen de communication finalement rapide, les esclaves d’autres pays apprennent que là-bas, en Sicile, des frères privés comme eux de leur dignité et de leur liberté leur montrent l’exemple et refusent de plier le genou devant le despotisme de maîtres ignobles. Des foyers de révolte s’allument à Rome même. Mille esclaves s’insurgent en Attique. Et le port de Délos, sinistre lieu où transitent les esclaves, est le théâtre d’émeutes sanglantes. Le Latium, la Campanie ne sont pas épargnés par la contagion et celle-ci est jugulée après une répression impitoyable. En 134, Rome prend la décision d’envoyer un de ses meilleurs généraux, Rupilius, qui fait le siège de Tauromerium. (...) Lentement Rome reprend l’initiative dans cette véritable guerre. L’ordre règne en Sicile. (...) Cette répression, si elle noyait la révolte dans un bain de sang et sous des monceaux de cadavres, ne mettait pas fin au problème. Elle permettait simplement de la différer. Aucune réforme de la propriété ne fut entreprise. L’économie de la Sicile basée sur les latifundia, les grandes exploitations destinées à la pâture, ne fut pas modifiée. (...) Rome n’avait pas tiré de leçons de sept années de guerre servile ou n’était pas arrivée à imposer des réformes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on pouvait s’attendre à une reprise de l’insurrection. L’Italie, de son côté, regorgeant d’esclaves, donnait déjà les signes précurseurs d’un mouvement insurrectionnel de grande envergure. (...) Les esclaves se rassemblent à Syracuse dans le temple de Paliques (...) La conflagration générale (a lieu) dans toute l’île en l’année 104 av J.-C. En différents points de ce territoire des esclaves manifestent leur solidarité avec le mouvement du temple de Paliques. Au pays des Halyciens, trente esclaves égorgent leurs maîtres. (...) La révolte fait tâche d’huile en Italie. Dans le territoire d’Egeste, de Libybée et des lieux voisins, les esclaves furent aussi atteints par la contagion de la révolte. (...) La guerre des esclaves avait duré près de quatre ans. (...) »
Joël Schmidt dans « Vie et mort des esclaves dans la Rome antique »

Patriciens et plébéiens devant une sédition d’esclaves
(5e s. av. J.-C.)
« Des exilés et des esclaves, au nombre de 2.500 hommes, sous le commandement d’un Sabin, Appius Herdonius, occupèrent la nuit, le Capitole et la citadelle. Là, ils exécutèrent sommairement les hommes qui ne voulurent pas entrer dans leur complot et prendre les armes ; à la faveur du tumulte, quelques-uns, auxquels la frayeur donnait des ailes, dévalèrent jusqu’au forum ; on entendait tour à tour ces deux cris : "Aux armes !" et " L’ennemi est dans la ville ".
« Les consuls n’osaient ni armer la plèbe, ni la laisser désarmée, ne sachant quel fléau soudain s’abattait sur la ville, s’il venait du dehors ou du dedans, de la haine de la plèbe ou de Ici perfidie des esclaves...
Enfin, le jour dévoila l’ennemi et son chef. Il s’agissait des esclaves ; Appius Herdonius les appelait à la liberté, du haut du Capitole : " Il avait pris en main la cause de tous les misérables ; son but ? Rendre leur patrie aux exilés injustement bannis ; enlever aux esclaves leur joug accablant. Il voulait bien laisser le peuple romain s’en charger. Mais si, de ce côté, il n’y avait pas d’espoir, Volsques, Éques [peuples du Latium établis autour de Préneste], tout lui serait bon à mettre en jeu et à soulever."
« Tout devenait plus clair pour les sénateurs et les consuls... Que de craintes de toute nature ! Au premier rang, la crainte des esclaves : chacun redoutait d’avoir un ennemi chez lui. Se fier à lui ? Ou s’en méfier et lui retirer sa confiance au risque de l’irriter d’avantage ? Les deux partis étaient aussi peu sûrs. À grand-peine l’union [des patriciens et des plébéiens] permettrait peut-être de résister.
... Les tribuns [il s’agit des tribuns militaires, le tribunat de la plèbe n’étant pas encore institué] prétendaient que ce n’était pas une guerre, mais un simulacre de guerre qu’on avait installé au Capitole pour détourner l’attention de la plèbe... Ils convoquent donc le peuple... et lui font déposer les armes.
En apprenant que les hommes déposaient les armes et abandonnaient leur poste, Publius Valerius laisse son collègue présider le Sénat, s’élance hors de la curie et vient au lieu consacré de l’assemblée trouver les tribuns : « Qu’est-ce que cela signifie, tribuns, dit-il ? Vous suivez les ordres et les auspices d’un Appius Herdonius pour faire une révolution ? Il a été assez heureux pour vous séduire, lui qui n’a pas été capable de soulever les esclaves. L’ennemi est sur nos têtes, et vous faites déposer les armes pour proposer des lois ? »
« S’adressant alors à la foule : « Citoyens, si vous n’avez souci ni de Rome, ni de vous-mêmes, gardez du moins le respect de vos dieux prisonniers de l’ennemi. Jupiter très bon, très grand, Junon, reine du ciel, Minerve, les autres dieux et déesses sont assiégés : des esclaves tiennent dans leur camp les saints patrons de votre ville : et voilà la politique qui vous semble raisonnable ? »
En terminant son discours, il déclare que lui-même prend les armes et qu’il appelle aux armes tous les citoyens et que si quelqu’un fait de l’opposition, alors il le traitera en ennemi. »
Tite-Live, dans « Histoire romaine », liv. III, XV-XVII. (Traduction G. Baillet)

La révolte de Spartacus
(73-71 av J.-C.)
« A cette même époque, parmi les gladiateurs entretenus à Capoue par les Romains et destinés aux jeux du cirque, se trouvait un Thrace, nommé Spartacus, qui avait autrefois servi dans l’armée, et avait été fait prisonnier et vendu. Il persuada 70 de ses camarades de braver la mort pour recouvrer la liberté, plutôt que de se voir réduit à servir de spectacle dans les arènes des Romains ; et, forçant ensemble la garde chargée de veiller sur eux, ils s’échappèrent. Spartacus et sa bande s’armèrent avec les armes de tout genre dont ils dépouillèrent quelques voyageurs, et se retirèrent sur le mont Vésuve. Là, plusieurs esclaves fugitifs et quelques hommes libres des campagnes vinrent se joindre à lui. La justice rigoureuse qu’il mit dans la distribution et dans le partage du butin lui attira rapidement beaucoup de monde.
... Les Romains ne pensaient pas que ce dû être une guerre dans toutes les formes. Ils croyaient qu’il suffirait contre ces brigands d’entrer en campagne. Varinius Glaber et Publius Valerius furent successivement vaincus. Après ces succès, le nombre des adhérents de Spartacus s’accrut encore davantage, et déjà il était à la tête d’une armée de 70 000 hommes. Alors, il se mit à fabriquer des armes et à prendre des dispositions militaires dans toutes les règles.
Rome, de son côté, fit marcher les consuls avec deux légions... Spartacus les attaqua tour à tour, les vainquit l’un après l’autre et ils furent obligés tous les deux de reculer en désordre. Spartacus immola... 300 prisonniers romains ; et son armée se montant à 120.000 fantassins, il prit rapidement la route de Rome, après avoir brûlé tous les bagages dont il n’avait pas besoin, fait passer au fil de l’épée tous les prisonniers et tuer toutes les bêtes de somme, pour ne pas ralentir sa marche. Beaucoup d’autres esclaves prirent son parti, et vinrent grossir son armée, mais il ne voulut plus admettre personne. Les consuls retournèrent à la charge contre lui dans le pays des Picènes... il furent vaincus encore une fois. Malgré ce succès, Spartacus renonça à son projet initial de marcher sur Rome, parce qu’il sentit qu’il n’était pas assez habile dans le métier des armes, et que ses troupes n’étaient pas convenablement armées, car nulle cité ne le secondait. Toutes ses forces consistaient en esclaves fugitifs et en aventuriers...
« Il y avait déjà trois ans que durait cette guerre, dont on s’était moqué d’abord ; dont on ne parlait qu’avec mépris comme d’une guerre de gladiateurs ; mais quand il fut question de confier le commandement à d’autres chefs, nul ne se mit sur les rangs, sauf Crassus... Il marcha contre Spartacus à la tête de six nouvelles légions. A son arrivée au camp, il fit décimer les deux légions qui avaient fait la campagne précédente, pour les punir de s’être si souvent laissé vaincre...
« Spartacus fut enfin blessé à la cuisse par une flèche. Le reste de son armée, en désordre, fut mis en pièces. Le nombre des morts du côté des gladiateurs fut incalculable. Il y périt environ 1.000 Romains. Il fut impossible de retrouver le corps de Spartacus. Les nombreux fuyards cherchèrent asile dans les montagnes. Crassus les y poursuivit. Ils se partagèrent en quatre bandes, luttant alternativement jusqu’à extermination complète, à l’exception de 6.000 d’entre eux, qui, faits prisonniers, furent mis en croix le long de la route de Capoue à Rome. »
Appien, dans « Histoire des guerres civiles », liv. 1

La révolte des esclaves autour de Spartacus (73 avant J.-C.)
racontée par un historien latin du 1er siècle après J.-C.
« On supporterait peut-être même la honte d’une guerre contre des esclaves. Même si le sort en a fait des êtres assujettis en tout, ils n’en sont pas moins comme une seconde espèce d’hommes, et nous les associons aux avantages de notre liberté. Mais quel nom donner à la guerre provoquée par Spartacus ? Je ne sais ; car des esclaves y servirent, des gladiateurs y commandèrent. Les premiers étaient de la plus basse condition, les seconds de la pire des conditions, et de tels adversaires accrurent les malheurs de Rome par la honte dont ils les couvrirent. Spartacus, Crixus, Œnomaus, après avoir brisé les portes de l’école de Lentulus, s’enfuirent de Capoue avec trente hommes au plus de leur espèce. Ils appelèrent les esclaves sous leurs drapeaux et réunirent tout de suite plus de dix mille hommes. Non contents de s’être évadés, ils aspiraient maintenant à la vengeance. Telles des bêtes sauvages, ils s’installèrent d’abord sur le Vésuve. Assiégés là par Clodius Glaber, ils se glissèrent le long des gorges caverneuses de la montagne à l’aide de liens de sarments et descendirent jusqu’au pied ; puis s’élançant par une issue inaccessible, ils s’emparèrent tout à coup du camp de notre général qui ne s’attendait pas à une pareille attaque. Ce fut ensuite le tour du camp de Varénius, puis de celui de Thoranlus. Ils parcoururent toute la Campanie, et non contents de piller les fermes et les villages, ils commirent d’effroyables massacres à NoIe et à Nucérie, à Thurium et à Métaponte. Leurs troupes grossissaient chaque jour, et ils formaient déjà une véritable armée. Avec de l’osier et des peaux de bêtes, ils se fabriquèrent de grossiers boucliers ; et le fer de leurs chaînes, refondu, leur servit à forger des épées et des traits. Pour qu’il ne leur manquât rien de ce qui convenait à une armée régulière, ils se saisirent aussi des hordes de chevaux qu’ils rencontrèrent, se constituèrent une cavalerie, et ils offrirent à leur chef les insignes et les faisceaux pris à nos préteurs. Spartacus ne les refusa point, Spartacus, un ancien Thrace tributaire devenu soldat, de soldat déserteur ensuite brigand, puis, en considération de sa force, gladiateur. Il célébra les funérailles de ses officiers morts en combattant avec la pompe réservée aux généraux, et il força des prisonniers à combattre, les armes à la main, autour de leur bûcher. Cet ancien gladiateur espérait effacer ainsi l’infamie de tout son passé en donnant à son tour des jeux de gladiateurs. Puis il osa attaquer des armées consulaires ; il écrasa celle de Lentulus dans l’Apennin, et près de Modène il détruisit le camp de Caîus Crassus. Enorgueilli par ces victoires, il songea à marcher sur Rome, et cette seule pensée suffit à nous couvrir de honte. Enfin, toutes les forces de l’empire se dressèrent contre un vil gladiateur, et Liclnius Crassus vengea l’honneur romain. Repoussés et mis en fuite, les ennemis - je rougis de leur donner ce nom - se réfugièrent à extrémité de l’Italie. Enfermés dans les environs de la pointe du Bruttium, ils se disposaient à fuir en Sicile. N’ayant pas de navires, ils construisirent des radeaux avec des poutres et attachèrent ensemble des tonneaux avec de l’osier ; mais l’extrême violence du courant fit échouer Ieur tentative. Enfin, ils se jetèrent sur les Romains et moururent en braves. Comme il convenait aux soldats d’un gladiateur, ils ne demandèrent pas de quartier. Spartacus lui-même combattit vaillamment et mourut au premier rang, comme un vrai général. »
Florus, dans « Abrégé d’histoire romaine »

Les guerres serviles
1) Les précédents
En 217, à Rome même ; en 198, dans le sud du Latium. Mais ces révoltes ne mettaient en cause que des prisonniers de guerre ou des otages carthaginois. En 196, on note une révolte d’esclave en Etrurie contre laquelle on envoie une légion (6 000 hommes). 143-140, dans le Latium, le brigandage de bergers serviles : là encore, on envoie l’armée.

2) La révolte de Sicile : 135-132
Diodore de Sicile nous indique que la cause en fut le nombre croissant d’esclaves introduits dans l’île, surtout après la Deuxième Guerre Punique. Il ajoute que cette masse se trouve aussi bien chez les propriétaires grecs que romains. Mais il poursuit que depuis les années 140, existe en Sicile une insécurité grandissante due à des bergers dans l’ouest de la Sicile, encouragés par leurs maîtres, et rejoints par des fugitifs.
Il y eut des escarmouches et un propréteur dû en capturer plusieurs pour calmer les velléités.
A l’est, se trouvent de nombreux esclaves d’origine syriennes, adorateurs de cultes à mystères implantés en Orient, comme celui de la déesse Atargatis, ou dea Syria, dont le sanctuaire se trouve à Héliopolis. De même pour la divinité Déméter, déesse protectrice de la fécondité qui avait son sanctuaire à Henna.
L’un de ces Syriens, Eunous, disposait d’un réel ascendant sur ses compagnons grâce à ses dons prophétiques. Ils appartenaient à un propriétaire d’Henna, Antigénès. Son maître l’emmenait dans les dîners, il avait pour "épouse" une esclave syrienne, ce qui montre sa notabilité. Lui et sa femme sont portés à la tête de la révolte par les esclaves d’encadrement.
Au même moment, à l’ouest, Cléon, un brigand Silicien, se fait attribuer l’élevage de chevaux : il est magister.
La révolte commence à Henna contre un propriétaire et sa femme, tous deux cruels ; leur fille, gentille, est épargnée. Dans l’ouest, Cléon a prit le maquis et en quelques jours, des milliers d’esclaves se concentrent et prennent la ville d’Henna. Eunous est proclamé roi avec le titre d’Antiochos, et Cléon se met sous ses ordres. Eunous et ses conseillers vont créer un Etat, avec des assemblées, une capitale qui sera Henna ; on bat monnaie au nom d’Antiochos. Les habitants des villes prises furent massacrés, les artisans tournés en esclavages. Ensuite arrive les divergences : Eunous est pour la clémence, d’autre pour la répression. Ce qui est étrange est l’arrivée au sein des révoltés de petits et moyens propriétaires.
La révolte fut difficile à mater. Deux années et deux consuls furent nécessaires pour en venir à bout. Les romains reprirent la ville de Messine et après un long siège, Henna est reprise en 132, Cléon est tué, Eunous capturé et enfermé dans une prison ou il meurt.
Ce soulèvement est très riche par ses composantes et son esprit. Ce n’est pas un mouvement dirigé contre l’esclavage. Il a menacé l’équilibre de l’île. D’autre part, Rome a reconquis l’île et la réorganisée.

3) La révolte de Campanie et de Sicile (104-102)
On retrouve des similitudes. Au départ, un chevalier romain Titus Vettius tombe amoureux fou d’une esclave ; tellement qu’il décide d’armer ses esclaves et appelle les autres esclaves à le rejoindre. Ces désordres gagnent la Sicile à nouveau.
A l’Est, un certain Salvius prend le titre de Tryphon. A l’ouest un villecus, Athenion prend aussi le titre de roi, lève 10 000 hommes pour se constituer une armée. Mais il refuse d’enrôler les esclaves, les renvoyant aux champs !
Pour les romains, il faudra plusieurs campagnes pour venir à bout des révoltés, en 101.

4) La révolte de Spartacus (73-70)
Elle se déroule du Sud au Nord de l’Italie, à un moment même, elle menace Rome. Les effectifs sont considérables : autour du noyau de gladiateurs se concentrent 150 000 soldats !
A Capoue, dans une école de gladiateurs se trouve Spartacus, plus grec que Barbare. Le mouvement de révolte est spontané, et à ce titre, il va souffrir d’improvisations.
Le noyau de gladiateurs est rejoint par des bandes d’esclaves gaulois dirigés par Crixus et des esclaves Cimbres dirigés par Hoenomanus. Ils occupèrent le cratère du Vésuve, bon site défensif, et battirent à plats de coutures le préteur chargé de les mater.
Des bergers appenins se joignent alors à eux. Les esclaves se divisent en deux bandes, l’une dirigée par Crixus, l’autre par Spartacus. Ils occupent l’année à piller le sud d’Italie. Crixus était d’avis de saigner le pays, Spartacus voulait ramener chez eux les esclaves.
En 72, Rome envoie contre les esclaves deux consuls. Crixus fut tué ; Spartacus remonte le pays et vainc le gouverneur de la Gaule Cisalpine à Modène.
Le Sénat de Rome envoie alors l’armée dirigée par Licinius Crassus. Il lève 6 légions (36 000 hommes) ; il bloque Spartacus dans le Bruttium, mais ce dernier passe à travers au cours de l’hiver (72-71).
A titre d’exemple, Crassus crucifia le long de la via appia 6 000 esclaves. Les restes de l’armée furent écrasés par Pompée de retour d’Espagne.
C’est la dernière grande révolte servile.
La révolte de Spartacus n’engage pas de nouvelles législations. Désormais, à chaque velléité insurrectionnelle, les romains répondront par la répression. La condition des esclaves n’est pas améliorée, au contraire. Seulement, jamais plus les esclaves ne seront une menace.
La révolte de Spartacus est restée un mythe.
(Texte établi à partir d’un cours de faculté proposé sur internet)

La question agraire soulevée par Tibérius et Caïus Gracchus
Au 2ème siècle av. J.-C., les Romains étaient déjà maîtres de l’Italie, d’une partie de l’Afrique du Nord et de l’Espagne, de la Grèce, de la Macédoine et d’une partie de l’Asie Mineure. La grande masse de la population ne tira nul profit de ces conquêtes.
« Les Romains avaient coutume de vendre une partie des terres qu’ils avaient conquises sur les peuples voisins, d’annexer les autres au domaine et de les affermer aux citoyens qui ne possédaient rien, moyennant une légère redevance au trésor public. Les riches avaient enchéri et évincé les pauvres de leurs possessions : on fit donc une loi qui défendait à tout citoyen d’avoir en fonds plus de 500 arpents [125 hectares] de terre. Cette loi contint quelque temps la cupidité des riches et vint au secours des pauvres, qui par ce moyen conservèrent chacun la portion qui leur était échue dès l’origine des partages. Dans la suite, les voisins riches se firent adjuger ces fermes sous des noms empruntés ; et enfin, ils les prirent ouvertement à leur nom. Alors, les pauvres, dépouillés de leur possession, ne montrèrent plus d’empressement pour faire le service militaire, et ne désirèrent plus élever d’enfants. Ainsi l’Italie allait être bientôt dépeuplée d’habitants libres, et remplie d’esclaves barbares, que les riches employaient à la culture des terres, pour remplacer les citoyens qu’ils en avaient chassés...
« …Caïus Gracchus, dans un mémoire qu’il a laissé, rapporte que Tibérius son frère, en traversant la Toscane pour aller de Rome à Numance [en Espagne] vit ce beau pays désert, et n’ayant pour laboureurs et pour pâtres que des étrangers et des barbares ; et que ce tableau affligeant lui donna dès lors la première pensée d’un projet qui fut pour eux la source de tant de malheurs. Mais ce fut, en fait, le peuple lui-même... qui le détermina à cette entreprise, en couvrant les portiques, les murailles et les tombeaux d’affiches par lesquelles on l’excitait à faire rendre aux pauvres les terres du domaine...
« Tibérius Gracchus propose donc en 133 av. J.-C une loi agraire très modérée, ordonnant aux riches de rendre les terres sur lesquelles ils avaient mis la main abusivement, tout en les déchargeant de toute redevance pour les 500 arpents qui leur restaient.
« Si limitée que fût cette réforme, le peuple s’en contenta et consentit à oublier le passé, pourvu qu’on ne lui fît plus d’injustice à l’avenir ; mais les riches et les grands propriétaires, révoltés par avarice contre la loi et contre le législateur, par dépit et par entêtement, voulurent détourner le peuple de la ratifier ; ils lui peignirent Tibérius comme un séditieux, qui ne proposait un nouveau partage des terres que pour troubler le gouvernement et mettre la confusion dans toutes les affaires...
Leurs efforts furent inutiles : Tibérius soutenait la cause la plus belle et la plus juste avec une éloquence qui aurait pu donner à la plus mauvaise des couleurs spécieuses. Il se montrait redoutable et invincible lorsque, du haut de la tribune, que le peuple environnait en foule, il parlait en faveur des pauvres : « Les bêtes sauvages, qui sont répandues en Italie, disait-il, ont leurs tanières et leurs repaires, où elles peuvent se retirer, et ceux qui combattent, qui versent leur sang pour la défense de l’Italie, n’y ont d’autre propriété que la lumière et l’air qu’ils respirent ; sans maison, sans établissement fixe, ils errent de tous côtés avec leurs femmes et leurs enfants. Les généraux les trompent quand ils les exhortent à combattre pour leurs tombeaux et pour leurs temples ; dans un si grand nombre de Romains, en est-il un seul qui ait un autel domestique et un tombeau où reposent ses ancêtres ? Ils ne combattent et ne meurent que pour entretenir le luxe et l’opulence d’autrui ; on les appelle les maîtres de l’univers et ils n’ont pas en propriété une seule motte de terre. »
Plutarque, dans « Vie de Tibérius et de Caïus Gracchus » (Traduction Ricard)

La fin de l’Empire romain
« La difficulté des échanges commerciaux due à l’insécurité des frontières et des mers entraîne un appauvrissement général, une inflation endémique et, bientôt une crise économique sans précédent. Les paysans ruinés par les razzias, les ouvriers sans emploi, la plèbe des villes en chômage, les déserteurs des légions forment peu à peu une masse malléable, où gronde la révolte, et prête à suivre un chef décidé. Dans toutes les provinces de l’Empire, le brigandage s’installe. (...) Sous le règne de Septime Sévère (début du 3ème siècle ap J.-C), la situation n’est pas encore catastrophique, mais tous les éléments d’une anarchie générale se trouvent déjà réunis. On comprend donc que dans ce climat où chacun cherche à se protéger et à fuir les contraintes, les esclaves se soient souvent rebellés, et aient pu prendre la fuite facilement. Ils vont grossir les petites jacqueries qui infestent maintes régions de l’Italie du sud. Vers l’année 207 ap J.-C, Septime Sévère, dont les légions ont réussi à repousser en Bretagne les barbares venus d’Ecosse, ne parvient pas à saisir et à exterminer une troupe de six cents hommes qui sème la terreur en Italie. Elle est formée des habituels déshérités des civilisations en crise, de tous les déclassés sociaux que l’anarchie draine, de tous les mécontents qui, à la faveur d’une crise économique, se réveillent de leur léthargie et prennent conscience de leur injuste destin. Des esclaves forment l’armature de ce demi-millier d’hommes qui, n’ayant rien à perdre, sont décidés à tout. (...) A partir de l’année 235, après l’assassinat d’Alexandre Sévère et l’avènement, sous la pression de l’armée, du Thrace Maximin, un ancien berger, l’anarchie s’installe dans tout l’Empire pendant une cinquantaine d’années. (...) En l’année 238, pas moins de quatre empereurs sont investis. La décomposition de l’Empire s’accentue au fil des années. Les provinces font en quelque sorte sécession. (...) Devant l’impéritie d’un pouvoir qui, en fait, n’existe plus, devant la faillite d’une politique économique qui émet massivement de la monnaie, devant la désorganisation des campagnes razziées par les brigands, ou mises à sac par les Barbares, de nouvelles explosions de mécontentement se produisent, avec à leur tête des esclaves insoumis, comme en Afrique en 238. En Egypte, le mouvement des Bucoles, des bouviers, fait tâche d’huile pendant tout le 3ème siècle et rallie à lui une foule de faméliques. En Gaule, l’insurrection des Bagaudes en 270 rassemble paysans ruinés et esclaves agricoles révoltés. (...) La fin de l’esclavage marque le terme de l’agonie de l’Empire romain. Dès la mort de Constantin en 337, la décomposition du système économique fondé sur l’exploitation du travail servile s’accentue sous la pression des événements militaires et des défaites romaines qui morcellent puis brisent l’unité du monde. Les propriétaires d’esclaves sont de moins en moins nombreux, les mouvements de révolte qui du Levant au Ponant agitent les esclaves ne cessent de se développer. La confusion s’installe. On ne sait plus qui est le maître, qui est le serviteur, qui commande et qui exécute. Tout se dissout dans l’énorme vague des invasions barbares. (...) Peu à peu, à l’esclavage rendu impossible faute d’organisation structurée se substitue à la fin du 4ème siècle le servage. (...) Le régime féodal surgît peu à peu de cette décomposition de l’Empire et de l’insécurité des temps. »
Joël Schmidt dans « Vie et morts des esclaves dans la Rome antique »

Révolutions en Méso-Amérique

« Atlas historique de la Méso-Amérique » de Norman Bancroft Hunt  :
« Entre 400 et 100 avant J.-C, la culture olmèque s’éteint. Les raisons de ce déclin, comme les lieux sur lesquels partirent les Olmèques, restent un des grands mystères de la région. Différentes théories ont été avancées, dont celle qui, les poussant à migrer vers le sud-ouest, en ferait les ancêtres directs des Mayas. » [4]
« San Lorenzo est le plus ancien site olmèque complètement exploré. (...) San Lorenzo est situé près d’un bras du Rio Coatzacoalcos dans la province de Veracruz. Il se trouve sur le haut d’un plateau (...) qui a été artificiellement nivelé (...). La culture du maïs sur les Basses Terres, le long de la rivière, permettait de faire vivre les habitants ; leur régime alimentaire comprenait également les tortues et les poissons. (...) Les Olmèques étaient d’habiles potiers. (...) Des systèmes de canalisation en pierre alimentaient en eau les bassins artificiels (...) Ces canalisations représentaient un exploit extraordinaire d’ingéniosité (...) En 900 avant J.-C, San Lorenzo fut touché par une soudaine catastrophe. Dans une folie destructrice, les monuments et les statues furent délibérément mutilés et défigurés. Les restes de ces orgueilleuses sculptures furent transportés à la main sur les flancs des montagnes environnantes où, après qu’on les eût alignés, on les enterra soigneusement. Puis le site fut abandonné. Alors que la disposition rituelle des monuments laisse penser à une désacralisation du site, les raisons de la destruction et de l’abandon de San Lorenzo sont toujours inconnues. »
« Située dans une île entourée de marécages, près de Toula, dans la province de Tabasco, La Venta a la particularité d’accueillir la plus grande pyramide olmèque. (...) Cet énorme monument était utilisé par les Olmèques comme un foyer cérémoniel et politique après l’abandon de San Lorenzo en 900 avant J.-C jusqu’à ce que La Venta soit à son tour détruite et abandonnée en 400 avant J.-C. Comme San Lorenzo, La Venta s’est construite en s’appuyant sur une agriculture extensive pratiquée par une nombreuse population rurale qui entretenait les fidèles itinérants et les pèlerins. (...) Il est évident que La Venta n’a fait que développer le réseau commercial créé à l’origine à San Lorenzo. En plus du basalte et de l’obsidienne, matières premières utilisées par les artisans de San Lorenzo, les commerçants de La Venta connaissaient des gisements de serpentine et de jade. (...) En tenant compte des pratiques agricole de l’époque, l’île ne pouvait supporter une population supérieure à 45 familles, et il est évident qu’une telle population ne pouvait, seule, ériger ces constructions gigantesques et faire venir les matériaux nécessaires à leur édification. La population rurale de la région, cependant, avoisinait les 18.000 personnes. L’agriculture étant une activité saisonnière, les hommes pouvaient être désignés par les prêtres et les nobles vivant à La Venta pour apporter leur force de travail. Les travaux devaient probablement être considérés comme une part de l’hommage qu’ils devaient rendre aux divinités (...). Comme San Lorenzo, La Venta subit un accès destructeur en 400 avant J.-C : 24 sculptures monumentales, y compris des têtes colossales, furent détériorées de manière identique. Ici encore de nombreuses théories tentent d’expliquer ce qui est arrivé. Dans le cas de La Venta, cependant, il semblerait que la population avait trop augmenté pour que les méthodes agricoles utilisées alors permettent de faire vivre ce surcroît d’habitants. »
« Ce qui prête à confusion et provoque la discussion parmi les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire de l’Amérique centrale, c’est que beaucoup des grandes cités ont été brusquement désertées, souvent après avoir fait l’objet de tentatives apparentes de destruction. Les grands sites olmèques de San Lorenzo et de La Venta ont été détruits avant d’être abandonnés comme le seront plus tard les villes majeures de Teotihuacàn et de Tula. Bien que les indices de destruction y soient moins visibles, il en va de même pour de nombreux centres mayas. Ces abandons présentent la particularité de ne pas sembler faire suite à un quelconque déclin, mais de se produire brutalement et de façon catastrophique. Ils apparaissent au cours de périodes où les preuves archéologiques suggèrent à l’évidence qu’il s’agissait de centres prospères, sur le plan religieux et commercial. Diverses explications ont été avancées. Selon la plus communément admise, des pressions extérieures ont rendu ces sites intenables. D’après ces scénarios, des intrigues politiques entre cités rivales auraient entraîné des guerres qui auraient fait perdre aux souverains leur autorité et poussé les populations à l’exode. Selon une autre explication, des dissensions internes, dues à des soulèvements des communautés rurales contre les élites gouvernantes, se seraient terminées en guerres civiles. Une troisième hypothèse s’appuie sur une augmentation trop rapide des populations que n’auraient pas pu supporter les ressources locales. (...) La troisième hypothèse n’est pas applicable aux Olmèques qui n’ont jamais été assez nombreux pour épuiser les ressources de leur territoire. On peut aussi invoquer de violents bouleversements qui auraient pu être d’origine très diverses et dont le rôle aurait été déterminant. Ni à San Lorenzo, ni à La Venta n’apparaissent des indices permettant de prouver que les destructions ont été dues à une insurrection. Si des combats assez violents s’étaient déroulés pour chasser l’élite gouvernante en place, les vestiges archéologiques auraient été, tout au moins partiellement, détruits. C’est ce que l’on constate dans le site ultérieur de Tula que les Aztèques envahirent et brûlèrent. Les monuments ont été envahis avec une telle violence qu’ils ont été fracassés. A San Lorenzo et à La Venta, rien de tel : les destructions s’apparentent plus à des destructions systématiques qu’à un événement dramatique. Dans ces deux sites, les monuments jetés à terre ont été détériorés par des coups, des entailles, des éclats et des trous. (...) Des envahisseurs, ou même des insurgés, auraient laissé en place les vestiges mutilés au lieu de les disperser selon un ordre précis. Il n’est pas dans les usages des armées conquérantes ou des partisans d’une guerre civile de traiter les vestiges de leurs ennemis avec un tel respect. (...) Mais cette action pouvait être aussi une façon de les condamner au Royaume de la mort et de leur retirer ainsi rituellement leurs pouvoirs. »
« Teotihuacàn se situe dans la plaine bien irriguée du nord-est du bassin de Mexico, près de la ville moderne du même nom. La rivière San Juan et ses affluents se jettent dans le lac Texcoco ; d’éternels printemps et une irrigation intensive permettent de faire vivre une nombreuse population, raison pour laquelle, peut-être, les agriculteurs de la période de formation récente se réunirent dans cette région et établirent progressivement des relations commerciales avec les autres régions de Méso-Amérique. (...) Le centre religieux de Teotihuacàn attirait les étrangers et les pèlerins de régions éloignées, dont la plupart étaient pauvres. La population permanente et de passage de Teotihuacan augmenta trop rapidement pour que la ville puisse subvenir à l’ensemble des besoins : tandis que la noblesse abusait de nourriture et que des fêtes rituelles somptueuses se déroulaient toujours, les résidents et les étrangers les plus pauvres souffraient souvent de la faim. Teotihuacan s’effondra au cours du 8ème siècle. Comme ses principaux édifices ont été brûlés et détruits, on pense que les plus pauvres s’étaient soulevé contre la hiérarchie. (...) Une insurrection civile fait tomber Teotihuacàn. (...) Survint un événement dramatique. Des découvertes archéologiques ont mis en évidence l’existence de combats féroces qui se seraient déroulés dans le centre de la cité, des monuments abattus et détruits, des temples profanés. (...) La totalité du centre de Teotihuacàn fut incendiée. (...) Le déclin de l’architecture et des arts implique une catastrophe qui aurait mis fin au fonctionnement interne de la cité. Il est aussi possible que l’importance du commerce de Teotihuacàn ait minimisé le pouvoir des prêtres, la ville devenant alors plus un lieu de négoce qu’un centre rituel. Il est peut-être significatif que les combats les plus violents aient eu lieu au cœur même du centre cérémoniel. C’est là que se trouvent les signes de destruction délibérés, de profanation et d’incendie. Bien qu’il se fût agi d’une enceinte sacrée, c’est dans cette partie de Teotihuacàn que vivaient les notables et les prêtres et que se situaient les bâtiments administratifs importants. On ne trouve aucune trace de combat ou d’incendie dans les quartiers des artisans ou dans les faubourgs où habitait la plus grande partie de la population. Ces données archéologiques ont permis d’avancer que Teotihuacàn avait été le siège d’une brève mais désastreuse insurrection civile. (...) Alors que le commerce augmentait et, avec lui, le pouvoir que détenaient marchands et artisans, un ressentiment avait pu s’élever contre l’augmentation des impôts nécessitée par le financement des ambitieux programmes des notables, des prêtres et de la bureaucratie. L’arrêt des programmes de construction dans les dernières années de Teotihuacàn peut simplement être une conséquence de la volonté des commerçants d’exercer leurs droits et de refuser de répondre aux levées d’impôts. »

Hors série « Le Figaro » de décembre 2006 intitulé « Les Mayas, les mystères d’un monde perdu » :
« Un jour, sans qu’on sache précisément quelles en furent les raisons, leurs artistes ont cessé de graver des inscriptions sur les murs de leurs temples. La splendeur des Mayas s’est éteinte mystérieusement, bien avant que Cortès pénètre au Yucatàn. »
Irine de Chirikoff écrit : « La nourriture vient à manquer. Des émeutes dressent le peuple contre ses élites. Parce que la plèbe pense que les nobles ont failli. Les descendants des plus anciennes familles briguent le pouvoir, ourdissent des complots. L’exemple de Tikal est connu de tous. La cité, jadis si prospère, n’a cessé de décliner après la défaite de son souverain face à Calakmul. (...) A la fin du 18e katun (cycle de 20 ans), plus de soixante royaumes coexistent en terre maya. Ce sont des cités-Etat. Les tentatives de confédérations, comme celle de Tikal ou de Calakmul, ont vécu. Elles sont toutes jalouses de leur indépendance. Chaque ville est dirigée par un roi. Une administration de plus en plus nombreuse l’aide à gérer sa principauté. Des notables collectent des impôts, assurent les fonctions régaliennes, police, justice, armée, organisent les grands travaux, surveillent les stocks de réserves. Les commerçants constituent désormais une caste qui vénère ses propres divinités. Les artisans et les artistes également. (...) Partout, l’urbanisme est conçu comme le reflet du monde cosmique dont l’équilibre est garanti par le roi, et l’architecture vise toujours à inspirer la crainte au peuple. (...) Au fil des siècles, la forêt humide, sombre, grouillante, a été humanisée par les Mayas. Des sacbeob, routes de pierre, relient non seulement des édifices mais plusieurs villes entre elles. Les marchands ont établi des comptoirs le long de ces chemins. L’habitat de ne cesse de s’étendre et les maisons sont souvent séparées par des jardins partiellement défrichés pour ne garder que les arbres fruitiers et les plantes utiles. Fortement hiérarchisée, l’organisation sociale est cependant fragile. Les techniques n’évoluent pas – les mayas ne connaîtront jamais ni la roue, ni la charrue, ni les bêtes de trait, et les ressources ‘amenuisent alors que la demande augmente. Surtout de la part des élites. Dépositaires du savoir, elles ne représentent que 5 à 10% de la population. (...) A partir du 9e siècle, les cités des Basses Terres vont s’effondrer les unes après les autres, comme un château de cartes. En 800, Copàn a cessé d’ériger des stèles. En 810, Quiriga et Piedras Negras n’existent plus que dans le souvenir, de plus en plus vague, de leurs habitants disséminés dans la forêt ou bien partis vers le nord, le Yucatàn (...). Nul ne peut retenir un peuple quand le poison du doute le saisit sur la légitimité de ses princes. Leur pouvoir tenait à la science des saisons, des temps de bonne récolte et à leur capacité de se concilier les forces surnaturelles. Mais les souverains et leur entourage ne songeaient plus qu’à faire la guerre. (...) Attaqués par les guerriers (...) les habitants (d’une cité) édifient en toute hâte des fortifications. Pour les construire, ils détruisent les bâtiments publics. Les combats sont sans merci entre assiégés et assiégeants. Ceux de Tamarindito réussissent à forcer les remparts de pierres. Ceux de Dos Pilas se réfugient dans une ville alliée, Aguateca, qui reprend le flambeau. (...) La caste régnante de Toninà est littéralement obsédée par la mort, le sang. (...) Au début du 10e siècle, un seigneur « Jaguar-Serpent » fait reconstruire plusieurs bâtiments. Plus simples. Plus austères. Sous son règne, Toninà résiste au déclin des cités mayas. Mais en 909, un raid d’une violence égale à celle d’un ouragan va s’abattre sur la ville. Il est conduit par des guerriers inconnus (Toltèques ?). Les statues sont mises à bas, brisées à coups de massues. L’aristocratie et les élites vont être exterminées. Des charniers essaiment la vallée. (...) Toninà, ultime cité de l’âge classique ne se relèvera jamais. (...) Les Mayas cessent d’être des Mayas et il est sans espoir d’adorer les dieux, puisqu’ils sont morts. (...) Uxmal, Chichen Itzà et Mayapàn sont les cités de la renaissance maya. (...) Ils vont faire de Chichen Itzà un véritable chantier et transformer la ville en métropole politique et religieuse qui s’étendra sur plus de 300 hectares. Revivifiée, la ville est vouée à Quetzalcoatl. (...) Dès 964, le pouvoir royal s’affaiblit, même si le souverain est toujours assimilé au soleil On ne le représente plus seul, ou rarement. Des dignitaires lui font cortège. Les prêtres, les guerriers et les commerçants participent à la gestion de la cité. (...) Dans le Yucatàn, les villes vassales de Mayapàn se révoltent une à une. Dans la cité elle-même, des populations pillent et massacrent. Elles font de Mayapàn un champ de ruines en 1441. (...) Au Yucatàn, dans les villes vassales de Mayapàn, plusieurs révoltes ont déjà éclaté. Et on signale des jacqueries dans les campagnes. (...) Dans leur palais les Cocom (famille régnante) se consultent, réunissent leurs partisans, songent à demander l’aide de Tenochtitlàn, mais l’émeute est lancée et la résidence investie. Un seul prince Cocom échappera au massacre. Il parvient à prendre la fuite, alerte Moctezuma qui lui promet son soutien et lui envoie même des renforts. A Mayapàn, la population se livre aux pillages, aux destructions. Rien ne parvient à apaiser sa colère. Des temples brûlent. Les statues sont renversées. Prêtres, commerçants, hauts fonctionnaires ne savent plus à quel dieu se vouer. Ils accepteront le retour de Cocom (...). A peine revenu, le prince meurt dans des circonstances mystérieuses. Son successeur, fort de l’appui des Aztèques, règne en despote, lève des tributs de plus en plus lourds et envoie toujours d’avantage d’esclaves vers le nord. En 1446, une nouvelle révolte va éclater. Cette fois, Mayapàn est mise à feu et à sang. La ligue est morte. Le dernier royaume maya a vécu. »

Révolutions villes de l’antiquité

Révolution à Corfou, en 427 avant notre ère

Révolutions à Ougarit en trois fois : au quatorzième siècle avant J.-C., puis au XIIIe siècle avant J.-C., enfin en 1180 ou 1200 avant J.-C.

Révolutions à Jéricho en quatre fois, la définitive en 1550 avant J.-C

Révolution à El Argar

Révolution à Cnossos

Révolution à Ur Et Sumer

Révolution à Hallstatt

Révolution à Troie

Révolution olmèque à San Lorenzo en 950 avant J.-C., dans toutes les villes olmèques (La Venta, Los Cerros,...) en 500 avant J.-C

Révolution maya à Tikal, Copàn et Chichen Itza

Révolutions des villes trypilliennes (de Cucuteni)

Révolutions anasazi de Pueblo Bonito, Chaco Canyon et Mesa Verde

Révolution amérindienne de Tiahuacano-Huari

Révolution zapotèque de Monte Albán

Portfolio


[1La civilisation suppose la ville et, du coup, la division sociale en agriculteurs, artisans et commerçants. Ces villes et ces classes sont nées bien avant l’Etat. Dans certaines régions, la civilisation est née des centaines d’années avant l’organe centralisé du pouvoir.

[2This est une ville de Haute Egypte (près d’Abydos) qui fut la capitale du royaume sous les deux première dynasties. Près de la capitale se trouvait une importante nécropole royale qui a été violée par les habitants de This.

[3La persécution atteignit d’ailleurs tous les autres courants philosophiques de l’époque qui s’opposaient à la tentative d’unification des Ts’in et à son école de légistes.

[4Sauf que cette continuité pose un problème : il y a un trou de 600 ans entre la fin des Olmèques et le début des Mayas ! L’auteur qui relève cette thèse reconnaît cependant que « Bien que l’influence des Olmèques se fasse sentir dans la culture maya ancienne, le grand laps de temps qui sépare la disparition des Olmèques en 400 avant JC et l’apparition des Mayas au début de l’ère chrétienne rend impossible toute relation directe. » De même, la thèse de la continuité entre Teotihuacàn et les Aztèques ne peut expliquer un trou de 450 ans. (entre 750 après JC et 1200 après JC) Il s’agirait bien plus d’une continuité mythique affirmée par les classes dirigeantes qui souhaitaient se donner un passé ancien et glorieux pour se légitimer. L’auteur rappelle que « Au moment de la fondation de Tenochtitlan (par les Aztèques), la grande cité de Teotihuacàn était en ruine depuis plus de 600 ans. L’influence maya s’était éteinte depuis 400 ans et la capitale toltèque de Tula avait été rasée 100 ans auparavant. » Malgré des influences culturelles évidentes, la continuité politique n’apparaît pas probable. Ce sont les discontinuités de la civilisation méso-américaine qui rendent indispensables les mythologies. Celles-ci sont également rendues nécessaires par la volonté de la nouvelle société de justifier de son apparition. Mais l’absence de lien de continuité contraint à fabriquer une histoire partiellement imaginaire que ce soit des Mayas vers les sociétés précédentes, des Toltèques de Tula vers la civilisation de Teotihuacan, ou des Aztèques vers les Toltèques.

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