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Discussion entre militants révolutionnaires durant la révolution espagnole

samedi 17 août 2019, par Robert Paris

Contribution de Josep Rebull, un militant du POUM minoritaire, publiée dans le Bulletin du Comité local du POUM, datée du 29 mai 1937 :

Préalables

Une fois qu’a disparu le second pouvoir dans sa forme organisée, c’est-à-dire une fois qu’ont disparu les organes nés en juillet en opposition au gouvernement bourgeois, la contre-révolution, actuellement représentée par les partis petits-bourgeois et réformistes, s’est attaquée successivement (avec prudence dans un premier temps, de façon agressive ensuite) aux positions révolutionnaires du prolétariat, principalement en Catalogne, région dans laquelle la révolution avait eu le plus d’énergie.

La puissance de la classe ouvrière a été en partie neutralisée par ces attaques ; par la dictature contre-révolutionnaire des dirigeants de l’UGT en Catalogne d’un côté, de l’autre par la collaboration de la CNT aux gouvernements de Valence et de Barcelone.

Malgré ce handicap [1], le prolétariat s’est progressivement convaincu – se détachant des dirigeants réformistes collaborateurs de la bourgeoisie – que seule son action énergique dans la rue serait en mesure de mettre un terme aux avancées de la contre-révolution. Les affrontements armés qui ont eu lieu dans de multiples endroits de Catalogne pendant le mois d’avril étaient en fait le prélude des événements de mai à Barcelone.

Globalement, la lutte entre la révolution et la contre-révolution se posait (et continue à se poser) dans les termes suivants, en ce qui concerne la Catalogne :

Depuis juillet, les secteurs révolutionnaires CNT-FAI et POUM pouvaient compter sur la majorité des prolétaires en armes, mais les objectifs concrets et une tactique efficace leur ont fait défaut. C’est pour cela que la révolution a perdu l’initiative.

Les secteurs contre-révolutionnaires PSUC-Esquerra, sans pouvoir compter sur une base aussi nombreuse – ils étaient quasi inexistants en juillet-, ont poursuivi dès le début des objectifs bien déterminés et ont eu une tactique conséquente. Pendant que la CNT – force numériquement décisive – s’emmêlait dans le labyrinthe des institutions bourgeoises tout en parlant de noblesse et de loyauté dans les rapports, ses adversaires et collaborateurs ont préparé soigneusement et exécuté par étapes un plan de provocation et de discrédit dont la première phase fut l’élimination du POUM. Tout comme ce dernier, la CNT s’est mise sur la défensive face à ces attaques, d’abord feutrées puis ouvertes. Ils ont donc permis à la contre-révolution de prendre l’offensive.

C’est dans ce contexte que se déroulèrent les évènements de mai.
La lutte

La lutte qui commença le [lundi] 3 mai fut provoquée, épisodiquement, par les forces réactionnaires du PSUC-Esquerra, qui tentèrent d’occuper le central téléphonique de Barcelone. La fraction la plus révolutionnaire du prolétariat répondit à la provocation en s’emparant de la rue et en s’y fortifiant. La grève s’étendit comme une traînée de poudre et avec une ampleur absolue.

Bien qu’il soit né décapité, ce mouvement ne peut en aucune façon être qualifié de « putsch ». On peut affirmer que toutes les armes aux mains de la classe ouvrière furent présentes sur les barricades. Pendant les premiers jours, le mouvement recueillit la sympathie de la classe ouvrière en général – nous en prenons pour preuve l’amplitude, la rapidité et l’unanimité de la grève – qui plongea la classe moyenne, sous l’influence naturellement de la terreur, dans une attitude de neutralité expectative.

Les ouvriers engagèrent toute leur combativité et tout leur enthousiasme, jusqu’au moment où ils durent constater l’absence de coordination et d’objectif final au mouvement, et nombreux furent les secteurs combatifs qui furent alors envahis par le doute et la démoralisation. Seuls ces facteurs psychologiques peuvent expliquer que ces mêmes ouvriers interrompent leur avancée, contre les ordres de leurs dirigeants, sur le Palais de la Généralité alors qu’ils n’en étaient qu’à quelques mètres.

Du côté du gouvernement se rangeaient une partie des forces de l’Ordre public, les staliniens, Estat Català, Esquerra, ces dernières étant pour le moins très peu combatives. Quelques compagnies de l’Ordre public se déclarèrent neutres, refusant de réprimer les ouvriers, et d’autres se laissèrent désarmer. Les Patrouilles de contrôle se rangèrent dans leur écrasante majorité du côté des ouvriers.

Les organisations révolutionnaires ne créèrent aucun centre directeur et coordinateur. Malgré cela, la ville fut à ce point entre les mains du prolétariat que les liens purent se créer parfaitement dès le mardi entre les foyers ouvriers. Très peu d’entre eux restèrent isolés ; il aurait suffi d’une offensive concentrée sur les centres officiels pour que la ville tombe complètement sans grand effort entre les mains des ouvriers [2].

En général, la lutte se maintint dans l’expectative des deux côtés. Les forces du gouvernement parce qu’elles ne disposaient pas des effectifs nécessaires pour prendre l’initiative, les forces ouvrières parce qu’elles n’avaient ni direction ni objectif.

Des forces extérieures pouvaient à tout moment venir s’incorporer au combat, comme les forces présentes sur le front qui étaient disposées à revenir sur la capitale – certaines forces des secteurs révolutionnaires avaient coupé la route à la division Karl Marx -, et les troupes qu’envoyait le gouvernement de Valence, qui n’étaient pas très certaines d’arriver. Dès le mercredi, plusieurs navires français et anglais se positionnaient face au port de Barcelone, probablement disposés à intervenir.

Les forces prolétariennes dominèrent la rue durant quatre jours et demi : du lundi après-midi jusqu’au vendredi. Les organes de la CNT attribuèrent au mouvement la durée d’un seul jour – le mardi. Les organes du POUM lui en attribuèrent trois. En d’autres termes, chacun a considéré terminé le mouvement à partir du moment où il a donné l’ordre de repli. Mais en réalité, les ouvriers se retirèrent BIEN APRES les ordres, parce qu’il n’y avait aucune direction capable d’orienter un repli progressif et, surtout, à cause de la trahison des dirigeants confédéraux ; les uns, par des déclarations pathétiques à la radio ; les autres en collaborant avec Companys, selon ses propres déclarations : « Le gouvernement disposait de peu de moyens de défense, très peu, et ce n’était pas faute de l’avoir prévu, mais il ne pouvait pas y remédier. Malgré cela, il a contenu la subversion sans hésiter, avec ses seules forces, assisté par la ferveur populaire et en ayant des conversations à la Generalidad avec divers délégués syndicaux, en présence de quelques délégués de Valencia, préparant le retour à la normale » (Hoja Oficial, 17 mai).

Telle fut donc, à grands traits, l’insurrection de mai.

Les dirigeants de la CNT

Le prolétariat se lança dans ce mouvement instinctivement, spontanément, sans une direction ferme, sans objectif positif concret pour avancer de façon décidée. La CNT-FAI, en n’expliquant pas clairement à la classe ouvrière la signification des événements d’avril, laissa le mouvement sans tête dès sa naissance.

Tous les dirigeants confédéraux n’étaient pas contre le mouvement dès le début. Les Comités de la localité de Barcelone non seulement l’appuyèrent mais ils tentèrent même de l’organiser d’un point de vue militaire. Mais ceci ne pouvait se faire sans avoir défini préalablement les objectifs politiques à réaliser. Les doutes et les hésitations de ces comités se concrétisèrent dans la pratique par une série d’instructions ambiguës et équivoques, moyen terme entre la volonté de la base et la capitulation des comités supérieurs.

Ce sont ces derniers, Comités national et régional, qui prirent une décision ferme : la retraite. Cette retraite, ordonnée sans conditions, sans obtenir le contrôle de l’ordre public, sans la garantie des bataillons de sécurité, sans organismes pratiques de front ouvrier, et sans explication convaincante à la classe ouvrière, mettant dans le même sac tous les éléments en lutte (révolutionnaires et contre-révolutionnaires), restera comme une des grandes capitulations face à la bourgeoisie et comme une trahison du mouvement ouvrier.

Dirigeants et dirigés ne tarderont pas à en souffrir les graves conséquences, si la formation du Front ouvrier révolutionnaire ne se concrétise pas.

La direction du POUM

Fidèle à sa ligne de conduite depuis le 19 juillet, la direction du POUM resta à la remorque des événements. Nos dirigeants se sont inscrits dans le mouvement au fur et à mesure de leur déroulement, sans avoir été partie prenante ni dans le déclenchement du mouvement ni dans sa dynamique ultérieure. On ne peut nommer « orientation » le mot d’ordre de Comité de défense, lancé d’ailleurs en retard et avec une mauvaise diffusion, qui plus est sans dire un mot du rôle antagonique de ces comités face aux gouvernements bourgeois.

D’un point de vue pratique, tout le mérite de l’action revient aux comités inférieurs et de base du Parti. La Direction n’édita pas même un Manifeste, pas même un tract, pour orienter le prolétariat en armes.

Comme ceux qui combattaient sur les barricades, quand nos camarades dirigeants se rendirent compte que le mouvement n’allait concrètement à la recherche d’aucun objectif final, il ordonna la retraite [3]. Dans le cours des évènements, la décision de prendre sa direction dès le début ayant manqué, et face à la capitulation des dirigeants confédéraux, l’ordre de se retirer tendait évidemment à éviter le massacre.

Malgré cette absence d’orientation de la part de nos dirigeants, la réaction les présente comme étant les dirigeants et les initiateurs du mouvement. C’est un honneur tout à fait immérité qu’on leur rend, quoiqu’ils le rejettent en disant que c’est une calomnie [4].

Le Front populaire

Pour tous ceux qui voyaient le Front populaire comme le sauveur de la classe ouvrière, ce mouvement est extrêmement riche en leçons. Il fut provoqué précisément par des composantes du Front populaire dans le but de renforcer l’appareil répressif de la bourgeoisie, il reste comme la preuve la plus évidente que le Front populaire est un Front contre-révolutionnaire qui en empêchant l’écrasement du capitalisme – cause du fascisme-prépare le chemin de ce dernier, tout en réprimant par ailleurs toute tentative de mener la révolution en avant.

La CNT, apolitique jusqu’au 19 juillet, est tombée dans le piège du Front populaire dès son entrée dans l’arène politique, cette malheureuse expérience se soldant par de nouvelles saignées dans les rangs prolétariens.

Pour les positions politiques du POUM antérieures au 19 juillet, cette évolution violente du Front populaire constitue une victoire théorique, puisqu’elles l’avaient prévue et prévenue.

Par rapport au stalinisme, il s’est pour la première fois dévoilé être une ennemi déclaré de la révolution prolétarienne, se mettant de l’autre côté de la barricade, luttant contre les ouvriers révolutionnaires en faveur de la bourgeoisie du Front populaire, dont le stalinisme est le fondateur et principal défenseur.

Dorénavant, la classe ouvrière ne peut plus avoir le moindre doute sur le rôle des Fronts populaires dans chaque pays.

Le danger d’intervention

La peur qu’avaient certains secteurs de l’intervention armée de l’Angleterre et de la France pendant le mouvement de mai montre une incompréhension du rôle joué à ce moment-là par ces puissances.

L’intervention anglo-française contre la révolution prolétarienne espagnole existe plus ou moins secrètement depuis plusieurs mois. Cette intervention s’exerce dans le contrôle de ces impérialismes sur les gouvernements de Valence et de Barcelone par le stalinisme ; on la retrouve dans la récente lutte au sein du gouvernement de Valence (toujours par l’intermédiaire du stalinisme) qui s’est conclue par l’élimination de Largo Caballero et de la CNT ; on la retrouve enfin dans les accords de « non-intervention » qui ne sont appliqués et respectés que lorsqu’il s’agit de défavoriser le prolétariat espagnol. L’intervention ouverte des navires de guerre ou de troupes d’occupation ne ferait que modifier la forme de l’intervention.

Ouverte ou masquée, il faudra vaincre cette intervention ou elle nous vaincra.

A l’instar de toute révolution ouvrière, la notre doit et devra éliminer les exploiteurs nationaux, mais elle devra aussi mener l’inéluctable combat pour empêcher les tentatives interventionnistes du capitalisme international. Il ne peut y avoir de triomphe de la révolution sans affronter et vaincre sur cet aspect de la guerre. Vouloir contourner ce problème revient à renoncer à la victoire, car jamais les impérialistes ne cesseront de leur propre gré de vouloir intervenir dans notre révolution.

Une bonne politique internationale de la part des révolutionnaires espagnols peut réveiller en notre faveur le prolétariat de ces pays qu’on veut mobiliser contre le prolétariat espagnol, et même le faire se retourner contre leur propre gouvernement. C’est l’exemple de la Révolution russe de 1917.

Discussion du mouvement

Le mouvement étant spontané, deux positions essentiellement pouvaient se prendre sur la marche à suivre (nous excluons l’inhibition) :

le considérer comme un mouvement de protestation, et dans ce cas il fallait lui donner rapidement un délai à court terme et prendre les mesures en conséquence pour éviter les sacrifices inutiles. En juillet 17, les dirigeants bolcheviques s’étaient efforcés de retenir le mouvement prématuré du prolétariat de la capitale sans pour autant perdre de leur prestige, ayant su justifier leur position.

Considérer que le mouvement était décisif pour la prise du pouvoir et dans ce cas le POUM, en tant qu’unique Parti marxiste révolutionnaire, aurait dû prendre la tête du mouvement de façon ferme, résolue et inébranlable, pour le coordonner et le diriger. Dans ce cas, il ne fallait naturellement pas attendre de se retrouver par hasard constitué en état-major de la révolution, il fallait agir rapidement, étendre le front de la lutte, l’étendre à toute la Catalogne, proclamer sans détour que le mouvement était dirigé contre le gouvernement réformiste, clarifier d’entrée que les Comités de défense et leur Comité central devaient se constituer sans atermoiement, les organiser à tout prix pour qu’ils deviennent des organes de pouvoir face au gouvernement de la Généralité, et attaquer sans délai les endroits stratégiques en profitant des longues heures de désorientation et de panique que connaissaient nos adversaires.

Mais si la crainte qui s’est manifestée dans la direction du POUM à s’affronter aux dirigeants confédéraux dès le début (il était ensuite trop tard) est un cas de renoncement au détriment du Parti, c’est-à-dire contraire aux premières mesures adoptées au début du mouvement et contraire à son indépendance politique, l’excuse possible d’un parti qui n’aurait pas été en conditions d’assumer la direction du mouvement n’est pas moins contraire aux intérêts du Parti, car le POUM ne pourra jamais jouer d’autre rôle que celui de véritable Parti bolchevique, prenant la direction du mouvement et non en déclinant « modestement » l’orientation résolue des mouvements de la classe ouvrière. Il ne suffit pas que le Parti qui se dit « de la révolution » soit aux côtés des travailleurs en lutte, encore doit-il être une avant-garde.

S’il n’avait pas hésité, s’il n’avait pas une fois de plus attendu les positions des éléments « trentistes » de la direction confédérale, et même en cas de défaite, de répression et d’illégalité, le POUM serait sorti extrêmement renforcé de cette bataille.

Le seul groupe qui tenta de prendre une position d’avant-garde fut celui des Amis de Durruti qui, sans avancer de mots d’ordre totalement marxistes, eut le mérite indiscutable de proclamer qu’il luttait et appelait à lutter contre le gouvernement de la Généralité.

Les résultats immédiats de cette insurrection ouvrière sont une défaite de plus pour la classe ouvrière et un nouveau triomphe pour la bourgeoisie pseudo démocratique [5]. Mais une action plus efficace, plus concrète de la direction de notre parti aurait pu avoir pour résultat une victoire au moins partielle des ouvriers. Dans le pire des cas, on aurait pu organiser un Comité central de défense, basé sur les délégations des barricades. Il aurait pour cela suffit de constituer d’abord une assemblée de délégués de chaque barricade du POUM et de quelques barricades de la CNT-FAI pour élire un Comité central provisoire. Ce Comité central, par un court Manifeste, aurait ensuite pu convoquer une deuxième assemblée en invitant des délégations de groupes absents lors de la première, et ainsi créer un organe central de défense. Dans le cas où le repli aurait quand même été estimé nécessaire, il aurait été possible de maintenir ce Comité central de défense comme organe embryonnaire de double pouvoir, c’est-à-dire comme Comité provisoire du Front ouvrier révolutionnaire, qui par sa démocratisation au moyen de la création de Comités de défense sur les lieux de travail et dans les casernes aurait pu poursuivre la lutte bien plus avantageusement qu’à présent contre les gouvernements bourgeois [6].

Nous ne pouvons cependant pas exclure une variante infiniment plus favorable. Le Comité central de défense une fois constitué, comme indiqué, peut-être aurait-il été possible de prendre le pouvoir politique. Les forces bourgeoises (démoralisées et encerclées dans le centre de Barcelone) auraient pu être vaincues par une offensive rapide et organisée.

Ce pouvoir prolétarien à Barcelone aurait naturellement eu des répercussions dans toute la Catalogne et dans plusieurs endroits en Espagne. Toutes les forces du capitalisme national et international se seraient démenées pour l’écraser. Sa destruction aurait cependant été inévitable s’il ne s’était immédiatement renforcé par les moyens suivants : a) une volonté sans hésitation du POUM à agir en tant qu’avant-garde marxiste révolutionnaire, capable d’orienter et de diriger le nouveau pouvoir en collaboration avec les autres secteurs actifs de l’insurrection ; b) l’organisation du nouveau pouvoir se basant sur les Conseils ouvriers, de paysans et de combattants ou, ce qui revient au même, sur des Comités de défense constitués démocratiquement et centralisés comme il se doit ; c) l’extension de la Révolution en Espagne, par le biais d’une offensive rapide en Aragon ; d) la solidarité des ouvriers des autres pays. Sans ces conditions, la classe ouvrière catalane n’aurait pu se maintenir longtemps au pouvoir.

Pour mettre un terme à ce chapitre, disons que les hypothèses ici formulées veulent apporter des éléments à la discussion générale que les Journées de mai susciteront longtemps dans le milieu révolutionnaire.

Conclusions

La classe ouvrière se trouve toujours dans une situation défensive, dans des conditions pires qu’avant l’insurrection de mai. Elle aurait pu passer à l’offensive en mai, si la trahison et les capitulations n’avaient pas déterminé une défaite partielle qui ne signifie cependant pas [encore] une défaite définitive de la Révolution actuelle. Les ouvriers possèdent davantage d’armes qu’avant les Journées de mai, et s’ils ne se laissent pas entraîner par la provocation à une lutte prématurée, ils pourront dans quelques mois être à nouveau en conditions de prendre l’offensive.

Ne pas avoir su prendre le pouvoir en juillet 36 a conduit à une nouvelle insurrection : celle de mai 37. La défaite de celle-ci rend inéluctable une nouvelle lutte armée que nous avons le devoir de préparer. Tant que ne sera pas détruit l’Etat bourgeois, contre lequel nous devons diriger notre lutte révolutionnaire, l’insurrection armée du prolétariat reste toujours une perspective du futur.

Le mouvement de mai a démontré le véritable rôle des dirigeants anarcho-syndicalistes. Comme tous les réformistes de toutes les époques, ils ont été -consciemment ou inconsciemment – les instruments de la classe ennemie dans les rangs ouvriers. La Révolution dans notre pays ne peut vaincre qu’à travers la lutte simultanée contre la bourgeoisie et les dirigeants réformistes de tout poil, y compris de la CNT-FAI.

On a vu qu’il n’existe pas de vrai parti marxiste d’avant-garde dans notre révolution, et que cet instrument indispensable pour la victoire définitive reste à forger. Le parti de la révolution ne peut avoir une direction hésitante et en permanence dans l’expectative, mais elle doit être fermement convaincue qu’il faut être devant la classe ouvrière, l’orienter, l’impulser, vaincre avec elle. Il ne peut se déterminer uniquement à travers les faits consommés, mais doit avoir une ligne politique révolutionnaire qui serve de base à son action et empêche les adaptations opportunistes et les capitulations. Il ne peut baser son action sur l’empirisme et l’improvisation, mais doit au contraire utiliser en sa faveur les principes de la technique et de l’organisation modernes. Il ne peut se permettre les moindres légèretés à sa direction, car elles se répercutent douloureusement amplifiées à la base, semant le germe de l’indiscipline, de l’absence d’abnégation, de la perte de conviction sur le triomphe de la révolution prolétarienne chez les moins forts.

Une fois de plus, la nécessité inéluctable d’un Front ouvrier révolutionnaire a été démontrée, qui ne peut se constituer que sur la base d’une lutte à mort à la fois contre la bourgeoisie et son Etat, et contre le fascisme sur les fronts. Si les directions des organisations ouvrières révolutionnaires n’acceptent pas ces bases (qui s’opposent certainement à l’action qu’elles ont menée depuis juillet jusqu’à présent), il sera alors nécessaire de les promouvoir par la pression de la base.

Aucune des leçons apprises ne pourra être utile si le prolétariat, et en premier lieu le Parti marxiste révolutionnaire, ne se livre pas à un intense travail pratique d’agitation et d’organisation. Même la lutte contre les menaces et les restrictions de la clandestinité exige une activité infatigable si nous ne voulons pas être irrémédiablement écrasés. Le point de vue affirmant que le Parti ne sera pas plongé dans la clandestinité ne peut se comprendre que comme l’expression de l’intention d’une nouvelle adaptation et d’une nouvelle démission devant la lutte révolutionnaire en ce moment, intention peut-être décisive [7].

J. Rebull

Notes

[1] Dans la version de 1939, le mot anglais « handicap » est remplacé par le mot espagnol « desventaja » (désavantage).

[2] Note de Rebull (1937, supprimée dans la version de 1939) : « La cél. 72 possède un plan de Barcelone avec les barricades et les positions des forces en présence durant la bataille. Son examen s’avère extrêmement intéressant. Il est à la disposition de tous les camarades. »

[3] Note de Rebull ajoutée en 1939 : « Les travailleurs qui combattaient dans la rue étant dépourvus d’objectifs concrets et d’une direction responsable, le POUM ne pouvaitqu’ordonner et organiser une retraite stratégique… » (Résolution du CC sur les Journées de mai, point 3).

[4] Note de Rebull ajoutée en 1939 : « Une partie de la presse nationale et étrangère fait les efforts les plus extraordinaires – et ils doivent l’être – pour nous présenter comme les « agents provocateurs » des événements qui se sont déroulés la semaine dernière à Barcelone… Si nous avions donné l’ordre de commencerle mouvement le 3 mai, nous n’aurions aucune raison de le cacher. Nous avons toujours assumé nos paroles et nos actes… Notre Parti ne fit que se joindre à lui – nous l’avons déjà dit à maintes reprises et nous le répétons simplement aujourd’hui. Les travailleurs étaient dans la rue et notre Parti se devait d’être présent aux côtés des travailleurs… »

(Editorial de La Batalla, 11 mai 1937, souligné par nous).

Réponse de G. Munis, trotskiste, dans La Voz Leninista n° 3. Barcelone, 5 février 1938 :

Lettre à un ouvrier poumiste
Le drapeau de la IVe Internationale
est l’unique drapeau
de la révolution prolétarienne
G. Munis

5 février 1938

Il y a cinq mois, lors de la répression, comme il y en a dix, alors que le POUM était expulsé de la Généralité, tu as répété le même argument qu’aujourd’hui. D’après toi, le POUM se verrait obligé, par la pression des évènements, de se mettre à la tête de la révolution prolétarienne. Révolutionnaire sincère et croyant dans la force révolutionnaire potentielle du Parti,tu n’as pas cessé de voir ses erreurs avec une certaine clarté, mais tu hésitais quant aux remèdes, te plaçant dans cette double perspective fausse : d’une part, entraîner sur le terrain révolutionnaire le Parti dans son entier - y compris les opportunistes récalcitrants - et d’autre part démarquer ce terrain et la IVe Internationale.

Reconnaître les erreurs les plus criantes du POUM (collaboration, complicité avec le Front populaire, lutte contre les organes de pouvoir ouvrier, Gouvernement ouvrier et paysan, etc.) mène nécessairement à fouiller ses sources idéologiques, ses affinités avec d’autres courants dans l’histoire du mouvement ouvrier international et leur influence sur les cadres et les hommes du Parti. Sous-estimer leur signification et leurs conséquences, ne pas désigner du doigt les responsables, c’est une carence qui se traduit en hésitations, en passivité complice et en impuissance à trouver le chemin du salut.

Il me paraît absolument indispensable d’attirer l’attention sur ce dernier point, parce qu’au sein du POUM, la section de Madrid a toujours été désignée comme l’aile gauche, et au printemps dernier a surgi à Barcelone un autre « courant de gauche ». Aujourd’hui, les deux végètent comme le reste du Parti. La raison en n’est autre que leur fragilité politique, manifestée à de très nombreuses reprises dans leur incapacité à se donner un programme, dans la peur de l’affrontement avec la direction et de mener à la base de l’organisation la lutte contre elle.

La section de Madrid, comme l’aile gauche de Barcelone, étaient les représentantes de cette « force révolutionnaire potentielle » dans laquelle tu places ta confiance. La transformer en énergie active n’était pas possible sans une rupture radicale avec la politique catastrophique de Nin-Andrade-Gorkin. C’est précisément sur ce point que l’un et l’autre groupe de gauche demeurèrent paralysés, n’osant pas aborder de front le problème. En toute occasion, ils s’efforcèrent de minimiser les erreurs du Parti - qu’ils aidèrent bien des fois à commettre - et jamais ils ne pointèrent du doigt les leaders responsables. Même l’aile droite de Portela [1], ouvertement stalinisante, a pu vivre jusqu’à présent sans que l’aile gauche exige son expulsion.

Dès la naissance du POUM, celui-ci apparaît parfaitement uni dans tous les moments importants. Même durant et après les Journées de mai, quand les éléments de gauche arrivèrent à acquérir le plus de poids et de détermination, les résolutions du CC, dans lequel il y a des représentants de Madrid et de la cellule 72 de Barcelone [2], sont votées à l’unanimité. Et il n’est pas utile de parler de la passivité honteuse observée alors que la répression se déchaînait. De cette unité du POUM, les crétins et les opportunistes peuvent s’enorgueillir, ils en bénéficient. En réalité c’est ce qui a permis à la direction centriste d’étouffer la « force révolutionnaire potentielle » des travailleurs poumistes et cela nous donne une preuve désolante de l’incapacité des éléments de gauche. Pour certains d’entre eux, le gauchisme n’a pas cessé d’être une misérable justification personnelle.

Non, ce n’est pas un problème de personnalités qui a empêché les éléments de gauche de se réunir et de se développer. C’est un problème de programme.

Seule la lutte systématique pour un programme révolutionnaire peut former de. bons leaders. Il ne s’agit pas tant de son contenu que de la tendance historique sur laquelle il prend appui. Ni la cellule 72 de Barcelone, ni la section de Madrid ne se décidèrent jamais à adopter cette perspective. Leurs critiques envers la direction furent vagues, limitées et superficielles parce qu’elles ne considéraient pas le POUM comme un courant centriste, comme ses ramifications internationales, mais comme un courant révolutionnaire faisant des erreurs occasionnelles. Cette appréciation ne se basait sur aucune analyse objective si ce n’est sur la peur d’être confondus avec les trotskistes. Fuyant les points de vue de la IVe Internationale, elles se rapprochaient du centrisme.

Les préventions anti-trotskistes empêchèrent la création et le développement d’une véritable aile gauche qui sauverait de la décomposition la majorité des militants révolutionnaires du POUM. La section de Madrid et la cellule 72 de Barcelone, se situant sur un terrain positif par rapport à la direction centriste, étaient menées par nécessité, pour leur propre formation comme avant-garde révolutionnaire, à adopter le programme de la IVe Internationale. Mais au lieu de se laisser guider objectivement par la dialectique des évènements, leur seule boussole fut d’éviter le trotskisme. De là leur incapacité à tracer énergiquement une ligne de séparation entre les centristes et les révolutionnaires, et à guider ceux-ci vers la création d’un parti bolchevik et vers la conquête des masses.

Je ne peux m’étonner de l’asphyxie de la fameuse gauche qui éveilla tant d’illusions. La section de Madrid a laissé filer le temps en projetant de grandes choses, tandis que ses actes réels, quotidiens, l’ont mise à la remorque du CE, et certains de ses hommes se convertirent en dénonciateurs des trotskistes au service du centrisme. Avant les Journées de mai, la cellule 72 adopta des positions propres, une tentative de mouvement fractionnel aux prolongements politiques et organisationnels incertains mais avec un grand avenir. Depuis lors elle a eu l’occasion d’accélérer sa formation et de conquérir des positions en prenant en charge la lutte contre la réaction stalinienne, que la direction observait avec une passivité criminelle. Cependant les faits ne laissent pas de place aux illusions. Après avoir refusé avec un silence dédaigneux les propositions bolcheviques-léninistes [3] tendant à conclure un accord de lutte contre la réaction et le stalinisme, nous avons constaté que même la gauche de Barcelone a disparu et qu’il ne reste qu’un homme pour la représenter [4]. Cette réduction, proportionnelle à celle de tout le Parti, n’a pas la répression [5] pour unique cause. Malgré la violence vile et sadique des méthodes mises en œuvre, la répression, surtout durant ses premiers mois, pouvait seulement annihiler des organismes manquant de l’énergie et du contact effectif avec les masses qui sont indissociables des principes d’un parti révolutionnaire. L’état d’esprit et l’organisation des masses, la coordination générale des forces, la mobilisation extrême de celles-ci, l’importance des positions occupées par le prolétariat et l’abondance de ressources pour la propagande illégale lui auraient permis, armé d’un programme et de mots d’ordre immédiats combatifs, de ramener l’illégalité à une courte période et de se renforcer à travers elle. En réalité, l’élément qui a le plus contribué à réduire à l’insignifiance « un parti de 40.000 membres », plus que les emprisonnements, la suppression de sa presse légale et les assassinats, c’est que ces 40.000 membres étaient déjà à moitié réduits à l’impuissance par la politique de leur propre direction.

Le représentant - appelons-le ainsi pour éviter les noms - de la cellule 72 le confesse un peu désespérément dans un document adressé au CC qui s’est tenu récemment à Barcelone [6]. Comme dans le projet que le même camarade élabora pour le Congrès [7] qui n’eut pas lieu, on trouve dans celui-ci des critiques très justes de la direction sur lesquelles, évidemment, on peut et doit s’appuyer, comme tu le penses. Mais il est beaucoup plus important de prendre en compte les erreurs que ses pages renferment.

Les bolcheviques-léninistes peuvent souscrire à sa partie critique quasiment dans sa totalité. Pour la première fois, quelqu’un, depuis l’intérieur du POUM, qualifie de centrisme la politique de la direction et essaie de donner à cette notion son véritable caractère. Je dis « essaie » parce que l’auteur du document, après avoir désigné comme centriste sa propre direction, affirme que « le POUM était un parti révolutionnaire avant le 19 juillet ». Ceci est si éloigné de la vérité que cela ne nécessite quasiment pas de réfutation. Quand et comment s’effectua la conversion à droite ? Le centrisme peut caractériser des éléments révolutionnaires de passage vers le réformisme ou vice versa, dans tous les cas cette évolution demande du temps, au fil des évènements. Personne ne se couche révolutionnaire et se lève centriste. Cependant, pour que le POUM se réveille un matin dans le malheureux « Gouvernement ouvrier », aucune solution de continuité ne fut nécessaire. Sans le moindre heurt, à l’unanimité, le même Comité central qui la refusait avant le 19 juillet approuva la collaboration et s’enfonça allègrement dans le « programme socialiste » qui consista à livrer la révolution socialiste aux Comorera, Prieto [8], etc. Cette politique sortit sans obstacles du cœur du POUM parce qu’elle était dans la moelle de sa constitution et existait déjà, développée dans l’ancien Bloc ouvrier et paysan [9], et, dans son principe, mais retenue par la discipline internationale, dans ce qui fut la Gauche communiste. Si l’auteur du document mentionné prenait la peine de confronter la politique qu’il qualifie de centriste avec celle pratiquée par le POUM avant le 19 juillet, il va sans dire qu’il ne pourrait nous montrer aucune différence fondamentale, il éviterait de trébucher en commençant à marcher et il ne se verrait pas obligé, pour remplir les lacunes de son analyse et voiler ses erreurs, d’idéaliser le passé et les morts [10].

Le Front ouvrier révolutionnaire est présenté dans le document comme la panacée suprême et la source de toute régénération à l’intérieur du POUM et du mouvement ouvrier. Après avoir fait une critique sévère et juste de la direction, il retombe dans la conception officieuse, sinon officielle, de celle-ci.

Les illusions que cette formule éveille exigent de mettre au clair qu’il ne s’agit pas de la notion bolchevique du front uni de classe : « Marcher séparément, frapper ensemble ! », sans confusion de programmes, avec une complète liberté critique, mais en établissant des compromis de lutte pratique et immédiate contre l’ennemi de classe. Dans le numéro de La Batalla du 5 août passé, il est dit qu’il est nécessaire « d’aller vers le Front ouvrier révolutionnaire, qui groupe tous les secteurs qui sont d’accord pour donner à la guerre un caractère révolutionnaire qu’elle n’aurait jamais dû perdre et pour conquérir le pouvoir pour la classe travailleuse »...

Conquérir le pouvoir pour la classe travailleuse ! Belle perspective sur laquelle les dirigeants du POUM espèrent se mettre d’accord avec la CNT et la FAI (Largo Caballero y était aussi candidat jusqu’à il y a quelques jours), tandis que les leaders de ces dernières espèrent également arriver au pouvoir en livrant le prolétariat confédéral à la merci du Gouvernement. La thèse du Front unique est transformée en un leurre ronflant qui cache l’idée fixe de revenir à un ministère semblable à celui de septembre 1936. La conquête du pouvoir par le prolétariat ne peut être l’objet d’alliances, si ce n’est à travers ses organes de pouvoir (comités, juntes, soviets). Même sous cet aspect, théoriquement admis­sible, se présenterait dans la pratique des difficultés innombrables. Le front unique, indispensable pour la défense des libertés et des intérêts ouvriers les plus immédiats, c’est la voie qui conduit à la construction des organes de classe, et par conséquent l’unique manière de placer le prolétariat en situation de lutter pour le pouvoir. S’allier avec toutes les organisations disposées à défendre ces libertés et ces intérêts, fustigeant énergiquement ceux qui préfèrent l’alliance avec les matons et les bourreaux du prolétariat, c’est la véritable tactique révolutionnaire du front unique que la Section bolchevique-léniniste poursuit depuis sa fondation. Mais rechercher une alliance de « tous les secteurs qui sont disposés à conquérir le pouvoir pour la classe travailleuse », n’est rien de plus que de la démagogie opportuniste de la part de gens qui n’ont pas renoncé à des blocs politiques de triste mémoire, mais qui pour donner le change utilisent la revendication du front unique d’une manière mensongère, pour calmer le mécontentement de leurs propres militants.

Le FOR [Front ouvrier révolutionnaire] n’a servi, en effet, qu’à concilier entre elles les différentes tendances. Gorkin, Andrade, ce qui reste de la cellule 72 et de la section de Madrid résolvent toutes leurs divergences au sein du FOR À l’instar de son confrère centriste, le SAP [11], avant l’arrivée du fascisme, le POUM tue les tendances centrifuges, qui, si elles se développaient, joueraient un rôle très positif dans la formation du parti révolutionnaire, en les immobilisant sur le bouchon flottant du FOR. La différence repose sur le fait que le SAP remplissait cette fonction en n’ayant que le front unique pour tout programme, tandis que le POUM se réduit au FOR, qui ne va pas au delà de la rupture avec le stalinisme. Et la question est restée indécise au Comité central ! Il n’est pas exclu, cependant, surtout devant la déviation évidente des anarchistes vers le stalinisme, que le POUM passe par un état identique au SAP, faisant du front unique une devise générale. Ce sera un progrès dans la mesure où il contribuera à entraîner d’autres fractions du mouvement ouvrier, mais le problème du programme, c’est à dire du parti de l’avant-garde ouvrière, restera posé avec d’autant plus d’acuité et d’urgence.

En ce qui concerne le programme, tu ne te fais toi-même pas d’illusions sur ce que la direction officielle peut donner. D’ailleurs, que peut-on espérer des éléments appelés « de gauche » ? Le plus grand respect envers leur évolution idéologique réelle ou supposée ne peut les exonérer de la responsabilité de tout ce qui ne s’est pas fait en plus d’un an d’hésitations et de vaines menaces de passage à l’action.

Le document du représentant de la cellule 72 auquel je me suis référé [12] est complètement nul sur cet aspect, malgré son appel à la dictature du prolétariat. On ne trouve pas la moindre référence aux questions fondamentales du mouvement ouvrier : nouveau parti ? Nouvelle Internationale ? Cependant, qui admet que le POUM est centriste est encore plus obligé d’y répondre, à moins d’espérer convertir par son éloquence les centristes en bolcheviks. La triste réalité est que l’absence de ces questions, ainsi que de toutes critiques envers les honteux alliés internationaux du POUM, a pour origine le jeu de balance interne dont l’aiguille est le FOR. C’est seulement en évitant de se prononcer sur ces questions que l’équilibre se maintient et que nos bons gauchistes ne se voient pas contraints à l’action.

La force révolutionnaire potentielle des ouvriers du POUM, je le répète, se trouve ainsi stérilisée. Mais, malgré le temps perdu, il ne peut y avoir d’autre chemin que celui de la lutte irréductible et organisée contre la direction centriste. Argumenter sur la légitimité ou l’illégitimité des fractions est du philistinisme méprisable. Le premier devoir d’un révolutionnaire entouré de centristes est de constituer une fraction. Se croiser les bras ou se limiter à crier, c’est succomber à la contagion de la peur.

Les travailleurs révolutionnaires poumistes ont besoin d’un programme, d’une arme idéologique pour conquérir la confiance des masses. Ce programme ne peut qu’être celui de la IVe Internationale, déjà en marche dans l’ensemble du monde. Les éléments les plus conscients ont le devoir politique de hisser ce drapeau. Ce n’est qu’ainsi qu’ils contribueront à la création du parti révolutionnaire et à la résolution au final des grands problèmes de la conquête du pouvoir.

Notes

[1] Luis Portela (1902-1983), ancien dirigeant des Jeunesses socialistes, fut l’un des fondateurs du PCE, puis du BOC. Secrétaire de la fédération du Levant du POUM et directeur d’El Comunista, il critiqua la participation du POUM aux Journées de mai de Barcelone. (NdE)

[2] Josep Rebull assista à la réunion du CC de décembre 1937 comme secrétaire du Comité local de Barcelone.

[3] Munis fait référence à une lettre, datée du 26 juin 1937, dans laquelle la Section bolchevique-léniniste d’Espagne lançait un appel à la gauche du POUM et aux Amis de Durruti pour établir une plate-forme d’action commune face à la répression.

[4] Munis fait allusion à l’isolement de Josep Rebull, qui n’obtint même pas l’aide du reste des membres de la cellule 72.

[5] Munis se réfère à la persécution politique des militants du POUM par le stalinisme, commencée le 16 juin avec la mise en détention du CE du POUM et la disparition de Nin.

[6] Il s’agit de la Résolution presentada al Comité Central del POUM datée du 27 octobre 1937.

[7] Il s’agit des contre-thèses politiques de Josep Rebull publiées les 23 avril et 29 mai 1937.

[8] Joan Comorera : le secrétaire général du PSUC ; Indalecio Prieto (1883-1962), dirigeant du PSOE, plusieurs fois ministre, dans les gouvernements républicains puis dans ceux de Largo Caballero et de Juan Negrin ; ministre de la Défense, il est exclu du gouvernement en avril 1938 sous la pression des staliniens. (NdE)

[9] Josep Rebull n’acceptait pas ces critiques envers le BOC. Josep Rebull lui-même s’était de plus présenté en février 1936 sur les listes électorales du POUM pour la province de Tarragone en février 1936.

[10] Munis fait certainement allusion à la politique du BOC et à son leader Maurin, que l’on croyait décédé en juillet 1936.

[11] Le Sozialistische Arbeiter Partei, fut fondé en 1931 par l’union de différents groupes de socialistes de gauche et de communistes oppositionnels allemands. Il fit campagne sans succès pour un front uni des organisations de gauche contre le nazisme. Le SAP, comme le POUM, était adhérent du Bureau de Londres. (NdE)

[12] Josep Rebull.

Agustin Guillamón, Un théoricien révolutionnaire : Josep Rebull :

Le 22 juillet, la CNT et le- POUM appuyèrent la formation en Catalogne du Comité Central des Milices Antifascistes, le CCMA, auquel participaient aussi des représentants des partis bourgeois, du gouvernement bourgeois de la Généralité et les staliniens.

Andreu Nin, secrétaire politique du POUM, sans consulter les militants de son parti, accepta la charge de ministre de la Justice dans le gouvernement de la Généralité, qu’il assura du 26 septembre au 13 décembre 1936, où il en fut exclu sous la pression des staliniens. Le 1er octobre 1936 se produisit l’ autodissolution du CCMA, le 9 octobre, le gouvernement de la Généralité — avec la participation du POUM et de la CNT — avait adopté un décret sur la dissolution des comités locaux, qui devaient être remplacés par des municipalités de Front populaire ; le 13 octobre, un décret préparé et signé par Nin en personne détruisit l’œuvre réalisée par Eduardo Barrioberro (1880-1939) avec les tribunaux de justice populaire (ce qui lui valut la prison républicaine et l’exécution par les franquistes) ; le 24 octobre furent approuvés les décrets de militarisation des Milices Populaires et de contrôle de l’ordre public par une Junte de Sécurité intérieure.

Le 27 janvier 1937, Nin écrivit au CE du PSOE en proposant la participation du POUM aux conférences d’unification du PSOE et du PCE. Quelques jours plus tard seulement commença la répression contre les poumistes à Madrid (La Batalla 9 février 1937). Le chef du Conseil de la Généralité de Catalogne, José Tarradellas, promulgua une batterie de décrets économiques et financiers, connus sous le nom de décrets de S’Agaro qui marquèrent le début de l’offensive de la Généralité pour s’emparer du contrôle des entreprises collectivisées. Au début de mars, le décret de contrôle de l’Ordre Public, rejeté par la CNT, ouvrit une profonde et grave crise de gouvernement de la Généralité. La vie quotidienne des travailleurs était affectée par le coût de la vie, les queues du rationnement et la pénurie de produits de base. En mars et avril 1937 il se produisit nombre d’affrontements, dans diverses localités de Catalogne, entre les militants anarchistes et les forces de la Généralité et du PSUC, parmi lesquels celui qui se déroula à Bellver de Cerdagne. Une lutte sourde commença à opposer, entreprise après entreprise, entre les militants de la CNT, ceux qui voulaient maintenir la collectivisation et leur contrôle ouvrier, et ceux qui soutenaient l’interventionnisme de la Généralité préparée par les décrets de S’Agaró [1]. Nombre d’assemblées ouvrières eurent à subir dans les usines la présence et la pression des forces de l’ordre public.

En mars 1937, un vaste secteur de militants du POUM manifesta ses protestations devant l’absence de discussion interne et le nouveau report du congrès, déjà reporté à décembre 1936, en février 1937, puis de nouveau en mars. En mars et avril 1937, les réunions hebdomadaires des secrétaires politiques et d’organisation des comités de district, canalisèrent le mécontentement des militants de base. C’est ainsi que le Comité Local de Barcelone, le CL du POUM devint un organisme d’opposition, ferme, à la direction du POUM : le Comité exécutif (CE) et le Comité Central (CC), lequel, outre sa revendication de la convocation du congrès, commença un débat sur le travail politique au front qui rencontra l’opposition des chefs militaires à la formation de cellules parmi les miliciens, et aussi sur la participation du parti à un gouvernement bourgeois, ce qui semblait désavouer la stratégie suivie jusque là par le CE. Le 13 avril, comme point culminant de ces actions de protestation, produit d’un malaise profond dans la base militante poumiste, fut convoquée une réunion commune du CL de Barcelone et du Comité central, dans laquelle Josep Marti, du CL de Barcelone, et Josep Rebull obtinrent l’approbation et la décision de diffuser largement un manifeste du CL de Barcelone, publié dans La Batalla du 15 avril, sur la crise de la Généralité, qui critiquait la présence du POUM dans ce gouvernement bourgeois et appelait à la formation d’un Front Ouvrier Révolutionnaire qui fasse des Conseils ouvriers des organes de pouvoir. On annonça aussi la nouvelle convocation du IIe congrès pour le 8 mai. ainsi que d’importantes facilités pour publier et diffuser dans des bulletins intérieurs les contre-textes des différentes cellules, opposés aux thèses officielles du CE. Le 16 avril, Nin assista à une réunion du CL de Barcelone dans laquelle il réussit à empêcher la publication d’une brochure contraire à la ligne du parti. Selon Nin, il ne fallait pas parler de soviets mais de gouvernement syndical.

Josep Rebull était secrétaire de la cellule 72 du POUM à Barcelone. Les contre-thèses signées par cette cellule (12 militants environ) qui furent publiées dans le Boletin de discusion del II Congreso del POUM édité par le comité local de Barcelone étaient son œuvre et ne faisaient que réunir, approfondir et théoriser les controverses et revendications de la base militante du POUM hostile à la stratégie politique du CE. La raison pour laquelle ces contre-thèses furent signées par la cellule 72, au lieu de Josep Rebull, était due aux exigences du règlement du IIe congrès.

Pendant les Journées de mai, Josep Rebull a été retenu pendant plusieurs jours en otage par une unité stalinienne. Son intervention dans les Journées de mai touchait à trois points importants mais n’appelait pas à prendre le pouvoir les camarades de la CNT, comme on l’affirme dans « The Spanish Civil War » dans Revolutionary History, vol. 4, car il s’était borné à poser cette question au CE de son parti.

Il s’agissait des trois points suivants ; a) une entrevue entre la cellule 72 et les Amis de Durruti, dans la nuit du 4 mai, dans laquelle on décida de ne prendre aucune initiative, étant donné le caractère minoritaire des deux organisations et parce qu’on considérait que l’action décidée par la CNT serait décisive. b) une entrevue avec le CE du POUM : Nin, Andrade et Gorkin au cours de laquelle, plan de Barcelone à la main, il démontra que la victoire militaire était certaine si le POUM se décidait à attaquer les bâtiments gouvernementaux du centre de la ville, à quoi il fut répondu qu’il ne s’agissait pas d’une question militaire, mais politique : la prise du pouvoir signifiait la rupture de l’unité antifasciste et elle précipiterait la victoire rapide des armées de Franco. c) il céda l’imprimerie du POUM aux Amis de Durruti pour le 8 mai afin que ces derniers, désavoués par la CNT, puissent lancer un manifeste qui fasse le bilan des récentes journées de mai.

Les graves événements survenus pendant les Journées de mai à Barcelone du 3 au 8 mai 1937, rendirent impossible la tenue du congrès qui fut de nouveau déplacé, cette fois au 19 juin, en même temps que l’on convoquait une conférence internationale pour le 19 juillet. Face à la répression, contre le POUM, déchaînée le 16 juillet 1937, le parti resserra les rangs et les critiques contre la politique collaborationniste du POUM, étant donné l’impossibilité de convoquer le IIe congrès, se turent provisoirement. Rebull, par ailleurs, se retrouvait isolé, puisque les autres membres de la cellule 72 ne le suivirent pas sur ses positions. Ainsi, une fois écartée définitivement la possibilité de tenir un congrès du parti, ce qu’on appelait « la gauche » du POUM à Barcelone, au début de 1938, ne comptait qu’un seul militant : Josep Rebull. Pendant l’année de clandestinité qu’il vécut à Barcelone, il occupa alternativement l’étage de Joaquin Maurin dans la rue Padua et une maison, louée dans la rue Llibreteria. [ La Voz Leninista de février 1938 l’attaqua sévèrement sous la plume de Munis. Tout en reconnaissant que ces positions théoriques et sa critique du CE du POUM étaient justes, il ne songea jamais à la rupture organisationnelle. Munis assure qu’il manqua alors de décision pour aller jusqu’au bout de sa cohérence et du courage de rompre avec le POUM et de rallier la IVe Internationale.] (ajout des CLT). Il militait toujours activement dans l’édition et la diffusion de la presse clandestine du POUM — et ce jusqu’en avril 1938 — , ainsi que dans la solidarité et l’aide aux prisonniers, par des visites assidues au ministre de la Justice Irujo pour obtenir le transfert des militants du POUM des Tchékas staliniennes, d’où l’on pouvait disparaître sans laisser de trace, aux prisons républicaines. Mais l’omniprésence de la répression stalinienne contre les militants du POUM et les difficultés croissantes à tromper le service de recrutement militaire le décidèrent à s’engager sous un faux nom à la fin de 1938.

Josep Rebull ne fut jamais gagné au trotskysme. La preuve est qu’il milita au POUM de façon ininterrompue et appartint à son CE en exil jusqu’en 1953, quand il présenta sa démission. L’épisode du Comité de Défense du IIe Congrès du POUM, en juillet 1939, à cheval entre la fin de la guerre civile et la Deuxième Guerre mondiale, bien qu’il supposât le surgissement d’un groupe bolchevik-léniniste à l’intérieur du POUM, et le fait que Rebull y collabora d’une certaine manière, ne fut pas assez profond ni prolongé pour pouvoir gagner Rebull à la IVe Internationale.

Les thèses défendues par la cellule 72, qu’on ne peut qualifier ni de trotskystes ni de conseillistes, s’insèrent dans la contradiction existante au Comité exécutif du POUM entre la théorie et la pratique, car selon Rebull, le CE du POUM théorisait la formation d’un gouvernement ouvrier et, en même temps, soutenait et renforçait le gouvernement bourgeois de la Généralité.

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