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Les « Gaulois » sont-ils à l’origine de « la France » et des « Français » ?

lundi 20 mai 2019, par Robert Paris

Du Hallstatt à l’occupation romaine :

Les « Gaulois » sont-ils à l’origine de « la France » et des « Français » ?

Bruno Dumézil dans « Des Gaulois aux Carolingiens » :

« Doit-on faire commencer l’histoire de France avec les Gaulois ? Dans l’absolu, non. La civilisation gauloise n’occupe pas le même territoire que la France actuelle et dans tous les cas, les Gaulois ne sont pas nos ancêtres. Ils ne constituent que l’une des nombreuses couches de peuplement qui, de brassages en fusions, ont fini par produire la population française actuelle, celle du XXIe siècle…

Disons-le immédiatement : voir dans les Gaulois la préfiguration des Français constitue un choix nationaliste…

En termes culturels, l’apport de la civilisation gauloise à la formation de la France est sans doute assez faible….

L’espace gaulois semble alors (à partir du milieu du XIe siècle avant J.-C.) constitué d’une juxtaposition de petites principautés et n’a donc aucune unité politique. Quant à l’unité ethnique, elle est bien difficile à percevoir. Il n’est pas sûr que tous les princes de l’Hallstatt (civilisation de l’âge du fer) aient eu le sentiment d’appartenir à un peuple commun. Plus largement, rien ne prouve qu’à un moment de leur histoire, ceux que nous appelons les Celtes aient eu le sentiment d’avoir une origine commune…

Les principautés de l’Hallstatt déclinent vers le milieu du Ve siècle. On ne sait pas vraiment pourquoi ce premier monde gaulois structuré autour de forteresses situées sur les hauteurs disparaît. L’hypothèse la plus probable est qu’il s’est produit, pendant quelques décennies, une rupture des échanges marchands entre l’espace gaulois et l’espace méditerranéen Puisque l’élite se définissait par ses contacts avec la Méditerranée, à partir du moment où le contact est rompu, l’aristocratie est perturbée, sans doute en raison de troubles sociaux…

A l’issue de quelques décennies difficiles, apparaît vers la fin du Ve siècle avant notre ère une société beaucoup plus guerrière que la société de l’Halstatt, à laquelle on donne le nom de civilisation de la Tène. L’aristocratie y est à la fois nombreuse et très armée… Les Gaulois mènent avant tout des opérations de razzia. En 390, un petit groupe de Gaulois s’empara de la ville de Rome et la met à sac. En 279 de notre ère, une expédition gauloise parvient en Grèce et réussit à piller le grand sanctuaire de Delphes.

On observe également les Gaulois dans des opérations d’expansion territoriale, puisque des populations appelées gauloises s’implantent peu à peu dans la vallée du Pô, en Italie du Nord, au détriment des Etrusques. »

L’essentiel de la population française considère que l’expression « nos ancêtres les gaulois » est une manière d’humour pour dire qu’ils seraient contestataires, râleurs, hâbleurs, guerriers et fraternels en même temps. Mais, il y a aussi les petits blancs franchouillards, ceux qui croient eux, dur comme fer, être des descendants du gaulois Vercingétorix qui défendait « le territoire national » contre l’invasion étrangère, même si celle-ci était l’occurrence romaine et donc occidentale !! Ceux-là confondent tout : peuple bâtisseur des menhirs, celtes, gaulois, francs, mérovingiens et français… Tout cela n’est pas très… franc car la véritable histoire nombre d’entre eux s’en moque bien entendu.

Il est quasiment aussi difficile de dire qui seraient « les Gaulois » que de définir ce que seraient « les Français » dès que l’on remonte à un passé suffisamment lointain !!! En tout cas, il est impossible de trouver une seule origine, un seul creuset de société, comme de bâtir une continuité entre ces ensembles pluriculturels et d’une grande diversité de peuples et de modes de vie. Impossible d’inventer une continuité de la grotte de Lascaux à la construction de la France de la guerre de Cent Ans puis par les rois « de France » jusqu’à Louis XIV, en passant par Charlemagne. Les uns et les autres n’ont rien à voir ensemble et n’ont rien à voir avec de quelconques « gaulois » !!! Les peuples mégalithiques de l’ouest européens ne sont pas dans la continuité des futurs Gaulois, qui ne sont plus, en droite ligne, l’origine des Francs, ni eux-mêmes l’origine de tous les futurs Français. Même l’unification de langue, de lois, de coutumes, de traditions et de mode de vie ne viendra que longtemps, très longtemps parfois dans certaines régions, après l’unification étatique royale et la conquête du territoire, souvent reperdue rapidement et divisée. Et, bien entendu, un élément de discontinuité qui ne peut être oublié, ce sont les guerres et massacres issus des partages et repartages, des conquêtes et reconquêtes, et qui ont mené bien souvent à l’éradication complète des habitants locaux. Ceux-ci ne risquaient donc pas d’être à l’origine des occupants suivants puisqu’ils avaient été soit chassés, soit massacrés, soit emmenés dans la foulée des bandes armées…

Des expressions comme « Lyon, capitale des Gaules », « Vercingétorix, roi des Gaules », et autres, ne sont que des mythes extrêmement récents qui ont la même origine : la liaison de l’Etat et de l’Eglise, cette dernière nommant comme chef de la religion catholique en France un « primat des Gaules » !!!! Inutile de préciser que les Gaulois ne sont nullement catholiques et ne savent même pas à l’époque que le catholicisme existe pour la plupart.

L’essentiel des Français ont découverts quelques éléments d’histoire sur les Gaulois et les Romains en lisant les bandes dessinées « Astérix et Obélix » et s’ils y ont appris le peu d’Histoire qui leur est restée, ils y ont appris aussi plein d’erreurs et de contresens historiques qui ne proviennent pas nécessairement de ce qu’ont écrit les auteurs de la BD mais de ce que construit l’imagination en la lisant. En particulier, certains y ont vu le lien entre les Gaulois et les menhirs puisqu’Obélix se promène son menhir à la main, ce qui est plus qu’une invraisemblance, un artifice comique !!!

Qui sont les Gaulois que l’on a dit, souvent et par erreur, être la source de la nation française. Bien des gens croient encore que « les Gaulois » seraient à l’origine des menhirs et des dolmens !!! C’est une des absurdités les plus criantes puisque les bâtisseurs des mégalithes n’ont jamais rencontré un seul Gaulois et que les druides adoraient les monuments mégalithiques parce qu’ils ne savaient même pas comment ni par qui ils avaient été édifiés !!! La distance entre peuples mégalithiques d’Europe occidentale et peuples dits gaulois est d’au moins 300 années… Les Gaulois, cela commence en 1200 avant J.-C. et les peuples mégalithiques entre 4000 avant J.-C. et 1500 avant J.-C. Entre les deux, il s’est passé bien des bouleversements : deux civilisations du cuivre différentes suivant les régions (nord-ouest ou sud-est), une civilisation campaniforme mais pas dans le centre, deux civilisations du fer différentes suivant les régions (nord-ouest ou sud-est), une civilisation des champs d’urnes (mais pas dans l’ouest).

Les grands regroupements de peuples ne s’appelaient pas « Gaule » mais Carnutes, Arvernes, Eduens, Helvètes et Narbonnais. On pouvait aussi citer les Aquitani, les Pictones, les Veneti, les Bituriges ou encore les Senones…

A la veille de la conquête de César, on compte cinq grands ensembles : Armoricain, Aquitain, Belge, Narbonnaise et la fameuse « Gaule chevelue » encore appelée « Celtae », mais cette dernière ne concerne que le centre de ce qui deviendra un jour… « la France ».

Ce sont les occupants militaires et coloniaux romains qui ont diffusé massivement le mythe de « la Gaule chevelue » (les cheveux en question étaient les forêts) qu’ils auraient eu le courage extraordinaire de vaincre. César voulait se faire ainsi une popularité à bon compte à Rome en faisant croire que la résistance qu’il avait rencontrée chez les « Gaulois » était considérable et augmenter ainsi sa gloire militaire. En fait, il n’y avait quasi aucune unification entre les tribus, entre les multiples peuples qui ne considéraient absolument pas appartenir à un ensemble commun. Il y a eu que des résistances régionales, fédérant parfois et très difficilement les tribus et peuples contre les troupes romaines, mais aucun soulèvement national réel. Il n’y a jamais existé une « nation gauloise », disons-le tout de suite. Beaucoup plus de peuples ont pactisé avec les romains, se sont romanisés, que ceux qui ont combattu l’occupation de l’empire romain. Tout simplement parce que faire partie de l’empire romain n’était pas seulement un changement d’appartenance mais un énorme changement social et politique, une modification complète du mode de vie et que Rome emmenait avec elle de très grands progrès économiques, sociaux, technologiques divers, autant qu’artistiques, artisanaux, intellectuels, une vraie civilisation nouvelle dans une région qui était encore très peu développée. Et les Romains ne se contentaient pas d’occuper le territoire conquis, ils proposaient aux classes dirigeantes locales de faire partie des nouveaux dirigeants, de devenir des citoyens romains et de partager ainsi la gloire et la fortune de l’empire. La France coloniale n’allait pas nécessairement faire de même quand, longtemps plus tard, elle coloniserait la planète !!!

Certes, les peuples de « la Gaule chevelue » n’avaient pas conscience d’être un ensemble mais ne l’étaient-ils pas culturellement, ethniquement, par leurs origines, leurs mœurs, leur civilisation, leur religion, leur mode de vie, leurs origines, leur langue ? Eh bien, décidément, non, pas du tout !!! Ils ne se considéraient pas comme identiques et ne l’étaient pas : pas la même langue, pas le même mode de vie, pas les mêmes origines historiques, pas la même ethnie, etc. Il y avait plusieurs ensembles de peuples aux origines diverses au sein du même territoire hexagonal, plusieurs ensembles linguistiques, plusieurs ensembles de religions diverses. Il y avait des régions depuis longtemps sous influence romaine. D’autres sous influence qu’on pourrait aussi bien dire allemande, espagnole, suisse, belge. En fait, bien entendu, de telles expressions n’auraient pas plus de sens que de faire des fameux Gaulois une origine des Français.

D’ouest en est, du nord au sud, les peuples ne se connaissent ni ne s’entendent, ne se comprennent, ne connaissent même leur existence. Ils n’ont jamais, au cours du passé fait partie d’une même entité. Ils ne viennent pas d’une même région. Ils n’ont pas eu la même histoire. Ils ont des modes de vie divers et des conceptions encore plus diverses.

Même l’occupation militaire romaine ne peut unifier le territoire puisqu’elle a lieu en 58 avant J.-C., alors que le sud de la France, « la Narbonnaise »fait déjà partie de l’empire romain depuis le dernier tiers du IIe siècle avant J.-C., soit bien longtemps avant et que cela signifie, comme on le dira plus loin, un changement considérable de mode de vie et de pensée…

La région dite Gaule occupée n’est pas un territoire unifié : les Romains la gouvernent sous forme de quatre territoires différents : Belgica, Lugdunensis, Aquitania et Gallia Narbonensis.

Il y a bien eu une alliance militaire et guerrière entre quelques tribus, quand Jules César envahit la Gaule chevelue, en 58 avant J.-C., et qui a mené à la victoire contre les Romains à Gergovie. Mais la division tribale l’a ensuite emporté, menant à la défaite d’une autre alliance de tribus lors de la bataille d’Alésia.

Loin d’avoir une origine commune, les peuples qui occupent alors « la Gaule » ont donc des origines très diverses, issues des multiples vagues d’occupation humaines d’époques elles aussi très diverses, à toutes les époques de la préhistoire puis de l’histoire. A aucun moment des deux, il n’y a un peuple unique qui occupe ce territoire et cela change sans cesse.

Les changements, et particulièrement les invasions nouvelles et les divisions, ont lieu aussi après l’occupation romaine. Notons la division qui va donner les « Francs », qui a lieu en 258 après J.-C. : le nord du territoire appartenant aux Francs et le sud aux Alamans. Les Alamans, tout comme les Francs, ne sont pas des peuples originaires du territoire mais sont des tribus guerrières d’envahisseurs germains qui ont offert leurs services militaires à un moment à l’empire romain. En tout cas, ni Francs ni Alamans n’ont rien à voir avec les Gaulois !!!

Alors qui sont les Gaulois ? Ils font partie des Celtes, ces envahisseurs venus des steppes d’Asie centrale. Ils ne se distinguent nullement des autres Celtes qui ont occupé le reste de l’Europe. Le fait de particulariser les Celtes de la Gaule chevelue est géographique et non ethnique ni culturel. En fait, c’est vraiment Jules César qui a considéré le territoire qu’il voulait conquérir comme spécifique et a appelé d’une dénomination commune tous les peuples qui y résidaient.

Mais le territoire ne va pas se contenter des divisions précédemment citées parce qu’il va encore être plusieurs fois envahi, diversement suivant les régions : par des Goths, des Vandales, des Alains, des Huns puis, au sud, par les Wisigoths, à l’est par des Burgondes, au sud-est par des Ostrogoths…

Toutes les conquêtes changent les populations et créent de nouveaux mélanges de populations, de mœurs, de langues, de croyances, de modes de vie…

Il en résultera qu’à l’époque de Clovis, loin d’être un territoire unique ou un peuple unique, il y a sept territoires différents, dont aucun ne se dit ni gaulois, ni franc, ni français mais Breton, Syagrius, Salien, Burgonde, Riouraires et Alaman (cela par exemple dans la période 450-550 après J.-C.).

Il y aura bien un moment un peu d’unification avec au nord les Francs et au sud les Wisigoths, mais c’est le pouvoir et ces classes dirigeantes qui avait cette couleur : au sein des peuples, tous les mélanges liés aux multiples invasions donnaient toutes les origines imaginables et toutes les cultures diverses dans les populations.

Et c’est loin d’être fini car ensuite auront lieu les conquêtes des Normands, des Hongrois, des Arabes entre 700 et 850… Une fois encore, les envahisseurs ne font pas que piller ou occuper, ils s’établissent, se mêlent aux populations précédentes, à leurs cultures, et modifient leurs modes de vie à leur contact.

Les dynasties successives de rois, mérovingiens, carolingiens, capétiens, pourront prétendre avoir des origines franques, mais ceux qu’ils gouvernaient étaient-ils le même peuple que lors de la première occupation franque de ce territoire ? Absolument aucun !

Aucune population n’est d’origine de ce territoire puisque déjà les premiers peuples du néolitique ne sont même pas les peuples mégalithiques qui viendront ensuite et encore moins les Celtes qui envahiront après...

En tout cas, sous aucun roi, ni ceux-là, ni leurs prédécesseurs, ni leurs sucesseurs, le fait que la population se sente de telle ou tele origine n’aura eu aucun rôle dans la formation des frontières et c’est seulement les guerres, les alliances, les mariages royaux qui en auront une. On ne se préoccupait pas à l’époque de faire croire aux peuples que l’opinion publique soit déterminante dans les choix des gouvernants !!!

Gaulois

Peuples gaulois et aquitains

Celtes

Langues

La France

Origines

Gaulois et Francs, entre les deux les gallo-romains !

Qui étaient les Gaulois

Messages

  • Pour César, ce qui caractérise la « Gaule », c’est d’être « chevelue ». Ce ne sont pas les poils des populations qu’il caractérise mais les forêts de la région. La Gaule n’est pas un peuple mais une région de forêts.

  • De nombreux hommes politiques français ont joué sur la corde gauloise des Français :

    En voyage au Danemark, Macron fustige “le Gaulois réfractaire au changement”, se servant de ces prétendues origines pour dénoncer les Gilets jaunes !

    Le 19 septembre 2016, à Franconville, Sarkozy affirme : « Si l’on veut devenir français, on parle français, on vit comme un Français. Nous ne nous contenterons plus d’une intégration qui ne marche plus, nous exigerons l’assimilation. Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois. », se servant de ces prétendues origines pour dénoncer l’islam…

    Fillon se rassure :
    « Là-bas, il y a quelques siècles, un rebelle gaulois, Vercingétorix, infligea une défaite magistrale à Jules César... qui était pourtant le favori des sondages ! »

    Mais une seule phrase de Jules César, qui a construit le mythe des Gaulois pour se revaloriser aux yeux des Romains, nous rappelle que nous ne connaissons absolument pas les anciens dirigeants gaulois :

    « Le plus grand nombre, et des plus belliqueux Gaulois qui furent de ceste conspirée rebellion, estoit conduit par Ambiorix. »

    Ambiorix ?!!! C’est un chef guerrier des Éburons ! Les Éburons, vous ne connaissez pas plus ? Eh bien, on pourrait en faire le plus guerrier des Français, mais, manque de chance, il est…. Belge !!! voir ici

  • L’erreur ou la tromperie première à dire Gaulois = Français, c’est qu’on y transforme une fédération provisoire de peuples pratiquant le tribalisme en une nation bourgeoise, grand écart extraordinaire.

    « Ce droit national, sur quel critérium le fonder ? à quel signe le connaître ? de quel fait tangible le faire dériver ?

    De la race, disent plusieurs avec assurance.

    Les divisions artificielles, résultant de la féodalité, des mariages princiers, des congrès de diplomates, sont caduques. Ce qui reste ferme et fixe, c’est la race des populations. Voilà ce qui constitue un droit, une légitimité. La famille germanique, par exemple, selon la théorie que j’expose, a le droit de reprendre les membres épars du germanisme, même quand ces membres ne demandent pas à se rejoindre. Le droit du germanisme sur telle province est plus fort que le droit des habitants de cette province sur eux-mêmes. On crée ainsi une sorte de droit primordial analogue à celui des rois de droit divin ; au principe des nations on substitue celui de l’ethnographie. C’est là une très grande erreur, qui, si elle devenait dominante, perdrait la civilisation européenne. Autant le principe des nations est juste et légitime, autant celui du droit primordial des races est étroit et plein de danger pour le véritable progrès.

    Dans la tribu et la cité antiques, le fait de la race avait, nous le reconnaissons, une importance de premier ordre. La tribu et la cité antiques n’étaient qu’une extension de la famille. À Sparte, à Athènes, tous les citoyens étaient parents à des degrés plus ou moins rapprochés. Il en était de même chez les Beni-Israël ; il en est encore ainsi dans les tribus arabes. D’Athènes, de Sparte, de la tribu israélite, transportons-nous dans l’Empire romain. La situation est tout autre. Formée d’abord par la violence, puis maintenue par l’intérêt, cette grande agglomération de villes, de provinces absolument différentes, porte à l’idée de race le coup le plus grave. Le christianisme, avec son caractère universel et absolu, travaille plus efficacement encore dans le même sens. Il contracte avec l’Empire romain une alliance intime, et, par l’effet de ces deux incomparables agents d’unification, la raison ethnographique est écartée du gouvernement des choses humaines pour des siècles.

    L’invasion des barbares fut, malgré les apparences, un pas de plus dans cette voie. Les découpures de royaumes barbares n’ont rien d’ethnographique ; elles sont réglées par la force ou le caprice des envahisseurs. La race des populations qu’ils subordonnaient était pour eux la chose la plus indifférente. Charlemagne refit à sa manière ce que Rome avait déjà fait : un empire unique composé des races les plus diverses ; les auteurs du traité de Verdun, en traçant imperturbablement leurs deux grandes lignes du nord au sud, n’eurent pas le moindre souci de la race des gens qui se trouvaient à droite ou à gauche. Les mouvements de frontière qui s’opérèrent dans la suite du Moyen Âge furent aussi en dehors de toute tendance ethnographique. Si la politique suivie de la maison capétienne est arrivée à grouper à peu près, sous le nom de France, les territoires de l’ancienne Gaule, ce n’est pas là un effet de la tendance qu’auraient eue ces pays à se rejoindre à leurs congénères. Le Dauphiné, la Bresse, la Provence, la Franche-Comté ne se souvenaient plus d’une origine commune. Toute conscience gauloise avait péri dès le IIe siècle de notre ère, et ce n’est que par une vue d’érudition que, de nos jours, on a retrouvé rétrospectivement l’individualité du caractère gaulois.

    La considération ethnographique n’a donc été pour rien dans la constitution des nations modernes. La France est celtique, ibérique, germanique. L’Allemagne est germanique, celtique et slave. L’Italie est le pays où l’ethnographie est la plus embarrassée. Gaulois, Étrusques, Pélasges, Grecs, sans parler de bien d’autres éléments, s’y croisent dans un indéchiffrable mélange. Les îles Britanniques, dans leur ensemble, offrent un mélange de sang celtique et germain dont les proportions sont singulièrement difficiles à définir.

    La vérité est qu’il n’y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l’analyse ethnographique, c’est la faire porter sur une chimère. Les plus nobles pays, l’Angleterre, la France, l’Italie, sont ceux où le sang est le plus mêlé. L’Allemagne fait-elle à cet égard une exception ? Est-elle un pays germanique pur ? Quelle illusion ! Tout le Sud a été gaulois. Tout l’Est, à partir d’Elbe, est slave. Et les parties que l’on prétend réellement pures le sont-elles en effet ? Nous touchons ici à un des problèmes sur lesquels il importe le plus de se faire des idées claires et de prévenir les malentendus. »

    Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?

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