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L’Europe de l’ouest après la révolution russe de 1917

vendredi 27 juin 2008, par Robert Paris

“ Te réjouis-tu des Russes ? Bien entendu, ils ne pourront se maintenir parmi ce sabbat infernal - non pas à cause de la statistique qui témoigne du développement économique arriéré de la Russie ainsi que l’a calculé ton judicieux époux - mais parce que la social-démocratie de cet Occident supérieurement développé est composée de poltrons abjects qui, en spectateurs paisibles, laisseront les Russes perdre tout leur sang. Mais une pareille mort vaut mieux que de “ rester en vie pour la patrie ” ; c’est un acte d’une envergure historique mondiale dont les traces resteront marquées à travers les siècles. J’attends encore de grandes choses au cours des prochaines années ; seulement j’aimerais admirer l’histoire du monde autrement qu’à travers la grille... ”

Rosa Luxemburg, Lettre à Louise Kautsky, Breslau. Prison pénitentiaire,
24 novembre 1917. ”

“ Le triomphe du prolétariat au lendemain de la guerre a été une possibilité historique. Mais cette possibilité ne s’est pas réalisée, et la bourgeoisie a montré qu’elle sait profiter des faiblesses de la classe ouvrière. ”

L. Trotsky, Discours au 3° Congrès de l’Internationale communiste,
juillet 1921. ”Dans « Moscou sous Lénine d’Alfred Rosmer

« En France, la poussée révolutionnaire qui se développa dès la fin des hostilités entraîna, à côté des ouvriers, des paysans, des intellectuels, des couches de la petite bourgeoisie, ceux des anciens combattants, nombreux, qui, éclopés ou indemnes, rentraient au foyer avec l’idée bien arrêtée d’un compte à régler : le gouvernement et le régime qui les avaient réduits pendant quatre ans à la vie bestiale des tranchées et des assauts pour le " Communiqué " devraient payer ! La bourgeoisie était désemparée : elle restait interdite devant les conséquences de la guerre qu’elle n’avait pas même entrevues ; elle avait perdu la foi dans son destin.
Cette poussée révolutionnaire si forte en étendue et en volonté claire fut freinée par les hommes qui dirigeaient alors partout dans le monde les organisations syndicales et les partis socialistes. Profitant de l’inexpérience des nouveaux venus ils réussirent, masquant leurs manœuvres par des phrases démagogiques, à les détourner de toute action révolutionnaire. Les effectifs avaient considérablement grossi ; en France, le Parti socialiste était passé de 90.000 membres en juillet 1914 à 200.000, et la C.G.T., réduite au début de la guerre, par le seul fait de la mobilisation, à des syndicats squelettiques, pouvait, pour la première fois dans son histoire, prétendre être une organisation de masses avec ses deux millions de syndiqués réguliers. Il suffisait donc, disaient les chefs réformistes, de rester unis pour être forts, pour être capables d’imposer aux gouvernants, sur chaque problème important, la volonté de la classe ouvrière. On affirmait, en paroles, sa solidarité avec la Révolution russe, mais il ne serait pas nécessaire, ajoutait-on, dans les nations démocratiques d’Occident, de recourir à la violence car ici un ordre nouveau pourrait être instauré par la simple réalisation d’un programme économique élaboré par les organisations ouvrières et que gouvernants et patrons devraient accepter. Ainsi seraient évitées les dures luttes, les souffrances, la misère qui étaient le lot des pays ravagés par des révolutions. J’eus l’occasion de constater plus tard, au cours de mon voyage à travers l’Europe, qu’il était relativement aisé de duper, par un tel mirage, les hommes dont la guerre avait fait des révolutionnaires ; à quoi bon se battre encore si le but peut être atteint sans combat ? Ainsi, en France, Jouhaux et ses amis de la direction confédérale qui s’étaient compromis à fond dans l’union sacrée, dans la guerre jusqu’au bout dont on voyait maintenant les immenses et vains sacrifices qu’elle avait exigés, réussirent à se maintenir à la tête de la C.G.T., tandis qu’au Parti socialiste les chefs du temps de guerre, écartés, n’étaient remplacés que par des éléments peu sûrs, soucieux avant tout de suivre le courant.
« Au début de 1920, la première grande grève d’après guerre, celle des cheminots, montra que la poussée révolutionnaire restait néanmoins très forte ; elle trouvait assez souvent sa juste expression dans les directions nouvelles que s’étaient données les organisations locales en opposition au réformisme camouflé des dirigeants confédéraux. Leur maturité était parfois remarquable. J’avais pu, durant mon séjour à Toulon, suivre de près l’activité de l’Union départementale des syndicats. Quand la grève des cheminots éclata, je fus frappé par l’intelligence dont témoigna le secrétaire de cette Union dans la préparation et l’organisation du soutien à donner aux grévistes. Il exposa avec clarté la signification de la grève, montra les développements qu’elle pouvait prendre dans une situation générale objectivement révolutionnaire, et il prévoyait les mesures de répression que le gouvernement ne manquerait pas de prendre ; pour assurer la continuation de l’action ouvrière, il formait sans plus attendre des équipes de remplaçants au Comité de grève. Tout cela dit et fait très simplement, sans rien de l’emphase assez fréquente chez les habitants de cette région. Surprises par la soudaineté du mouvement et par son ampleur, par la fermeté et la discipline qui marquaient son développement, les compagnies cédèrent rapidement. Elles devaient prendre leur revanche trois mois plus tard, aidées alors par le gouvernement, et par les dirigeants de la C.G.T.(réformiste) qui sabotèrent une grève de solidarité qui leur avait été imposée. »

Sommaire du site

Lénine et la révolution mondiale

Lénine, Tchitcherine, Trotsky

Manifeste : « Aux Masses laborieuses de France, d’Angleterre, d’Amérique et d’Italie »

Les Gouvernements Alliés contre les Soviets

octobre 1918

Ouvriers ! Comme un chien féroce détaché de sa chaîne, la presse capitaliste de vos pays tout entière hurle à l’intervention de vos gouvernements dans les affaires de la Russie, et crie d’une voix enrouée : « Maintenant ou jamais ! ». Mais en ce moment où les mercenaires de vos exploiteurs ont rejeté toute espèce de masque et réclament ouvertement une campagne contre les ouvriers et les paysans de Russie, même en ce moment ils mentent effrontément, ils vous trompent d’une façon éhontée. Car, au moment où ils menacent d’une intervention dans les affaires russes, ils mènent déjà des opérations contre la Russie Ouvrière et Paysanne. Ils fusillent déjà les travailleurs des Soviets sur le chemin de fer de Mourman dont ils se sont emparés. Sur l’Oural ils détruisent les conseils ouvriers, ils fusillent leurs représentants par l’intermédiaire des détachements Tchéco-Slovaques entretenus avec l’argent du peuple français, dirigés par des officiers français. Sur l’ordre de vos gouvernements, ils coupent le peuple russe des arrivages de blé, afin de forcer les ouvriers et les paysans de se mettre de nouveau autour du cou le nœud coulant des Bourses de Paris et de Londres.

L’agression directe entreprise actuellement par le capital anglo-français contre les ouvriers de Russie ne fait que parachever la lutte souterraine menée depuis huit mois contre la Russie Sovietiste. Dès le premier jour de la Révolution d’octobre, dès le premier moment où les ouvriers de Russie ont renversé leurs exploiteurs et où ils vous ont appelés à suivre leur exemple et à en finir avec la boucherie internationale, à en finir avec l’exploitation, dès ce moment vos exploiteurs se sont juré d’en finir avec ce pays, dont la classe ouvrière a, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, osé rejetée le joug capitaliste, osé se libérer de l’étreinte de la guerre.

Vos gouvernements ont soutenu contre les ouvriers et les paysans de Russie, cette même Rada ukrainienne qui s’est vendue à l’impérialisme allemand et qui a appelé les baïonnettes allemandes à son secours contre les paysans et les ouvriers d’Ukraine ; ils ont soutenu l’oligarchie roumaine, cette même oligarchie qui, par ses attaques contre le front Sud-Ouest a aidé à tuer la capacité de défense de la Russie ; leurs représentants ont acheté argent comptant ce même général Krasnoff qui, maintenant, de concert avec le militarisme allemand, essaie de couper la Russie du charbon du Donetz et du blé du Kouban, pour en faire la victime sans défense du capital allemand et russe ; ils ont soutenu financièrement et moralement le parti des socialistes-révolutionnaires de droite — ce parti de traîtres à la Révolution — qui, les armes à la main, se soulève contre le pouvoir des Ouvriers et des Paysans.

Mais lorsque tous leurs efforts n’eurent mené à rien, lorsqu’il est devenu évident que les bandits mercenaires sont une force insuffisante, ils n’ont pas hésité à sacrifier votre sang et ils entreprennent ouvertement une offensive contre la Russie, jetant au feu les forces des ouvriers et des paysans de France et d’Angleterre. Vous, qui versez le sang pour les intérêts des capitalistes sur la Marne et sur l’Aisne, dans les Balkans, dans la Syrie et la Mésopotamie, vous devez encore mourir dans les neiges de la Finlande septentrionale et sur les crêtes de l’Oural. Dans l’intérêt des capitalistes, vous devez être les bourreaux de la Révolution Ouvrière russe et masquer la croisade entreprise contre le prolétariat russe.

Vos capitalistes vous assurent que cette campagne n’est pas dirigée contre la Révolution russe, que c’est une lutte contre l’impérialisme allemand, auquel nous nous serions vendus. La fausseté et l’hypocrisie de cette assertion deviendront claires pour chacun de vous si seulement vous considérez les faits suivants : Nous avons été forcés de signer la paix de Brest-Litovsk qui démembre la Russie, précisément parce que vos gouvernements, sachant fort que la Russie n’était pas en état de poursuivre la guerre, se refusèrent à des pourparlers de paix internationaux, dans lesquels leur force eût sauvée la Russie et vous eût donné une paix acceptable. Ce n’est pas la Russie saignée aux quatre veines depuis trois ans et demie, qui a vendu votre cause : ce sont vos gouvernements qui ont jeté la Russie sous les pieds de l’impérialisme allemand. Quand nous avons été forcés de conclure la paix de Brest-Litovsk, les masses de notre peuple n’étaient pas en état de poursuivre la guerre. Et lorsque les agents de vos gouvernements tâchaient de nous entraîner dans la guerre, en nous assurant que l’Allemagne ne nous permettrait pas de rester en état de paix avec elle, notre presse leur répondait : Si l’Allemagne rompt la paix que nous avons acheté par de si grands sacrifices, si elle lève la main contre la Révolution russe, nous nous défendrons ; si les Alliés veulent aider dans la cause sainte de notre défense, qu’ils nous aident à réparer nos chemins de fer, à rétablir notre production ; car une Russie faible économiquement n’est pas en état de se défendre.

Mais les Alliés ne répondaient rien à ces appels de notre part, ils ne pensaient qu’à nous extorquer les intérêts des vieux emprunts que le capital français avait consentis au tsarisme pour l’entraîner dans la guerre et que le peuple russe depuis longtemps a payés par une mer de sang, des montagnes de cadavres. Non seulement les Alliés ne nous ont aidé en rien dans le rétablissement de notre capacité de défense, mais ainsi que nous l’avons prouvé plus haut, ils ont tenté par tous les moyens de détruire cette capacité de défense, en augmentant notre désorganisation intérieure, en nous coupant de nos dernières réserves de blé.

Les Alliés nous prévenaient que les Allemands allaient s’emparer des chemins de fer de Sibérie et du Mourman — ces deux dernières lignes directes qui nous relient au monde extérieur en dehors du contrôle allemand. Mais en fait, ce ne sont pas les Allemands qui se sont emparés de ces lignes — ils n’étaient pas en état de s’en emparer, car ils s’en trouvent trop loin — ce sont nos valeureux Alliés qui s’en sont eux-mêmes emparés. Sur le Mourman et en Sibérie, ils mènent la lutte non contre les Allemands, qui ne s’y trouvent pas, mais contre les ouvriers russes, dont ils détruisent partout les Soviets. Tout ce que la presse de vos capitalistes, tout ce que les agents de ceux-ci disent pour justifier leur attaque barbare contre la Russie, tout cela sans exception n’est qu’hypocrisie destinée à vous cacher le fond de la question. C’est dans d’autres buts qu’ils préparent leur campagne contre la Russie.

Ils poursuivent trois buts : le premier c’est l’occupation du plus grand territoire possible de la Russie, dont les richesses naturelles et ferroviaires assureraient au capital français et anglais les intérêts des emprunts. Leur second but, c’est l’écrasement de la Révolution russe, afin qu’elle ne vous inspire pas, afin qu’elle ne vous montre pas comment il est possible de secouer le joug du capitalisme. Leur troisième but, c’est la création d’un nouveau front oriental, qui distraie les Allemands du front occidental vers le territoire russe.

Les agents de vos capitalistes vous assurent que de cette façon, ils diminueront la pression que les hordes allemandes exercent sur vous et hâteront le moment de la victoire sur l’impérialisme allemand. Ils mentent. Ils n’ont pu vaincre l’Allemagne alors que combattait encore la grande armée russe qui assurait aux Alliés l’avantage du nombre ; d’autant plus ne sont-ils pas en état de vaincre sur le champ de bataille, maintenant que la nouvelle armée russe vient de naître seulement.

L’impérialisme allemand ne sera vaincu que lorsque l’impérialisme de tous les pays sera vaincu par l’offensive coordonnée du prolétariat mondial. Le chemin de cette victoire, ce n’est pas la continuation de cette guerre, mais sa cessation, ce qui ôtera à vous et aux ouvriers allemands la crainte d’une bourgeoisie étrangère avec ses buts d’usurpation ; la fin de la guerre des peuples, pour que la guerre civile internationale — guerre des exploités contre les exploiteurs — mette fin à toute injustice sociale aussi bien que nationale.

Les tentatives d’entraîner la Russie dans la guerre ne vous sauveront pas de la boucherie ; elles ne peuvent que placer sous le couperet les ouvriers russes, la Révolution ouvrière-paysanne russe, ce que personne ne désire plus que les chefs du parti militaire allemand qui, comme les plus proches voisins de la République russe, ont plus que tous autres, raison de craindre ses étincelles incendiaires.

En devenant l’instrument docile de vos gouvernements, dans leur criminelle conspiration contre la Russie, vous, les ouvriers de France et d’Angleterre, d’Amérique et d’Italie, vous devenez les bourreaux de la Révolution Ouvrière. Les descendants des Communards, dans le rôle des aides de Galliffet [1], voilà le rôle de la France ! Voilà le rôle que prescrivent vos maîtres.

Fils d’ouvriers anglais qui se sont levés d’un seul élan quand les gros propriétaires des filatures d’Angleterre voulurent aller à l’aide des esclavagistes américains, vous, dans le rôle des bourreaux de la Révolution russe, telle est la dégradation où veulent vous amener vos gouvernements.

Vous qui avez toujours haï le despotisme tsariste, vous devez, sur l’ordre des rois des trusts, aider à la création d’un nouveau tsarisme en Russie. Voilà de quoi il est question, ouvriers d’Amérique.

Vous, qui avez suivi avec enthousiasme toute manifestation de la guerre libératrice du Prolétariat, c’est vous, ouvriers d’Italie, que l’on veut faire les complices de la campagne anti-révolutionnaire contre la Russie ouvrière.

La Russie ouvrière vous tend la main, prolétaires des pays alliés. Ces gens, dont les mains sont empourprées du sang des victimes fusillées à Kern, à Samara, à Tomsk, sur l’ordre des chefs du corps expéditionnaire du Mourman et des directeurs de la mutinerie Tchéco-Slovaque, ces hommes osent crier que, sur l’ordre de l’Allemagne, nous rompons notre lien avec les peuples de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Amérique et de Belgique. Trop longtemps nous avons supporté sans nous émouvoir les outrages des représentants de l’impérialisme à la Russie Sovietiste. Nous avons permis de rester en Russie à ceux qui jadis léchaient les bottes du tsarisme, bien qu’ils n’aient pas reconnu le Gouvernement Ouvrier, nous n’avons pas eu recours à des répressions contre eux, bien que la main de leurs missions militaires fut visible dans chaque complot contre-révolutionnaire dirigé contre nous, et maintenant encore, lorsque les officiers français se sont trouvés à la tête des Tchéco-Slovaques, lorsque les britanniques du Mourman ont commencé, maintenant encore nous n’avons pas élevé un mot de protestation contre la présence de vos diplomates sur le territoire de la Russie Soviétiste , exigeant seulement leur venue de Vologda à Moscou, où nous pouvions mieux les défendre contre les attentats possibles de gens indignés jusqu’au fond de l’âme par leur façon d’agir.

Tout cela nous l’avons fait parce que nous ne voulions pas leur donner la possibilité de vous dire que nous rompions avec vous. Et même maintenant, après le départ des Ambassadeurs alliés, il ne tombera pas un cheveu de la tête des citoyens paisibles de vos pays vivant chez nous et obéissant aux lois de la République Ouvrière et Paysanne. Nous somme convaincus que si nous rendons coup pour coup aux usurpateurs « alliés », non seulement vous regarderez cela comme une action de légitime défense de vos propres intérêts, car le salut de la Révolution russe est dans l’intérêt commun des prolétaires de tous les pays. Nous sommes convaincus que toute mesure prise contre vous aussi bien que contre nous, sera approuvé par le prolétariat de tous les pays.

Obligés de lutter contre le capital alliés qui veut ajouter des chaînes nouvelles aux chaînes que nous impose déjà l’Impérialisme allemand, nous nous adressons à vous avec cet appel : Vive la solidarité des ouvriers du monde entier ! Vive la solidarité du prolétariat de France, d’Angleterre, d’Amérique et d’Italie avec celui de Russie ! A bas les bandits de l’Impérialisme international ! Vive la Révolution Internationale ! Vive la paix entre les peuples !

Au nom des Commissaires du Peuple :
Le Président des Commissaires du Peuple : V. Oulianov (Lénine). — Le Commissaire du Peuple pour l’Etranger : G. Tchitcherine. — Le Commissaire du Peuple à la Guerre : L. Trotsky.

note

[1] — Galliffet, Gaston Alexandre 1830-1909 - Général ; fit carrière en Crimée en Algérie et au Mexique ; officier d’ordonnance de Louis Bonaparte et courtisan complaisant du régime ; combattit à Sedan - 1870 - fait prisonnier à la capitulation, de retour en France il prend le commandement d’une brigade de cavalerie dans l’armée versaillaise ; se glorifia de massacrer les prisonniers de la Commune ; ensuite fut nommé général de division - 1875 - ; commandant de corps d’armée -1879 - s’opposa au nom de l’armée à l’amnistie, au retour des exilés de la Commune, nommé gouverneur de Paris -1880 - ministre de la guerre en 1899 dans le cabinet Waldeck-Rousseau avec le socialiste Millerand.

Edouard Dolléans, historien, rapporte des luttes de classe et des révolutions. Cela ne veut pas dire qu’il se situe à leurs côtés.

extrait de "L’histoire du mouvement ouvrier"

Entre 1917 et 1930, deux événements allaient éveiller dans les esprits attentifs le souci d’une révolution de l’esprit. D’abord, en 1917, la Révolution russe, « proclamation véhémente d’un espoir gigantesque », avait posé le problème de la mobilité du monde. Les racines de notre pensée plongeaient dans le désespoir. « Ce monde est inacceptable en soi. Inacceptable le sort qu’il nous fait.... Et me voici... réveillé à l’espoir par la Révolution russe... » (Victor Serge).

Au fur et à mesure des vicissitudes et des évolutions soviétiques, des consciences ardentes et droites se préoccupaient de savoir si les organisateurs d’une révolution socialiste ne devaient pas d’abord être socialistes, c’est-à-dire, selon la définition de Charles Andler, « avoir passé par une régénération de tout l’être et par une reconstruction intérieure de tout l’esprit », et si l’on peut recommencer la création du monde sans commencer par la révolution de soi.

Le second événement, en 1929, allait être la crise économique qui, touchant les indifférents au vif de leurs intérêts, secouait un peu leur paresse de pensée, leur suggérant des remèdes divers et étrangers à une crise de désespérance et de manque de foi. Sollicité par des courants contraires, chacun n’apportait à la cité que des divergences intérieures qui venaient encore accroître la désharmonie entre les nations.

En face de ce désarroi, les uns, attachés à leur tranquillité à tout prix, se mettent les mains sur les yeux. D’autres cherchent à esquiver la réalité : ils s’abandonnent, soit à une démence partisane excluant tout sens critique, soit à une frivolité soumise au seul plaisir de l’instant. Fanatiques ou nonchalants, ils s’excusent en désignant les deux fatalités qui les guettent : fatalité politique aux masques personnels, fatalité économique anonyme qui précipite les individus dans un gouffre dont surgirait, grâce à une discipline mécanique, un ordre de fer.

(...)

Pendant les années 1919, 1920, 1921, les syndicalistes français avaient suivi avec un intérêt passionné la vie des organisations ouvrières à l’étranger, et tout particulièrement l’évolution du syndicalisme britannique. Les syndicalistes révolutionnaires croyaient reconnaître dans les shop-stewards (délégués d’atelier) les minorités agissantes des C. S. R. (Comités syndicalistes révolutionnaires) ; la Triple-Alliance leur apparaît, grâce à ses effectifs, l’organisation capable de déclencher les « vagues successives » propres à paralyser l’Économie du pays.

En 1919, la grève des cheminots anglais met une première fois à l’épreuve les forces du trade-unionisme. Elle éclate en septembre. Elle est accueillie par le Times en ces termes : « Comme la guerre avec l’Allemagne, ce doit être une guerre jusqu’au bout. » Le secrétaire général des cheminots, J. H. Thomas, un réformiste et par tempérament un modéré, n’avait signé l’ordre de grève qu’après de longues hésitations ; il y avait été contraint par l’intransigeance du gouvernement. Et il avait tenu à déclarer en lançant l’ordre de grève : « C’est le plus triste jour de ma vie. J’ai tant fait pour trouver un moyen de conciliation, j’ai échoué. » En effet, depuis février 1919, des négociations se poursuivaient avec le gouvernement en vue d’obtenir la revendication essentielle des cheminots, la standardisation des salaires, dont la moyenne chez les cheminots anglais était très inférieure dans chaque catégorie à celles des mêmes emplois dans les entreprises industrielles. Pourtant, Lloyd George prétend que la grève a été déclenchée par une poignée d’anarchistes. De son côté, la presse multiplie les provocations : « C’est un appel au massacre, en même temps que la mobilisation de toutes les ressources du temps de guerre contre nos propres citoyens », déclare J. H. Thomas, et il ajoute : « Les déclarations des journaux ne peuvent signifier qu’une chose, c’est que le gouvernement doit traiter les 500.000 cheminots, dont beaucoup ont défendu la vie et la liberté des citoyens de ce pays contre le militarisme prussien, comme s’ils étaient des étrangers et des ennemis. »

Le 27 septembre, le trafic est complètement paralysé. Mais des navires de guerre viennent mouiller à l’embouchure de la Tamise ; des soldats, baïonnettes au canon, parcourent les rues de Londres. Les cheminots ont fait appel à la solidarité ouvrière. A Leeds, 1.500 postiers refusent de participer au transport des lettres par automobile. L’opinion générale des grandes corporations ouvrières est favorable aux cheminots. Les Compagnies font appel au recrutement de volontaires ; seulement, le 1er octobre, il n’y a que 800 trains en service, soit 2 p. 100 du service normal. Des usines sont obligées de fermer, faute de charbon ; des mines cessent de travailler, parce que le charbon n’est pas enlevé.

J. H. Thomas a voulu conserver à la grève son caractère corporatif ; il a refusé l’aide des employés de tramways et omnibus de Londres, celle aussi des électriciens. Cependant, peu à peu, la grève a une tendance à se généraliser. Le 1er octobre, les organisations des transports, des postiers, de l’industrie du livre, des mécaniciens constructeurs de navires, à la suite d’une réunion, décident d’envoyer une délégation au premier ministre. Celui-ci pose, comme condition préalable à toute négociation, la reprise du travail. Les cheminots refusent. Une nouvelle réunion des grandes corporations ouvrières a lieu. Leur pression amène le gouvernement à trouver un compromis. La grève avait duré neuf jours et n’avait été qu’une grève corporative, qui n’avait pas permis d’amorcer la grève générale.

Au printemps de 1920, la question minière va être une épreuve plus sérieuse pour le trade-unionisme anglais et pour la Triple-Alliance. La question minière posait, au lendemain de la guerre, des problèmes d’une portée qui n’était pas seulement sociale, mais nationale. Par suite de la législation britannique et des méthodes d’exploitation, l’exploitation minière était divisée entre des milliers de sociétés indépendantes, l’organisation du travail était défectueuse. Cette situation défavorable était bientôt aggravée par la concurrence allemande, française, polonaise ; et, à partir de 1921, les exportations anglaises allaient se trouver singulièrement réduites. Au lendemain de l’armistice, la Miners’ Federation, dont les effectifs s’élèvent à 800.000 syndiqués, se préoccupe des difficultés auxquelles est exposée l’industrie houillère britannique. La Miners’ Federation est dirigée par deux hommes de valeur, Robert Smilie et Franck Hodges. Ils réclament la nationalisation des mines et présentent un projet de loi à la Commission Sankey, présidée par le juge Sankey et nommée par le Coal Industry Commission Act (26 février 1919). Cette Commission avait en effet pour mission d’enquêter sur les salaires, les heures de travail, le prix de revient et le coût de la distribution, les prix de vente et les profits, et d’examiner tout projet d’organisation future de l’industrie houillère. Elle comprend trois délégués de la Fédération des Mineurs, trois représentants des compagnies minières, trois représentants des autres industries et trois économistes socialistes. Le 20 juin 1920, le juge Sankey dépose son rapport définitif. Ce rapport constate que la baisse du rendement est due à l’organisation de l’industrie minière . La majorité des membres de la Commission, composée des trois délégués mineurs, des trois économistes et du juge Sankey lui-même, présente un projet de nationalisation de la propriété et de l’exploitation minières . Mais, avec sa versatilité habituelle, après avoir tergiversé quelque temps, Lloyd George renonça au projet.

Pendant l’hiver de 1920 la nationalisation des mines paraît une réforme assez justifiée et assez populaire pour permettre de déclencher, avec des chances de succès, la grève générale. Les mineurs se prononcent pour la grève générale à une forte majorité : 524.000 contre 346.000. Mais, le 11 mars 1920, le Congrès syndical extraordinaire, réuni à Londres pour obliger le gouvernement à procéder à la nationalisation des mines, écarte la proposition de grève générale, soumise par les mineurs. A l’action syndicale comportant la grève générale, que préconisent Franck Hodges, secrétaire de la Fédération des Mineurs, et Tom Mann, secrétaire de la Société des Mécaniciens, le Congrès, à une grosse majorité, préfère l’action parlementaire, préconisée par J. H. Thomas, appuyé par Tom Shaw, des textiles, et J. R. Clynes, des ouvriers non qualifiés. Ceux-ci justifient leur attitude par le revirement de la majorité syndicale anglaise :

Au lendemain des élections générales kaki, les mineurs avaient eu avec eux, pour la grève générale, la masse syndicale, le centre qui suit tantôt un courant, tantôt un autre. Aujourd’hui, après la série des succès électoraux travaillistes aux élections partielles, le centre est contre eux et suit les politiciens partis à la conquête de la Chambre des Communes.
Pourquoi l’aventure risquée d’une grève générale, quand nous avons à notre portée un moyen plus simple, moins coûteux et certainement pas aussi dangereux ? Nous devons montrer aux travailleurs que la voie saine, c’est d’user intelligemment du pouvoir que leur offre la Constitution la plus démocratique du monde et qui leur permet d’obtenir tout ce qu’ils désirent (J. H. Thomas).

J. H. Thomas , par son influence, fait échec aux syndicalistes qui escomptaient le succès d’une grève générale, grâce au jeu de la Triple-Alliance.

Au reste, en mars-avril 1920, des syndicalistes révolutionnaires, partisans de l’action directe, estiment que l’heure de l’action des masses ouvrières coïncide avec celle des réformistes. C’est ainsi qu’en avril 1920, G.D.H. Cole déclare à Sisley : « Je suis un partisan déterminé de l’action directe, mais à condition qu’elle puisse être efficace ; je n’y suis pas favorable à l’heure actuelle : elle ne réussirait pas. »

Dans la pensée de G.D.H. Cole, comme dans celle des syndicalistes révolutionnaires français, l’action directe est liée à la théorie des minorités agissantes :

Les révolutions ne sont jamais faites par la majorité, mais par des minorités : la minorité n’est pas obligée d’attendre que la majorité consente à faire la Révolution.... Sans doute, mais, en Grande-Bretagne, tout mouvement conduisant à la violence est stupide, parce qu’il n’a aucune chance : nous devons nous consacrer à consolider les forces ouvrières et l’œuvre de construction. Voilà la politique qui s’impose à la classe ouvrière et qui lui donnera une situation très forte, lorsque la catastrophe viendra.... Ma position personnelle est bien nette : la politique de violence est absurde, à moins qu’il n’y ait pas d’autre voie. En 1917, en Russie, j’aurais suivi Lénine ; la Russie se trouvait dans un tel gâchis ! En Allemagne, j’adopterais la même ligne de conduite. Mais je ne prendrais certainement pas la même attitude en France, où j’agirais en accord avec les chefs cégétistes.

En 1921, nouvelle velléité d’action de la part des mineurs. Ils réclament la fixation d’un profit maximum égal au profit moyen national d’avant-guerre, et le partage de tout profit supplémentaire, sur une base nationale, entre patrons et ouvriers. Les Compagnies minières décident de résister aux revendications ouvrières. Elles veulent profiter de la crise de 1920, point de départ d’une dépression qui annonce une situation chronique de surproduction. Elles entendent substituer des négociations régionales aux négociations nationales avec la Miners’ Federation. Elles déclarent le lock out. La Fédération des Mineurs fait appel à la Triple-Alliance. Les chefs trade-unionistes semblent résolus à pousser à fond une lutte qui n’intéresse pas seulement les mineurs, mais qui, en pleine période de baisse des prix, met en jeu deux principes celui des négociations nationales entre organisations patronales et fédérations ouvrières, et celui de la résistance à la baisse des salaires. Mais, au lieu d’agir, les leaders de la Triple-Alliance négocient avec le premier ministre ; dès le début, les dirigeants des fédérations, selon le Labour Leader, manifestent leur indécision :

S’il devait y avoir une grève de la Triple-Alliance, une grève de sympathie envers les mineurs, elle aurait dû avoir lieu avant que le gouvernement n’ait utilisé les chemins de fer pour transporter et éparpiller ses gardes blanches, avant que la ploutocratie ait pu remplir ses caves de provisions et de charbon, avant que les mineurs n’aient mangé leurs modestes fonds. Tandis que l’on voit arriver les canons et les mitrailleuses, la police s’armer, les trains circuler chargés de volontaires, de loyalistes, l’ardeur se perd et on laisse passer le moment psychologique.... Aujourd’hui, s’il doit y avoir une grève de la Triple-Alliance, il est inutile de se laisser aller à tant de bavardages pendant que nos gouvernements capitalistes se préparent d’une façon adéquate et effective à la lutte.

Les « bavardages » dont parle le Labour Leader, ce sont justement les négociations poursuivies avec le gouvernement de Lloyd George, ce Clemenceau méthodiste qui, pour gagner du temps, les fait traîner en longueur. Celui-ci, comme M. Millerand en France pendant la grève des cheminots, cherche à organiser des corps de volontaires ; il lance des campagnes de presse qui ridiculisent et caricaturent les mineurs ; et, d’autre part, le gouvernement escompte l’épuisement des ressources syndicales des mineurs. La Triple-Alliance renonce à intervenir ; ou plutôt, après avoir lancé l’ordre de grève, le vendredi 15 avril 1921, cette fois encore, c’est le secrétaire général des cheminots, J. H. Thomas, qui recule et annule cet ordre. Nouvel échec, qui aboutit à l’écrasement des mineurs laissés à leur propre effort. Pour la seconde fois en une année (1920-1921), la Triple-Alliance avait avoué son impuissance et laissé passer, selon l’expression du Labour Leader, l’instant psychologique. « La Triple-Alliance survivra-t-elle à cette épreuve ? L’illusion mensongère de la force de la Triple-Alliance est apparue.... Entre les mains réformistes des anciens ministres de Lloyd George, qui mettent tous leurs espoirs dans la stratégie des négociations, la Triple-Alliance ne pouvait donner d’autre résultat que la déception d’une reculade et d’une capitulation. » Donc, les minoritaires français ne condamnaient pas l’organisation, mais les hommes.

Quelques années plus tard, la Triple-Alliance allait tenter encore une fois l’épreuve de sa force. Un nouveau conflit se produira en 1926 entre les mineurs et les Compagnies houillères qui, en présence de la baisse des exportations anglaises, voudront imposer une baisse des salaires. De plus, le 11 mars 1926, la décision de la Commission d’enquête, présidée par Sir Herbert Samuel, appuyant le rachat des Compagnies minières, leur fusion et leur gestion contrôlée par le gouvernement, offre un nouveau sujet de mécontentement aux mineurs. Le Conseil général des Trade-Unions décide d’appuyer par une grève générale leurs revendications .

Le 5 mai 1926, la grève générale provoque l’arrêt des moyens de transports. Un seul journal paraît, le British Worker, publié par le Conseil général des Trade-Unions. Mais, le 12 mai, un compromis proposé par Sir Herbert Samuel est accepté : Le Conseil des Trade-Unions retire l’ordre de grève ; mais la Fédérations des Mineurs poursuit la lutte, quelques mois encore, jusqu’à l’épuisement de ses ressources.

En 1919, 1920, 1921 et 1926, la Triple-Alliance s’est montrée hésitante et elle n’a pas poursuivi son expérience jusqu’au bout.

Ces échecs successifs ont affaibli la puissance des organisations ouvrières, auxquelles une législation nouvelle enlève une partie de leurs conquêtes législatives d’avant-guerre. Depuis 1913, les Trade-Unions jouissaient de privilèges qui leur sont retirés par la loi du 29 juillet 1927. Cette loi proclame l’illégalité de toute grève n’ayant pas un caractère strictement corporatif. Quiconque prend part à une grève de cette nature se voit privé du bénéfice de l’Act de 1906, autorisant le picketing et proclamant l’irresponsabilité civile des Trade-Unions.

Ainsi les années 1921 à 1928 marquent un recul du syndicalisme en Grande-Bretagne.

Dans les nations attachées aux institutions de la démocratie politique entre 1925 et 1933, les classes sociales ont subi une évolution qui exprime leur réaction en face de l’après-guerre et de la crise.

De 1925, année de son retour à l’étalon-or, sous la forme du Gold Exchange Standard, jusqu’au 21 septembre 1931, date de la dévaluation, la Grande-Bretagne traverse une crise sociale et économique profonde .

A la suite de l’échec de la grève générale, des négociations se poursuivent entre les délégués des Trade-Unions et les représentants du grand capitalisme anglais, sous l’influence de Sir Alfred Mond. Et, en janvier 1928, le Congrès des Trade-Unions adopte un programme tendant à organiser une entente entre les organisations ouvrières et patronales. Après certaines résistances, la Fédération des Industries Britanniques reconnaît officiellement les Trade-Unions et recommande aux industriels de conclure des conventions collectives avec les syndicats affiliés au Congrès des Trade-Unions. Le Congrès accepte l’application générale de la rationalisation, sous la condition que celle-ci comporte le maintien des salaires et la participation des ouvriers à l’introduction des nouvelles méthodes. Le 26 juin 1930, le Conseil du Congrès trade-unioniste se prononce en faveur d’une politique impériale impliquant la renonciation au libre-échange. En 1930, également, le ministère travailliste réduit dans les mines la durée du travail de 8 à 7 heures par jour et crée un Conseil économique national permanent, qui comprend une représentation des Trade-Unions. Mais, dès 1932, cette tentative de rapprochement patronal-ouvrier échoue. Une rupture se produit. Celle-ci est le résultat autant de la résistance passive des industriels que de la crise financière britannique. L’offensive patronale contre les salaires, l’abaissement des indemnités de chômage, dès janvier 1931, provoquent des grèves en Lancashire et dans le pays de Galles. Et, en juillet-août, le Cabinet travailliste est atteint par la crise financière. La souveraineté légale a été mise en échec par les puissances anonymes, le gouvernement a cédé devant la menace des intérêts privés : « Le Parlement n’eût pu contrôler les banquiers en 1931 ; le mouvement de la finance a déterminé le cours des événements avant même qu’on pût être appelé à une prise de contact. » Dès septembre 1931, le Congrès ouvrier de Bristol renonce à la tentative de collaboration amorcée.

L’échec du gouvernement travailliste s’expliquait par le fait qu’une politique sociale de grande envergure ne peut se développer qu’au détriment du profit. Mais, en s’attaquant au profit, cette politique sociale tend à paralyser le moteur qui maintient le mécanisme économique en mouvement. La perte des débouchés, qui résulte d’un prix de revient trop élevé, peut obliger les industriels à choisir entre la diminution des salaires et l’accroissement du chômage. Dans les cadres d’une Économie capitaliste, un gouvernement travailliste se trouve contraint de faire fléchir le pouvoir qu’il détient devant les puissances de fait .

L’essai de collaboration de 1927 à 1931 s’expliquait par le fait que le peuple anglais prenait conscience de la crise traversée par la Grande-Bretagne. Celle-ci, trop sûre de sa suprématie, en présence d’un monde changeant, était restée longtemps paresseusement immobile. De ce qu’André Siegfried appelle la révolte du monde, aucun des pays de l’Europe n’avait souffert autant que la Grande-Bretagne. En face de cette crise, dès qu’il en eut conscience, le peuple anglais fit un effort de redressement étonnant. Pourtant, peut-être ne mesurait-il pas les raisons de cette évolution. La plus profonde était la transformation qui s’était produite dans le caractère et l’esprit des classes sociales, et singulièrement des classes dirigeantes en Grande-Bretagne.

Depuis plusieurs décennies déjà, les classes dirigeantes britanniques ont abandonné les vertus conquérantes qui ont assuré la suprématie de la Grande-Bretagne dans l’univers. Mais, au lendemain de la réforme monétaire de 1925, les temps sont venus où cette transformation sociale s’accentue. Entre 1926 et 1930, « la bourgeoisie britannique perd son individualisme créateur pour devenir un vaste fonctionnarisme au service d’organismes anonymes ».

L’échec de la grève générale de 1926 a renforcé les positions de la bourgeoisie ; mais la grande bourgeoisie d’affaires, qui voit ses préjugés sociaux partagés par le snobisme admiratif de la petite bourgeoisie, se fonctionnarise. Le capitaliste devient un bourgeois salarié, l’employé des collectivités économiques anonymes. Et, n’ayant plus pour ambition que de « maintenir » et non de conquérir, le grand capitalisme organise à son profit un système de sécurité et de garantie de ses revenus, en s’installant confortablement dans les sièges d’administrateurs des grandes sociétés. Les marchés industriels sont contrôlés par des monopoles de fait .

Et la législation protectrice ou réglementaire, votée par le Parlement britannique, complète l’organisation de ce système de la sécurité. En dépit de la rupture consacrée par les décisions du Congrès ouvrier de Bristol, dès 1931, le trade-unionisme n’échappe pas à la contagion de cet esprit de fonctionnarisme universel, puisqu’en 1932, à Southport, Harold Laski et Sir Stafford Cripps protestent contre le conservatisme des Trade-Unions.

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En Italie, ce ne fut qu’après la formation de l’unité italienne que l’on vit apparaître un commencement d’organisation syndicale. Ce mouvement débuta dans l’Italie du Nord, seule grande région industrielle de la péninsule. A partir de l’année 1874, où se constitua l’Association Nationale des Ouvriers Typographes, les Mutuelles ouvrières et les Coopératives se multiplièrent dans tous les centres industriels de l’Italie. En 1893 fut fondée à Parme la première Chambre du Travail, bientôt suivie de beaucoup d’autres : les travailleurs industriels et agricoles s’organisaient et prenaient conscience de leur force. Vers la même période, c’est-à-dire dans les dernières années du siècle, l’ancien Parti des travailleurs italiens devenait le Parti socialiste. Il connut un essor remarquable, surtout dans l’Italie du Nord. Parallèlement, on assista à une forte poussée du mouvement syndical. Il s’organisa à Milan, en 1902, un Secrétariat général des Chambres du travail, qui sera désormais le centre actif du mouvement ouvrier. Quatre ans plus tard, en 1906, un Congrès qui réunissait les représentants de 200.000 travailleurs décida la fondation de la Confederazione generale del Lavoro (CGT italienne).

L’organisation nouvelle adhérait à l’Internationale syndicale mais affirmait, d’autre part, sa volonté de demeurer indépendante vis-à-vis des partis politiques, y compris le parti socialiste. Elle groupait déjà, en 1911, 383.000 adhérents inscrits. Par ailleurs, les travailleurs catholiques avaient constitué de leur côté, des Ligues du travail, qui rassemblaient, en 1911, plus de 100.000 adhérents.

Il y a lieu aussi de mentionner l’Union syndicale qui avait été d’abord l’aile extrémiste de la CGT italienne, dont elle avait fini par se détacher. Elle groupait 100.000 adhérents environ, et était fortement influencée par les idées de Georges Sorel. Quelques-uns des chefs du fascisme sortiront de ses rangs.

En résumé, à la veille de la première guerre mondiale, l’ensemble des organisations syndicales italiennes rassemblait une masse de près de 600.000 travailleurs industriels et agricoles.

Un conflit latent opposait l’Union syndicale à la CGL. Ce conflit ne fera que s’accentuer avec la guerre ; le fascisme en sortira en partie, mais surtout de la crise sociale et nationale qui attend l’Italie.

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Au lendemain de l’Armistice de 1918, l’Italie se trouvait dans une situation infiniment plus défavorable que celle des pays aux côtés desquels elle avait combattu.

Ses espoirs, puis la désillusion profonde qui avait suivi la paix avaient suscité, dans une grande partie de la population italienne, une exaspération du sentiment national qu’exprimaient les mots : la vittoria mutilata. Et cette exaspération était encore devenue plus aiguë du fait des oppositions créées par l’entrée en guerre de l’Italie qui n’avait pas été accueillie d’une façon unanime, et n’avait pas seulement divisé les partis de gauche. Le parti socialiste et la plus grande partie des syndicalistes s’étaient déclarés pour la neutralité. L’Union Syndicale, et surtout son chef Rossini, avaient appuyé l’intervention de l’Italie aux côtés des Alliés. Les sentiments de mécontentement étaient restés si vifs que des officiers et même des soldats, coupables aux yeux de la foule d’avoir porté l’uniforme, étaient insultés dans la rue. Tout naturellement, l’atmosphère avait été encore aigrie par la déception dans la victoire. Enfin, les antagonismes trouvaient, dans les conséquences économiques de la guerre, de nouvelles raisons de se développer socialement, principalement par le contraste entre la misère ou l’effondrement des uns et le spectacle scandaleux de fortunes trop rapides et illégitimes ; leur seule cause était cette guerre dont justement les partis socialistes avaient voulu préserver l’Italie.

C’était bien, en effet, les dépenses de la guerre qui avaient conduit l’Italie à la situation obérée dont souffrait la grande masse du peuple italien, dans le coût de son existence, ses ressources et sa monnaie. L’économiste Einaudi, aujourd’hui président de la République italienne, a décrit avec précision les répercussions financières et sociales de la politique de 1914 à 1918 . Les dépenses croissantes de l’État avaient déterminé une dépréciation rapide de la lire. La conséquence était l’écrasement et la ruine de certaines classes sociales petite et moyenne bourgeoisie, professions libérales, petits propriétaires non exploitants, et également ces jeunes officiers que, pendant l’été de 1919, Nitti, le chef du gouvernement, voulant réduire les dépenses militaires, entendait rendre à la vie civile, et qui se trouvaient sans emploi. Et, par suite d’une accumulation de griefs ou d’un entrecroisement de reproches mutuels, les classes ruinées voyaient leur hostilité accrue contre les socialistes ; elles accusaient le parti d’être anti-national. Ceux-ci répondaient en montrant que l’Italie sortait de la guerre avec de très lourdes charges et des difficultés économiques presque insurmontables. Les dépenses croissantes de l’État avaient amené une dépréciation rapide de la lire. Le budget était passé de 2 milliards, en 1913-1914, à 30 milliards 85 millions, en 1918-1919 ; la circulation des billets qui n’était que de 2 milliards en juin 1914, s’était élevée à 20 milliards en décembre 1920, tandis que la dette publique atteignait 95 milliards. La même année, la lire ne valait plus qu’un cinquième de la lire 1914.

Double contraste et double opposition, l’une politique et l’autre sociale ; d’où une atmosphère de malaise qui doit provoquer des réactions violentes, comme celles qui se produisent, en juillet 1919 : les foules montent à l’assaut des magasins, dans les grandes et dans les petites villes. Tandis que la petite bourgeoisie et les classes moyennes en général souffrent du coût de la vie, les classes ouvrières n’en sont pas indemnes : à Milan, une famille ouvrière type doit faire face à une dépense de 120,05 lires, en juin 1919 ; en juillet, de 109,24 ; en août, de 108,07, et en novembre, de 118,53. En janvier 1920, la dépense est de 124,67 lires, et en décembre 1920, de 189,76 lires. Par rapport à 1914, l’augmentation du prix de la vie est de 560 p. 100 pour le premier semestre 1921. Par la comparaison entre 1914 et 1918, on voit la répercussion (lire et dollar) sur les importations de l’Italie en blé, charbon et pétrole.

Dans les grands centres industriels, en 1918-1919, les masses ouvrières sont essentiellement préoccupées de ce qui leur semble l’épopée de la Révolution d’octobre. Son héros, Lénine, leur apparaît le prophète annonciateur d’une révolution mondiale qui approche.

Le 21 janvier 1919, le chef du socialisme italien, Philippe Turati, explique dans un discours qu’afin de préparer les consciences à l’avènement de la société socialiste il faut agir par la transformation graduelle de la société ; Turati est interrompu par une voix qui s’écrie : « C’est trop long. » Sur quoi, Turati répond : « Si vous avez un chemin plus bref, dites-le moi... » - « La Russie, la Russie ! Vive Lénine !... »

La fin de la guerre avait paru marquer d’abord, en Italie, un sensible succès pour le socialisme et le syndicalisme.

Le parti socialiste avait obtenu, aux élections, un chiffre jamais atteint de 1.840.000 voix. Sur 535 députés à la Chambre, il y avait 156 socialistes.

Les masses ouvrières, elles aussi, paraissaient très conscientes de leur force qui s’exprimait par un double signe, la formation d’une élite ouvrière, et le nombre des effectifs de la Confédération générale du Travail qui s’élevaient à 2.150.000 adhérents, dont 1/3 se composait de paysans. Il faut ajouter que les effectifs paysans étaient surtout des journaliers. Et à ces effectifs, la Confédération italienne des Travailleurs pouvait opposer, en 1920 : 1.161.238 adhérents, parmi lesquels 944.812 socialistes, les démocrates chrétiens recrutant leurs adhérents en Piémont et dans la vallée du Pô où ils contrôlaient les coopératives agricoles locales dont le nombre, en 1921, était de 311.

L’évolution que vont suivre les événements peut étonner : elle s’explique par des raisons complexes dont l’une est la situation économique et l’atmosphère de l’Italie aux lendemains de la guerre et dont l’autre, d’ordre psychologique et politique, a été le fait que les socialistes n’ont pas été capables de diriger les masses populaires ; ils se sont contentés de les suivre : d’où la désaffection qui a accompagné cette défaillance. Les conséquences se sont manifestées presque aussitôt les premiers développements du fascisme n’ont rencontré aucun obstacle sérieux. Ce déclin du socialisme devait entraîner des conséquences plus lointaines : vingt ans plus tard, l’absence de l’influence socialiste expliquera la structure politique de la jeune République italienne.

Dès le mois de juillet 1919, des expéditions ouvrières avaient eu lieu ; elles avaient commencé en Romagne, à Ravenne, à Bologne et à Forli, puis dans toute l’Italie du Nord. A Rome, la municipalité avait du faire vendre au rabais les denrées alimentaires. Des terres avaient été occupées. En présence de l’abstention gouvernementale, le parti catholique populaire, créé par dom Sturzo, préconisait, avec l’autorisation du pape Benoît XV, le lotissement des latifundia en petites propriétés au profit des anciens combattants ; et le parti socialiste demandait l’exploitation collective de ces terres incultes. Aux élections de 1919, le parti populaire avait groupé 100 députés et le parti socialiste 156 ; mais ils ne pouvaient s’entendre sur un programme de réformes immédiates.

Le gouvernement paraissait impuissant en face d’une opinion publique divisée, désorientée et irritée par la menace des troubles sociaux.

Au commencement de 1919 s’étaient fondés deux partis : le 17 janvier 1919, le parti catholique populaire de dom Sturzo et le 23 mars 1919 le parti fasciste « sans aucun plan doctrinal précis » et dont Mussolini devait écrire : « Notre doctrine, c’était l’action. Le fascisme était né d’un besoin d’action et fut l’action. »

Le 29 août 1920 se produit ce premier événement décisif. La Fédération italienne des Ouvriers métallurgistes donne l’ordre d’occuper les usines. Des soviets s’organisent. Mais le Congrès syndical des 10 et 11 septembre 1920 refuse d’envisager la transformation révolutionnaire du mouvement et la prise du pouvoir par le parti socialiste. L’habile metteur en scène qu’est le ministre Giolitti profite de ce moment d’hésitation pour obtenir à la fois des entrepreneurs la reconnaissance du contrôle ouvrier et des ouvriers l’évacuation des usines.

À Livourne, en janvier 1921, le parti socialiste, en face de la concurrence communiste, apparaît en complet déclin ; la CGL (Confederazione Generale del Lavoro), qui restait encore puissante, perd des adhérents, chaque jour grignotée par l’Union italienne du Travail organisée par Rossini et qui groupe déjà 200.000 membres.

On n’ignore pas que Rossini a partie liée avec Mussolini. Né en 1883, Mussolini est de Romagne ; son père, ancien forgeron, tient un café : « Au rendez-vous des têtes chaudes. » Benito Mussolini pense que « Vivre, ce n’est pas calculer, mais c’est agir ; il faut dramatiser sa vie ». Il est arrêté pour violences contre les réservistes appelés sous les drapeaux. Il a quitté l’Italie pour la Suisse où il est tour à tour maçon et journaliste. Après un séjour à Paris, il avait rédigé à Trente un journal irrédentiste. Exclu du parti socialiste, il avait fondé, le 14 novembre 1914, le Popolo d’Italia, il s’était engagé, et, sergent de bersagliers, il avait été blessé.

Benito Mussolini, ayant repris la direction du Popolo d’Italia, avait réclamé, le 28 août, dans un premier manifeste, la réunion d’une Constituante qui organiserait la République italienne avec un pouvoir exécutif très décentralisé, et la proclamation de mesures sociales, telles que la taxation des fortunes privées, la journée de huit heures, la suppression des sociétés par actions.

Dans ses faisceaux de combat, Benito Mussolini rassemblait des nationalistes et des syndicalistes. Les Chemises Noires étaient encadrées d’anciens combattants et formaient une milice divisée en sections militaires.

Pourtant, Giolitti conserve la sérénité que lui donne la conviction où il est que le bolchevisme est aussi impossible en Italie que l’olivier à Moscou.

La grève générale d’août 1922 et l’échec de l’occupation des usines amènent deux résultats importants. D’une part, le patronat se groupe, créant à son tour les deux puissantes Confédérations générales de l’Industrie et de l’Agriculture, qui vont financer le fascisme naissant. D’autre part, les masses populaires elles-mêmes semblent se détacher des anciens partis politiques, et surtout du parti socialiste. Ce mouvement de désaffection est tel qu’en 1922, la CGL croit devoir reprendre son indépendance vis-à-vis de son ancien allié, le parti socialiste.

Les socialistes s’efforcent de dresser un barrage contre le courant. A Sarzana, une cinquantaine de fascistes sont tués. A Parme, la population ouvrière soutient une véritable bataille contre les miliciens de Balbo. Mais tandis que la poussée révolutionnaire décline, les grèves continuent, entretenant des émeutes, des violences dont les rouges sont considérés comme responsables. Et on s’étonne que l’État n’intervienne pas pour arrêter ce continuel désordre.

La chute du ministère Giolitti (31 juin 1921) a été suivie par l’arrivée de Facta, dont on a dit qu’il n’était au pouvoir que soutenu « par une police ridicule et ses moustaches blanches ». Et le fragile président s’écroule en présence d’une grève générale (août 1922) brisée par les Chemises Noires.

Groupées en faisceaux de combat et commandées par des officiers, ces bandes armées traquent, poursuivent, exterminent leurs adversaires. A l’État disparu, il ne reste qu’à substituer le nouveau pouvoir.

Le 20 octobre 1922, le ministère Facta ayant démissionné, le roi charge Salandra de former un ministère d’Union nationale. Le 24 octobre, Mussolini adresse un ultimatum au gouvernement.

Devant la menace des 80.000 Chemises Noires qui marchent de Pérouse sur Rome, appuyés par 150.000 autres miliciens, le nouveau ministre présente au roi, le 28 octobre, un décret proclamant l’état de siège. Le roi refuse de signer le décret.

Par télégramme, le roi charge Mussolini de former le ministère du 30 octobre 1922. Mussolini arrive à Rome par chemin le de fer et, le 31 octobre, les Chemises Noires défilent dans Rome.

ALLEMAGNE

Depuis l’armistice du 11 novembre 1918, la social-démocratie a pris le pouvoir en Allemagne. Pourtant, aux socialistes majoritaires dont l’opportunisme avait permis la prolongation de la guerre, s’oppose le groupe de Spartakus qu’inspirent Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. Le groupe Spartakus tient à Berlin un Congrès dont les décisions doivent être appliquées grâce à la grève générale et à l’insurrection armée.

Le 5 janvier 1919, les spartakistes occupent le siège du Vorwaërts et proclament la destitution du gouvernement Ebert-Scheidemann. Le futur président Ebert fait appel à l’armée. Nommé gouverneur de Berlin, Noske, ancien député socialiste, organise la répression. Blottis dans des immeubles, les spartakistes tiendront jusqu’au 12 janvier, résistant aux corps francs rassemblés par Noske .

Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont assassinés le 15 janvier 1919. Des mouvements révolutionnaires à Brême, en Rhénanie, à Magdebourg, en Westphalie et à Munich sont réprimés et la tentative spartakiste s’achève sur l’assassinat de Kurt Eisner.

En février 1919, Ebert est élu président du Reich. Le socialiste majoritaire Hermann Muller signe le traité de paix et par là, aux yeux des Allemands, engage la responsabilité des socialistes. Ceux-ci se trouvent déjà affaiblis en face de l’état-major qui a ramené les troupes à Berlin : elles y ont défilé et Ebert les a accueillies ainsi : « Je vous salue, vous qui revenez invaincus des champs de bataille. » Aussi les ministres doivent-ils s’enfuir à Stuttgart lorsque le 13 mars 1920 se produit le putsch Kapp.

Mais les syndicats ouvriers sauvent la situation en déclarant la grève générale, qui est totale le 14 mars 1920 et balaie le gouvernement insurrectionnel. Les syndicats ouvriers veulent imposer au gouvernement social-démocrate un programme comprenant la socialisation immédiate des industries concentrées ; les projets d’Économie dirigée dus à l’initiative de Rathenau, comme les réformes financières du leader du Centre Erzberger, se heurtent au veto du grand industriel Hugo Stinnes.

Erzberger est assassiné le 26 août 1921 et Walter Rathenau le 24 juin 1922. Ainsi, dès ses débuts, la République de Weimar paraît affaiblie par la disparition de ces quatre personnalités : Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht, Erzberger, Walter Rathenau qui, en des sens très divers sans doute, auraient pu lui communiquer leur dynamisme.

Le président Ebert, qui avait dû son élection au centre et à la social-démocratie, ne trouvait point de force dans cette coalition. Ni dans son caractère.

Walter Rathenau avait su signaler la double erreur, économique et psychologique, de n’avoir pas fixé la somme des réparations : « Ne demandez pas à la vache de produire quarante litres de lait. Elle ne le pourrait pas. Ne la rendez pas plus enragée. » Cette erreur pèsera lourdement sur les gouvernements sociaux-démocrates. On leur reprochera d’avoir accepté un engagement en blanc. Leur faiblesse était accrue par la situation industrielle. C’est le consortium Thyssen, Krupp, Otto Wolf et Hugo Stinnes qui a entre ses mains, à cette heure-là, les destinées allemandes. Des traités de commerce ont été signés dès 1920 avec la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Lettonie et on a été même en droit de dire que l’expansion reprend avec autant d’adresse, de méthode et de ténacité qu’avant-guerre. Plus importantes que l’association de la grande industrie, sont les unions personnelles et la concentration verticale dans les entreprises allemandes. Les puissances de fait, les grands industriels, loin de la freiner, trouvaient dans la chute du mark une prime à l’exportation de leurs produits. Ils en bénéficiaient dans l’équipement nouveau de leurs entreprises ; ils créaient un immense édifice économique et une machinerie redoutable pour les industries concurrentes.

Le dollar, qui valait 49 marks au début de 1920, en valait 7.500 en décembre 1922. Et l’année suivante, en 1923, l’effondrement, du mois de janvier au mois de décembre, peut être mesuré par la comparaison des chiffres suivants le mark or valait en janvier 4.281 marks papier, et en décembre 1.000.000.000.000. La prospérité industrielle avait pour cruelle contre-partie la misère du pays et la ruine des classes moyennes parmi lesquelles le national-socialisme va trouver une partie de ses troupes. Les magnats de la grande industrie ont retiré de leur politique un prestige que va accroître l’occupation de la Ruhr (11 janvier 1923), considérée comme une sanction au manquement des versements de l’Allemagne. Cette occupation suscite une réaction nationaliste qui, réunissant dans une même lutte de résistance passive industriels et travailleurs allemands, a pour effet de détourner la menace ouvrière qui aurait pu peser sur le patronat allemand si la pression étrangère n’avait pas masqué aux yeux de la population allemande les réalités économiques du capitalisme.

Il n’est pas inutile de rappeler ici la carte des forces électorales pour permettre de se rendre compte du morcellement et de la répartition des partis en Allemagne : pour le premier tour du scrutin du 29 mars 1925. on allait compter 7.800.000 socialistes, 3.900.000 membres du centre catholique, 1.500.000 démocrates, 1.900.000 communistes et 10.400.000 voix nationalistes.

La situation en Europe en 1920

La révolution russe : l’année 1917 selon le récit de Lénine et Trotsky et les photographies de l’époque

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