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Qui a assassiné Freund Hans, dirigeant trotskiste

lundi 8 novembre 2021, par Robert Paris

Lire les écrits de Hans Freund

FREUND Hans ( 1912 - 1937 ), dit MOULIN, militant du groupe Bolchevik-Léniniste

D’origine polonaise ou allemande des Sudètes. En Espagne au mois d’août, il collabore à la radio du POUM à Madrid.

Puis il rejoint Barcelone où il est l’un des dirigeants de la section des Bolcheviks-léninistes (SBLE).

En contact étroit au mois de mai 1937 avec les Amis de Durruti, il est bientôt arrêté à Barcelone et assassiné par des tueurs staliniens.

Bibliographie indicative :

— BROUE Pierre et TEMIME Emile, La révolution et la guerre d’Espagne, Les éditions de Minuit, 1961. [« Bientôt éclate un énorme scandale : Andrés Nín, arrêté en même temps que ses camarades, a disparu. Les staliniens insinuent qu’il s’est évadé et au questions posées sur les murs : « Ou est NIN ? » répondent par cette rime immonde : « A Salamanque ou à Berlin ». Le ministre de l’Intérieur avoue son impuissance, Negrin se déclare prêt à « tout couvrir », mais exige d’être informé. En fait Nin ne peut reparaître, car il a été assassiné. Livré par la police au chef de la NKVD en Espagne, Orlov, il a été enfermé dans une prison privée de Alcala de Henares, et torturé ai d’en obtenir des aveux sur le modèle de ceux des accusés des procès de Moscou. Mais il a résisté, et ses geôliers, impuissants devant cet homme torturé qui refuse de « collaborer », n’ont pu que s’en débarrasser. En fait, la résistance de Nín a jeté bas l’édifice préparé en Espagne sur le modèle de Moscou et probablement sauvé bien d’autres militants. Elle a en tout cas en grande partie détruit la façade « légale » de la répression stalinienne et l’a contrainte à revêtir la forme d’un pur et simple gangstérisme, en marge des formes judiciaires. Dans les semaines qui suivent se produisent, dans des conditions semblables, d’autres « disparitions » de militants révolutionnaires étrangers « enlevés » par les mêmes services et assassinés : Marc Rhein, le fils du dirigeant menchevique russe Rafael Abramovitch, les trotskistes Hans Freund, dit Moulin, et Erwin Wolf, ancien secrétaire de Trotsky, le militant autrichien Kurt Landau, qui avait rejoint le POUM. Dans l’armée, des militants du POUM sont fusillés après des parodies de jugement par des conseils de guerre. Parmi eux l’ancien commissaire de guerre de Lérida, Marcial Mena, l’un des organisateurs des syndicats enseignants de Catalogne, Juan Hervas, tous deux anciens du BOC. La restauration de l’État a certes supprimé les « tchékas » des partis, des syndicats, et la « dictature des comités » ; elle n’a pas supprimé les « tchékas » staliniennes et laisse agir librement, quoique officieusement, une toute-puissante Guépéou chargée de régler sur le sol espagnol les comptes politiques de Staline ... » Cf. page 275 à 278] ;

Source

Hans Freund (1912-1937) : Un météore au siècle des extrêmes

Hans Freund est né il y a 100 ans, le 12 mars 1912, d’une famille juive de Bunzlau, en Basse-Silésie allemande (aujourd’hui Bolesławiec en Pologne). Après avoir achevé ses études secondaires, il étudie le droit aux universités de Freiburg, Heidelberg, Paris et Berlin. Avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il s’exile en Suisse, d’abord à Berne, puis à Genève, dès octobre 1933. Dès lors, son destin se précipite…

Au pays de Léon Nicole

Affilié à l’opposition de gauche au sein du PC allemand, il contacte ses membres en Suisse, qui viennent de fonder la Marxistische Aktion der Schweiz. A Genève, ils sont actifs dans la Jeunesse socialiste. Nous connaissons trois autres militants de ce groupe : Edmund Silberner, étudiant en économie, qui deviendra un spécialiste de la pensée socialiste et de la question juive, Ardachès Stakian, un jeune réfugié arménien espérantiste, employé par la droguerie Leclerc & Gorin, et Gaston Gremaud, un apprenti de commerce.

En 1933, les trotskystes sortent d’un long combat perdu pour l’unité des organisations ouvrières contre la bourgeoisie et le péril nazi. Au lendemain de la débâcle allemande de janvier 1933, suivie de la défaite de février 1934 en Autriche, le Komintern veut faire taire toute critique de son orientation suicidaire – la dénonciation des socialistes comme sociaux-fascistes –, en particulier en Suisse, dernier pays germanophone où les communistes ne sont pas (encore) interdits.
Freund arrive à Genève moins d’un an après la fusillade du 9 novembre 1932. Le tout petit PCG, soumis aux consignes de l’Internationale, y dénonce toujours le PSG de Léon Nicole comme… principal allié des fascistes. Une absurdité sans grande conséquence, puisqu’il ne compte qu’une soixantaine de membres, soit vingt à trente fois moins que le PS, et que la gauche syndicale combative est dirigée en bonne partie par les anarchistes de la FOBB.

Au ban du « front populaire » genevois

Pendant deux ans, de l’automne 1933 à l’automne 1935, autour de Freund, les trotskystes ont une certaine audience au sein de la JS. Mais les sommets du Komintern préparent un tournant à 180°, dont la France sert de laboratoire. Dès juillet 1934, PCF et SFIO signent un pacte d’unité d’action. En septembre, l’URSS est admise à la SDN. A la fin de l’année, Staline donne le feu vert à la ligne des front populaires : au-delà de l’unité des partis ouvriers, il s’agit de faire alliance avec les partis bourgeois modérés. Cette orientation est ratifiée par le 7e Congrès du Komintern, à l’été 1935.

En Suisse, le PC auquel sa politique sectaire des années 1928-1934 a fait perdre beaucoup de membres, tend dès lors la main au PS, alors que celui-ci s’apprête à encenser la « démocratie suisse » et à la défense nationale, et se cherche des alliés à droite, parmi les organisations d’employés et de paysans. Il n’est donc pas disposé à accepter les avances des communistes. Sauf à Genève, où le PSG de Nicole, majoritaire au Conseil d’Etat depuis novembre 1933, doit imposer des sacrifices croissants à sa base populaire et reçoit coup sur coup d’une droite déchaînée. Il n’entend donc négliger aucun appui.
Depuis le printemps 1935, PSG et PCG ont fait campagne ensemble contre l’initiative des milieux frontistes pour la révision totale de la Constitution fédérale. A Genève, contrairement au reste de la Suisse, cette initiative d’extrême droite est soutenue par la quasi-totalité de la droite, y compris par des dirigeants radicaux. Elle sera certes battue en septembre, mais avec un score nettement plus élevé que dans les autres cantons.

Cette expérience sert de base au lancement du « front populaire » genevois, même s’il ne rallie aucune force bourgeoise. JS et JC fusionnent leurs forces et vont exclure les trotskystes, en novembre 1935 : puisqu’ils refusent toute alliance avec la bourgeoisie modérée, ils seraient des alliés objectifs du fascisme… Julia Chamorel a laissé un récit de cette purge ahurissante dans La cellule des écoliers (1983).
Avec les ouvriers insurgés de Barcelone

Au printemps 1935, Freund a achevé sa licence en histoire économique et entame des recherches en Angleterre pour préparer son doctorat. Il n’est apparemment pas présent lorsque ses camarades sont exclus du front JS-JC. Au printemps 1936, Le Réveil anarchiste publie une série de quatre articles de lui sur la révolution genevoise du 18e siècle. En juillet, il participe à la première conférence pour la création de la IVe Internationale à Paris. C’est là, qu’il décide de partir pour l’Espagne, où la révolution vient d’éclater, afin d’y participer à la construction du mouvement trotskyste.

Il est à Madrid dès août, où il collabore aux émissions de radio du POUM en allemand et envoie des lettres d’information et d’analyse à la future IVe Internationale, puis sur le front de Guadarrama, où il échappe une première fois à la répression stalinienne, enfin à Barcelone, dès la fin 1936, sous le nom de Moulin. Il y œuvre à la fusion des deux groupes Voz leninista et El Soviet. Critique du POUM et proche de la gauche anarchiste, il est le principal responsable trotskyste à participer au soulèvement ouvrier de mai 1937 dans la capitale catalane, porté par les « Amis de Durrutti ».
Dans leurs mémoires, les communistes bâlois Pavel et Clara Thalmann le décrivent comme un jeune homme de 24 ans « grand, maigre et presque chauve (…) bolchevik jusqu’à la moelle ». Katia Landau l’évoque comme un militant « pur et dévoué ». Georges Orwell immortalise son tract sur les barricades de Barcelone. Après les journées insurrectionnelles des 3 au 6 mai 1937, il est cependant arrêté, sans doute au début du mois d’août, par des hommes en uniformes de policier. Il ne réapparaîtra plus. Comme Andreu Nin et bien d’autres, il est tombé victime des tueurs de Moscou.
Epilogue : 55 ans après l’assassinat de Freund, en 1992, Julia Chamorel, qui avait participé à contre-cœur à l’éviction des camarades de Freund du front JC-JS en 1935, signait avec Gaston Gremaud notre appel à fonder le mouvement solidaritéS à Genève.
Jean Batou

* A paraître en Suisse dans le n° 205 du bimensuel suisse solidaritéS.

Source : Europe solidaire sans frontières : Hans Freund, Un météore au siècle des extrêmes

Bientôt éclate un énorme scandale : Andrés Nín, arrêté en même temps que ses camarades, a disparu. Les staliniens insinuent qu’il s’est évadé et au questions posées sur les murs : « Ou est NIN ? » répondent par cette rime immonde : « A Salamanque ou à Berlin ». Le ministre de l’Intérieur avoue son impuissance, Negrin se déclare prêt à « tout couvrir », mais exige d’être informé. En fait Nm ne peut reparaitre, car il a été assassiné. Livré par la police au chef de la NKVD en Espagne, Orlov, il a été enfermé dans une prison privée de Alcala de Henares, et torturé ai d’en obtenir des aveux sur le modèle de ceux des accusés des procès de Moscou. Mais il a résisté, et ses geôliers, impuissants devant cet homme torturé qui refuse de « collaborer », n’ont pu que s’en débarrasser. En fait, la résistance de Nín a jeté bas l’édifice préparé en Espagne sur le modèle de Moscou et probablement sauvé bien d’autres militants. Elle a en tout cas en grande partie détruit la façade « légale » de la répression stalinienne et l’a contrainte à revêtir la forme d’un pur et simple gangstérisme, en marge des formes judiciaires. Dans les semaines qui suivent se produisent, dans des conditions semblables, d’autres « disparitions » de militants révolutionnaires étrangers « enlevés » par les mêmes services et assassinés : Marc Rhein, le fils du dirigeant menchevique russe Rafael Abramovitch, les trotskistes Hans Freund, dit Moulin, et Erwin Wolf, ancien secrétaire de Trotsky, le militant autrichien Kurt Landau, qui avait rejoint le POUM. Dans l’armée, des militants du POUM sont fusillés après des parodies de jugement par des conseils de guerre. Parmi eux l’ancien commissaire de guerre de Lérida, Marcial Mena, l’un des organisateurs des syndicats enseignants de Catalogne, Juan Hervas, tous deux anciens du BOC. La restauration de l’État a certes supprimé les « tchékas » des partis, des syndicats, et la « dictature des comités » ; elle n’a pas supprimé les « tchékas » staliniennes et laisse agir librement, quoique officieusement, une toute-puissante Guépéou chargée de régler sur le sol espagnol les comptes politiques de Staline.

Source : Pierre Broué, La révolution espagnole

Freund dit Moulin (1912-1937)

Hans David Freund était né le 12 mars 1912 dans la petite ville allemande de Benzlau d’une famille de petite bourgeoisie juive qui devait émigrer en Israel dès 1933. Très Jeune, il fut attiré vers le communisme dans lequel il voyait l’unique alternative au nazisme. Militant des jeunesses communistes, il participa au début des années trente à un voyage organisé en U. R. S.S. et en revint profondément antistalinien. Nous ignorons à quel moment il rejoignit les rangs des trotskystes vraisemblablement à Berlin où sa famille s’était fixée en quittant Benzlau. Il émigra en 1933 et étudia au moins un an à l’université d’Oxford où il préparait un doctorat en sociologie. En 1934, il était à Genève et les rapports de la police suisse s’inquiètent de l’influence qu’il y a acquise dans le groupe local des étudiants socialistes où il a construit une fraction trotskyste. II était alors organisé dans le M.A.S., organisation trotskyste suisse, mais semble avoir eu également des rapports étroits avec les J• S. R. de France. A Genève, il était en relations avec les anarchistes italiens du groupe de Bertoni. II quitta Genève pour la France en mai 1936 et participa vraisemblablement à la conférence dite de Genève, salle Pleyel, qui décida de fonder le « Mouvement pour la IVe Internationale ». Dès le début de septembre 1926, il est en Espagne où il travaille pendant plusieurs semaines aux émissions en langue allemande de l’émetteur du P. 0. U. M. de Madrid et apparait hé aux éléments sympathisants de la IVe Internationale du rayon de Madrid de cette organisation. II manque de se faire fusiller au front de Guadarrama, où il s’était rendu comme correspondant de presse, pour « propagande trotskyste », et envoie au S. I. P. et à la IVe Internationale des articles et correspondances documentées. En Janvier 1937, 11 est à Paris, au 2e congrès du P. 0. I., où il intervient sur la question de la révolution espagnole. Dans les mois suivants il milite à Barcelone où il s’emploie à unifier les groupes rivaux de « bolcheviks-léninistes », celui, « officiel », de Munis, reconnu par le S. I. qui publie La Voz Leninista, et celui de l’Italien Posco, lié au P. C. I. de Raymond Molinier, qui publie El Soviet. II prend contact avec les anarchistes dissidents du groupe Los Amigos de Durruti, qu’il semble avoir réussi à influencer au moment des journées de Mai pendant lesquelles il a quotidiennement collaboré avec leurs animateurs.

Repéré par le G. P. U. comme l’un des principaux dirigeants B. L. en Espagne - George Mink se flattait d’avoir bientôt « sa peau » - il réussit à leur échapper pendant plusieurs mois après les journées de mai mais est finalement arrêté par eux le 2 août, dans le déchaînement de Ia répression à Barcelone, et disparait sans laisser de traces, vraisemblablement assassiné dans une « prison privée » du G. P. U. si l’on en croit un témoignage parvenu à sa famille. II était connu dans le mouvement trotskyste international sous les pseudonymes de Winter, puis de Moulin.

Source

DE GENÈVE À BARCELONE, UN JEUNE RÉVOLUTIONNAIRE PARMI LES VICTIMES DE STALINE

Un jeune trotskiste, d’origine juive et de nationalité allemande, a parcouru un itinéraire singulier dans les années trente, de l’étude de la Révolution genevoise de la fin du XVIIe siècle à l’engagement concret contre le fascisme. Il a disparu dans le contexte de la répression stalinienne du mois de mai 1937 en Catalogne.

La vie d’un jeune militant peut revêtir des aspects fort contrastés. Elle peut consister pour l’essentiel en une activité intellectuelle intensive, portée par exemple sur l’étude historique. Mais elle peut aussi se dérouler sur la scène d’événements dramatiques, au cœur même de l’actualité révolutionnaire.

Hans Freund (1), ce « jeune se plaisant aux études historiques » (2), a été immatriculé à l’Université de Genève à la Faculté des Sciences économiques et sociales, probablement en sociologie, de l’hiver 1933 à l’été 1936. Gaston Gremaud, lui-même ancien militant trotskiste, se souvient de lui comme d’un militant enthousiaste et passionné qui l’avait contacté au sein du mouvement socialiste et l’avait convaincu de rejoindre un petit groupe lié à la Quatrième
Internationale qui faisait alors de l’entrisme au sein du parti de Léon Nicole,
tout spécialement dans son organisation de jeunesse (3).

Dans le cadre de ses études universitaires, Hans Freund s’intéressait à la
Révolution genevoise de la fin du XVIIe siècle. A ce sujet, nous ne disposons
pas de traces directes de ses travaux universitaires, mais nous pouvons nous
référer à quatre articles qui ont été publiés en 1936 dans Le Réveil anarchiste
de Louis Bertoni (4). Complètement ignorés de l’historiographie de cette période, ils présentent pourtant un point de vue très original sur la question.
Ces textes, dont la syntaxe parfois hasardeuse confirme dans une certaine
mesure l’identité non francophone de leur auteur, sont l’expression d’une vision matérialiste de la Révolution genevoise. On y retrouve une dynamique de lutte des classes telle qu’elle peut être décrite dans toute littérature marxiste, mais dans un esprit un peu mécaniste, sans qu’y soient forcément apportées toute la profondeur et toutes les nuances nécessaires. En outre, le contexte politique dans lequel écrit le narrateur est parfois évoqué, et on sent qu’il reste au cœur de ses préoccupations, comme lorsqu’il évoque par exemple le refus helvétique de reconnaître l’Union soviétique.

Des caractéristiques de la Révolution genevoise aussi porteuses de sens
que le refus d’accorder la citoyenneté aux non-protestants sont également sou
lignées. Et lorsqu’il s’agit d’évoquer la radicalisation de 1794, Freund met en
avant la personnalité du publiciste « égaliseur » Jacques Grenus pour avoir été
son principal avocat. Ainsi insiste-t-il sur les mesures de taxation qui ont alors
été prises par les éléments les plus avancés de la bourgeoisie. Il leur attribue
un esprit anticapitaliste, évoque la possibilité d’une démocratie des Clubs qui
aurait été particulièrement avancée et signale même certaines positions inter-
nationalistes. Ici, il a un peu tendance à calquer ses propres représentations
des luttes politiques sur ces événements de la fin du XVIIF siècle. Mais il rap-
pelle en même temps qu’une révolution bourgeoise n’est pas possible sans
une certaine libération du monde paysan, en l’absence de toute levée d’impôts
ou en laissant le pouvoir s’exercer par les mêmes personnes. Les analyses de
Freund sont donc tout à fait enrichissantes et novatrices, elles rompent com-
plètement avec l’historiographie traditionnelle. En effet, dans les années trente, celle-ci commençait à peine à prendre en compte l’action des révolutionnaires genevois, mais en tentant de les décrire en modérés fort éloignés des excès français. Elle s’est en particulier efforcée, et cela continue aujourd’hui, de décrire Jacques Grenus comme un personnage tortueux, voire comme un simple traître vendu aux Français.

De ce point de vue, le tableau dressé par Freund apporte une image bien
différente. Il a en outre l’intérêt d’émaner d’un observateur extérieur, et d’être
affranchi d’une lecture trop « nationale » de la Révolution genevoise, notam-
ment lorsqu’il évoque les liens de dépendance de l’aristocratie locale à l’égard
des puissances conservatrices voisines. Cela dit, il aurait pu aller un peu plus
loin et, par exemple, inscrire davantage les limites de ce processus révolution-
naire genevois dans son caractère étroitement protestant (5).

Il aurait sans doute été passionnant de pouvoir lire l’intégralité des travaux
d’Hans Freund. Malheureusement, il ne semble pas que d’autres textes soient
disponibles puisque le jeune étudiant a fait le choix d’aller poursuivre son combat politique antifasciste et internationaliste au cœur des événements qui
secouaient l’Europe de ces années 1936-1937. Sa démarche historienne est donc restée inachevée.

En Espagne, la présence d’Hans Freund, qui répondait là-bas au pseudonyme de Moulin, a été signalée dans des ouvrages historiques, notamment
par Pierre Broué (6) et David Vogelsanger (7), ainsi que dans le témoignage des époux Thalmann (8) qui ont par ailleurs insisté sur l’intensité de son engagement : « Il appartenait au groupe trotskiste genevois ; âgé de 24 ans, il était grand, maigre ef presque chauve. C’était un adhérent fanatique de la quatrième internationale, et bolchevick jusqu’à la moelle comme il le disait lui-même. » (9)

En Espagne, Moulin n’est pas allé directement au front. Arrivé dans la
péninsule ibérique avec les époux Thalmann, il a milité activement à Madrid
et à Barcelone. Peu convaincu, si l’on en croit le récit du couple suisse, par
l’attitude et la ligne du POUM, il s’est rapproché des « Amis de Durutti », un
groupe libertaire qui avait lui-même pris ses distances vis-à-vis des membres
de la CNT qui participaient au gouvernement républicain (10). C’est ainsi par
exemple que, dans le contexte du 1er mai 1937, Moulin a diffusé un tract dénonçant « la politique des taliniens ainsi que l’attitude hésitante des anarchistes et du POUM » (11) Quelques jours après les événements de la centrale téléphonique (12), et en pleine activité militante, le jeune révolutionnaire a disparu pour ne plus reparaître. On sait avec quelle vigueur l’appareil stalinien s’est alors déchaîné contre les éléments trotskistes, ou prétendus tels, sous prétexte de leur soi-disant alliance avec le fascisme. Il ne fait donc guère de doutes que, à l’instar d’autres militants révolutionnaires, Moulin ait été victime de la répression stalinienne qui sévissait alors à Barcelone (13), même si les circonstances exactes et la date de sa mort restent inconnues à ce jour.

Nous disposons de quelques témoignages écrits émanant de Moulin au
cours de son séjour en Espagne, mais il s’agit seulement de textes politiques
adressés à des bulletins trotskistes. Dans une correspondance publiée le
21 octobre 1936, Moulin s’en prend par exemple vertement à l’entrée du
POUM dans le gouvernement et fustige le « centrisme », c’est-à-dire l’opportunisme dont il taxe cette organisation. « Nous avons, en son temps, critiqué la participation du POUM au Conseil d’Economie – écrit-il -, en déclarant que sa constitution, malgré l’apparence révolutionnaire de son programme, ne servait qu’à canaliser, c’est-à-dire à briser le flot de la révolution. Une fois de plus, la marche des événements nous a donné raison. La première vague révolutionnaire à peine aplanie un peu, /es "chefs" ouvriers renoncent aux points essenfie/s du programme, preuve qu’ils ne les ont Jamais pris au sérieux. »

En août 1936, dans un autre texte du même genre, Moulin avait pourtant qualifié le POUM d’élément le plus progressiste, relevant en même temps qu’il était un parti de masse dans la région la plus cruciale pour la révolution espagnole, la Catalogne (15).

Ces exemples nous confirment pleinement la passion militante, l’intransigeance, mais aussi la capacité d’analyse politique du jeune Hans Freund. Ce cas, qui est évidemment exceptionnel, n’est pourtant pas complètement isolé, et il paraît surtout significatif. Il illustre le rôle trouble qui a été joué par la répression stalinienne. Et aussi, sans préjuger de la question de savoir si une issue révolutionnaire était vraiment possible dans ce contexte, la capacité du mouvement ouvrier de s’en prendre lui-même à ses propres forces vives en se coupant de toute possibilité de parvenir à réaliser ses aspirations. C’est là un constat qui condamne sans appel le stalinisme, ce briseur d’espérances. C’est
aussi un aspect de l’histoire du mouvement ouvrier et de ses défaites qu’il faudrait méditer de manière critique. Mais ce qui nous importait ici par-dessus tout,
c’était d’évoquer et de ne pas laisser oublier l’itinéraire de ce jeune révolu-
tionnaire qui a abandonné ses études en histoire pour aller combattre le fas-
cisme au péril de sa vie là où cette peste noire tentait d’amorcer son projet de
conquête universel.

1. Ces quelques notes sur Hans Freund ont été rendues possibles par des témoignages ou informations de Gaston Gremaud, Peter Huber et Daniel Künzi. Que tous soient ici remerciés. Mais elles sont surtout dues à la suggestion initiale de Michel Thévenaz (voir note 5 ci-dessous).

2. D’après la présentation qui en est faite en introduction de ses articles dans Le Réveil anarchiste, 1er février 1936.

3. Entretiens avec Gaston Gremaud, novembre-décembre 1996.

4. Le Réveil anarchiste, 1er février, 15 mars, 15 et 31 mai 1936, en p. 4.

5. Ces remarques historiographiques - et la référence aux textes de Freund sur la Révolution genevoise - sont dues à Michel Thévenaz qui préparait un ouvrage sur cette période révolutionnaire dans lequel ces constats devaient être plus largement développés et documentés. Il est donc à souhaiter que les réflexions de Michel Thévenaz sur la Révolution genevoise puissent être publiées et trouver leur place dans la bibliographie de cette période.

6. Pierre Broué, op. cit., pp. 181, 238 et 343.

7. David Vogelsanger, Trotskismus in der Schweiz, Zurich, Chronos, 1995, pp. 419 et 604.

8. Pavel et Clara Thalmann, Combats pour la liberté. Moscou, Madrid, Paris, Quimperlé, La Digitale, 1983 (édition originale en allemand : 1977), pp. 168-238.

9. Ibid. p. 168.

10. Ibid p. 184.

11. Ibid, p. 186.

12. C’est le contrôle de ce bâtiment, qui fut un véritable « lieu de mémoire » par rapport aux discordes au sein du camp républicain, qui a donné lieu aux affrontements les plus violents entre ceux qui voulaient gagner la guerre sans faire la Révolution et ceux qui entendaient la gagner par le biais d’un processus révolutionnaire.

13. Voir à ce sujet Pierre Broué, op. cit., notamment pp. 177-191

14. Service d’Information et de Presse pour la Quatrième Internationale, n° 12, 21 octobre
1936.

15. Mitteilungen der « Marxistischen Aktion » der Schweiz (Bolschewiki-Leninisten), n° 5, août 1936

Source : https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=cmo-001%3A1997%3A13%3A%3A55

Hans David Freund, Dual Power in the Spanish Revolution - The Question of the Committees

Letters from Madrid

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