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Léon Trotsky - mai/juin 1917 - La lutte pour le pouvoir

vendredi 21 janvier 2022, par Robert Paris

Léon Trotsky

LA LUTTE POUR LE POUVOIR

Mai-Juin 1937

Paix et Réaction

À la séance du 3 mars 1916 de la douma, M. Milioukov répondait en ces termes à une critique de la gauche : « Je ne suis pas certain que le gouvernement soit en train de nous conduire à la défaite, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’une révolution en Russie nous y conduirait indubitablement et que nos ennemis ont par conséquent toute raison de la souhaiter. Si on me disait qu’organiser la Russie pour la victoire équivaut à l’organiser pour la révolution, je répondrais : il vaut mieux, tant que dure la guerre, la laisser en l’état d’inorganisation où elle se trouve. » Cette citation est intéressante à deux points de vue. Non seulement elle prouve que, l’année précédente encore, M. Milioukov considérait que des intérêts pro-allemands étaient à l’œuvre dans toute révolution quelle qu’elle soit, et pas seulement chez les internationalistes, mais aussi qu’elle est l’expression caractéristique d’un sycophante libéral. La prédiction de M. Milioukov est très intéressante : « Je sais qu’une révolution en Russie nous conduirait indubitablement à la défaite ». Pourquoi cette certitude ? En tant qu’historien, M. Milioukov doit savoir qu’il y a eu des révolutions qui ont mené à la victoire. Mais en tant qu’homme d’État impérialiste, M. Milioukov ne peut pas ne pas voir que l’idée de conquérir Constantinople, l’Arménie et la Galicie est incapable de susciter l’enthousiasme des masses révolutionnaires. M. Milioukov sentait et même savait que, dans sa guerre, la révolution ne pouvait amener la victoire.

Évidemment, lorsque la révolution a éclaté, M. Milioukov a tenté aussitôt de l’atteler au char de l’impérialisme allié. C’est pourquoi il fut accueilli avec ravissement par les tintements sonores et métalliques de tous les coffres-forts de Londres, Paris, et New York. Mais cette tentative se heurta à la résistance presque instinctive des ouvriers et des soldats. M. Milioukov a été chassé du gouvernement ; assurément, pour lui, la révolution ne fut pas synonyme de victoire 1.

Milioukov était parti, mais la guerre continuait. Un gouvernement de coalition fut formé, composé de démocrates petit-bourgeois et de représentants de la bourgeoisie qui avaient dissimulé jusque-là, pour un temps, leurs griffes impérialistes. Nulle part peut-être cette coalition n’a mieux révélé son caractère contre-révolutionnaire que dans le domaine de la politique internationale, c’est-à-dire avant tout de la guerre. La grande bourgeoisie a envoyé ses représentants au gouvernement pour y défendre l’idée d’« une offensive sur le front et une fidélité inaltérable envers nos alliés » (résolution du congrès du parti cadet). Les démocrates petit-bourgeois, qui se baptisaient « socialistes », sont entrés au gouvernement pour, « sans s’isoler » de la grande bourgeoisie et de ses alliés impérialistes, terminer la guerre le plus vite possible et le moins mal possible pour tous les belligérants : sans annexions, sans indemnités ni tributs, et même avec la garantie de l’autodétermination nationale.

Les ministres capitalistes ont renoncé aux annexions, en attendant des jours plus favorables. En échange de cette concession purement verbale, ils ont obtenu de leurs collègues démocrates petit-bourgeois la promesse ferme de ne pas déserter le capable de reprendre l’offensive. En renonçant (momentanément) à Constantinople, les impérialistes faisaient un sacrifice insignifiant dans la mesure où, après trois ans de guerre, la route vers Constantinople n’avait pas raccourci mais rallongé. Mais les démocrates, en échange de cette renonciation toutes platonique à une très hypothétique Constantinople par les libéraux, ont assumé tout l’héritage du gouvernement tsariste, reconnu tous les traités conclus par ce gouvernement en mis toute l’autorité et le prestige de la révolution au service de la discipline et de l’offensive. Cela impliquait tout d’abord, pour les « leaders » de la révolution, la renonciation à toute politique internationale indépendante, et cette politique conclusion parut toute naturelle au parti petit-bourgeois qui, dès qu’il fut dans la majorité, abandonna volontairement tout le pouvoir qu’il détenait. Ayant chargé le prince Lvof de créer une administration révolutionnaire, M. Chingarev de remettre sur pied les finances de la révolution, M. Konovalov d’organiser l’industrie, la démocratie petite-bourgeoise ne pouvait que laisser le soin à MM. Ribot, Lloyd George et Wilson de défendre les intérêts de la Russie révolutionnaire.

Bien que la révolution, dans sa phase actuelle, n’ait pas changé le caractère de la guerre, elle n’en a pas moins exercé une profonde influence sur l’agent actif de la guerre, c’est-à-dire l’armée. Le soldat a commencé à se demander pourquoi il verse son sang, auquel il donne maintenant plus de prix que sous le tsarisme. Et immédiatement la question des traités secrets s’est posée de façon impérative. Remettre l’armée en état de se battre signifiait dans ces conditions briser la résistance démocratiquement révolutionnaire des soldats, mettre à nouveau en sommeil leur conscience éveillée depuis peu et, jusqu’à ce que la principe de la « révision » des anciens traités soit annoncé, placer l’armée révolutionnaire au service des buts de l’ancien régime. Cette tâche était trop lourde pour l’octobriste-bourbonien 2 Goutchkov, et elle l’a écrasé. Il ne fallait rien de moins qu’un « socialiste » pour la réaliser. Et on l’a trouvé en la personne du « plus populaire » des ministres Kérensky.

En exploitant à fond sa popularité pour accélérer la préparation de l’offensive (sur tout le front impérialiste des Alliés), Kérensky devient naturellement le favori des classes possédantes. Non seulement le ministre des Affaires étrangères, Terechtchenko, approuve la haute estime dans laquelle nos Alliés tiennent les « efforts » de Kérensky, non seulement Rietch, qui critique si sévèrement les ministres de gauche, n’arrête pas de féliciter le ministre de l’Armée et de la Marine Kérensky, mais même Rodzianko considère de son devoir de souligner « les nobles et patriotes tâches » dans lesquelles est engagé notre ministre de l’Armée et de la Marine Kérensky : « Ce jeune homme (pour citer Rodzianko, président octobriste de la Douma) ressuscite chaque jour avec une vigueur redoublée, pour le plus grand bien de son pays et du travail constructif. » Circonstance glorieuse qui n’empêche cependant pas Rodzianko d’espérer qu’une fois que le « travail constructif » de Kérensky aura atteint le niveau convenable les efforts de Goutchkov pourront luis succéder.

Pendant ce temps, le ministère des Affaires étrangères de Terechtchenko s’efforce de persuader les Alliés de sacrifier leurs appétits impérialistes sur l’autel de la démocratie révolutionnaire. Il serait difficile d’imaginer entreprise plus infructueuse et, malgré son caractère tragique et humiliant, plus ridicule que celle-là ! Lorsque M. Terechtchenko, à la manière d’un éditorialiste de journal de province du genre démocratique, tente d’expliquer aux chefs endurcis du brigandage international que la révolution russe est vraiment « un mouvement intellectuel puissant, exprimant la volonté du peuple russe dans sa lutte pour l’égalité […] », etc., quand, de plus, il « ne doute pas » qu’« une union étroite entre la Russie et ses alliés (les chefs endurcis du brigandage international) assurera de la façon la plus complète possible un accord sur toutes les questions qui sont en jeu dans les principes proclamés par la révolution russe », il est difficile de se débarrasser d’un sentiment de dégoût devant un tel mélange d’impuissance, d’hypocrisie et de stupidité.

Dans ce document de Terechtchenko, la bourgeoisie, semble-t-il, s’est réservé tous les passages décisifs : « fidélité inaltérable à la cause des Alliés », « inviolabilité de la promesse de ne pas conclure une paix séparée » et renvoi de la révision des buts de guerre à « un moment favorable », ce qui revient à demander au soldat russe, jusqu’à ce qu’arrive ce « moment favorable », de verser son sang pour ces buts de guerre impérialiste qu’il semble précisément si peu opportun de publier, si peu opportun de réviser ? Tout l’horizon politique de Tsérételli, se révèle dans la fatuité complaisante avec laquelle il recommande à l’attention du congrès panrusse ce document diplomatique qui contient selon lui « des paroles claires et franches, dans le langage d’un gouvernement révolutionnaire, sur les buts de la révolution russe ». On ne peut nier une chose : les appels lâches et impuissants adressés à Lloyd George et à Wilson sont rédigés dans les mêmes termes que ceux du comité exécutif des soviets aux Albert Thomas, Scheidemann et Henderson. Dans les deux textes, il y a tout au long une identité de but et – qui sait ? – peut-être même une identité d’auteur 3.

On trouve une parfaite appréciation de ces toutes dernières notes diplomatiques du tandem Terechtchenko-Tseretelli dans un endroit à première vue inattendu : L’Entente, journal publié en français à Petrograd et organe précisément de ces Alliés auxquels Terechtchenko et Tchernov jurent une « indéfectible allégeance ». Nous admettons volontiers, la publication de cette note était attendue avec une certaine inquiétude. » En fait, il n’est pas facile, comme l’admet cet organe officiel, de trouver une formule qui concilie les buts contradictoires des Alliés. « En ce qui concerne la Russie, en particulier, la position du gouvernement provisoire était plutôt délicate et pleine de danger. D’un côté, il était obligé de tenir compte du point de vue du conseil des délégués ouvriers et soldats et, autant que possible, de représenter ce point de vue ; de l’autre, il lui fallait ménager les relations internationales et les puissances amies, auxquelles il était impossible d’imposer la décision du conseil.

« Et le gouvernement provisoirement est sorti de cette épreuve pur et sans tache. »

Dans le document qui est sous nos yeux, nous avons donc les principaux points du catéchisme révolutionnaire couché, enregistrés et scellés par l’autorité du gouvernement provisoire. Rien d’essentiel ne manque. Tous les beaux rêves, tous les jolis mots du dictionnaire sont correctement utilisés. On y trouve l’égalité, la liberté et la justice dans les relations internationales. Donc tout y est4, au moins dans les termes. Le plus rouge des camarades ne peut y trouver à redire ; de ce côté-là, le gouvernement provisoire n’a rien à craindre…

« Mais, et les Alliés ? », demande L’Entente. « S’ils l’étudient attentivement et la lisent entre les lignes (!), à la lumière de la bonne volonté et de l’amitié pour la jeune démocratie russe, les Alliés pourront trouver en divers points de la note… certains passages agréables de nature à raffermir leur confiance quelque peu vacillante. Ils savent bien que la position du gouvernement provisoire n’est pas des plus commodes et que ses efforts en prose ne doivent pas être pris trop à la lettre… La garantie fondamentale que le gouvernement donne aux Alliés consiste en ce que… l’accord signé à Londres le 5 septembre 1914 (engagement à ne pas signer de paix séparée) ne doit pas être révisé. Cela nous satisfait complètement pour le moment. »

Et nous aussi. En fait, il serait difficile d’émettre un jugement plus méprisant sur la « prose » de Terechtchenko-Tsérételli que celui dans le très officiel L’Entente, qui tire son inspiration de l’ambassade de France. Cette appréciation, qui n’est en aucun cas inamicale pour Terechtchenko ou ceux qui sont derrière lui, porte un coup mortel aux « efforts constructifs » de Tsérételli, qui nous a si chaudement recommandé le « langage franc et ouvert » de ce document. « Rien n’a été oublié, jure-t-il devant le congrès, il satisfera la conscience des plus rouges des camarades. »

Mais ils se trompent, ces experts en prose diplomatique : ils ne satisfont personne. N’est-il pas significatif que les événements de la vie réelle répondent aux appels de Kérensky et aux remontrances et aux menaces de Tsérételli par un coup aussi terrible que la révolte des marins de la mer Noire 5 ? On nous avait dit que c’était là, chez les marins, qu’était la citadelle de Kérensky, le foyer du « patriotisme » qui réclamait l’offensive. Les faits ont, une fois de plus, administré une correction impitoyable. En adoptant la position des anciens accords impérialistes en politique étrangère, en capitulant à l’intérieur devant les classes possédantes, il était impossible d’unir l’armée par une combinaison d’enthousiasme révolutionnaire, et de discipline. Et le « gros bâton » de Kérensky s’est, heureusement, révélé beaucoup trop court.

Non, cette voie à coup sûr ne mène nulle part.

Vperiod, juin 1917

Notes

1 Le 1er mai, Milioukov, ministre des Affaires étrangères, entreprit dans une note aux gouvernements alliés d’honorer les engagements du régime tsariste en matière de politique étrangère. Cela provoqua des manifestations de protestation et des affrontements de rue. Il fut chassé du cabinet et remplacé par Tsérételli, jusqu’alors ministre des Finances. Le 18 mai, un gouvernement de coalition fut formé, avec la participation des socialistes. Lvof restait Premier ministre, Kérensky devenait ministre de la Guerre.

2 Octobriste : parti monarchiste et pro-impérialiste qui soutenait le « Manifeste du tsar » d’octobre 1905 ; dirigé par Goutchkov.

3 Au début de la révolution, les modérés des soviets firent appel, par l’intermédiaire du comité exécutif, aux socialistes et au prolétariat des pays belligérants pour qu’ils rompent avec leurs gouvernements impérialistes ; mais peu à peu cette politique révolutionnaire fut abandonnée, et le comité exécutif participa à la honteuse réunion des social-patriotes de Stockholm, malgré les protestations des bolcheviks. Il suffit, pour marquer le caractère non révolutionnaire du comité exécutif, de dire qu’il collabora avec Scheidemann, Albert Thomas (France), Henderson (Angleterre) et autres social-patriotes. Le socialisme modéré agit comme le commis voyageur [en français dans le texte – [N.d.T.] de la diplomatie bourgeoise. Un des documents secrets publiés après l’arrivée au pouvoir des bolcheviks montre le véritable caractère de la conférence de Stockholm, avec laquelle, soit dit en passant, les socialistes indépendants d’Allemagne refusèrent affaire : il s’agit d’un télégramme daté du 18 août, adressé par l’ambassadeur de Russie à Stockholm avec Branting, l’un des organisateurs social-patriotes de la confédération si Kérensky la jugeait inopportune et qu’il userait de son influence sur le comité scandinavo-hollandais à cette fin. Le télégramme concluait en demandant le secret sur cette conversation, afin de ne pas compromettre Branting, car sinon on perdrait une source importante d’information ! Pas étonnant qu’elle ait été une misérable faillite. (Note de Luis C. Fraina, 1918.)

4 En français dans le texte (N.d.T.).

5 À partir du 19 juin 1917 se produisent des révoltes dans la flotte de la mer Noire. L’amiral Koltchak fut renversé et, sous l’influence des bolcheviks, les marins élurent leurs propres chefs.

La farce du double pouvoir

Les conditions de la guerre déforment et obscurcissent l’action des forces intérieures de la révolution. Mais son cours n’en restera pas moins déterminé par ces mêmes forces intérieures, c’est-à-dire les classes.

La révolution, qui montait depuis 1912, a vu, dans un premier temps, son élan brisé par la guerre, mais ensuite, grâce à l’intervention héroïque d’une armée exaspérée, elle s’est accélérée dans la combativité sans précédent. La capacité de résistance de l’ancien régime avait été définitivement minée par le déroulement de la guerre. Les partis politique qui auraient pu jouer le rôle de médiateurs entre la monarchie et le peuple se trouvèrent tout à coup suspendus dans les airs en raison des formidables poussées venues d’en bas et furent obligés au dernier moment de faire le saut périlleux vers les rivages sûrs de la révolution. Cela conféra à la révolution, pour un temps, l’apparence extérieure d’une parfaite harmonie nationale. Pour la première fois dans toute son histoire, le libéralisme bourgeois se sentit « lié » aux masses – et c’est cela qui dut lui donner l’idée d’utiliser l’esprit révolutionnaire « universel » au service de la guerre.

Les conditions, les buts, les participants de la guerre ne changèrent pas. Goutchkov et Milioukov, les membres les plus ouvertement pro-impérialistes de l’équipe politique de l’ancien régime, étaient maintenant les maîtres des destinées de la Russie révolutionnaire. Naturellement, la guerre, dont la nature restait fondamentalement la même que sous le tsarisme – contre le même ennemi, avec les mêmes alliés, avec les mêmes engagements internationaux –, devait maintenant se transformer en une « guerre pour la révolution ». Pour les capitalistes, cela équivalait à mobiliser la révolution, avec toutes les forces et les passions qu’elle avait stimulées, au service de l’impérialisme. Les Milioukov consentirent magnanimement à qualifier le « chiffon rouge » d’emblème sacré – à condition que les masses laborieuses se montrent prêtes à mourir avec béatitude, sous ce chiffon rouge, pour Constantinople et les détroits.

Mais le pied fourchu impérialiste de Milioukov dépassait de façon trop voyante. Pour gagner les masses et canaliser leur énergie révolutionnaire vers une offensive sur le front extérieur, il fallait des méthodes plus élaborées et, par-dessus tout, on avait besoin de nouveaux partis politiques, dont les programmes n’aient pas encore été compromis et dont la réputation n’ait pas encore été ternie.

On les trouva. Dans les années de contre-révolution, en particulier lors du dernier boom industriel, le capital avait soumis et dompté intellectuellement plusieurs milliers de révolutionnaires de 1905, sans se soucier de leurs « notions » travaillistes ou marxistes. Et parmi les intellectuels « socialistes » apparurent d’assez nombreux groupes brûlant de prendre part à la répression des luttes sociales et à l’entraînement des masses vers les buts « patriotiques ». Main dans la main avec l’intelligentsia, mise en vedette à l’époque de la contre-révolution, venaient les faiseurs de compromis, qui avaient été définitivement effrayés par l’échec de la révolution de 1905, et depuis lors avaient cultivé un seul et unique talent : être agréable à tout le monde.

L’opposition de la bourgeoisie au tsarisme – sur une base impérialiste toutefois – avait, dès avant la révolution, fourni la base nécessaire à un rapprochement entre socialistes opportunistes et classes possédantes. À la Douma, Kérensky et Tchkéidzé conçurent leur politique comme annexe au bloc progressiste, et les Gvozdiev et Bogdanov « socialistes », participèrent avec les Goutchkov aux comités de l’industrie de guerre. Mais l’existence du tsarisme rendait très difficile la défense ouverte du patriotisme « gouvernemental ». La révolution balaya tous les obstacles de ce genre. La capitulation devant les partis capitalistes s’appela désormais « unité démocratique », la discipline de l’État bourgeois se transforma soudain en « discipline révolutionnaire » et, pour finir, la participation à une guerre de la révolution contre une défaite extérieure.

Cette intelligentsia nationaliste, qui avait été prédite, appelée et entraînée par le social-patriote Strouvé dans son journal Vyekhi, rencontra soudain un soutien inattendu et généreux dans la faiblesse des secteurs les plus arriérés du peuple, qui avaient été organisés de force pour constituer l’armée.

C’est uniquement parce que la révolution a éclaté au cours d’une guerre que les éléments petits-bourgeois de la ville et de la campagne ont pris automatiquement l’apparence d’une force organisée et commencé à exercer sur les membres du conseil des délégués ouvriers et soldats une influence dépassant de loin le pouvoir qu’auraient eu ces classes atomisées et arriérées en toute autre circonstance. L’intelligentsia menchevik-populiste a trouvé dans cette masse de provinciaux attardés, pour la plupart encore à peine éveillés politiquement, un soutien tout à fait naturel au début. En amenant les classes petites-bourgeoises à un accord avec le libéralisme bourgeois, qui venait à nouveau de révéler en beauté son incapacité à guider les masses populaires de façon indépendante, l’intelligentsia menchevik-populiste s’acquit, grâce à la pression des masses, une certaine influence, y compris dans les couches prolétariennes, momentanément reléguées au second plan par l’importance numérique de l’armée.

À première vue, on aurait pu croire que toutes les contradictions de classe avaient disparu, que toute la société avait été replâtrée avec des morceaux d’idéologie menchevik-populiste et que, grâce aux « efforts constructifs » de Kérensky, Tchkéidzé et Dan, une trêve nationale entre les classes avait été conclue. D’où une surprise et une stupeur sans pareilles lorsque s’affirma à nouveau une politique prolétarienne indépendante ; d’où ce concert de lamentations furieuses et, pour tout dire, révoltantes contre les révolutionnaires socialistes, destructeurs de l’harmonie universelle.

Les intellectuels petits-bourgeois, après avoir été hissés par le soviet des délégués ouvriers et soldats à des hauteurs pour lesquelles ils n’étaient absolument pas préparés, furent effrayés par-dessus tout par l’idée de responsabilité et remirent donc respectueusement leur pouvoir au ministère féodalo-capitaliste issu de la Douma du 3 juin. La terreur sacrée du petit-bourgeois devant le pouvoir d’État, très évidente dans le cas des populistes (travaillistes), était voilée, chez les mencheviks-patriotes, par des socialistes d’assumer le fardeau du pouvoir dans une révolution bourgeoise.

Ainsi naquit le « double pouvoir », qu’on pourrait plus justement qualifier de double impuissance. La bourgeoisie détenait l’autorité au nom de l’ordre et de la guerre jusqu’à la victoire ; mais, sans les soviets, elle ne pouvait gouverner ; ces derniers avaient avec le gouvernement des rapports de demi-confiance respectueuse, à laquelle se mêlait la peur que le prolétariat révolutionnaire, par un geste maladroit, ne renverse tout ce bel édifice.

La politique étrangère cyniquement provocatrice de Milioukov amena une crise. Conscient de l’étendue de la panique dans les rangs des leaders petits-bourgeois quand ils étaient confrontés aux problèmes du pouvoir, le parti bourgeois commença à utiliser en ce domaine le chantage pur et simple : en menaçant de faire la grève du gouvernement, c’est-à-dire de cesser de participer au pouvoir, il exigea que le soviet lui fournisse un certain nombre de potiches socialistes, dont la fonction dans le cabinet de coalition devait être de renforcer la confiance des masses dans le gouvernement et, de cette façon, de mettre fin au « double pouvoir ».

Devant l’ultimatum, les mencheviks-patriotes s’empressèrent de laisser tomber leurs derniers restes de préjugés marxistes contre la participation à un gouvernement bourgeois et entraînèrent avec eux les « leaders » travaillistes du soviet qui, pour leur part, n’étaient embarrassés par aucune surcharge de principes ou de préjugés. Cela était particulièrement clair chez Tchernov, qui ne revint des conférences de Kienthal et de Zimmerwald1, où il avait excommunié Vandervelde, Guesde et Sembat, que pour entrer dans le ministère du prince Lvov et de Chingariev. Bien sûr, les mencheviks-patriotes russe firent remarquer que le ministérialisme russe n’avait rien à voir avec le ministérialisme français ou belge, car il était le produit de circonstances très exceptionnelles, prévues par la résolution contre le ministérialisme du congrès d’Amsterdam (1904)2. Pourtant, ils ne faisaient que répéter comme des perroquets les arguments des ministérialistes français et belges, tout en continuant à invoquer constamment la « nature exceptionnelle des circonstances ». Kérensky, dont la théâtralité verbeuse cache néanmoins quelques traces de pertinence, classa quant à lui très correctement le ministérialisme russe dans la même catégorie que celui d’Europe occidentale et déclara dans son discours d’Helsingfors que c’était surtout grâce à lui, Kérensky, que les socialistes russes avaient en deux mois accompli un chemin que les socialistes d’Europe occidentale avaient mis dix ans à parcourir. Marx avait bien raison de dire que la révolution est la locomotive de l’histoire ! Le gouvernement de coalition était condamné par l’histoire avant même sa formation. S’il avait été constitué immédiatement après la chute du tsarisme, comme expression de l’« unité révolutionnaire de la nation », il aurait peut-être pu contenir, pour un temps, l’affrontement des forces de la révolution. Mais le premier gouvernement fut le ministère Goutchkov-Milioukov. Son existence ne dura que le temps de dévoiler l’inanité de l’« unité nationale » et d’éveiller la résistance révolutionnaire du prolétariat aux tentatives de la bourgeoisie pour prostituer la révolution aux intérêts impérialistes. Le gouvernement de coalition, qui apparaissait manifestement comme un pis-aller, ne pouvait dans ces conditions prévenir la catastrophe ; il était lui-même destiné à devenir la principale pomme de discorde, la principale source de conflit et de divergences dans les rangs de la « démocratie révolutionnaire ». Son existence politique – car nous ne parlerons pas de ses « activités » – n’est qu’une lente agonie, décemment enveloppée dans des flots de paroles.

Pour lutter contre la faillite complète dans le domaine économique, en particulier dans celui du ravitaillement, la commission économique du comité exécutif des soviets élabora un plan qui devait étendre la gestion étatique aux branches industrielles les plus importantes. Les mêmes de la commission économique diffèrent des leaders non pas tant par leurs tendances politiques que par une connaissance approfondie de la situation économique du pays. C’est justement pour cette raison qu’ils sont arrivés à des conclusions d’un caractère profondément révolutionnaire. La seule chose dont manque leur organisation, c’est de la force motrice d’une politique révolutionnaire. Le gouvernement, capitaliste dans sa majorité, ne pouvait évidemment pas donner naissance à un système diamétralement opposé aux intérêts égoïstes des classes possédantes. Si Skobelev, le ministre du Travail menchevique, ne le comprenait pas, cela fut en revanche très bien compris par le sérieux et efficace Konovalov, représentant du commerce et de l’industrie.

La démission de Konovalov 3 a porté un coup fatal au gouvernement de coalition. L’ensemble de la presse bourgeoise l’exprima nettement. On recommença alors à jouer sur la terreur panique des dirigeants du soviet : la bourgeoisie menaça d’abandonner le pouvoir nouveau-né devant leur porte. Les « dirigeants » répondirent en faisant croire que rien de spécial ne s’était passé. Puisque le représentant sérieux du capital nous a quittés, invitons M. Bourishkine. Mais Bourishkine refusa avec obstination de participer à des opérations chirurgicales sur la propriété privée. Alors commença la quête d’un ministre du Commerce et de l’Industrie « indépendant », un homme qui n’aurait derrière lui rien ni personne et qui pourrait servir de boîte aux lettres inoffensive pour les revendications contradictoires du travail et du capital. Pendant ce temps, les dépenses continuent sur leur lancée et l’activité gouvernementale consiste surtout à faire marcher la planche à billets, à imprimer des assignats.

Ayant pour collègues et aînés MM. Lvov et Chingariev, Tchernov n’a pas pu étaler, dans les questions agraires, ne serait-ce que le radicalisme verbal si caractéristique de ce représentant typique de la petite bourgeoisie. Pleinement conscient du rôle qui lui était assigné, Tchernov s’est présenté non pas comme le représentant de la révolution agraire, mais comme celui des statistiques agricoles ! Selon l’interprétation libérale bourgeoise, que les ministres ont également adoptée, les masses doivent suspendre le processus révolutionnaire et attendre passivement la convocation de l’Assemblée constituante et, dès que les socialistes-révolutionnaires entrent dans le gouvernement des propriétaires fonciers et des industriels, les attaques des paysans contre le système agricole féodal sont stigmatisées comme de l’anarchie.

En politique internationale, l’effondrement des « plans de paix » annoncés par le gouvernement de coalition s’est produit de façon beaucoup plus rapide et catastrophique qu’on aurait pu s’y attendre. M. Ribot, Premier ministre français, a non seulement rejeté catégoriquement et sans cérémonie le plan de paix russe, tout en réaffirmant solennellement l’absolue nécessité de poursuivre la guerre jusqu’à la « victoire totale », mais encore a refusé aux sociaux-patriotes français leurs passeports pour la conférence de Stockholm, qui avait pourtant été préparée avec la collaboration des collègues et alliés de M. Ribot, les ministres socialistes russes. Le gouvernement italien, dont la politique de conquête coloniale s’est toujours distinguée par un cynisme inouï, par un « égoïsme sacré », répliqua à la formule de « paix sans annexions » par l’annexion séparée de l’Albanie4. Notre gouvernement, ministres socialistes compris, a bloqué pendant deux semaines la publication de la réponse des Alliés, croyant évidemment à l’efficacité d’expédients aussi minables pour éviter la banqueroute de sa politique. En bref, le problème de la situation internationale de la Russie, le problème de savoir pour quelle cause le soldat russe devrait être prêt à se battre et à mourir, est toujours aussi aigu que le jour où le portefeuille des Affaires étrangères fut arraché à Milioukov.

Au ministère de l’Armée et de la Marine, qui continue à s’octroyer la part du lion dans les énergies et les ressources nationales, la politique du verbe et de la rhétorique règne sans partage. Mais les causes matérielles et psychologiques de l’état actuel de l’armée sont trop profondes pour être réglées par la prose et la poésie ministérielles. Le remplacement du général Alexeïev par le général Broussilov signifie sans aucun doute un changement pour ces deux officiers, mais aucun pour l’armée. La préparation du peuple et de l’armée à une « offensive », puis l’abandon soudain de ce slogan pour celui, moins précis, de « préparation à une offensive » montrent que le ministère de l’Armée et de la Marine est toujours aussi peu capable de conduire la nation à la victoire que le ministère de M. Terechtchenko l’était de la conduire à la paix.

L’image de l’impuissance du gouvernement provisoire atteint son apogée avec l’activité du ministère des Affaires étrangères qui, pour employer les termes des délégués les plus loyaux du soviet paysan, remplit « avec partialité » les bureaux des administrations locales de propriétaires féodaux. Les efforts de la partie active de la population qui arrive à obtenir des pouvoirs au niveau communal, par droit de conquête et sans attendre l’Assemblée constituante, sont aussitôt taxés, dans le jargon policier des Dan, d’« anarchie », et rencontrent l’opposition énergique du gouvernement qui, de par sa composition, est incapable de toute action énergique vraiment créatrice. Dans les tout derniers jours, cette politique banqueroutière a trouvé son expression la plus écœurante dans l’incident de Cronstadt5. La campagne infâme et malhonnête de la presse bourgeoise contre Cronstadt, qui est pour elle le symbole de l’internationalisme révolutionnaire et de la méfiance envers le gouvernement de coalition – et donc de la politique indépendante des larges masses populaires –, non seulement gagne le gouvernement et les leaders du soviet, mais a aussi transformé Tsérételli et Skobolev en chefs de file de la honteuse répression contre les marins, soldats et travailleurs de Cronstadt.

Au moment où l’internationalisme supplantait systématiquement le social-patriotisme dans les usines, les ateliers et parmi les soldats du front, les ministres socialistes, soumis envers leurs maîtres, se risquaient au jeu hasardeux de détruire d’un seul coup l’avant-garde prolétarienne révolutionnaire et de préparer ainsi le « moment psychologique » pour l’ouverture de la session du congrès panrusse des soviets. Rallier la démocratie paysanne petite-bourgeoise sous le drapeau du libéralisme bourgeois, allié et prisonnier du capital anglo-français et américain, pour isoler politiquement et « discipliner » le prolétariat : telle est désormais la tâche principale à laquelle le bloc gouvernemental des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires consacre toutes ses énergies. Les menaces cyniques de répression sanglante et les provocations à la violence ouverte constituent un élément essentiel de cette politique.

L’agonie du gouvernement de coalition a commencé e jour même de sa naissance. Les révolutionnaires doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher cette agonie de se terminer dans les convulsions de la guerre civile. La seule façon d’y arriver n’est pas dans une politique de soumission et d’esquive, qui ne fait qu’aiguiser l’appétit de politiciens aux dents longues, mais bien plutôt dans une politique offensive sur toute la ligne. Nous ne les laisserons pas nous isoler : nous devons les isoler, eux. Nous devons répondre aux initiatives minables et méprisables du gouvernement de coalition en faisant comprendre même aux secteurs les plus arriérés des masses laborieuses le sens de cette coalition qui parade publiquement sous le masque de la révolution. Aux méthodes des classes possédantes et de leur appendice mencheviks-social-révolutionnaire, que ce soit sur le problème du ravitaillement, nous devons opposer les méthodes du prolétariat. C’est seulement de cette façon qu’on peut isoler le libéralisme et gagner au prolétariat révolutionnaire une influence décisive sur les masses urbaines et rurales. En même temps que la chute inévitable de l’actuel gouvernement se produira celle des leaders actuels du soviet des délégués ouvriers et soldats. L’actuelle minorité du soviet a maintenant la possibilité de préserver l’autorité du soviet en tant que représentant de la révolution et de lui assurer la poursuite de ses fonctions en tant que pouvoir central. Cela deviendra plus clair chaque jour. La période de « double impuissance », avec un gouvernement qui ne peut pas et un soviet qui n’ose pas, doit inévitablement culminer dans une crise d’une gravité sans précédent. Il est de notre devoir de tendre toutes nos énergies en prévision de cette crise, de façon que le problème du pouvoir soit abordé dans toutes ses implications.

Izvestia, 3 juin 1917
Vperiod, 8 juin 1917

Notes

1 Du nom de deux villages suisses où se tinrent deux conférences internationales contre la guerre, les 5-8 septembre 1915 et 24-30 avril 1916. Après la création de la IIIe Internationale, l’union de Zimmerwald fut dissoute.

2 Ce congrès de la IIe Internationale se tint en août 1904. Les social-démocrates allemands, avec Bebel à leur tête, réussirent à faire passer une résolution condamnant l’acceptation par les socialistes français de portefeuilles dans le gouvernement bourgeois.

3 Konovalov était ministre du Commerce dans le premier gouvernement de coalition. Il démissionna le 31 mai 1917.

4 L’Albanie était devenue un État indépendant à la suite de la défaite de la Turquie dans la première guerre des Balkans (traité de Londres, 30 mai 1913). L’Italie envahit l’Albanie en 1914.

5 Début juin, les marins de la Baltique et les masses de Cronstadt se soulevèrent contre le gouvernement provisoire ; l’épithète la plus utilisée contre eux dans la presse russe et étrangère fut celle d’« anarchistes ». Le soviet de Cronstadt avait, par 210 voix contre 40, désavoué le gouvernement provisoire, déclarant qu’il ne reconnaissait que l’autorité du soviet de Petrograd. Cet acte fut déformé en tentative de sécession. Les marins de la Baltique furent une force révolutionnaire active à toutes les étapes de la révolution – contre le tsarisme, contre le gouvernement provisoire et dans le renversement de Kérensky par les bolcheviks. (Note de Luis C. Fraina, 1918.)

Le pacifisme, supplétif de l’impérialisme

Alors que les hommes s’entretuent dans tous les pays, jamais le monde n’a compté autant de pacifistes. Chaque époque historique a non seulement ses techniques et ses formes politiques propres, mais aussi son hypocrisie spécifique. A une certaine période, les peuples s’exterminaient mutuellement au nom des enseignements du christianisme, de l’amour de l’humanité. Désormais, seuls les gouvernements les plus réactionnaires en appellent au Christ. Les nations progressistes se coupent mutuellement la gorge au nom du pacifisme. Wilson entraîne les États-Unis dans la guerre au nom de la Ligue des Nations et de la paix perpétuelle. Kerensky et Tseretelli plaident pour une nouvelle offensive en prétendant qu’elle rapprochera l’arrivée de la paix.

Aujourd’hui, la verve satirique et l’indignation d’un Juvénal nous font cruellement défaut. De toute façon, même les armes satiriques les plus corrosives s’avèrent impuissantes et illusoires face à l’alliance triomphante de l’infamie et de la servilité — deux éléments qui se sont développés sans entraves avec cette guerre.

Le pacifisme possède le même lignage historique que la démocratie. La bourgeoisie a tenté d’accomplir une grande œuvre historique en essayant de placer toutes les relations humaines sous l’autorité de la raison et de remplacer des traditions aveugles et stupides par les outils de la pensée critique. Les contraintes que les guildes faisaient peser sur la production, les privilèges qui paralysaient les institutions politiques, la monarchie absolue – tout cela n’était que des vestiges des traditions du Moyen Age. La démocratie bourgeoise avait absolument besoin de l’égalité juridique pour permettre à la libre concurrence de s’épanouir, et du parlementarisme pour administrer les affaires publiques. Elle a cherché également à réguler les relations entre les nations de la même manière. Mais, sur ce point, elle s’est heurtée à la guerre, c’est-à-dire une façon de régler les problèmes qui représente une négation totale de la « raison ». Alors, elle a commencé à dire aux poètes, aux philosophes, aux moralistes et aux hommes d’affaires qu’il serait bien plus productif pour eux d’arriver à la « paix perpétuelle ». Et c’est cet argument logique qui se trouve à la base du pacifisme.

La tare originelle du pacifisme, cependant, est fondamentalement la même que celle de la démocratie bourgeoise. Sa critique n’aborde que la surface des phénomènes sociaux, elle n’ose pas tailler dans le vif et aller jusqu’aux relations économiques qui les sous-tendent. Le réalisme capitaliste joue avec l’idée d’une paix universelle fondée sur l’harmonie de la raison, et il le fait d’une façon peut-être encore plus cynique qu’avec les idées de liberté, d’égalité et fraternité. Le capitalisme a développé la technique sur une base rationnelle mais il a échoué à rationaliser les conditions économiques. Il a mis au point des armes d’extermination massive dont n’auraient jamais pu rêver les « barbares » de l’époque médiévale.

L’internationalisation rapide des relations économiques et la croissance constante du militarisme ont ôté tout fondement solide au pacifisme. Mais en même temps, ces mêmes forces lui ont procuré une nouvelle aura, qui contraste autant avec son ancienne apparence qu’un coucher de soleil flamboyant diffère d’une aube rosâtre.

Les dix années qui ont précédé la guerre mondiale sont généralement qualifiées de « paix armée », alors qu’il s’est agi en fait d’une période de guerre ininterrompue dans les territoires coloniaux.

La guerre a sévi dans des zones peuplées par des peuples faibles et arriérés ; elle a abouti à la participation de l’Afrique, de la Polynésie et de l’Asie, et ouvert la voie à la guerre actuelle. Mais, comme aucune guerre n’a éclaté en Europe depuis 1871, quoiqu’il y ait eu des conflits limités mais aigus, les petits bourgeois se sont bercés d’une douce illusion : l’existence et le renforcement continuel d’une armée nationale garantissaient la paix et permettraient un jour l’adoption d’un nouveau droit international. Les gouvernements capitalistes et le grand capital ne se sont évidemment pas opposés à cette interprétation « pacifiste » du militarisme. Pendant ce temps-là, les préparatifs du conflit mondial battaient leur plein, et bientôt la catastrophe se produirait.

Théoriquement et politiquement, le pacifisme repose exactement sur la même base que la doctrine de l’harmonie sociale entre des intérêts de classe différents.

L’opposition entre États capitalistes nationaux a exactement la même base économique que la lutte des classes. Si l’on croit possible une atténuation graduelle de la lutte des classes, alors on croira aussi à l’atténuation graduelle et à la régulation des conflits nationaux.

La petite bourgeoisie a toujours été le meilleur gardien de l’idéologie démocratique, de toutes ses traditions et ses illusions. Durant la seconde moitié du XIX°siècle, elle avait subi de profondes transformations internes, mais n’avait pas encore disparu de la scène. Au moment même où le développement de la technique capitaliste minait en permanence son rôle économique, le suffrage universel et la conscription obligatoire lui donnèrent, grâce à sa force numérique, l’illusion de jouer un rôle politique. Lorsqu’un petit patron réussissait à ne pas être écrasé par le grand capital, le système de crédit se chargeait de le soumettre. Il ne restait plus aux représentants du grand capital qu’à se subordonner la petite bourgeoisie sur le terrain politique, en se servant de ses théories et de ses préjugés et en leur donnant une valeur fictive. Telle est l’explication du phénomène que l’on a pu observer durant la décennie précédant la guerre : alors que le champ d’influence de l’impérialisme réactionnaire s’étendait et atteignait un niveau terrifiant, en même temps fleurissaient les illusions réformistes et pacifistes dans la démocratie bourgeoise. Le grand capital avait domestiqué la petite bourgeoisie pour servir ses fins impérialistes en s’appuyant sur les préjugés spécifiques de cette classe.

La France est l’exemple classique de ce double processus. Dans ce pays dominé par le capital financier il existe une petite bourgeoisie nombreuse et généralement conservatrice. Grâce aux prêts à l’étranger, aux colonies, à l’alliance avec la Russie et l’Angleterre, la couche supérieure de la population a été impliquée dans tous les intérêts et les conflits du capitalisme mondial. En même temps, la petite bourgeoisie française demeurait provinciale jusqu’à la moelle. Le petit bourgeois éprouve une peur instinctive devant les affaires mondiales et, toute sa vie, il a eu horreur de la guerre, essentiellement parce qu’il n’a en général qu’un fils, à qui il laissera son affaire et ses meubles. Ce petit bourgeois envoie un radical bourgeois le représenter à l’Assemblée, parce que ce monsieur promet qu’il préservera la paix grâce, d’une part, à la Ligue des Nations et, de l’autre, aux cosaques russes qui trancheront la tête du Kaiser à sa place. Lorsque le député radical, issu de son petit milieu d’avocats de province, arrive à Paris, il est animé par une solide foi en la paix. Cependant, il n’a qu’une très vague idée de la localisation du Golfe persique, et ne sait pas si le chemin de fer de Bagdad est nécessaire ni à qui il pourrait être utile. C’est dans ce milieu de députés « pacifistes » que l’on pioche pour former les gouvernements radicaux. Et ceux-ci se trouvent immédiatement empêtrés dans les ramifications de toutes les précédentes obligations diplomatiques et militaires souscrites en Russie, en Afrique, en Asie, au nom des divers groupes d’intérêts financiers de la Bourse française. Le gouvernement et l’Assemblée n’ont jamais abandonné leur phraséologie pacifiste, mais en même temps, ils ont poursuivi une politique extérieure qui a finalement mené la France à la guerre.

Les pacifismes anglais et américain — bien que les conditions sociales et l’idéologie de ces pays diffèrent considérablement de celles de la France (et malgré l’absence de toute idéologie en Amérique) — remplissent essentiellement la même tâche : ils fournissent un exutoire à la peur des citoyens petits bourgeois face aux secousses mondiales, qui, après tout, ne peuvent que les priver des derniers vestiges de leur indépendance ; ils bercent et endorment la vigilance de la petite-bourgeoisiegrâce à des notions comme le désarmement, le droit international ou les tribunaux d’arbitrage. Puis, à un moment donné, les pacifistes incitent la petite bourgeoisie à se donner corps et âme à l’impérialisme capitaliste qui a déjà mobilisé tous les moyens nécessaires à cet effet : connaissances techniques, art, religion, pacifisme bourgeois et « socialisme » patriotique.

« Nous étions contre la guerre, nos députés, nos ministres étaient tous opposés à la guerre », se lamente le petit bourgeois français : « Il s’ensuit donc que nous avons donc été forcés de faire la guerre et que, pour réaliser notre idéal pacifiste, nous devons mener cette guerre jusqu’à la victoire ». « Jusqu’au bout ! » s’écrie le représentant du pacifisme français, le baron d’Estournel de Constant pour consacrer solennellement la philosophie pacifiste.

Pour mener la guerre jusqu’à la victoire, la Bourse de Londres avait absolument besoin de la caution de pacifistes ayant la trempe du libéral Asquith ou du démagogue radical Lloyd George. « Si ces hommes conduisent la guerre, se sont dit les Anglais, alors nous devons avoir le droit pour nous. »

Tout comme les gaz de combat, ou les emprunts de guerre qui ne cessent d’augmenter, le pacifisme a donc son rôle à jouer dans le déroulement du conflit mondial.

Aux États-Unis, le pacifisme de la petite bourgeoisie a montré son vrai rôle, celui de serviteur de l’impérialisme, de façon encore moins dissimulée. Là-bas, comme partout ailleurs, ce sont les banques et les trusts qui font la politique. Même avant 1914, grâce au développement extraordinaire de l’industrie et des exportations, les États-Unis avaient déjà commencé à s’engager de plus en plus sur l’arène mondiale pour défendre leurs intérêts et ceux de l’impérialisme. Mais la guerre européenne a accéléré cette évolution impérialiste jusqu’à ce qu’elle atteigne un rythme fébrile. Au moment où de nombreuses personnes vertueuses (y compris Kautsky) espéraient que les horreurs de la boucherie européenne inspireraient à la bourgeoisie américaine une sainte horreur du militarisme, l’influence réelle du conflit en Europe se faisait sentir non sur le plan psychologique mais sur le plan matériel et aboutissait au résultat exactement inverse. Les exportations des États-Unis, qui s’élevaient en 1913 à 2 466 millions de dollars, ont progressé en 1916 jusqu’au montant incroyable de 5 481 millions. Naturellement l’industrie des munitions s’est taillée la part du lion. Puis a surgi tout à coup la menace de l’interruption du commerce avec les pays de l’Entente, lorsqu’a commencé la guerre sous-marine à outrance. En 1915, l’Entente avait importé 35 milliards de biens américains, alors que l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie n’avaient importé que 15 millions. Des profits gigantesques étaient donc en jeu, mais aussi une grave crise de l’ensemble de l’industrie américaine qui repose sur l’industrie de guerre. C’est ces chiffres que nous devons avoir en tête si nous voulons comprendre la répartition des « sympathies » pour chaque camp en Amérique. Et les capitalistes en ont donc appelé à l’État : « Vous avez constitué l’industrie militaire sous le drapeau du pacifisme, c’est donc à vous de nous trouver de nouveaux marchés. » Si l’État n’était pas en mesure de promettre la « libre circulation sur les mers » (autrement dit, la liberté d’extraire du capital à partir du sang humain), il devait dégager de nouveaux marchés pour les industries de guerre menacées – en Amérique même. Et les besoins de la boucherie européenne ont donc abouti à une militarisation soudaine et catastrophique des États-Unis.

Il était prévisible que ces mesures allaient susciter l’opposition d’une grande partie de la population. Calmer ce mécontentement aux contours indéfinis et le transformer en coopération patriotique constituait un défi capital en matière de politique intérieure. Et par une étrange ironie de l’Histoire, le pacifisme officiel de Wilson, tout autant que le pacifisme « d’opposition » de Bryan, a fourni les armes les plus aptes à réaliser ce dessein : contrôler les masses par le militarisme.

Bryan a exprimé haut et fort l’aversion naturelle des paysans et de tous les petits bourgeois envers l’impérialisme, le militarisme et l’augmentation des impôts. Mais tandis qu’il multipliait pétitions et délégations en direction de ses collègues pacifistes qui occupaient les plus hautes charges gouvernementales, Bryan faisait tout pour rompre avec la tendance révolutionnaire de ce mouvement.

« Si on en vient à la guerre, télégraphia par exemple Bryan à un meeting anti-guerre qui avait lieu à Chicago en février, alors, bien sûr, nous soutiendrons le gouvernement, mais jusqu’à ce moment, notre devoir le plus sacré est de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter les horreurs de la guerre. » Ces quelques mots contiennent tout le programme du pacifisme petit bourgeois. « Tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter la guerre » signifie offrir un exutoire à l’opposition des masses sous forme de manifestes inoffensifs. On assure ainsi au gouvernement que, si la guerre a lieu, l’opposition pacifiste ne créera aucun obstacle à son action.

En vérité, c’est tout ce dont avait besoin le pacifisme officiel : un Wilson qui avait déjà donné aux capitalistes qui font la guerre nombre de preuves de sa « disposition à combattre ». Et Mr. Bryan lui-même trouva qu’il suffisait d’avoir fait ces déclarations, après quoi il fut satisfait de mettre de côté son opposition tonitruante à la guerre dans un seul but : déclarer la guerre. Comme Wilson, Bryan se précipita au secours du gouvernement. Et les grandes masses, pas seulement la petite bourgeoisie, se dirent : « Si notre gouvernement, dirigé par un pacifiste de réputation mondiale comme Wilson peut déclarer la guerre, et que Bryan lui-même peut le soutenir sur la question de la guerre, alors il s’agit sûrement d’une guerre juste et nécessaire ». Ceci explique pourquoi le pacifisme vertueux, à la mode quaker, soutenu par les démagogues qui dirigent le gouvernement, était tenu en si haute estime par la Bourse et les dirigeants de l’industrie de guerre.

Notre propre pacifisme menchevik, socialiste-révolutionnaire, malgré les différences des conditions locales, a joué exactement le même rôle, à sa façon. La résolution sur la guerre, adoptée par la majorité du Congrès panrusse des Conseils d’ouvriers et de soldats, se fonde non seulement sur les mêmes préjugés pacifistes en ce qui concerne la guerre, mais aussi sur les caractéristiques de la guerre impérialiste. Le congrès a affirmé que « la première et plus importante des tâches de la démocratie révolutionnaire » était d’en finir rapidement avec la guerre. Mais ces déclarations n’avaient qu’un but : tant que les efforts internationaux de la démocratie bourgeoise n’arrivent pas à en finir avec la guerre, la démocratie révolutionnaire russe exige avec force que l’armée russe soit préparée au combat, à la défensive comme à l’offensive.

La révision des anciens traités internationaux oblige le Congrès panrusse à se soumettre au bon vouloir des diplomates de l’Entente, et ce n’est pas dans leur nature de liquider le caractère impérialiste de la guerre – même s’ils le pouvaient. Les « efforts internationaux des démocraties » abandonnent le Congrès panrusse et ses dirigeants entre les mains des patriotes social-démocrates, qui sont pieds et poings liés à leurs gouvernements impérialistes. Et cette même majorité du Congrès panrusse, après s’être engagée dans une voie sans issue (« la fin la plus rapide possible de la guerre »), a maintenant abouti, en ce qui concerne la politique pratique, à une conclusion précise : l’offensive. Un « pacifisme » qui se soumet à la petite bourgeoisie et nous amène à soutenir l’offensive sera bien sûr accueilli très chaleureusement par le gouvernement russe mais aussi par les puissances impérialistes de l’Entente.

Milioukov déclare par exemple : « Notre loyauté envers nos alliés et envers les anciens traités (impérialistes) signés nous oblige à entamer l’offensive. »

Kerensky et Tsérételli affirment : « Bien que les anciens traités n’aient pas encore été révisés, l’offensive est inévitable. »

Les arguments varient mais la politique est la même. Et il ne peut en être autrement, puisque Kerensky et Tsérételli sont étroitement liés au parti de Milioukov qui se trouve au gouvernement.
Le pacifisme social-démocrate et patriotique de Dan, tout comme le pacifisme à mode quaker de Bryan, sert, dans les faits, l’intérêt des puissances impérialistes.

C’est pourquoi la tâche la plus importante de la diplomatie russe ne consiste pas à persuader la diplomatie de l’Entente de réviser tel ou tel traité, ou d’abroger telle disposition, mais de la convaincre que la révolution russe est absolument fiable, qu’on peut lui faire confiance en toute sécurité.

L’ambassadeur russe, Bachmatiev, dans son discours devant le Congrès américain du 10 juin, a aussi caractérisé l’activité du gouvernement provisoire de ce point de vue :

« Tous ces évènements, a-t-il dit, montrent que le pouvoir et la représentativité du gouvernement provisoire augmentent chaque jour. Plus ils augmenteront, plus le gouvernement sera en mesure d’éliminer les éléments désintégrateurs, qu’ils viennent de la réaction ou de l’extrême gauche. Le gouvernement provisoire vient juste de décider de prendre toutes les mesures nécessaires pour y arriver, même s’il doit utiliser la force, et bien qu’il ne cesse de rechercher une solution pacifique à ces problèmes. »

On ne peut douter un instant que l’« honneur national » de nos patriotes sociaux-démocrates reste intact lorsque l’ambassadeur de la « démocratie révolutionnaire » s’empresse de démontrer à la ploutocratie américaine que le gouvernement russe est prêt à faire couler le sang du prolétariat russe au nom de la loi et l’ordre. L‘élément le plus important du maintien de l’ordre étant le soutien loyal aux capitalistes de l’Entente.

Et tandis Herr Bachmatief, chapeau à la main, s’adressait humblement aux hyènes de la Bourse américaine, Messieurs Tsérételli et Kérensky endormaient la « démocratie révolutionnaire », en lui assurant qu’il était impossible de combattre l’ « anarchie de la gauche » sans utiliser la force et menaçaient de désarmer les ouvriers de Pétrograd et les régiments qui les soutenaient. Nous pouvons voir maintenant que ces menaces étaient proférées au bon moment : elles étaient la meilleure garantie pour les prêts américains à la Russie.

« Vous pouvez maintenant voir, aurait pu dire Herr Bachmatiev à Mr. Wilson, que notre pacifisme révolutionnaire ne diffère pas d’un cheveu du pacifisme de votre Bourse. Et s’ils peuvent croire en Mr. Bryan, pourquoi ne pourraient-ils croire Herr Tsérételli ? »


Le pacifisme au service de l’impérialisme

Il n’y a jamais eu autant de pacifistes, maintenant que les gens s’étripent dans tous les coins de la planète. Chaque époque possède sa technique et ses formes politiques, mais aussi son style d’hypocrisie - il fut un temps où les hommes s’égorgeaient pour la plus grande gloire du Christ et l’amour du prochain. Maintenant le Christ n’est invoqué que par les gouvernements les plus arriérés. Les peuples évolués se massacrent au nom du Pacifisme. Wilson, au nom de la Ligue des Nations et d’une paix durable, a lancé son pays dans la guerre Kérensky et Tséretelli exigent une offensive pour « accélérer la fin de la guerre »... À cette époque manque son Juvénal ? Mais il faut bien ajouter que les moyens satiriques les plus puissants demeureraient désarmés devant la bêtise et la lâcheté triomphantes.

Le pacifisme est de la même veine que la démocratie. La bourgeoisie a fait le grand essai historique de rationaliser les relations humaines, c’est-à-dire d’enserrer la tradition aveugle et obtuse par les constructions de l’esprit critique. Les corporations, les privilèges, l’absolutisme monarchiste, tout ceci était l’héritage du Moyen Age. La bourgeoisie réclamait l’égalité juridique, la libre concurrence et des méthodes parlementaires pour diriger les affaires publiques. Elle appliqua naturellement son critère rationaliste aux relations internationales. Ici elle se heurta à la guerre connue à une méthode de solution des questions, mais qui est la négation même « de l’esprit ». Elle commença à démontrer aux peuples — par le langage de la poésie, de la morale et de la comptabilité — qu’il leur est plus avantageux de se soumettre aux règles d’une paix éternelle. Telles sont les racines logiques du pacifisme.

Dès la naissance même, on avait déposé en lui un vice fondamental caractéristique de la démocratie bourgeoise ses critiques ne font qu’effleurer les événements politiques, sans oser approfondir les bases économiques. Avec l’idée d’une paix éternelle fondée sur des accords de « raison » le Capitalisme a agi encore plus cruellement que lorsqu’il était guidé par les idées de liberté, de fraternité et d’égalité. En rationalisant la technique, mais en ne modifiant pas l’organisation collective de la propriété, le Capitalisme a créé des armes de destruction dont n’aurait pas osé rêver le Moyen Age « barbare ».

La détérioration constante des relations internationales et l’accroissement illimité du militarisme arrachèrent au pacifisme Sa plate-forme objective. D’un antre côté, ces conditions l’ont appelé à une nouvelle vie qui se différencie de la première, comme le soleil couchant rouge sang, de son lever.

Les dix années précédant la guerre furent l’époque de ce que l’on appela « la Paix armée ». Pendant tout ce temps, il est vrai, eurent lieu des expéditions et des campagnes, mais dans les colonies. Se déroulant sur les territoires de peuples faibles et attardés, en Afrique, Asie, Indonésie, ces guerres préparaient la guerre mondiale. Mais, comme après 1871, il n’y avait pas de guerre en Europe, la petite-bourgeoisie s’habitua à regarder l’accroissement de l’armée comme une garantie de paix.

Les gouvernements capitalistes et les rois n’avaient, on s’en doute, rien contre une pareille conception. Et les conflits s’amoncelaient préparant l’explosion finale.

Le pacifisme théorique et politique a la même valeur que l’enseignement de l’accordéon pour les réformes sociales. Les antagonismes entre les nations ont les mêmes racines que ceux entre les classes. Si l’on admet la possibilité de résoudre lentement les contradictions de classe, alors il faut être du même avis pour l’apaisement et la régularisation des relations internationales.

La petite-bourgeoisie a été le foyer de l’idéologie démocratique avec toutes ses traditions et ses illusions. Elle s’est renouvelée pendant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, mais elle ne quitta pas la scène. Dans le même temps que les développements de la technique enterraient irrémédiablement son rôle économique, le suffrage universel et le service militaire obligatoire lui conféraient. grâce à sa puissance numérique, une importance politique. Le grand Capital, pour autant qu’il n’effaça pas la bourgeoisie de la surface terrestre, se la soumit à l’aide du système de crédit. Il ne restait plus aux représentants du Capitalisme qu’à la subordonner dans l’arène politique par l’octroi d’un crédit fictif à ses préjugés et ses théories. Voici le motif, comme nous avons pu l’observer, de l’épanouissement trompeur de la bourgeoisie avec le réformisme et le pacifisme. Le Capitalisme asservit la petite-bourgeoisie en usant des préjugés de cette dernière.

C’est en France que l’on observa le plus clairement ce processus à deux faces. Le règne du Capitalisme qui s’appuie sur la petite-bourgeoisie la plus conservatrice du monde. Grâce aux emprunts étrangers, aux colonies et à l’alliance avec l’Angleterre et la Russie, les sphères financières de la Troisième République se trouvèrent entraînées dans les intérêts et les heurts de la politique mondiale. Pourtant le petit-bourgeois est provincial jusqu’à la moelle des os. Il a toujours senti une répugnance instinctive pour la géographie et a toujours craint la guerre pour la bonne raison qu’il a un fils unique qui doit hériter de son affaire et de ses meubles. Ce petit-bourgeois a envoyé au Parlement un radical qui lui a promis de sauvegarder la paix — d’une part au moyen de la Ligue des Nations, de l’autre par les Cosaques qui doivent tenir le Kaiser au collet. Le député radical, un avocat de province, est venu à Paris, non seulement avec d’excellentes intentions pacifistes, mais avec une totale ignorance de la situation du Golfe Persique et de la nécessité du chemin de fer jusqu’à Bagdad. Cette majorité radicale constitue un ministère radical qui se trouve empêtré par toutes les obligations et les intérêts financiers de la Bourse en Russie, en Afrique et en Asie. Ne cessant pas de prodiguer de belles phrases pacifistes, le ministère continua une politique mondiale qui entraîna la France dans la guerre.

Le pacifisme anglais, et aussi le pacifisme américain, avec toutes les différences que cela comporte de formes d’idéologie, accomplit le même travail. Il rassure le petit-bourgeois qui craint de perdre dans des bouleversements tout ce qui reste de son indépendance. Il le berce de ses chants sur le désarmement, les droits des peuples, le tribunal mondial, pour ensuite le livrer au Capitalisme impérialiste qui mobilise tout : la technique, l’Eglise, l’art le pacifisme et le socialisme patriotique.

« Nous avons toujours été contre la guerre, dit le citoyen français, donc la guerre nous a été imposée et, au nom des idéaux pacifistes, nous devons la mener jusqu’au bout. » Et le président des pacifistes français, le baron d’Estournelles de Constant, soutient triomphalement cette philosophie pacifiste d’une guerre impérialiste : la guerre jusqu’au bout.

La Bourse anglaise a mobilisé les pacifistes, tels le libéral Asquith et le démagogue radical Lloyd George. « Si ces gens-là mènent la guerre, se disent les masses, cela signifie que le bon droit est de notre côté. » Ainsi le pacifisme occupe un poste de responsabilité dans l’économie de la guerre au même titre que le bourrage de crânes et les emprunts gouvernementaux.

L’aide apportée par le pacIfisme petit-bourgeois à l’impérialisme se dévoile plus brutalement encore aux U.S.A. Ce sont les banques et les trusts qui mènent la vraie politique plus que partout ailleurs dans le monde. Déjà avant la guerre, les U.S.A., grâce à l’énorme développement de l’industrie et du commerce extérieur, s’avançaient systématiquement sur la voie d’une politique mondiale. La guerre européenne imprima à ce développement impérialiste un tempo fiévreux. Alors que des personnes très bien intentionnées, tels que Kautsky, nourrissaient l’espoir que les horreurs de la guerre européenne inspireraient à la bourgeoisie américaine une profonde aversion pour le militarisme, l’influence des événements s’exerçait, non psychologiquement mais matériellement, et conduisait aux résultats opposés. Les exportations américaines, qui atteignaient, en 1913, la somme de 2.466 millions de dollars, arrivaient à la hauteur incroyable, en 1916, de 5.481 milions. L’industrie de guerre s’adjugeait, bien entendu, la part du lion. La cessation brutale des exportations, après la déclaration de guerre sous-marine totale, n’était pas seulement l’arrêt soudain de profits gigantesques, mais la menace d’une crise, encore jamais vue, de toute l’industrie américaine sur le pied de guerre. Le Capitalisme s’adressa au gouvernement : « Tu as protégé le développement de notre industrie sous le drapeau du pacifisme et de la neutralité », maintenant tu dois garantir nos ventes. « Si le Pouvoir ne peut assurer la liberté des mers », c’est-à-dire la liberté de se nourrir du sang européen, il peut procurer un nouvel écoulement aux produits de l’industrie de guerre en Amérique même. En alimentant la guerre européenne, on est arrivé à la nécessité de militariser les U.S.A., tout de suite, en catastrophe.

Cette tâche devait rencontrer l’opposition des grandes masses populaires. Faire se préciser ce mécontentement mal défini et ]e faire se dissoudre dans le courant patriotique devint le problème intérieur essentiel du Pouvoir. L’ironie de l’Histoire a voulu que le « pacifisme » officiel de Wilson et le pacifisme « oppositionnel » de Bryan turent les plus puissants moyens mis en œuvre pour résoudre ce problème éducation militariste des masses.

Bryan se dépêcha de donner un grand retentissement à la répugnance naturelle des fermiers et des « petites-gens » pour la politique militariste, la soldatesque et l’augmentation des impôts. Mais, tout en envoyant des tonnes de pétitions et des wagons de députations a son collègue en place au gouvernement, Bryan se souciait par-dessus tout de briser ce que ce mouvement pouvait avoir d’acéré. « Si l’affaire est poussée jusqu’à la guerre, télégraphiait Bryan à un meeting contre la guerre à Chicago, nous soutiendrons le gouvernement, cela va de soi ; mais, pour le moment, notre devoir le plus sacré est de protéger notre peuple des horreurs de la guerre et de faire, pour cela, tout ce qui est en notre pouvoir. » En ces quelques mots se résume le programme du pacifisme petit-bourgeois « Faire tout ce qui est en notre pouvoir contre la guerre », offrir un exutoire à l’insatisfaction populaire au moyen de meetings inoffensifs, tout en donnant la garantie au Pouvoir qu’il ne rencontrera pas d’obstacles de la part de l’opposition pacifiste.

Le pacifisme officiel n’avait pas besoin d’autre chose, lui qui, incarné par Wilson, a donné au Capitalisme belliciste assez de preuves de sa « capacité de combat » impérialiste. Sur la base des déclarations de Bryan, pour réussir à composer avec sa bruyante opposition, il ne restait plus qu’à Wilson qu’un moyen déclarer la guerre... C’est ce qu’il a fait. Et Bryan est passé avec armes et bagages dans le camp gouvernemental. Et la petite-bourgeoisie et de nombreux travailleurs se disent »Du moment que notre gouvernement avec un pacifiste si chevronné que Wilson a déclaré la guerre, que Bryan lui-même l’a approuvé, c’est donc que la guerre était inévitable et qu’elle est juste... » On comprend alors pourquoi le pacifisme « quaker » des démagogues gouvernementaux est si coté à la Bourse militaro-industrielle.

Notre pacifisme menchévik et S.R., à part des différences de formes, joue exactement le même rôle. La résolution, approuvée par la majorité du Comité Panrusse, est non seulement de conception pacifiste, mais impérialiste. Elle proclame que la lutte pour la cessation immédiate de la guerre « est le plus grave problème posé à la démocratie révolutionnaire ». Mais toutes ces prémisses ne sont mobilisées que pour arriver à la conclusion suivante : « Jusqu’à ce qu’il ne soit pas mis fin à la guerre par des efforts démocratiques, la démocratie. révolutionnaire russe a le devoir de coopérer activement à l’effort de guerre de notre armée et à la capacité de celle-ci d’agir défensivement et offensivement... » Donc le Comité, à l’instar du Gouvernement provisoire, se place sous la dépendance du bon vouloir de la diplomatie alliée qui ne peut et ne veut liquider le caractère impérialiste de la guerre. »Les efforts internationaux de la démocratie », le comité les subordonne à l’action des sociaux-patriotes qui sont intimement liés à leurs maîtres, les Impérialistes. S’enfermant volontairement dans un cercle enchanté, la majorité du Comité en arrive à la conclusion pratique : l’offensive sur le front. Ce pacifisme qui discipline la petite-bourgeoisie et aboutit à l’offensive reçoit, à n’en pas douter, le meilleur accueil de la part des Impérialistes russes et alliés.

Milioukov déclare : « Il faut attaquer au nom de la fidélité aux Alliés et du respect des accords. » Kérensky et Tsérételli disent : « Il faut attaquer bien que les anciens accords n’aient pas été révisés. » Les arguments sont différents, mais la politique est la m me. Ce n’est pas étonnant puisque Kérensky et Tsérételli sont liés au gouvernement avec le Parti de Milioukov. En fait, le pacifisme des Danois et le pacifisme « quaker » d’un Wilson sont au service de l’impérialisme.

Dans de telles circonstances, la tâche principale de la diplomatie russe n’est pas d’obliger la diplomatie alliée à réviser de vieux accords, mais de le convaincre que la Révolution russe est pleine d’espoirs..., et qu’on peut lui faire confiance. L’ambassadeur russe Bakhmétiev, devant le Congrès des U.S.A., a caractérisé l’activité du Gouvernement Provisoire : »Toutes ces circonstances démontrent que le pouvoir et la signification du Gouvernement Provisoire croisssent chaque jour, que, de plus en plus, il s’affirme capable de combattre les éléments de désordre venant soit de la réaction, soit de l’extrême-gauche. Actuellement, le Gouvernement Provisoire est résolu à prendre les mesures les plus énergiques en recourant même, si besoin est, à la force, en dépit de ses efforts constants vers une solution pacifique. »

Ne doutons pas que « l’honneur national » reste parfaitement intact, quand un ambassadeur d’une « démocratie révolutionnaire » prouve a une assemblée américaine plutocrate la capacité de son gouvernement de faire verser le sang des prolétaires au nom de l’Ordre.

En même temps que Bakhmétiev, chapeau bas, prononçait son méprisable discours, Kérensky et Tsérételli déclaraient « qu’il était impossible de ne pas avoir recours aux armes contre l’anarchie de gauche » et menaçaient de désarmer les ouvriers de Pétrograd. Ces menaces sont venues au meilleur moment elles ont servi à l’Emprunt russe auprès de la Bourse de New York. « Vous voyez bien, pourrait dire Bakhmétiev à Wilson, notre pacifisme révolutionnaire ne se différencie pas du vôtre qui est boursier, et si vous avez confiance en Bryan, vous devez aussi vous fier à Tsérételli. »

Il ne reste plus qu’à demander combien faut-il de chair et de sang russes sur les fronts extérieur et intérieur pour garantir l’Emprunt qui doit, à son tour, garantir notre fidélité à la cause des Alliés ?

Le soulèvement de juillet

Le sang a coulé dans les rues de Petrograd. Un chapitre tragique s’est ajouté à la Révolution russe. Qui est à blâmer ? « Les bolcheviks », dit l’homme de la rue en répétant ce que lui disent ses journaux. La somme totale de ces événements tragiques est épuisée, en ce qui concerne la bourgeoisie et les politiciens au service du temps, dans les mots : Arrêtez les meneurs et désarmez les masses. Et le but de cette action est d’établir « l’ordre révolutionnaire ». Les sociaux-révolutionnaires et les mencheviks, en arrêtant et en désarmant les bolcheviks, sont prêts à établir « l’ordre ». Il n’y a qu’une seule question : quel type de commande, et pour qui ?

La Révolution a suscité de grands espoirs dans les masses. Parmi les masses de Petrograd, qui ont joué un rôle de premier plan dans la Révolution, ces espoirs et ces attentes étaient nourris avec un sérieux exceptionnel. C’était la tâche du Parti social-démocrate de transformer ces espoirs et ces attentes en programmes politiques clairement définis pour diriger l’impatience révolutionnaire des masses dans le canal d’une action politique planifiée. La Révolution est confrontée à la question du pouvoir d’État. Nous, ainsi que l’organisation bolchevique, avons plaidé pour une passation de tous les pouvoirs au Comité central des Conseils des délégués ouvriers, soldats et paysans. Les classes supérieures, et parmi elles il faut compter les social-révolutionnaires et les mencheviks, exhortaient les masses à soutenir le gouvernement Milioukov-Goutchkov. Jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire jusqu’au moment où ces figures plus nettement impérialistes du premier gouvernement provisoire démissionnèrent, les deux partis susmentionnés étaient fermement unis au gouvernement sur toute la ligne. Ce n’est qu’après la reconstruction du gouvernement que les masses ont appris par leurs propres journaux qu’on ne leur avait pas dit toute la vérité, qu’elles avaient été trompées. On leur a alors dit qu’ils devaient faire confiance au nouveau gouvernement de « coalition ». La social-démocratie révolutionnaire prédisait que le nouveau gouvernement ne différerait pas essentiellement de l’ancien, qu’il ne ferait aucune concession à la Révolution et trahirait à nouveau les espérances des masses. Et c’est ainsi que cela arriva. Après deux mois d’une politique de faiblesse, d’exigences de confiance, d’exhortations verbeuses, la position de brouillage du gouvernement ne pouvait plus être occultée. Il devint clair que les masses avaient une fois de plus – et cette fois plus cruellement que jamais – été trompées. L’impatience et la méfiance de la grande masse d’ouvriers et de soldats de Petrograd augmentaient, non pas de jour en jour, mais d’heure en heure. Ces sentiments, nourris par la guerre prolongée, si désespérée pour tous ceux qui y participent, par la désorganisation économique, par la mise en place invisible d’un arrêt général des branches de production les plus importantes, trouvèrent leur expression politique immédiate dans le mot d’ordre : « Tout pouvoir aux Soviétiques ! La retraite des cadets et la preuve certaine de la banqueroute interne du gouvernement provisoire convainquirent encore plus les masses qu’elles avaient raison contre les chefs officiels des soviets. Les hésitations des sociaux-révolutionnaires et des mencheviks n’ont fait que mettre de l’huile sur le feu. Les demandes, presque des persécutions, adressées à la garnison de Petrograd, l’obligeant à inaugurer une offensive, eurent le même effet. Une explosion est devenue inévitable. Tous les partis, y compris les bolcheviks, firent tout pour empêcher les masses de faire la manifestation du 16 juillet ; mais les masses ont manifesté, et les armes à la main d’ailleurs. Tous les agitateurs, tous les représentants du quartier déclarèrent le 16 juillet au soir que la manifestation du 17 juillet, puisque la question du pouvoir restait en suspens, devait avoir lieu, et qu’aucune mesure ne pouvait retenir le peuple. C’est la seule raison pour laquelle le Parti bolchevik, et avec lui notre organisation, a décidé de ne pas rester à l’écart et de se laver les mains des conséquences, mais de faire tout ce qui est en son pouvoir pour transformer l’affaire du 17 juillet en une manifestation de masse pacifique. Aucun autre n’était le sens de l’appel du 17 juillet. Il était bien entendu évident, compte tenu de l’intervention certaine des bandes contre-révolutionnaires, que des conflits sanglants allaient éclater. Il aurait été possible, il est vrai, de priver les masses de toute orientation politique, de les décapiter politiquement pour ainsi dire, et, en refusant de les diriger, de les laisser à leur sort. Mais nous, étant le Parti ouvrier, nous ne pouvions ni ne voulions suivre la tactique de Pilate : nous décidâmes de nous joindre aux masses et de nous y tenir, afin d’introduire dans leur agitation élémentaire la plus grande mesure d’organisation possible dans les circonstances, et ainsi réduire au minimum le nombre de victimes probables. Les faits sont bien connus. Le sang a été versé. Et maintenant, la presse « influente » de la bourgeoisie, et d’autres journaux au service de la bourgeoisie, essaient de mettre sur nos épaules tout le fardeau de la responsabilité des conséquences – de la pauvreté, de l’épuisement, de la désaffection et de la rébellion des masses. Pour accomplir cette fin, pour achever ce travail de mobilisation contre-révolutionnaire contre le parti du prolétariat, sortent des vauriens de variétés anonymes, semi-anonymes ou publiquement marqués, qui font circuler des accusations de corruption : le sang a coulé à cause des bolcheviks, et les bolcheviks agissaient sous les ordres de Guillaume.

Nous traversons actuellement des jours d’épreuve. La fermeté des masses, leur maîtrise de soi, la fidélité de leurs « amis », toutes ces choses sont mises à rude épreuve. Nous subissons aussi cette épreuve et nous en sortirons plus forts, plus unis que de toute épreuve précédente. La vie est avec nous et se bat pour nous. La nouvelle reconstruction du pouvoir, dictée par une situation incontournable, et par la misérable timidité des partis au pouvoir, ne changera rien et ne résoudra rien. Nous devons avoir un changement radical de tout le système. Nous avons besoin d’un pouvoir révolutionnaire. La politique de Tseretelli-Kerensky vise directement à désarmer et à affaiblir l’aile gauche de la Révolution. Si, à l’aide de ces méthodes, ils parviennent à établir « l’ordre », ils seront les premiers – après nous, bien sûr – à être victimes de cet « ordre ». Mais ils ne réussiront pas. La contradiction est trop profonde, les problèmes sont trop énormes pour être réglés par de simples mesures policières. Après les jours d’épreuve viendront les jours de progrès et de victoire.

Léon Trotsky

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