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La défaite de la classe ouvrière en Belgique en avril 1902 et le rôle du réformisme social-démocrate

mardi 2 novembre 2010, par Robert Paris

« L’expérience belge »

de Rosa Luxemburg

1902

L’écroulement soudain de la grande action de la classe ouvrière belge, vers laquelle étaient dirigés les regards de tout le prolétariat international, est un rude coup pour le mouvement de tous les pays. Il serait inutile de nous consoler par les phrases générales habituelles en disant que la lutte n’est que remise, que, tôt ou tard, nous l’emporterons aussi en Belgique. Pour juger tel où tel épisode de la lutte des classes, on peut considérer la marche générale de l’histoire, qui nous profite en fin de compte. La marche générale de l’histoire n’est que la condition objective donnée de nos luttes et de nos victoires. Ce qu’il faut considérer, ce sont les éléments subjectifs, l’attitude consciente de la classe ouvrière combattante et de ses chefs, attitude qui vise nettement à nous assurer la victoire par la voie la plus rapide. A ce point de vue, immédiatement après la défaite, notre première tâche est de nous rendre compte aussi clairement que possible de ses causes.

Ce qui, avant tout, saute aux yeux lorsqu’on passe en revue la courte campagne des dernières semaines, c’est le manque d’une tactique claire et conséquente chez nos leaders belges.
Tout d’abord nous les voyons limiter la lutte au cadre de la Chambre. Bien qu’il n’y eût pour ainsi dire, dès le début, aucun espoir que la majorité cléricale capitulât, la fraction socialiste semblait ne pas vouloir proclamer la grève générale. Celle-ci éclata bien plus par la décision souveraine de la masse prolétarienne impatiente. Au 14 avril on pouvait lire dans le Peuple de Bruxelles :
« On dit que le gouvernement est décidé à tenir jusqu’au bout, et la classe, elle aussi, se prépare à tout. Et c’est pourquoi la grève générale vient d’être proclamée dans le pays entier, non par les organes politiques du parti, mais par ses organes économiques, non par ses députés, mais par ses délégués syndicaux. C’est le prolétariat organisé lui-même qui, ne voyant pas d’autres moyens pour vaincre, vient de décider solennellement de cesser partout le travail. »
Le député Demblon fit, le 18 avril, à la Chambre, la même constatation :
« Qui oserait dire encore aujourd’hui que personne n’est en état d’agitation, sinon les agitateurs eux-mêmes, en face de l’explosion foudroyante de la grève générale, à laquelle nous-mêmes ne nous attendions pas ? » (Voir compte rendu parlementaire du Peuple du 19 avril.)
Mais, la grève générale ayant éclaté d’elle-même, les chefs socialistes se déclarèrent immédiatement solidaires des masses ouvrières et de la grève générale, suprême moyen de lutte. La grève générale jusqu’à la victoire, tel fut le mode d’ordre lancé par la fraction socialiste et par la direction du parti. Jour après jour à partir du 15 avril le Peuple a encouragé les grévistes à maintenir leur position.
Le 16 avril, le Peuple écrit :
« Du fond de leur âme, les socialistes auraient souhaité ne pas être poussés à la grève générale et le congrès de Pâques du parti, s’en remettant aux circonstances pour déterminer l’instrument convenable de lutte, n’avait rien décidé à ce sujet . . . Mais la grève générale seule est capable de nous assurer définitivement et malgré tout la victoire. »
Le Peuple du 17 avril dit :
« Il n’y a ni lassitude ni découragement dans la classe ouvrière, nous le jurons en son nom. Nous lutterons jusqu’à la victoire. »
Le Peuple du 18 affirme :
« La grève générale durera aussi longtemps qu’il sera nécessaire pour conquérir le suffrage universel. »
Le même jour, le Conseil général du Parti Ouvrier décida de continuer la grève générale, après le refus de révision par la Chambre.
Le matin du 20 avril, l’organe central de Bruxelles s’exclamait :
« Continuer la grève générale, c’est sauver le suffrage universel. »
Et, le même jour, la fraction socialiste et la direction du parti, par une volte-face subite, décidèrent de cesser la grève générale.
Les mêmes hésitations se manifestèrent pour l’autre mot d’ordre de la campagne : la dissolution du Parlement. Lorsque, le 15 avril, les libéraux la réclamèrent à la Chambre, les socialistes s’abstinrent d’intervenir et ne votèrent donc pas non plus en faveur de l’ajournement du moment décisif, ajournement désiré par la bourgeoisie.
Mis à présent en face de la décision de cesser la grève générale, nos camarades reprennent tout à coup ce mot d’ordre et le Peuple du 20 avril recommande aux ouvriers : « Réclamez partout à grands cris la dissolution du Parlement ! » Ces derniers jours encore, une volte-face se remarquait à ce même sujet dans l’attitude des chefs. Le Peuple du 20 avril présente la grève générale comme le seul moyen d’imposer la dissolution de la Chambre. Mais, ce même jour, la direction du parti décidait de cesser la grève générale, et dès lors la seule voie permettant d’obtenir la dissolution du Parlement paraît être l’intervention auprès du roi.
Ainsi s’enchevêtraient, se croisaient et s’entre-choquaient au cours de la récente campagne belge les différents mots d’ordre : obstruction au Parlement, grève générale, dissolution de la Chambre, intervention du roi. Aucun de ces mots d’ordre ne fut poursuivi jusqu’au bout et finalement toute la campagne fut étouffée d’un seul coup, sans aucune raison apparente, et les ouvriers furent renvoyés chez eux, consternés, les mains vides.
Si l’on ne pouvait s’attendre que la majorité parlementaire consentît à réviser la Constitution, on ne comprend pas pourquoi on recourut à la grève générale avec tant d’hésitation et de répugnance. On ne s’explique pas pourquoi, tout à coup, précisément lorsqu’elle prenait un bon élan, elle fut suspendue alors qu’on avait reconnu en elle le seul moyen de lutte.
Si une dissolution du Parlement et de nouvelles élections laissaient vraiment prévoir la défaite des cléricaux, il est impossible alors de s’expliquer la passivité de nos députés lorsque les libéraux proposèrent de dissoudre le Parlement, et plus impossible encore de comprendre toute la campagne actuelle pour la révision de la Constitution, qui de toutes façons pouvait être obtenue effectivement aux élections prochaines. Mais si l’espoir mis dans de nouvelles élections est vain sous le système électoral actuel, à son tour l’enthousiasme actuel des socialistes pour ce mot d’ordre est incompréhensible.
Toutes ces contradictions semblent insolubles tant qu’on analyse la tactique socialiste en soi dans la campagne belge, mais elles s’expliquent très simplement dès qu’on envisage le camp socialiste dans sa liaison avec le camp libéral.
Ce sont avant tout les libéraux qui déterminèrent le programme des socialistes dans la récente lutte. C’est sur leur ordre notamment que le Parti Ouvrier dut renoncer au suffrage féminin pour adopter la représentation proportionnelle comme clause de la Constitution.
Les libéraux dictèrent également aux socialistes les moyens de la lutte en se dressant contre la grève générale même avant qu’elle eût éclaté, en lui imposant des limites légales lorsqu’elle fut déclenchée, en lançant d’abord le mot d’ordre de la dissolution de la Chambre, en faisant appel au roi comme arbitre suprême et en décidant enfin, et dans leur séance du 19, contrairement à la décision de la direction du parti socialiste du 18 avril, la cessation de la grève générale. La tâche qui incombait aux chefs socialistes n’était que de transmettre à la classe ouvrière les mots d’ordre lancés par leurs alliés et à faire la musique d’agitation qui correspondait au texte libéral. Enfin, le 20 avril, les socialistes mirent à exécution la dernière décision des libéraux, en renvoyant leurs troupes chez elles.
Ainsi, dans toute la campagne, les libéraux alliés des socialistes apparaissent comme les véritables chefs, les socialistes comme leurs exécuteurs soumis et la classe ouvrière comme une masse passive, entraînée par les socialistes à la remorque de la bourgeoisie.
L’attitude contradictoire et timide des chefs de notre parti belge s’explique par leur position intermédiaire entre la masse ouvrière, qui s’entraîne dans la lutte, et la bourgeoisie libérale, qui la retient par tous les moyens.

Non seulement le caractère hésitant de cette campagne, mais aussi sa défaite finale, s’explique par la position dirigeante des libéraux.
Dans la lutte menée en 1886 à l’heure actuelle pour le suffrage universel, la classe ouvrière belge fit usage de la grève de masse comme moyen politique le plus efficace. C’est à la grève de masse qu’elle dut, en 1891, la première capitulation du gouvernement et du Parlement : les premiers débuts de révision de la Constitution ; c’est à elle qu’elle dut, en 1893, la seconde capitulation du parti dirigeant : le suffrage universel au vote plural.
Il est clair que, cette fois encore, seule la pression des masses ouvrières sur le Parlement et sur le gouvernement a permis d’arracher un résultat palpable. Si la défense des cléricaux fut désespérée déjà dans la dernière décennie du siècle passé, lorsqu’il ne s’agissait que du commencement des concessions, elle devait, selon toute apparence, devenir une lutte à mort maintenant qu’il est question de livrer le reste, la domination parlementaire elle-même. Il était évident que les discours bruyants à la Chambre ne pouvaient rien obtenir. Il fallait la pression maximum des masses pour vaincre la résistance maximum du gouvernement.
En face de cela, les hésitations des socialistes à proclamer la grève générale, l’espoir secret mais évident, ou tout au moins le désir de l’emporter, si possible, sans avoir recours à la grève générale, apparaissent dès l’abord comme le premier symptôme affligeant du reflet de la politique libérale sur nos camarades, de cette politique qui de tout temps, on le sait, a cru pouvoir ébranler les remparts de la réaction au son des trompettes de la grandiloquence parlementaire.
Cependant, dans la situation politique particulière, l’application de la grève générale en Belgique est un problème nettement déterminé. Par sa répercussion économique directe, la grève agit avant tout au désavantage de la bourgeoisie industrielle et commerciale, et dans une mesure bien réduite seulement au détriment de son ennemi véritable, le parti clérical. Dans la lutte actuelle, la répercussion politique de la grève de masse sur les cléricaux au pouvoir ne peut donc être qu’un effet indirect exercé par la pression que la bourgeoisie libérale, gênée par la grève générale, transmet au gouvernement clérical et à la majorité parlementaire. En outre, la grève générale exerce aussi une pression directe sur les cléricaux, en leur apparaissant comme l’avant-coureur, comme la première étape d’une véritable révolution de rue en gestation. Pour la Belgique, l’importance politique des masses ouvrières en grève réside toujours, et aujourd’hui encore, dans le fait qu’en cas de refus obstiné de la majorité parlementaire, elles sont éventuellement prêtes et capables de dompter le parti au pouvoir par des troubles, par des révoltes de rues.
Sur deux points, l’alliance et le compromis de nos camarades belges avec les libéraux ont privé la grève générale de son effet politique.
En imposant d’avance, sous la pression de libéraux, des limites et des formes légales à la lutte, en interdisant toute manifestation, tout élan de la masse, ils dissipaient la force politique latente de la grève générale. Les cléricaux n’avaient pas besoin de craindre une grève générale qui ne voulait de toutes manières être autre chose qu’une grève pacifique. Une grève générale, enchaînée d’avance dans les fers de la légalité, ressemble à une démonstration de guerre avec des canons dont la charge aurait été auparavant jetée à l’eau, sous les yeux des ennemis. Même un enfant ne s’effraie pas d’une menace « les poings dans la poche », ainsi que le Peuple le conseillait sérieusement aux grévistes, et une classe au pouvoir luttant à la vie et à la mort pour le reste de sa domination politique, s’en effraie moins encore. C’est précisément pour cela qu’en 1891 et 1893, il a suffi au prolétariat belge d’abandonner paisiblement le travail pour briser la résistance des cléricaux, qui pouvaient craindre que la paix ne se changeât en trouble et la grève en révolution. Voilà pourquoi, cette fois encore, la classe ouvrière n’aurait peut-être pas eu besoin de recourir à la violence, si les dirigeants n’avaient pas déchargé leur arme d’avance, s’ils n’avaient pas fait de l’expédition de guerre une parade dominicale et du tumulte de la grève générale une simple fausse alerte.
Mais, en second lieu, l’alliance avec les libéraux a anéanti l’autre effet, l’effet direct de la grève générale. La pression de la grève sur la bourgeoisie n’a d’importance politique que si la bourgeoisie est obligée de transmettre cette pression à ses supérieurs politiques, aux cléricaux qui gouvernent. Mais cela ne se produit que si la bourgeoisie se sent subitement assaillie par le prolétariat et se voit incapable d’échapper à cette poussée.
Cet effet se perd dès que la bourgeoisie se trouve dans une situation commode qui lui permet de reporter, sur les masses prolétariennes à sa remorque la pression qu’elle subit, plutôt que de la transmettre aux gouvernements cléricaux, et de se débarrasser ainsi d’un poids embarrassant par un simple mouvement d’épaule. La bourgeoisie belge se trouvait précisément dans cette situation au cours de la dernière campagne : grâce à l’alliance, elle pouvait déterminer les mouvements des colonnes ouvrières et faire cesser la grève générale en cas de besoin. C’est ce qui arriva, et dès que la grève commença à importuner sérieusement la bourgeoisie, celle-ci lança l’ordre de reprendre le travail. Et c’en fut fait de la « pression » de la grève générale.
Ainsi la défaite finale apparaît comme la conséquence inévitable de la tactique de nos camarades belges. Leur action parlementaire est restée sans effet parce que la pression de la grève générale à l’appui de cette action fit défaut. Et la grève générale resta sans effet parce que, derrière elle, il n’y avait pas de spectre menaçant du libre essor du mouvement populaire, le spectre de la révolution.
En un mot, l’action extra-parlementaire fut sacrifiée à l’action parlementaire, mais, précisément à cause de cela, toutes les deux furent condamnées à la stérilité, et toute la lutte à l’échec.

L’épisode de la lutte pour le suffrage universel qui vient de se terminer représente un tournant dans le mouvement ouvrier belge. Pour la première fois en Belgique, le parti socialiste entre dans la lutte, lié au Parti libéral par un compromis formel, et, tout comme la fraction ministérialiste du socialisme français allié au radicalisme, il se trouva dans la situation de Prométhée enchaîné. Nos camarades sauront-ils ou non se libérer de l’étreinte étouffante du libéralisme ? De la solution de cette question dépend, nous n’hésitons pas à le dire, l’avenir du suffrage universel en Belgique et du mouvement ouvrier en général. Mais l’expérience récente des socialistes belges est précieuse pour le prolétariat international. N’est-ce pas, de nouveau, autre chose qu’un effet de ce même simoun tiède et énervant de l’opportunisme, qui souffle depuis quelques années, et qui s’est manifesté dans l’alliance funeste de nos amis belges avec la bourgeoisie libérale.
La déception que nous venons d’essuyer en Belgique devrait nous mettre en garde contre une politique qui, gagnant les pays l’un après l’autre, conduirait à de graves défaites et finalement au relâchement de la discipline et de la confiance illimitée que les masses ouvrières ont en nous, socialistes ; de ces masses sans lesquelles nous ne sommes rien et que nous pourrions perdre un beau jour par des illusions parlementaires et des expériences opportunistes.
23 avril 1902.

Réponse au camarade E. Vandervelde
Rosa Luxemburg
14 mai 1902
Si, pour formuler nos remarques critiques sur la dernière campagne des camarades belges pour le suffrage universel, nous n’avons pas attendu que cessent les attaques des adversaires bourgeois contre la social-démocratie belge, nous avions deux bonnes raisons : premièrement, nous savons que notre parti frère, véritable parti de lutte, n’a jamais cessé d’être la cible des attaques ennemies, et, deuxièmement, l’expérience nous enseigne que le camarade Vandervelde et ses amis ne se sont jamais sentis particulièrement affectés par ces attaques, mais au contraire, ils ont toujours poursuivi leur route sans se troubler, en assenant à leurs agresseurs bourgeois quelques coups bien dirigés. L’examen critique de leur tactique dans les récentes luttes parut néanmoins, aux camarades belges eux-mêmes, assez important pour convoquer à cet effet un congrès national extraordinaire.
Le camarade Vandervelde me reproche de présenter les événements en Belgique d’une façon tout à fait inexacte. Les libéraux n’auraient eu aucune influence sur la conduite des chefs socialistes, et la tactique des chefs ouvriers dans chacune des mesures prises aurait eu ses raisons particulières.
Personne plus que nous ne serait heureux de voir l’erreur de nos remarques alarmantes rectifiée par une bouche autorisée, par le chef le plus éminent de nos camarades belges. Malheureusement l’exposé du camarade Vandervelde nous paraît obscurcir et compliquer encore la question.
Les libéraux tirent eux-mêmes profit de l’injuste régime électoral existant. Dans la campagne électorale, ils se seraient laissés entraîner comme s’il s’agissait de les mener à l’abattoir. Au fond, ils n’ont pas été les alliés, mais les adversaires des socialistes – mais comment concilier cela avec le fait que le Parti Ouvrier a pourtant, par amour pour ces soi-disant amis, restreint l’objectif de la lutte au suffrage masculin, qu’il a renoncé officiellement à fixer les conditions autorisant le droit de vote (21 ans) et qu’il a fait de la représentation proportionnelle, assez peu sympathique aux camarades belges, une clause de la constitution ?
Comment s’expliquer alors que les leaders ouvriers belges aient affirmé pendant toute la campagne leur solidarité avec les libéraux, et que même, devant le peuple, leur premier cri ait été, après la défaite subie à la Chambre et au dehors : Notre alliance avec les libéraux est plus ferme que jamais !
Le camarade Vandervelde a tout à fait raison en affirmant qu’au fond les libéraux belges sont et se sont révélés comme les adversaires et non les amis de la campagne pour le suffrage universel. Mais, loin de contredire le fait que les camarades belges ont été solidaires des libéraux dans la dernière lutte, cela ne fait qu’expliquer pourquoi cette lutte devait aboutir, en de telles circonstances, à une éclatante défaite.
Tout ce qu’écrit le camarade Vandervelde confirme cela. Dès que les libéraux, tout au début de la campagne eurent trahi le Parti Ouvrier, il devait être clair, à notre avis, que l’action parlementaire était sans espoir et que seule l’action extra-parlementaire, l’action de rue, était susceptible de donner des résultats.
Le camarade Vandervelde conclut au contraire que l’action extra-parlementaire perdit tout chance de succès dès que les libéraux se dressèrent contre les socialistes. La continuation de la grève générale aurait eu alors le seul but d’amener le roi à dissoudre la Chambre, et du moment où le roi s’y refusa, il n’y eut plus qu’à s’en retourner chez soi. Mais ainsi on prononcerait la condamnation à mort de la grève générale, non seulement dans ce cas spécial, mais pour la Belgique en général : car il suffit que les libéraux se prononcent contre le mouvement de masse et que Léopold l’expédie au diable – et l’on peut, à l’avenir, compter avec certitude sur ces deux résultats – pour que l’action de la masse ouvrière soit reconnue inutile. En face de cela, il faudrait seulement que le camarade Vandervelde nous explique encore pourquoi la grève générale a été proclamée, sinon pour offrir au monde le merveilleux spectacle d’un refus de travail unanime et d’une reprise du travail tout aussi unanime.
Mais ce qui importe le plus dans ce raisonnement du camarade Vandervelde, c’est la conclusion inéluctable que le triomphe de ce suffrage universel n’est plus à attendre que par la méthode parlementaire, par une héroïque victoire des cléricaux eux-mêmes. Avec un grand sérieux, le camarade Vandervelde s’appuie sur une déclaration du leader de la droite belge, M. Woeste, se déclarant prêt à toute nouvelle duperie de suffrage, à la seule exception du suffrage universel intégral, dont il s’agit précisément.
L’entier manque de confiance dans l’action des masses populaires, et le seul espoir en l’action parlementaire, la tentative de faire croire à l’ennemi que c’est lui qui est vaincu, tandis qu’il vient de vous assener un vigoureux coup sur la tête, la recherche de prétextes en faveur de la défaite, pendant la lutte, et la consolation, au lendemain même de la défaite, d’une perspective incertaine de victoires futures, la croyance en toutes sortes de miracles politiques sauveurs, tels que l’intervention d’un roi, le suicide politique des adversaires, tout cela est si typique de la tactique petite-bourgeoise libérale, que l’argumentation du camarade Vandervelde a renforcé encore notre opinion, à savoir que les libéraux avaient la direction idéologique pendant la dernière campagne, sans même que nous eussions songé qu’un traité d’alliance notarié aurait été conclu entre socialistes et libéraux.
Si, d’ailleurs, nous avions encore des doutes sur l’exactitude objective de nos conceptions concernant les événements belges, conceptions que nous nous sommes formées de loin, le cours du congrès extraordinaire que viennent de tenir nos camarades belges les dissiperait. Les propositions des socialistes de Charleroi, regrettant la décision du Conseil général sur la reprise du travail et condamnant tout compromis avec des partis bourgeois, les déclarations des représentants de la grande masse des mineurs, de ces bataillons les plus anciens et les plus importants de l’armée ouvrière belge, démontrent que l’on peut également, de près, aboutir à des conclusions identiques.
Le congrès, il est vrai, s’est terminé par un vote de confiance au Conseil général du Parti Ouvrier, ce qui prouve que la discipline et la confiance dans les chefs de notre parti belge, ne sont, heureusement, pas encore sérieusement ébranlées. Néanmoins, la première expérience où l’on tint compte de la tactique libérale a déjà conduit à de véhémentes discussions ; elle devrait être la dernière si l’on ne veut aboutir à des conséquences plus graves.
Voilà ce que nous avions à répondre au camarade Vandervelde.
A cette occasion, il semble cependant nécessaire de consacrer aux événements belges quelques observations d’ordre général.
S’il est un enseignement qui ressort nettement et distinctement de l’expérience belge, pour le prolétariat international, c’est bien, à notre avis, celui-ci : les espoirs bornés, fondés sur l’action parlementaire et la démocratie bourgeoise, ne peuvent nous orienter que vers une série de défaites politiques démoralisantes. A cet égard, les événements belges devraient être considérés comme un essai pratique des théories de l’opportunisme et, logiquement, amener leurs partisans à reviser fondamentalement ces théories.
Mais c’est en partie le contraire qui se produit. Aussi bien dans la presse du parti belge que dans celle du parti allemand, on cherche, en étrange accord avec le libéralisme bourgeois et le curé Naumann, à tirer profit de la défaite belge en sens inverse : pour reviser la tactique révolutionnaire. On s’efforce de démontrer que la grève générale, l’action de rue en général, se sont révélées surannées et inefficaces. Dans le Peuple, de Bruxelles, un camarade, Franz Fischer, va jusqu’à déclarer que la leçon suprême des plus récentes expériences est la ... nécessité de passer par la « méthode de la phraséologie révolutionnaire des Français » à la « méthode pondérée d’organisation et de propagande de la social-démocratie allemande, cette avant-garde du socialisme international » ; il s’appuie, en cela, sur un article paru dans l’Echo de Hambourg, lequel estime que la Chute de la Commune de Paris avait déjà fourni la dernière démonstration de l’inefficacité des moyens révolutionnaires.
Par ailleurs, on pouvait lire dans la presse du parti allemand, après la reprise du travail en Belgique, que « la tactique suivie dès à présent par les camarades belges est celle de la social-démocratie allemande » ; que la social-démocratie allemande a toujours combattu la grève générale comme « inutile et superflue » ; qu’elle a toujours « considéré l’éducation politique et l’organisation de la classe ouvrière comme la seule préparation sûre pour la conquête du pouvoir politique ».
Partant des récents événements, la revision de la tactique belge en sens inverse se fait donc pour ainsi dire sous l’égide spéciale de la sociale-démocratie allemande. Examinons brièvement ce qu’on peut déduire de la tactique de la social-démocratie allemande sur la question de la grève générale en particulier, puis, en général, sur la rôle de la violence dans la lutte prolétarienne.

La grève générale compte certainement parmi les mots d’ordre les plus vieux du mouvement ouvrier moderne : des luttes extrêmement violentes et fréquentes se sont déroulées dans les milieux socialistes autour de cette question. Mais si on ne se laisse pas aveugler par le mot, par le son, si, au contraire, on va jusqu’au fond de la chose, il faut reconnaître que dans des cas différents on conçoit, sous le nom de grève générale, des choses tout à fait différentes et, par conséquent, différemment appréciées.
Il est évident qu’en cas de guerre, la fameuse grève générale de Nieuwenhuis est autre chose que la grève générale internationale des mineurs, projetée dans la dernière décennie du siècle passé en Angleterre, et en faveur de laquelle Eléonore Marx fit adopter une proposition au congrès des socialistes français à Lille (octobre 1890) ; il est certain qu’il existe une différence aussi profonde entre la grève générale d’octobre 1898 en France, proclamée par toutes les branches pour soutenir le mouvement des cheminots, et qui échoua piteusement, et la grève des chemins de fer du Nord-Est de la Suisse ; de même que la grève générale victorieuse de Carmaux en 1893, pour protester contre la révocation du mineur Calvinhac, élu maire, n’a rien de commun avec le « mois sacré » fixé déjà par la convention chartiste en février 1839, etc. En un mot, la première condition pour apprécier sérieusement la grève générale, c’est de distinguer entre grèves générales nationales et grèves internationales, grèves politiques et grèves syndicales, grèves industrielles en général et grèves provoquées par un événement déterminé, grèves découlant des efforts d’ensemble du prolétariat, etc. Il suffit de se rappeler toute la variété des phénomènes concrets de la grève générale, les multiples expériences dues à ce moyen de combat, pour montrer que toute tentative de schématiser, de rejeter ou de glorifier sommairement cette arme est une étourderie.
Faisant abstraction de la grève générale industrielle, purement syndicale, devenue déjà, dans la plupart des pays, un phénomène quotidien et qui rend toute considération théorique superflue, pour nous occuper spécialement de la grève générale politique, il faut, à notre avis, selon la nature de cette méthode de lutte, distinguer deux choses : la grève générale anarchiste et la grève politique accidentelle de masse, que nous pourrions appeler la grève ad hoc. Dans la première catégorie, il faut classer notamment la grève générale nationale pour l’introduction du régime socialiste, qui, depuis longtemps est l’idée fixe des syndicats français, des broussistes et des allemanistes. Cette conception fut exprimée le plus clairement dans la feuille l’Internationale du 27 mai 1869, qui dit :
« Si les grèves s’étendent et se lient entre elles, elles sont près de devenir une grève générale ; et une grève générale, avec les idées d’émancipation qui règnent actuellement, ne peut aboutir qu’à une grande catastrophe, qui réaliserait la révolution sociale ».
Une décision du congrès syndical français de Bordeaux, en 1888, est conçue dans le même sens :
« Seule la grève générale ou la révolution pourra réaliser l’émancipation de la classe ouvrière ».
Un équivalent caractéristique de cette décision, c’est une autre résolution votée par le même congrès, qui invite les ouvriers à « se séparer des politiciens qui les trompent ».
Une autre proposition française, soutenue par Briand et combattu par Legien, au dernier congrès socialiste internationale à Paris, en été 1900, se fonde sur les mêmes considérations : elle
« invite les ouvriers du monde entier à s’organiser pour la grève générale, soit que cette organisation doive être entre leurs mains un simple moyen, un levier pour exercer sur la société capitaliste la pression indispensable à la réalisation des réformes nécessaires, politiques et économiques, soit que les circonstances deviennent si favorables que la grève générale puisse être mise au service de la révolution sociale. »
Nous pouvons classer dans la même catégorie l’idée de recourir à la grève générale contre les guerres capitalistes. Cette idée fut déjà exprimée au congrès de l’Internationale, à Bruxelles, en 1868, dans une résolution reprise et défendue au cours de la dernière décennie du siècle passé par Nieuwenhuis, aux congrès socialistes de Bruxelles, de Zurich et de Londres.
Ce qui caractérise, dans ces deux cas, cette conception, c’est la foi en la grève générale comme en une panacée contre la société capitaliste dans son tout, ou bien, ce qui revient au même, contre certaines de ses fonctions vitales, la foi en une catégorie abstraite, absolue, de la grève générale, considérée comme le moyen de la lutte de classes qui, à chaque instant et dans tous les pays, est également applicable et efficace. Les boulangers ne fournissent pas de brioches, les lanternes restent éteintes, les chemins de fer et les tramways ne circulent plus – voilà l’écroulement. Ce schéma tracé sur le papier, à l’image d’une baguette qui tournoie dans le vide, était évidemment applicable à tous les temps et à tous les pays. Cette abstraction du lieu et du temps, des conditions politiques concrètes de la lutte de classes dans chaque pays, en même temps que de la liaison organique de la lutte socialiste décisive avec les luttes prolétariennes de chaque jour, avec le travail progressif d’éducation et d’organisation marque l’empreinte anarchiste type de cette conception. Mais le caractère anarchiste révélait aussi le caractère utopique de cette théorie et aboutissait à nouveau à la nécessité de combattre par tous les moyens l’idée de la grève générale.
Voilà pourquoi nous voyons la social-démocratie se dresser depuis des dizaines d’années contre la grève générale. Les critiques infatigables du Parti Ouvrier Français contre les syndicats français portaient sur le même fonds que les duels de la délégation allemande avec Nieuwenhuis aux congrès internationaux. La social-démocratie allemande y acquit un mérite particulier, non seulement en opposant à la théorie utopique des arguments scientifiques, mais notamment en répondant aux spéculations sur une bataille unique et définitive des « bras croisés » contre l’Etat bourgeois, par la pratique de la lutte quotidienne sur le terrain du parlementarisme.
Mais c’est jusque-là, et pas plus loin, que vont les arguments si souvent avancés par la social-démocratie contre la grève générale. La critique du socialisme scientifique se dirigeait uniquement contre la théorie absolue, anarchiste, de la grève générale, et ce n’est en effet que contre elle qu’elle pouvait se diriger.
La grève générale politique accidentelle, telle que les ouvriers français l’employèrent à diverses reprises pour certains buts politiques, par exemple dans le cas signalé de Carmaux, et telle que l’appliquèrent notamment les ouvriers belges à plusieurs reprises dans la lutte pour le suffrage universel, n’a rien de commun avec l’idée anarchiste de la grève générale, sinon le nom et la forme technique. Mais, politiquement, ce sont deux conceptions diamétralement opposées. Tandis qu’il y a, à la base du mot d’ordre anarchiste de la grève générale, une théorie générale et abstraite, les grèves politiques de la dernière catégorie ne sont, dans certains pays ou même dans certaines villes et contrées, que le produit d’une situation politique particulière, le moyen d’obtenir un certain effet politique. L’efficacité de cette arme ne peut être contesté ni en général, ni a priori, parce que les faits, les victoires remportées en France et en Belgique prouvent le contraire. Mais toute l’argumentation qui fut si efficace contre Nieuwenhuis et contre les anarchistes français, est impuissante contre les grèves générales politiques locales. L’affirmation que la réalisation d’une grève générale a pour condition préalable un certain niveau d’organisation et d’éducation du prolétariat rendant la grève générale elle-même superflue, et la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière indiscutable et inévitable, ce brillant coup de fleuret du vieux Liebknecht contre Nieuwenhuis, ne peut s’appliquer à des grèves générales politiques locales et accidentelles, car, pour ces dernières, la seule condition préalable nécessaire, c’est un mot d’ordre politique populaire et une situation matériellement favorable. Au contraire, il n’y a pas de doute que les grèves générales belges, comme moyens de lutte pour le suffrage universel, entraînent régulièrement dans le mouvement des masses populaires plus grandes que celles qui sont douées de la conscience socialiste au sens véritable du mot. La grève politique de Carmaux eut également un effet d’éducation si fort et si rapide que même un député de la droite déclara aux socialistes à la fin de la campagne :
« Réalisez encore quelque succès comme celui de Carmaux, et vous aurez conquis les campagnes, car les paysans sont toujours du côté du plus fort, et vous avez prouvé que vous êtes plus forts que la Compagnie des Mines, que le Gouvernement et que la Chambre » (Almanach du Parti ouvrier, 1893).
Ainsi, au lieu de se mouvoir dans le cercle fermé de l’éducation socialiste, prétendue condition indispensable, et du résultat espéré en faveur de cette éducation comme il en fut des grèves générales de Nieuwenhuis ou des grèves anarchistes en France, la grève générale politique accidentelle gravite uniquement autour des facteurs profonds et excitants de la vie politique quotidienne et sert en même temps de moyen efficace pour l’agitation socialiste.
De même, c’est manquer son but que d’imaginer une contradiction entre le travail politique de tous les jours, et notamment le parlementarisme, d’une part, et cette dernière catégorie de la grève générale d’autre part ; car, loin de vouloir se substituer aux petites besognes parlementaires et autres, la grève générale politique ne fait que s’ajouter, comme un nouvel anneau d’une chaîne, aux autres moyens d’agitation et de lutte ; bien plus, elle se met directement, comme instrument, au service du parlementarisme. Il est caractéristique de noter que toutes les grèves générales politiques ont servi jusqu’à présent à défendre ou à conquérir des droits parlementaires : celle de Carmaux fut menée pour le suffrage communal, celle de Belgique pour le suffrage universel.
Si des grèves générales politiques ne se sont pas encore produites en Allemagne et si elles n’ont été pratiquées qu’isolement dans un petit nombre de pays, cela ne provient nullement de ce qu’elles contrediraient une prétendue « méthode allemande » de la lutte socialiste, mais du simple fait que des conditions sociales et politiques tout à fait déterminées sont nécessaires pour rendre possible l’emploi de la grève générale comme instrument politique. En Belgique, c’est le développement industriel élevé, comparé à la superficie réduite du pays, qui favorise et accélère l’extension locale de la grève, de sorte qu’un nombre de grévistes qui, au point de vue absolue, n’est pas très considérable (environ 300.000) suffit à paralyser la vie économique du pays. Avec sa grande superficie, ses districts industriels, ses vastes régions agricoles séparant les centres industriels et son armée ouvrière nombreuse, l’Allemagne se trouve, à cet égard, dans une situation incomparablement plus défavorable. Il en est de même de la France, et en général des grands pays à centralisation industrielle moins forte.
Mais l’élément décisif qui s’ajoute à cela, c’est une certaine proportion de liberté de coalition et de mœurs démocratiques. Dans un pays où les ouvriers en grève sont menés au travail par la police et les gendarmes, comme en Haute-Silésie, où l’agitation des grévistes parmi ceux qui « consentent à travailler » conduit directement à la prison, sinon aux travaux forcés, il ne saurait naturellement être question d’une grève générale politique. L’emploi fait jusqu’à présent de la grève générale comme arme politique uniquement en Belgique, et en France en partie, ne doit donc point être considéré comme une supériorité imaginaire de la social-démocratie allemande et une déviation momentanée des pays latins. C’est au contraire – à côté du manque de certaines conditions sociales et géographiques – un témoignage de plus de notre infériorité politique semi-asiatique.
Enfin, l’exemple de l’Angleterre, où toutes les conditions économiques et politiques pour une grève générale victorieuse sont données dans une large mesure et où cette arme puissante n’est pourtant jamais appliquée dans la lutte politique, montre encore une autre condition importante pour son application : l’intime interpénétration du mouvement ouvrier syndical et politique. Tandis qu’en Belgique la lutte économique et la lutte politique fonctionnent comme un tout organique, les syndicats se joignant au parti dans toute action importante, la politique de chapelle des trade-unions, étroitement syndicale, et, pour cette raison divisée, ainsi que l’absence d’un fort parti socialiste en Angleterre, excluent l’union des deux mouvements dans la grève générale politique.
Un examen sérieux démontre ainsi que toute appréciation ou condamnation de la grève générale ne tenant pas compte des circonstances particulières de chaque pays, et se fondant notamment sur la pratique allemande, n’est que présomption nationale et schématisation irréfléchie. A cette occasion nous voyons une fois de plus que lorsqu’on nous vante, avec une telle éloquence, les avantages de la « main libre » dans la tactique socialiste de la « non-détermination », de l’adaptation à toute la variété des circonstances concrètes, il ne s’agit au fond que de la liberté de pactiser avec les partis bourgeois. Mais, dès qu’il s’agit d’une action de classe, d’une méthode de lutte ressemblant, ne fût-ce que de loin, à une tactique révolutionnaire, les enthousiastes de la « main libre » se présentent immédiatement comme des dogmatiques étroits, désireux d’enfermer la lutte de classes du monde entier dans les brodequins de la tactique prétendue allemande.
Or, si la grève générale belge est restée sans résultat, ce fait est insuffisant à justifier une « revision » de la tactique belge, car il est évident que la grève générale n’a été ni préparée, ni réellement politique, mais qu’au contraire elle fut suspendue par les chefs avant d’avoir pu aboutir à quoi que ce soit. Comme la direction politique, ou, plus précisément, la direction parlementaire du mouvement n’avait point envisagé l’action de masse, les masses en grève restèrent indécises, à l’arrière-plan, sans aucune liaison avec l’action réelle menée sur l’avant-scène, jusqu’à ce qu’on leur ordonnât de se retirer totalement. L’insuccès de la récente campagne belge ne peut donc pas démontrer que la grève générale est impuissante, de même que la capitulation de Bazaine à Metz ne peut prouver l’inutilité des forteresses dans la guerre, de même que le déclin parlementaire des libéraux allemands ne constitue pas un argument en faveur de l’impuissance du parlementarisme.
Bien au contraire, l’échec de la dernière action du Parti Ouvrier Belge doit convaincre tous ceux qui connaissent les événements que, seule, la grève générale – si on s’en était vraiment servi – pouvait apporter des résultats. Et si une revision de la tactique des camarades belges est nécessaire, elle ne s’impose, à notre avis, que dans le sens où nous l’avons indiqué dans notre article précédent. La campagne d’avril a démontré clairement qu’une grève dirigée indirectement contre les cléricaux, mais directement contre la bourgeoisie, restera sans effet si le prolétariat en lutte est politiquement lié à la bourgeoisie. La bourgeoisie devient ainsi, au lieu d’être un moyen de pression politique sur le gouvernement, une entrave paralysant la classe ouvrière. L’enseignement le plus important de l’expérience belge ne condamne pas la grève générale comme telle ; il condamne au contraire l’alliance parlementaire avec le libéralisme, qui voue toute grève générale à l’échec.
Mais il faut combattre avec énergie l’habitude de réagir contre le simple mot « grève générale » au moyen des vieux mots d’ordre d’autrefois, qui ont servi et fini de servir pour lutter contre les élucubrations stupides des anarchistes et de Nieuwenhuis, ainsi que par les tentatives de « reviser » la tactique belge, uniquement en vertu de l’incompréhension absolue des événements de Belgique. Il faut combattre cette manie d’autant plus énergiquement que non seulement la classe ouvrière belge, mais aussi le prolétariat suédois, s’apprêtent à recourir, après comme avant, à l’arme de la grève générale dans la lutte du suffrage universel. Il serait bien triste qu’une partie des militants de ces pays, si insignifiante soit-elle, se laisse égarer dans leur stratégie par des phrases sur l’excellence des méthodes prétendues « allemandes ».

Bien qu’on ait parlé beaucoup, ces temps derniers, de l’impossibilité définitive d’employer des « moyens révolutionnaires vieux style », on n’a jamais dit nettement ce qu’on entend par ces moyens ni par quoi on veut les remplacer.
Ainsi à l’occasion de la défaite belge, on oppose d’ordinaire aux « moyens révolutionnaires », c’est-à-dire avant tout à la révolution violente, aux batailles de rues, l’organisation et l’éducation quotidiennes des masses ouvrières. Mais une telle manière de procéder est erronée pour la bonne raison que l’organisation et l’éducation en elles-mêmes ne sont pas encore la lutte, mais uniquement des moyens de préparation à la lutte, et, comme telles, sont nécessaires tant à la révolution qu’à toute autre forme de lutte. L’organisation et l’éducation en elles-mêmes ne rendent pas la lutte politique superflue, de même que la constitution de syndicats et la perception de cotisations ne rendent pas superflues les luttes pour les salaires et les grèves. Ce que l’on préconise en réalité, en opposant aux « moyens révolutionnaires » les avantages de l’organisation et de l’éducation, c’est d’une part la révolution violente, et d’autre part la réforme légale, le parlementarisme.
« Il est possible de passer du capitalisme au communisme par une série de formes sociales, d’institutions juridiques et économiques ; c’est pourquoi nous avons pour devoir de développer devant le Parlement cette progression logique. »
Ces paroles de Jaurès (Petite République, 11 février 1902) formulent nettement et clairement cette conception, et cette autre déclaration de Jaurès également :
« La seule méthode qui reste au prolétariat est celle de l’organisation légale et de l’action légale » (Petite République, 15 février 1902).
Il est extrêmement important, pour éclairer la question, de s’en convaincre d’avance, afin d’écarter toutes phrases inutiles sur l’efficacité de l’organisation et de l’éducation des masses et pour concentrer la discussion sur le véritable point litigieux.
Ce qui nous semble surtout étrange, dans la ferme décision de substituer l’action parlementaire à tout emploi de la violence dans la lutte prolétarienne, c’est l’idée qu’une révolution peut être faite arbitrairement. Partant de cette conception, on proclame des révolutions ou on y renonce, on les prépare ou on les ajourne, selon qu’on les a reconnues utiles ou superflues et nuisibles, et il dépend uniquement de la conviction qui domine dans la social-démocratie qu’à l’avenir des révolutions se produisent ou non dans les pays capitalistes. Autant la théorie légaliste du socialisme sous-estime la puissance du parti ouvrier dans d’autres questions, autant elle la surestime sur ce point.
L’histoire de toutes les révolutions précédentes nous montre que les larges mouvements populaires, loin d’être un produit arbitraire et conscient des soi-disant « chefs » ou des « partis », comme se le figurent le policier et l’historien bourgeois officiel, sont plutôt des phénomènes sociaux élémentaires, produits par une force naturelle ayant sa source dans le caractère de classe de la société moderne. Le développement de la social-démocratie n’a rien changé à cet état de choses, et son rôle ne consiste d’ailleurs pas à prescrire des lois à l’évolution historique de la lutte de classes, mais, au contraire, à se mettre au service de ces lois, à les plier ainsi sous sa volonté. Si la social-démocratie d’avant-garde en arrière-garde, en obstacle impuissant devant la lutte de classes, qui en fin de compte triompherait, tant bien que mal, sans elle, et, le cas échéant, même contre elle.
Il suffit de saisir ces simples faits pour reconnaître que la question : révolution ou transition purement légale au socialisme, n’est pas particulièrement propre à la tactique social-démocrate, mais qu’elle est surtout une question de l’évolution historique. En d’autres termes, en éliminant la révolution de la lutte de classes prolétarienne, nos opportunistes décrètent ni plus ni moins que la violence a cessé d’être un facteur de l’histoire moderne.
Voilà le fond théorique de la question. Il suffit de formuler cette conception pour que son absurdité saute aux yeux. La violence, loin de cesser de jouer un rôle historique par l’apparition de la « légalité » bourgeoise, du parlementarisme, est aujourd’hui, comme à toutes les époques précédentes, la base de l’ordre politique existant. L’Etat capitaliste en entier se base sur la violence. Son organisation militaire en est par elle-même une preuve suffisante et sensible, et le doctrinarisme opportuniste doit vraiment avoir des dons miraculeux pour ne pas s’en apercevoir. Mais les domaines mêmes de la « légalité » en fournissent assez de preuves, si l’on y regarde de plus près. Les crédits chinois ne sont-ils pas des moyens fournis par la « légalité, par le parlementarisme, pour accomplir des actes de violence ? Des sentences de tribunaux, comme celle de Loebtau, ne sont-elles pas l’exercice « légal » de la violence ? Ou mieux : en quoi consiste à vrai dire toute la fonction de la légalité bourgeoise ?
Si un « libre citoyen » est enfermé par un autre citoyen contre sa volonté, par contrainte, dans un endroit étroit et inhabitable, et si on l’y détient pendant quelque temps, tout le monde comprend que c’est un acte de violence. Mais dès que l’opération s’effectue en vertu d’un livre imprimé, appelé Code pénal, et que cet endroit s’appelle « prison royale prussienne », elle se transforme en un acte de la légalité pacifique. Si un homme est contraint par un autre, et contre sa volonté, de tuer systématiquement ses semblables, c’est un acte de violence. Mais dès que cela s’appelle « service militaire », le bon citoyen s’imagine respirer en pleine paix et légalité. Si une personne, contre sa volonté, est privée par une autre d’une partie de sa propriété ou de son revenu, nul n’hésitera à dire que c’est un acte de violence ; mais dès que cette machination s’appelle « perception des impôts indirects », il ne s’agit que de l’application de la loi.
En un mot, ce qui se présente à nos yeux comme légalité bourgeoise, n’est autre chose que la violence de la classe dirigeante, élevée d’avance en norme impérative. Dès que les différents actes de violence ont été fixés comme norme obligatoire, la question peut se refléter à l’envers dans le cerveau des juristes bourgeois et tout autant dans ceux des opportunistes socialistes : l’ « ordre légal » comme une création indépendante de la « justice », et la violence de l’Etat comme une simple conséquence, comme une « sanction » des lois. En réalité, la légalité bourgeoise (et le parlementarisme en tant que légalité en devenir) n’est au contraire qu’une certaine forme sociale d’apparition de la violence politique de la bourgeoisie, qui fleurit sur son fondement économique.
C’est ainsi qu’on peut reconnaître combien toute la théorie du légalisme socialiste est fantaisiste. Tandis que les classes dirigeantes s’appuient par toute leur action sur la violence, seul, le prolétariat devrait renoncer d’emblée et une fois pour toutes à l’emploi de la violence dans la lutte contre ces classes. Quelle formidable épée doit-il donc employer pour renverser la violence au pouvoir ? La même légalité, par laquelle la violence de la bourgeoisie s’attribue le cachet de la norme sociale et toute puissante.
Le domaine de la légalité bourgeoise du parlementarisme, il est vrai, n’est pas seulement un champ de domination pour la classe capitaliste, mais aussi un terrain de lutte, sur lequel se heurtent les antagonismes entre prolétariat et bourgeoisie. Mais de même que l’ordre légal n’est pour la bourgeoisie qu’une expression de sa violence, de même la lutte parlementaire ne peut être, pour le prolétariat, que la tendance à porter sa propre violence au pouvoir. S’il n’y a pas, derrière notre activité légale et parlementaire, la violence de la classe ouvrière, toujours prête à entrer en action le cas échéant, l’action parlementaire de la social-démocratie devient un passe-temps aussi spirituel que celui de puiser de l’eau avec une écumoire. Les amateurs de réalisme, qui soulignent sans cesse les « succès positifs » de l’activité parlementaire de la social-démocratie, pour les utiliser comme arguments contre la nécessité et l’utilité de la violence dans la lutte ouvrière, ne remarquent point que ces succès, si infimes soient-ils, ne sauraient être considérés que comme les produits de l’effet invisible et latent de la violence.
Mais il y a mieux encore. Le fait que nous retrouvons toujours la violence à la base de la légalité bourgeoise, s’exprime dans les vicissitudes de l’histoire du parlementarisme même.
La pratique le démontre en toute évidence : dès que les classes dirigeantes seraient persuadées que nos parlementaires ne sont pas appuyés par de larges masses populaires, prêtes à l’action s’il le faut, que les têtes révolutionnaires et les langues révolutionnaires ne sont pas capables ou jugent inopportun de faire agir, le cas échéant, les poings révolutionnaires, le parlementarisme même et toute la légalité leur échapperaient tôt ou tard comme base de la lutte politique – preuve positive à l’appui : le sort du suffrage en Saxe ; preuve négative : le suffrage au Reichstag. Personne ne doutera que le suffrage universel, si souvent menacé dans le Reich, est maintenu non par égard pour le libéralisme allemand, mais principalement par crainte de la classe ouvrière, par certitude que la social-démocratie prendrait cette chose au sérieux. Et, de même, les plus grands fanatiques de la légalité n’oseraient contester qu’au cas où l’on nous escamoterait malgré tout, un beau jour, le suffrage universel dans le Reich, la classe ouvrière ne pourrait pas compter sur les seules « protestations légales », mais uniquement sur les moyens violents, pour reconquérir tôt ou tard le terrain légal de lutte.
Ainsi, la théorie du légalisme socialiste est réduite à l’absurde par les éventualités pratiques. Loin d’être détrônée par la « légalité », la violence apparaît comme la base et le protecteur réel de la légalité – tant du côté de la bourgeoisie que du côté du prolétariat.
Et, d’autre part, la légalité se révèle être le produit, soumis aux oscillations perpétuelles, des rapports de forces des classes qui s’affrontent. La Bavière et la Saxe, la Belgique et l’Allemagne fournissent des exemples assez récents, démontrant que les conditions parlementaires de la lutte politique sont accordées ou refusées, maintenues ou reprises, selon que les intérêts de la classe dirigeante peuvent être en majeure partie assurés ou non par ces institutions, selon que la violence latente des masses populaires exerce son effet comme arme d’attaque ou arme de défense.
Or, si dans certains cas extrêmes on ne peut se passer de la violence comme moyen de défense des droits parlementaires, celle-ci n’en est pas moins, dans certains autres cas, un moyen d’offensive irremplaçable, là où il s’agit encore de conquérir le terrain légal de la lutte de classes.
Les tentatives de reviser la « méthode révolutionnaire » à la suite des récents événements belges sont peut-être la plus singulière démonstration de la conséquence politique que la tendance revisionniste ait fournie depuis des années. Même si l’on pouvait parler d’un échec de la « méthode révolutionnaire » dans la campagne belge en tant qu’emploi de la violence, la condamnation sommaire de cette méthode à la suite de la défaite belge partirait de la supposition que l’emploi de la violence dans la lutte ouvrière doit être en tous cas et en toutes circonstances une garantie du succès. Il est évident qu’en adoptant de telles conclusions, nous aurions dû renoncer depuis longtemps à la lutte syndicale, aux luttes pour les salaires, car celles-ci nous ont déjà apporté d’innombrables défaites.
Mais ce qui est plus étrange, c’est que dans la lutte belge, qui aurait servi à démontrer l’inefficacité des méthodes violentes, les ouvriers n’ont aucunement recouru à la violence – à moins que, à l’exemple de la police, on ne s’avise de considérer la grève paisible comme un acte de « violence ». Une révolution dans les rues n’était pas projetée et on ne l’a pas tentée non plus. Et pour cela, précisément, la défaite belge prouve le contraire de ce qu’on s’efforce de lui faire démontrer : elle prouve qu’actuellement, en Belgique, vu la trahison des libéraux et la fermeté du cléricalisme, prêt à se servir de tous les moyens, le suffrage universel a bien peu de chances d’être reconnu si l’on renonce à la violence.
Mais cette défaite prouve davantage encore ! Elle prouve que si des formes parlementaires aussi élémentaires, purement bourgeoises, ne dépassant aucunement le cadre de l’ordre existant, telles que le suffrage universel, ne peuvent être conquises par voie pacifique, que si les classes dirigeantes font déjà appel à la violence brutale pour résister à une réforme purement bourgeoise et toute naturelle dans l’Etat capitaliste, toutes les spéculations sur une abolition parlementaire et pacifique du pouvoir d’Etat capitaliste, de la domination des classes, ne sont qu’une ridicule et puérile fantaisie.
La défaite belge prouve encore quelque chose ! Elle démontre une fois de plus que si les légalistes socialistes considèrent la démocratie bourgeoise comme la forme historique appelée à réaliser graduellement le socialisme, ils n’opèrent pas avec une démocratie et avec un parlementarisme concrets, tels qu’ils existent misérablement ici-bas, mais avec une démocratie imaginaire et abstraite, qui, s’élevant au-dessus de toutes les classes, se développe à l’infini et voit sa puissance augmenter sans cesse.
La sous-estimation fantaisiste de la réaction croissante et la surestimation tout aussi fantaisiste des conquêtes de la démocratie sont inséparables et se complètent réciproquement de la façon la plus heureuse. Devant les misérables réformes de Millerand et les succès microscopiques du républicanisme, Jaurès exulte, en proclamant pierre angulaire de l’ordre socialiste toute loi sur la réforme de l’instruction dans les collèges, tout projet d’une statistique de chômage. Ce faisant, il nous rappelle son compatriote Tartarin de Tarascon, qui, dans son fameux « jardin enchanté », entre des pots de fleurs et des bananes grosses comme le doigt, des baobabs et des cocotiers, s’imagine qu’il se promène à l’ombre fraîche d’une forêt vierge des tropiques.
Et ces gifles – comme la dernière trahison du libéralisme belge – nos opportunistes les encaissent et déclarent que le socialisme ne pourra être réalisé que par la démocratie de l’Etat bourgeois.
Ils ne remarquent pas qu’ils ne font que répéter en d’autres termes les vielles théories suivant lesquelles la légalité et la démocratie bourgeoises sont appelées à réaliser la liberté, l’égalité et la béatitude générales – non pas les théories de la grande Révolution française, dont les mots d’ordre ne furent qu’une croyance naïve avant la grande épreuve historique, mais les théories des littérateurs et des avocats bavards de 1848, des Odilon Barrot, Lamartine, Garnier-Pagès, qui juraient de réaliser toutes les promesses de la grande Révolution par le vulgaire bavardage parlementaire. Il a fallu que ces théories échouent quotidiennement durant un siècle et que la social-démocratie, incarnant l’échec de ces théories, les enterrât si radicalement que même leur souvenir, le souvenir de leurs auteurs et de tout le coloris historique s’évanouisse complètement pour qu’elles puissent aujourd’hui ressusciter et se présenter comme des idées tout à fait nouvelles, susceptibles de conduire aux buts de la social-démocratie. Ce qui est à la base des enseignements opportunistes n’est donc pas, comme on se le figure, la théorie de l’évolution, mais celle des répétitions périodiques de l’histoire, dont chaque édition est plus ennuyeuse et plus fade que la précédente.
La social-démocratie allemande a incontestablement accompli, il y a quelques dizaines d’années, une revision extrêmement importante de la tactique socialiste, et s’est acquis par là un immense mérite devant le prolétariat international. Cette revision fut la destruction de la vielle croyance en la révolution violente en tant que seule méthode de la lutte de classes, en tant que moyen applicable à n’importe quel moment pour instaurer l’ordre socialiste. Aujourd’hui, l’opinion dominante, formulée de nouveau par Kautsky, dans la résolution de Paris, dit que la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière ne peut être que le résultat d’une période plus ou moins longue de lutte sociale régulière et quotidienne, où l’effort pour démocratiser progressivement l’Etat et le parlementarisme, constitue un moyen extrêmement efficace de relèvement idéologique et, en partie, matériel de la classe ouvrière.
C’est tout ce que la social-démocratie allemande a démontré en pratique. Cependant, cela ne veut pas dire que la violence ait été écartée une fois pour toutes, ni que les révolutions violentes aient été répudiées comme moyen de lutte de prolétariat et que le parlementarisme ait été proclamé l’unique méthode de la lutte de classes. Bien au contraire, la violence est et reste l’ultime moyen de la classe ouvrière, la loi suprême, tantôt latente, tantôt agissante, de la lutte des classes. Et si nous « révolutionnons » les cerveaux par notre activité parlementaire et par tout notre travail, nous le faisons pour que, en cas de besoin, la révolution descende des têtes dans les poings.
Il est vrai que c’est non par amour de la violence ou par romanticisme révolutionnaire, mais par dure nécessité historique, que les partis socialistes doivent se préparer à des rencontres violentes avec la société bourgeoise, tôt ou tard, dans les cas où nos efforts se heurtent aux intérêts vitaux des classes dominantes. Le parlementarisme en tant que moyen exclusif de la lutte politique de la classe ouvrière n’est pas moins fantaisiste et, au fond, pas moins réactionnaire que la grève générale ou que la barricade comme moyen exclusif. La révolution violente, dans les circonstances actuelles, est sans doute une épée à double tranchant et difficile à manier. Et nous croyons devoir espérer que le prolétariat ne recourra à ce moyen que lorsqu’il y verra la seule issue possible et, bien entendu, à la seule condition que toute la situation politique et les rapports des forces garantissent plus ou moins la probabilité du succès. Mais la claire compréhension de la nécessité de l’emploi de la violence, tant dans les différents épisodes de la lutte de classes que pour la conquête finale du pouvoir d’Etat, est d’avance indispensable, car c’est bien cette compréhension qui donne l’impulsion et l’efficacité à notre activité pacifique et légale.
Si, entraînée par les suggestions des opportunistes, la social-démocratie s’avisait vraiment de renoncer d’avance et une fois pour toutes à la violence, si elle s’avisait d’engager les masses ouvrières à respecter la légalité bourgeoise, toute sa lutte politique, parlementaire et autre, s’écroulerait piteusement tôt ou tard, pour faire place à la domination sans borne de la violence réactionnaire.

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