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Physique et matérialisme dialectique, d’après le physicien Cohen-Tannoudji

lundi 10 mai 2010, par Robert Paris

« La philosophie est présente dans la physique. Et la réciproque est vraie. » écrit le physicien Gilles Cohen-Tannoudji, dans « La Matière-Espace-Temps ».

Dans la revue La Recherche, « Ordre et désordre », Hors-série novembre-décembre 2002, le physicien Gilles Cohen-Tannoudji réaffirme : « C’est désormais sur un terrain éminemment philosophique qu’évolue la recherche scientifique de pointe. »


MOTS CLEFS :

dialectique
discontinuité
physique quantiquerelativité
chaos déterministeatome
système dynamique
non-linéarité
émergence
inhibition
boucle de rétroactionrupture de symétrie
le temps -
contradictions
crise
transition de phasecriticalité - attracteur étrange
auto-organisationvide - révolution permanente - Zénon d’Elée -
Blanqui -
Lénine -
TrotskyRosa Luxemburg
Prigogine -
Barta -
Gould - marxisme - Marx - la révolution

L’ABC de la dialectique


Conférence de Gilles Cohen-Tannoudji

Gilles Cohen-Tannoudji est un physicien qui a mis en évidence le caractère dialectique des phénomènes naturels. Mais la dialectique, est-ce de la physique ou de la philosophie ? « La philosophie est présente dans la physique. Et la réciproque est vraie. » affirme Gilles Cohen-Tannoudji
dans « La Matière-Espace-Temps ».

Gilles Cohen-Tannoudji explique ainsi dans "La Matière-espace-temps : "Des transitions de phase s’accompagnant de brisures de symétrie ont différencié les particules et leurs interactions, et produit le germe de toute la variété des structures actuellement présentes dans l’univers."

Gilles Cohen-Tannoudji écrit : « Les équations de la relativité générale s’expriment dans un espace-temps dont la métrique, variant de pont en point, peut être représentée par un champ … le champ gravitationnel produit par la matière ! Il est tout à fait remarquable que cette dialectique de la symétrie et de la dynamique fonctionne aussi pour toutes les autres interactions fondamentales, dans le cadre de la théorie quantique des champs. (...) Quant au mécanisme de brisure spontanée de symétrie que j’ai évoqué à propos de la théorie électrofaible, il semble bien qu’il relève lui aussi d’une dialectique de portée réellement universelle. (...) C’est d’elle que relève l’émergence d’ordre à l’échelle macroscopique en physique de la matière condensée (...) Dans le rapprochement actuel de la cosmologie et de la physique des particules, c’est le phénomène de brisure spontanée de symétrie qui rend compte de la structuration de l’univers. » (dans l’article « le réel à l’horizon de la dialectique » tiré d’un ouvrage collectif de Lucien Sève « Sciences et dialectique de la nature »)

Gilles Cohen-Tannoudji expose l’importance de cette révolution dans "Les constantes universelles" :

"On dit souvent que la constante de Planck a fait apparaître du discontinu dans la matière ; en quoi elle aurait subitement et durablement dérouté les physiciens. En réalité, le discontinu que découvre le physicien allemand affecte non la matière mais les interactions, les forces. Et voilà la surprise la plus considérable ! Car enfin, même si elle suscitait au début de ce siècle encore bien des débats, l’hypothèse atomique, qui n’est rien d’autre que la discontinuité de la matière, ne présentait pas un caractère de nouveauté radicale ; elle était déjà sous-jacente à la thermodynamique, et l’on vient de rappeler comment elle avait déjà guidé bien des physiciens parmi les plus éminents et permis d’obtenir des résultats remarquables.

Mais une discontinuité logée dans ce que nous appelons aujourd’hui les interactions, c’est-à-dire dans les forces, voilà qui apparaissait beaucoup plus difficile à admettre et qui provoqua une véritable "crise" de la pensée physique ! (...) On découvrait la nécessité d’introduire le discontinu dans une "interaction". Il s’agit là non d’un concept, mais de ce que j’appellerais "une catégorie" qui désigne "à vide", tout ce qui concourt à la formation d’une structure, à son évolution, à sa stabilité ou à sa disparition. (...)

Selon la physique classique, l’émission et l’absorption de lumière par la matière s’effectuent de façon absolument continue. La quantité d’énergie lumineuse doit donc s’écouler, tel un fluide, continûment. Or, Planck s’aperçut que le rayonnement émis par une enceinte fermée (...) s’effectue de manière discontinue, par valeurs "discrètes", par "quanta". (...) Il s’agissait d’une révolution si radicale dans la pensée physique que Planck a d’abord reculé devant ses conséquences, et qu’il a fallu toute l’audace du jeune Albert Einstein pour interpréter h comme introduisant du discontinu dans les interactions. "

« L’identité d’une particule est inhérente à la manière dont elle interagit. (...) Les particules ne sont pas élémentaires en soi, elles sont élémentaires dans ou par rapport à une interaction donnée. » écrit le physicien Gilles Cohen-Tannoudji dans « La Matière-Espace-Temps ». Il rajoute, avec Jean-Pierre Baton : « La plus petite entité de la matière n‘est plus un objet, c’est un rapport, une relation, une interaction, ce que l’on appelle un quantum d’action. » (dans « L’horizon des particules »).

La rupture spontanée de symétrie est l’interprétation donnée pour comprendre l’apparition de la matière et de la lumière dans l’univers du vide quantique. Gilles Cohen-Tannoudji l’explique dans "La Matière-espace-temps : "Des transitions de phase s’accompagnant de brisures de symétrie ont différencié les particules et leurs interactions, et produit le germe de toute la variété des structures actuellement présentes dans l’univers."

Article « Le réel, à l’horizon de la dialectique » de Gilles Cohen-Tannoudji :

« S’il fallait caractériser l’idée principale de la théorie des quanta, nous dirions : il est nécessaire de supposer que certaines quantités physiques, regardées jusqu’à présent comme continues, sont composées de quanta élémentaires » rapporte Einstein dans « L’évolution des idées en physique ».

« Le quantum d’action progresse dans le vide en franchissant des ’’pas’’. (...) Or cette règle a quelque chose de simple : seuls sont ’’permis’’ les sauts dans lesquels un électron de l’atome voit son nombre quantique changer d’une unité. (...) Lorsque l’atome émet (ou absorbe) un quantum d’action, le quantum emporte (ou apporte) avec lui, de par son spin, une unité d’action de rotation. »

"L’électron n’est pas pensable sans son cortège de photons potentiels." écrit Gilles Cohen-Tannoudji dans "La Matière-espace-temps"

Gilles Cohen-Tannoudji, L’horizon de réalité, le lieu de la dialectique

Images actuelles de la matière

Première image de l’atome

PHILOSOPHY AND 20TH CENTURY PHYSICS by Gilles Cohen-Tannoudji

Extraits de "La dialectique de l’horizon" de Cohen-Tannoudji :

Extraits de "La matière-espace-temps" de Cohen-Tannoudji :

À quelques jours de la remise officielle du prix Nobel de physique à François Englert et à Peter Higgs pour leur théorie du boson dit de Higgs, Gilles Cohen-Tannoudji, physicien et philosophe, éclaire les enjeux d’une découverte et d’une aventure humaine exemplaires.

Parmi les choses qui se disent de lui, se trouve cette assertion selon laquelle le boson de Higgs est ce par quoi les constituants de la matière acquièrent leur masse. La masse n’est-elle pas une propriété immuable de la matière ?

Gilles Cohen-Tannoudji. En physique, la matière se caractérise à l’aide de trois concepts : l’énergie, la masse et ce qu’on appelle la quantité de mouvement. En physique classique, la physique à laquelle nous sommes le plus habitués, la masse est en effet une propriété immuable de la matière ; il n’y a pas de matière sans masse, d’une part ; et, d’autre part, il n’y a pas d’énergie sans mouvement. En outre, il y a une relation qui nous dit que l’énergie c’est le carré de la quantité de mouvement divisé par deux fois la masse. C’est ce qu’on appelle l’énergie cinétique. Enfin, un corps en mouvement peut, en principe, être accéléré indéfiniment. Avec la théorie de la relativité, au fondement de la physique des particules élémentaires, les choses changent. Cette théorie rend compte du fait que la lumière se propage toujours à la même vitesse, quel que soit le repère choisi pour décrire le mouvement, et que cette vitesse ne peut pas être dépassée. Par ailleurs, elle implique une relation différente entre l’accélération et la masse. Quand un corps approche de la vitesse de la lumière, vous ne pouvez plus accroître sa vitesse. Vous ne pouvez qu’augmenter sa masse ou son inertie. À la limite, si vous arriviez à atteindre la vitesse de la lumière, son inertie deviendrait infinie. Le rapport entre la masse, l’énergie et le mouvement est complètement changé. C’est le fameux E = mc2 d’Einstein. Cela veut dire aussi que, même au repos, une particule renferme de l’énergie, une énergie potentielle. Mais cela veut dire aussi que la masse peut être nulle. C’est le cas quand la particule va à la vitesse de la lumière comme la lumière elle-même. Elle a une masse nulle mais elle a de l’énergie. En physique classique, il n’y a pas de matière sans masse et pas d’énergie sans mouvement. En relativité, il n’y a pas de matière sans énergie et la masse peut être nulle. C’est une notion extrêmement non intuitive mais essentielle. On a toujours imaginé que la matière c’était de la masse et que, s’il n’y avait pas de masse, il n’y avait rien. En théorie de la relativité, cela n’est pas vrai. L’énergie précède la masse. Cela veut dire aussi que l’on peut très bien imaginer un état de l’univers très archaïque dans lequel aucune particule n’avait de masse. C’est-à-dire qu’on avait des sortes de particules lumière partout. Par rapport à l’état actuel de l’univers, il fallait un mécanisme qui rende massives les particules.

Et c’est à ce niveau qu’intervient le boson de Higgs, dont la découverte vient, pour ainsi dire, poser sa clef de voûte au modèle standard de la théorie physique ?

Gilles Cohen-Tannoudji. Oui, mais aussi pour relever le défi de l’unification de deux des quatre interactions fondamentales que décrit le physique : l’interaction électromagnétique, celle qui est responsable de la lumière, et l’interaction faible, responsable de la vie des étoiles, de la fusion thermonucléaire qui alimente leur énergie et de certaines désintégrations radioactives. C’était un très gros défi pour la physique parce que sans cette unification on n’a aucune théorie pour l’interaction faible. Or il y avait une contradiction quand on voulait unifier l’interaction électromagnétique et l’interaction faible du fait que les particules qui véhiculent l’interaction faible, les bosons W+, W- et Z0, ont une masse alors que le photon, qui véhicule l’interaction électromagnétique, n’en a pas : il fallait résoudre ce point. Au plan scientifique, le mécanisme du boson de Higgs était une astuce permettant de lever cette contradiction. Une solution théorique ou épistémique mais pas encore ontologique. Mais la découverte du boson de Higgs survient alors que la cosmologie et la physique des particules collaborent de plus en plus efficacement à composer un grand récit de l’univers qui acquiert une dimension vraiment ontologique : c’est-à-dire que l’univers a une histoire et que c’est dans l’histoire de l’univers que les choses se sont passées comme cela. Ce récit nous dit que, effectivement, il y a eu un moment dans l’histoire de l’univers, tout près du big bang, où les particules n’avaient pas de masse, puis qu’elles sont devenues massives. C’est un tournant.

Un tournant aussi sur le plan philosophique en ce que cette découverte peut être vue comme un retour du matérialisme, de l’épicurisme par exemple, qui fait valoir l’idée d’une historicité de la nature, l’idée que l’univers a une histoire qui dérive de sa nature même ?

Gilles Cohen-Tannoudji. Oui, c’est un grand moment. C’est un grand moment pour le matérialisme. C’est un apport philosophique monumental. Ce qu’on vient de comprendre et d’appuyer sur une base expérimentale c’est que la matière a une histoire, effectivement. La conception scientifique de la matière, c’est la matérialité. Pour le dire d’une formule, avec la découverte du boson de Higgs, l’histoire de la matérialité remonte le temps de l’histoire de la matière. C’est une grande leçon philosophique. Oui, l’idée d’une historicité de la nature est épicurienne mais elle avait un défaut car cette idée était dualiste. Avec, d’une part, les atomes (la matière) et le vide et, d’autre part, le clinamen, la petite déclinaison spontanée des atomes dans le vide. Par exemple, Einstein a toujours refusé cette idée du dualisme. Eh bien, on a surmonté ce dualisme : il ne faut pas avoir une vision substantialiste de la matière considérée au sens philosophique du terme. Le mot de particule n’est pas très adéquat. Particule, cela a l’air de vouloir dire petite chose. La matière n’est pas faite de petites choses. En fait, ce qui est premier, ce ne sont pas les particules mais les champs. C’est un point très important. Un concept de Gilbert Simondon peut être évoqué à cet égard, c’est celui d’individuation. Dans la théorie quantique, les champs peuvent s’individuer sous la forme de particules ou sous la forme d’ondes ; c’est ainsi qu’est surmonté le dualisme qu’avait refusé Einstein sans parvenir à le surmonter. C’est plutôt comme cela qu’il faut voir les choses. Une des premières étapes de l’individuation c’est l’acquisition de la masse. C’est cela qu’on vient de mettre en évidence expérimentalement avec le boson de Higgs.

Pourtant, certains ont parlé de la « particule de Dieu ». Vous-même, dans votre ouvrage (1), suivant en cela Michel Serres, qui en a rédigé la postface, vous semblez reprendre à votre compte le « Que la lumière soit et la lumière fut » du récit biblique comme une expression adéquate pour décrire le premier moment du grand récit de l’univers, que vient soutenir sa découverte. Mais si l’énergie précède la masse et si la masse procède de l’énergie, n’est-ce pas plutôt la formule de Goethe qui doit être mise en exergue ? Au commencement était l’action ?

Gilles Cohen-Tannoudji. Exact. C’est vrai, oui. Et la constante de Planck, la constante universelle à l’origine de toute la physique quantique, c’est de l’action (produit de l’énergie par le temps). L’idée essentielle c’est qu’il y a des émergences. C’est une des grandes contributions du boson de Higgs que, au niveau le plus fondamental, il y ait déjà de l’émergence. L’émergence, d’habitude, on la considère au niveau macroscopique, c’est-à-dire qu’on a l’habitude de dire à son propos que le tout n’est pas la somme des parties. On prend un système complexe et on s’aperçoit que peuvent surgir ou émerger des propriétés qui ne se réduisent pas au niveau inférieur. Mais cette vision un peu trop naïve de l’émergence est dépassée. Ce qui se passe, c’est qu’on a une méthodologie qu’on a appelée la méthodologie des théories effectives, qui nous permet de penser cette émergence comme un processus universel. Partout il y a de l’émergence. Et on peut le faire maintenant de manière quantitative, prédictive. C’est un acquis assez extraordinaire. Cela dit, quelques mots à propos du début de votre question. Si nous avons soigneusement évité de parler de la « particule de Dieu », nous n’avons pas pu nous empêcher de voir une frappante analogie entre la transition déclenchée par le mécanisme de Higgs dans laquelle la lumière et la matière se séparent et acquièrent chacune les propriétés qu’elles ont aujourd’hui et le « fiat lux » du récit biblique.

Au-delà de ses implications scientifiques et philosophiques, vous qualifiez la découverte du boson de Higgs à la fois comme une « aventure humaine exemplaire » et comme un « antidote à Tina ». Pouvez-vous nous éclairer sur cette double dimension de l’aventure du Cern ?

Gilles Cohen-Tannoudji. L’histoire du Cern, de sa création à son triomphe avec la découverte du boson de Higgs, est effectivement une aventure humaine exemplaire. Dans les années cinquante, après les dramatiques bouleversements qui ont marqué la première moitié du XXe siècle, alors que l’Europe est dévastée, que, première en physique avant la guerre, elle a perdu ses savants, ses installations et ses grands centres de recherche, la fondation du Cern répond à l’objectif de reconstituer une Europe de la science, en commençant par l’atome. Après la guerre, l’atome, ou plus précisément le noyau de l’atome, est au centre de toutes les attentions, aussi bien au plan stratégique qu’économique. Mais les fondateurs du Cern, des scientifiques éminents et quelques hommes politiques clairvoyants, ont eu l’intelligence de comprendre que l’atome est aussi au centre d’enjeux de connaissance, de recherche fondamentale, et de doter le Cern d’un statut de centre de recherche, disposant d’un financement stable, garanti par un traité international, qui lui a permis de mettre en œuvre une stratégie de long terme, exclusivement motivée par les besoins de la recherche fondamentale. Il n’est pas exclu que l’arrière-pensée de ces fondateurs ait été de constituer une communauté scientifique susceptible, comme ce fut le cas lorsqu’il s’était agi de parer au danger mortel d’une arme nucléaire aux mains des nazis, d’être mobilisée pour parer à une éventuelle autre menace globale. Je pense qu’un tel souci est toujours d’actualité. Il faut bien voir en effet que l’extraordinaire aventure humaine qu’ont représentée la recherche et la découverte du boson BEH intervient dans un contexte qui n’est pas sans analogie avec celui du début du XXe siècle : l’apogée actuelle du modèle standard fait penser à celui de la physique classique d’alors ; le prodigieux essor des technologies de l’information rendu possible par la révolution quantique et relativiste fait penser à celui des techniques de la révolution industrielle des XVIIIe et XIXe siècles, mais, en même temps, la crise systémique dans laquelle est plongée l’économie mondiale, la perspective d’épuisement des ressources énergétiques et les inquiétantes prémices du changement global du climat font craindre la survenue, à l’échelle mondiale, de convulsions comparables à celles qui ont marqué la première moitié du XXe siècle. Qu’une organisation internationale comme le Cern, fondée au lendemain des drames de deux guerres mondiales, avec, comme seule finalité, ce progrès des connaissances humaines, ait réussi à relever les redoutables défis de la recherche du boson BEH, n’est-ce pas un facteur d’espoir dans la capacité des civilisations humaines à refuser la fatalité et à surmonter les crises, aussi graves soient-elles ? Pour reprendre une expression utilisée par Louise Gaxie et Alain Obadia dans leur beau livre Nous avons le choix (2), on s’aperçoit que le fonctionnement et la stratégie du Cern font la preuve qu’il est possible de refuser l’injonction thatchérienne et néolibérale : « Tina » : « There is no alternative » : « il n’y a pas d’alternative ».

Un boson nommé higgs Neutrino, muon, quark, gluon... les noms des membres de la famille des particules élémentaires peuvent paraître étranges au profane. Dans le Boson et le chapeau mexicain, ouvrage coécrit avec Michel Spiro, Gilles Cohen-Tannoudji, docteur en physique, chercheur émérite au Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière (Larsim), spécialiste en philosophie des sciences, nous fait entrer dans l’univers de ces éléments ultimes de la matière. Postulé au milieu des années 1960, le boson de Higgs, ou boson BEH (Brout, Englert, Higgs ), a vu son existence mise en évidence expérimentalement le 4 juillet 2012. Cette découverte, faite dans l’accélérateur de particule LHC du Conseil européen pour la recherche nucléaire (Cern), marque un tournant dans l’histoire de la physique et dans notre conception de la nature. Réalisée sur la base d’une collaboration internationale inédite, elle témoigne en faveur d’un modèle alternatif de coopération tournant le dos aux logiques d’hégémonie, de concurrence et de compétition. La remise officielle du prix Nobel de physique 2013 à François Englert et à Peter Higgs se déroulera à Stockholm mardi 10 décembre.

(1) Gilles Cohen-Tannoudji et Michel Spiro, le Boson et le chapeau mexicain, éditions Gallimard, collection « Folios essais », Paris, 2013, 544 pages, 9,90 euros.

(2) Nous avons le choix ! Penser le souhaitable pour ouvrir d’autres possibles, de Louise Gaxie et Alain Obadia, éditions Fondation Gabriel Péri, Pantin, 2013, 525 pages, 15 euros.

Retrouvez les travaux de Gilles Cohen-Tannoudji

Entretien réalisé par Jérôme Skalski

Gilles Cohen-Tannoudji : « L’histoire de la matérialité remonte le temps de l’histoire de la matière »

Extrait de « La matière-espace-temps » de Gilles Cohen-Tannoudji :

Niels Bohr : « Il est plus correct, dans une description objective, de ne se servir du mot phénomène que pour rapporter des observations obtenues dans des conditions parfaitement définies, dont la description implique celle de tout le dispositif expérimental. » (dans « Physique atomique et connaissance humaine »)

Gilles Cohen-Tannoudji, qui le rapporte, rappelle :

« C’est cette nouvelle conception des phénomènes qui est peut-être l’innovation la plus importante apportée par la théorie quantique. Les concepts quantiques ne se rapportent plus à l’objet en soi, mais ils se rapportent à des phénomènes. Un phénomène est une réalité physique placée dans des conditions bien définies d’observation. La définition de ces conditions d’observation implique la maîtrise complète de toutes les étapes de l’acte de mesure : la préparation du système et de l’appareil, la détermination de tous les états expérimentalement observables et la détection des signaux émis lors du couplage entre le système et l’appareil. Le phénomène quantique ainsi conçu est tout le contraire d’un événement passivement observé, c’est un fait expérimental consciemment construit et élaboré.
Cette modification du statu des concepts marque une telle nouveauté par rapport à la démarche scientifique habituelle qu’elle a suscité de très nombreuses confusions et incompréhensions.

Adapter les concepts à la description des phénomènes ne revient pas à nier l’existence d’une réalité objective, indépendante de l’observation. C’est simplement prendre acte du caractère non fiable des concepts classiques qui prétendent décrire directement la réalité indépendante. En théorie quantique, on ne renonce pas à l’objectivité ; l’objectivité est atteinte au prix de tout un travail, tout un cheminement. Aucun concept quantique, pris isolément, n’épuise la totalité de la réalité qui est l’objet de recherche, mais la part d’information que chaque concept quantique nous donne sur cette réalité est fiable, utilisable pour composer, avec d’autres concepts, des représentations de plus en plus fidèles de la réalité. De plus, selon l’idée fondamentale de la complémentarité, la réalité quantique ne peut être épuisée par une représentation unique, mais pas une dualité de représentations, contradictoires l’une avec l’autre mais se complétant l’une l’autre… L’être quantique n’est ni une onde ni un corpuscule, mais il peut être impliqué dans des phénomènes ondulatoires et dans des phénomènes corpusculaires, et c’est au travers de la complémentarité de ces deux catégories de phénomènes que peut se dessiner l’objectivité quantique. »

Le blog de Cohen-Tannoudji

Le point de vue de Cohen-Tannoudji

A different universe, Robert Laughlin

Virtualité et réalité dans les sciences, Gilles Cohen-Tannoudji

Photons et atomes, Gilles Cohen-Tannoudji

Processus d’interaction entre photons et atomes, Gilles Cohen-Tannoudji

Causalité et finalité, Gilles Cohen-Tannoudji

Qu’est-ce que la matière aujourd’hui par Gilles Cohen-Tannoudji

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