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Des lettres entre Barta et Natalia Sedova-Trotsky

mercredi 19 octobre 2022, par Robert Paris

Des lettres entre Barta et Natalia Sedova-Trotsky

1946 - 1949

Union Communiste (Trotskyste) à Natalia Sedova

Paris, le 16 décembre 1946

Chère camarade Nathalie,

Ce n’est que maintenant que nous avons pu obtenir, par hasard, votre adresse. Nous sommes très impatients de vous envoyer une partie de notre matériel dans l’espoir que vous trouverez le temps de lire les articles que nous avons soulignés pour attirer votre attention. Nous serions heureux d’avoir votre appréciation critique. Si cela vous intéresse, nous vous enverrons la collection complète. Nous sommes prêts à clarifier tout ce que vous souhaitez au sujet de notre organisation.

En espérant avoir de vos nouvelles, recevez cher camarade nos salutations fraternelles.

UNION COMMUNISTE (Trotskyste)

Adresse : Jacques RAMBOZ 7, Impasse du Rouet PARIS 14ème


Natalia Sedova à l’Union Communiste (Trotskyste)

Coyoacan, 28.1.47

Cher camarade,

Merci pour votre lettre du 16 décembre. Je tarde à vous répondre car j’ai été malade. J’ai également reçu tout le matériel que vous m’avez envoyé et je vous en remercie. Je lirai avec grand intérêt tous les articles que vous avez soulignés. Je n’ai pas pu le faire plus tôt pour la raison que j’ai mentionnée. Je vous serais bien obligé si vous continuiez à m’envoyer Lutte de Classes. Après avoir lu les articles, je vous contacterai. En conclusion, je serais très heureux que vous puissiez me donner quelques informations générales sur votre organisation.

Recevez cher camarade mon salut fraternel.

Natalia Sédova


Union Communiste (Trotskyste) à Natalia Sedova

Paris, le 20 février 1947

Chère camarade Sedova,

Nous avons été ravis de recevoir votre lettre du 28.1.47 ; depuis nous avons continué et continuerons à vous envoyer régulièrement Lutte de Classes.

Nous poursuivons comme suit les informations générales sur nos activités et notre développement : Les camarades qui ont fondé notre organisation ont été actifs dans le POI pendant plusieurs années et en 1938 faisaient partie de la fraction qui est entrée dans le PSOP. En 1939, lorsque les cadres et les groupes trotskystes se sont désintégrés, nous avons fait notre premier travail indépendant, surtout pour des raisons d’organisation, et avons publié, avec l’aide de quelques jeunes camarades, un journal dupliqué, L’Ouvrier traitant de la lutte contre le Daladierisme, le la guerre et le rôle de la social-démocratie dans la destruction des syndicats. En 1939, nous sommes partis de rien et, après les événements militaires de 1940, nous avons dû repartir de la même position. En novembre 1940, nous avons publié notre pamphlet La Lutte contre la 2e Guerre impérialiste mondiale pour défendre ce que nous pensions être une politique trotskyste contre les positions nationalistes et petites-bourgeoises de l’organisation issue d’une regroupement d’anciens membres du POI. C’est en 1942, après avoir pu éduquer et instruire quelques jeunes camarades issus du PCF ou sans passé politique, que nous avons publié notre journal La Lutte de Classes. Ce choix de titre a été fait en raison de notre volonté d’opposer, par la propagande révolutionnaire et internationaliste, le courant pro-gaulliste d’unité nationale justifié par la lutte contre la puissance occupante.

C’est après ce travail et sans être devenus un nombre appréciable que nous avons pu, en octobre 1945, ajouter à notre journal un bulletin pour le travail syndical, La Voix des Travailleurs. Concrètement, le bulletin était le résultat de l’expérience que nous avions acquise au cours des mois précédents grâce à la publication de tracts locaux d’usine au nom d’un « groupe de travailleurs », ce qui nous a permis d’avoir des liens avec une usine consciente. travailleurs. Nous avions élaboré notre position syndicale (qui était défendue par La Voix) sur la base de notre propre travail syndical sans connaître les derniers écrits de Trotsky à ce sujet.

En même temps, en raison de l’évolution de la situation politique générale, nous avions intensifié notre travail d’agitation et, d’octobre 1945 à juin 1946, avions distribué dans les usines de la région parisienne 100 000 tracts qui mettaient en avant la politique de notre journal. En même temps nous avions essayé d’imposer la vente de nos journaux aux portes de l’usine, pour cela nous avions dû entreprendre une lutte physique contre les staliniens, (qui s’opposaient à la vente) prenant une large position d’agitation politique sur les droits de la démocratie ouvrière. En ce sens, nous avions été les premiers à nous agiter et à appeler à l’unité avec le PCI. Nous pouvions dire aussi qu’en raison de l’insuffisance politique du PCI, nous avions été en région parisienne pendant plusieurs périodes, le seul groupe défendant ouvertement la politique trotskyste dans la classe ouvrière. Dans Non. 60 de La Lutte (30 avril 1946) nous expliquons les raisons de la disparition de La Voix des Travailleurs. Mais nous avons continué le travail pour trouver le meilleur moyen d’élever le niveau de conscience des travailleurs avec les mêmes méthodes et le même objectif. Nous sommes numériquement un petit groupe mais la majorité sont des travailleurs.

Si en fait nous n’avons eu aucune relation avec le PCI c’est parce que leurs dirigeants se sont montrés absolument incapables de respecter les règles les plus élémentaires d’honnêteté et de comportement ouvrier (alors qu’ils étaient politiquement à plat devant les sociaux-démocrates et les staliniens). Bien que nous soyons apparemment d’accord sur tout ce que nous trouvions, nous n’étions d’accord sur rien chaque fois que nous examinions telle ou telle question précise. Le PCI s’est opposé à notre critique ouverte par le silence et à vrai dire, une « unité » qui, telle qu’il la posait, n’aurait fait qu’occulter les difficultés et non approfondir le mouvement révolutionnaire.

Vous pouvez suivre nos différences avec le PCI à partir du matériel que vous avez déjà. Compte tenu de l’importance particulière que nous attachons à votre avis, nous vous serions reconnaissants de nous faire part de votre appréciation dans les plus brefs délais.

En attendant nous vous adressons, cher camarade, nos salutations fraternelles.

PS.1. Nous joignons une copie d’une lettre expliquant notre scission avec les groupes formant le PCI qui n’a pas obtenu de réponse.

PS.2. Pourriez-vous envoyer vos courriers à l’adresse suivante Jacques Ramboz 3 Boulevard Victor Paris 15ème.


Union Communiste (Trotskyste) à Natalia Sedova

Paris, le 2 avril 1947

Chère camarade Sedova,

Suite à votre lettre du 28 janvier, nous vous avons envoyé une lettre contenant des informations générales sur notre organisation le 20 février. Nous avons également continué à vous envoyer régulièrement des Lutte de Classe .

Nous serions reconnaissants de savoir si vous les avez reçus et nous espérons qu’il sera possible de nous le dire.

En attendant, nous vous adressons, chère camarade Sedova, nos salutations fraternelles.

Union Communiste (Trotskyste)


Union Communiste (Trotskyste) à Natalia Sedova

Paris, le 5 juin 1947

Chère camarade Sedova,

Nous nous sommes inquiétés de n’avoir reçu aucune réponse à nos lettres du 20 février et du 5 avril ; nous nous demandons si le courrier ne passe pas ou si votre travail ou votre état de santé vous empêchent de nous répondre ; mais quoi qu’il en soit nous espérons que vous êtes en bonne santé et au cas où vous auriez déjà écrit nous vous serions reconnaissants de renvoyer la lettre à l’adresse de Michel Bucholz, 2 rue Claude Matrat à Issy-les-Moulineaux (Seine).

Nous sommes heureux d’avoir couronné notre travail théorique, politique et organisationnel par une lutte de masse de la plus haute importance pour la classe ouvrière et pour nous-mêmes. Nous vous avons envoyé les documents relatifs à ces événements et nous espérons que le matériel plus ancien dont vous disposerez vous renseignera avec précision sur le caractère organisé de ce mouvement, fruit d’un long et patient travail. Et ce sera certainement pour vous la plus grande satisfaction de recevoir la confirmation qui est essentiellement la pensée de Trotsky et l’exemple de tous ceux qui se sont entièrement consacrés à l’émancipation de la classe ouvrière qui nous ont aidés à traverser les épreuves de 1939 à aujourd’hui. . Nous continuerons la lutte jusqu’au bout, car les crimes de la classe dirigeante et de la bureaucratie stalinienne ne peuvent inclure que la seule vraie revanche, la révolution prolétarienne.

Nous vous adressons, chère camarade Sedova, nos salutations fraternelles.

pour l’Union Communiste (Trotskyste)


Natalia Sedova à La Lutte de Classes

Mexique, 12 juillet 1947

à La Lutte de Classes

Chers camarades,

J’ai reçu vos lettres et votre matériel. C’est-à-dire l’essentiel de votre matériel. A propos de vos divergences avec l’organisation française pendant la guerre et à l’gard des mouvements de résistance, je dois vous informer que nous avons demandé que le prochain Congrès mondial traite en premier lieu la politique des principaux partis par rapport à ce problème. Il me semble que vous devez être tout à fait d’accord là-dessus. Mais votre groupe participera-t-il au congrès et à la discussion préalable ? At-il été invité par le SI ? At-il demandé à prendre part à la discussion et au Congrès ?

J’ai vos lettres et votre matériel. C’est-à-dire le matériel indispensable. A propos de vos différends avec l’organisation française pendant la guerre à propos des mouvements de résistance, je dois vous dire que nous avons demandé au prochain Congrès mondial de traiter en priorité de la politique des principaux corps impliqués dans cette question. Il me semble que vous seriez tout à fait d’accord avec cela. Mais votre groupe participera-t-il au Congrès et à la discussion pré-Congrès ? A-t-il été invité par l’EI ? A-t-il demandé à participer à la fois à la discussion et au Congrès ? J’ai vu que vous critiquiez la conduite de notre parti sur la question des grèves françaises. Ici, il me semble que vous vous trompez. Il me semble que le PCI s’est bien conduit dans les grèves et a fait appel aux ouvriers staliniens.

Pour moi, le plus important est de savoir quels obstacles vous ont empêché d’adhérer au PCI. Je crois me souvenir que la direction du Parti vous a offert l’entrée avec tous les droits de faction. J’ai lu votre document adressé au Comité d’Unification et rédigé en 1944. Avez-vous toujours la même position ?

Depuis deux mois, je n’ai pas reçu La Lutte de Classes.

J’aimerais connaître votre position par rapport à la défense de la Russie, à l’appel à un gouvernement PS-PC-CGT et à l’unité avec le stalinisme, toutes les questions qui sont actuellement débattues dans notre organisation.

salutations fraternelles

Natalia Sédova


Natalia Sedova à David Korner

Coyoacan, 22 octobre 1947

Cher camarade,

Je viens de recevoir votre lettre du 25 septembre par laquelle je comprends que vous n’avez pas reçu ma lettre du 12 juillet. C’était une bonne idée de m’écrire encore une fois. Car j’étais très inquiet de ton silence. J’ai joint une copie de ma lettre.

Depuis cinq mois, je ne reçois plus La Lutte de Classe mais je reçois régulièrement La Voix des Travailleurs . Le papier est bien fait, le ton est combatif et la prise de position correcte. Puis-je demander si La Voix des Travailleurs est le successeur de La Lutte de Classe s. Il me semble avoir lu quelque part que vous reveniez au nom de La Lutte de Classe s.

J’attends vos nouvelles avec impatience.

Recevez mon salut fraternel

Natalie Sédova


La Voix des Travailleurs à Natalia Sedova

Paris, le 6 novembre 1947

Chère camarade Sedova,

Votre lettre du 22 octobre nous a remplis de joie. Nous essaierons de répondre le plus complètement possible à vos questions.

Quant à La Voix des Travailleurs, elle continue en effet La Lutte de Classe s.

La Lutte de Classe s paraîtra à nouveau sous forme de bulletin théorique dès que nous aurons les moyens nécessaires.

La grève Renault de mai dernier, déclenchée et menée par nos camarades de l’usine, (sans l’aide d’aucune autre organisation) nous a donné la possibilité de refonder l’ancienne Voix des Travailleurs sur de nouvelles bases. Un hebdomadaire sera en grande partie vendu dans l’usine Renault ; surtout parmi les 1 200 ouvriers des départements 6 et 18. Un ouvrier sur trois est lecteur. Nous voulons l’aide d’un journal pour éduquer et influencer tous les travailleurs qui cherchent une nouvelle voie à suivre. La position stratégique que nous occupons actuellement chez Renault nous permet d’espérer une croissance, sinon rapide, du moins solide.

Au sujet du PCI, après des rebuffades répétées, nous avons été contraints de constater l’impossibilité de toute collaboration. Nous ne parlons pas la même langue et nous avons des opinions et des méthodes totalement différentes en ce qui concerne l’activité ouvrière. Les difficultés ne viennent pas, en général, de divergences politiques mais de la composition sociale du PCI. A ce sujet, notre position de 1944 est toujours valable aujourd’hui. Ensuite, nous espérions qu’une partie, sinon la majorité du PCI, se retrouverait sur la même voie révolutionnaire avec nous. Il nous apparaît aujourd’hui que les dirigeants du PCI, non seulement ne connaissent pas leur métier, mais ont la morale de vrais politiciens bourgeois. Dans notre lutte, nous avons reçu des coups non seulement de la bourgeoisie et des staliniens, mais aussi des dirigeants du PCI.

Sur ce point, nous avons justifié notre position vis-à-vis de la classe ouvrière dans le n° 75 de La Lutte de Classe s et nous en avons parlé dans le n° 17 de La Voix . (« L’Acier retrouve sa voix ») et dans le n°23 (au sujet des élections). Nous ne voyons pas très bien quelle est la critique du PCI à laquelle vous faites allusion dans votre lettre au sujet des appels aux ouvriers staliniens. Comme vous pouvez le voir dans La Voi x, nous faisons constamment appel à ces travailleurs (comme nous le faisons aux travailleurs du Parti socialiste, etc.) et pas seulement sur le papier, mais nous nous battons à leurs côtés dans l’usine.

En réalité on reproche au PCI son attitude essentiellement opportuniste à l’égard des dirigeants staliniens, qui va jusqu’à couvrir leurs crimes comme par exemple dans l’assassinat de notre camarade Mathieu. Nous nous sommes habitués à l’idée que, vu la décadence actuelle du mouvement ouvrier, personne ne se trouve pour protester contre un tel crime mais nous ne nous attendions pas à ce que le premier se taise et ne travaille pas à la découverte et la dénonciation des assassins, pourraient être précisément les dirigeants du parti qui est le représentant officiel de la 4e Internationale. [*]

Au sujet de l’appel à un gouvernement PS-PC-CGT nous vous avons envoyé le n°54 de La Lutte de Classes qui a un article à ce sujet.

Nous ignorons les discussions au sein de l’Internationale au sujet du Front unique avec les staliniens et de la défense de l’URSS.

Sur la question du Front uni avec le stalinisme, nous pensons que vous avez notre position concrète dans La Voix (nous nous engageons à l’avenir à vous envoyer nos tracts d’usine.) De même nous ne pouvons pas traiter de la défense de l’URSS dans l’abstrait ; vous avez également dans nos documents la position successive prise par notre organisation pendant et après la guerre.

En ce qui concerne la nature de l’URSS, nous sommes suffisamment « démodés » pour penser que seule l’analyse de Trotsky offre une manière scientifique de comprendre la société « soviétique » et donc une orientation politique.

Un élément de la question de la défense de l’URSS qui nous apparaît comme décisif est que cette défense dépend de nos forces et que si nous sommes incapables de défendre la classe ouvrière nous ne sommes pas non plus capables de défendre l’URSS ; l’erreur est alors de raisonner, non pas sur la base de la croissance organisationnelle, mais en termes abstraits.

Dans notre pratique politique, vous avez vu que, par-dessus tout, nous attaquons l’impérialisme américain pour avoir provoqué la guerre et nous dénonçons les crimes de Staline et ses méthodes. Mais nous ne dénonçons pas l’URSS comme provocateur de guerre ou comme impérialiste. Il nous semble que les erreurs de ceux qui, par opportunisme, apportent de l’eau au moulin révisionniste, ne sont pas dues à une volonté de défendre l’URSS mais à leur impuissance dans le mouvement ouvrier.

En ce qui concerne l’International, nous serions ravis de participer à la réunion du Congrès International. Mais après que l’entrée au PCI nous a été refusée, nous n’avons eu ni invitations ni documents préparatoires. Depuis 1939, nous avons été complètement ignorés par l’organisation internationale et les seules relations que nous avons eues ont été des remontrances pour entrer dans le PCI et arrêter de jouer aux petits garçons etc...

Aujourd’hui la situation en France est favorable au Parti Révolutionnaire. La situation qui nous a permis, à une poignée, de faire le travail que nous avons chez Renault, existe dans la majorité de la classe ouvrière. Seulement là où nous ne sommes pas, il y a des réformistes ou autres qui ont le dessus, qui groupent autour d’eux des ouvriers dégoûtés alors que les dirigeants du PCI appellent dans leur journal à une correction à la CGT et à un front unique avec ces messieurs staliniens. En conséquence leur influence dans la classe ouvrière est nulle et vous avez pu le constater après le résultat des élections où le PCI dans 5 circonscriptions a eu un peu plus de 1000 voix.

En tout cas, aussi douloureuse que soit cette conclusion, nous avons pour notre part maintenant la certitude morale que, dans la mesure où la situation objective nous le permet, nous poursuivrons notre travail jusqu’au bout et avons décidé de continuer quoi qu’il arrive. ce qui se produit.

Nous essaierons de vous tenir au courant le plus possible de tout ce qui se passe ici et souhaitons que votre santé vous permette de le suivre en attendant des jours meilleurs dont nous sommes certains.

Veuillez accepter, chère camarade Sedova, nos salutations affectueuses.

PS. Excusez cette lettre décousue mais nous n’avons pas le temps et nous ne voulions pas la retarder.

[*] Il s’agit de Mathieu Bucholz, qui a rejoint le groupe dirigé par Barta à l’âge de 19 ans en 1941. Il a été enlevé et assassiné, après avoir été torturé, le 11 septembre 1944 sur ordre de dirigeants staliniens. (voir Lutte de Classes, n°67, 18 septembre 1946.)


Natalia Sedova à David Korner

Coyoacan, 17 mars 1948

Cher camarade Mathieu,

Oui, j’ai reçu votre lettre du 6 novembre 1947. Il n’était donc pas nécessaire de m’en envoyer une autre copie. Mon long silence est dû en partie au fait que j’ai souhaité attendre la parution projetée de votre revue théorique La Lutte de Classe s.

Je reçois régulièrement La Voix des Travailleurs . Merci beaucoup. Cela me fait grand plaisir de l’obtenir si rapidement - il arrive dans trois ou quatre jours. La Voix des Travailleurs est très intéressante par son ton révolutionnaire qui fait généralement défaut à nos publications. Mais je me demande si son ambiance n’est pas trop limitée aux questions syndicales. Je peux comprendre la raison, vous le voyez comme faisant partie d’un ensemble de revues complétées par Lutte de Classe s Vous aviez l’intention de publier cela mais malheureusement, il me semble, vous n’y êtes pas parvenu. Et c’est pourquoi les questions théoriques et la politique générale manquent.

Je me souviens d’une de vos lettres, écrite me semble-t-il au camarade M. [**] Vous analysez sa brochure Les Révolutionnaires devant la Russie. J’ai l’impression d’avoir vu cette analyse dans plusieurs Lutte de Classe . Vous partagez bon nombre des points avancés par l’auteur de cette brochure.

Saviez-vous que le camarade M. était actuellement à Paris ? J’aimerais que vous le connaissiez. Je pense qu’il vous serait facile d’être d’accord avec lui. Vous m’avez parlé dans votre lettre de l’impossibilité de toute entente avec Vérité. Mais vous ne m’avez pas expliqué tous vos points de divergence. Au lieu de cela, vous vous plaignez de l’absence de tout caractère révolutionnaire dans chacune de leurs actions. C’est tout à fait vrai. Car leur manque de compréhension révolutionnaire dicte toutes leurs actions, à la fois théoriques et pratiques. Dans le camarade M., vous trouverez un allié enthousiaste. Je vous le recommande et, si vous me le permettez, j’insiste pour que vous rencontriez le camarade M. le plus tôt possible. Vous pouvez lui écrire à cette adresse, Sophie Gallienne, 3 rue Lecourbe, Paris XV.

salutations fraternelles

Nathalie

Avenue Elena Villalobos Viena 19 - Coyoacan Mexique, DF

[**] Fernandez Grandizo, alias Munis (1912-1989). Son pamphlet Les Révolutionnaires devant la Russie et le stalinisme mondial est publié en 1946 par Editorial Revolucion, Mexico.


David Korner à Natalia Sedova

Paris le 18 juin 1948

Cher camarade,

Voici tout d’abord notre situation en quelques mots. Nous avons été contraints de suspendre la publication de notre journal car cela a été impossible sur la même base. Il avait été conçu avant tout comme un moyen de lutte et d’éducation pour l’avant-garde ouvrière de Renault. Nous espérions, partir de là, sur la base d’un mouvement ouvrier grandissant, déplacer d’autres couches de travailleurs. Mais notre expérience de janvier jusqu’au dernier numéro (n°47) nous a prouvé que l’échec de la grève de novembre-décembre a mis fin à une telle perspective.

Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait changer de formule et nous avons décidé de sortir une revue bimestrielle, dans un format plus grand et aussi de la vendre en kiosque. C’est le seul moyen d’atteindre de nouvelles couches et pas seulement celles de la classe ouvrière. Bien sûr, le contenu doit également changer et sera beaucoup plus proche des anciens La Lutte de Classe s ; mais il faut attendre après les vacances car nous avons grand besoin de prendre un peu de repos avant d’entreprendre cette nouvelle tâche ; d’autre part nous sommes aux postes de combat chez Renault pour faire reconnaître le syndicat. Tu sais de La Voix que le juge de paix a déclaré que nous devrions être autorisés à nous présenter, mais la direction ne tient pas compte du jugement et nous devons nous battre sur ce terrain. Les élections des délégués ont lieu le 30 juin et comme nous n’avons pas le droit de présenter nos candidats, nous avons décidé de faire comme si de rien n’était, de publier notre liste de candidats, de faire notre publicité et de demander aux travailleurs de voter pour nous. Entre-temps, le juge de paix a fixé au 23 juin le jugement du concours électoral décidé par la direction et les autres organes syndicaux sans notre accord. Il est probable que nous gagnerons notre cause.

En tout cas l’essentiel est que nous luttions sur tous les fronts, que nos camarades apprennent à se battre par tous les moyens, que nos liens avec les ouvriers se renforcent et que nos cadres augmentent autant en nombre qu’en qualité.

Quelles sont nos relations avec les groupes minoritaires du PCI ? Nous avons pris contact avec la faction Gallienne et le résultat est plus que trompeur. Je pense qu’il y a un malentendu dans leur volonté de scission avec le PCI. Ces camarades ne voient rien à reprocher au PCI quant à son « sens révolutionnaire », leur seule pensée est que la « discussion »sur l’URSS devrait être totalement décidé. Bien que très petits et sans aucune base ouvrière, leur première pensée n’a pas été d’acquérir une telle base. Quand nous leur avons expliqué que nous n’avions pas assez de ressources pour mener à bien le travail syndical, publier notre journal et en même temps discuter avec « l’avant-garde », (c’est-à-dire les fragments de petits groupes, les débris sans gloire de cette période de cercles de discussion), ils rétorquent qu’« après tout, ils ont tenu compte de l’expérience chez Renault », mais ce travail était moins crucial, le plus urgent étant « d’en finir » avec les petits groupes, de construire une grande fête etc. Mais si c’est leur métier pourquoi commencer par se séparer du PCI. Mais toute preuve d’un sens révolutionnaire fait totalement défaut lorsqu’ils proposent de se retirer de l’activité ouvrière chez Renault où nos camarades mènent une lutte extrêmement dure qui ne concerne pas seulement l’avenir du mouvement mais leur propre vie. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour éclairer ces camarades et essayer de travailler avec eux autant que possible ; mais nous n’avons pas de grands espoirs.

Cher camarade vous serait-il possible de contribuer éventuellement à une Voix bimensuelle avec ou sans votre signature. Ce serait une aide décisive pour nous.

Nous vous prions de nous écrire sur toutes ces questions sans retenue.

Recevez cher camarade les salutations les plus chaleureuses de notre organisation.

A.Mathieu


David Korner à Natalia Sedova

Paris, le 29 juin 1949

Chère camarade Sedova,

Je voulais vous écrire depuis longtemps. Mais j’attendais un résultat officiel pour donner du poids à nos revendications.

Maintenant c’est arrivé. Par notre travail de masse, de propagande et d’agitation au sein de Renault, nous avons réussi à faire reconnaître notre « représentativité » et notre participation aux élections des délégués (stewards). Nous avons obtenu en moyenne 1 300 voix et 7 délégués sur 132 ; cette notice vous en parlera. Ce que je voudrais vous souligner, c’est que cela ne représente pas un « reste » de notre influence de la grève de mai 1947, mais une nouvelle conquête, une pénétration à l’intérieur de l’usine hors des départements 16 et 18 (où nous avons 325 voix.) Pour apprécier ce résultat, il faut comprendre qu’il a été obtenu dans une période marquée par des défaites ouvrières qui, comme toujours, même si elles montrent à quel point la politique révolutionnaire était juste, ne profitent qu’aux bureaucrates.

Nous avons maintenant aussi une base chez Citroën.

Pour mener à bien cette tâche, il faut non seulement vaincre les difficultés à l’intérieur de l’usine mais aussi vaincre le découragement dû à la décadence croissante des milieux « révolutionnaires ». A ce sujet il faut vous dire que nous pensions que le camarade M. était comme quelqu’un d’une autre planète et que, non seulement nous n’avons pas pu travailler avec lui, mais son séjour ici n’a rien fait pour améliorer la situation.

Quant à nos perspectives d’avenir, elles seraient brillantes s’il pouvait y avoir une croissance qualitative rapide des cadres. Etant donné que nous ne pouvons compter que sur nos propres forces (il n’a même pas été possible de rencontrer une deuxième fois le camarade Rosmer depuis la grève de mai, qui pourtant semblait pourtant approuver notre travail), il nous faut du temps et, compte tenu de la situation mondiale , le temps presse. Cependant, par rapport au passé, de grands progrès vont être réalisés grâce à la nouvelle situation syndicale.

En ce qui concerne Lutte de Classes , il ne nous a pas été possible de publier beaucoup de numéros. En réalité nous ne sommes que deux écrivains qui écrivons difficilement, et il y a tant de choses à faire pour faire vivre une organisation engagée dans la lutte quotidienne.

Je serais heureux d’avoir votre avis sur l’article "Qui va unifier l’Europe" (la partie sur l’URSS.) Nous ne négligeons jamais la théorie car elle nous a permis d’avancer sur une base trotskyste (révolutionnaire). Mais pour la développer, il faut une action révolutionnaire pratique - et cela n’est possible que sur la base des théories "classiques" - qui amène de nouvelles conclusions, sinon on tombe inévitablement dans le plus terne des révisionnismes. Nous pensons que l’analyse de Trotsky sur l’URSS (en particulier la Révolution trahie) est une œuvre dont on ne peut trouver l’équivalent qu’en remontant à Marx et Engels. Une analyse de l’URSS depuis 1940 n’est possible que sur cette base. Nous considérons l’URSS comme un "État ouvrier dégénéré" dont les traits négatifs l’emportent sur les traits positifs, ce que les effets de l’occupation russe de l’Europe centrale et des Balkans rendent concrets. Seul un sursaut révolutionnaire mondial pourra régler définitivement la question de la défense de l’URSS.

Cher camarade, permettez-nous à cette occasion de renouveler l’expression de notre vive reconnaissance pour tout ce que votre génération a fait pour la révolution socialiste et vous pouvez être certain que votre exemple nous incitera à tenir bon coûte que coûte jusqu’à la fin finir.

Veuillez accepter, chère camarade Sedova, nos salutations fraternelles.

David Korner

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