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Evolution et Révolution, d’après Elisée Reclus

samedi 27 mai 2023, par Robert Paris

Evolution et Révolution, d’après Elisée Reclus

L’Évolution, la Révolution et l’Idéal anarchique

I

L’évolution est le mouvement infini de tout ce qui existe, la transformation incessante de l’Univers et de toutes ses parties depuis les origines éternelles et pendant l’infini des âges. Les voies lactées qui font leur apparition dans les espaces sans bornes, qui se condensent et se dissolvent pendant les millions et les milliards de siècles, les étoiles, les astres qui naissent, qui s’agrègent et qui meurent, notre tourbillon solaire avec son astre central, ses planètes et ses lunes, et, dans les limites étroites de notre petit globe terraqué, les montagnes qui surgissent et qui s’effacent de nouveau, les océans qui se forment pour tarir ensuite, les fleuves qu’on voit perler dans les vallées, puis se dessécher comme la rosée du matin, les générations des plantes, des animaux et des hommes qui se succèdent, et nos millions de vies imperceptibles, de l’homme au moucheron, tout cela n’est que phénomène de la grande évolution, entraînant toutes choses dans son tourbillon sans fin.

En comparaison de ce fait primordial de l’évolution et de la vie universelle, que sont tous ces petits événements appelés révolutions, astronomiques, géologiques ou politiques ? Des vibrations presque insensibles, des apparences, pourrait-on dire. C’est par myriades et par myriades que les révolutions se succèdent dans l’évolution universelle ; mais, si minimes qu’elles soient, elles font partie de ce mouvement infini.

Ainsi la science ne voit aucune opposition entre ces deux mots — évolution et révolution — qui se ressemblent fort, mais qui, dans le langage commun, sont employés dans un sens complètement distinct de leur signification première. Loin d’y voir des faits du même ordre ne différant que par l’ampleur du mouvement, les hommes timorés que tout changement emplit d’effroi affectent de donner aux deux termes un sens absolument opposé. L’Évolution, synonyme de développement graduel, continu, dans les idées et dans les mœurs, est présentée comme si elle était le contraire de cette chose effrayante, la Révolution, qui implique des changements plus ou moins brusques dans les faits. C’est avec un enthousiasme apparent, ou même sincère, qu’ils discourent de l’évolution, des progrès lents qui s’accomplissent dans les cellules cérébrales, dans le secret des intelligences et des cœurs ; mais qu’on ne leur parle pas de l’abominable révolution, qui s’échappe soudain des esprits pour éclater dans les rues, accompagnée parfois des hurlements de la foule et du fracas des armes.

Constatons tout d’abord que l’on fait preuve d’ignorance en imaginant entre l’évolution et la révolution un contraste de paix et de guerre, de douceur et de violence. Des révolutions peuvent s’accomplir pacifiquement, par suite d’un changement soudain du milieu, entraînant une volte-face dans les intérêts ; de même des évolutions peuvent être fort laborieuses, entremêlées de guerres et de persécutions. Si le mot d’évolution est accepté volontiers par ceux-là même qui voient les révolutionnaires avec horreur, c’est qu’ils ne se rendent point compte de sa valeur, car de la chose elle-même ils ne veulent à aucun prix. Ils parlent bien du progrès en termes généraux, mais ils repoussent le progrès en particulier. Ils trouvent que la société actuelle, toute mauvaise qu’elle est et qu’ils la voient eux-mêmes, est bonne à conserver ; il leur suffit qu’elle réalise leur idéal : richesse, pouvoir, considération, bien-être. Puisqu’il y a des riches et des pauvres, des puissants et des sujets, des maîtres et des serviteurs, des Césars qui ordonnent le combat et des gladiateurs qui vont mourir, les gens avisés n’ont qu’à se mettre du côté des riches et des maîtres, à se faire les courtisans des Césars. Cette société donne du pain, de l’argent, des places, des honneurs, eh bien ! que les hommes d’esprit s’arrangent de manière à prendre leur part, et la plus large possible, de tous les présents du destin ! Si quelque bonne étoile, présidant à leur naissance, les a dispensés de toute lutte en leur donnant pour héritage le nécessaire et le superflu, de quoi se plaindraient-ils ? Ils cherchent à se persuader que tout le monde est aussi satisfait qu’ils le sont eux-mêmes : pour l’homme repu, tout le monde a bien dîné. Quant à l’égoïste que la société n’a pas richement loti dès son berceau et qui, pour lui-même, est mécontent de l’état des choses, du moins peut-il espérer de conquérir sa place par l’intrigue ou par la flatterie, par un heureux coup du sort ou même par un travail acharné mis au service des puissants. Comment s’agirait-il pour lui d’évolution sociale ? Évoluer vers la fortune est sa seule ambition ! Loin de rechercher la justice pour tous, il lui suffit de viser au privilège pour sa propre personne.

Il est cependant des esprits timorés qui croient honnêtement à l’évolution des idées, qui espèrent vaguement dans une transformation correspondante des choses, et qui néanmoins, par un sentiment de peur instinctive, presque physique, veulent, au moins de leur vivant, éviter toute révolution. Ils l’évoquent et la conjurent en même temps : ils critiquent la société présente et rêvent de la société future comme si elle devait apparaître soudain, par une sorte de miracle, sans que le moindre craquement de rupture se produise entre le monde passé et le monde futur. Êtres incomplets, ils n’ont que le désir, sans avoir la pensée ; ils imaginent, mais ils ne savent point vouloir. Appartenant aux deux mondes à la fois, ils sont fatalement condamnés à les trahir l’un et l’autre : dans la société des conservateurs, ils sont un élément de dissolution par leurs idées et leur langage ; dans celle des révolutionnaires, ils deviennent réacteurs à outrance, abjurant leurs instincts de jeunesse et, comme le chien dont parle l’Évangile « retournant à ce qu’ils avaient vomi. » C’est ainsi que, pendant la Révolution, les défenseurs les plus ardents de l’ancien régime furent ceux qui jadis l’avaient poursuivi de leurs risées : de précurseurs, ils devinrent renégats. Ils s’apercevaient trop tard, comme les inhabiles magiciens de la légende, qu’ils avaient déchaîné une force trop redoutable pour leur faible volonté, pour leurs timides mains.

Une autre classe d’évolutionnistes est celle des gens qui dans l’ensemble des changements à accomplir n’en voient qu’un seul et se vouent strictement, méthodiquement, à sa réalisation, sans se préoccuper des autres transformations sociales. Ils ont limité, borné d’avance leur champ de travail. Quelques-uns, gens habiles, ont voulu de cette manière se mettre en paix avec leur conscience et travailler pour la révolution future sans danger pour eux-mêmes. Sous prétexte de consacrer leurs efforts à une réforme de réalisation prochaine, ils perdent complètement de vue tout idéal supérieur et l’écartent même avec colère afin qu’on ne les soupçonne pas de le partager. D’autres, plus honnêtes ou tout à fait respectables, même vaguement utiles à l’achèvement du grand œuvre, sont ceux qui en effet n’ont, par étroitesse d’esprit, qu’un seul progrès en vue. La sincérité de leur pensée et de leur conduite les place au-dessus de la critique : nous les disons nos frères, tout en reconnaissant avec chagrin combien est étroit le champ de lutte dans lequel ils sont cantonnés et comment, par leur unique et spéciale colère contre un seul abus, ils semblent tenir pour justes toutes les autres iniquités.

Je ne parle pas de ceux qui ont pris pour objectifs, d’ailleurs excellents, soit la réforme de l’orthographe, soit la réglementation de l’heure ou le changement du méridien, soit encore la suppression des corsets ou des bonnets à poil ; mais il est des propagandes plus sérieuses qui ne prêtent point au ridicule et qui demandent chez leurs protagonistes courage, persévérance et dévouement. Dès qu’il y a chez les novateurs droiture parfaite, ferveur du sacrifice, mépris du danger, le révolutionnaire leur doit en échange sympathie et respect. Ainsi quand nous voyons une femme pure de sentiments, noble de caractère, intacte de tout scandale devant l’opinion, descendre vers la prostituée et lui dire : « Tu es ma sœur ; je viens m’allier avec toi pour lutter contre l’agent des mœurs qui t’insulte et met la main sur ton corps, contre le médecin de la police qui te fait appréhender par des argousins et te viole par sa visite, contre la société tout entière qui te méprise et te foule aux pieds », nul de nous ne s’arrête à des considérations générales pour marchander son respect à la vaillante évolutionniste en lutte contre l’impudicité du monde officiel. Sans doute, nous pourrions lui dire que toutes les révolutions se tiennent, que la révolte de l’individu contre l’État embrasse la cause du forçat ou de tout autre réprouvé, aussi bien que celle de la prostituée ; mais nous n’en restons pas moins saisis d’admiration pour ceux qui combattent le bon combat dans cet étroit champ clos. De même nous tenons pour des héros tous ceux qui, dans n’importe quel pays, en n’importe quel siècle, ont su se dévouer sans arrière-pensée pour une cause commune, si peu large que fût leur horizon ! Que chacun de nous les salue avec émotion et qu’il se dise : « Sachons les égaler sur notre champ de bataille, bien autrement vaste, qui comprend la terre entière ! »

En effet, l’évolution embrasse l’ensemble des choses humaines et la révolution doit l’embrasser aussi, bien qu’il n’y ait pas toujours un parallélisme évident dans les événements partiels dont se compose l’ensemble de la vie des sociétés. Tous les progrès sont solidaires, et nous les désirons tous dans la mesure de nos connaissances et de notre force : progrès sociaux et politiques, moraux et matériels, de science, d’art ou d’industrie. Évolutionnistes en toutes choses, nous sommes également révolutionnaires en tout, sachant que l’histoire même n’est que la série des accomplissements, succédant à celle des préparations. La grande évolution intellectuelle, qui émancipe les esprits, a pour conséquence logique l’émancipation, en fait, des individus dans tous leurs rapports avec les autres individus.

On peut dire ainsi que l’évolution et la révolution sont les deux actes successifs d’un même phénomène, l’évolution précédant la révolution, et celle-ci précédant une évolution nouvelle, mère de révolutions futures. Un changement peut-il se faire sans amener de soudains déplacements d’équilibre dans la vie ? La révolution ne doit-elle pas nécessairement succéder à l’évolution, de même que l’acte succède à la volonté d’agir ? L’un et l’autre ne diffèrent que par l’époque de leur apparition. Qu’un éboulis barre une rivière, les eaux s’amassent peu à peu au-dessus de l’obstacle, et un lac se forme par une lente évolution ; puis tout à coup une infiltration se produira dans la digue d’aval, et la chute d’un caillou décidera du cataclysme : le barrage sera violemment emporté et le lac vidé redeviendra rivière. Ainsi aura lieu une petite révolution terrestre.

Si la révolution est toujours en retard sur l’évolution, la cause en est à la résistance des milieux : l’eau d’un courant bruit entre ses rivages parce que ceux-ci la retardent dans sa marche ; la foudre roule dans le ciel parce que l’atmosphère s’est opposée à l’étincelle sortie du nuage. Chaque transformation de la matière, chaque réalisation d’idée est, dans la période même du changement, contrariée par l’inertie du milieu, et le phénomène nouveau ne peut s’accomplir que par un effort d’autant plus violent ou par une force d’autant plus puissante, que la résistance est plus grande. Herder parlant de la Révolution française l’a déjà dit : « La semence tombe dans la terre, longtemps elle paraît morte, puis tout à coup elle pousse son aigrette, déplace la terre dure qui la recouvrait, fait violence à l’argile ennemie, et la voilà qui devient plante, qui fleurit et mûrit son fruit. » Et l’enfant, comment naît-il ? Après avoir séjourné neuf mois dans les ténèbres du ventre maternel, c’est aussi avec violence qu’il s’échappe en déchirant son enveloppe, et parfois même en tuant sa mère. Telles sont les révolutions, conséquences nécessaires des évolutions qui les ont précédées.

Les formules proverbiales sont fort dangereuses, car on prend volontiers l’habitude de les répéter machinalement, comme pour se dispenser de réfléchir. C’est ainsi qu’on rabâche partout le mot de Linné : « Non facit saltus natura ». Sans doute « la nature ne fait pas de sauts », mais chacune de ses évolutions s’accomplit par un déplacement de forces vers un point nouveau. Le mouvement général de la vie dans chaque être en particulier et dans chaque série d’êtres ne nous montre nulle part une continuité directe, mais toujours une succession indirecte, révolutionnaire, pour ainsi dire. La branche ne s’ajoute pas en longueur à une autre branche. La fleur n’est pas le prolongement de la feuille, ni le pistil celui de l’étamine, et l’ovaire diffère des organes qui lui ont donné naissance. Le fils n’est pas la continuation du père ou de la mère, mais bien un être nouveau. Le progrès se fait par un changement continuel des points de départ pour chaque individu distinct. De même pour les espèces. L’arbre généalogique des êtres est, comme l’arbre lui-même, un ensemble de rameaux dont chacun trouve sa force de vie, non dans le rameau précédent, mais dans la sève originaire. Pour les grandes évolutions historiques, il n’en est pas autrement. Quand les anciens cadres, les formes trop limitées de l’organisme, sont devenus insuffisants, la vie se déplace pour se réaliser en une formation nouvelle. Une révolution s’accomplit.

II

Toutefois les révolutions ne sont pas nécessairement un progrès, de même que les évolutions ne sont pas toujours orientées vers la justice. Tout change, tout se meut dans la nature d’un mouvement éternel, mais s’il y a progrès il peut y avoir aussi recul, et si les évolutions tendent vers un accroissement de vie, il y en a d’autres qui tendent vers la mort. L’arrêt est impossible, il faut se mouvoir dans un sens ou dans un autre, et le réactionnaire endurci, le libéral douceâtre qui poussent des cris d’effroi au mot de révolution, marchent quand même vers une révolution, la dernière, qui est le grand repos. La maladie, la sénilité, la gangrène sont des évolutions au même titre que la puberté. L’arrivée des vers dans le cadavre, comme le premier vagissement de l’enfant, indique qu’une révolution s’est faite. La physiologie, l’histoire, sont là pour nous montrer qu’il est des évolutions qui s’appellent décadence et des révolutions qui sont la mort.

L’histoire de l’humanité, bien qu’elle ne nous soit à demi connue que pendant une courte période de quelques milliers d’années, nous offre déjà des exemples sans nombre de peuplades et de peuples, de cités et d’empires qui ont misérablement péri à la suite de lentes évolutions entraînant leur chute. Multiples sont les faits de tout ordre qui ont pu déterminer ces maladies de nations, de races entières. Le climat et le sol peuvent avoir empiré, comme il est arrivé certainement pour de vastes étendues dans l’Asie centrale, où lacs et fleuves se sont desséchés, où des efflorescences salines ont recouvert des terrains jadis fertiles. Les invasions de hordes ennemis ont ravagé certaines contrées, tellement à fond qu’elles en restèrent désolées à jamais. Cependant mainte nation a pu refleurir après la conquête et les massacres, même après des siècles d’oppression : si elle retombe dans la barbarie ou meurt complètement, c’est en elle et dans sa constitution intime, non dans les circonstances extérieures, qu’il faut surtout chercher les raisons de sa régression et de sa ruine. Il existe une cause majeure, la cause des causes, résumant l’histoire de la décadence. C’est la constitution d’une partie de la société en maîtresse de l’autre partie, c’est l’accaparement de la terre, des capitaux, du pouvoir, de l’instruction, des honneurs par un seul ou par une aristocratie. Dès que la foule imbécile n’a plus le ressort de la révolte contre ce monopole d’un petit nombre d’hommes, elle est virtuellement morte ; sa disparition n’est qu’une affaire de temps. La peste noire arrive bientôt pour nettoyer cet inutile pullulement d’individus sans liberté. Les massacreurs accourent de l’Orient ou de l’Occident, et le désert se fait à la place des cités immenses. Ainsi moururent l’Assyrie et l’Égypte, ainsi s’effondra la Perse, et quand tout l’Empire romain appartint à quelques grands propriétaires, le barbare eut bientôt remplacé le prolétaire asservi.

Il n’est pas un événement qui ne soit double, à la fois un phénomène de mort et un phénomène de renouveau, c’est-à-dire la résultante d’évolutions de décadence et de progrès. Ainsi la chute de Rome constitue, dans son immense complexité, tout un ensemble de révolutions correspondant à une série d’évolutions, dont les unes ont été funestes et les autres heureuses. Certes, ce fut un grand soulagement pour les opprimés que la ruine de la formidable machine d’écrasement qui pesait sur le monde ; ce fut aussi à maints égards une heureuse étape dans l’histoire de l’humanité que l’entrée violente de tous les peuples du nord dans le monde de la civilisation ; de nombreux asservis retrouvèrent dans la tourmente un peu de liberté aux dépens de leurs maîtres ; mais les sciences, les industries périrent ou se cachèrent ; on cassa les statues, on brûla les bibliothèques. Il semble, pour ainsi dire, que la chaîne des temps se soit brisée. Les peuples renonçaient à leur héritage de connaissances. Au despotisme succéda un despotisme pire ; d’une religion morte poussèrent les rejetons d’une religion nouvelle plus autoritaire, plus cruelle, plus fanatique ; et pendant un millier d’années, une nuit d’ignorance et de sottise propagée par les moines se répandit sur la terre.

De même, les autres mouvements historiques se présentent sous deux faces, suivant les mille éléments qui les composent et dont les conséquences multiples se montrent dans les transformations politiques et sociales. Aussi chaque événement donne-t-il lieu aux jugements les plus divers, corrélatifs à la largeur de compréhension ou aux préjugés des historiens qui l’apprécient. Ainsi, pour en citer un exemple fameux, le puissant épanouissement de la littérature française au XVIIe siècle a été attribué au génie de Louis XIV, parce que ce roi se trouvait sur le trône à l’époque même où tant d’hommes illustres produisaient de grandes œuvres en un langage admirable : « Le regard de Louis enfantait des Corneille ». Il est vrai qu’un siècle plus tard, personne n’osa prétendre que les Voltaire, les Diderot, les Rousseau devaient également leur génie et leur gloire à l’œil évocateur de Louis XV. Toutefois à une époque récente, n’avons-nous pas vu le monde britannique se précipiter au devant de la Reine en lui rendant hommage de tous les événements heureux, de tous les progrès qui s’étaient accomplis sous son règne, comme si cette immense évolution était due aux mérites particuliers de la souveraine ? Pourtant cette personne de valeur médiocre n’eut d’autre peine que de rester assise sur le trône pendant soixante longues années, la Constitution même qu’elle était tenue d’observer l’ayant obligée à l’abstention politique pendant ce long espace de plus d’un demi-siècle. Des millions et des millions d’hommes, pressés dans les rues, aux fenêtres, sur les échafaudages, voulaient absolument qu’elle fût le génie tout-puissant de la prospérité anglaise. L’hypocrisie publique l’exigeait peut-être, parce que l’apothéose officielle de la reine-impératrice permettait à la nation de s’adorer réellement elle-même. Néanmoins des voix de sujets manquaient à ce concert : on vit des faméliques irlandais arborer le drapeau noir, et dans les cités de l’Inde des foules se ruer contre les palais et les casernes.

Mais il est des circonstances où l’éloge du pouvoir paraît moins absurde, et semble même au premier abord complètement justifié. Il peut se faire qu’un bon roi, — un Marc Aurèle par exemple, — un ministre aux sentiments généreux, un fonctionnaire philanthrope, un despote bienfaisant en un mot, emploie son autorité au profit de telle ou telle classe du peuple, prenne quelque mesure utile à tous, décrète l’abolition d’une loi funeste, se substitue aux opprimés pour se venger de puissants oppresseurs. Ce sont là d’heureuses conjonctures, mais par les conditions mêmes du milieu, elles se produisent d’une manière exceptionnelle, car les grands ont plus d’occasions que tous autres pour abuser de leur situation, entourés, comme ils le sont, de gens intéressés à leur montrer les choses sous un jour trompeur. Dussent-ils même se promener en déguisement la nuit, comme Haroun al Rachid, il leur est impossible de savoir la vérité complète, et malgré leur bon vouloir, leurs actes portent à faux, déviés du but dès le point de départ, sous l’influence du caprice, des hésitations, des erreurs et fautes, volontaires et involontaires, commises par les agents chargés de la réalisation.

Cependant il est des cas où très certainement l’œuvre des chefs, rois, princes ou législateurs, se trouve franchement bonne en soi ou du moins assez pure de tout alliage ; en ces circonstances l’opinion publique, la pensée commune, la volonté d’en bas ont forcé les souverains à l’action. Mais alors l’initiative des maîtres n’est qu’apparente ; ils cèdent à une pression qui pourrait être funeste et qui cette fois est utile ; car les fluctuations de la foule se produisent aussi souvent dans le sens progressif que dans le sens régressif ; plus souvent même quand la société se trouve dans un état de progrès général. L’histoire contemporaine de l’Europe, de l’Angleterre surtout, nous offre mille exemples de mesures équitables qui ne proviennent nullement de la bonne volonté des législateurs, mais qui leur furent imposées par la foule anonyme : le signataire d’une loi, qui en revendique le mérite aux yeux de l’histoire, n’est en réalité que le simple enregistreur de décisions prises par le peuple, son véritable maître. Lorsque les droits sur les céréales furent abolis par les Chambres anglaises, les grands propriétaires dont les votes diminuaient leurs propres ressources ne s’étaient que très péniblement laissé convertir à la cause du bien public ; mais, en dépit d’eux-mêmes ils avaient fini par se conformer aux injonctions directes de la multitude. D’autre part, lorsque, en France, Napoléon III, secrètement conseillé par Richard Cobden, établit quelques mesures de libre échange, il n’était soutenu ni par ses ministres, ni par les Chambres, ni par la masse de la nation : les lois qu’il fit voter par ordre ne devaient donc pas subsister, et ses successeurs, confiants dans l’indifférence du peuple, saisirent la première occasion pour restaurer les pratiques de protectionnisme et presque de prohibition, au profit des riches industriels et des grands propriétaires.

Le contact de civilisations différentes produit des situations complexes dans lesquelles on peut se laisser aller aisément à l’illusion d’attribuer au « pouvoir fort » un honneur qui revient à de tout autres causes. Ainsi l’on fait grand état de ce que le gouvernement britannique de l’Inde a interdit les sutti ou sacrifices de veuves sur le bûcher de leurs époux, quand on serait en droit de s’étonner au contraire que les autorités anglaises aient pendant tant d’années et avec tant de mauvaises raisons résisté au vœu des hommes de cœur, en Europe et dans l’Inde elle-même, pour la suppression de ces holocaustes ; on se demandait avec stupeur pourquoi le gouvernement se faisait le complice d’une tourbe de bourreaux immondes en n’abrogeant pas des instructions brahmaniques dépourvues de toute sanction autre que des textes du Véda incontestablement falsifiés. Certes, l’abolition de telles horreurs fut un bien, quoique un bien tardif, mais que de maux durent être attribués aussi à l’exercice de ce pouvoir « tutélaire », que d’impôts oppressifs, que de misères, et, pendant les famines, combien de faméliques, jonchant les routes de leurs cadavres !

Tout événement, toute période de l’histoire offrant un aspect double, il est impossible de les juger en bloc. L’exemple même du renouveau qui mit un terme au moyen-âge et à la nuit de la pensée nous montre comment deux révolutions peuvent s’accomplir à la fois, l’une cause de décadence et l’autre de progrès. La période de la Renaissance, qui retrouva les monuments de l’Antiquité, qui déchiffra ses livres et ses enseignements, qui dégagea la science des formules superstitieuses et lança de nouveau les hommes dans la voie des études désintéressées, eut aussi pour conséquence l’arrêt définitif du mouvement artistique spontané qui s’était développé si merveilleusement pendant la période des communes et des villes libres. Ce fut soudain comme un débordement de fleuve détruisant les cultures des campagnes riveraines : tout dut recommencer, et combien de fois la banale imitation de l’antique remplaça-t-elle des œuvres qui du moins avaient le mérite d’être originales !

La renaissance de la science et des arts fut suivie parallèlement dans le monde religieux par la scission du christianisme à laquelle on a donné le nom de Réforme. Il sembla longtemps naturel de voir dans cette révolution une des crises bienfaisantes de l’humanité, résumée par la conquête du droit d’initiative individuelle, par l’émancipation des esprits que les prêtres avaient tenus dans une servile ignorance : on crut que désormais les hommes seraient leurs propres maîtres, égaux les uns des autres par l’indépendance de la pensée. Mais on sait maintenant que la Réforme fut aussi la constitution d’autres églises autoritaires, en face de l’Église qui jusque-là avait possédé le monopole de l’asservissement intellectuel. La Réforme déplaça les fortunes et les prébendes au profit du pouvoir nouveau, et de part et d’autre naquirent des ordres, jésuites et contre-jésuites, pour exploiter le peuple sous des formes nouvelles. Luther et Calvin parlèrent, à l’égard de ceux qui ne partageaient pas leur manière de voir, le même langage d’intolérance féroce que les saint Dominique et les Innocent III. Comme l’Inquisition, ils firent espionner, emprisonner, écarteler, brûler ; leur doctrine posa également en principe l’obéissance aux rois et aux interprètes de la « parole divine ».

Sans doute, il existe une différence entre le protestant et le catholique : (je parle de ceux qui le sont en toute sincérité, et non par simple convenance de famille). Celui-ci est plus naïvement crédule, aucun miracle ne l’étonne ; celui-là fait un choix parmi les mystères et tient avec d’autant plus de ténacité à ceux qu’il croit avoir sondés : il voit dans sa religion une œuvre personnelle, comme une création de son génie. En cessant de croire, le catholique cesse d’être chrétien ; tandis que d’ordinaire le protestant ratiocineur ne fait qu’entrer dans une secte nouvelle, lorsqu’il modifie ses interprétations de la « parole divine » : il reste disciple du Christ ; mystique inconvertissable, il garde l’illusion de ses raisonnements. Les peuples contrastent comme les individus, suivant la religion qu’ils professent et qui pénètre plus ou moins leur essence morale. Les protestants ont certainement plus d’initiative et plus de méthode dans leur conduite, mais quand cette méthode est appliquée au mal, c’est avec une impitoyable rigueur. Qu’on se rappelle la ferveur religieuse que mirent les Américains du Nord à maintenir l’esclavage des Africains comme « institution divine ! »

Autre mouvement complexe, lors de la grande époque évolutionnaire dont la Révolution américaine et la Révolution française furent les sanglantes crises. — Ah ! là du moins, semble-t-il, le changement fut tout à l’avantage du peuple, et ces grandes dates de l’histoire doivent être comptées comme inaugurant la naissance nouvelle de l’humanité ! Les conventionnels voulurent commencer l’histoire au premier jour de leur Constitution, comme si les siècles antérieurs n’avaient pas existé, et que l’homme politique pût vraiment dater son origine de la proclamation de ses droits. Certes, cette période est une grande époque dans la vie des nations, un espoir immense se répandit alors par le monde, la pensée libre prit un essor qu’elle n’avait jamais eu, les sciences se renouvelèrent, l’esprit de découverte agrandit à l’infini les bornes du monde, et jamais on ne vit un tel nombre d’hommes, transformés par un idéal nouveau, faire avec plus de simplicité le sacrifice de leur vie. Mais cette révolution, nous le voyons maintenant, n’était point la révolution de tous, elle fut celle de quelques-uns pour quelques-uns. Le droit de l’homme resta purement théorique : la garantie de la propriété privée que l’on proclamait en même temps, le rendait illusoire. Une nouvelle classe de jouisseurs avides se mit à l’œuvre d’accaparement, la bourgeoisie remplaça la classe usée, déjà sceptique et pessimiste, de la vieille noblesse, et les nouveau-venus s’employèrent avec une ardeur et une science que n’avaient jamais eues les anciennes classes dirigeantes à exploiter la foule de ceux qui ne possédaient point. C’est au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité que se firent désormais toutes les scélératesses. C’est pour émanciper le monde que Napoléon traînait derrière lui un million d’égorgeurs ; c’est pour faire le bonheur de leurs chères patries respectives que les capitalistes constituent les vastes propriétés, bâtissent les grandes usines, établissent les puissants monopoles qui rétablissent sous une forme nouvelle l’esclavage d’autrefois.

Ainsi les révolutions furent toujours à double effet : on peut dire que l’histoire offre en toutes choses son endroit et son revers. Ceux qui ne veulent pas se payer de mots doivent donc étudier avec une critique attentive, interroger avec soin les hommes qui prétendent s’être dévoués pour notre cause. Il ne suffit pas de crier : Révolution, Révolution ! pour que nous marchions aussitôt derrière celui qui sait nous entraîner. Sans doute il est naturel que l’ignorant suive son instinct : le taureau affolé se précipite sur un chiffon rouge et le peuple toujours opprimé se rue avec fureur contre le premier venu qu’on lui désigne. Une révolution quelconque a toujours du bon quand elle se produit contre un maître ou contre un régime d’oppression ; mais si elle doit susciter un nouveau despotisme, on peut se demander s’il n’eût pas mieux valu la diriger autrement. Le temps est venu de n’employer que des forces conscientes ; les évolutionnistes, arrivant enfin à la parfaite connaissance de ce qu’ils veulent réaliser dans la révolution prochaine, ont autre chose à faire qu’à soulever les mécontents et à les précipiter dans la mêlée, sans but et sans boussole.

On peut dire que jusqu’à maintenant aucune révolution n’a été absolument raisonnée, et c’est pour cela qu’aucune n’a complètement triomphé. Tous ces grands mouvements furent sans exception des actes presque inconscients de la part des foules qui s’y trouvaient entraînées, et tous, ayant été plus ou moins dirigés, n’ont réussi que pour les meneurs habiles à garder leur sang-froid. C’est une classe qui a fait la Réforme et qui en a recueilli les avantages ; c’est une classe qui a fait la Révolution française et qui en exploite les profits, mettant en coupe réglée les malheureux qui l’ont servie pour lui procurer la victoire. Et, de nos jours encore, le « Quatrième État », oubliant les paysans, les prisonniers, les vagabonds, les sans-travail, les déclassés de toute espèce, ne court-il pas le risque de se considérer comme une classe distincte et de travailler non pour l’humanité mais pour ses électeurs, ses coopératives et ses bailleurs de fonds.

Aussi chaque révolution eut-elle son lendemain. La veille on poussait le populaire au combat, le lendemain on l’exhortait à la sagesse ; la veille on l’assurait que l’insurrection est le plus sacré des devoirs, et le lendemain on lui prêchait que « le roi est la meilleure des républiques », ou que le parfait dévouement consiste à « mettre trois mois de misère au service de la société », ou bien encore que nulle arme ne peut remplacer le bulletin de vote. De révolution en révolution le cours de l’histoire ressemble à celui d’un fleuve arrêté de distance en distance par des écluses. Chaque gouvernement, chaque parti vainqueur essaie à son tour d’endiguer le courant pour l’utiliser à droite et à gauche dans ses prairies ou dans ses moulins. L’espoir des réactionnaires est qu’il en sera toujours ainsi et que le peuple moutonnier se laissera de siècle en siècle dévoyer de sa route, duper par d’habiles soldats, ou des avocats beaux parleurs.

Cet éternel va-et-vient qui nous montre dans le passé la série des révolutions partiellement avortées, le labeur infini des générations qui se succèdent à la peine, roulant sans cesse le rocher qui les écrase, cette ironie du destin qui montre des captifs brisant leurs chaînes pour se laisser ferrer à nouveau, tout cela est la cause d’un grand trouble moral, et parmi les nôtres nous en avons vu qui, perdant l’espoir et fatigués avant d’avoir combattu, se croisaient les bras, et se livraient au destin, abandonnant leurs frères. C’est qu’ils ne savaient pas ou ne savaient qu’à demi : ils ne voyaient pas encore nettement le chemin qu’ils avaient à suivre, ou bien ils espéraient s’y faire transporter par le sort comme un navire dont un vent favorable gonfle les voiles : ils essayaient de réussir, non par la connaissance des lois naturelles ou de l’histoire, non de par leur tenace volonté, mais de par la chance ou de vagues désirs, semblables aux mystiques qui, tout en marchant sur la terre, s’imaginent être guidés par une étoile brillant au ciel.

Des écrivains qui se complaisent dans le sentiment de leur supériorité et que les agitations de la multitude emplissent d’un parfait mépris condamnent l’humanité à se mouvoir ainsi en un cercle sans issue et sans fin. D’après eux, la foule, à jamais incapable de réfléchir, appartient d’avance aux démagogues, et ceux-ci, suivant leur intérêt, dirigeront les masses d’action en réaction, puis de nouveau en sens inverse. En effet, de la multitude des individus pressés les uns sur les autres se dégage facilement une âme commune entièrement subjuguée par une même passion, se laissant aller aux mêmes cris d’enthousiasme ou aux mêmes vociférations, ne formant plus qu’un seul être aux mille voix frénétiques d’amour ou de haine. En quelques jours, en quelques heures, le remous des événements entraîne la même foule aux manifestations les plus contraires d’apothéose ou de malédiction. Ceux d’entre nous qui ont combattu pour la Commune connaissent ces effrayants ressacs de la houle humaine. Au départ pour les avant-postes, on nous suivait de salutations touchantes, des larmes d’admiration brillaient dans les yeux de ceux qui nous acclamaient, les femmes agitaient leurs mouchoirs tendrement. Mais quel accueil fut celui des héros de la veille qui, après avoir échappé au massacre, revinrent comme prisonniers entre deux haies de soldats ! En maint quartier, le populaire se composait des mêmes individus ; mais quel contraste absolu dans ses sentiments et son attitude ! Quel ensemble de cris et de malédictions ! Quelle férocité dans les paroles de haine. « À mort ! À mort ! À la mitrailleuse ! Au moulin à café ! À la guillotine ! »

Toutefois il y a foule et foule, et suivant les impulsions reçues, la conscience collective, qui se compose des mille consciences individuelles, reconnaît plus ou moins clairement, à la nature de son émotion, si l’œuvre accomplie a été vraiment bonne. D’ailleurs, il est certain que le nombre des hommes qui gardent leur individualité fière et qui restent eux-mêmes, avec leurs convictions personnelles, leur ligne de conduite propre, augmente en proportion du progrès humain. Parfois ces hommes, dont les pensées concordent ou du moins se rapprochent les unes des autres, sont assez nombreux pour constituer à eux seuls des assemblées où les paroles, où les volontés se trouvent d’accord ; sans doute, les instincts spontanés, les coutumes irréfléchies peuvent encore s’y faire jour, mais ce n’est que pour un temps et la dignité personnelle reprend le dessus. On a vu de ces réunions respectueuses d’elles-mêmes, bien différentes des masses hurlantes qui s’avilissent jusqu’à la bestialité. Par le nombre elles ont l’apparence de la foule, mais par la tenue, elles sont des groupements d’individus, qui restent bien eux-mêmes par la conviction personnelle, tout en constituant dans l’ensemble un être supérieur, conscient de sa volonté, résolu dans son œuvre. On a souvent comparé les foules à des armées, qui, suivant les circonstances, sont portées par la folie collective de l’héroïsme ou dispersées par la terreur panique, mais il ne manque pas d’exemples dans l’histoire, de batailles dans lesquelles des hommes résolus, convaincus, luttèrent jusqu’à la fin en toute conscience et fermeté de vouloir.

Certainement les oscillations des foules continuent de se produire, mais dans quelle mesure : c’est aux événements à nous le dire. Pour constater le progrès, il faudrait connaître de combien la proportion des hommes qui pensent et se tracent une ligne de conduite, sans se soucier des applaudissements ni des huées, s’est accrue pendant le cours de l’histoire. Pareille statistique est d’autant plus impossible que, même parmi les novateurs, il en est beaucoup qui le sont en paroles seulement et se laissent aller à l’entraînement des compagnons jeunes de pensée qui les entourent. D’autre part, le nombre est grand de ceux qui, par attitude, par vanité, feignent de se dresser comme des rocs en travers du courant des siècles et qui pourtant perdent pied, changeant sans le vouloir de penser et de langage. Quel est aujourd’hui l’homme qui, dans une conversation sincère, n’est pas obligé de s’avouer plus ou moins socialiste ? Par cela seul qu’il cherche à se rendre compte des arguments de l’adversaire, il est en toute probité obligé de les comprendre, de les partager dans une certaine mesure, de les classer dans la conception générale de la société, qui répond à son idéal de perfection. La logique même l’oblige à sertir les idées d’autrui dans les siennes.

Chez nous révolutionnaires, un phénomène analogue doit s’accomplir ; nous aussi, nous devons arriver à saisir en parfaite droiture et sincérité toutes les idées de ceux que nous combattons ; nous avons à les faire nôtres, mais pour leur donner leur véritable sens. Tous les raisonnements de nos interlocuteurs attardés aux théories surannées se classent naturellement à leur vraie place, dans le passé, non dans l’avenir. Ils appartiennent à la philosophie de l’histoire.

V

L’objectif premier de tous les évolutionnistes consciencieux et actifs étant de connaître à fond la société ambiante qu’ils réforment dans leur pensée, ils doivent en second lieu chercher à se rendre un compte précis de leur idéal révolutionnaire. Et l’étude en doit être d’autant plus scrupuleuse que cet idéal embrasse l’avenir avec une plus grande ampleur, car tous, amis et ennemis, savent qu’il ne s’agit plus de petites révolutions partielles, mais bien d’une révolution générale, pour l’ensemble de la société et dans toutes ses manifestations.

Les conditions mêmes de la vie nous dictent le vœu capital. Les cris, les lamentations qui sortent des huttes de la campagne, des caves, des soupentes, des mansardes de la ville, nous le répètent incessamment : « Il faut du pain ! » Toute autre considération est primée par cette collective expression du besoin primordial de tous les êtres vivants. L’existence même étant impossible si l’instinct de la nourriture n’est pas assouvi, il faut le satisfaire à tout prix et le satisfaire pour tous, car la société ne se divise point en deux parts, dont l’une resterait sans droits à la vie. « Il faut du pain ! » et cette parole doit être comprise dans sa plus large acception, c’est-à-dire qu’il faut revendiquer pour tous les hommes, non seulement la nourriture, mais aussi « la joie », c’est-à-dire toutes les satisfactions matérielles utiles à l’existence, tout ce qui permet à la force et à la santé physiques de se développer dans leur plénitude. Suivant l’expression d’un puissant capitaliste, qui se dit tourmenté par la préoccupation de la justice : « Il faut égaliser le point de départ pour tous ceux qui ont à courir l’enjeu de la vie ».

On se demande souvent comment les faméliques, si nombreux pourtant, ont pu surmonter pendant tant de siècles et surmontent encore en eux cette passion de la faim qui surgit dans leurs entrailles, comment ils ont pu s’accommoder en douceur à l’affaiblissement organique et à l’inanition. L’histoire du passé nous l’explique. C’est qu’en effet, pendant la période de l’isolement primitif, lorsque les familles peu nombreuses ou de faibles tribus devaient lutter à grand effort pour leur vie et ne pouvaient encore invoquer le lien de la solidarité humaine, il arrivait fréquemment, et même plusieurs fois pendant une seule génération, que les produits n’étaient pas en suffisance pour les nécessités de tous les membres du groupe. En ce cas, qu’y avait-il à faire, sinon à se résigner, à s’habituer de son mieux à vivre d’herbes ou d’écorce, à supporter sans mourir de longs jeûnes, en attendant que la vague ramenât des poissons, que le gibier revînt dans la forêt ou qu’une nouvelle récolte germât de l’avare sillon ?

Ainsi les pauvres s’habituèrent à la faim. Ceux d’entre eux que l’on voit maintenant errer avec mélancolie devant les soupiraux fumeux des cuisines souterraines, devant les beaux étalages des fruitiers, des charcutiers, des rôtisseurs, sont des gens dont l’hérédité a fait l’éducation : ils obéissent inconsciemment à la morale de la résignation, qui fut vraie à l’époque où l’aveugle destinée frappait les hommes au hasard, mais qui n’est plus de mise aujourd’hui dans une société aux richesses surabondantes, au milieu d’hommes qui inscrivent le mot de « Fraternité » sur leurs murailles et qui ne cessent de vanter leur philanthropie. Et pourtant le nombre des malheureux qui osent avancer la main pour prendre cette nourriture tendue vers le passant est bien peu considérable, tant l’affaiblissement physique causé par la faim annihile du même coup la volonté, détruit toute énergie, même instinctive ! D’ailleurs, la « justice » actuelle est tout autrement sévère que les anciennes lois pour le vol d’un morceau de pain. On a vu notre moderne Thémis peser un gâteau dans sa balance et le trouver lourd d’une année de prison.

« Il y aura toujours des pauvres avec vous ! » aiment à répéter les heureux rassasiés, surtout ceux qui connaissent bien les textes sacrés et qui aiment à se donner des airs dolents et mélancoliques. « Il y aura toujours des pauvres avec vous ! » Cette parole, disent-ils, est tombée de la bouche d’un Dieu et ils la répètent en tournant les yeux et en parlant du fond de la gorge pour lui donner plus de solennité. Et c’est même parce que cette parole était censée divine que les pauvres aussi, dans le temps de leur pauvreté intellectuelle, croyaient à l’impuissance de tous leurs efforts pour arriver au bien-être : se sentant perdus dans ce monde, ils regardaient vers le monde de l’au-delà. « Peut-être, se disaient-ils, mourrons-nous de faim sur cette terre de larmes ; mais à côté de Dieu, dans ce ciel glorieux où le nimbe du soleil entourera nos fronts, où la voie lactée sera notre tapis, nul besoin ne sera de nourriture comestible, et nous aurons la jouissance vengeresse d’entendre les hurlements du mauvais riche à jamais rongé par la faim ». Maintenant quelques malheureux à peine se laissent encore mener par ces vaticinations, mais la plupart, devenus plus sages, ont les yeux tournés vers le pain de cette terre qui donne la vie matérielle, qui fait de la chair et du sang, et ils en veulent leur part, sachant que leur vouloir est justifié par la richesse surabondante de la terre.

Les hallucinations religieuses, soigneusement entretenues par les prêtres intéressés, n’ont donc plus guère le pouvoir de détourner les faméliques, même ceux qui se disent chrétiens, de la revendication de ce pain quotidien que l’on demandait naguère à la bienveillance quinteuse du « Père qui est aux Cieux ». Mais l’économie politique, la prétendue science, a pris l’héritage de la religion, prêchant à son tour que la misère est inévitable et que si des malheureux succombent à la faim, la société n’en porte aucunement le blâme. Que l’on voie d’un côté la tourbe des pauvres affamés, de l’autre quelques privilégiés mangeant à leur appétit et s’habillant à leur fantaisie, on doit croire en toute naïveté qu’il ne saurait en être autrement ! Il est vrai qu’en temps d’abondance on n’aurait qu’à « prendre au tas » et qu’en temps de disette tout le monde pourrait se mettre de concert à la ration, mais pareille façon d’agir supposerait l’existence d’une société étroitement unie par un lien de solidarité fraternelle. Ce communisme spontané ne paraissant pas encore possible, le pauvre naïf, qui croit benoîtement au dire des économistes sur l’insuffisance des produits de la terre, doit en conséquence accepter son infortune avec résignation.

De même que les pontifes de la science économique, les victimes du mauvais fonctionnement social répètent, chacun à sa manière, la terrible « loi de Malthus » — « Le pauvre est de trop » — que l’ecclésiastique protestant formula comme un axiome mathématique, il y a près d’un siècle, et qui semblait devoir enfermer la société dans les formidables mâchoires de son syllogisme : tous les miséreux se disaient mélancoliquement qu’il n’y a point de place pour eux au « banquet de la vie. » Le fameux économiste, bonhomme d’ailleurs, venait ajouter de la force à leur douloureuse conclusion en l’appuyant sur tout un échafaudage d’apparence mathématique : la population, dit-il, doublerait normalement de vingt-cinq en vingt-cinq ans, tandis que les subsistances s’accroîtraient suivant une proportion beaucoup moins rapide, nécessitant ainsi une élimination annuelle des individus surnuméraires. Que faut-il donc faire, d’après Malthus et ses disciples, pour éviter que l’humanité ne soit mise en coupe réglée par la misère, la famine et les pestes ? Certes, on ne saurait exiger des pauvres qu’ils débarrassent généreusement la terre de leur présence, qu’ils se sacrifient en holocauste aux dieux de la « saine économie politique » ; mais du moins leur conseille-t-on de se priver des joies de la famille : pas de femmes, pas d’enfants ! C’est ainsi qu’on entend cette « réserve morale » que l’on adjure les sages travailleurs de vouloir bien observer. Une descendance nombreuse doit être un luxe réservé aux seuls favorisés de la richesse, telle est la morale économique.

Mais si les pauvres, restés imprévoyants malgré les objurgations des professeurs, ne veulent pas employer les moyens préventifs contre l’accroissement de population, alors la nature se charge de réprimer l’excédent. Et cette répression s’accomplit, dans notre société malade, d’une manière infiniment plus ample que les pessimistes les plus sombres ne se l’imaginent. Ce ne sont pas des milliers, mais des millions de vies que réclame annuellement le dieu de Malthus. Il est facile de calculer approximativement le nombre de ceux que la destinée économique a condamnés à mort depuis le jour où l’âpre théologien proclama la prétendue « loi » que l’incohérence sociale a malheureusement rendue vraie pour un temps. Durant ce siècle, trois générations se sont succédé en Europe. Or, en consultant les tables de mortalité, on constate que la vie moyenne des gens riches (par exemple les habitants des quartiers aérés et somptueux, à Londres, à Paris, à Berne) dépasse soixante, atteint même soixante-dix ans. Ces gens ont pourtant, de par l’inégalité même, bien des raisons de ne pas fournir leur carrière normale : la « grande vie » les sollicite et les corrompt sous toutes les formes ; mais le bon air, la bonne chère, la variété dans la résidence et les occupations, les guérissent et les renouvellent. Les gens asservis à un travail qui est la condition même de leur gagne-pain sont, au contraire, condamnés d’avance à succomber, suivant les pays de l’Europe, entre vingt et quarante ans, soit à trente en moyenne. C’est dire qu’ils fournissent seulement la moitié des jours qui leur seraient dévolus s’ils vivaient en liberté, maîtres de choisir leur résidence et leur œuvre. Ils meurent donc précisément à l’heure où leur existence devrait atteindre toute son intensité ; et chaque année, quand on fait le compte des morts, il est au moins double de ce qu’il devrait être dans une société d’égaux. Ainsi la mortalité annuelle de l’Europe étant d’environ douze millions d’hommes, on peut affirmer que six millions d’entre eux ont été tués par les conditions sociales qui règnent dans notre milieu barbare ; six millions ont péri par manque d’air pur, de nourriture saine, d’hygiène convenable, de travail harmonique. Eh bien ! comptez les morts depuis que Malthus a parlé, prononçant d’avance sur l’immense hécatombe son oraison funèbre ! N’est-il pas vrai que toute une moitié de l’humanité dite civilisée se compose de gens qui ne sont pas invités au banquet social ou qui n’y trouvent place que pour un temps, condamnés à mourir la bouche contractée par les désirs inassouvis. La mort préside au repas, et de sa faux elle écarte les tard venus. On nous montre dans les Expositions d’admirables « couveuses », où toutes les lois de la physique, toutes les connaissances en physiologie, toutes les ressources d’une industrie ingénieuse sont appliquées à faire vivre des enfants nés avant terme, à sept, même à six mois. Et ces enfants continuent de respirer, ils prospèrent, deviennent de magnifiques poupons, gloire de leur sauveteur, orgueil de leur mère. Mais si l’on arrache à la mort ceux que la nature semblait avoir condamnés, on y précipite par millions les enfants que d’excellentes conditions de naissance avaient destinés à vivre. À Naples, dans un hospice des Enfants Trouvés, le rapport officiel des curateurs nous dit d’un style dégagé que sur neuf cent cinquante enfants il en est resté trois en vie !

La situation est donc atroce, mais une immense évolution s’est accomplie, annonçant la révolution prochaine. Cette évolution, c’est que la « science » économique, prophétisant le manque de ressources et la mort inévitable des faméliques, s’est trouvée en défaut et que l’humanité souffrante, se croyant pauvre naguère, a découvert sa richesse : son idéal du « pain pour tous » n’est point une utopie. La terre est assez vaste pour nous porter tous sur son sein, elle est assez riche pour nous faire vivre dans l’aisance. Elle peut donner assez de moissons pour que tous aient à manger ; elle fait naître assez de plantes fibreuses pour que tous aient à se vêtir ; elle contient assez de pierres et d’argile pour que tous puissent avoir des maisons. Tel est le fait économique dans toute sa simplicité. Non seulement ce que la terre produit suffirait à la consommation de ceux qui l’habitent, mais elle suffirait si la consommation doublait tout à coup, et cela quand même la science n’interviendrait pas pour faire sortir l’agriculture de ses procédés empiriques et mettre à son service toutes les ressources fournies maintenant par la chimie, la physique, la météorologie, la mécanique. Dans la grande famille de l’humanité, la faim n’est pas seulement le résultat d’un crime collectif, elle est encore une absurdité, puisque les produits dépassent deux fois les nécessités de la consommation.

Tout l’art actuel de la répartition, telle qu’elle est livrée au caprice individuel et à la concurrence effrénée des spéculateurs et des commerçants, consiste à faire hausser les prix, en retirant les produits à ceux qui les auraient pour rien et en les portant à ceux qui les paient cher : mais dans ce va-et-vient des denrées et des marchandises, les objets se gaspillent, se corrompent et se perdent. Les pauvres loqueteux qui passent devant les grands entrepôts le savent. Ce ne sont pas les paletots qui manquent pour leur couvrir le dos, ni les souliers pour leur chausser les pieds, ni les bons fruits, ni les boissons chaudes pour leur restaurer l’estomac. Tout est en abondance et en surabondance, et pendant qu’ils errent çà et là, jetant des regards affamés autour d’eux, le marchand se demande comment il pourra faire enchérir ses denrées, au besoin même en diminuer la quantité. Quoi qu’il en soit, le fait subsiste, la constance d’excédent pour les produits ! Et pourquoi messieurs les économistes ne commencent-ils pas leurs manuels en constatant ce fait capital de statistique ? Et pourquoi faut-il que ce soit nous, révoltés, qui le leur apprenions ? Et comment expliquer que les ouvriers sans culture, conversant après le travail de la journée, en sachent plus long à cet égard que les professeurs et les élèves les plus savants de l’École des Sciences morales et politiques ? Faut-il en conclure que l’amour de l’étude n’est pas, chez ces derniers, d’une absolue sincérité ?

L’évolution économique contemporaine nous ayant pleinement justifiés dans notre revendication du pain, il reste à savoir si elle nous justifie également dans un autre domaine de notre idéal, la revendication de la liberté. « L’homme ne vit pas de pain seulement », dit un vieil adage, qui restera toujours vrai, à moins que l’être humain ne régresse à la pure existence végétative ; mais quelle est cette substance alimentaire indispensable en dehors de la nourriture matérielle ? Naturellement l’Église nous prêche que c’est la « Parole de Dieu », et l’État nous mande que c’est l’ « Obéissance aux Lois ». Cet aliment qui développe la mentalité et la moralité humaines, c’est le « fruit de la science du bien et du mal », que le mythe des Juifs et de toutes les religions qui en sont dérivées nous interdit comme la nourriture vénéneuse par excellence, comme le poison moral viciant toutes choses, et même, « jusqu’à la troisième génération », la descendance de celui qui l’a goûté ! Apprendre, voilà le crime d’après l’Église, le crime d’après l’État, quoi que puissent imaginer des prêtres et des agents de gouvernement ayant absorbé malgré eux des germes d’hérésie. Apprendre, c’est là au contraire la vertu par excellence pour l’individu libre se dégageant de toute autorité divine ou humaine : il repousse également ceux qui, au nom d’une « Raison suprême », s’arrogent le droit de penser et de parler pour autrui et ceux qui, de par la volonté de l’État, imposent des lois, une prétendue morale extérieure, codifiée et définitive. Ainsi l’homme qui veut se développer en être moral doit prendre exactement le contre-pied de ce que lui recommandent et l’Église et l’État : il lui faut penser, parler, agir librement. Ce sont là les conditions indispensables de tout progrès.

« Penser, parler, agir librement » en toutes choses ! L’idéal de la société future, en contraste et cependant en continuation de la société actuelle, se précise donc de la manière la plus nette. Penser librement ! Du coup l’évolutionniste, devenu révolutionnaire, se sépare de toute église dogmatique, de tout corps statutaire, de tout groupement politique à clauses obligatoires, de toute association, publique ou secrète dans laquelle le sociétaire doit commencer par accepter, sous peine de trahison, des mots d’ordre incontestés. Plus de congrégations pour mettre les écrits à l’index ! Plus de rois ni de princes pour demander un serment d’allégeance, ni de chef d’armée pour exiger la fidélité au drapeau ; plus de ministre de l’Instruction publique pour dicter des enseignements, pour désigner jusqu’aux passages des livres que l’instituteur devra expliquer ; plus de comité directeur qui exerce la censure des hommes et des choses à l’entrée des « maisons du peuple ». Plus de juges pour forcer un témoin à prêter un serment ridicule et faux, impliquant de toute nécessité un parjure par le fait même que le serment est lui-même un mensonge. Plus de chefs, de quelque nature que ce soit, fonctionnaire, instituteur, membre de comité clérical ou socialiste, patron ou père de famille, pour s’imposer en maître auquel l’obéissance est due.

Et la liberté de parole ? Et la liberté d’action ? Ne sont-ce pas là des conséquence directes et logiques de la liberté de penser ? La parole n’est que la pensée devenue sonore, l’acte n’est que la pensée devenue visible. Notre idéal comporte donc pour tout homme la pleine et absolue liberté d’exprimer sa pensée en toutes choses, science, politique, orale, sans autre réserve que celle de son respect pour autrui ; il comporte également pour chacun le droit d’agir à son gré, de « faire ce qu’il veut », tout en associant naturellement sa volonté à celle des autres hommes dans toutes les œuvres collectives : sa liberté propre ne se trouve point limitée par cette union, mais elle grandit au contraire, grâce à la force de la volonté commune.

Il va sans dire que cette liberté absolue de pensée, de parole et d’action est incompatible avec le maintien des institutions qui mettent une restriction à la pensée libre, qui fixent la parole sous forme de vœu définitif, irrévocable, et prétendent même forcer le travailleur à se croiser les bras, à mourir d’inanition devant la consigne d’un propriétaire. Les conservateurs ne s’y sont point trompés quand ils ont donné aux révolutionnaires le nom général « d’ennemis de la religion, de la famille et de la propriété ». Oui, les anarchistes repoussent l’autorité du dogme et l’intervention du surnaturel dans notre vie, et, en ce sens, quelque ferveur qu’ils apportent dans la lutte pour leur idéal de fraternité et de solidarité, ils sont ennemis de la religion. Oui, ils veulent la suppression du trafic matrimonial, ils veulent les unions libres, ne reposant que sur l’affection mutuelle, le respect de soi et de la dignité d’autrui, et, en ce sens, si aimants et si dévoués qu’ils soient pour ceux dont la vie est associée à la leur, ils sont bien les ennemis de la famille. Oui, ils veulent supprimer l’accaparement de la terre et de ses produits pour les rendre à tous, et, en ce sens, le bonheur qu’ils auraient de garantir à tous la jouissance des fruits du sol, en fait des ennemis de la propriété. Certes, nous aimons la paix : nous avons pour idéal l’harmonie entre tous les hommes, et cependant la guerre sévit autour de nous ; au loin devant nous, elle nous apparaît encore en une douloureuse perspective, car dans l’immense complexité des choses humaines la marche vers la paix est elle-même accompagnée de luttes. « Mon royaume n’est pas de ce monde » disait le Fils de l’Homme ; et pourtant lui aussi « apportait une épée », préparant « la division entre le fils et le père, entre la fille et la mère. » Toute cause, même la plus mauvaise, a ses défenseurs qu’il convient de supposer honnêtes, et la sympathie, le respect mérités par eux ne doivent pas empêcher les révolutionnaires de les combattre avec toute l’énergie de leur vouloir.

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