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Comment Barta explique en 1954 l’échec de son groupe révolutionnaire, l’Union Communiste
samedi 7 septembre 2024, par
Comment Barta explique en 1954 l’échec de son groupe révolutionnaire, l’Union Communiste, malgré des succès marquants dans la classe ouvrière
Note : le groupe trotskiste UC (dirigé par Barta), bien que tout petit, a animé la grève Renault en 1947, enlevant à PCF-CGT et autres appareils anti-ouvriers la direction de la lutte, obligeant le PCF à quitter le gouvernement, contesté le monopole des stalinien à Renault en mettant en place un syndicat démocratique, le SDR, reconnu des ouvriers, et pourtant le groupe scissionne ensuite et échoue dans ses propres buts d’influence révolutionnaire dans la classe ouvrière.
« Efficacité et limites de initiative révolutionnaire », Barta, 1954
« Apparemment le SDR disparaît après l’échec aux élections de délégués de 1950 quand le syndicat recueille à peu près 500 voix au lieu de 1.300 l’année précédente. Mais en réalité si cela était vrai, la chose serait très simple et ne demanderait pas beaucoup d’explications, mais l’opinion la plus répandue c’est en effet que du succès gréviste de 1947 jusqu’en 1950 le syndicat continue à perdre du terrain et finit par disparaître. L’image d’une flambée résume cette opinion. Mais rien n’est plus contraire à la réalité : le syndicat conquiert constamment... il disparaît juste au moment où il remporte les deux plus grands succès. C’est cela qui demande une explication.
1.300 voix en 1949, ce n’est pas un reste d’influence de 47, mais le fruit d’un travail acharné et d’une tactique nouvelle élaborée de 47 à 49. (L’influence née de la grève disparaissant pratiquement par le tournant stalinien octobre-novembre 47).
Pourquoi le SDR malgré ses succès constants (attestés par chiffres et faits) a-t-il disparu, qui plus est après avoir remporté deux succès décisifs (1.300 voix et 24 novembre). Nous nous trouvons devant ce paradoxe le SDR disparaissant au sommet de ses plus grands succès. Il n’y eut pas de revirement ouvrier se traduisant par reflux, 1.300 voix à 500, mais scission, etc...
Scission SDR. Délégués 4/7. Journaux différents. Conflit ouvert.
Nous analysons ici les contradictions qui ont amené la scission et la fin du SDR et de l’UC, l’un se confondant avec l’autre de 47 à 49, en laissant de côté les positions prises par chacun dans cette crise et portant les responsabilités respectives. Le manque de sève qui provoqua la scission et la fin, quels qu’en soient les responsables, car si d’en bas et latéralement l’organisation avait reçu des forces nouvelles de toutes façons des militants défaillants, quel qu’ait été leur travail, auraient été remplacés, comme ce fut le cas avec la scission début 46 qui n’empêcha nullement l’organisation d’accomplir sa mission.
Le SDR ne finit pas en juin 50 parce qu’il ne recueille que 500 voix, il ne recueille que 500 voix que parce qu’après scission. La scission devient définitive après le succès du 24 novembre.
Contradiction capitale : l’activité était menée à l’échelle d’un syndicat d’usine (bien que révolutionnaire) mais il fallait élaborer la tactique et la stratégie comme à l’échelle de la nation, ce qui était donc impossible à réaliser par une équipe d’ouvriers d’usine quelles qu’auraient été leurs qualités.
Exemple : Chambre des députés, cela dépassait l’horizon de l’équipe, les conflits n’étaient solubles que par des succès constants. Car ce n’était pas par l’appareil syndical produit par l’usine que nous vivions ; mais par des initiatives constantes justes.
La force décisive de l’UC, c’est-à-dire du syndicat, c’était sa capacité d’exprimer à chaque étape et pendant tout le temps que s’est exercée son action le point de vue prolétarien, selon les intérêts de sa masse, au niveau.
Un langage toujours clair, non pas en fonction des antagonismes de l’UC avec les autres organisations se réclamant de la classe ouvrière, mais au point de vue de la masse.
Créer des cadres nouveaux face aux appareils de trahison, impossible sans croissance révolutionnaire du mouvement ouvrier. De même que la social-démocratie, cadavre puant depuis 1914, continue de subsister en tant que parti ouvrier de collaboration avec la bourgeoisie, de même que le stalinisme, sans croissance révolutionnaire de la classe ouvrière empoisonnera encore longtemps le mouvement ouvrier.
Aucun des cadres de l’opposition LdC, cadres qui constituent le SDR, n’était avant la constitution de cette opposition ouvrier d’usine ; aucun sans exception. D’origine : 2 employés SNCF, une couturière, un technicien, quelques étudiants, un seul O.S., mais dont le rôle ne fut pas déterminant.
Il fallait la présence hebdomadaire de la totalité des membres de l’UC aux réunions SDR pour résoudre non seulement les tâches politiques et tactiques, mais également les tâches organisationnelles de liaison avec l’usine, etc...
L’activité déployée était celle d’une équipe sur le pied de bataille et non pas le train-train des réunions.
La grève de Mai telle qu’elle a été déclenchée n’était pas par hasard déclenchée par des camarades dans l’usine, mais fruit d’un travail acharné précisément en vue de ce but et sous cette forme. D’un côté travail organisationnel (opposition syndicale LdC), de l’autre : citation LdC au sujet grève générale et moindre mal.
Tout le long de son existence le syndicat fonctionne par la présence hebdomadaire de l’UC. Sur 12 ou 15 présents (sauf exception) la moitié sont du dehors comme l’étaient les autres avant d’entrer en usine.
Et le syndicat ne peut vivre que par l’appui organisationnel, sinon seul, mais par l’appui idéologique, stratégique, tactique écrit du journal ou moindre tract des camarades de l’extérieur, mais aussi par le travail d’usine des éléments du dehors (étudiants ou autres) maintenant le contact du SDR par visites à domicile, à la porte de l’usine, avec sympathisants de l’usine, etc...
La politique révolutionnaire juste existait ; elle est prouvée par les succès de masse pendant plusieurs années par un groupe d’une dizaine de camarades contre des ennemis disposant d’appareils qui, jusqu’alors, avaient pu étouffer toute autre opposition.
Bilan des succès pendant des années. Comment expliquer la disparition ? Eléments employés, etc... Le séjour en usine finit par leur enlever les "illusions" révolutionnaires... Appui incomplet des travailleurs : "c’est très bien, continuez" mais sans proposition de diffuser.
Caractère incomplet de l’appui rencontré dans la classe ouvrière. D’un côté, dès 45, les ouvriers empêchèrent les matraqueurs du PCF d’assommer nos camarades, bien qu’ils reçurent souvent des horions, et leur permirent de s’accrocher au terrain (Gnôme & Rhône, Renault, Citroën). Soutien de l’action de l’action de masse. Cadre de la grève : la grève trouvant son noyau d’éléments frais, jeunes d’usine, mais par ailleurs pas de diffuseurs pour la presse, pas de cadres SDR, pas de votes.
Si les éléments les plus conscients de l’usine ne s’élevèrent pas, ne fut-ce qu’au niveau du SDR (syndicalisme sur des bases révolutionnaires, seul syndicalisme honnête possible à notre époque), nous nous heurtâmes de plus à l’hostilité presque physique des éléments PCI qui aboyèrent avec les dirigeants PCF contre nous, en nous accusant d’être des diviseurs, etc...
Si nous n’avons pas rallié l’opposition aux staliniens, ce n’est pas parce que nous étions incapables, mais parce que celle-ci n’existait pas dans les actes. Les militants ouvriers "vieux" d’avant-guerre, ne se montrèrent actifs, ni dans la grève, ni ensuite, soit fatigués, soit dégoûtés.
Attitude des ouvriers vis-à-vis du SDR. Si les travailleurs suivent les appels du SDR, sans exception, rencontrent des succès auprès des ouvriers, en soulignant telle revendication, mot-d’ordre préconisant telle attitude ou défendre une situation qui... organisationnellement et électoralement la situation change. Par contre les ouvriers susceptibles de renforcer l’organisation (sympathisants, militants, diffuseurs). Les uns accusent le SDR de faire de la politique, les autres du syndicalisme.
Le comité de grève organisationnellement c’était l’usine, composé dans sa grande majorité d’éléments surgis avec la lutte (simultanément presque) la précédant seulement de quelques jours, ne s’étant pas manifestée auparavant de manière importante. Le SDR fut l’UC plus cela pendant quelques mois, ensuite l’UC seule avec quelques éléments restés quand les autres...
Nous n’avons plus à faire socialement au prolétariat d’avant 38 et à plus forte raison à celui d’avant 14. Des couches importantes de travailleurs, surtout dans la période 45-48, conséquence directe de la guerre, descendent par pas mal de côtés au niveau balkanique (la grève a été une grève de manoeuvres et d’OS).
Le déséquilibre cadres - influence fut comblé par une multiplication... "interdiction de mourir ou de tomber malade sous peine d’exclusion".
L’usine ne nous fournit ni cadres syndicaux, à peine quelques cotisants talonnés par nos militants. En revanche l’organisation par ses initiatives mobilisa les travailleurs, maintint la démocratie, imposa aux staliniens...
Le SDR ne représentait pas, comme il le semblait vu de l’extérieur, une croissance de la grève qui alla jusqu’à donner naissance à une organisation non stalinienne, non réformiste qui n’existait pas auparavant.
Le SDR c’était une organisation déjà existante et préparée de longues années à l’avance. A aucun moment organisationnellement il ne fut autre chose : non seulement en ce sens qu’idéologiquement et politiquement c’est l’organisation (UC) qui avait préparé à la grève qui détermina toute sa physionomie, mais en ce sens tragique que les apports organisationnels de la grève furent si minimes que nous n’eûmes numériquement et qualitativement que 25% environ de gens apportés par la grève.
Pourrait-on imputer ce manque de cadres venant de l’usine, à l’organisation, ses méthodes... Il est évident que non, car il ne peut y avoir de contradiction absolue entre des succès révolutionnaires, politiques, syndicaux d’une organisation et sa politique organisationnelle. L’histoire des cadres de l’UC du reste prouve au contraire que c’était là ses premiers points forts, les méthodes organisationnelles de l’UC. Points forts qui précisément déterminèrent une différence essentielle avec les autres organisations "oppositionnelles" et qui lui permirent d’affronter avec succès la pénétration des usines et la conquête de la sympathie ouvrière.
Ce n’est pas la grève et l’activité du SDR qui nous révélèrent les méthodes de travail et les objectifs à atteindre. Les méthodes et les objectifs avaient été élaborés de 45 à 47 et la grève ne fit que consacrer ces méthodes, tout en les enrichissant naturellement.
Il n ’y eut pas de croissance organisationnelle de bas en haut vers le syndicat. Ce sont les cadres éduqués par l’UC qui s’avèrent les seuls capables d’accomplir des tâches syndicales dans les conditions de 1947 c’est-à-dire en opposition complète, par conséquent violente et illégale, vis-à-vis de l’appareil cégétiste qui se manifestait d’une façon totalitaire à l’égard des ouvriers et des opposants.
Dans la première période une poignée de militants formés dans les circonstances spéciales de l’occupation réussissent par une politique juste à utiliser la scission morale profonde entre dirigeants et masse ouvrière et des succès leur assurent la cohésion morale nécessaire à la lutte, malgré des défections.
Dans la deuxième phase le non renouvellement des cadres provoque l’usure physique et morale malgré des succès bien plus importants. Il fallait vivre révolutionnairement au milieu d’organisations non révolutionnaires et malgré appui ouvrier.... etc.
A part deux militants dont les débuts politiques remontent à 31, 33 aucun militant du SDR au moment de la grève ne possède une expérience de plus de 2 ou 3 années de travail ouvrier sérieux. Tous sont des jeunes, physiquement et politiquement, ayant commencé leur éducation intellectuelle en 42-43 et politique et syndicale en 45 - par le travail syndical d’usine.
Il fallut tout redécouvrir chemin faisant : comment rédiger un tract etc... ce fut un très long apprentissage pour les "vieux" précisément.
L’organisation de la grève et du SDR est le fruit de cette opposition syndicale, travail de l’UC depuis 45.
But : descendre au plus près de la masse O.S., manoeuvres. Les militants de l’opposition syndicale LdC et du SDR étaient en majorité hors de l’usine (porte à porte, ventes, discussions, liaisons, etc..).
Tout le noyau qui entreprit le travail ouvrier est un noyau d’intellectuels. Ce sont eux qui préconisent et mettent au point le travail d’usine avant que le noyau prolétarien (éduqué par eux) en ait la moindre idée.
Le premier succès de l’organisation fut la création de ce noyau prolétarien dont la majorité était loin d’être des militants de vocation. Initiative permanente des vieux... Grève et SDR non pas une circonstance fortuite, utilisation, d’un mouvement qui surgit, mais préparation et prévision de longue haleine, fruit d’initiatives antérieures, création de cadres ouvriers (éducation organisation etc..) conquête de la liberté (démocratie d’usine, agitation individuelle, ventes, mobilisation pour protection).
On ne peut pas assurer indéfiniment avec succès un travail de masse à tendance numériquement faible qui se limite à une seule usine. Car les cadres de la tendance et les éléments éclairés de la classe ouvrière ont besoin d’être nourris idéologiquement et soutenus à l’échelle nationale.
Efficacité des cadres qui donnèrent le meilleur d’eux-mêmes sur la base historique donnée, mais limités par leur manque d’expérience révolutionnaire d’une part, et de l’absence presque totale de sève leur venant de la classe ouvrière, et surtout de sève révolutionnaire provenant de l’émulation avec d’autres organisations révolutionnaires. Mais dans la mesure où la classe ouvrière répond favorablement à notre travail de 45 à 50 les cadres y trouvent l’appui moral indispensable pour déployer le meilleur d’eux-mêmes.
Si les premiers succès vis-à-vis de la classe ouvrière permettent à l’organisation de moralement subsister, à la longue l’appui incomplet venant d’en bas et l’atmosphère irrespirable entre différentes tendances (manque de milieu révolutionnaire qui ne saurait être celui d’une organisation même s’il ne s’était agi d’une petite mais d’une grande organisation), provoqua l’émulation en sens inverse. Scission 35% avant grève de mai, s’élevant contre le travail ouvrier sans but, sans résultat. Si la grève avait tardé, il est probable que l’organisation n’aurait pas pu continuer l’effort en direction Renault. La disparition lui interdisait tout avenir. Conquérir une influence de masse était la première étape d’un travail révolutionnaire.
Début 49, décision de sortir les militants de l’usine pour leur permettre de respirer, mais la reconnaissance du syndicat obligea de rester. Deux genres de mort. La sortie des militants était en fait un renoncement, la fin du SDR, que seule la reconnaissance, obtenue par les efforts depuis 47, retarda. Délai fixé, même dilemme.
Si les appareils staliniens et réformistes sont incapables d’empêcher la classe ouvrière de se mettre en branle quand elle prend conscience que c’est la seule voie, ils sont par contre parfaitement capables de saboter et d’empêcher que les travailleurs se renforcent dans le combat. Ils tarissent à la source même pour les tendances révolutionnaires authentiques les possibilités de se renforcer, de croître, etc..
En quatre ans de luttes grévistes formidables, les travailleurs ont évité le pire, empêché le totalitarisme gouvernemental et ouvrier de s’installer, mais ils se sont en même temps usés [**] et ne prirent pas de grandes initiatives révolutionnaires. Ex. Renault, qui n’entraîna pas tout de suite... grève surgissant ensemble de la même façon que chez Renault, S.N.C.F.
L’avantage décisif de notre explication, outre qu’elle est basée sur des faits matériels incontestables, c’est qu’elle n’est pas une explication à posteriori. A chaque étape nous savions les dangers qui nous menaçaient et nous savions d’avance ce qui nous est arrivé, faute de pouvoir les surmonter révolutionnairement.
L’expérience UC (Opposition Lutte de Classes) prouve que ce n’est pas la classe ouvrière qui est stalinienne ou social-démocrate, qu’elle est incapable de comprendre et d’accepter une direction révolutionnaire. La classe ouvrière est prête à accepter et à suivre une telle direction, dans la mesure où cette direction existerait et prouverait ses capacités révolutionnaires.
Cette expérience prouve que c’est l’avant-garde ouvrière (nous entendons par là les ouvriers les plus avancés et les plus décidés) qui ne peut se hausser à un niveau véritablement révolutionnaire, constituer des cadres véritablement révolutionnaires.
Ce double fait contradictoire s’explique, croyons-nous, d’un côté par la crise profonde du régime et la chute du niveau de vie – et d’un autre côté par la persistance de la mentalité individualiste du temps de la "prospérité" capitaliste. Les meilleurs éléments, au bout de quelques années d’activité révolutionnaire, finissent par abandonner ou acquérir une mentalité "au-dessus" des ouvriers du rang.
L’UC crée le SDR non pas en raison d’une orientation stratégique générale - par exemple solution du problème syndical par la création du syndicat autonome – mais pour résoudre un problème précis. Il fallait fournir à l’avant-garde ouvrière surgie par et avec la grève, un point d’appui organisationnel pour poursuivre la lutte contre le stalinisme et le réformisme, cette lutte ne pouvant pas, comme au temps de l’Opposition Lutte de Classes du reste, être menée à l’intérieur de la CGT (refus de la direction CGT de reconnaître la nouvelle direction des départements 6-18).
Mais cette avant-garde issue de la grève disparut après Novembre-Décembre 1947 (tournant stalinien) à la fois pour des raisons objectives - sabotage du mouvement de grève générale de Mai jusqu’à Octobre-Novembre par les stalino-réformistes, – et pour des raisons subjectives (le tournant stalinien réconcilia la CGT avec ses éléments qui avaient tendance à s’émanciper de son contrôle dans le période précédente). Seuls quelques éléments furent assimilés par l’organisations, pas par le syndicat. L’idéologie découlant ou servant de base à l’activité syndicale proprement dite s’avéra incapable de servir de support à l’action syndicale elle-même, cette activité syndicale ayant acquis, comme Trotsky l’a bien fait ressortir, un caractère éminemment révolutionnaire.
La disparition de l’avant-garde gréviste de Mai nous place à nouveau devant un dilemme, semblable à celui de l’Opposition Lutte de Classes : assumer nous-mêmes directement la responsabilité du SDR, être le SDR à la place des éléments d’usine, ou renoncer à une activité de masse, inconcevable sans l’activité syndicale.
Une croissance révolutionnaire aurait permis de résoudre le problème, l’activité syndicale nous permettant de maintenir le contact avec les masses sans que nous soyons absorbés par cette activité syndicale. Nous avons dû être le SDR non pas en ce sens que c’est nous qui devions trouver la tactique et la stratégie du syndicat. Le SDR et même le Comité de grève, y compris nos militants en faisant partie, ne pouvaient évidemment élaborer seuls la stratégie et la tactique – et cela est normal. Ce n’est pas cela qu’on demande à un syndicat ou à un comité de grève, même à l’échelle Renault. Ce qu’on leur demande, c’est qu’ils appliquent correctement et en l’assimilant la politique ouvrière révolutionnaire, que seule une organisation s’élevant au niveau national et international pouvait élaborer.
Mais l’UC dût être le SDR aussi en ce qui concerne l’apport qui devait venir de l’usine. L’usine aurait dû nous fournir l’armature ouvrière militante du syndicat. L’UC devint à tel point le SDR, qu’à un moment donné elle dût renoncer à sa presse spécifique pour ne plus éditer que le bulletin SDR. Nous espérions fermement que le problème serait résolu à la longue par la croissance révolutionnaire. Un groupe si faible numériquement n’a pu accomplir les tâches qu’il a accomplies qu’animé par une forte volonté révolutionnaire au niveau de sa politique révolutionnaire. Le nombre de ses publications, des tracts, la quantité de travail purement matériel fourni par lui, sont énormes par rapport au faible nombre. C’était un combat de tous les jours, et tout tenait à un fil qui ne pouvait pas ne pas casser. A tel point, que nous avions l’habitude, en "plaisantant", de spécifier qu’il était interdit de tomber malade ou de mourir, sous peine d’exclusion.
Ce ne sont pas les idées et la direction révolutionnaire que la classe ouvrière a refusées ; ce qui a manqué, ce sont les ouvriers conscients qui dans les conditions "occidentales" ne peuvent se hausser à l’activité révolutionnaire constante (voir à ce sujet "Souvenirs" de Kroupskaïa : "sans ouvriers capables de mourir pour leur cause... pas de parti révolutionnaire...").
L’Opposition Lutte de Classes et le SDR ne furent pas le fruit de la fraction ouvrière de l’Union Communiste, mais la fraction ouvrière de l’UC y compris l’Opposition Lutte de Classes et le SDR furent le fruit de l’orientation fondamentale de l’UC (voir rapport 1941). Le noyau ouvrier fut éduqué dans ses tâches révolutionnaires et spécifiquement ouvrières par le noyau intellectuel révolutionnaire de l’UC qui jeta les bases théoriques et organisationnelles de l’UC.
Doit-on considérer le SDR comme un nouvel échec d’une petite organisation tentant d’émanciper les ouvriers du stalinisme et de la social-démocratie ? Rien n’est plus contraire à la vérité.
La fin du SDR n’est pas l’échec d’une petite organisation incapable d’exploiter jusqu’au bout un premier succès (Avril 1947). Comme nous l’avons vu, la grève de Mai de même que l’Opposition Lutte de Classes, le SDR et ses succès, tout cela a été arraché de haute lutte par une petite organisation, en dépit des circonstances insuffisamment favorables à l’obtention de grands succès si sa volonté avait été moins forte, sa politique moins pénétrante, etc.
La fin du SDR c’est la limite tracée par l’état général de la société et de la classe ouvrière devant l’initiative révolutionnaire la plus efficace qu’on ait connue en Occident jusqu’à l’heure actuelle. L’UC, le SDR, loin de bénéficier par ailleurs de l’appui des autres oppositionnels, des révolutionnaires comme le PCI par exemple, furent sabotés politiquement et quelquefois organisationnellement par ces soi-disant révolutionnaires.
La grève, elle, fournit ses propres cadres. Sans quoi elle n’eut pas été une véritable grève surgie du plus profond de la classe ouvrière. Mais ces cadres ne durèrent que ce que dura l’état d’esprit gréviste surgi d’en bas en opposition avec les directions syndicales. Des éléments changèrent de département, d’autres changèrent d’usine, certains, repentis, revinrent à la CFTC ou à la CGT.
Origine sociale des militants entrés en usine : militants les plus actifs, deux employés SNCF, un pâtissier, un technicien, une couturière, un jeune sans profession fils d’artisan, un étudiant.
La conquête des usines se fait de l’extérieur vers l’intérieur et politiquement (syndicalement) et organisationnellement (camarades entrés). Jamais, aussi bien avant qu’après la grève de Mai, nous ne trouvons à l’intérieur de l’usine un appui organisationnel direct (éléments révolutionnaires adhérant à l’organisation) – appuis de toutes sortes selon les circonstances, mais s’arrêtant là.
Pourquoi cette conquête des usines de l’extérieur à l’intérieur ? But fondamental de l’organisation : rapport 41. Prévision du mouvement gréviste et ses conséquences, Lutte de Classes, "Thorez hors du gouvernement" et "Le moindre mal". Organisationnellement : camarades entrés, et dilemme. Quelle a été l’attitude personnelle de chaque élément dans le déclenchement de la crise, et la rupture intervenue ? Cela est une autre question, qui peut être étudiée sur la base de documents, des attitudes prises en présence des tâches. Nous voulons expliquer ici que la crise était inévitable par l’impossibilité de recruter et de renouveler les cadres, nourrir l’organisation de sève prolétarienne.
Pendant la grève et le mouvement gréviste d’avril à novembre, les travailleurs d’usine formant le comité de grève agissant au sein du SDR dépassèrent quelquefois en activité et énergie certains de nos militants. La masse cent fois plus à gauche (Lénine) (mais très limité dans le temps). Le rapport de 1941 posait comme objectif fondamental de l’organisation la fusion révolutionnaire avec la classe ouvrière.
L’attitude prise par chacun appartient à l’histoire intérieure de l’UC Mais l’UC ne pouvait pas vivre, c’est-à-dire se développer, faute de trouver une avant-garde révolutionnaire dans la classe ouvrière.
Appuyée sur la volonté de résistance ouvrière aux conditions morales et économiques que la bourgeoisie imposa à la "Libération" aux travailleurs avec l’aide des staliniens et des social-démocrates, une poignée de militants agissant sur des bases révolutionnaires put infliger des coups sérieux aux social-traîtres et arracher partiellement les ouvriers à leur influence, dans certaines usines parisiennes. Cette action efficace culmina dans la grève Renault d’Avril-Mai 1947 et dans l’action du SDR qui infligea de rudes coups au totalitarisme stalinien et à la collaboration de classes FO A l’échelle d’une expérience de laboratoire l’Union Communiste (trotskyste) a donc apporté la preuve, pensons-nous, de l’efficacité de l’initiative véritablement révolutionnaire face au totalitarisme stalinien, dont la "toute-puissance" s’avéra inopérante dès qu’il n’eut plus devant lui des opposants de tendance ouvrière conservatrice de par ses tendances théoriques, ou en fait, malgré des théories "révolutionnaires" (par ex. PCI toujours à la remorque des initiatives staliniennes).
Cette forte volonté ouvrière de résistance – sur laquelle était basée toute la stratégie et tactique de l’UC avant 47 (voir nombreux articles, notamment Le moindre mal) fut telle, que la classe ouvrière entra en lutte avec ou sans initiative révolutionnaire préméditée – comme ce fut le cas chez Renault (Villeneuve St. Georges même année, phénomène identique, avec la base syndicale comme pointe avancée). Cette volonté de résistance fut suffisante pour amener la classe ouvrière à la résistance gréviste même sans direction centrale (direction à la base seulement) contre leurs propres directions au sommet.
Mais la volonté ouvrière fit complètement défaut à la création de nouvelles organisations prolétariennes. Malgré la sympathie rencontrée par l’UC et malgré son efficacité dans la lutte de masses (qui dut être menée sans interruption depuis la grève jusqu’à la disparition du SDR), jamais l’apport organisationnel venant d’en bas ne suffit à combler (à plus forte raison permettre le développement) les pertes en énergie et fatigue physique provoquées par le combat. Car c’était un combat de tous les jours. Le décalage est décisif entre l’influence dans les conflits (toujours déterminante par l’attitude prise) et l’influence morale dans la masse à chaque moment – votes syndicaux (élections 47, 48, 49 etc.) – soutien organisationnel (diffusions, souscriptions, etc.), organisation (adhérents etc.), militantisme !
Ce décalage empêche à la longue l’organisation de survivre, malgré son action objectivement efficace dans les luttes ouvrières. L’initiative révolutionnaire trouve dans le conservatisme de moeurs, social (des ouvriers "avancés") des limites impossibles à franchir...
Notes
[*] Barta écrit à leur propos, le 16.03.1976 : "...J’avais rédigé pour Monatte, qui voulait un article pour la Révolution Prolétarienne, des notes (elles sont chez Louise) que Péret a lues (la Mise au point en reprend l’idée de base) J’avais donné un titre très important à ce projet d’article : "Efficacité et limites de l’initiative révolutionnaire"... Péret l’a trouvé "pessimiste". Mais en politique "pessimiste", "optimiste" ne veulent strictement rien dire. Seuls les objectifs qu’on se fixe et les moyens qu’on met en action pour les atteindre ont une signification..." (extrait d’une lettre à J.P. B.)
[**] Equivoque : grèves 51-53 prouvent le contraire. Préciser : efforts révolutionnaires des ouvriers éduqués insuffisants, et non pas des masses. La lutte ne peut pas "user" les masses, au contraire. Mais il en va autrement pour les individus. [Note de Barta]
Ce qu’étaient les bases politiques et organisationnelles de l’UC (Union Communiste) de Barta
La politique de Barta dans la grève Renault de 1947
La politique de Barta avec la fondation du syndicat SDR
La conclusion : la nécessité de l’organisation des travailleurs par eux-mêmes