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Une grève générale et des manifestations de masse ébranlent le régime israélien

vendredi 7 avril 2023, par Robert Paris

Lundi en fin de journée, heure de Jérusalem, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a annoncé qu’il suspendait temporairement l’action de la Knesset, le parlement israélien, sur son plan qui vise à réaliser ce qui s’apparente à un coup d’État contre le système judiciaire du pays, la seule branche de l’État que sa coalition d’extrême droite ne contrôle pas.

Netanyahou a opéré cette retraite tactique face à la plus grande vague d’opposition populaire de l’histoire d’Israël, avec des manifestations de rue massives dimanche, qui ont culminé avec un débrayage complet lundi de la part de vastes pans de la classe ouvrière israélienne. Les aéroports, la navigation, les transports, l’industrie, les services publics, les écoles, les crèches, les universités et la quasi-totalité des activités gouvernementales ont été touchés. Les ambassades israéliennes du monde entier ont été fermées et le consul général d’Israël à New York a démissionné.

Le déclencheur immédiat de cette explosion politique a été le renvoi par Netanyahou de son ministre de la défense, Yoav Gallant, qui lui avait demandé samedi d’abandonner le projet de mise sous camisole de force du système judiciaire parce que le conflit politique à ce sujet divisait les Forces de défense israéliennes (FDI). Gallant, l’un des principaux dirigeants du Likoud, le parti de Netanyahou, a cité les déclarations de milliers de réservistes selon lesquelles ces derniers refusaient d’être appelés sous les drapeaux parce qu’ils ne voulaient pas servir sous un gouvernement qui détruisait la démocratie.

La crise au sein de l’armée n’est que l’une des expressions d’un conflit qui a profondément ébranlé Israël et fait exploser le mythe fondamental du sionisme, selon lequel Israël représente l’unité de tous les Juifs contre le monde. Au contraire, Israël est déchiré par d’énormes conflits sociaux, politiques et de classe. Comme l’a admis Netanyahou lui-même, le pays est au bord de la « guerre civile ».

Les leaders autoproclamés du mouvement de protestation, pour la plupart des fonctionnaires du précédent gouvernement qui a cédé la place à Netanyahou après les élections de l’année dernière, comme Benny Gantz et Yair Lapid, sont eux-mêmes des défenseurs convaincus de l’État sioniste et de son oppression du peuple palestinien, tout comme l’est le système judiciaire qu’ils défendent. Ils ne représentent pas une alternative « progressiste », et s’opposent aux mesures de Netanyahou uniquement parce qu’ils craignent qu’il ne détruise la feuille de vigne démocratique de l’État d’Israël.

Néanmoins, le mouvement populaire massif montre que des questions bien plus profondes sont en jeu. Des contradictions sociales longtemps réprimées explosent grâce à l’ouverture offerte par le conflit au sein de l’élite dirigeante, amenant de larges masses de la population israélienne et, surtout, de la classe ouvrière sur la scène politique. Le report ou même la résolution du conflit autour de la Cour suprême n’empêchera pas la poursuite du développement de ce mouvement social, alimenté par l’immense inégalité économique en Israël et l’impact de la crise capitaliste mondiale.

Malgré son ampleur, ce mouvement de masse présente une faiblesse qui s’avérera fatale si elle n’est pas combattue : jusqu’à présent, il n’a en aucune façon donné son appui aux luttes du peuple palestinien. Il y a eu une mer de drapeaux israéliens, sans aucune tentative de mobiliser le soutien des Arabes israéliens, sans parler de la population palestinienne des territoires occupés.

Pour avoir une chance de réussir, les travailleurs et les jeunes juifs doivent se débarrasser des œillères de l’idéologie sioniste et adopter une stratégie socialiste, basée sur l’unification révolutionnaire des travailleurs juifs et arabes dans une lutte commune contre le capitalisme.

Il y a une puissante base objective pour le développement d’un tel mouvement. Depuis des mois, de grandes manifestations ont eu lieu à Tel-Aviv, à Jérusalem et dans d’autres villes, ce qui est énorme pour un pays de la taille d’Israël. Les événements de ce week-end ont toutefois constitué un saut qualitatif. Des masses de personnes sont descendues dans la rue et une foule estimée à 100.000 personnes a bloqué la route principale de Tel Aviv, luttant contre les tentatives de la police de la dégager. Des milliers de personnes ont manifesté devant la résidence officielle de Netanyahou à Jérusalem.

Les grèves ont commencé dimanche, un jour de travail normal en Israël, et ont pris une telle ampleur que la Histadrout – la fédération syndicale officielle qui a longtemps été une division directe de l’État israélien – a été contrainte d’appeler à une grève générale dans tout le pays. De nombreux employeurs ont annoncé des fermetures lundi, s’inclinant devant la force du mouvement de grève. Tous les vols au départ de l’aéroport international Ben-Gourion ont été cloués au sol et les deux principaux ports maritimes du pays, Haïfa et Ashdod ont été fermés.

La déclaration de Netanyahou qui annonçait la suspension temporaire de l’action de la Knesset sur le coup d’État judiciaire a reconnu le pouvoir de l’opposition populaire. « Par responsabilité nationale, par désir d’empêcher la nation de se déchirer, j’appelle à suspendre la législation », a-t-il déclaré. « S’il y a possibilité d’éviter une guerre civile par le biais de négociations, j’accorderai une pause pour les négociations ».

Même si Netanyahou a promis des négociations avec l’opposition, il est déjà en train de négocier avec les éléments ouvertement fascistes de sa propre coalition d’extrême droite parce qu’ils s’opposaient initialement à tout recul, même tactique, face au mouvement de masse. Leur accord pour accepter le report s’est accompagné d’une concession de mauvais augure : le gouvernement établira, financera et équipera une nouvelle Garde nationale, sous le contrôle du ministère de l’Intérieur, que dirige Itamar Ben-Gvir, l’un des principaux chefs des colons fascistes de la Cisjordanie occupée.

La période pendant laquelle le coup d’État judiciaire est suspendu sera mise à profit par les fascistes et le gouvernement pour préparer l’utilisation systématique de la violence contre l’opposition politique renouvelée. Leur objectif est de créer une force paramilitaire qui, contrairement à l’armée, est politiquement contrôlée pour n’inclure que les sionistes racistes et religieux les plus enragés et qui peut donc être plus facilement manipulée pour la répression interne contre la classe ouvrière et la jeunesse israélienne.

Ben-Gvir, le dernier ministre à avoir donné son accord à la suspension temporaire du projet de « réforme » judiciaire, s’est réjoui auprès de ses partisans dans un tweet : « La réforme sera adoptée. La Garde nationale sera créée. Le budget que j’ai demandé pour le ministère de la Sécurité nationale sera adopté dans son intégralité. Personne ne nous fera peur. Personne ne réussira à changer la décision du peuple. Répétez après moi : dé-mo-cra-tie ! » Cette dernière phrase était une référence moqueuse au principal slogan des manifestants antigouvernementaux.

De plus, maintenant que Netanyahou s’est offert un peu de répit, il pourrait bien utiliser ce temps pour lancer une provocation militaire contre l’Iran, en cherchant à créer une « unité » nationale sur la base d’une explosion de militarisme. Il suivrait ainsi l’exemple de ses patrons impérialistes d’Europe occidentale et des États-Unis, qui ont provoqué la guerre par procuration contre la Russie en Ukraine, en grande partie pour détourner leurs tensions internes croissantes vers un adversaire étranger.

Netanyahou a présenté le projet de placer les tribunaux sous le contrôle direct du cabinet et de la Knesset, au moins en partie pour sauver sa peau. Il est poursuivi pour une série d’accusations de corruption fondées, et les tribunaux pourraient le déclarer disqualifié s’il était condamné.

Mais les enjeux sont bien plus fondamentaux que cela. La véritable substance des mesures judiciaires est d’éliminer tous les obstacles juridiques et procéduraux à la dictature effrénée des sionistes religieux et des colons fanatiques, qui constituent une minorité de la population juive, mais dominent de plus en plus le système politique.

Le tournant vers la répression violente et la dictature en Israël fait partie d’un processus mondial. Comme cela a été démontré ces derniers mois en France et au Sri Lanka, tant dans les puissances impérialistes que dans les pays appauvris et opprimés, la classe dirigeante ne voit pas d’autre issue à la crise sociale et politique du capitalisme mondial que de recourir à de telles méthodes. Les disjoncteurs de la démocratie flanchent et les deux principales classes de la société moderne, les capitalistes et la classe ouvrière, s’affrontent dans une lutte ouverte.

Les événements de ces derniers mois en Israël marquent la fin d’une longue période de réaction politique en Israël, au cours de laquelle la lutte des classes a été systématiquement réprimée et l’idéologie du sionisme a été utilisée pour justifier la subordination de la classe ouvrière à l’État de garnison érigé pour maintenir l’oppression continue du peuple palestinien. Aujourd’hui, les forces mobilisées contre les Palestiniens – surtout les éléments fascistes des colons – sont lâchées également contre les travailleurs et les jeunes juifs.

Ces attaques ont provoqué un mouvement de masse qui a amené des masses d’Israéliens dans les rues, où ils ont commencé à mesurer leur force face à l’extrême droite. Dans le même temps, elles placent les travailleurs et les jeunes juifs face à la nécessité historique d’une confrontation politique avec le sionisme.

La présentation sioniste d’Israël comme un État sans classes, où tout le peuple juif pourrait être uni sous un même drapeau, où les divisions sociales seraient effacées, a toujours été un mensonge. La fondation de l’État d’Israël est le fruit de la dépossession systématique du peuple palestinien et de son expulsion forcée par la violence et la terreur. S’en est suivie une série de guerres visant à étendre le territoire d’Israël et à en faire un puissant fer-de-lance, doté de l’arme nucléaire, de l’impérialisme américain au Moyen-Orient.

En 1948, la Quatrième Internationale, le mouvement trotskiste mondial, a condamné la création d’Israël sur la base de l’identité religieuse comme étant réactionnaire, une tragédie pour les Arabes et les Juifs vivant en Palestine. Elle a déclaré :

La IVe Internationale rejette comme utopique et réactionnaire la « solution sioniste » de la question juive. Elle déclare que le renoncement total au sionisme est la condition « sine qua non » de la fusion des luttes des travailleurs juifs avec les luttes sociales, nationales et de libération des travailleurs arabes.

Cette perspective d’unification de la classe ouvrière du Moyen-Orient – Juifs, Arabes, Kurdes, Turcs, Arméniens et autres peuples – dans une lutte commune contre le capitalisme, résonne aujourd’hui plus fortement que jamais. C’est la seule base pour une lutte révolutionnaire contre la dictature, l’oppression nationale et la guerre impérialiste.

Il est impossible pour les travailleurs et les jeunes juifs de défendre leurs droits démocratiques dans des conditions où la population palestinienne d’Israël et des territoires occupés reste soumise à une répression militaire féroce et à une violence de plus en plus effrontée de la part des milices d’autodéfense et des colons. Il ne peut y avoir à la fois la dictature militaire en Cisjordanie et à Gaza et la démocratie en Israël.

Tous les groupes qui rejettent la possibilité d’unir les travailleurs arabes et juifs dans une lutte commune sont politiquement réactionnaires et, en dernière analyse, partagent la perspective du sionisme, bien que sous une forme inversée, acceptant l’État d’Israël comme permanent et inaltérable et excluant la classe ouvrière juive.

Cela inclut à la fois les groupes nationaux bourgeois parmi les Palestiniens, tels que l’OLP corrompue et le Hamas fondamentaliste islamique, et les mouvements internationaux de « solidarité » tels que Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), qui rejettent en fait le blâme sur les travailleurs juifs pour les crimes de la classe dirigeante sioniste.

Nous répétons à nouveau la formulation de la Quatrième Internationale en 1948 : notre perspective est « la fusion des luttes des travailleurs juifs avec les luttes sociales, nationales et de libération des travailleurs arabes ».

Les événements de ces dernières semaines ont mis fin à l’idée que les travailleurs juifs d’Israël sont en quelque sorte différents de leurs frères et sœurs de classe du monde entier, y compris les travailleurs arabes de Palestine. La question centrale est de surmonter la direction sioniste réactionnaire du mouvement de protestation et de lutter pour l’unité des travailleurs arabes et juifs, dans une lutte commune pour défendre l’emploi, le niveau de vie et les droits démocratiques, y compris les droits nationaux du peuple palestinien. Cela ne peut se faire que sur la base du programme et de la perspective du socialisme international.

Patrick Martin - WSWS

https://www.wsws.org/fr/articles/2023/03/29/pers-m29.html

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