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Quand les soviets de Russie enflammaient l’Europe

mercredi 30 juillet 2025, par Robert Paris

Quand les soviets de Russie enflammaient l’Europe…

Le 21 juillet 1917, le journaliste russe Ilya Ehrenburg, après avoir passé quatre mois en France, visité le front, Paris et la province, rend compte en ces termes de l’influence de l’effervescence révolutionnaire en Russie sur l’opinion populaire française :

« Ce n’est ni Ribot ni Lloyd George qui expriment l’espoir de cercles les plus larges, en France, mais notre Conseil des soviets ouvriers et soldats. Ce soviet si terrible pour la presse jaune. Partout, on ne parle que de lui, aussi bien dans les tranchées de Champagne qu’à Paris. « Vive le soviet », s’écrient les poilus en lisant les courtes dépêches. « Vive le soviet », ainsi s’achèvent les motions des assemblées où se réunissent des centaines d’ouvriers. « Vive le soviet », ainsi sont intitulés les éditoriaux des organes démocratiques tels que la Tranchée républicaine, L’Humanité, Le Journal du Peuple. »

Il ajoute : « Les écrivains, les artistes, la jeunesse qui écrivent, des dizaines de minuscules revues et tout ce qu’il y a en France de conscient, croit en la Russie. Romain Rolland qui faisait dernièrement un appel désespéré à l’Europe tant aimée : "Tombe, meurs, voici ta tombe", écrit maintenant : "La lumière libératrice vient de la Russie". »

Dès juillet 1917, plusieurs mois avant la prise du pouvoir par les bolcheviks, la « lumière de la révolution russe » s’identifie à la lumière du « soviet » et elle fait briller dans la lugubre nuit de l’Europe plongée dans la barbarie de la guerre impérialiste la lueur d’un espoir qui ne sera pas près de s’éteindre, même après la paix de 1918. De fait, dans le sillage de la Révolution russe, et alors que la guerre civile entre rouges et blancs fait toujours rage en Russie, des mouvements insurrectionnels ou quasi insurrectionnels éclateront dans plusieurs pays d’Europe et leurs acteurs n’hésiteront pas à s’approprier le nom russe de « soviet ».

En Allemagne, sur la lancée de la révolution de novembre 1918, un dense réseau de conseils ouvriers s’étend sur tout le territoire. Les républiques des conseils voient le jour, notamment en Bavière (avril-mai 1919), en Hongrie (avril-août 1919) et dans le sud-est de la Slovaquie (juin-juillet 1919). Des communes agricoles d’inspiration communiste libertaire se constituent dans certaines régions de l’Ukraine (1918-1921). Des conseils d’usine apparaissent un peu partout dans le nord de l’Italie au cours du biennio rosso (les deux années rouges) de 1919-1920 : les 150 000 ouvriers en grève de Turin élisent des conseils d’usine et des soviets sont formés à Florence. Gramsci en tire cette conclusion : « [L]a naissance des conseils ouvriers d’usine représente un grand événement historique, le début d’une ère nouvelle dans l’histoire du genre humain. »

Mais il est aussi des expériences qui, sans aller jusqu’à l’insurrection, témoignent de la popularité et de l’exemplarité des soviets comme institutions autonomes. Le cas de l’Irlande mérite qu’on s’y arrête, tant il est peu connu, et pourtant socialement et politiquement significatif. En effet, pas moins d’une centaine d’expériences d’autogestion voient le jour entre 1918 et 1923, pratiquement toutes sous l’appellation de « soviet ». Ainsi le « soviet » de Limerick créé en avril 1919 et qui est en fait un comité de grève, nommé par le Conseil des syndicats de la ville, prend en charge la gestion de la commune et finit même par émettre sa propre monnaie. Il en est également ainsi du « soviet » agraire de Broadford qui, en février 1922, prend en main pendant dix mois la gestion d’un domaine agricole et convertit une partie des terres en pâturages communs. Ainsi encore des soviets mis sur pied dans les 39 usines de l’entreprise laitière et boulangère Cleeve en juillet-août 1922, dont la devise (« Long live the Sovereign People » ou « Longue vie au peuple souverain ») et le slogan (« We make bread not profits », « Nous faisons du pain, pas des profits ») disent assez clairement la dimension anticapitaliste.

En juin 1919 éclate à Paris la grève des métaux, « condamnation de l’union sacrée et du réformisme de la Confédération générale du travail (CGT) incarnés par son secrétaire général, Léon Jouhaux », une mobilisation ouvrière qui « exprime une opposition résolue au capitalisme et au gouvernement ». Le Comité d’entente des Syndicats des métaux de la Seine appelle à la grève générale le 2 juin pour obtenir la semaine de quarante-quatre heures et une augmentation des salaires. Certains comités locaux de grève ajoutent d’autres revendications plus politiques : fin de l’intervention contre les bolcheviks en Russie, amnistie des prisonniers politiques et militaires. Lors d’un meeting organisé le 4 juin, à Saint-Denis dans la banlieue parisienne, le Comité intersyndical se transforme en Comité local des soviets. Un drapeau rouge est accroché au balcon de l’hôtel de ville. L’objectif est d’imposer à la CGT le déclenchement d’un mouvement général destiné à renverser le gouvernement de Clemenceau. L’historienne Michèle Zancarini-Fournel commente : « La Révolution russe est très populaire parmi les grévistes, et particulièrement les soviets. C’est le "seul régime qui se rapproche le plus des aspirations ouvrières", affirme un gréviste d’Ivry le 18 juin 1919. Dans cette même banlieue parisienne, lors d’un meeting organisé le 24 juin, les membres des Jeunesses socialistes brandissent le drapeau rouge, entonnent des chants révolutionnaires et crient : "Vive la Révolution !" Le tableau est le même dans l’est parisien, du XIIIe au XXe arrondissement. » Et dans l’ouest de la capitale, à Boulogne, une garde rouge est même formée pour combattre la police.

Les puissances impérialistes pendant la vague révolutionnaire en Europe

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article214

L’Europe de l’ouest après la révolution russe de 1917

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article559

Les leçons des échecs de la vague révolutionnaire européenne

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4741

Pourquoi la vague révolutionnaire de 1917-1920 en Europe a échoué ?

https://www.matierevolution.org/spip.php?article2075

A chronology of the european revolution (1917-1923)

https://www.matierevolution.org/spip.php?article582

L’Europe en 1919-1920

https://www.marxists.org/francais/rosmer/works/msl/msl2001.htm

https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1920/12/lt19201215.htm

Les révolutions russes vues de l’Europe en guerre

https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2017-3-page-41.htm

Les ouvrières...

https://www.marxists.org/francais/lilina/works/1920/10/ouvrieres.htm

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