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Prolétaires sans frontières ne veut pas dire sans lutte pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
lundi 3 février 2025, par
Pendant les derniers jours, j’ai lu quelques-unes des élucubrations des Oehlerites et des Eiffelites (oui, il y a une tendance de ce genre !) sur la guerre civile en Espagne et sur la guerre Sino-Japonaise. Lénine appelait les idées de ces gens "maladies infantiles." Un enfant malade suscite la sympathie.
Mais vingt ans se sont écoulés depuis lors. Les enfants sont devenus barbus et même chauves. Mais ils n’ont pas cessé leurs babillages enfantins. Au contraire, ils ont augmenté tous leurs défauts, ont décuplé toutes leurs sottises et ont ajouté à leurs ignominies. Ils nous suivent, étape par étape. Ils empruntent certains éléments de notre analyse. Ils déforment ces éléments sans limites et les opposent au reste. Ils nous corrigent. Lorsque nous traçons une figure humaine, ils ajoutent une difformité. Lorsque c’est une femme, ils la décorent avec de grosses moustaches. Lorsque nous dessinons un coq, ils mettent un œuf sous lui. Et ils appellent tout ce charabia marxisme et léninisme.
Je veux me limiter à discuter dans cette lettre sur la guerre sino-japonaise.
Dans ma déclaration à la presse bourgeoise, j’ai dit que le devoir de toutes les organisations ouvrières de Chine était de participer activement et dans la ligne de front à la guerre actuelle contre le Japon, sans abandonner, pour un seul moment, leur propre programme et leur activité indépendante.
Mais cela serait du « social-patriotisme ! pleurent les Eiffelites. C’est de la capitulation devant Chiang Kai-shek ! C’est l’abandon du principe de la lutte des classes ! Le bolchevisme prêche le défaitisme révolutionnaire dans la guerre impérialiste. Or, la guerre d’Espagne et la guerre sino-japonaises sont toutes les deux les guerres impérialistes. "Notre position sur la guerre en Chine est la même. Le seul salut des ouvriers et des paysans en Chine est dans la lutte autonome contre les deux armées, contre l’armée chinoise de la même manière que contre l’armée japonaise. "
Ces quatre lignes, tirées d’un document Eiffelite du 10 Septembre 1937, nous suffisent entièrement pour dire : nous avons à faire à de véritables traîtres ou à des imbéciles complets. Mais l’imbécillité, élevé à ce degré, est égale à la trahison.
Nous n’avons pas et nous n’avons jamais mis toutes les guerres sur le même plan. Marx et Engels ont soutenu la lutte révolutionnaire des Irlandais contre la Grande-Bretagne, des Polonais contre le tsar, même si dans ces deux guerres nationalistes les dirigeants ont été, pour la plupart, membres de la bourgeoisie et même à certains moments de l’aristocratie féodale... en tout cas, réactionnaires catholiques.
Quand Abdel-Krim se souleva contre la France, les démocrates et les sociaux-démocrates ont parlé avec haine de la lutte d’un « tyran farouche" contre la "démocratie". Le parti de Léon Blum a appuyé ce point de vue. Mais nous, les marxistes et les bolcheviks, nous avons considéré la lutte des Rifains contre la domination impérialiste comme une guerre progressive.
Lénine a écrit des centaines de pages démontrant la nécessité primordiale de faire la distinction entre les nations impérialistes et les nations coloniales et semi-coloniales qui constituent la grande majorité de l’humanité. Parler de « défaitisme révolutionnaire » en général, sans distinction entre pays exploiteurs et exploité , est faire une misérable caricature du bolchevisme et mettre cette caricature au service de l’impérialisme.
En Extrême-Orient, nous avons un exemple classique. La Chine est un pays semi-colonial que le Japon est en train de transformer, sous nos yeux, en un pays colonial. La lutte du Japon est impérialiste et réactionnaire. La lutte de la Chine est émancipatrice et progressiste.
Mais Tchang Kaï-chek ? Nous devons avoir aucune illusion sur Tchang Kaï-chek, son parti, ou toute la classe dirigeante de la Chine, tout comme Marx et Engels n’avaient aucune illusion sur les classes dirigeantes de l’Irlande et la Pologne.
Tchang Kaï-chek est le bourreau des ouvriers et les paysans chinois. Mais aujourd’hui, il est forcé, malgré lui, à la lutte contre le Japon pour le reste de l’indépendance de la Chine. Demain, il peut encore trahir. C’est possible. C’est probable. C’est même inévitable. Mais aujourd’hui il est en difficulté. Seuls les lâches, les scélérats, ou des imbéciles complets peuvent refuser de participer à cette lutte.
Prenons l’exemple d’une grève, pour clarifier la question. Nous ne soutenons pas toutes les grèves. Si, par exemple, une grève est appelé pour l’exclusion des travailleurs Noirs, Chinois, ou japonais d’une usine, nous sommes opposés à cette grève. Mais si une grève vise à améliorer - dans la mesure du possible - les conditions des travailleurs, nous sommes les premiers à y participer, quelle que soit sa direction.
Dans la grande majorité des grèves, les dirigeants sont des réformistes, des traîtres par profession, des agents du capital. Ils s’opposent à toute grève. Mais de temps en temps la pression des masses ou de la situation objective leur impose la voie de la lutte.
Imaginons, un instant, un travailleur se disant : « Je ne veux pas participer à la grève parce que les dirigeants sont des agents du capital » Cette doctrine de cet imbécile ultra-gauche servirait à le marquer de son vrai nom : un briseur de grève.
Le cas de la guerre sino-japonaise, est de ce point de vue, tout à fait analogue. Si le Japon est un pays impérialiste, et si la Chine est la victime de l’impérialisme, nous privilégions la Chine.
Le patriotisme japonais est le masque hideux d’exactions de par le monde entier. Le patriotisme chinois est légitime et progressiste. Placer les deux sur le même plan et parler de « patriotisme social » ne peut être le fait que de ceux qui n’ont rien lu de Lénine, qui n’ont rien compris de l’attitude des bolcheviks durant la guerre impérialiste, et qui peuvent que compromettre et prostituer les enseignements du marxisme.
Les Eiffelites ont entendu dire que les social-patriotes accusent les internationalistes d’être les agents de l’ennemi et ils nous disent : "Faites la même chose." Dans une guerre entre deux pays impérialistes, il n’est question ni de démocratie ni de indépendance nationale, mais de l’oppression des peuples arriérés. Dans une telle guerre les deux pays se trouvent sur le même plan historique. Les révolutionnaires dans les deux armées sont défaitistes.
Mais le Japon et la Chine ne sont pas sur le même plan historique. La victoire du Japon va signifier l’asservissement de la Chine, la fin de son développement économique et social, et le renforcement terrible de l’impérialisme japonais. La victoire de la Chine va signifier, au contraire, la révolution sociale au Japon et le libre développement, c’est-à-dire sans être gêné par l’oppression extérieure, de la lutte des classes en Chine.
Mais Tchang Kaï-chek peut-il assurer la victoire ? Je ne le crois pas. C’est lui, cependant, qui a commencé la guerre et qui aujourd’hui la dirige. Pour être en mesure de le remplacer, il est nécessaire d’acquérir une influence décisive au sein du prolétariat et dans l’armée, et pour ce faire il est nécessaire de ne pas rester en suspension dans l’air, mais de se placer dans le milieu de la lutte.
Nous devons gagner influence et prestige dans la lutte armée contre l’invasion étrangère et dans la lutte politique contre les faiblesses, les lacunes et les trahison internes. À un certain point, que nous ne pouvons pas fixer à l’avance, cette opposition politique peut et doit être transformée en un conflit armé, en guerre civile, vu que, tout comme la guerre en général, la guerre n’est rien de plus que la continuation de la lutte politique. Il est nécessaire, cependant, de savoir quand et comment transformer l’opposition politique en insurrection armée.
Pendant la révolution chinoise de 1925-1927, nous avons attaqué la politique du Komintern. Pourquoi ? Il est nécessaire de bien comprendre les raisons. Le Eiffelites prétendent que nous avons changé notre attitude sur la question chinoise. C’est parce que ces pauvres diables n’ont rien compris de notre attitude en 1925-27.
Nous n’avons jamais nié que c’était le devoir du Parti communiste de participer à la guerre de la bourgeoisie et petite bourgeoisie du Sud contre les généraux du Nord, les agents de l’impérialisme étranger. Nous n’avons jamais nié la nécessité d’un bloc militaire entre le parti communiste et le Kuomintang. Au contraire, nous étions les premiers à le proposer. Nous avons demandé, cependant, que le CP maintienne son entière indépendance politique et organisationnelle, c’est à dire, que pendant la guerre civile contre les agents internes de l’impérialisme, comme dans la guerre nationale contre l’impérialisme étranger, la classe ouvrière, tout en restant dans les lignes de front de la lutte armée, prépare le renversement politique de la bourgeoisie.
Nous défendons les mêmes politiques dans la guerre actuelle. Nous n’avons pas changé notre attitude d’un iota. Les Oehlerites et les Eiffelites, d’autre part, n’ont rien compris à notre politique, ni à celle de 1925-1927, ni à celle d’aujourd’hui.
Dans ma déclaration à la presse bourgeoise au début du récent conflit entre Tokyo et Nankin, j’ai insisté surtout sur la nécessité de la participation active des travailleurs révolutionnaires dans la guerre contre les oppresseurs impérialistes.
Pourquoi je l’ai fait ? Parce que d’abord c’est correct du point de vue marxiste, et parce que, d’autre part, c’était nécessaire du point de vue de la place de nos amis en Chine. Demain, les GPU, qui sont en alliance avec le Kuomintang (comme avec Negrin en Espagne), présenteront nos amis chinois comme étant "défaitistes" et agents du Japon. Les meilleurs d’entre eux, avec Chten Tou-siou à leur tête, peuvent être compromis au niveau national et international et tués. Il était nécessaire de souligner énergiquement que la Quatrième Internationale était du côté de la Chine contre le Japon. Et j’ai ajouté dans le même temps : sans abandonner ni son programme ni son indépendance.
Les imbéciles Eiffelites essayent de plaisanter à propos de cette « réserve ». « Les trotskystes », disent-ils, "veulent servir Tchang Kaï-chek en action et le prolétariat dans les mots."
Participer activement et consciemment à la guerre ne signifie pas "servir Tchang Kaï-chek ", mais servir l’indépendance d’un pays colonial, en dépit de Tchang Kaï-chek.
Et les mots dirigés contre le Kuomintang sont les moyens d’éduquer les masses pour le renversement de Tchang Kaï-chek. Participer à la lutte militaire sous les ordres de Tchang Kaï-chek, car malheureusement, c’est lui qui a le commandement dans la guerre d’indépendance, c’est préparer politiquement le renversement de Tchang Kaï-chek... ce qui est la seule politique révolutionnaire.
Les Eiffelites s’opposent la politique de « lutte de classes » à cette politique "nationaliste et social-patriote".
Lénine a combattu cette opposition abstraite et stérile toute sa vie. Pour lui, les intérêts du prolétariat mondial dictent le devoir d’aider les peuples opprimés dans leur lutte nationale et patriotique contre l’impérialisme. Ceux qui ne l’ont pas encore compris, presque un quart de siècle après la Première Guerre mondiale et vingt ans après la révolution d’Octobre, doivent être impitoyablement rejetés comme les pires ennemis intérieurs par l’avant-garde révolutionnaire. C’est exactement le cas des Eiffel et de ceux de son genre !
L. Trotsky
https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1937/09/lt_23091937.htm
Certains professionnels de la phrase ultra-gauche essaient de « corriger » à tous prix les thèses du Secrétariat International de la Quatrième Internationale sur la guerre, en accord avec leurs préjugés invétérés. Ils soumettent à une attaque toute particulière le passage des thèses où il est dit qu’en restant dans tous les pays impérialistes en opposition irréductible envers son gouvernement durant la guerre, le parti révolutionnaire conformera cependant sa politique pratique dans chaque pays à la situation intérieure et aux groupements internationaux, en distinguant strictement d’ailleurs un Etat ouvrier d’un Etat bourgeois, un pays colonial d’un pays impérialiste.
« Le prolétariat d’un pays impérialiste se trouvant en alliance avec l’U.R.S.S1 — disent les thèses — maintient entièrement et complètement son hostilité irréductible envers le gouvernement impérialiste de son propre pays. En ce sens, il n’y a pas de différence avec la politique du prolétariat d’un pays en guerre contre l’U.R.S.S. Mais dans le caractère des actions pratiques, il peut se trouver des différences considérables provoquées par la situation concrète de la guerre. » (Paragraphe 44)
Les ultra-gauches considèrent que cette affirmation, dont la justesse a été démontrée par toute la marche du développement, est le point de départ du social-patriotisme2. L’attitude envers les gouvernements impérialistes devant être la « même » dans tous les pays, ces stratèges interdisent de voir quelques différences que ce soit hors des frontières de leur propre pays impérialiste. Le fond théorique de leur erreur est de tenter de poser pour leur politique durant la guerre des bases principiellement différentes de celles posées par leur politique en temps de paix.
Admettons que dans une colonie française, l’Algérie, surgisse demain un soulèvement sous le drapeau de l’indépendance nationale et que le gouvernement italien, poussé par ses intérêts impérialistes, se dispose à envoyer des armes aux rebelles. Quelle devrait être en ce cas l’attitude des ouvriers italiens ? Je prends intentionnellement l’exemple d’un soulèvement contre un impérialisme démocratique et d’une intervention en faveur des rebelles de la part d’un impérialisme fasciste. Les ouvriers italiens doivent-ils s’opposer à l’envoi de bateaux chargés d’armes pour les algériens ? Que quelque ultra-gauche ose répondre affirmativement à cette question ! Tout révolutionnaire, en commun avec les ouvriers italiens et les rebelles algériens, rejetterait avec indignation une telle réponse. Si même se déroulait alors dans l’Italie fasciste une grève générale des marins, en ce cas, les grévistes devraient faire une exception en faveur des navires qui vont apporter une aide aux esclaves coloniaux en rébellion ; sinon ils seraient de pitoyables trade-unionistes, et non des révolutionnaires prolétariens.
Parallèlement à cela, les marins français même s’ils n’avaient aucune grève à l’ordre du jour, auraient l’obligation de faire tous leurs efforts pour empêcher l’envoi d’armes contre les rebelles. Seule une telle politique des ouvriers italiens et français serait une politique d’internationalisme prolétarien.
Cependant, cela ne signifie-t-il pas que les ouvriers italiens adoucissent dans le cas présent leur lutte contre le régime fasciste ? Pas au moindre degré. Le fascisme ne peut apporter une « aide » aux algériens que pour affaiblir son ennemi, la France, et faire ensuite main basse sur sa colonie. Les ouvriers révolutionnaires italiens ne l’oublieront pas un seul instant. Ils appelleront les algériens à ne pas faire confiance à leur « allié » perfide et en même temps eux-mêmes poursuivront leur lutte intransigeante contre le fascisme, « principal ennemi à l’intérieur de leur propre pays ». C’est seulement ainsi qu’ils peuvent faire que les rebelles aient confiance en eux, aider la rébellion elle-même et renforcer leurs propres positions révolutionnaires.
Si ce qui vient d’être dit est vrai quant au temps de paix, pourquoi cela deviendrait-il faux en temps de guerre ? Tout le monde connait le principe du fameux théoricien militaire allemand, Clausewitz : la guerre est la continuation de la politique, mais par d’autres moyens. Cette pensée profonde entraîne tout naturellement la conclusion : la lutte contre la guerre est la continuation de la lutte générale du prolétariat en temps de paix. Est-ce que le prolétariat rejette et sabote en temps de paix toutes les actions et mesures d’un gouvernement bourgeois ? Même lors d’une grêve qui embrasse toute une ville, les ouvriers prennent des mesures pour que dans leurs quartiers il y ait suffisamment de vivres, pour qu’on ne manque pas d’eau, pour que les hôpitaux ne souffrent en rien, etc. De telles mesures ne sont pas dictées par quelque opportunisme envers la bourgeoisie, mais par le souci des intérêts de la grève elle-même, le souci d’avoir pour elle la sympathie des couches les moins favorisées de la ville, etc. Ces règles élémentaires de la stratégie prolétarienne en temps de paix conservent encore toute leur valeur en temps de guerre.
Une attitude intransigeante envers le militarisme bourgeois ne signifie nullement que le prolétariat entre en lutte dans tous les cas contre son armée « nationale ». Des ouvriers n’empêcheront jamais des soldats d’éteindre un incendie ou de sauver les victimes d’une inondation ; au contraire, ils collaboreront coude à coude avec les soldats et fraterniseront avec eux. Mais il ne s’agit pas seulement de catastrophes naturelles fortuites. Si demain les fascistes français tentaient de se lancer dans un coup d’Etat et que le gouvernement Daladier se trouvât contraint de faire agir l’armée contre les fascistes, les ouvriers révolutionnaires, tout en maintenant une indépendance politique complète, lutteraient contre les fascistes, à côté des troupes. Ainsi, dans toute une série de cas, les ouvriers se trouvent contraints non seulement d’admettre et de tolérer, mais encore de soutenir activement des mesures pratiques d’un gouvernement bourgeois.
Dans quatre-vingt-dix cas sur cent, les ouvriers mettent bien un signe moins là où la bourgeoisie met un signe plus. Cependant, dans dix cas il sont contraints de mettre le même signe que la bourgeoisie, mais ils le font avec leur propre estampille, exprimant ainsi leur défiance envers la bourgeoisie. La politique du prolétariat ne se déduit pas automatiquement de la politique de la bourgeoisie en mettant le signe contraire, — en ce cas-là, chaque sectaire serait un grand stratège ; non, le parti révolutionnaire doit s’orienter chaque fois de façon indépendante dans la situation tant intérieure qu’extérieure, en prenant les décisions qui répondent le mieux aux intérêts du prolétariat. Cette règle concerne aussi bien une période de guerre qu’une période de paix.
Imaginons quau cours d’une nouvelle guerre européenne, le prolétariat belge s’empare du pouvoir plus tôt que le prolétariat de France. Hitler tentera, sans aucun doute, d’écraser la Belgique prolétarienne. Pour couvrir son propre flanc, le gouvernement bourgeois français peut se trouver contraint d’aider le gouvernement ouvrier belge en lui donnant des armes. Les soviets belges, bien entendu, saisiront des deux mains ces armements. Mais peut-être les ouvriers français, se guidant sur le principe du défaitisme, seraient-ils tenus d’empêcher leur bourgeoisie d’envoyer des armes à la Belgique prolétarienne ? Seuls des traîtres avérés ou des idiots finis pourraient raisonner ainsi.
La bourgeoisie française peut envoyer des armes à la Belgique prolétarienne uniquement par peur d’un grand péril militaire et dans l’espoir de régler ensuite son compte à la révolution prolétarienne avec ses propres armes. Pour les ouvriers français, au contraire, la Belgique prolétarienne serait un très grand appui dans leur lutte contre leur propre bourgeoisie. L’issue de la lutte serait décidée en fin de compte par le rapport des forces, une politique correcte étant d’ailleurs un facteur très important de ce rapport de forces. La première tâche du parti révolutionnaire serait d’utiliser la contradiction entre les deux impérialismes, français et allemand, pour sauver la Belgique prolétarienne.
Les scholastes ultra-gauches n’opèrent pas avec des notions concrètes, mais avec des abstractions vides. C’est en une abstraction vide de ce genre qu’ils ont changé l’idée de défaitisme. Ils ne se représentent de façon vivante ni la marche de la guerre ni la marche de la révolution. Ils cherchent une formule hermétiquement bouchée qui ne laisse pas passer l’air frais. Mais une telle formule n’est capable de donner aucune orientation à l’avant-garde prolétarienne.
La politique du défaitisme a pour tâche de mener la lutte des classes à sa forme suprême : la guerre civile. Mais cette tâche ne peut être résolue que par la mobilisation révolutionnaire des masses, c’est-à-dire en étendant, approfondissant, aiguisant les méthodes révolutionnaires qui constituent le contenu de la lutte des classes en temps de « paix ». Le parti du prolétariat n’a nullement recours à quelques méthodes artificielles, telles qu’incendies de dépôts, explosions, catastrophes de chemins de fer, etc., pour provoquer la défaite de son gouvernement. Si même il pouvait aboutir à un succès dans cette voie, la défaite militaire ne mènerait nullement en ce cas à un succès révolutionnaire, qui ne peut être assuré que par le mouvement indépendant du prolétariat. Le défaitisme révolutionnaire signifie seulement que dans sa lutte de classe le parti du prolétariat ne s’arrête devant aucune considération « patriotique », car la défaite de son propre gouvernement impérialiste, provoquée ou accélérée par le mouvement révolutionnaire des masses est un mal infiniment moindre que la victoire de ce gouvernement, acquise au prix de l’union nationale, c’est-à-dire de la prostration politique du prolétariat. C’est en cela tout le sens du défaitisme, et ce sens est pleinement suffisant.
Assurément les moyens de lutte changent quand la lutte entre dans un stade ouvertement révolutionnaire. La guerre civile est une guerre et, en tant que telle, elle a ses lois. Il est inévitable que surviennent dans la guerre civile des explosions d’entrepôts, des catastrophes de chemins de fer et toutes les autres formes de « sabotage » militaire. Leur opportunité est établie par des considérations purement militaire : la guerre civile continue la politique révolutionnaire, mais par d’autres moyens, précisément les moyens militaires.
Cependant durant une guerre impérialiste, il peut y avoir des cas où le parti révolutionnaire soit tenu de recourir à des mesures militaires techniques, même si elles ne découlent pas encore immédiatement du mouvement révolutionnaire dans son propre pays. Ainsi, s’il s’agit de l’envoi d’armes ou de soldats contre un Etat ouvrier ou une colonie en rébellion, alors non seulement les méthodes du boycott et de la grève, mais encore les méthodes du sabotage militaire direct peuvent se trouver pleinement opportunes obligatoires. L’emploi ou le non-emploi de telles mesures sera une question de possibilités pratiques. Si les ouvriers belges, ayant conquis le pouvoir durant la guerre, avaient leurs agents militaires sur le sol allemand, le devoir de ces agents serait de ne s’arrêter devant aucun moyen technique pour contenir les troupes de Hitler. Il est absolument évident que les ouvriers révolutionnaires allemands seraient aussi tenus (si seulement ils étaient en état de le faire) de remplir cette tâche dans l’intérêt de la révolution belge, même indépendamment du déroulement général du mouvement révolutionnaire en Allemagne même.
La politique défaitiste, c’est-à-dire la politique de la lutte des classes intransigeante durant la guerre, ne peut par conséquent être la « même » dans tous les pays, tout comme il ne peut y avoir une seule et unique politique du prolétariat en temps de paix. C’est seulement le Comintern des épigones qui a établi un régime tel que les partis de touts les pays lèvent en même temps le pied gauche. Dans la lutte contre ce crétinisme bureaucratique, nous avons montré plus d’une fois que les principes et les tâches générales doivent se réaliser dans chaque pays en accord avec ses conditions intérieures et extérieures. Ce principe et les tâches générales doivent se réaliser dans chaque pays en accord avec ses conditions intérieures et extérieures. Ce principe conserve encore toute sa valeur en temps de guerre.
Les ultra-gauches qui ne veulent pas penser de façon marxiste, c’est-à-dire concrètement, seront pris à l’improviste par la guerre. Leur politique durant la guerre sera le couronnement fatal de leur politique en temps de paix. Les premiers coups de canon rejetteront les ultra-gauches dans le néant politique ou les pousseront dans le camp du social-patriotisme, pour les mêmes raisons pour lesquelles les anarchistes espagnols, négateurs absolus de l’Etat, sont devenus durant la guerre des ministres bourgeois. Pour mener une juste politique en temps de guerre, il faut apprendre à penser correctement en temps de paix.
Le 20 mai 1938,
L. Trotsky
Notes
1 Nous pouvons laisser ici de côté la question du caractère de classe de l’U.R.S.S. Ce qui nous intéresse, c’est la question de la politique à avoir envers un Etat ouvrier en général ou un pays colonial qui lutte pour son indépendance. En ce qui concerne la nature de classe de l’U.R.S.S., nous pouvons recommander en passant aux ultra-gauches de se regarder dans le miroir du livre de A. Ciliga, « Au pays du grand mensonge ». L’auteur, ultra-gauche, complètement dépourvu de formation marxiste, a poussé sa pensée jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’abstraction libérale-anarchiste.
2 Mlle Simone Weil écrit même que notre position est celle de Plekhanov dans les années 1914-1918. S. Weil a assurément le droit de ne rien comprendre. Mais il ne faudrait tout de même pas abuser de ce droit.
https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/05/lt19380520.htm