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Depesza R. Luksemburg i Tyszki - Dépêche de R. Luxemburg et Tyszka (04/08/1903) : une rupture Lénine / Luxemburg sur les questions nationale et du parti

vendredi 15 novembre 2024, par Alex

Po polsku, en polonais :

Depesza Róży Luksemburg i Tyszki do (delegatów SDKiPL na II Zjazd SDPRR) A. Warskiego i J. Haneckiego
[prawdopodobnie z 6. VIII. 03 r..]

Nie róbcie żadnych ustępstw przy [§] 7.
Unikajcie jawnej porażki.
W tym razie doprowadźcie do zerwania, lecz z powodu organizacji.

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En français, po francusku :

Dépêche de R. Luxemburg à A. Warski et J. Hanecki (délégués de la SDKPiL au 2 ème Congrès du POSDR)

[probablement le 6 août 1903]

Ne faites aucune concession sur le [§] 7.
Evitez un échec au grand jour.
Si c’est le cas, allez jusqu’à la rupture, mais sur des raisons d’organisation.

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Avertissement : les critiques contre R. Luxemburg que peuvent paraitre contenir le présent article ne sont pas à prendre comme une tentative d’opposer Luxemburg et Lénine, procédé utilisé par des courants pseudo-marxistes, pseudo-luxemburgistes, pseudo-léninistes, souvent anticommunistes masqués.
Luxemburg et Lénine furent d’accord à 100 %, pendant toute leur vie militante, tout comme Trotsky, sur l’objectif de créer un parti communiste dont la doctrine est celle du socialisme scientifique (fondé par Marx et Engels), dans le but d’assurer la victoire de la révolution prolétarienne et antiimpérialiste, au moyen de la dictature du prolétariat. C’est parce que cette perspective est aussi la nôtre que nous essayons de comprendre les questions qui ont pu les diviser, d’autant plus que ces questions se posent encore aujourd’hui.

Commentaires

Le premier destinataire de la dépêche, Adolf Warski est souvent nommé par son pseudonyme Warszawski, le second est Jakub Hanecki (prononcer sans doute Iakoub hh-Anetskii). Tous les deux furent assassinés par Staline en 1937.

Dans la bibliographie de Kaczanowska, ce texte est numéroté 718 (sur 737) et daté "après le 4 août 1903", "de Berlin", au lieu de la date du 6 août donnée page 184 du numéro 7/8 de la revue polonaise Z pola walki (1929), d’où provient le fac-similé ci-dessus.

Dans ce même catalogue Kaczanowska, les entrées 719 List do Warskiego / Lettre à Warski et 720 sont des textes similaires.

Ce texte Kaczanowska-718 est sans doute le plus court des oeuvres complètes de Rosa Luxemburg !

Il marque pourtant une étape fondamentale dans l’histoire du mouvement ouvrier. Les trois instructions données par Luxemburg à ses "chargés de mission", martèlent chacune à leur tour un désaccord de Luxemburg avec Lénine. Tous leurs désaccords sont d’ailleurs peut-être rassemblés dans ces trois phrases lapidaires.
Mais gardons nos réflexions philosophiques pour plus tard, revenons au texte lui-même.

Cette dépêche constitue un incident important, quoique peu mentionné, d’un épisode qui l’est beaucoup plus : le 2ème Congrès du POSDR (1903). Ce congrès aboutit, on le lit dans tous les livres, à la rupture entre bolcheviks (Lénine) et mencheviks (Martov) à propos de la question des statuts.

Mais une première rupture avait donc déjà eu lieu, avant celle entre mencheviks et bolcheviks, lors de ce congrès, entre R. Luxemburg, L. Jogiches d’une part, Lénine, Martov et tout le reste du congrès (le Bund, quasiment déjà extérieur au parti, ne comptant plus) d’autre part. La dépêche de Luxemburg fut la cause de cette rupture.

Il est peu connu que R. Luxemburg participa en effet à ce congrès, certes pas directement, mais à travers ses instructions aux deux délégués, Warski et Hanecki, de son parti le SDKPiL (Social-Démocratie du Royaume de Pologne et de Lituanie - acronyme SDRP&L en français).

Le parti "régional" SDKPiL, issu du parti SDKP fondé par R. Luxemburg en 1893, aurait dû normalement s’intégrer au parti "national" de Lénine, Plekhanov et Martov : le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR). Car le Royaume de Pologne et la Lituanie étaient à l’époque des "provinces de Russie".

Imaginons qu’aujourd’hui des "Trotskistes d’Auvergne" veuillent faire un parti régional indépendant de celui, national, des "Trotskistes de France". On dirait à ces camarades auvergnats : unir tous les camarades de France dans un seul et unique parti au niveau national est la seule façon de procéder. Dans le Manifeste, Marx et Engels précisent bien que la question du parti communiste se pose d’abord au niveau national.

On nous répondra que comparer l’Auvergne à la Pologne est une erreur, la Pologne étant une nation à part entière, aspirant à avoir son propre Etat indépendant, contrairement à l’Auvergne. Mais justement, R. Luxemburg niait ce fait, et "démontra" dans ses premières oeuvres, que le "développement des forces productives" avait entièrement intégré le Royaume de Pologne (le tiers de la Pologne, partie attribué à l’Empire russe lors des partages de la Pologne, les deux autres tiers étant intégrés aux Empires allemand et d’Autriche-Hongrie) à la Russie :

L’orientation patriotique, l’idéal d’un empire polonais indépendant n’a aucune chance de gagner à sa cause le prolétariat social-démocrate. L’histoire économique et sociale des trois parties de l’ancien royaume de Pologne les a intégrées de manière organique aux trois pays qui les ont annexées et a créé dans chacune des parties des aspirations et des intérêts propres. Sur un marché mondial chroniquement saturé, la grande industrie de l’ancienne Pologne n’existe et ne peut se développer aujourd’hui que dans une coexistence politique avec la Russie, d’où est né un ensemble économique liant les deux pays. Ce lien économique est renforcé encore continuellement par une politique habile du gouvernement russe qui favorise de manière générale le développement de l’industrie polonaise en partie dans le but de gagner la classe capitaliste dans l’intérêt de la russification, en partie pour ses propres intérêts économiques. Du fait de ce lien économique, qui trouve ses racines dans la logique du capitalisme, l’aspiration à créer un Etat capitaliste polonais ne repose sur aucune base réelle. Le patriotisme, de ce fait, devient un programme auquel les souhaits subjectifs de ses créateurs servent de fondement et pour lequel l’éventualité incalculable d’une guerre européenne sert de moyen de réalisation. Le soutien de la démocratie européenne, sur laquelle comptent nos patriotes ne peut pas remplacer cependant du fait de son énorme importance morale le manque de base matérielle du programme.

Rosa Luxemburg, 1893
Rapport au IIIème Congrès ouvrier socialiste international de Zurich

Bref le Royaume de Pologne était bien pour R. Luxemburg une "Auvergne" de l’Empire russe, c’était son cheval de bataille depuis ses deux premières publications en 1892 (dont La fête du 1er mai à Lodz, bientôt disponible sur ce site).

Mais R. Luxemburg ne voulait pas intégrer son parti SDKPiL au parti plus large POSDR de toute la Russie, sans vouloir le dire publiquement.

Une première raison était son désaccord à propos du paragraphe 7 du Projet de programme du POSDR proposé à la discussion au congrès, paragraphe cité dans le télégramme, et qui se lisait :

§ 7 : reconnaissance du droit à l’autodétermination pour toutes les nations dont se compose l’Etat

Ce paragraphe 7 du projet de programme du POSDR, deviendra le paragraphe 9 dans la version définitive adoptée à la quasi-unanimité. Pour Luxemburg, cet article était une concession au nationalisme bourgeois, en particulier le nationalisme polonais, celui du Parti Socialiste Polonais (PSP), fondé en 1892. C’est en opposition à ce parti que Luxemburg créa son propre parti SDKP, au travers du journal "Sprawa Robotnicza" (la Cause Ouvirère) en 1893. Ce parti SDKP devint en 1899 le "SDKPL i L" lorsqu’en 1899 le rejoignirent les militants de Lituanie ("i L" veut dire "et de Lituanie"), restant sur la même ligne concernant la question de la Pologne.

La deuxième raison pour laquelle Luxemburg ne veut pas que "sa" SDKPiL s’intègre au POSDR, est que R. Luxemburg voulait un parti fédéral, pas centralisé. Dans un parti fédéral, chacun fait ce qu’il veut dans son coin. Or un tel fédéralisme n’est bon que pour les opportunistes, que Luxemburg combattait pourtant. Luxemburg eut tort, à notre avis, de défendre le fédéralisme à l’occasion de ce IIème congrès.

Il y eut donc en 1903 au 2ème congrès du POSDR un double désaccord entre Luxemburg et Lénine : 1) sur la question nationale et 2) sur celle de la structure du parti. Attention : mencheviks et bolcheviks se sont séparés sur la question des statuts, mais étaient tous contre un parti de structure fédéral. La question de la structure était donc différente de celle des statuts. C’est une rupture entre R. Luxemburg et pas seulement Lénine, mais tout le POSDR qui a donc eu lieu en 1903.

Certes, la divergence entre Luxemburg et Lénine sur la question nationale est connue. Mais ill est moins connu qu’elle se posa à l’intérieur d’un seul et même parti, le POSDR, dont R. Luxemburg prétendait faire partie "en principe". Ce sont donc des questions d’organisation internes à un parti qui étaient mêlées à la question nationale. Or souvent les débats entre R. Luxemburg et Lénine sur les questions de partis sont présentées comme des discussions entre un membre du parti allemand et un membre du parti russe, donc au niveau de l’Internationale.

Laissons maintenant J. P. Nettl, le célèbre biographe de Rosa Luxemburg, nous raconter ce chapitre palpitant de l’été 1903 du mouvement ouvrier, qu’un romancier du XIXème siècle, amateur de rebondissements comme Dumas père, aurait peut-être intitulé "La dépêche de Berlin", ou "La dépêche du 4 août " (facile à retenir par référence à la Révolution française), qui précipita une rupture organisationnelle, malheureuse, entre Luxemburg et Lénine, sous la forme de la rupture organisationnelle entre le SDKPiL et le POSDR. Certes ces deux partis restaient officiellement en accord sur les questions fondamentales, mais on sait ce que la formule "on se quitte mais on reste bons amis" peut signifier !

La connaissance de cet épisode rend savoureuse la lecture de l’article Questions d’organisation de la social-démocratie russe où R. Luxemburg "oublie" de mentionner qu’elle même participât à ce congrès et fut en désaccord avec tout le Congrès sur la question du droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Le "centralisme" de Lénine a bon dos ! Luxemburg aurait dû, pour rendre son article crédible, préciser quel statut elle voulait pour son parti SDKPiL au sein du POSDR. Elle était juge et partie, il y avait conflit d’intérêt, dans sa prétention à argumenter un jugement objectif sur les questions "russes", alors qu’elle même était "Russe" d’une certaine façon !

Les intertitres sont les nôtres. En gras apparaissent des mots-clés liés aux deux questions fondamentales : droit des nationalités, fédération.

**********

Extrait de La vie et l’oeuvre de Rosa Luxemburg (J. P. Nettl). Tome 1, Chapitre 6 : Russes, Juifs et Polonais. Les révolutionnaires en exil. 1898-1904. Pages 245-284.
Numéro 24 de la Bibliothèque socialiste (Maspero).

Préparation du congrès

page 263

(...) comment traduire l’unité idéologique avec le prolétariat russe en termes concrets d’organisation et de politique ? En insistant sur le caractère pan-russe de la révolution, la SDKPiL se trouvait confrontée à la question concrète de ses rapports avec le parti russe.

Depuis le début de 1902, la direction exilée russe travaillait à la convocation d’un congrès général qui permettrait enfin d’établir l’unité réelle dont l’absence se faisait si cruellement sentir. Après la fondation de l’Iskra en 1900, les rédacteurs se constituèrent en cellule pour l’organisation du futur congrès, et un comité d’organisation fut institué, qui devait rentrer en contact avec les différentes factions à l’intérieur ou à la périphérie du parti russe. Ces organisateurs étaient de nouveaux venus, inconnus des Polonais ; rien ne permet de conclure que quelqu’un, à l’époque, avait vu en Lénine la personnalité montante.
Si un homme semblait jouer le rôle d’architecte du futur congrès, c’était Martov.

page 264

Mais ce qui séduisait particulièrement les Polonais, c’était le nouveau visage du parti russe, où Plekhanov se résignait manifestement au rang de primus inter pares [Remarque de M&R : Plekhanov avait de très mauvaises relations personnelles avec Jogiches et Luxemburg dans le petit monde des émigrés révolutionnaires de Suisse]

Depuis de le début de 1903, Warszawski était officiellement délégué par le comité étranger polonais à Munich pour négocier avec le comité d’organisation russe. Les Polonais n’étaient pas familiarisés avec les manoeuvres compliquées des iskristes à l’intérieur du parti russe. et ne s’en souciaient guère ; rien ne prouve qu’aucun d’entre eux ait lu le Que Faire ? de Lénine, en tout cas aucun Polonais n’y fait allusion. Pour la SDKiPL, le congrès avait surtout pour tâche de discuter de la position prédominante du Bund, et si possible de la réduire à celle d’un sous-groupe autonome. Le parti polonais marquait à l’égard du Bund une hostilité en bonne et due forme, bien que le Bund lui-même témoigna plus de bienveillance à la SDKPiL qu’au PPS, qui demandait l’intégration juive absolue dans la société polonaise et n’admettait pas la nécessité d’une organisation juive séparée.

Lors du Troisième et du Quatrième congrès du Bund, on condamna les aspirations à l’indépendance polonaise ainsi que son champion, le PPS. Néanmoins, et bien que la SDKPiL admît le droit du Bund d’avoir une organisation autonome avec des pouvoirs limités, il acquit peu à peu la conviction qu’il existait un nationalisme latent au sein du parti juif :

Il n’y a pas de doute que le Bund ralentit le progrès de la social-démocratie [...] en invoquant sans cesse son caractère juif.

Lettre de Feliks Dzierzynski à Cezaryna Wojnarowska, juin 1903

Ce souci s’accompagnait d’une certaine envie :

Le Bund a su créer une organisation efficace, qui lui a permis d’éduquer les ouvriers juifs et de leur insuffler de l’enthousiasme révolutionnaire, [...] mais comme son nationalisme latent devient de plus en plus marqué, il suscite des tendances séparatistes dans la masse ouvrière juive !

(Lettre d’Adolf Warszawski à Karl Kautsky, 20 mai 1903)

(...)

page 265

(...)
Contents d’eux-mêmes comme à l’habitude, les Polonais pensaient probablement qu’ils étaient l’exception à la règle russe sur le fédéralisme, ou encore que toutes ces paroles sur les principes généraux n’étaient prononcées qu’à l’intention du Bund. Deux ans plus tôt, l’ Iskra avait reproduit intégralement et sans commentaires le projet polonais d’un parti social-démocrate russe de type fédéral (voir Przegląd Socjaldemokratyczny, mars 1902 nr 1)

Sans doute quelques Russes étaient-ils tentés d’accorder aux Polonais — ce groupe remarquable qui existait de puis 1893 et pouvait prétendre avoir été un pionnier— une certaine « position privilégiée » justifiée ; mais, nous le verrons, la notion que les Polonais avaient d’une « position privilégiée » différait radicalement de celle de l’ Iskra.

Mais à ce moment-là, tout avait l’air assez simple. Dzierzynski, qui n’aimait pas les demi-mesures, annonça à Liber, l’un des dirigeants bundistes et, à l’époque, le beau-frère de Dzierzynski, que les Polonais s’étaient engagés à soutenir l’Iskra contre le Bund.

Les négociations entre les Russes et les Polonais au début de l’été 1903 furent délicates et longues.

page 266

Les Polonais exigeaient d’être invités officiellement et sans condition au Congrès, tandis que le comité d’organisation prétendait qu’il n’était pas compétent pour le faire : seul le Congrès était habilité. Pourtant, on fit clairement comprendre à Warszawski que, si les Polonais acceptaient les conditions de l’Iskra, on pourrait leur garantir officieusement qu’ils seraient invités. La condition était que la SDKPiL se reconnaisse membre du POSDR (...) Mais les Polonais répondirent de façon évasive en disant qu’il leur fallait consulter leurs camarades de Pologne. En fait, Rosa Luxemburg et Leo Jogiches voulaient gagner du temps pour réfléchir et surtout pour réunir leur propre congrès polonais afin de discuter du problème plus à fond.

En fin de compte, Jogiches envoya une lettre à la rédaction de l’ Iskra dans laquelle il déclarait que les Polonais se considéraient, ainsi que les Russes,

comme appartenant idéologiquement et politiquement à un seul parti, bien que pour l’instant ils ne soient pas intégrés à une organisation unique—situation semblable à celle de tous les autres groupes social-démocrates

signé Warski, 26 juin 1903

C’était là une formulation embarrassée, telle que les aimait Jogiches ; elle masquait les problèmes, au lieu d’éclaircir la situation. (...)

Le Quatrième Congrès de la SDKPiL, réuni en hâte, se tint à Berlin du 24 au 29 juillet 1903. [note 52 :... seuls deux commentaires sur le congrès furent publiés, l’un par Rosa Luxemburg dans le Przegląd Socjaldemokratyczny, août 1903, numéro 8 (voir l’article IV Zjazd Socjaldemokracji K. P. i L. sur cette page), dans lequel elle défend l’intransigeance polonaise vis-à-vis du congrès russe en insistant sur la supériorité du concept polonais de l’organisation sur le russe...]

Le Congrès déclara qu’il était souhaitable d’entamer des négociations en vue de l’adhésion au nouveau parti russe. On désigna deux délégués à cet effet, et on leur donna « pleins pouvoirs dans le cadre de la résolution du Congrès ». Les instructions données aux deux chargés de mission avaient certainement été inspirées par Rosa Luxemburg, bien qu’elle n’ait pas participé personnellement au congrès ; et elles furent acceptées par l’ensemble des délégués « sans beaucoup de discussions (J. Hanecki, 1933) ».

page 267

.
Les deux chargés de mission étaient Hanecki et Warszawski. Pour les Polonais, la difficulté résidait surtout dans la forme d’organisation exigée par le comité d’organisation du parti russe : les Russes refusaient absolument une structure fédérative et n’acceptaient d’accorder qu’une autonomie limitée. En ce cas, le Comité central, du POSDR serait également la plus haute instance du parti polonais. La plupart des dirigeants de la SDKPiL préféraient la fédération, même si on ne l’appelait pas ainsi : ils ne voulaient pas renoncer à constituer un groupe autonome et uni, ni laisser le Comité central russe avoir des liaisons directes avec leurs organisations locales en Pologne.

(...)

Les délégués polonais arrivent au Congrès

Le 3 août, dans l’après-midi, les deux délégués polonais, qui sortaient de leur propre congrès, arrivaient à Bruxelles, au congrès russe. Deux jours plus tôt, le samedi 1er août, les Russes avaient décidé d’accepter la présence de deux délégués polonais, mais avec voix consultative et non délibérative. Cette décision même avait été prise après de longues discussions et contre l’avis de Lénine, de Martov et d’autres iskristes qui estimaient que les Polonais avaient laissé passé leur chance.

Warszawski fit part, dans un discours préparé à l’avance, du voeu des Polonais d’adhérer au parti et fit connaitre leurs conditions. Le discours avait été écrit à Berlin, certainement en étroite collaboration avec Rosa elle-même. Après quels applaudissements de pure forme, on commença immédiatement à négocier les conditions minimales des Polonais : la SDKPiL exigeait d’être reconnue comme le représentant exclusif de la social-démocratie polonaise dans le parti russe et le droit de conserver sa structure d’organisation et ses organismes de direction.

page 268

De plus, il souhaitait une définition plus rigoureuse et plus claire du paragraphe 7 du projet de programme, traitant de la question nationale, et la condamnation sans équivoque du « social-patriotisme polonais du PPS » ; cela cependant n’était pas une condition sine qua non. Les organisateurs du congrès russe, les iskristes en particulier, n’avaient pas envie de se disputer avec les Polonais une fois qu’ils étaient là ; ils réservaient le gros de l’artillerie pour le Bund.

C’est pourquoi la question polonaise fut retirée des séances plénières e soumise à une commission spéciale, où l’atmosphère des débats était moins surchauffée. Là, dans un cercle restreint, on demanda d’abord aux Polonais s’ils voulaient l’autonomie ou la fédération, et on leur fit savoir que seule la deuxième formule pouvait être prise en considération. Puis, on leur demanda ce qu’ils entendaient par autonomie. La discussion se prolongea pendant quelques jours, sans qu’on puisse arriver à une conclusion.

Eût-il été possible d’accepter les conditions polonaises et d’arriver à un accord, en proposant une autonomie qui aurait été en fait une fédération ? On ne peut que faire des suppositions, mais il est probable que non : les exigences polonaises allaient à l’encontre des principes fondamentaux d’organisation soutenus par Lénine et Martov et qu’une grande majorité du congrès voulait imposer au Bund  ; sur quoi le Bund plia bagage et quitta le congrès.

Pas plus que le Bund, les Polonais n’étaient disposés à faire beaucoup de concessions dans ce domaine, les négociations auraient donc sans doute échoué, si à la fin de juillet un problème imprévu n’avait surgi, qui faisait passer à l’arrière-plan tous les autres.

L’article de Lénine sur la question nationale et la rupture

Le numéro de juillet de l’ Iskra publiait un article de Lénine sur la question nationale. Une fois de plus, il affirmait que le parti russe devait soutenir le droit à l’auto-détermination des peuples opprimés, et cela pour des raisons théoriques aussi bien que tactiques. Donc, écrit-il, le programme du POSDR proposé au Congrès « n’exclut pas du tout que le prolétariat polonais adopte comme mot d’ordre une république polonaise libre et indépendante, quand bien même la probabilité de sa réalisation avant l’avènement du socialisme serait tout à fait infime »

page 269

L’article n’avait pas été écrit pour irriter les Polonais ou créer de nouvelles difficultés.

(...)
Rosa Luxemburg et Leo Jogiches réagirent violemment. Ils chargèrent les délégués de dire aux Russes qu’étant donné l’article de l’Iskra, les négociations « tenaient à un fil » :

Nous vous conseillons de dire aux Russes qu’à la suite de cet article l’intérêt moral de notre adhésion au parti russe disparaît presque complètement, et que c’était justement cet aspect moral qui nous intéressait en premier lieu. S’ils ne sont pas disposés à changer le paragraphe 7, nous serons obligés de renoncer à la fusion. Dites à Zassulitch qu’après l’article de l’ Iskra, je n’ai plus aucun intérêt à la fusion et que j’ai conseillé de ne plus faire aucune concession.

Rosa Luxemburg à Adolf Warszawski, probablement le 5 août 1903

page 270

(...) Les Russes refusèrent évidemment de répondre tout de suite à l’ultimatum polonais (...) Lénine laissa peu d’espoir à Hanecki (...) les délégués polonais se retirèrent.

Le lendemain 7 août tout était terminé. (...) La fin des négociations et la manière dont elles se terminèrent causèrent néanmoins un certain remous dans le parti polonais. Personne ne prit la peine de donner aux adhérents un compte rendu officiel des négociations et d’expliquer la cause de leur échec (...)

page 271

(...)
Il y avait une contradiction entre ce que disait en privé Rosa Luxemburg — à savoir qu’on avait voulu la fusion pour soutenir moralement la SDKPiL contre le PPS— et les thèses officielles du parti sur les problèmes d’organisation, qui apparemment constituaient l’objet principal des négociations. Toutes les grandes phrases sur l’organisation paraissaient maintenant absurdes, Rosa et Leo Jogiches avaient manifestement réglé l’affaire seuls—en se fondant sur une hiérarchie des problèmes qui n’était pas forcément reconnue par tous.

Certains militants ignoraient le point de vue de Rosa et continuèrent à croire que c’étaient les question d’organisation qui avaient constitué l’obstacle incontournable. D’autres pensaient que ce n’était pas là une raison suffisante pour renoncer à la fusion avec les Russes, cette fusion que Rosa elle-même avait prêchée pendant si longtemps. Rien ne démontre mieux que ces négociations et leur échec à quel point une direction officieuse dominait la structure officielle de la SDKPiL, et le rôle prédominant de Rosa Luxemburg dans cette direction.
(...)

[note 65 p. 271 : Grâce à ce déroulement des événements, les Polonais ne furent pas impliqués dans la première dispute bolcheviks-mencheviks. ]

A la surprise générale, ce fut Cezaryna Wojnarowska qui s’éleva contre Berlin. La rupture des négociations avec les Russes lui fournit l’occasionde critiquer la politique de la SDKPiL dans son ensemble.

page 272

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