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Le vent de révolte va-t-il toucher l’Afrique noire ?

mercredi 16 février 2011

Au Congo, au Cameroun et au Sénégal, les pouvoirs ont de bonnes raisons de craindre la « contamination » des révoltes qui secouent l’Afrique du Nord. La vie y est chère et le chômage endémique. Des tentatives y sont menées pour pousser les populations dans les rues. Les pouvoirs camerounais et sénégalais ont déjà réagi en baissant ou en régulant les prix des denrées de première nécessité.

Après le Maghreb, l’Afrique noire ? Les révoltes entamées en Tunisie, qui ont eu raison du régime de l’ex-président Ben Ali et qui font tanguer celui de l’Egyptien Hosni Moubarak pourraient bien s’étendre plus au sud du continent. De nombreux pays y rassemblent les conditions d’une explosion sociale majeure, similaire à celle qui secouent les pays arabes d’Afrique du Nord. De sorte qu’une certaine frilosité s’est emparée de quelques gouvernements qui, tout en épiant la rue, multiplient des mesures contre la cherté de la vie, principal ferment des soulèvements.

Sit-in contre Denis Sassou Nguesso à Paris

Samedi, place Victor Hugo dans le 16e arrondissement à Paris, une trentaine de Congolais ont bravé la météo peu clémente de l’hiver pour tenir sit-in contre le président Denis Sassou Nguesso. Si les manifestants emmenés par Bienvenu Mabilemono, secrétaire général du Mouvement pour l’unité et le développement du Congo (MUDC), qui ont affronté le froid pendant trois heures, sont conscients que leur action n’aurait que peu d’effet sur la conduite des affaires à Brazzaville, ils n’espèrent pas moins attirer l’attention du public français sur « l’oppression, la spoliation, la faim, la misère, le chômage et l’absence de perspectives dans des proportions bien plus effrayantes qu’en Tunisie, en Egypte ou en Algérie », tel qu’ils l’ont écrit dans le communiqué de presse annonçant leur projet.

« Nous avons expressément choisi la date du 5 février pour manifester. C’est le jour où Denis Sassou Nguesso est revenu au pouvoir par un coup d’Etat. Les gens au pays suivent de près ce qui se passe ici, et nous connaissons la capacité de nos compatriotes à se mobiliser. Ils l’ont déjà montré par le passé et nous travaillons à mettre en place des relais dans le pays », a expliqué Maurille Louzala, un des organisateurs de la démonstration. Conscient du rôle joué par les médias sociaux dans le déclenchement de la révolte tunisienne, Bienvenu Mabilemono a signé un document intitulé « Le Congo peut-il suivre l’exemple tunisien ? Si oui, le temps est-il notre ennemi ou notre allié ? » qu’il fait circuler par internet. Véritable concentré de charges contre le président du Congo-Brazzaville, le texte invite à suivre l’exemple tunisien pour chasser Denis Sassou Nguesso du pouvoir.

Une démarche qu’André Mba Obame, qui s’est proclamé président de la République du Gabon le 25 janvier dernier, appelle ses concitoyens à suivre pour renverser Ali Bongo Ondimba. « Comme en Tunisie, comme en Egypte, les Gabonais se battent pour que leurs droits fondamentaux soient respectés », nous déclarait-il dans une récente interview. Retranché au siège du PNUD, à Libreville, il défie encore le président reconnu en 2009 par le Conseil constitutionnel. Depuis son appel, plusieurs manifestations, dispersées par les forces de l’ordre, ont eu lieu au Gabon.

Tracts appelant à la révolte au Cameroun

Au Cameroun, les tentatives visant à provoquer un soulèvement des populations se multiplient également. A Bafoussam et à Bamenda, respectivement chef-lieu de la région de l’Ouest et du Nord-ouest, les policiers, dont on sait qu’ils n’ont pas pour habitude de se montrer tendres envers les populations, ont reçu depuis quelques jours une mission bien particulière, nous apprend le quotidien Le jour. Ils doivent surveiller la rue, les photocopieuses du centre urbain et les personnes à l’allure suspecte, pour ramasser, empêcher de dupliquer ou confisquer des tracts qui ont récemment été déversés dans les deux villes.

Apparu dimanche dans les deux citadelles qui à chaque période de troubles au Cameroun se mettent en première ligne de la fronde sociale, le tract invite le « gouvernement néocolonial » de Paul Biya à démissionner au plus tard mercredi à minuit. Il demande aux Camerounais meurtris par la vie chère et victimes de la spoliation à grande échelle de leurs richesses, « d’arracher leur indépendance économique ». Il est signé du « Conseil national de la révolution », un mouvement inconnu de la rue camerounaise. Le discours est musclé et irréaliste. Cependant il ne manque pas de séduire. Le quotidien Le Jour rapporte ainsi qu’en dépit du travail de veille des policiers, le document, photocopié loin des centres-villes, continue de circuler, sous cape.

Un député de l’opposition appelle à manifester

Cependant, il n’y a pas que ce tract pour entamer la sérénité de Paul Biya. Dans une tribune reprise par des médias dont Camer.be, Jean Michel Nitcheu, député du Front social démocratique, le principal parti de l’opposition, invite ouvertement ses compatriotes à se soulever contre la précarité dans laquelle ils sont contraints de vivre. « La chute de M. Ben Ali devrait servir de leçon à son homologue siamois camerounais qui veut s’éterniser au pouvoir », écrit le député, qui poursuit : « Les Camerounais doivent aussi savoir que pour faire tomber les derniers vestiges de la dictature régnante qui sévit à la tête du pays, ils doivent organiser un front de mobilisation populaire et créer un rapport de force conséquent sur le terrain qui contraindra la clique gouvernante à renoncer ». Analysant la situation sociale dans son pays, Jean-Michel Nitcheu constate : « La dictature de M. Biya (…) est obscurantiste sur tous les plans : corruption institutionnalisée, détournements massifs des deniers publics, enrichissement illicite de M. Biya et de ses proches, gaspillage des ressources de l’Etat, interdiction de tenue de meetings, répressions permanentes des manifestations publiques, étouffement des libertés individuelles ». « Tout est donc réuni pour que le Cameroun sombre dans une déflagration de forte amplitude. Si rien n’est fait le plus tôt possible cette année, notre pays plongera dans une crise politique intense qui débouchera sur des tensions sociales indescriptibles », conclut-il.

Interdiction de manifester au Sénégal

Au Sénégal règne la même frilosité. Fin janvier, le pouvoir a interdit une marche nationale que la Coordination des centrales syndicales, un regroupement de 12 syndicats sur les 18 du pays, projetait de faire contre la vie chère. Pour le gouvernement Wade, la manifestation était « sans objet ». La Ligue sénégalaise des droits humains, organisation de défense des droits de l’homme, a vivement dénoncé cette mesure. Dans un communiqué, l’association a condamné « de la façon la plus ferme le gel des libertés publiques au Sénégal avec l’interdiction systématique des marches pacifiques envisagées par divers segments de la société ».

Mesures sociales préventives

En 2008, le Cameroun comme le Sénégal n’avaient pas échappé aux émeutes de la faim qui avaient secoué plusieurs pays du sud. Au Cameroun, la répression des manifestations avait fait plusieurs victimes, quarante morts selon le gouvernement, jusqu’à deux cents selon certains observateurs. Cette fois, les deux pays veulent pouvoir anticiper la réaction de la rue, en prenant des mesures contre l’inflation. Fin janvier, Dakar a annoncé des baisses de 8 à 15% des prix de denrées de première nécessité comme le sucre, le riz, l’huile et le lait qui devenaient de plus en plus chères.

De son côté, Paul Biya a décidé de créer un organisme public chargé d’importer massivement les denrées alimentaires, de procéder à la régularisation des prix et de déclencher l’alerte en cas de pénurie ou d’inflation. La mesure n’arrange cependant pas les affaires de tout le monde. Certains milieux syndicaux et politiques l’ont en effet vivement critiqué, en pointant le risque d’asphyxier le système agricole locale. Les mesures qu’il avait prises en 2008 pour endiguer la flambée des prix et calmer le mécontentement populaire au Cameroun n’avaient produit que peu d’effets.

Cette fois, c’est à Douala que les forces de l’ordre ont tenté de circonscrire une tentative de manifestation publique dont les mobiles seraient peu connus.

Pourtant au même moment, une marche de gratitude à lieu à Yaoundé du point dit Camtel boulevard au Ministère de l’Enseignement Supérieur. Bien avant, il y a quelques jours, la péninsule de Bakassi a encore été le théâtre des actions peu rassurantes. Le Cameroun est-il devenu un Etat fragile ?

Des rumeurs de manifestations venant des camerounais de la diaspora, sont venus s’ajouter à celle connue au sujet des forces armées insatisfaites de la non application de la décision du Chef de l’Etat à Bamenda, etc. C’est du moins une grogne en sourdine invite à prendre très au sérieux tous ses mouvements observés depuis peu au Cameroun. L’effet domino du monde arabe se reproduira-t-il au Cameroun ?

De multiples risques de conflit existent à l’approche des élections présidentielles de 2011 voire même au delà. L’histoire est témoin de quelques tensions similaires qui ont été masquées sans être résolues entre 1950 et 1970. Ce qui est évident c’est que le régime en place avait nourrit son obsession pour l’unité et la stabilité suites aux traumatismes des années 1950. Mais malgré tout, l’économie est restée en croissance. Voilà qui vint illusionner plusieurs. Quoique l’on puisse voir un lien étroit entre stabilité politique et stabilité socio-économique.

Au début des années 1990, c’est encore une vague d’agitation qui gagne le pays. Elle dure deux ans et provoquent des violences en 1991. Mais par des procédés dont le gouvernement à la seule mesure, l’on parvient à faire reculer quelques réformes fondamentales. L’expérience s’est reproduite avec ce que l’on a convenu médiatiquement d’appeler « les émeutes de la fin ». Ces violences urbaines de 2008, avaient mêlées revendications économiques, contestation du régime et manipulation politique. Causant ainsi plusieurs dizaines de morts. Un aperçu des risques d’un conflit violent. Idem processus de résolution de la crise. Résultat : le calme est retrouvé.

En ce jour pour exemple, "sur ordre du ministre de l’enseignement supérieur, les élèves et étudiants ont été appelés à aller défiler pour exprimer leur gratitude au Chef de l’Etat pour ce qu’il fait pour la jeunesse". A laissé entendre le Chargé d’études de l’Institut supérieur privé Siantou de Yaoundé. Pousser la jeunesse à aller manifester peut favoriser une action inverse à long terme. Surtout s’il faille s’en tenir à la difficulté qui existe aujourd’hui à obtenir une autorisation de manifestation publique au Cameroun. Question de se dire, que ces nombreuses marches n’en susciteraient-elles pas d’autres ? Toujours est-il que le continent africain traverse en ce moment une situation quasi historique où les révolutions partent du bas. Notons que le Cameroun partage un certain nombre de points communs avec ces pays qui vivent en ce moment des crises politiques. L’on pourra peut être parvenir à surmonter les tensions et les pressions immédiates, mais il reste la possibilité d’une détérioration à long terme de cette stabilité camerounaise. Le Cameroun, qui constitue encore un des uniques piliers de stabilité en Afrique centrale, est l’objet de plusieurs manifestations. Une crise potentielle en cette année des élections, qu’il faille bien regarder venir.

Messages

  • Ce qui est donc arrivé en Tunisie peut arriver dans n’importe quel pays africain, y compris le Mali même si les libertés individuelle et politique ne sont pas confisquées dans notre pays comme dans la Tunisie de Ben Ali. Mais, la souffrance des Maliens ne fait que s’accentuer au fil des ans parce que l’Etat a démissionné et qu’une minorité s’est accaparée des circuits de la production, donc de l’économie nationale. Proportionnellement, il y a autant de chômeurs et de malfamés au Mali qu’en Tunisie.

  • En réalité, aucun pays africain n’est aujourd’hui à l’abri d’une révolte populaire parce que les crimes organisés (corruption, délinquance financière, népotisme, gabegie...) gagnent du terrain alors que la population perd chaque jour confiance en la justice, à l’Etat. Que faire alors ? Se résigner dans la misère ou prendre son destin en main pour combattre un système politique qui ne génère que la misère générale.

    C’est ce genre de situation qui avait favorisé la révolution de Mars 91 au Mali. Hélas, le peuple a naïvement baissé la garde en croyant la révolution achevée avec la chute du régime. Les opportunistes se sont alors engouffrés par les brèches pour hypothéquer ses retombées. Socialement et économiquement, la révolution du 26 Mars 1991 est un échec parce qu’elle n’a pas abouti à la justice et à l’équité souhaitées par la majorité. Certes nous jouissons du multipartisme intégral d’une grande marge de liberté.

    Mais, dans le vécu quotidien, le Malien lambda s’éloigne chaque jour de la concrétisation de son rêve de bien-être social et économique. Certes les logements sociaux sont construits un peu partout. Au même moment, combien de Maliens sont injustement spoliés de leurs propriétés foncières à cause de la complicité des prédateurs fonciers, l’administration municipale et la justice ? C’est cela le vrai problème !

  • Face à la misère et aux nombreuses humiliations que nous vivons au quotidien, tous les Africains doivent s’inspirer de l’exemple tunisien. Il est utopique de croire que ce sont les constitutions et les élections qui vont changer le destin de nos pays. En effet, les dés sont pipés avant les scrutins. Ce qui fait que les urnes ne peuvent que rarement changer le destin d’un peuple africain.

    Les Africains, principalement les Maliens, sont souvent trop résignés en se remettant au destin. Les Hommes naissent avec leur destin, mais ce sont les peuples qui doivent écrire la destinée de leur nation. Et quand les urnes et les grèves ne changent rien, il faut s’exprimer courageusement d’une autre manière quel que soit le prix à payer. De toutes les manières, il faut toujours des sacrifices pour que la majorité puisse être heureuse !

    Ce qui est donc arrivé en Tunisie peut arriver dans n’importe quel pays africain, y compris le Mali même si les libertés individuelle et politique ne sont pas confisquées dans notre pays comme dans la Tunisie de Ben Ali. Mais, la souffrance des Maliens ne fait que s’accentuer au fil des ans parce que l’Etat a démissionné et qu’une minorité s’est accaparée des circuits de la production, donc de l’économie nationale. Proportionnellement, il y a autant de chômeurs et de malfamés au Mali qu’en Tunisie.

    Allons-nous longtemps nous asseoir en attendant que les choses changent d’elles-mêmes ?

  • Le pouvoir a peur du vent de révolte au Bénin...

    Le gouvernement du Bénin a reporté au 13 mars la tenue de l’élection présidentielle, initialement prévue ce week-end, a annoncé vendredi soir le ministre des Affaires étrangères

    Cette annonce fait suite au feu vert donné en ce sens quelques heures plus tôt par la cour constitutionnelle du Bénin, pour un report au 13 mars de la présidentielle pour permettre de compléter les listes électorales.

    Elle survient alors qu’opposition, syndicats et organisations de la société civile affirment depuis des semaines que plus d’un million d’électeurs n’ont pas été enregistrés dans le nouveau fichier électoral.

  • Des dizaines de milliers de manifestants ont pris d’assaut les rues de Brazzaville, au Congo, dimanche, pour crier "Sassou dehors". Le président, âgé de 72 ans, entend réformer la Constitution, ce qui lui permettrait de se représenter en 2016.

    L’opposition congolaise a tenu, dimanche 27 septembre à Brazzaville, la capitale du Congo, son plus grand rassemblement depuis le retour au pouvoir du président Denis Sassou Nguesso en 1997. Aux cris de "Sassou dehors" et "Le Congo n’appartient pas à Nguesso", des dizaines de milliers de manifestants ont affirmé leur opposition à une réforme constitutionnelle, assimilée à un "coup d’État", qui permettrait au chef d’État de briguer un troisième mandat en 2016.

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